La lettre juridique n°436 du 14 avril 2011

La lettre juridique - Édition n°436

Éditorial

Echec au roi : le "délit d'offense au Président" est-il mat pour autant ?

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N9635BRB

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Pourquoi la condamnation, par la Cour européenne des droits de l'Homme, de l'injure grave au roi ou "crime de lèse-majesté" appliqué en Espagne, ne doit pas remettre nécessairement en cause le "délit d'offense au Président de la République" instruit en France ? Le suffrage universel direct : tel est le pilier de notre démocratie qu'il convient de placer au dessus des lois communes et de protéger par une disposition spéciale excluant l'arbitraire.

Le 15 mars 2011, la Cour européenne jugeait contraire à l'article 10 de la Convention la condamnation d'un parlementaire qui avait mis en cause le roi d'Espagne, dans le cadre de violences policières prétendument subies par des journalistes basques. L'affaire ne pouvait être que sulfureuse, puisqu'elle mêlait l'atteinte à la liberté d'expression du parlementaire, l'atteinte à la liberté d'opinion des journalistes suspectés de connivence avec les indépendantistes activistes basques, et l'atteinte à la sûreté et l'unité de l'Etat espagnol sur fond de terrorisme. Heureusement, le cadre d'intervention des juges conventionnels se limitait à un arbitrage savant entre les libertés d'expression et d'opinion et le respect de l'institution monarchique dont le roi est la figure emblématique. Le parlementaire a été condamné, en appel, à un an d'emprisonnement accompagné de la suspension de son droit de suffrage passif pour avoir qualifié Juan Carlos de "véritable honte politique" et l'avoir désigné comme "celui qui protège la torture et qui impose son régime monarchique [...] au moyen de la torture". Pour la Cour européenne, si la protection de la réputation du roi d'Espagne constitue un but légitime, elle note que les propos proférés avaient un lien suffisant avec les allégations de mauvais traitements et qu'elles s'inscrivaient dans le cadre d'un débat plus large portant sur la responsabilité des forces de l'ordre dans des cas de mauvais traitements. Le caractère provocateur des paroles proférées s'inscrivait, dès lors, dans un débat d'intérêt général mettant en cause la responsabilité institutionnelle du roi dans des exactions de torture. Ainsi, la Cour se place volontiers sur le terrain des libertés d'expression et d'opinion et de la disproportion de la sanction prononcée à l'égard du parlementaire jugé, dès lors, polémiste et non séditieux, prenant garde, dans son communiqué, à ne pas remettre directement en cause la loi espagnole condamnant l'injure grave envers le roi, au nom de la surprotection des chefs d'Etat.

D'abord, la Cour prend soin de qualifier le roi d'Espagne d'"homme politique" (§ 51), désacralisant immédiatement le représentant de l'institution monarchique, lui qui répond pourtant au titre de "roi très catholique" depuis Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon. Désacralisé, le roi d'Espagne n'est plus que l'équivalent d'un Deschanel ou d'un Millerand, un Président de la IIIème République sans responsabilité devant le peuple, garant au mieux des institutions démocratiques et de la séparation des pouvoirs, sinon de la floraison des chrysanthèmes. C'est donc un homme politique, certes haut représentant de l'Etat, qui fut le sujet de quolibets et non un roi d'ancien régime. Par conséquent, le débat entre superprotection et liberté d'expression s'avérait plus évident pour les juges de Strasbourg. Et, à tout le moins, les gardiens des droits de l'Homme, héritiers des Lumières, ne pouvaient que faire leurs, la pensée de Montesquieu, dans De l'esprit des lois ("c'est assez que le crime de lèse-majesté soit vague, pour que le gouvernement dégénère en despotisme" et "combien il est dangereux dans les républiques de trop punir le crime de lèse-majesté") et de Beccaria, dans Des délits et des peines ("la tyrannie et l'ignorance ont donné ce nom de lèse-majesté à une foule de délits de nature très différente"). Aussi, bien que neutre dans le débat politique, le roi symbolise l'Etat ; et "le fait que le roi soit irresponsable' en vertu de la Constitution espagnole, notamment sur le plan pénal, ne saurait faire obstacle en soi au libre débat sur son éventuelle responsabilité institutionnelle". Or, la condamnation de l'arbitraire et la désacralisation de la personne du roi renvoient aux oubliettes le "crime de lèse-majesté", tel qu'il fut dévoyé par le pape Innocent III, qui adjoignit à cette infraction une dimension hautement religieuse pour condamner l'hérésie et favorisa, ainsi, l'arbitraire contre la liberté d'opinion, moins politique, que religieuse. C'est ce "crime de lèse-majesté"-ci que la Cour condamne, allant jusqu'à estimer que des propos mettant en cause le principe monarchique en l'Espagne -le parlementaire requérant estimant que le régime monarchiste assurait sa perduration par la violence et la torture, l'assimilant à un régime despotique- entrent dans le cadre du débat libre d'intérêt général.

