La lettre juridique n°638 du 7 janvier 2016 : Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Janvier 2016 (Spéciale loi de finances pour 2016 et loi de finances rectificative pour 2015)

Réf. : Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015, de finances pour 2016 (N° Lexbase : L2719KWM) et loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, de finances rectificative pour 2015 (N° Lexbase : L1131KWS)

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par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université

le 07 Janvier 2016

Après la loi du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (loi n° 2013-1117 [LXB= L6136IYW]), les lois de finances pour 2014 (lois n° 2013-1278 N° Lexbase : L7405IYW et n° 2013-1279 N° Lexbase : L7404IYU) et la loi de finances pour 2015 (loi n° 2014-1654 N° Lexbase : L2843I7G), qui ont profondément modifié les procédures de contrôle fiscal et les sanctions, la loi de finances rectificative pour 2015 (loi n° 2015-1786 N° Lexbase : L1131KWS) et la loi de finances pour 2016 (loi n° 2015-1785 N° Lexbase : L2719KWM) semblent marquer une pause. Elles s'adaptent à la politique de dématérialisation initiée par l'administration tant pour des raisons de simplification administrative que pour des raisons de coûts. Elles anticipent des changements profonds concernant l'échange de renseignements d'informations entre administrations fiscales d'Etats différents. Elles adaptent la législation à un phénomène qui n'est pas tout à fait nouveau: le logiciel permissif. Enfin, elles s'efforcent de simplifier les obligations des contribuables mais aussi d'ouvrir un lieu de dialogue pour une question importante : le crédit d'impôt recherche. Le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution les dispositions de l'article 29 de la loi de finances rectificative pour 2015, qui a pour objet d'introduire dans le régime fiscal des sociétés mères une condition "anti-abus" issue d'une Directive communautaire (Directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011 N° Lexbase : L5957IR3) (1). En revanche, le Conseil a censuré l'article 77 (dit "amendement Jean-Marc Ayrault et Pierre-Alain Muet") de la loi de finances pour 2016 concernant le versement d'une fraction de la prime d'activité sous la forme d'une réduction dégressive de CSG (2). Il a jugé que le dispositif proposé était contraire au principe d'égalité au motif qu'il excluait du bénéfice de la mesure les travailleurs modestes non salariés, sans que cette différence de traitement soit en en rapport avec l'objet de la loi. Dans la loi de finances rectificative pour 2015 et la loi de finances pour 2016, quelques dispositions, relatives aux procédures, ont retenu notre attention. 1 - L'échange automatique d'informations

L'échange automatique d'informations à des fins fiscales voulu par les G20 successifs et préparé par l'OCDE tend à s'imposer (3). Sur la base d'un accord multilatéral ouvert à la signature à Berlin le 29 octobre 2014, signé à ce jour par 74 Etats et territoires, il est prévu de faire les premiers échanges d'informations en 2017.

Dans cette perspective le législateur se devait d'adapter la législation.

Afin de transposer la Directive 2014/107/UE du Conseil, du 9 décembre 2014 (N° Lexbase : L0202I7M), modifiant la Directive 2011/16/UE (N° Lexbase : L5101IPM), en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal dans l'ordre juridique interne, l'article 17 de la loi de finances rectificative a modifié l'article 1649 AC du CGI (N° Lexbase : L9782I3P). Le dispositif assure la mise en oeuvre du standard international d'échange automatique de renseignements par les institutions financières françaises.

Les institutions financières déclarantes devront mettre en oeuvre, y compris au moyen de traitements de données à caractère personnel, les diligences nécessaires en matière de détermination de la résidence fiscale de leurs clients et, en conséquence, d'identification de la déclaration des comptes, des paiements et des personnes, particuliers, fondations ou trusts.

2 - Comité consultatif pour le crédit d'impôt pour dépenses de recherche et le crédit d'impôt innovation

Le législateur a souhaité créer, sous un nouvel article 1653 F du CGI, un comité consultatif du crédit d'impôt pour dépenses de recherche.

