La lettre juridique n°570 du 15 mai 2014 : Procédure pénale

[Chronique] Chronique de procédure pénale - Mai 2014

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N2137BUP

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par Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Tours (CRDP Tours, EA 2116 ; IEJUC Toulouse, EA 1919) et Lionel Miniato, Maître de conférences en droit privé au Centre universitaire d'Albi (IDP Toulouse, EA 1920)

le 15 Mai 2014

Lexbase-Hebdo édition privée vous invite à retrouver la chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé à l'Université François-Rabelais de Tours (CRDP Tours, EA 2116 ; IEJUC Toulouse, EA 1919) et de Lionel Miniato, maître de conférences en droit privé au Centre universitaire Jean-François Champollion d'Albi (IDP Toulouse, EA 1920). Au programme de cette nouvelle chronique, une séquence jurisprudentielle relative, une fois de plus, aux rapports entretenus entre la procédure pénale et la propriété (Cons. const., 11 avril 2014, décision n° 2014-390 QPC ; Cass. crim., 19 mars 2014, n° 13-87.157, F-P+B+I) et quelques décisions plus ponctuelles : une concernant le régime des réquisitions (Cass. crim., 19 mars 2014, n° 13-88.616), une concernant l'autorité de la chose jugée et le principe de concentration des moyens (Cass. civ. 2, 20 mars 2014, n° 13-16.391, F-P+B) et une concernant le droit à un recours juridictionnel effectif (Cons. const., 4 avril 2014, décision n° 2014-387 QPC). I - Procédure pénale et propriété (suite mais pas fin) : la destruction des biens saisis

Il a déjà été souligné à quel point la procédure pénale est susceptible de blesser la propriété des personnes mises en cause, avant même que ces dernières aient fait l'objet d'une condamnation définitive (1). Le degré ultime des atteintes qui pouvaient être portées aux droits des propriétaires impliqués résidait, sans doute, dans l'article 41-4, alinéa 4, du Code de procédure pénale, en vertu duquel "le procureur de la République [pouvait] ordonner la destruction des biens meubles saisis dont la conservation [n'était] plus nécessaire à la manifestation de la vérité, lorsqu'il [s'agissait] d'objets qualifiés par la loi de dangereux ou nuisibles, ou dont la détention [était] illicite". L'imparfait s'impose car, par une décision rendue le 11 avril 2014, le Conseil constitutionnel a sonné le glas de ces dispositions, qui méconnaîtraient selon lui les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D). Plus précisément, l'article 41-4, alinéa 4, autorisait la destruction des biens saisis "sans que leur propriétaire ou les tiers ayant des droits sur ces biens et les personnes mises en cause dans la procédure en aient été préalablement avisés et qu'ils aient été mis à même de contester cette décision devant une juridiction afin de demander, le cas échéant, la restitution des biens saisis". Le problème n'était donc pas tant, selon la "juridiction" constitutionnelle, la méconnaissance du lien de propriété, l'expropriation pure réalisée de la sorte, que l'impossibilité pour les personnes "intéressées" -le Conseil, fidèle à ses mauvaises habitudes, n'est pas très précis sur ce point- d'exercer un recours contre la décision du procureur de la République, alors qu'elles pouvaient le faire dans d'autres situations pourtant comparables (2).

La solution, pour être prévisible, appelle néanmoins quelques commentaires.

Il était curieux, tout d'abord, que la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon (N° Lexbase : L7839HYY), texte à l'origine des dispositions ainsi sanctionnées, ait dissocié le pouvoir relatif au devenir des biens saisis durant l'enquête entre deux autorités de nature différente : le procureur de la République, intervenant historique, et le juge des libertés et de la détention, intervenant légitime (3). Quitte à réformer, en effet, autant aller au bout de la logique et transférer des pouvoirs qui n'appartenaient au premier qu'en vertu de la tradition, au second, qui apparaissait le plus adapté en vertu de son statut : non seulement, le juge judiciaire est le gardien naturel des libertés individuelles, en ce compris la propriété, mais il est aussi plus aisé d'envisager le recours contre une décision juridictionnelle que contre une décision administrative. En ce sens, la censure constitutionnelle peut-elle être perçue comme la sanction d'une maladresse législative (4).