A l'inverse, le "délit d'offense au Président de la République" n'est pas, contrairement à ce que d'aucuns parlementaires français pensent, à l'image de cette proposition de loi visant à le supprimer déposée au bureau de Sénat, le 19 novembre 2008, une réminiscence du "crime de lèse-majesté" supprimé en 1832 (par la monarchie de Juillet donc) et réintroduit, sous sa forme actuelle, par la IIIème République. Pour être précis, c'est toujours l'article 26 de la loi de 1881 qui prévoit ce "délit d'offense au Président de la République" puni d'une amende, désormais, d'un montant de 45 000 euros, mais ce délit a changé de fondement. En 1881, la République était mal assise et attendait la défection du comte de Chambord/Henri V pour asseoir sa légitimité et perdurer. Le délit, aujourd'hui parfois contesté, était proprement l'avatar de la lèse-majesté. Mais, en 1962, l'introduction du suffrage universel direct pour l'élection du Président de la République entraîne le rattachement du délit d'offense, non plus à l'arbitraire décrétale de 1199 d'Innocent III, mais à la "loi de majesté" de Cicéron, à la République romaine. Cette "loi de majesté" condamnait l'atteinte au bien publique et à la majesté suprême du peuple, dont le bien le plus précieux et l'expression de son suffrage. C'est du moins de cette manière que le Président De Gaulle l'entendait, lui qui intenta plus 500 procès sur ce fondement, aux heures noires de la République menacée par les putschs.

Certes, dans son arrêt "Colombani", du 25 juin 2002, la Cour relevait que "le délit d'offense tend à conférer aux chefs d'Etat un statut exorbitant du droit commun, les soustrayant à la critique seulement en raison de leur fonction ou statut, sans aucune prise en compte de l'intérêt de la critique". Et, elle ajoutait que "cela [revenait] à conférer aux chefs d'Etat étrangers un privilège exorbitant qui ne saurait se concilier avec la pratique et les conceptions politiques d'aujourd'hui". Et, la France d'abroger ce délit d'offense envers les chefs d'Etat étrangers, à travers la loi "Perben II" du 9 mars 2004. Mais, il s'agit, désormais, de protéger la personne incarnant le plus haut degré démocratique en France, à travers le suffrage universel et non les Présidents Idriss Déby, Denis Sassou Nguesso et Omar Bongo !

Alors, quid du recours aux instances conventionnelles internationales de Hervé Eon, qui brandit, lors d'une visite présidentielle à Laval, une pancarte avec le slogan "Casse-toi, pov' con", en référence à la prose fleurie du Président français ? En effet, le délinquant a été condamné par le tribunal correctionnel, la cour d'appel d'Angers et la Cour de cassation à une peine symbolique de 30 euros avec sursis ; condamnation qu'il entend contester auprès de la Cour européenne. Mais, il est probable que le sort du Président français diffère de celui de Juan Carlos, "bouclier humain contre le franquisme" en 1981, père de la démocratie moderne espagnole. La mise en oeuvre du délit d'offense en France a non seulement entraîné une condamnation symbolique, mais l'offense ne contrevient pas particulièrement au débat d'intérêt général. Il ne s'agissait, pour le sieur Eon, de manière peu chevaleresque mais avec une certaine effronterie, de marquer son opposition à la politique générale du Président et non singulièrement et de manière non équivoque à l'une de ses actions ou responsabilités.

