Lexbase Public n°388 du 1 octobre 2015 : Immobilier et urbanisme

[Jurisprudence] L'immeuble et le droit administratif - Compte-rendu de la conférence des Universités d'été de l'Ecole des avocats Aliénor du 28 août 2015

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[Jurisprudence] L'immeuble et le droit administratif - Compte-rendu de la conférence des Universités d'été de l'Ecole des avocats Aliénor du 28 août 2015. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/26267878-jurisprudence-limmeuble-et-le-droit-administratif-compterendu-de-la-conference-des-b-universites-det
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 01 Octobre 2015

Dans le cadre des Universités d'été de l'Ecole des avocats Aliénor qui se sont déroulées à Biarritz les 28 et 29 août 2015 et qui avaient pour thème "L'immeuble dans tous ses états", s'est tenue une conférence animée par Aude Rouyère, Professeur à l'Université de Bordeaux, sur "L'immeuble et le droit administratif". Les éditions juridiques Lexbase, présentes à cet évènement, vous en proposent un compte rendu. L'immeuble est l'objet de politiques publiques de plus en plus intrusives qui portent atteinte au droit de propriété. La police de l'immeuble menaçant ruines reflète les tensions entre préoccupations de sécurité publique et respect des prérogatives du propriétaire auquel échoit surtout des obligations.

I - Historique

La législation de l'immeuble menaçant ruines est très ancienne puisqu'elle remonte à l'Ancien Régime et donne des pouvoirs très étendus aux autorités de police. En 1898 se met en place un dispositif distinguant deux procédures, la procédure de péril ordinaire et la procédure d'urgence, consacrant la compétence de l'autorité municipale et le principe du contradictoire. A cette même date est instituée l'intervention d'une autorité judiciaire préalable obligatoire, le juge de paix puis le conseil de préfecture et jusqu'à 2005 la construction de ce droit est d'origine exclusivement prétorienne. L'ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005, relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux (N° Lexbase : L5276HDR), vient codifier la procédure de l'immeuble menaçant ruines (CCH, art. L. 511-1 N° Lexbase : L8421HEM et suivants). Sur la base de ce texte a été créée une police spéciale de l'immeuble menaçant ruines coexistant avec les deux procédures préexistantes que sont la procédure de péril ordinaire et la procédure urgence. N'est désormais plus nécessaire l'homologation du tribunal administratif en amont de l'intervention qui existait dans la procédure de péril ordinaire, le recours s'effectuant désormais a posteriori devant le juge administratif.

Il a fallu attendre la loi "ALUR" (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové N° Lexbase : L8342IZY) pour voir la législation évoluer. Il est désormais possible de confier la compétence du maire en matière de police d'immeuble menaçant ruines au président de l'EPCI compétent en matière d'habitat du lieu de situation de l'immeuble ou à la métropole et le maire peut dorénavant condamner à une astreinte le propriétaire défaillant à l'exécution des mesures prescrites d'un montant maximal de 1 000 euros par jour de retard (CCH, art. L. 511-2 N° Lexbase : L9102IZ7).

II - L'identification d'un immeuble menaçant ruines

Trois conditions sont nécessaires pour que les immeubles en cause rentrent dans le champ application de la police de l'immeuble menaçant ruines.

Les immeubles bâtis. Le Code de la construction et de l'habitation n'est applicable qu'aux éléments incorporés à l'immeuble : corniche, cheminée, tuyaux d'évacuation, murs de soutènement, construction en cours d'édification, fondations, pavages, remblaiements. La destination de l'immeuble est sans incidence sur ce principe et les bâtiments publics entrent également dans le champ d'application de l'article L. 511-1, sauf les mairies et les bâtiments communaux. Concernant les bâtiments qui longent la voie publique, s'ils sont en principe la propriété des riverains, un mur de soutènement de la voie publique sera considéré comme un élément de cette voie et la procédure de péril ne pourra être engagée.