Lors de sa réunion du 22 mai 2014 le Comité de lutte contre la fraude et le Secrétaire d'Etat chargé du Budget, le 1er avril 2015, ont proposé de créer une instance de conciliation pour le crédit d'impôt recherche (CIR) et le crédit d'impôt innovation (CII).

Présidé par un conseiller d'Etat, qui aura voix prépondérante, ce comité consultatif comprendra un expert disposant de compétences techniques adaptées aux spécificités du crédit d'impôt recherche et du crédit d'impôt innovation et, évidemment, n'ayant pas eu à connaître du litige. Afin de délivrer un avis éclairé, il disposera de l'ensemble des documents sur lesquels l'administration s'est fondée pour appuyer sa position, ainsi que des réponses du contribuable. En outre, le contribuable et ses conseils, ainsi que les agents ayant pris part aux rectifications pourront être entendus en séance.

L'entreprise se verra notifier l'avis rendu par le comité sur la qualification des dépenses ouvrant droit au crédit d'impôt recherche.

Le contribuable a toujours la possibilité de faire une demande de rescrit (4) afin d'obtenir de l'administration une prise de position formelle qui pourra ultérieurement, et si c'est nécessaire, lui être opposée. Le Conseil d'Etat, dans une étude récente, a montré que le rescrit impôt-recherche n'a pas rencontré le succès escompté, les entreprises lui reprochant sa "trop grande rigidité". Le Conseil a noté que "le rescrit CIR peut désormais être sollicité après le lancement du projet de recherche et ce jusqu'à six mois avant la date limite de dépôt de la déclaration spécifique. S'il est trop tôt pour évaluer l'accueil qui lui est réservé par les entreprises, ce changement répond à leur demande de flexibilité" (5).

3 - Les déclarations des non-résidents

L'article 197 A du CGI (N° Lexbase : L4561I73) fixe les obligations déclaratives des non-résidents. Le législateur a souhaité assouplir leurs obligations. Ils auront la possibilité d'annexer à leur déclaration de revenu une déclaration sur l'honneur indiquant que le taux de l'impôt sur le revenu français sur leurs revenus de source mondiale est inférieur au taux minimal de 20 % visé à l'article précité.

Les contribuables pourront apporter la justification correspondante ultérieurement.

Le dispositif est réservé aux contribuables qui ont leur domicile fiscal dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un Etat avec lequel la France a signé une convention d'assistance administrative de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ou une convention d'assistance mutuelle en matière de recouvrement.

4 - Les logiciels non permissifs

Il est arrivé que l'administration soit confrontée, à l'occasion de vérifications de comptabilité, à de réelles difficultés en raison de l'utilisation par le contribuable de logiciels permissifs permettant d'occulter certaines opérations. Il est un fait que les données d'un progiciel de gestion qui permet de facturer et d'encaisser les ventes, de gérer les stocks, et comprend l'ensemble des recettes journalières de la société, participent à la formation des résultats comptables soumis aux contrôles de l'article L. 47 A du LPF (N° Lexbase : L3696I3B).

Le Conseil d'Etat a jugé que la seule circonstance que la suppression régulière et voulue de ces données aient empêché le vérificateur de mettre en oeuvre les traitements informatiques qui auraient pu être réalisés sur le fondement de l'article L. 47 A précité ne suffit pas à caractériser une opposition à contrôle fiscal, au sens de l'article L. 74 du LPF (N° Lexbase : L0428IYI), dès lors qu'il n'est pas établi qu'elles aient été effectuées en vue de ce contrôle (6).

Ainsi qu'il a été dit, cette décision, qui est importante, "ne signe pas l'arrêt de mort des logiciels de gestion dits permissifs', logiciels qui favorisent la fraude fiscale par l'effacement volontaire ou automatique de données comptables" et l'auteur d'ajouter, "ce n'est donc pas forcément dans le prétoire du juge de l'impôt que se jouera l'éradication de ces applications" (7).