Et, elle serait sage de ne pas déboulonner la "statut du commandeur" de tous les chefs d'Etat, en tant qu'institution démocratique, sauf à favoriser l'affaissement du politique, l'avènement de l'invective et la consécration des politiques, tant craints par Weber. Ce faisant, la Cour, dans sa sagesse, consacrerait le principe de lèse-majesté dans sa téléologie républicaine et démocratique pour ne sanctionner que sa conception monarchiste absolue. Il est seulement étrange que le roi le plus démocratique soit victime de cet élagage et que le Président d'une monarchie républicaine en soit exsangue.

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Avocats/Honoraires

[Chronique] Chronique d'actualité relative aux honoraires d'avocat - Avril 2011

Lecture: 13 min

N9669BRK

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par Samantha Gruosso, avocat au barreau de Paris

Le 24 Octobre 2014

Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité relative aux honoraires d'avocat, rédigée par Samantha Gruosso, avocat au barreau de Paris. Trois intéressantes décisions sont mises en évidence. La première, rendue par la Cour de cassation le 17 février 2011, rappelle les règles relatives à la contestation d'honoraires (Cass. civ. 2, 17 février 2011, n° 09-13.209, P+B sur le premier moyen). La deuxième, rendue par la même formation le même jour, énonce que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale condamné aux dépens est dispensé de rembourser au Trésor public les sommes exposées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle accordée par son adversaire (Cass. civ. 2, 17 février 2011, n° 10-12.174, F-P+B). Enfin, l'auteur de cette chronique a choisi de s'arrêter sur une troisième décision, rendue par la cour d'appel de Nîmes le 4 janvier 2011, qui rappelle que l'avocat n'a pas vocation à redevenir dépositaire des fonds qui lui ont été remis par ou pour son client (CA Nîmes, 1ère ch., sect. A, 4 janvier 2011, n° 09/04039).
  • Contestation d'honoraires : la Cour de cassation rappelle les règles (Cass. civ. 2, 17 février 2011, n° 09-13.209, P+B sur le premier moyen N° Lexbase : A2173GXR)

C'est la jurisprudence qui a posé les conditions de validité en matière d'honoraire complémentaire de résultat.

Elle a notamment précisé la notion de résultat.

A cet égard, il est nécessaire que la convention insère une définition précise du résultat envisagé, sous peine de non application de l'honoraire complémentaire de résultat (CA Paris, ord., 17 février 1999, Rec. jurispr., 1er septembre 2001, M. Barreau). Surtout, l'honoraire de résultat obtenu doit avoir un caractère définitif, ce qui n'est pas le cas lorsque : "la faculté d'exécution d'une décision d'expropriation susceptible de voie de recours n'interdit nullement une modification et notamment une réduction du montant de l'indemnité en appel". Elle ne permet donc pas à un avocat de soutenir que sa créance est liquide et exigible (CA. Paris, 3 mai 1995, Rec. jurispr., 1er septembre 2001, M. Barreau). Ainsi, l'honoraire de résultat ne se comprend qu'après un résultat définitif (Cass. civ. 2, 28 juin 2007, n° 06-11.171, FS-P+B N° Lexbase : A9419DWR).

Dans son arrêt rendu le 17 février 2011, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient rappeler ce principe.

En l'espèce, Mme R. a confié la défense des intérêts de son fils mineur à Maître B., avocat au barreau de Bordeaux, pour une action en responsabilité à l'encontre de la clinique Saint Martin, du médecin accoucheur et de la sage-femme à la suite de la naissance de son fils, M. R., né le 14 octobre 1982 dans des conditions difficiles ayant entraîné des séquelles extrêmement importantes.

