Lexbase Public n°388 du 1 octobre 2015 : Marchés publics

[Jurisprudence] L'application dans le temps de la loi "MURCEF" vue par le juge judiciaire

Réf. : Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-19.879, F-P+B (N° Lexbase : A9393NN9)

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par Ana Gonzalez, Avocat au barreau de Paris, cabinet Alma Monceau

le 01 Octobre 2015

Dans le cadre d'un contentieux opposant une commune à différents constructeurs, s'agissant de sinistres apparus après la réception de travaux, le juge judiciaire est conduit à statuer sur sa compétence et livre à cette occasion son interprétation de l'application dans le temps de la loi "MURCEF" (loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier N° Lexbase : L0256AWE). Dans un arrêt rendu le 10 septembre 2015, la Cour de cassation retient que s'agissant d'un contrat passé en application du Code des marchés publics, dont les travaux sont réceptionnés avant l'entrée en vigueur de la loi "MURCEF", les relations contractuelles sont terminées et que cette loi n'a pas vocation à s'appliquer à une action fondée sur la responsabilité extracontractuelle des constructeurs. Le juge judiciaire retient sa compétence en ces termes : "attendu qu'aux termes de l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs ; que, si ce texte détermine la compétence de la juridiction administrative pour connaître des litiges relatifs à la passation, à l'exécution et au règlement de contrats pris en application du Code des marchés publics à compter de la date de son entrée en vigueur, y compris pour les contrats en cours, à l'exception de ceux déjà portés devant le juge judiciaire, il n'est pas applicable aux contrats ayant produit tous leurs effets avant cette date ; que les juges du fond ont relevé que les travaux réalisés en exécution des marchés litigieux, lesquels étaient soumis au Code des marchés publics dans sa rédaction alors en vigueur, ont été réceptionnés le 21 avril 2000 ; qu'il en résulte de l'article 2 de la loi précitée ne pouvait recevoir application, la réception ayant mis fin aux rapports contractuels nés desdits marchés".

Ce faisant il apparaît poser le principe que la loi "MURCEF" ne s'applique pas aux marchés, conclus en application du Code des marchés publics, ayant pour objet des travaux réceptionnés avant l'entrée en vigueur de la loi, dans la mesure où ces contrats auraient "produit tous leurs effets".

Cette solution prend le contre-pied de la vocation simplificatrice et unificatrice de la loi "MURCEF" (I) et de l'application jurisprudentielle en faveur d'un "bloc de compétence contractuel" du juge administratif (II).

I - Une position à contre-pied de la vocation simplificatrice et unificatrice la loi "MURCEF"...

A - Principes posés par la loi "MURCEF"

L'objet de la loi "MURCEF" a été d'unifier le contentieux des marchés publics dans un souci de clarification. La loi a ainsi remis en cause la jurisprudence du Tribunal des conflits (allant d'ailleurs dans le sens de la Cour de cassation (1)) selon laquelle la soumission de la passation d'un marché au Code des marchés publics ne conférait pas, à elle seule, un caractère administratif à un marché qui, selon les critères classiques du contrat administratif, ne ferait pas participer la personne privée cocontractante à l'exécution du service public ou ne comporterait pas de clauses exorbitantes de droit commun (2).

La loi "MURCEF" résout les difficultés pouvant naître de la détermination de l'ordre juridictionnel compétent en matière de contentieux des marchés publics, évite la compétence concurrente des deux ordres de juridiction, et prévient les risques de divergences de jurisprudence entre le juge judiciaire et le juge administratif sur l'interprétation et l'application des dispositions du Code des marchés publics.

B - La simplification opérée par la loi "MURCEF" n'est toutefois pas absolue

Le Conseil d'Etat en a, dès 2002, dans un important avis contentieux, précisé la portée (3).

Aux termes de cet avis, sont administratifs les marchés dont la passation est soumise au respect des règles et procédures fixées par le Code des marchés publics même s'ils ont été conclus avant l'entrée en vigueur de la loi "MURCEF". Seuls les litiges qui relevaient de la compétence du juge judiciaire avant la date d'entrée en vigueur de ces dispositions et qui ont été portés devant lui avant cette date demeurent de sa compétence.

Selon le même avis, le champ d'application de l'article 2 de la loi "MURCEF" ne s'étend pas seulement aux marchés passés selon l'une des procédures formalisées prévues par le Code des marchés publics, mais à l'ensemble des marchés tels qu'ils sont définis aux articles 1 (N° Lexbase : L2661HPA) et 2 (N° Lexbase : L2662HPB) du code, quelles que soient, a précisé le Tribunal des conflits, les modalités selon lesquelles ils ont été effectivement conclus (4).