En effet, la loi du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, en son article 20, offre de nouveaux moyens à l'administration pour détecter les systèmes de caisse frauduleux et pour pénaliser leurs concepteurs.

Le Conseil national de lutte contre la fraude, lors de sa réunion du 23 juin 2015, a annoncé un renforcement de lutte contre la fraude à la TVA. Il a été constaté que certains logiciels permettent de retirer des recettes de la comptabilité et de reconstituer les tickets de caisse sans que cette manipulation soit décelable.

Le Conseil précité a proposé de prévoir l'utilisation obligatoire d'un logiciel ou un système sécurisé, c'est-à-dire satisfaisant à des conditions d'inaltérabilité, de sécurisation, de conservation et d'archivage ainsi qu'une amende fiscale pénalisant la détention d'un logiciel par une entreprise qui ne serait pas en mesure de justifier qu'elle utilise un logiciel ou un système sécurisé.

La présentation d'une attestation d'homologation, par un tiers habilité à conduire des audits de certification du haut niveau de sécurité, ou la présentation d'une attestation individuelle de l'éditeur selon laquelle le logiciel est sécurisé, sont de nature à apporter cette justification.

L'administration peut, de façon inopinée, constater, dans les locaux de l'entreprise, quel logiciel de caisse elle détient et demander à l'entreprise de présenter l'attestation selon laquelle le logiciel, ou système, qu'elle utilise est sécurisé.

Le défaut de présentation d'une telle attestation entraine l'application d'une amende de 5 000 euros et l'obligation de se mettre en conformité dans un délai de soixante jours.

L'entrée en vigueur du dispositif est différée afin de permettre aux utilisateurs de logiciels et système de caisse de prendre en compte le nouveau dispositif.

5 - Dématérialisation de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié

Comment réduire les coûts sans altérer les droits et garanties du contribuable ?

L'article L. 10 du LPF (N° Lexbase : L4149ICN) prévoit que la charte des droits et obligations du contribuable vérifié est remise au contribuable avant l'engagement d'une vérification de comptabilité ou d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle. Ces dispositions sont opposables à l'administration (8).

Dans la pratique cette charte est jointe aux avis de vérification ou remise en main propre en cas de contrôle inopiné.

La modification de l'article L. 47 du LPF (N° Lexbase : L3907ALB) permettra la dématérialisation de la charte et sa mise à disposition sur le site internet de l'administration sera de nature à la rendre accessible à l'ensemble des usagers. Les contribuables pourront toujours, à leur demande, obtenir le document sous une forme papier.

6 - Les obligations déclaratives en matière de prix de transfert

L'OCDE a fait des prix de transfert une question centrale du projet "base erosion and profit shifting" (BEPS). L'action 13 du projet doit permettre d'élaborer des règles applicables à la documentation des prix de transfert afin d'accroître la transparence pour l'administration fiscale, tout "en tenant compte des coûts de discipline pour les entreprises". Il est prévu que l'on pourrait "notamment imposer aux multinationales de communiquer à tous les pouvoirs publics concernés les informations requises sur la répartition mondiale du revenu, de l'activité économique et des impôts payés dans les différents pays, conformément à un modèle commun" (9).

Dans une communication en date du 18 mars 2015 de la Commission au Parlement européen et au Conseil, concernant la transparence fiscale pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, il est préconisé de "renforcer la transparence et le partage d'informations sur les décisions fiscales en matière transfrontière, y compris les accords préalables en matière de prix de transfert" (10).

Le législateur a souhaité s'inscrire dans cette perspective.

Pour les exercices ouverts depuis le 1er janvier 2010, l'article L. 13 AA du LPF (N° Lexbase : L9780I3M) introduit une obligation documentaire générale couvrant les transactions fiscales réalisées par des personnes morales françaises avec des entreprises situées à l'étranger. L'article 223 quinquies B du CGI (N° Lexbase : L3969I3E), issu de la loi du 6 décembre 2013, prévoit une obligation déclarative sur la politique des prix de transfert pratiquée par les entreprises qui sont obligées de produire, en cas de vérification de comptabilité, la documentation sur les prix de transfert visée à l'article L. 13 AA du LPF.