Maître B. est intervenu dans le cadre de plusieurs instances judiciaires pour le compte personnel de Mme R. et de leur enfant de 1990 à juillet 2003.

Une convention d'honoraires a été signée le 17 février 1990 entre Maître B. et Mme R. agissant en son nom et en faveur de son mari et de ses enfants V. et C..

Ladite convention prévoyait notamment la facturation des diligences sur une base horaire de 600 euros HT, frais de courrier et de déplacement en sus et un honoraire de résultat de 10 % auquel Maître B. aura droit en cas de gain ou de perte évitée sur la totalité du résultat quelle que soit la solvabilité de l'adversaire, que la décision de justice soit exécutée ou non, qu'il y ait un recours ou non sur la décision rendue.

Entre temps, M. R., devenu majeur, a payé à Maître B. les honoraires sollicités en application de la convention d'honoraires souscrite par sa mère et a mis fin au mandat de ce dernier.

Il a confié la défense de ses intérêts à un autre avocat et a saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats d'une contestation des honoraires réglés.

Le Bâtonnier a annulé la convention d'honoraires régularisée entre les parties et ordonné la restitution du trop perçu par Maître B. au titre de l'honoraire de résultat. Maître B. a formé un recours contre cette décision.

Par ordonnance rendue le 10 février 2009, le premier président de la cour d'appel de Bordeaux a confirmé la décision du Bâtonnier. Il a ainsi déclaré recevable l'appel incident formé par M. R., annulé la convention d'honoraires signée le 17 février 1990, débouté Maître B. de sa demande au titre des honoraires de résultat et ordonné la restitution de la somme de 55 600,78 euros TTC à titre de trop perçu au titre de l'honoraire de résultat.

Maître B. s'est pourvu en cassation invoquant, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que les deuxième et quatrième moyens n'étaient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi.

S'agissant du premier moyen de cassation, Maître B. fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré recevable le recours incident de M. R. alors que, la décision du Bâtonnier en matière de contestation d'honoraires est susceptible de recours devant le premier président de la cour d'appel, qui est saisi dans un délai d'un mois, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Selon Maître B. aucune disposition légale applicable en cette matière ne prévoit la faculté pour la partie n'ayant pas formé un recours dans les formes et délais de l'article 176 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID) de le faire à titre incident après l'expiration du délai de recours. Or, M. R. a formé un recours incident par voie de conclusions déposées bien plus d'un mois après la décision du Bâtonnier lors de l'audience devant le premier président de la cour d'appel. Maître B. soutient qu'en déclarant un tel recours recevable, le premier président a violé l'article 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

La Cour de cassation a rejeté ce moyen aux motifs que le premier président de la cour d'appel a exactement retenu que l'article 176 du décret 27 novembre 1991 ne vise que le recours principal et, en application des dispositions de l'article 277 du même décret renvoyant aux dispositions de l'article 550 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0372IGU), un recours incident peut être formé même à l'audience, la procédure étant orale, le premier président a donc décidé à bon droit que le recours incident, formé par M. R. dans ses conclusions déposées le 24 décembre 2008 était recevable.

S'agissant du troisième moyen de cassation, Maître B. fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir annulé la convention d'honoraires signée le 17 février 1990 entre lui et Mme R. et de l'avoir débouté de sa demande d'honoraires de résultat. Il soutient que la convention d'honoraires soumise par l'avocat à son client et acceptée par celui-ci fait la loi des parties.

Ainsi, le contrat n'est pas nul du seul fait qu'il contient une clause irrégulière dès lors que cette clause est divisible du reste de la convention et peut être réputée non écrite.

Maître B. ajoute que le premier président de la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) en annulant l'intégralité de la convention d'honoraires au motif qu'elle contenait une mention illicite sur le paiement des honoraires malgré l'absence d'exécution de la décision et de son caractère définitif, cette clause étant détachable du reste de la convention et pouvant être écartée sans entacher la validité de l'ensemble de la convention.

