Lexbase Fiscal n°602 du 19 février 2015 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Déductibilité des frais de publicité : appréciation par l'administration des choix de gestion

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 23 janvier 2015, n° 369214, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9891M99)

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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 17 Mars 2015

Le dépassement du taux moyen de dépenses par rapport à un chiffre d'affaires constaté pour un secteur économique considéré ne caractérise pas une gestion anormale s'agissant de frais de promotion de produits pharmaceutiques. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 23 janvier 2015. Au cas présent, une société, qui a pour activité le négoce de produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2001 et 2002. A l'issue de ce contrôle, l'administration a réintégré dans les bénéfices imposables divers frais dont elle a regardé l'engagement comme constitutif d'actes anormaux de gestion et a réduit à due concurrence les déficits déclarés au titre des exercices 1999 et 2000. Les juges du fond (CAA Paris, 11 avril 2013, n° 11PA00847, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4575KCG), après avoir relevé les risques auxquels se serait, selon ces derniers, exposée la société requérante en engageant des dépenses de promotion importantes en faveur d'un médicament, ont jugé que la prise en charge par la société des frais de promotion de ce produit pour une part excédant 12 % du chiffre d'affaires imputable à ce médicament, soit le taux moyen des frais de promotion des entreprises du secteur pharmaceutique, ne relevait pas d'une gestion commerciale normale.

L'administration, qui a le pouvoir de contrôler les déclarations, peut s'immiscer, a fortiori, dans la gestion d'une société pour déterminer son caractère (normal ou non). Mais dans quelles limites le peut-elle ?

Selon le Conseil d'Etat, il n'appartient pas à l'administration de se prononcer sur l'opportunité des choix arrêtés par une entreprise pour sa gestion. Dès lors, la cour administrative d'appel a méconnu ce principe en regardant comme ne relevant pas d'une gestion commerciale normale le choix, par la société, de l'ampleur de la campagne de lancement et de promotion d'un produit, en se fondant, notamment, sur le dépassement du taux moyen de ces dépenses par rapport au chiffre d'affaires constaté pour le secteur économique considéré.

En outre, le Conseil d'Etat a ajouté qu'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'une dépense engagée par une entreprise, établie par cette dernière dans sa nature et son montant, ne relève pas d'une gestion commerciale normale. Néanmoins, en l'espèce, la cour administrative d'appel avait, à tort, indiqué qu'en raison d'une absence de justifications de l'importance des dépenses de promotion en faveur du médicament engagées au-delà du montant regardé par l'administration comme relevant d'une gestion commerciale normale, la société ne pouvait prétendre à la déduction des charges en question. La circonstance qu'une entreprise s'abstienne de facturer une marge commerciale ne peut, à elle seule, faire présumer que cette facturation présente un caractère anormal.

La réponse des Hauts magistrats concernant l'immixtion de l'administration fiscale dans l'opportunité d'un choix arrêté par une société pour sa gestion n'est pas si évidente (I). Le fait que ces derniers aient écarté la présomption d'anormalité semble également critiquable dans cette affaire (II).

I - L'immixtion de l'administration fiscale dans la gestion d'une entreprise

L'article 39 du CGI (N° Lexbase : L3894IAH) dispose que le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment les frais généraux de toute nature.

Cette disposition, très générale, offre la possibilité à une entreprise de déduire tous types de frais utiles à son bon fonctionnement comme par exemple les impôts et taxes, dont la déduction n'est pas expressément interdite par un texte de loi, les achats stockés de matières premières, de fournitures et autres approvisionnements, ainsi que les achats d'études et de prestations de services, de matériel d'équipements, de travaux et de marchandises, les frais de déplacement ou de restauration, ou encore, comme en l'espèce, les frais de publicité, de publication, de relations publiques ou de propagande.

Pour être déductibles du résultat imposable d'une entreprise, les charges doivent donc être exposées dans l'intérêt direct de l'exploitation, en accord avec l'objet social de l'entreprise, se rattacher à une gestion normale de l'entreprise, c'est-à-dire ne pas être ni excessives, ni fictives, et être appuyées de pièces justificatives, notamment des factures. Les entreprises peuvent donc librement déduire certaines charges dans les limites exposées ci-dessus.

