Réf. : Cass. civ. 1, 2 juillet 2014, n° 12-28.615, F-P+B (N° Lexbase : A2611MTU)
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par Séverin Jean, Maître de conférences à l'Université Toulouse I Capitole (EA 1919 IEJUCE)
le 24 Juillet 2014
La cour d'appel de Nîmes, par un arrêt en date du 13 septembre 2012 (5), retint la responsabilité du notaire et le condamna à indemniser les époux -acquéreurs- de l'ensemble des préjudices liés à la résolution de la vente. Par ailleurs, les magistrats du fond condamnèrent également le notaire, in solidum avec la société, à payer aux acquéreurs la somme due au titre de la clause pénale contenue dans l'acte de vente ainsi que celle réparant le préjudice locatif. Enfin, la cour d'appel de Nîmes condamna le notaire, in solidum avec la société, à payer les intérêts et les frais de garantie afférents au prêt qui avaient été préalablement remboursés aux époux par la banque. Le notaire décida alors de former un pourvoi en cassation. Pour répondre à la condamnation d'indemnisation de l'ensemble des préjudices liés à la résolution de la vente, le notaire invoqua, en premier lieu, le moyen selon lequel l'acte d'octobre 2007 prévoyait bien une desserte, de sorte que les juges du fond auraient dénaturé l'acte de vente. En second lieu, l'officier ministériel considère que la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un lien de causalité, puisqu'elle aurait dû rechercher si, en l'absence du manquement au devoir de conseil allégué, le défaut d'information sur le recours dirigé contre le permis de construire, les acquéreurs auraient renoncé à la vente. Quant à la condamnation en paiement de la clause pénale et du préjudice locatif, le notaire argue du fait que, bien que s'il devait être admis que sans la faute imputée au notaire, les époux n'auraient pas réalisé cette opération de telle façon qu'ils n'auraient pas bénéficié, ni de la clause, ni des loyers.
Si la Cour de cassation balaye d'un revers de main l'argument visant la dénaturation de l'acte en raison du fait que celle-ci n'a pas été invoquée en appel, elle prend soin de rappeler que le notaire est tenu d'éclairer les parties et de s'assurer de la validité ainsi que de l'efficacité des actes qu'il instrumente. Dès lors, d'une part, en omettant d'informer les époux -acquéreurs- de l'existence d'un recours contre le permis de construire -ayant donné lieu à la suspension des travaux par une ordonnance de référé de mars 2007-, et d'autre part, en n'indiquant pas dans l'acte d'octobre 2007 que la société ne disposait que de droits indivis sur la parcelle destinée à assurer la desserte de l'immeuble, les magistrats du Quai de l'Horloge estimèrent que le notaire avait bien commis des fautes exposant les époux au risque, qui s'est réalisé, de subir les conséquences de l'annulation de la vente. Par conséquent, le lien de causalité entre ces manquements et les préjudices invoqués était bel et bien caractérisé, de sorte que les préjudices liés à la résolution de la vente devaient être réparés. Par ailleurs, la Cour de cassation estima que les manquements précités à l'encontre du notaire avaient bien directement contribué à l'absence d'efficacité de l'acte d'octobre 2007 et à la résolution de la vente, de telle manière que le paiement de la clause pénale et du préjudice locatif était acquis. En revanche, au bénéfice d'un moyen soulevé d'office, les magistrats du Quai de l'Horloge cassèrent partiellement l'arrêt d'appel en indiquant que les restitutions dues à la suite de l'anéantissement d'un contrat de prêt ne constituaient pas, en elles-mêmes, un préjudice réparable.
Cette cassation partielle est finalement l'occasion de préciser encore une fois le régime de la responsabilité civile professionnelle du notaire (6). Si ce dernier n'est pas n'importe quel responsable en ce qu'il est un officier public disposant du monopole de l'authentification et partant de la sécurité juridique des actes, il n'en demeure pas moins soumis au droit commun de la responsabilité délictuelle pour faute (7). Or, l'arrêt commenté invite à discuter la motivation de la Cour de cassation sous l'angle classique des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité issue de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). En effet, le triptyque impose tout d'abord une faute du notaire. En l'espèce, la qualification des fautes ne suscite guère de difficulté. Pourtant, l'étude de ces dernières permet de mieux comprendre encore le lien, bien souvent insécable, entre le devoir de conseil et l'authentification (I). Ensuite, il faut naturellement retenir l'existence d'un préjudice réparable qui, pour l'être, doit, selon une formule classique, être certain, direct et actuel. A cet égard, l'arrêt est précieux en ce qu'il permet de déterminer, eu égard aux caractères que doit revêtir le préjudice, ceux qui constituent ou non des préjudices réparables (II). Reste qu'enfin, on aurait pu choisir d'évoquer à part le lien de causalité devant être caractérisé entre les faits générateurs -les fautes du notaire- et les préjudices invoqués. Pourtant, nous ne procéderons pas ainsi dans la mesure où la causalité sera analysée au sein du préjudice ; le caractère direct du préjudice renvoyant, en réalité, au lien de causalité.