Cette documentation, qui n'est pas à confondre avec les justificatifs afférents à chaque transaction, est tenue à la disposition de l'administration à la date d'engagement de la vérification de comptabilité. Si cette documentation n'est pas mise à la disposition de l'administration à cette date, ou si ne l'est que partiellement, l'administration adresse à la personne morale une mise en demeure de la produire ou de la compléter dans un délai de trente jours, en précisant toutefois les documents ou compléments attendus. La mise en demeure précise les sanctions applicables en l'absence de réponse ou en cas de réponse partielle.

Dans un souci de simplification le législateur a retenu que les déclarations soient obligatoirement transmises par voie électronique et que la déclaration de chaque société membre d'un groupe, au sens de l'article 223 A du CGI (N° Lexbase : L1889KG3), soit déposée par la société mère.

Ce dispositif s'inscrit dans le plan BEPS de lutte contre l'érosion de la base d'imposition et transfert des bénéfices de l'OCDE (11). Le plan prévoit des normes révisées en matière de documentation des prix de transfert et la dématérialisation de la documentation (12).

Un certain nombre de parlementaires souhaitaient aller plus loin.

Ils avaient pour projet de mettre en place un mécanisme d'échange d'informations pays par pays, entre les administrations fiscales nationales sous condition de réciprocité, pour les entreprises multinationales. Il s'agissait de répartir pays par pays les bénéfices du groupe et des agrégats économiques, comptables et fiscaux, et de donner des informations sur la localisation et l'activité des entités le constituant. L'obligation déclarative était étendue aux filiales françaises de groupes dont la tête de groupe est implantée dans un Etat ou territoire qui ne transmet pas effectivement les déclarations pays par pays à la France. Dans ce cas ils gardaient la possibilité de souscrire la déclaration par l'intermédiaire d'une autre de leurs entités situées dans un Etat qui se chargera de collecter.

La déclaration devait être souscrite sous forme dématérialisée, la France se chargeant de transmettre ces déclarations aux autres Etats où le groupe est implanté en faisant usage du mécanisme d'échange d'informations visé dans les conventions fiscales.

L'amendement qui proposait que ces informations soient publiées et mises à la disposition du public n'a finalement pas été retenu. Ne soyons pas naïf au point de penser que le projet sera totalement oublié.


(1) Cons. const., 29 décembre 2015, n° 2015-726 DC (N° Lexbase : A1008N3Q).
(2) Cons. const., 29 décembre 2015, n° 2015-725 DC (N° Lexbase : A1007N3P).
(3) Pascal Saint-Amans, Samia Abdelghani, La coopération internationale au service de la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, Revue européenne et internationale de droit fiscal, 2015, 2, pp. 207-214.
(4) LPF, art. L. 80 B, 3° (N° Lexbase : L3693I38).
(5) Conseil d'Etat, Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets, La documentation française, coll. Les études du Conseil d'Etat, 2014, pp. 42-43.
(6) CE 9° et 10° s-s-r., 24 juin 2015, n° 367288, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0111NM3), Revue de jurisprudence fiscale, 2015, 10, comm. 812.
(7) N. Labrune, L'administration fiscale, le pharmacien et l'ordinateur, Revue de jurisprudence fiscale, 2015, 10, pp. 715-719.
(8) Nos obs., Procédures fiscales, 2ème édition, LGDJ, coll. Domat, 2015, pp. 473 et s..
(9) L. Stankiewicz, L'activité des organisations internationales, Revue européenne et internationale de droit fiscal, 2015, 2, pp. 303-318.
(10) Site de la Commission européenne.
(11) Pour une analyse d'ensemble du dispositif, consulter : la Revue européenne et internationale de droit fiscal (éd. Bruylant), 2015, 2, consacré à la planification fiscale agressive et transfert de bénéfices.
(12) Actions 8, 9 et 10 du plan BEPS.

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