Toutefois, dans le but de contrôler les agissements des sociétés soumises à l'IS, l'administration fiscale, avec l'appui des juridictions en cas de contentieux, a le pouvoir de déterminer si une dépense présente le caractère d'une gestion normale pour une entreprise. Par exemple, des frais de voyage sont déductibles s'ils sont engagés dans l'intérêt de l'exploitation et s'ils sont assortis de justifications suffisantes (CAA Paris, 26 mars 1992, n° 90PA00921 N° Lexbase : A0015AXT). A l'inverse, des frais de fourniture de vitrages isolants et de réfection électrique ne sont pas déductibles quand ils prolongent la durée d'utilisation d'une immobilisation, même lorsqu'ils sont engagés pour rendre l'installation conforme aux normes de sécurité (CAA Paris, 2ème ch., 29 septembre 2004, n° 00PA02148 N° Lexbase : A2866DEU). L'administration, en amont, puis les juridictions, ont donc la possibilité (ou plutôt ont eu l'obligation) d'aménager l'article 39 du CGI selon des circonstances de fait, la notion d'intérêt direct de l'exploitation étant vague.

Dans l'arrêt du 23 janvier 2015, c'est la déductibilité des frais d'une campagne de lancement et de promotion d'un médicament dont il est question. Ces frais sont ceux visés au compte n° 623 du Plan comptable général (N° Lexbase : L1155AIM), tels que les frais d'annonces et d'insertions, de foires ou d'expositions, de catalogues et imprimés, de publications, ou de cadeaux à la clientèle. En l'espèce, pour refuser la déductibilité des frais de promotion du médicament en question, la cour administrative d'appel de Paris avait considéré que la prise en charge par la société de tels frais, pour une part excédant 12 % du chiffre d'affaires imputable à ce médicament (soit le taux moyen des frais de promotion des entreprises du secteur pharmaceutique), ne relevait pas d'une gestion commerciale normale. Les juges du fond ont donc défini une limite objective et chiffrable pour déterminer si ces frais de publicité rentraient dans le champ d'application de l'article 39 du CGI. C'est la première fois que la notion de taux moyen de dépenses par rapport à un chiffre d'affaires constaté pour un secteur économique est amenée devant le Conseil d'Etat. Cette notion est une pure création de l'administration fiscale, validée par les juridictions du fond en l'espèce.

En principe, selon la jurisprudence administrative, les frais de publicité et de propagande sont déductibles en totalité des résultats de l'exercice de leur engagement au titre des frais de gestion (CE, 13 février 1939, n° 53649). Néanmoins, le Conseil d'Etat s'était prononcé, par la suite, à propos d'une problématique similaire. Il avait été jugé que, par exception au principe affirmé en 1939, lorsque les frais de publicité engagés pour la création ou l'extension d'une marque de fabrique sont hors de proportion avec les bénéfices annuels, ils doivent être considérés comme des frais de premier établissement, c'est-à-dire considérés comme des dépenses non déductibles (CE, 25 juin 1945, n° 77803).

Il convient de comparer les termes "hors de proportion avec les bénéfices annuels" avec la notion évoquée dans l'arrêt commenté. Le Conseil d'Etat a-t-il alors effectué un revirement ?

Au cas présent, l'administration fiscale avait essayé de matérialiser la jurisprudence de 1945 en créant un critère objectif afin de déterminer dans quelles limites les frais de publicité pouvaient être considérés comme des charges déductibles.

Toutefois, les juges du Palais-Royal ont considéré que le dépassement de ce taux moyen ne caractérisait pas une gestion anormale s'agissant de frais de promotion, en l'espèce de produits pharmaceutiques, en précisant qu'il n'appartient pas à l'administration fiscale de se prononcer sur l'opportunité des choix arrêtés par une entreprise pour sa gestion. Le Conseil d'Etat effectue ainsi un revirement en validant la possibilité pour une société de déduire ce type de frais sans aucune limite apparente.