Cependant, il est de jurisprudence bien établie et précitée que l'honoraire de résultat ne peut être perçu qu'en présence d'une décision irrévocable ayant force de chose jugée et après qu'elle fut mise en exécution.

Or, la convention d'honoraires régularisée entre les parties le 17 février 1990 qui prévoit un honoraire de résultat malgré l'absence d'exécution de la décision et de son caractère définitif ne respecte pas ces conditions.

Cette convention est donc entachée de nullité et doit être annulée.

C'est dans ces conditions que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par Maître B. aux motifs que "la clause prévoyant un honoraire de résultat en l'absence de toute décision ayant un caractère définitif était nulle, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation du caractère déterminant de cette clause que le premier président a décidé que la convention d'honoraires était nulle en son entier".

Ainsi, par cet arrêt la Cour de cassation réaffirme également le principe selon lequel bien que la convention d'honoraires soit la loi des parties, son existence n'exclut pas sa révision par le juge qui garde un pouvoir de rééquilibrage judiciaire de la convention (Cass. civ. 1, 3 mars 1998, n° 95-15.799 N° Lexbase : A1902ACG ; Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-14.633, FS-P+B N° Lexbase : A0828DXX ; Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 07-13.268, FS-P+B N° Lexbase : A7403ENI).

  • Le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale condamné aux dépens est dispensé de rembourser au Trésor public les sommes exposées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle accordée par son adversaire (Cass. civ.2, 17 février 2011, n° 10-12.174, F-P+B N° Lexbase : A2227GXR)

L'accès à l'aide juridictionnelle concerne les personnes dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice. Cette aide peut être totale ou partielle. Elle concerne tous les frais afférents aux instances, procédures ou actes pour lesquels elle a été accordée. Le bénéficiaire de l'aide est, à compter de la demande, dispensé du paiement de l'avance ou de la consignation de ces frais. Néanmoins, le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, totale ou partielle, peut demander au juge de condamner son adversaire à lui verser une indemnité au titre des frais irrépétibles. La partie tenue aux dépens ou la partie perdante peut ainsi être condamnée par le juge à une indemnité au titre des frais irrépétibles engagés par l'autre partie.

Cette condamnation est prévue par l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6906H7W) et par l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 (N° Lexbase : L8607BBE), pendant de l'article 700 en matière d'aide juridictionnelle.

Dans un arrêt rendu le 26 avril 1984, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rappelée cette possibilité et a précisé que pour être indemnisé, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, les frais dont il est demandé le remboursement doivent être distincts de ceux pris en compte au titre de l'aide juridictionnelle (Cass. civ. 3, 26 avril 1984, n° 82-12.682 N° Lexbase : A0203AAR).

Ainsi, lorsque le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle est condamné aux dépens ou perd son procès, celui-ci prend exclusivement en charge les dépens exposés par son adversaire, sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991.

Dans ces conditions, le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale ne peut être tenu de rembourser au Trésor Public les sommes exposées par l'Etat.

Dans son arrêt rendu le 17 février 2011, la Cour de cassation fait une parfaite application de ce principe en considérant que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, condamné aux dépens, est dispensé du remboursement au Trésor Public des sommes exposées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle accordée à son adversaire.

En l'espèce, une ordonnance a été rendue le 23 octobre 2008 par le premier président de la cour d'appel de Poitiers mettant à la charge de Mme D., épouse K., les frais exposés par l'Etat en exécution d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Poitiers le 10 janvier 2006 sur le fondement des dispositions de l'article 44 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ainsi que sur les articles 124 à 128 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 (N° Lexbase : L0627ATE).

Dans le cadre de cette instance, Mme D. avait formé opposition contre l'état de recouvrement des frais et dépens d'un montant de 706,09 euros, qui lui avait été notifié le 17 avril 2008 à la suite de l'arrêt rendu le 10 janvier 2006 sur la base des dispositions de l'article 123 du décret n° 91-1266 qui dispose que : "l'adversaire du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle condamné aux dépens et qui ne bénéficie par lui-même de l'aide juridictionnelle est tenu, sauf dispense totale ou partielle accordée par le juge, de rembourser au Trésor, dans la proportion des dépens mis à sa charge, les sommes avancées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle".