Ensuite, le fait que le fondement de la censure ait, une fois de plus, été tiré du "fourre-tout" de l'article 16 de la Déclaration de 1789 plutôt que de ses articles directement consacrés au droit de propriété conduit à des remarques désormais habituelles. Le Conseil constitutionnel ne fait sans doute que conforter son choix de se baser sur ledit article pour poser un droit à un recours effectif et, en cela, ne fait pas preuve d'incohérence. Mais ne vaudrait-il pas mieux conserver l'article 16 pour des droits que l'on ne peut fonder sur aucun autre texte à valeur constitutionnelle, au risque de finir par le galvauder ? Autrement dit, n'aurait-il pas été plus pertinent, en l'espèce, de mobiliser le droit de propriété, le recours offert au propriétaire n'en représentant finalement qu'une application ? Au demeurant, le passage par le principe d'égalité, proposé également par le requérant (5), aurait amplement suffi à justifier la censure, une différence de traitement étant instaurée entre les mis en cause durant l'enquête et les mis en examen, leur différence de statut ne procédant pas, à nos yeux, d'une différence de situation suffisante.

Enfin, classiquement, le Conseil constitutionnel aménage les effets de sa censure. A cet égard, tout en précisant que la déclaration d'inconstitutionnalité est applicable immédiatement, "aux affaires nouvelles ainsi qu'aux affaires non jugées définitivement", il précise, d'une part, "qu'elle n'ouvre droit à aucune demande en réparation du fait de la destruction de biens opérée antérieurement à cette date" et, d'autre part, que "les poursuites engagées dans des procédures dans lesquelles des destructions ont été ordonnées en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité" (6).

Le premier point est compréhensible : autoriser une réparation consécutive à toutes les destructions qui auraient été ordonnées sur la base d'un texte encore applicable serait, en quelque sorte, ouvrir la boîte de "Pandore". Même du point de vue de la Cour de Strasbourg, on ne saurait soutenir que les propriétaires concernés disposaient alors d'une espérance légitime d'obtenir une telle réparation. Le second point, en revanche, est beaucoup moins bien exprimé : il semble signifier que l'action publique ne doit pas être perturbée par le caractère inconstitutionnel d'une destruction qui aurait été ordonnée durant la procédure. Mais, dans une telle hypothèse, outre que la destruction n'était pas inconstitutionnelle à l'époque où elle a été décidée, elle n'entretenait aucun lien avec l'action publique, puisque l'une des conditions pour y recourir était précisément que la conservation du bien ne soit plus nécessaire à la manifestation de la vérité.

Guillaume Beaussonie

Bien que s'inscrivant dans un autre cadre, cette décision doit être mise en parallèle avec la précédente, puisqu'elle est relative à l'ordonnance par laquelle le juge d'instruction, sur réquisitions ou après avis du ministère public, peut ordonner la destruction d'objets saisis, en vertu de l'article 99-2 du Code de procédure pénale.

En l'espèce, à l'occasion d'un contrôle, les agents de l'administration des douanes découvraient plus de 150 kilogrammes de résine de cannabis dans un ensemble routier. Le conducteur de ce dernier était mis en examen des chefs d'importation en contrebande de marchandises prohibées, importation et détention non autorisées de stupéfiants. A la requête de l'administration des douanes, le juge d'instruction décidait, sur le fondement de l'article 389 bis du Code des douanes (N° Lexbase : L3804IRC), d'autoriser la destruction des produits saisis. Le mis en examen interjetait alors appel de cette décision et, contre toute attente, la cour d'appel infirmait l'ordonnance du juge d'instruction. Celle-ci considérait en effet que, puisqu'il s'agissait d'un dossier d'instruction, l'article 99-2 devait également recevoir application. Ce qui conduisait à un panachage bien étrange : d'un côté, le mis en examen, même non propriétaire, pouvait faire appel en vertu de l'article 99-2 ; d'un autre côté, la destruction ne pouvait s'opérer qu'après respect des conditions posées par l'article 389 bis, ce dernier prévoyant notamment un échantillonnage qui, semble-t-il, n'avait pas été consigné...