Cet arrêt peut avoir des conséquences importantes sur l'article 39 du CGI et les limites (nécessaires) que l'administration fiscale tente de lui donner au quotidien. En effet, l'argument énoncé par les Hauts magistrats ne permettra, pour l'avenir, que d'augmenter le flou qui existe déjà, par la nature même de l'article 39, s'agissant de l'appréciation du caractère normal ou pas d'un acte de gestion. Si l'administration fiscale ne peut plus se prononcer sur l'opportunité des choix arrêtés par une entreprise pour sa gestion, elle ne pourra quasiment plus intervenir pour apprécier tout type d'acte de gestion, et déterminer (avec objectivité) si tel acte ou tel frais engagés constituent une dépense effectuée dans l'intérêt direct de l'exploitation.

Tout acte de gestion correspond forcément à un choix, quel que soit son ampleur ou son utilité. Il semble louable de supposer que le Conseil d'Etat, par cette décision, ouvre les portes à de futurs abus s'agissant des frais déductibles au sens de l'article 39 du CGI. Une société ayant "exagéré" à propos de certains frais déductibles dans une limite raisonnable et définie pourra désormais utiliser cette jurisprudence en prétextant un "choix de gestion".

Par ailleurs, le Conseil d'Etat a également justifié sa décision en estimant que la cour administrative d'appel de Paris avait inversé la charge de la preuve en jugeant que la société ne justifiait pas de l'importance des dépenses de promotion, en faveur du médicament, engagées au-delà du montant regardé par l'administration comme relevant d'une gestion commerciale normale.

II - L'éviction de la présomption d'anormalité

La présomption d'anormalité n'est inscrite dans le CGI qu'à l'article 238 A (N° Lexbase : L3230IGQ). En l'occurrence, cette présomption concerne les prix de transfert pratiqués lorsqu'une entreprise française transfère ses bénéfices à une entité liée située hors de France, alors même qu'elle représente une part substantielle du chiffre d'affaires, de la clientèle ou encore des actifs physiques de son groupe. Dans ce cas, les charges afférentes ne sont déductibles, pour l'établissement de l'impôt, que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. Ainsi, c'est au contribuable d'apporter la preuve que l'opération en question ne présente pas un caractère anormal, ce qui peut paraître sensé dans le cadre des prix de transfert, où il existe de nombreux abus.

En l'espèce, la cour administrative d'appel de Paris avait jugé qu'en l'absence de justificatifs démontrant l'importance des dépenses de promotion engagées au-delà du montant regardé par l'administration comme relevant d'une gestion commerciale normale, la société ne pouvait prétendre à la déduction des charges en question. Elle a donc "présumé" l'anormalité des frais de promotion engagés au-delà du montant calculé sur le taux moyen décrit ci-dessus en constatant notamment l'absence de facturation d'une marge commerciale.

La présomption est donc fondée sur un fait réel, au cas présent une omission de la société requérante. Néanmoins, le Conseil d'Etat n'a pas suivi la décision des juges du fond. Il revenait à l'administration d'apporter la preuve du caractère anormal de la facturation en litige.

D'une part, cette décision est logique car elle est le corollaire de la décision exposée en première partie concernant la déductibilité des frais de promotion. Effectivement, si les frais litigieux constituent un acte de gestion commerciale normale et sont considérés comme des charges déductibles, la présomption d'anormalité n'a forcément plus lieu d'être.

D'autre part, cette décision est critiquable car au-delà de rappeler que, par principe, l'administration a la charge de la preuve quand elle déclare un acte de gestion anormal, le Conseil d'Etat précise également que l'absence de marge commerciale ne pouvait, à elle seule, faire présumer un tel caractère. Ainsi, des questions se posent. Comment le Conseil d'Etat peut-il écarter une telle absence, susceptible de constituer un montant intégrable au résultat de la société requérante ? En l'espèce, l'administration avait réintégrer au résultat de la société une somme correspondant à une fraction de la marge commerciale qu'elle estimait normale, dès lors que cette dernière n'avait pas établi les contreparties qu'elle avait retirées de l'avance sans marge qu'elle avait consentie. Ne serait-ce plus qu'une simple présomption d'anormalité ? L'absence de facturation, dans un tel cas, ne suffirait-elle pas à renverser la charge de la preuve ?

Les Hauts magistrats ont préféré maintenir et renforcer le principe selon lequel la charge de la preuve, dans ce cadre, incombe à l'administration.

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