En revanche, ne sont pas administratifs en vertu de la loi les marchés dont la passation serait volontairement soumise au code par les cocontractants alors qu'ils n'entreraient pas dans son champ d'application.

Par ailleurs, il faut préciser que tout marché entrant dans le champ d'application du Code des marchés publics est administratif, quel que soit sont objet. Il en est ainsi jugé, notamment, des contrats d'assurance des personnes publiques (5).

Le champ d'application de la loi "MURCEF" n'est toutefois pas sans limite, tant d'un point de vue organique que d'un point de vue matériel.

Ainsi, les marchés conclus par des personnes non soumises au Code des marchés publics mais relevant d'un régime y faisant référence ne bénéficient de la qualification légale, tels les contrats passés par des établissements publics nationaux à caractère industriel et commercial (6), des sociétés d'HLM (7) ou des organismes de Sécurité sociale (8).

En outre, la loi "MURCEF" n'a pas remis en cause le critère organique de la définition du contrat administratif, les seules personnes soumises au Code des marchés publics étant des personnes morales de droit public.

Sous ces réserves, la loi "MURCEF" a bien vocation à unifier le contentieux du marché public, au profit du juge administratif.

II -... et de l'application jurisprudentielle en faveur d'un "bloc de compétence contractuel" du juge administratif

Le Tribunal des conflits a eu l'occasion de se prononcer sur la portée de la loi "MURCEF". Dans une décision "Lixxbail", il retient que la loi "MURCEF" s'applique aux contrats en cours d'exécution au moment de l'entrée en vigueur de la loi, s'agissant de leur exécution ou de leur règlement (9).

Certes ici, la contestation intervient alors que la durée du marché n'est pas expirée, ce qui n'est pas le cas dans l'arrêt rapporté (où il s'agit d'un recours postérieur à la réception des travaux).

Cela étant, le juge administratif s'était prononcé sur sa compétence pour connaître d'une action en responsabilité décennale postérieure à la réception dans le cadre d'un marché de travaux, au visa de l'article 2 de la loi "MURCEF" : "il résulte de l'instruction que le marché que la commune [...] a passé avec M. Y le 30 octobre 1986 a été conclu en application du Code des marchés publics ; que, par suite, le litige, qui n'a pas été porté devant la juridiction judiciaire, relève de la compétence de la juridiction administrative, alors même que le contrat dont s'agit n'aurait pas fait participer M. Y à un travail public et ne contiendrait pas de clauses exorbitantes du droit commun" (10).

Dans cette affaire, l'action est introduite postérieurement à la "réception des travaux", sur le fondement des articles 1792 (N° Lexbase : L1920ABQ) et 2270 (N° Lexbase : L7167IAP) du Code civil (ou plus précisément "des principes dont s'inspirent" ces articles), même si le juge rejette la requête sur le fond car elle était dirigée contre le fournisseur de matériaux et non contre un constructeur.

Il est intéressant d'observer que le juge retient la qualification de contrat administratif même si les critères matériels de qualification du contrat dégagés par la jurisprudence n'étaient pas réunis (pas de travaux publics, ni de clause exorbitante du droit commun).

La cour administrative d'appel de Marseille avait par ailleurs retenu la compétence "naturelle" de la juridiction administrative pour statuer sur la responsabilité décennale... découlant d'un contrat administratif : "considérant que les contrats passés par l'office public d'habitations à loyer modéré appelant, établissement public administratif, pour l'exécution de la mission d'intérêt général qui lui est confiée, sont des contrats administratifs ; qu'ils conservent ce caractère alors même qu'ils ont été conclus, comme en l'espèce, non seulement pour le compte de l'office public, mais aussi pour le compte de personnes privées, aux fins de réaliser des installations en partie communes ; que, par suite, le présent litige tendant à mettre en cause les architectes, entrepreneurs et la société d'études qui ont participé aux opérations susmentionnées de construction d'un réseau de chauffage destiné à desservir un ensemble urbain comprenant 491 logements HLM de l'office public, deux groupes scolaires de la ville de [...], un centre commercial, et 392 logements privés, en vertu de contrats les liant à l'office public en sa qualité de maître d'ouvrage pour son propre compte et de maître d'ouvrage délégué pour le compte d'une association syndicale libre de propriétaires, doit être porté devant la juridiction administrative, seule compétente pour connaître d'une action en responsabilité se rattachant à l'exécution de contrats administratifs ; qu'il en est ainsi notamment de l'action en garantie décennale introduite par l'office public appelant en sa qualité de maître d'ouvrage et de maître d'ouvrage délégué" (11).