Cause du risque propre à l'immeuble. Pour que la police spéciale de l'immeuble menaçant ruines s'applique, il faut que le risque soit lié à un élément propre à l'immeuble, ce qui exclut les causes étrangères (éboulements, séismes, inondations). La difficulté survient lorsqu'interviennent des événements couplés à la fragilité de l'immeuble (construction sur un sol friable). Le Conseil d'Etat a jugé en 2005 qu'"en regardant les affaissements affectant le toit des galeries souterraines anciennement aménagées pour l'exploitation d'une carrière, situées à une profondeur de plus d'une dizaine de mètres, comme constitutifs de la cause extérieure d'où résultait le danger de l'immeuble en cause" la cour administrative d'appel a relevé à bon droit que les procédures de péril ou de péril imminent ne s'appliquaient pas en l'espèce (CE 4° et 5° s-s-r., 27 juin 2005, n° 262199, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8707DIC).

Dans le cas où la cause du risque est imputable au fait d'un tiers (véhicule qui heurte un bâtiment, travaux du voisin), cette intervention n'écarte pas l'application de la procédure de péril car elle n'est pas considérée comme extérieure par le juge administratif. Lorsque se combine état défectueux de l'édifice et origine extérieure (naturelle) du dommage, le maire peut choisir de privilégier l'élément propre à l'immeuble et ainsi la procédure de l'immeuble menaçant ruines ou la cause naturelle en se plaçant sur le fondement de ses pouvoirs de police générale. En 1989, la Haute juridiction a estimé que la circonstance "que la conception et l'exécution de la construction étaient inadaptées au terrain d'assise, composé pour l'essentiel de gypse et rendu fragile et instable par la présence d'anciennes galeries souterraines d'une plâtrière désaffectée" impliquait que les risques de destruction de l'immeuble ne pouvaient pas être regardés comme provenant d'une cause extérieure à celui-ci, ce qui justifiait l'utilisation par le maire de la procédure de péril imminent. Ce dernier avait donc pu légalement se fonder sur les dispositions de l'article L. 511-3 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L8187HEX) pour ordonner l'évacuation de l'immeuble, en laissant aux propriétaires le soin de faire les travaux nécessaires pour mettre fin au péril (CE 2° et 6° s-s-r., 24 mars 1989, n° 77163, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1902AQI). De même, si l'état avancé de délabrement d'un immeuble a partiellement pour origine, comme le soutient le propriétaire, un affaissement ou des mouvements du sol imputables à la présence dans le tréfonds d'installations minières, le danger que représente l'édifice pour la sécurité publique n'était pas, selon la Haute juridiction, la conséquence d'un accident naturel, le maire pouvant donc user des articles L. 511-1 et suivants en vue d'en poursuivre la réparation ou la démolition par son propriétaire (CE 6° s-s., 23 février 1990, n° 78974, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6550AQN). Ce n'est, en revanche, pas le cas, si l'état de péril est la conséquence d'un glissement de la surface de remblais et du front de taille d'une ancienne carrière provoqué par la fuite d'une canalisation publique, alors même que le rapport de l'expert relève que les fondations de l'immeuble en cause sont posées à une profondeur insuffisante. Le glissement du sous-sol, qui ne constitue pas une cause propre à l'immeuble, constituant dès lors la cause prépondérante de l'état de péril, le maire ne pouvait légalement faire usage des pouvoirs qu'il tire de l'article L. 511-1 du Code de la construction et de l'habitation pour prendre l'arrêté de péril contesté (CE 4° et 5° s-s-r., 31 mars 2006, n° 279664, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9530DNB).

Dans le cas où le dommage est causé par des travaux publics, comme une rupture de canalisations, le Conseil d'Etat considère les dispositions du Code de la construction et de l'habitation s'appliquent, alors même que la cause de la ruine est propre à l'immeuble (CE 6° s-s., 27 juillet 1988, n° 82746, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9788AP9). Cependant, le propriétaire pourra se retourner contre l'entrepreneur de travaux publics ou la collectivité : dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime (CE 4° et 5° s-s-r., 10 février 2014, n° 361280, publié au recueil Lebon [LXB= A3819ME8]).

