La lettre juridique n°638 du 7 janvier 2016 : Avocats/Périmètre du droit

[Jurisprudence] L'exercice illégal de la consultation juridique par un courtier en assurances

Réf. : Cass. civ. 1, 9 décembre 2015, n° 14-24.268, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8210NYQ)

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par Hervé Haxaire, ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition professions

le 07 Janvier 2016

Ou quand un courtier en assurances exerce, parallèlement à cette activité, celle de conseil à destination de personnes étrangères à sa profession de courtier. Dans un arrêt rendu le 9 décembre 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation a clairement défini les conditions de l'exercice illégal de la consultation juridique par un courtier en assurances, faisant ainsi échec à une nouvelle tentative de violation du périmètre du droit tel qu'il est défini par les articles 54 et suivants de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), et plus particulièrement encore, par l'article 59 de cette loi.
  • Les faits de l'espèce

En l'espèce, cette violation du périmètre du droit n'était pas le fait de l'une des ces associations ou officines qui, sous couvert de donner des conseils à leurs adhérents, entendent en réalité exercer l'activité de consultation juridique et de rédaction d'actes sous seing privé à des fins commerciales, au mépris des règles précitées.

Elle émanait d'un membre d'une profession réglementée, en l'occurrence d'un courtier et conseil en assurances.

Celui-ci fournissait, à titre habituel et rémunéré, aux victimes de sinistres qui le mandataient à ces seules fins, un avis personnalisé sur les offres transactionnelles des assureurs, en négociait le montant et, en cas d'échec de la négociation, orientait les bénéficiaires de la consultation vers un avocat.

L'Ordre des avocats au barreau de Chambéry faisant grief à ce courtier en assurances d'exercer une activité juridique et de représentation réservée à la profession d'avocat, l'avait assigné en référé afin de l'entendre condamner, sous astreinte et avec publication de la décision à intervenir, sur le fondement de l'article 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K), à cesser cette activité.

La cour d'appel de Grenoble a accueilli la demande du barreau de Chambéry par arrêt en date du 3 juillet 2014 (CA Grenoble, 3 juillet 2014, n° 13/05517 N° Lexbase : A5556MSL), arrêt frappé d'un pourvoi en cassation par le courtier en assurances et qui a donné lieu à l'arrêt excellemment motivé en date du 9 décembre 2015.

  • L'argumentation du courtier en assurances

Le courtier, prétendant contester toute contravention à la réglementation de l'activité de consultation juridique, invoquait successivement différentes branches d'un moyen unique dont nous retiendrons que quatre d'entre elles :

- le fait qu'il ne faisait qu'assurer la gestion administrative et financière des dossiers de sinistres de ses clients ;

- que les consultations juridiques données par un courtier d'assurances entrent dans le cadre de son activité principale, qu'elles soient ou non afférentes à des contrats souscrits par son intermédiaire ;

- que l'activité de gestion de sinistres est une composante essentielle de l'activité principale d'un courtier d'assurances ;

- que l'activité de gestion de sinistres n'échappe à la qualification d'intermédiation d'assurance que pour les professionnels qui, sans avoir aucune activité de présentation de contrats d'assurances, se consacrent exclusivement à la gestion, l'estimation et la liquidation des sinistres.

L'argumentation ainsi développée était adroite, et l'arrêt de la Cour de cassation en date du 9 décembre 2015 n'en est que plus important.

Rappelons les dispositions de l'article 59 de la loi du 31 décembre 1971 : "Les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée peuvent, dans les limites autorisées par la réglementation qui leur est applicable, donner des consultations juridiques relevant de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire direct de la prestation fournie".

Puis celles de l'article L. 511-1, alinéa 1, du Code des assurances (N° Lexbase : L9783HE3) : "I. - L'intermédiation en assurance ou en réassurance est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à conclure des contrats d'assurance ou de réassurance ou à réaliser d'autres travaux préparatoires à leur conclusion. N'est pas considérée comme de l'intermédiation en assurance ou en réassurance l'activité consistant exclusivement en la gestion, l'estimation et la liquidation des sinistres.

Est un intermédiaire d'assurance ou de réassurance toute personne qui, contre rémunération, exerce une activité d'intermédiation en assurance ou en réassurance".