Mme D. s'est pourvue en cassation. A l'appui de son pourvoi, elle invoque un moyen unique de cassation en reprenant les mêmes arguments que ceux développés lors de son opposition formée à l'encontre de l'arrêt rendu le 10 janvier 2006. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l'ordonnance rendue le 23 octobre et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Bordeaux.

Aux termes de sa décision, la Cour de cassation a considéré que les premiers juges ont violé les articles 42 et 43 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi que l'article 123 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991.

Pour mémoire, l'article 42 de la loi du 10 juillet 1991 dispose que : "lorsque le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle est condamné aux dépens ou perd son procès, il supporte exclusivement la charge des dépens effectivement exposés par son adversaire, sans préjudice de l'application éventuelle des dispositions de l'article 75". Quant à l'article 43 il énonce que : "lorsque la partie condamnée aux dépens ou la partie perdante ne bénéficie pas de l'aide juridictionnelle, elle est tenue de rembourser au Trésor public les sommes exposées par l'Etat, à l'exclusion des frais de justice criminelle, correctionnelle ou de police. Toutefois, pour des considérations tirées de l'équité ou de la situation économique de cette partie, le juge peut la dispenser totalement ou partiellement de ce remboursement".

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation faisant une parfaite application des dispositions précitées a cassé et annulé l'ordonnance rendue le 23 octobre 2008 aux motifs que : "le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale condamné aux dépens est dispensé de rembourser au Trésor Public les sommes exposées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle accordée à son adversaire".

  • L'avocat n'a pas vocation à redevenir dépositaire des fonds qui lui ont été remis par ou pour son client (CA Nîmes, 1ère ch., sect. A, 4 janvier 2011, n° 09/04039 N° Lexbase : A1258GQN)

Dès le début de son activité, l'avocat est titulaire d'un compte à la Caisse autonome de règlement pécuniaire des avocats (CARPA). L'avocat y dépose tous les fonds, reçus d'un client, qui sont associés à un acte professionnel. La compensation entre deux affaires au sein du même cabinet est interdite.

Les fonds sont accompagnés d'un document qui permet d'identifier l'affaire. S'il s'agit d'un virement bancaire, l'avocat communique à son client (ou à l'adversaire) les coordonnées du compte CARPA et les références de l'affaire.

La CARPA procède aux contrôles qui lui sont imposés par la réglementation française, notamment liés à la prévention du blanchiment d'argent. L'avocat reste le gestionnaire de son dossier mais la CARPA peut, toutefois, bloquer toute opération dont elle n'a pas de justifications suffisantes.

En cas de difficultés persistantes, la CARPA saisit le Bâtonnier de l'Ordre des avocats en charge du respect de la déontologie et de la discipline par l'avocat.

La CARPA veille sur toutes les entrées et sorties de fonds, notamment en application du principe selon lequel il ne peut y avoir de solde débiteur dans une affaire.

A la fin d'une procédure, d'une mission d'assistance à cession d'entreprise ou d'un séquestre amiable quelconque, les fonds détenus par l'avocat sur son compte CARPA appartiennent dans leur intégralité à son client, éventuellement à son adversaire ou à des tiers créanciers mais en aucune façon à lui-même.

Il ne peut en disposer librement et ne peut s'autoriser lui-même à prélever quelque somme que ce soit.

Dans son arrêt rendu le 4 janvier 2011, la première chambre civile de la cour d'appel de Nîmes a rappelé les règles applicables en matière de fonds détenus par l'avocat sur son compte CARPA.