Sans réelle surprise, la Chambre criminelle de la Cour de cassation censure ce montage plutôt bancal, en précisant, d'abord, que seul l'article 389 bis du Code des douanes devait recevoir application. L'article 99-2 n'est effectivement applicable qu'aux biens placés sous main de justice, ce qui ne serait pas le cas des biens saisis en l'espèce. Il faut reconnaître que l'affirmation ne va pas de soi, la saisie étant précisément définie comme le placement d'un bien sous main de justice. Sans doute aurait-il alors été plus adroit de justifier l'application du Code des douanes par la simple mais bonne raison de sa plus grande spécificité par rapport au Code de procédure pénale : specialia generalibus derogant.

Ensuite, la Cour de cassation applique l'article 389 bis du Code des douanes, rappelant que ce dernier "réserve au seul propriétaire des objets sous saisie douanière le droit d'interjeter appel de l'ordonnance par laquelle le juge d'instruction, sur requête de l'administration des douanes, autorise la destruction de ces objets". Tel est effectivement le cas, depuis la modification et la clarification de ce texte intervenues à la suite d'une censure constitutionnelle de l'article 389 du même code (7). Avant cela, il ne faisait référence qu'à "l'autre partie", ce qui était loin de faciliter l'identification du bénéficiaire d'un droit au recours contre la décision de destruction qui, au demeurant, n'existait pas vraiment -c'était la raison même de la censure de l'article 389.Cette référence plutôt floue fait d'ailleurs penser à la rédaction actuelle des articles du Code de procédure pénale relatifs à une telle destruction (8). A bon entendeur...

Guillaume Beaussonie

II - Régime des réquisitions

  • L'accord d'un professionnel à la remise d'un document requise par un enquêteur n'est nécessaire que lorsqu'il s'agit d'un professionnel protégé (Cass. crim., 19 mars 2014, n° 13-88.616 N° Lexbase : A9703MKL)

Les réquisitions sont des actes d'enquête manifestes, en ce sens qu'elles montrent bien à quel point tout enquêteur est en droit d'exiger et, conséquemment, d'obtenir certaines choses ou certaines prestations, lorsqu'il agit dans un cadre légal. Par "cadre légal", il faut entendre enquête ou instruction, bien sûr, mais il faut également prendre en compte les règles spécifiques à ces actes spécifiques que sont les réquisitions. Pour l'enquête préliminaire, on les trouve aux articles 77-1 (N° Lexbase : L7136A43) à 77-1-2 du Code de procédure pénale.

Par essence, la réquisition est perçue comme étant moins intrusive que la perquisition, raison pour laquelle le consentement de la personne requise n'a pas, en principe, à être sollicité. Cela pourrait sans doute se discuter, le fait de fournir une prestation ou un document contre son gré n'étant rien de moins que de devoir agir à l'encontre de sa liberté et de sa propriété. Quoi qu'il en soit, seuls les professionnels particulièrement protégés que sont les avocats, les journalistes, les médecins, les notaires et les huissiers (9) échappent à une telle impunité, leur consentement devant être obtenu pour obtenir de leur part la remise de documents. La "réquisition-ordre" devient simple "réquisition-demande".

