Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2014, n° 361842, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8546M8Z)
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N6035BU3
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par Bernard Thévenet, Conservateur des hypothèques honoraire, Avocat au barreau de Lyon
le 17 Mars 2015
Dans cette affaire, une caisse de retraite de dentistes allemande a demandé le remboursement des retenues à la source au taux de 25 % qui ont été appliquées aux dividendes qui lui ont été distribués en 2003 et 2004 par des sociétés françaises. L'administration fiscale ayant refusé de lui restituer ces retenues à la source, la caisse a saisi le tribunal administratif de Montreuil qui lui a accordé un dégrèvement partiel, considérant que le taux de retenue à la source applicable devait être de 15 % et non de 25 % (TA Montreuil, 11 février 2000, n° 0704632).
Pour sa part, la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 3 juillet 2012, n° 10VE01167 N° Lexbase : A9792IQQ), après avoir rappelé que les dividendes versés par des sociétés établies en France à un organisme de retraite lui-même établi en France, dont la gestion est désintéressée et dont les activités non-lucratives restent significativement prépondérantes, étaient, au titre de la période en litige, exonérés d'IS, a considéré que, dans la mesure où la caisse devait être regardée comme ayant un objet social à but non lucratif, l'application de la retenue à la source aux dividendes reçues par cet organisme avait pour conséquence de lui faire subir un traitement fiscal discriminatoire et constituait une restriction à la liberté de circulation des capitaux (TFUE, art. 63 N° Lexbase : L2713IP8). Par conséquent, l'administration fiscale devait restituer à la caisse les retenues à la source indument perçues.
S'agissant du traitement fiscal discriminatoire et de la restriction à la liberté de circulation des capitaux invoqués par la cour administrative d'appel, on notera que l'article 63 TFUE prévoit que "toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites".
L'article 65 TFUE (N° Lexbase : L2715IPA) dispose que : "L'article 63 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres :
- d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ;
- de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique".
Pour sa part, la CJUE considère que la libre circulation des capitaux ne peut être limitée par une réglementation nationale que si celle-ci est justifiée par des raisons visées à l'article 65 du Traité ou par des raisons impérieuses d'intérêt général.
Saisi du litige, le Conseil d'Etat rappelle qu'il appartient à organisme qui entend bénéficier de l'exonération d'IS à raison de la perception de dividendes de sociétés françaises d'établir :
"- d'une part, que sa gestion présente un caractère désintéressé ;
- et, d'autre part, que les services qu'il rend ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique. Toutefois, même dans le cas où cet organisme intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, il peut bénéficier de cette exonération s'il exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, soit en répondant à certains besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit en s'adressant à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, notamment en pratiquant des prix inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et, à tout le moins, des tarifs modulés en fonction de la situation des bénéficiaires, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l'information du public sur les services qu'il offre".
Ces principes généraux étant rappelés, le Conseil d'Etat valide l'analyse de la cour administrative d'appel de Versailles selon laquelle la caisse devait être considérée comme un organisme ayant un objet social à but non lucratif et que l'application de la retenue à la source aux dividendes perçues de sociétés françaises aurait pour conséquence de lui faire subir un traitement fiscal discriminatoire et constituerait une restriction à la liberté de circulation des capitaux, mais prononce, néanmoins, l'annulation de sa décision au motif que la cour administrative d'appel a commis l'erreur de ne pas rechercher si la gestion de la caisse présentait un caractère désintéressé.
II - L'imposition des dividendes reçus de sociétés françaises par des organismes domiciliés à l'étranger, régime actuel
A - Dividendes versés à des organismes domiciliés en France
Les organismes sans but lucratif, non soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu d'une autre disposition, sont assujettis à cet impôt en raison de leurs revenus patrimoniaux qui ne se rattachent pas à leurs activités lucratives. Ces revenus sont ceux provenant de la location des immeubles bâtis et non bâtis dont ils sont propriétaires, et de ceux auxquels ils ont vocation en qualité de membres de sociétés immobilières de copropriété, ainsi que les revenus de l'exploitation des propriétés agricoles ou forestières ou les revenus de capitaux mobiliers dont ils disposent.
Ces revenus sont imposés au taux de 24 %. Mais des taux réduits sont applicables à certains produits :
- 10 % pour les produits attachés aux titres de créances négociables sur un marché réglementé en application d'une disposition législative particulière et non susceptibles d'être cotés, ainsi que pour les revenus des obligations, des titres participatifs, des effets publics et de tous autres titres d'emprunts négociables émis à compter du 1er janvier 1987 par l'Etat, les départements, les communes, les établissements publics français, les associations de toute nature, les sociétés, les compagnies et entreprises quelconques financières, ainsi que les lots et primes de remboursement attachés à ces titres ;
- 15 % pour les dividendes (CGI, art. 219 bis N° Lexbase : L3354IGC).