Il faut néanmoins relever que, dans la jurisprudence relative à des marchés de travaux, la compétence du juge administratif apparaît relever davantage de la qualification de l'opération (travaux publics ou non), que de celle des contrats (publics ou privés) (12).

Il semble que pour le juge, "l'action en garantie décennale est moins fondée sur la nature du contrat que sur la nature des travaux ou de l'ouvrage [...] la nature privée des travaux l'emport[e] sur le caractère administratif du marché" (13). Ceci confirme la position du Tribunal des conflits refusant la compétence du juge judiciaire en la matière dès lors que l'action en responsabilité se rattache à la réalisation de travaux publics (14), ou déclarant le juge administratif compétent pour connaître de la responsabilité décennale des constructeurs d'un immeuble bâti à la demande d'une commune et cédé en partie à des personnes privées dès lors que l'ouvrage résultait de travaux publics (15).

Or, au cas présent, le moyen annexé à l'arrêt montre que les requérants soutenaient que le marché n'avait pas pour objet des travaux publics, ce qui pourrait contribuer à éclairer la décision.

Il reste que la Cour de cassation se prononce uniquement sur l'application dans le temps la loi "MURCEF", dans une interprétation surprenante au regard de la vocation de ce texte et de la jurisprudence rendue en la matière.

Signalons enfin que l'article 2 de la loi "MURCEF" a été abrogé par l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics (N° Lexbase : L9077KBS), qui prévoit désormais que : "les marchés publics relevant de la présente ordonnance passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs".

Ce nouveau libellé devrait mettre fin à une jurisprudence par trop complexe qui, sur le plan des principes, rogne sur le bloc de compétence de la juridiction administrative et, sur le plan pratique, expose le justiciable à des contrariétés d'appréciations et à des difficultés d'identification du juge compétent.

Cela étant, il n'est pas certain que ce nouveau dispositif résolve la problématique identifiée dans l'arrêt rapporté, car la position de la Cour de cassation sur sa compétence en matière de garanties légales pourrait continuer de se poser à propos du nouveau texte.


(1) Cass. civ. 1, 17 décembre 1996, n° 94-19.885 (N° Lexbase : A8641ABN).
(2) T. confl., 5 juillet 1999, n° 03142 (N° Lexbase : A2811AYR), Lebon, 464.
(3) CE, Sect., avis cont., 29 juillet 2002, n° 246921 (N° Lexbase : A3022AZX), Lebon, 297.
(4) T. confl., 14 novembre 2011, n° 3817 (N° Lexbase : A9232HZX).
(5) T. confl., 22 mai 2006, n° C3503 (N° Lexbase : A6680DP4).
(6) TA Versailles, ord., 5 août 2004, Sté SITA Ile-de-France, AJDA, 2005. 836 ; TA Amiens, 2 février 2006, SA Fortis Banque, BJCP, 2006. 311.
(7) CAA Paris, 6ème ch., 15 décembre 2008, n° 06PA01886 (N° Lexbase : A7872NRY) : "que l'article 2 de la loi susvisée du 11 décembre 2001 aux termes duquel 'les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs' est dès lors inapplicable auxdits marchés, qui présentent le caractère de contrats de droit privé ; que, par suite, la seule circonstance que le marché ayant pour objet les travaux de réhabilitation d'immeubles d'habitation situés dans l'enceinte de l'hôpital Joffre conclu entre la société [...] et l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris le 11 février 1997 entre dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article L. 433-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L6479G9T) n'a pas eu pour effet de lui conférer le caractère d'un contrat de droit public".
(8) CA Douai, 14 septembre 2005, n° 04/01752, ACCP 51/2006. 65, note Martin ; CAA Paris, 4ème ch., 27 avril 2011, n° 09PA06588 (N° Lexbase : A4056HSZ), Contrats Marchés publ., 2011, n° 162, obs. Llorens.
(9) T. confl., 17 décembre 2007, n° 3651 (N° Lexbase : A1585D34).
(10) Trois affaires : CAA Bordeaux, 2ème ch., 14 septembre 2004, n° 98BX00197, n° 99BX00526 et n° 03BX2063, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7873NRZ).
(11) CAA Marseille, 6ème ch., 10 janvier 2005, n° 99MA01195 (N° Lexbase : A5210DG3).
(12) Voir concl. sur T. confl., 24 novembre 1997, n° 03060 (N° Lexbase : A5684BQL), Lebon, p. 540.
(13) F. Faïck, Garantie décennale et travaux privés, AJDA, 2003, p. 1780.
(14) T. confl., 12 janvier 1987, n° 02431 (N° Lexbase : A8224BDX), Lebon, p. 444.
(15) T. confl., 18 juin 2007, n° C3515 (N° Lexbase : A1319DX7).

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