Dans le cas où la démolition d'un édifice en péril provoque la mise en péril de l'immeuble voisin, les dispositions du Code de la construction et de l'habitation s'appliquent et le maire doit viser dans l'arrêté de péril les propriétaires des deux immeubles, sous peine de défaut du principe du contradictoire (CE 4° et 5° s-s-r., 18 février 2010, n° 318135, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0235ESI).

La ruine doit constituer une atteinte à la sécurité publique. L'administration n'intervient que s'il existe un trouble dans l'espace public. Toutefois, un édifice situé dans un jardin peut faire l'objet d'une procédure de péril, si l'immeuble, bien que complètement abandonné, constitue un trouble public.

III - Les pouvoirs du maire

Les trois procédures existantes (procédure de péril ordinaire, procédure d'urgence et procédure de police générale tirée du Code général des collectivités territoriales) ne sont pas substituables et le maire doit les utiliser de manière distincte. Il a intérêt à les utiliser parallèlement car dans les cas de la procédure d'urgence (CCH., art. L. 511-3), il ne peut pas ordonner de mesure définitive comme la démolition.

En présence d'une situation d'extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent, le maire peut, quelle que soit la cause du danger, faire légalement usage de ses pouvoirs de police générale qui lui sont reconnus par les dispositions des articles L. 2212-2 (N° Lexbase : L3470ICI) et L. 2212-4 (N° Lexbase : L8694AAA) du Code général des collectivités territoriales, et notamment prescrire l'exécution des mesures de sécurité qui sont nécessaires et appropriées, pouvoir s'exerçant normalement, comme il a été dit précédemment, dans l'hypothèse où le danger menaçant un immeuble résulte d'une cause qui lui est extérieure (CE 4° et 5° s-s., 10 octobre 2005, n° 259205, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0028DLM).

Dans le cadre de la procédure de péril ordinaire (CCH, art. L. 511-1 et L. 511-2), le maire se voit reconnaître des pouvoirs étendus au maire si le péril est considéré comme certain (mais pas forcément imminent) et à une échéance incertaine avec une cause propre à l'immeuble. Le maire lance souvent de manière concomitante la procédure de péril ordinaire qui va lui permettre de prendre des mesures élaborées (comme la démolition) et la procédure d'urgence (CCH., art. L. 511-3) pour des mesures provisoires. L'arrêté de péril ordinaire ne doit pas comporter de manière obligatoire la nature des mesures, à la différence de la procédure d'urgence.

Concernant les questions de compétence, le Tribunal des conflits a estimé que le juge judiciaire est compétent pour autoriser, dans le cadre de la procédure de péril ordinaire, la démolition d'un immeuble menaçant ruine (T. confl., 6 juillet 2009, n° 3702, N° Lexbase : A0078ELH). Dans le cadre de la procédure urgence, "en cas de péril imminent, le maire, après avertissement adressé au propriétaire, demande à la juridiction administrative compétente la nomination d'un expert qui, dans les vingt-quatre heures qui suivent sa nomination, examine les bâtiments, dresse constat de l'état des bâtiments mitoyens et propose des mesures de nature à mettre fin à l'imminence du péril s'il la constate" (CCH., art. L. 511-3). La contestation d'un arrêté de péril ordinaire, pris sur le fondement de l'article L. 511-1 et du I de l'article L. 511-2 du Code de la construction et de l'habitation dans leur rédaction résultant de l'ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005, relève du plein contentieux. Si l'arrêté de péril est jugé illégal, la faute lourde de l'administration ne sera pas exigée pour que soit mise en cause sa responsabilité (CE 4° et 5° s-s-r., 18 décembre 2009, n° 315537, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5988EPH).

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