I - Les fautes du notaire révélatrices des obligations mises à sa charge
Il est acquis que c'est à partir du devoir de conseil que la jurisprudence met à la charge du notaire des obligations qui n'ont parfois qu'un lien ténu avec lui à l'image de l'efficacité technique ou pratique de l'acte instrumenté. Or, en l'espèce, c'est bien à l'occasion de manquements -qui fondent l'essentiel de l'établissement de la responsabilité du notaire- qu'il est question de l'efficacité de l'acte de vente en l'état futur d'achèvement reçu en octobre 2007. En effet, le fait de ne pas avoir informé les acquéreurs, alors qu'il en avait connaissance (8), de l'existence d'un recours contre le permis de construire et le fait de ne pas avoir indiqué dans l'acte que la société venderesse, alors qu'il le savait également (9), ne détenait que des droits indivis sur la parcelle destinée à la desserte de l'immeuble dans lequel serait situé l'appartement remettent en cause l'efficacité de la vente. Pour autant, il ne faut pas se méprendre, car il est régulièrement rappelé que "la circonstance qu'un notaire ait manqué à son devoir d'assurer l'efficacité de l'acte instrumenté n'implique pas nécessairement qu'il en résulte un préjudice" (10). Autrement dit, il ne suffira pas de rapporter la preuve d'une faute du notaire, consistant le plus souvent en la violation d'une obligation préexistante, pour que sa responsabilité soit retenue ; il faudra rapporter la preuve que sa faute est la cause exclusive ou partielle ayant contribué à la réalisation d'un préjudice. Dès lors, en quoi l'existence d'un recours contre le permis de construire et l'omission dans l'acte des droits indivis de la société venderesse sont-elles constitutives de manquements à l'obligation d'assurer l'efficacité de l'acte instrumenté ?
Répondre à cette question suppose au préalable de préciser ce que l'on entend par efficacité de l'acte instrumenté. A cet égard, la doctrine considère généralement que l'efficacité doit s'entendre doublement. D'une part, il peut s'agir de l'efficacité technique consistant pour le notaire à ne pas commettre des erreurs de fait ou de droit. D'autre part, il peut s'agir de l'efficacité pratique obligeant le notaire à procéder à des recherches préalables à l'authentification. En l'espèce, c'est davantage l'efficacité technique qui est en cause, et plus précisément celle visant des erreurs de droit. En effet, en n'informant pas les acquéreurs de l'existence d'un recours contre le permis de construire, le notaire, qui le savait, ne pouvait ignorer que l'efficacité de l'acte était menacée -et déjà entamée en raison de la suspension des travaux prononcée par ordonnance de référé- puisqu'en cas d'annulation du permis de construire, la société venderesse n'aurait pas pu construire et, partant, les acquéreurs n'auraient jamais pu prendre possession de l'appartement. Cela étant, eu égard au permis de construire, ce n'était pas seulement l'efficacité de l'acte qui était en cause mais aussi, tout simplement, sa validité. Assurément, le notaire aurait dû prendre soin de vérifier que le permis de construire était purgé de tous recours. Dès lors, en n'y procédant pas et pire, en sachant qu'un recours avait été introduit, le notaire aurait même dû mettre en garde les acquéreurs du risque de l'achèvement de la construction hors-délai, voire même de sa remise en cause définitive. Quant aux droits indivis, là encore l'efficacité de l'acte était atteinte, dans la mesure où la société, en ne disposant que de droits indivis, n'était pas en mesure de transférer la pleine propriété de la parcelle servant de desserte à l'immeuble dans lequel devait se trouver l'appartement, objet de la vente. En outre, la parcelle litigieuse, faisant elle aussi l'objet d'une action en justice introduite par un coïndivisaire dénonçant les conditions de son usage, l'achèvement de la construction dans le délai prévu était compromis, de sorte que l'acte instrumenté perdait nécessairement son efficacité. Plus encore, c'est la consistance de l'objet de la vente qui était en cause, puisque les acquéreurs pensaient acquérir un appartement dont la desserte n'était pas grevée par des droits indivis.
En définitive, les manquements du notaire sont très clairement avérés et d'ailleurs ces points ne sont pas discutés. En réalité, ces deux manquements, comme le précise la Cour de cassation, ont conduit au non-respect des délais de livraison et partant ont exposé les acquéreurs au risque, qui s'est réalisé, de subir les conséquences de l'annulation de la vente. A cet égard, un argument du notaire interpelle le signataire. En effet, le notaire reprochait d'avoir admis la possibilité, pour les acquéreurs, de demander la résolution de la vente alors que la mise en oeuvre de la garantie d'achèvement aurait pu permettre, selon lui, l'achèvement des travaux. Or, cet argument n'emporte évidemment pas l'adhésion pour la simple et bonne raison que ladite garantie était inopérante eu égard aux obstacles juridiques. Dès lors que la construction était remise en cause en raison de l'illégalité du permis de construire, la garantie d'achèvement ne se posait plus. En d'autres termes, on ne peut achever ce qui ne peut pas ou plus être construit !