Quid, en revanche, dans l'hypothèse où les documents concernent lesdits professionnels sans, cependant, avoir été générés par eux ? Telle était la question, en l'espèce, une réquisition ayant ordonné à la caisse primaire d'assurance maladie de communiquer aux enquêteurs la liste des patientes d'un médecin soupçonné d'avoir commis à leur encontre des agressions sexuelles aggravées.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation, pour rejeter la demande du médecin tendant à l'annulation d'une réquisition qui le concernait mais à laquelle il n'avait pas consenti, précise qu'"un tel accord n'est nécessaire que si l'un des professionnels visés aux articles 56-1 (N° Lexbase : L3557IGT) à 56-3 du Code de procédure pénale est directement requis de fournir les informations sollicitées", ce qui n'était pas le cas en l'occurrence. Autrement dit, ce qui compte n'est pas tant le lien qu'entretient le contenu des documents requis avec un professionnel protégé, que le fait que ce dernier soit destinataire de la réquisition.

Si une telle interprétation de l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3463IGD) s'avère parfaitement concevable, celle-ci procède quand même d'une réflexion sans doute insuffisante concernant les effets des réquisitions sur les professionnels requis. Comme pour toutes les autres règles de procédure pénale, il faudrait trouver un équilibre satisfaisant entre les nécessités de l'ordre public et le respect des droits et libertés des mis en cause. En l'état, même si la solution ne heurte pas, il n'est pas certain que cela soit tout à fait le cas.

Guillaume Beaussonie

III - Autorité de la chose jugée : la jurisprudence "Césaréo" et le juge pénal

  • L'autorité de la chose jugée ne peut être opposée à une personne qui exerce une action en indemnisation fondée sur l'article 1384 du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS) contre une personne qui a été poursuivie puis relaxée du seul chef de violences volontaires (Cass. civ. 2, 20 mars 2014, n° 13-16.391, F-P+B N° Lexbase : A7438MHX)

L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, règle prétorienne datant de 1855 (10), implique que ce qui a été jugé par le juge pénal s'impose au juge civil : il s'agit ainsi d'une autorité dite "positive" de chose jugée. Selon la Cour de cassation, l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé (11). Ainsi en cas de condamnation, le juge civil qui serait ultérieurement saisi est tenu d'accorder réparation à la victime. A l'inverse, en cas d'acquittement ou de relaxe, il ne pourra pas accorder réparation, sauf à se fonder sur des faits distincts de l'infraction. Ou bien, même en se fondant sur les mêmes faits, si le prévenu, poursuivi pour une infraction intentionnelle, avait été relaxé pour absence d'intention, le juge civil pourra accorder des dommages et intérêts en relevant l'existence d'une faute civile d'imprudence ou de négligence (12), ou en se fondant sur un cas de responsabilité objective, sans faute (13). Par ailleurs, le juge civil pourra même accorder réparation sur le fondement d'une faute civile intentionnelle après avoir relaxé le prévenu d'une faute pénale intentionnelle (14). Enfin, le juge civil aura toujours la possibilité d'accorder réparation lorsque la personne n'avait pas été reconnue responsable pénalement sur le fondement de l'article 122-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2244AM3), ou parce qu'elle était un très jeune enfant (15).