  • La gestion administrative et financière d'un sinistre par un courtier en assurances

Pour se retrancher derrière une simple gestion administrative et financière des dossiers de sinistres de ses clients, le courtier définissait ainsi le contenu de son intervention : négocier les indemnités d'assurance de ses clients, collecter et trier leurs pièces médicales, organiser les rendez-vous avec les médecins experts sans procéder lui-même à l'évaluation des dommages faite par l'expert, et en cas de refus du client d'accepter l'indemnité proposée, l'orienter systématiquement vers un avocat (sans que cette première branche du moyen ne précise si le caractère systématique s'attachait à l'orientation vers un avocat, ou au choix du même avocat).

La négociation d'une indemnisation, la constitution d'un dossier, la gestion des expertises médicales, la décision d'accepter ou non l'indemnisation proposée relèvent-elles d'une simple gestion administration administrative et financière d'un dossier comme si le courtier restait totalement en retrait et neutre par rapport aux décisions de son client, ou d'une activité de conseil ? La Cour de cassation n'a pas répondu directement à cette première branche du moyen.

  • Assister, conseiller la victime d'un sinistre, la vocation d'un courtier en assurances ?

Elle n'a pas répondu non plus explicitement à la troisième branche du moyen selon laquelle l'activité de gestion de sinistres est une composante essentielle de l'activité principale d'un courtier d'assurances, et qu'a contrario, la gestion des sinistres et le suivi des contrats passés par trois clients n'étaient pas étrangères à son activité de courtier.

  • Le seul courtier en assurances habilité à délivrer des consultations juridiques, celui qui présente par ailleurs des contrats d'assurances ?

La quatrième branche du moyen invoqué par le courtier en assurances n'était sans doute pas d'une absolue pertinence : il existerait deux catégories de courtiers en assurances qu'il faudrait ne pas confondre, ceux qui ont une activité de présentation de contrats d'assurances, lesquels pourraient prétendre à la qualification d'intermédiation d'assurances, et ceux qui se consacrent exclusivement à la gestion, l'estimation et la liquidation des sinistres. Seuls les premiers seraient habilités, de façon accessoire, à se consacrer à la gestion, l'estimation et la liquidation des sinistres.

La Cour de cassation, puisqu'elle n'y a pas davantage répondu directement, ne semble pas avoir été sensible à cette quatrième branche du moyen opérant une distinction entre les vrais courtiers et les faux, les bons et les mauvais, oserait-on se demander ?

  • L'arrêt de cassation en date du 9 décembre 2015

C'est en vérité la deuxième branche du moyen que la Cour de cassation a écartée par des motifs très nets, rendant inopérantes toutes les autres branches du moyen. En effet, le courtier faisait valoir que "les consultations juridiques données par un courtier d'assurances rentrent dans le cadre de son activité principale, qu'elles soient ou non afférentes à des contrats souscrits par son intermédiaire...".

Une telle affirmation était fort imprudente en ce qu'elle tentait d'instituer une troisième catégorie de courtiers, entre les vrais et les faux : les vrais courtiers qui font de la présentation de contrats d'assurances, mais se consacrent à la gestion, l'estimation et la liquidation des sinistres pourtant étrangers aux contrats conclus par leur intermédiaire. L'argument était original : l'accessoire d'une activité principale de courtier ne serait pas l'exercice de la consultation juridique dans des contrats passés par son intermédiaire, mais l'accessoire d'une activité principale de courtier serait une activité annexe de consultation juridique.

Le motif déterminant de la Cour de cassation est d'une grande clarté : "Mais attendu que donne des consultations juridiques qui ne relèvent pas de son activité principale au sens de l'article 59 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifiée, le courtier en assurances qui fournit, à titre habituel et rémunéré, aux victimes de sinistres qui le mandatent à ces seules fins, un avis personnalisé sur les offres transactionnelles des assureurs, en négocie le montant et, en cas d'échec, oriente les bénéficiaires de la consultation vers un avocat, dès lors que ces prestations ne participent ni du suivi de l'exécution d'un contrat d'assurance souscrit par son intermédiaire ni de travaux préparatoires à la conclusion d'un nouveau contrat...".

Ainsi est caractérisé l'exercice illégal de la consultation juridique qui a causé un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser par les mesures d'interdiction et de publicité prescrites par les juges du fond.

L'arrêt de la Cour de cassation a le mérite de poser clairement la règle selon laquelle un membre d'une profession réglementée, aurait-il des compétences pour délivrer des consultations dans son domaine d'activité, ne peut le faire sans contrevenir aux conditions d'exercice de la consultation juridique, dès lorsqu'il n'intervient pas exclusivement au profit de ses seuls clients.

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