II - L'appréciation des préjudices réparables
Les moyens annexés à l'arrêt commenté permettent de dresser les différents préjudices dont les acquéreurs et la banque prêteuse ont sollicité la réparation. Ainsi, on peut recenser les préjudices suivants : le prix d'acquisition de l'appartement déjà versé, le quantum de la clause pénale prévue dans l'acte de 2007, les frais notariés, les frais d'assurance afférents au bien immobilier, le préjudice locatif, le préjudice moral, les intérêts et frais de garantie relatifs au prêt. En réalité, il est possible de distinguer entre ceux qui ont fait ou non l'objet d'une réparation.
La Cour de cassation, à l'occasion d'un moyen soulevé d'office, refuse que le notaire et la SCP notariale indemnisent les intérêts et les frais de garantie afférents au prêt que la banque, en appel, a été condamnée à rembourser aux acquéreurs. En effet, elle considère que les restitutions consécutives à l'anéantissement du prêt ne constituent pas des préjudices réparables. La motivation des magistrats du Quai de l'Horloge doit être saluée pour deux raisons. D'une part, il est parfaitement logique que la résolution de la vente emporte l'annulation corrélative du prêt qui en assurait son financement, de telle façon que le remboursement par la banque des intérêts et des frais de garantie aux acquéreurs ne constitue qu'une application classique de l'effet rétroactif attaché à l'annulation d'un acte juridique. D'autre part, il est tout autant logique que le notaire et la SCP notariale n'aient pas à rembourser à la banque lesdits préjudices, dans la mesure où il n'y a pas de lien de causalité entre les manquements du notaire et les préjudices allégués par la banque. En effet, les manquements relevés à l'encontre du notaire ont eu seulement pour effet de conduire à la résolution de la vente. Par ailleurs, et en s'inscrivant dans le même raisonnement, il doit être précisé que le remboursement du prix d'acquisition de l'appartement déjà versé ne constitue pas en soi un préjudice réparable. En réalité, ce dernier n'est que la contrepartie du bien acquis. Dès lors, si la résolution de la vente est prononcée, il y a tout simplement lieu à restitution, mais il s'agit alors d'une obligation de restitution et non de réparation (11).
En revanche, les frais notariés, les frais d'assurance relatifs au bien immobilier ainsi que le préjudice moral constituent de véritables préjudices réparables. En effet, les acquéreurs ont notamment du engager des frais -frais notariés et frais d'assurance du bien immobilier- pour réaliser l'opération, c'est-à-dire acquérir en VEFA un appartement. Or, c'est bien parce que le notaire a manqué à deux obligations fondamentales -les informer de l'existence d'un recours contre le permis de construire et d'indiquer dans l'acte l'existence de droits seulement indivis sur la desserte- que le délai de livraison n'a pas été respecté et, partant, que le notaire a fait courir aux acquéreurs le risque, qui s'est réalisé, de subir les conséquences de l'annulation de la vente. Par cette formulation, il n'est guère discutable que les préjudices invoqués sont directs en ce sens qu'ils sont bien la conséquence des deux manquements du notaire. En outre, ils sont certains et actuels dans la mesure où le risque d'annulation s'est réalisé et a ainsi caractérisé l'existence de dépenses inutiles à l'image des frais notariés (12) et des frais d'assurance du bien, objet de la vente annulée.
Reste enfin à examiner la condamnation du notaire au paiement de la clause pénale et au préjudice locatif. Quant à ce dernier, il convient d'observer là encore que tout est question d'espèce en ce sens qu'il n'y a de préjudice locatif que parce que les acquéreurs voulaient acheter l'appartement pour le louer, ce que s'est efforcée la cour d'appel à qualifier. En soi, le préjudice locatif n'appelle pas d'observation si ce n'est de préciser qu'il répond aux différents caractères que doit revêtir tout préjudice réparable. Le préjudice locatif est direct car il est bien la conséquence de l'annulation de la vente à la suite, notamment, des manquements du notaire ; il est certain et actuel dans la mesure où les acquéreurs n'auront pas pu louer le bien faute d'en devenir un jour propriétaires. En revanche, le paiement de la clause pénale par le notaire interpelle parce qu'elle n'a de sens que pour sanctionner un manquement de l'une des parties au contrat. Or, le notaire n'est absolument pas partie au contrat. Toutefois, la solution s'explique au regard du fait que la Cour de cassation retient la responsabilité in solidum, non seulement du notaire et de la SCP notariale, mais aussi celle de la société venderesse. La solution s'éclaire aisément par les propos des magistrats du Quai de l'Horloge : "les manquements du notaire avaient directement contribué à l'absence d'efficacité de son acte et au prononcé de la résolution de la vente". Plus encore, il ne faudrait pas perdre de vue que le notaire en cause n'est pas n'importe quel notaire, puisqu'il est le notaire qui avait en charge l'ensemble du programme immobilier. Par conséquent, il se devait d'assurer la sécurité juridique de l'opération dans son ensemble et, a fortiori, celle de l'acte de vente finalement annulé...
Décision
Cass. civ. 1, 2 juillet 2014, n° 12-28.615, F-P+B (N° Lexbase : A2611MTU). Cassation partielle (CA Nîmes, 13 septembre 2012, n° 11/02112 N° Lexbase : A9667IST). |
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