Hormis ces limites à l'autorité du pénal sur le civil, cette règle comporte une exception qui concerne les fautes pénales non intentionnelles (16) : en cas de relaxe pour absence de faute pénale, la victime a en effet la possibilité de saisir le juge civil pour obtenir réparation sur le fondement -notamment- de l'article 1383 du Code civil (N° Lexbase : L2952ICC), si l'existence de la faute civile est, elle, établie. Cette possibilité résulte de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels (N° Lexbase : L0901AI9) ayant supprimé, dans ce cas, l'identité entre la faute pénale et la faute civile d'imprudence. Par ailleurs, l'article 470-1 du Code de procédure pénale, issu de la loi n° 83-68 du 8 juillet 1983, renforçant la protection des victimes d'infractions (N° Lexbase : L8216HI7) (17), prévoit que le tribunal correctionnel, qui avait été saisi par le ministère public ou sur renvoi de la juridiction d'instruction de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle (18) demeure compétent (19), après avoir prononcé la relaxe, pour accorder réparation en application des règles du droit civil de tous les dommages résultant des faits ayant fondé la poursuite. La responsabilité pénale étant une responsabilité pour faute, l'article 470-1 (N° Lexbase : L9931IQU) permet ainsi au tribunal correctionnel, en vue d'accorder réparation à la victime, d'appliquer les régimes de responsabilité civile sans faute (20). La possibilité pour le juge pénal, en cas de relaxe, d'allouer des dommages et intérêts à la victime en appliquant les "règles du droit civil" existait donc avant même que la loi du 10 juillet 2000, en distinguant la faute pénale et la faute civile d'imprudence, permette au juge civil de contredire la décision du juge pénal.

Ainsi, plusieurs règles juridiques ou moyens de droit sont susceptibles de fonder une demande en réparation et, depuis l'arrêt "Césaréo" du 7 juillet 2006 (21) opérant un revirement de jurisprudence (22), la partie a l'obligation d'invoquer tous ces moyens au cours du procès, (23) sans que le juge soit lui-même tenu de pallier son éventuelle carence en relevant d'office un moyen de droit (24). A défaut de respecter ce principe de concentration des moyens, une demande en réparation qui serait exercée devant le juge civil après que la partie a été déboutée de façon irrévocable se heurterait à l'autorité de la chose jugée -l'autorité de la chose jugée au civil sur le civil- en application de l'article 1351 du Code civil (N° Lexbase : L1460ABP) et la règle de la triple identité : parties, objet, cause (25). Alors que la cause, avant 2006, s'identifiait au moyen de droit, désormais, celle-ci se confond avec l'objet, la chose demandée en lien avec les faits générateurs du litige. Et ce principe de concentration des moyens vaut non seulement lorsque la première demande en réparation avait été formée devant le juge civil, mais aussi -et c'est ce qui nous intéresse ici- lorsqu'elle l'avait été devant le juge pénal, du moins en cas de poursuites pour une infraction non intentionnelle (26), ce que confirme la présente affaire.

En l'espèce, des poursuites pénales avaient été engagées contre un individu devant le tribunal correctionnel pour blessures volontaires, et une demande en réparation avait été formée par la partie civile sur le fondement des articles 1382 ([LXB=L1488ABQ ]) et 1383 du Code civil (N° Lexbase : L2952ICC). Par un arrêt irrévocable de la chambre des appels correctionnels, le prévenu fut relaxé et la partie civile déboutée. Cette dernière intenta alors une nouvelle action devant le juge civil en se fondant sur un moyen de droit non invoqué devant le juge pénal : l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (27). La cour d'appel, arguant que la victime avait l'obligation d'invoquer ce moyen de droit devant le juge pénal qui était compétent pour statuer en application de l'article 470-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9931IQU) malgré le prononcé de la relaxe, déclara cette nouvelle demande irrecevable. Mais la Cour de cassation, pour casser l'arrêt de la cour d'appel, affirme que les dispositions de l'article 470-1 ne sont applicables que si, à la suite d'une relaxe, le tribunal avait été saisi de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle. Or, ici, les poursuites avaient été engagées du chef de blessures volontaires. Il en résulte que la partie civile n'avait pas l'obligation de concentrer ses moyens devant le juge pénal et donc que sa nouvelle action devant le juge civil fondé sur l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ne se heurtait pas à l'autorité -négative- de la chose jugée.