S'agissant spécifiquement des caisses de retraite et de prévoyance, l'article 219 quater (N° Lexbase : L3389IGM) prévoit qu'elles sont assujetties à l'impôt sur les sociétés au taux réduit de 10 % :
- sur le montant brut des intérêts et agios provenant des opérations de souscription, d'achat, de vente ou de pension de bons du Trésor en compte courant et autres effets publics ou privés, qu'elles réalisent sur le marché monétaire ou sur le marché hypothécaire ;
- sur le montant brut des intérêts des dépôts qu'elles effectuent.
B - Dividendes versés à des organismes non domiciliés en France
En principe les organismes à but non lucratif dont le siège est situé dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France, ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, sont soumis, au titre de leurs revenus de source française, au même régime fiscal que celui qui s'applique aux revenus de source française de même nature des organismes à but non lucratif dont le siège est situé en France.
Autrement dit, les dividendes perçus par un organisme allemand doivent être taxés au taux de 15 % sous réserve de justifier que cet organisme satisferait aux conditions requises pour bénéficier des dispositions du 5 de l'article 206 du CGI si son siège était situé en France, c'est-à-dire prouver le caractère désintéressé de sa gestion et la prépondérance de ses activités non lucratives.
L'administration fiscale a précisé les modalités d'application de ce régime. L'organisme doit adresser les documents suivants à la Direction des résidents à l'étranger et des services généraux (DRESG) :
- un questionnaire relatif à la situation fiscale des organismes sans but lucratif n'ayant pas leur siège social en France, dont un exemplaire figure au BOI-FORM-000009 (N° Lexbase : X8388ALA), complété des informations requises ;
- ses statuts ;
- pour les trois derniers exercices, une copie des procès-verbaux de délibération en assemblée générale et les budgets détaillant ses principaux postes de recettes et de dépenses, ainsi que, le cas échéant, une copie des bulletins de salaire de ses dirigeants.
L'administration se réserve également la possibilité d'exiger de l'organisme tout justificatif attestant de la localisation de son siège.
Après examen de l'ensemble des pièces produites, la DRESG délivre, le cas échéant, une attestation qui permet à l'organisme concerné de bénéficier des dispositions prévues dans le BOI-RPPM-RCM-30-30-10-70 au I-C § 130 à 190 (N° Lexbase : X4793AL4) au titre de ses revenus de source française. Cette attestation est valable du 1er janvier de son année d'établissement jusqu'au 31 décembre de la deuxième année suivant cette dernière, sous réserve que les modalités de fonctionnement et les activités de l'organisme restent inchangées. Dans le cas contraire, il appartient à l'organisme de justifier, par une nouvelle production des documents prévus au paragraphe précédent, qu'il pourrait, malgré les changements intervenus, continuer à bénéficier des dispositions du 5 de l'article 206 du CGI si son siège était situé en France.
En cas d'exercice d'activités lucratives accessoires, l'attestation précise la liste des activités non lucratives et celle des activités lucratives (BOI-IS-CHAMP10-50-10-40-20130325, n° 580 et s. N° Lexbase : X8869AL3).
C - Paiement de l'IS dus au titre des dividendes perçus par les organismes non domiciliés en France
Sur présentation de l'attestation visée supra, l'établissement payeur des dividendes à l'organisme dont le siège est situé dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France, ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, peut appliquer directement la retenue à la source au même taux (15 %) que celui appliqué aux dividendes versés aux organismes à but non-lucratif dont le siège est situé en France en vertu de l'article 219 bis, 2° du CGI.
En l'absence de présentation de cette attestation préalablement au versement des dividendes, l'établissement payeur verse les revenus à l'organisme non-résident sous déduction de la retenue à la source au taux légal de 30 % (CGI, art. 187 N° Lexbase : L0960IZL). Le montant de la retenue à la source est déterminé et acquitté au moyen d'un formulaire (déclaration n° 2779, retenue à la source sur les revenus distribués par des sociétés françaises). Cette déclaration établie en euros est à déposer avec le paiement de la retenue à la source correspondante à la recette des non-résidents, 10, rue du Centre, TSA 50014, 93465 Noisy-le-Grand cedex (France) dans les quinze premiers jours du mois qui suit celui du paiement au déclarant des revenus distribués concernés.
Cela étant, l'organisme non résident bénéficiaire des dividendes qui aurait été soumis à un taux de retenue à la source supérieur à 15% (faute pour l'établissement payeur d'avoir été en mesure, au moment du versement des dividendes, d'apprécier la situation particulière du bénéficiaire des revenus) pourra obtenir la restitution du trop-perçu de retenue à la source en présentant l'attestation délivrée par la DRESG (voir supra). La réclamation devra être adressée à l'administration, avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit la date de versement de la retenue à la source. Cette demande doit être accompagnée de tout document justifiant du taux de retenue à la source appliqué par l'établissement payeur, en particulier une copie de la déclaration n° 2779 souscrite en son temps.
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