En l'espèce, une SCP d'avocats, sur la base "relevé des affaires stagnantes non soldées" et se prévalant de la prescription acquise, a sollicité auprès de la CARPA de son barreau de lui reverser diverses sommes qu'elle avait déposées pour le compte de son client. Celle-ci s'est heurtée au refus de la Caisse qu'elle a fait assigner aux mêmes fins devant le tribunal de grande instance de Nîmes. Par jugement rendu le 21 septembre 2009 par le TGI de Nîmes, la SCP d'avocats a été déboutée de l'intégralité de ses demandes. Celle-ci a interjeté appel du jugement entrepris et a sollicité la condamnation de la CARPA à payer la somme de 46 445,88 euros avec intérêts au taux légal depuis l'acte introductif d'instance du 19 juin 2008 ainsi que la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code procédure civile et aux entiers dépens. La cour d'appel de Nîmes a confirmé le jugement rendu le 21 septembre 2009 en se fondant sur les articles 240 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat et l'alinéa 3 de l'article 15 de l'arrêté ministériel du 5 juillet 1996, fixant les règles applicables aux dépôts et maniements de fonds, effets ou valeurs reçus par les avocats pour le compte de leurs clients (N° Lexbase : L3456IPP).

L'article 240 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 dispose que : "les fonds, effets ou valeurs reçus par les avocats sont déposés à un compte ouvert au nom de la caisse des règlements pécuniaires des avocats dans les écritures d'un banque ou de la caisse des dépôts et consignations".

L'alinéa 3 de l'article 15 de l'arrêté ministériel du 5 juillet 1996 dispose que : "si les fonds déposés au titre d'une affaire ne peuvent être remis au bénéficiaire, l'avocat en informe la caisse des règlements pécuniaires des avocats.
La caisse doit enregistrer ces fonds sur un compte spécial.
Les fonds restent à la disposition de l'intéressé ou de tout ayant droit jusqu'à prescription".

La cour d'appel de Nîmes rappelle que, dans le cadre d'un dépôt obligatoire et tant que l'état de l'affaire le justifie, seule la CARPA peut être dépositaire des fonds.

Ainsi, en application des dispositions de l'article 240 du décret du 27 novembre 1991, l'avocat n'a pas vocation à redevenir dépositaire des fonds qui lui ont été remis par ou pour le compte de son client.

En l'espèce, la SCP d'avocats a tenté de se prévaloir de la prescription acquise pour obtenir la remise des fonds déposés sur son compte CARPA pour le compte de son client.

Or, la cour précise que la prescription à laquelle l'article 15 fait référence est celle qui s'applique au litige à raison duquel l'avocat a reçu les fonds déposés et se situe dans les seuls rapports entre son client et le ou les contradicteurs et celui-ci.

Elle ajoute que : "hors instruction du juge ou celle du client si celui-ci a recouvré la plénitude de ses droits sur les fonds par lui remis, l'avocat ne peut entrer en possession des fonds obligatoirement confiés à la CARPA, quand bien même la prescription serait acquise".

Ainsi, les fonds non attribuables restent sous la responsabilité de la CARPA sauf décision contraire du juge ou instruction du client.

En aucun cas, l'avocat ne peut prétendre entrer en possession des fonds, qui restent enregistrés sur un compte spécial de la CARPA dans l'attente d'une décision judiciaire ou d'instructions du client autorisant le déblocage des fonds à son bénéfice.

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Communautaire

[Doctrine] Chronique de droit communautaire - avril 2011

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N9745BRD

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 03 Novembre 2011

Ces dernières semaines la Cour de justice s'est prononcée sur des questions récurrentes et a apporté des réponses classiques. Tel est le cas lorsqu'elle rappelle les critères de distinction entre les marchés publics et les concessions de service publics (CJUE, 10 mars 2011, aff. C-274/09). Elle peut, également, se trouver confrontée à des problèmes inédits et imposer de nouvelles contraintes aux systèmes juridiques nationaux par la simple application des principes traditionnels de sa jurisprudence. Elle a eu, ainsi, à connaître de la compatibilité avec la liberté d'établissement d'une réglementation de la communauté autonome de Catalogne relative à l'urbanisme commercial (CJUE, 24 mars 2011, aff. C-400/08). Elle peut, enfin, se prononcer sur des questions nouvelles et apporter des réponses sinon révolutionnaires du moins très innovantes. Elle admet donc qu'un ressortissant d'un Etat tiers dispose d'un droit au séjour lorsqu'il est le parent d'un mineur qui a la qualité de citoyen européen (CJUE, 8 mars 2011, aff. C-34/09).
  • La distinction entre marché public et concession de service public (CJUE, 10 mars 2011, aff. C-274/09 N° Lexbase : A3226G7M)