Cette solution de la Cour de cassation doit être approuvée. En effet, il est évident que, en l'espèce, le juge pénal, après le prononcé de la relaxe, ne demeurait pas compétent pour accorder réparation à la victime en application des dispositions de l'article 470-1 du Code de procédure pénale, lequel ne peut être mis en oeuvre qu'en cas d'infraction non intentionnelle. Partant, même si la partie civile, ainsi que l'indique l'arrêt de la Cour de cassation, avait exercé son action civile devant le juge pénal en se fondant uniquement sur les articles 1382 et 1383 du Code civil -responsabilité pour faute-, le juge civil ne pouvait ensuite lui opposer l'autorité de la chose jugée au civil par le tribunal correctionnel pour non-respect du principe de concentration des moyens en lui reprochant, donc, de ne pas s'être fondée aussi sur l'article 1384 -responsabilité sans faute-. Car la partie civile n'avait précisément pas la possibilité d'invoquer ce moyen de droit devant le juge pénal à l'appui de sa demande en réparation, en raison de la non-application de l'article 470-1 et de l'impossibilité pour le juge pénal de statuer selon les règles du droit civil, i. e. en se fondant sur un régime de responsabilité objective. La seule possibilité pour la partie de faire examiner une nouvelle fois sa demande en réparation fondée sur l'article 1384 était donc de saisir le juge civil. Avec cette conséquence que la relaxe ayant été prononcée du chef de blessures volontaires, l'autorité du pénal sur le civil n'excluait pas une condamnation civile du défendeur sur ce nouveau fondement juridique.

Lionel Miniato

IV - Travail dissimulé et enquête préliminaire : la consécration du droit à un recours juridictionnel effectif

  • Aucune voie de droit ne permettant de contester l'autorisation et la régularité des opérations de visite domiciliaire, de perquisition ou de saisie mises en oeuvre en application de cette autorisation, les dispositions de l'article L. 8271-13 du Code du travail (N° Lexbase : L3452IMS), qui fondent ces différentes mesures, sont contraires à l'article 16 de la Déclaration de 1789 (Cons. const., 4 avril 2014, décision n° 2014-387 QPC N° Lexbase : A4069MIK)

Les infractions aux interdictions du travail dissimulé (28), constitutives de travail illégal avec d'autres infractions (29), sont sanctionnées -notamment- par un emprisonnement de trois ans et une amende de 45 000 euros (30). Pour la recherche et la constatation de telles infractions, il est prévu par l'article L. 8271-13 du Code du travail que, "dans le cadre des enquêtes préliminaires [...], les officiers de police judiciaire assistés, le cas échéant, des agents de police judiciaire, peuvent, sur ordonnance du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter ou d'un juge délégué par lui, rendue sur réquisitions du procureur de la République, procéder à des visites domiciliaires, perquisitions et saisies de pièces à conviction dans les lieux de travail relevant des articles L. 4111-1 (N° Lexbase : L1438H97) du présent code et L. 722-1 du Code rural et de la pêche maritime, y compris dans ceux n'abritant pas de salariés, même lorsqu'il s'agit de locaux habités. Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée sur des éléments de fait laissant présumer l'existence des infractions dont la preuve est recherchée. Ces dispositions ne dérogent pas aux règles de droit commun relatives à la constatation des infractions par les officiers et agents de police judiciaire". Dans une affaire jugée en 2002 (31), une personne avait exercé un pourvoi en cassation contre l'ordonnance du président du TGI ayant autorisé à procéder à des opérations de visite et de saisies de documents. Le pourvoi avait été déclaré irrecevable aux motifs que le texte ne prévoyait pas de recours contre l'ordonnance, la personne ayant de toute façon la possibilité ultérieurement, à la suite de la mise en mouvement de l'action publique, d'invoquer la nullité de l'ordonnance laquelle constitue un acte de procédure dont la nullité peut être invoquée dans les conditions prévues par les articles 173 (N° Lexbase : L1570H4W) (pendant l'instruction) ou 385 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3791AZG) (devant le tribunal correctionnel ). Cet arrêt de la Cour de cassation en date de 2002 est mentionné dans la présente décision du Conseil constitutionnel lequel remet en cause cette solution à la suite d'une QPC contestant la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 8271-13 (N° Lexbase : L3452IMS) au nom du droit à un recours juridictionnel effectif, principe garanti par le Conseil constitutionnel (32). Ce dernier, pour abroger le texte à compter du 1er janvier 2015, et se fondant sur ce droit tiré de l'article 16 de la Déclaration de 1789 -article fourre-tout en matière de droits de procédure-, se fonde sur l'impossibilité de contester l'autorisation de la visite domiciliaire, de la perquisition ou de la saisie alors même que l'action publique n'a pas encore été déclenchée.

La décision du Conseil paraît devoir être saluée, dans la mesure où l'article L. 8271-13 du Code du travail (N° Lexbase : L3452IMS) énonce des conditions pour que le juge, sur réquisitions du procureur de la République, autorise les OPJ (ou APJ) à procéder à ces actes d'enquête. Et il paraît donc légitime que la personne puisse contester la décision dans le but d'empêcher ces actes pouvant aboutir à des poursuites. A cet égard, le législateur serait bien inspiré de prévoir un appel suspensif car, sinon, le droit au recours serait quelque peu vidé de sa substance, même si l'on pourrait concevoir une annulation prononcée après l'exécution des actes lesquels alors ne pourraient plus servir de fondement à d'éventuelles poursuites. Cependant, le droit qu'auront les personnes de contester l'ordonnance du président du TGI va placer ces personnes dans une situation privilégiée par rapport à celles faisant l'objet d'une enquête préliminaire pour d'autres infractions Car, dans ces hypothèses, les actes de l'enquête préliminaire ont lieu sur instruction du procureur de la République ou d'office par les OPJ, et ne peuvent être contestés que par les voies de droit mentionnées dans la décision de la Cour de cassation de 2002, c'est-à-dire après le déclenchement des poursuites. Mais, en réalité, les OPJ disposent, sur le fondement de l'article L. 8271-13, de "pouvoirs spéciaux", "dérogatoires au droit commun", l'autorité de contrôle essentielle étant en matière de législation du travail l'inspection du travail (33). La cohérence du dispositif imposait donc que la mise en oeuvre de ces pouvoirs spéciaux soit assortie de garanties juridictionnelles spécifiques.

Lionel Miniato


(1) Cf. nos observations : Chronique de procédure pénale - Mars 2014, Lexbase Hebdo n° 562 du 13 mars 2014 - édition privée (N° Lexbase : N1182BUC).
(2) Comme le faisait valoir le requérant, "un recours est prévu lorsque la décision d'ordonner la destruction des biens saisis est prise par le juge d'instruction dans le cadre d'une information judiciaire en application du quatrième alinéa de l'article 99-2 du Code de procédure pénale" (argument repris dans le considérant n° 2). Le recours, au surplus, est effectif : cf. par ex. Cass. crim., 6 mars 2007, n° 06-87.446, FS-P+F (N° Lexbase : A9200DUB), Bull. crim., n° 71, où la Chambre criminelle sanctionne des juges du fond qui ont validé la destruction d'un navire saisi "sans rechercher si la loi elle-même qualifiait cet objet de dangereux ou de nuisible, ou en interdisait la détention, et, à défaut, sans constater que la restitution s'avérait impossible".
(3) D'où deux articles : C. proc. pén., 41-4 (N° Lexbase : L0136I3G) (procureur) et 41-5 (N° Lexbase : L7676IPY) (juge).
(4) A lire les travaux préparatoires, cette question précise (celle du comment au-delà du pourquoi) n'a pas vraiment intéressé les parlementaires, qui ont simplement perçu dans la possibilité d'ordonner la destruction d'un bien saisi le moyen de faire l'économie de sa conservation.
(5) Cons. n° 2.
(6) Cons. n° 8.
(7) Cf. Cons. const., décision n° 2011-203 QPC du 2 décembre 2011 (N° Lexbase : A0517H3K), puis art. 57 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L7970IUQ).
(8) Cf., supra, le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel du 11 avril 2014.
(9) Autrement dit les "personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3" du Code de procédure pénale (C. proc. pén., art. 77-1-1 N° Lexbase : L3463IGD).
(10) Arrêt "Quertier" du 7 mars 1855.
(11) Cf. par ex. : Cass. civ. 1, 24 octobre 2012, n° 11-20.442, F-P+B+I (N° Lexbase : A8874IU9).
(12) C. civ., art. 1383 (N° Lexbase : L1489ABR).
(13) C. civ., art. 1384, al. 1er, par ex.
(14) Sur tous ces points, cf. par ex. Cass. civ. 2, 14 janvier 1987, n° 85-15.866 (N° Lexbase : A6592AAE) ; Cass. civ. 2, 18 décembre 1995, n° 91-14.785 (N° Lexbase : A6437ABZ).
(15) Ass. plén., 9 mai 1984, 4 arrêts, n° 79-16.612 (N° Lexbase : A7229AYE), n° 80-93.481 (N° Lexbase : A7962AA7), n° 80-14.994 (N° Lexbase : A7722CG4) et n° 80-93.031 (N° Lexbase : A7961AA4).
(16) C. pén., art. 121-3 (N° Lexbase : L2053AMY).
(17) Art. 13.
(18) Ce qui exclut donc la saisine par citation directe de la victime : Cass. crim., 22 mars 1990, n° 89-81.443 (N° Lexbase : A5362CIG).
(19) Sur demande expresse de la partie civile ou de son assureur formulée avant la clôture des débats, ce qui signifie que le tribunal ne peut pas faire application d'office de ces dispositions : Cass. crim., 12 février 1997, n° 96-82.666 (N° Lexbase : A1214ACX).
(20) C. civ., art. 1384, al. 1er ; loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation... Cf. L. Boré, JCl. Procédure pénale, Fasc. 20, Action publique et action civile -action civile exercée devant les tribunaux répressifs- généralités, nos 36 et s..
(21) Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672 (N° Lexbase : A4261DQU) ; JCP, éd. G, 2007, II, 10070, note G. Wiederkehr.
(22) Revirement applicable aux instances nées antérieurement sans violation de l'article 6-1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) : CEDH, 26 mai 2011, L. c/ France, Req. 23228/08 (N° Lexbase : A4634HSG).
(23) Le demandeur mais aussi le défendeur : Cass. civ. 3, 13 février 2008, n° 06-22.093 (N° Lexbase : A9239D4X).
(24) Ass. plén., 21 décembre 2007, n° 06-11.343 (N° Lexbase : A1175D3W).
(25) Autorité "négative" de chose jugée sanctionnée par une fin de non-recevoir.
(26) Cf. en ce sens : Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 06-19.524 (N° Lexbase : A2533DZT) : poursuites contre un médecin pour blessures par imprudence.
(27) Et plus précisément la responsabilité du fait des choses : responsabilité sans faute.
(28) C. trav., art. L. 8221-1 (N° Lexbase : L3589H9S).
(29) C. trav., art. L. 8211-1 (N° Lexbase : L6526IZQ).
(30) Cf. C. trav., art. L. 8224-1 (N° Lexbase : L3622H9Z) et s..
(31) Cass. crim., 16 janvier 2002, n° 99-30.359 (N° Lexbase : A9897AXT), confirmé par Cass. crim., 3 novembre 2005, n° 05-80.949, F-P+F (N° Lexbase : A7626DLZ).
(32) Cf. par ex. Cons. const., décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 (N° Lexbase : A8782ACA).
(33) Cf. A. Coeuret, E. Fortis, Droit pénal du travail, LexisNexis, 5ème éd., 2012, n° 22.

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