Dans l'arrêt ici commenté, la Cour de justice rappelle que, pour distinguer un marché public d'une concession de service public, tels qu'ils sont définis par la Directive (CE) 2004/18 du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU), deux éléments cumulatifs doivent être pris en compte : le mode de rémunération du cocontractant (A) et la charge du risque lié à l'exploitation du service en question (B).

A - Le mode de rémunération du cocontractant

La Cour de justice rappelle qu'il résulte de la Directive (CE) 2004/18 que la différence entre un marché public de services et une concession de services réside dans la contrepartie de la prestation de services. En effet, "le marché de services comporte une contrepartie qui, sans pour autant être la seule, est payée directement par le pouvoir adjudicateur au prestataire de services [...] alors que, dans le cas d'une concession de services, la contrepartie de la prestation de services consiste dans le droit d'exploiter le service, soit seul, soit assorti d'un prix" (1).

Or dans cette affaire, qui concerne la fourniture de service de secours à la population, le montant des droits d'utilisation prévu pour cette prestation de services de secours est convenu entre l'organisme de Sécurité sociale et le prestataire de services retenu par la collectivité territoriale adjudicatrice. En outre, le prestataire de services retenu perçoit ses droits auprès d'un bureau central de règlement, qui est désigné par le ministère de l'Intérieur bavarois, aux services duquel il est légalement tenu de recourir. Ce bureau transfère au prestataire de services une rémunération sous forme d'acomptes hebdomadaires ou mensuels, sur la base d'une rémunération globale annuelle calculée à l'avance indépendamment du nombre d'interventions réellement effectuées. Si un découvert apparaît en fin d'année, il fera l'objet de négociations. Dès lors, le prix n'est pas fixé par le pouvoir adjudicateur et le prix de la prestation n'est pas payé par les usagers.

Pour la Cour, le point déterminant est le paiement par un tiers et non pas par le pouvoir adjudicateur. La solution n'en demeure pas moins originale car, ici, ce n'est pas directement l'usager qui paye le prestataire, mais une autre personne juridique qui est, en l'occurrence, un organisme de Sécurité sociale. La Cour admet, ainsi, qu'il peut y avoir concession même dans les hypothèses où le prix n'est pas payé par l'usager lui-même. Restait, alors, à examiner si le risque de l'exploitation reposait bien sur les entreprises concessionnaires.

B - La charge du risque de l'exploitation

Il s'agit ici d'apprécier si le risque, même très limité, lié à l'exploitation a été transféré au concessionnaire par le pouvoir adjudicateur. Dans cette affaire, il apparaît que le groupement de communes en cause avait transféré aux prestataires l'intégralité de l'exécution technique, administrative et financière des prestations de services de secours pour une durée de plusieurs années. Toutefois, le risque économique lié à l'exploitation d'un tel service est, par nature, limité. La Cour de justice, de manière fort intéressante, énonce alors les différentes formes que peut recouvrir ce risque économique. Il comprend "le risque d'exposition aux aléas du marché [...] lequel peut se traduire par le risque de concurrence de la part d'autres opérateurs, le risque d'une inadéquation entre l'offre et la demande de services, le risque d'insolvabilité des débiteurs du prix des services fournis, le risque d'absence de couverture intégrale des dépenses d'exploitation par les recettes, ou encore le risque de responsabilité d'un préjudice lié à un manquement dans le service" (2). En revanche, elle estime que "des risques tels que ceux liés à une mauvaise gestion ou à des erreurs d'appréciation de l'opérateur économique ne sont pas déterminants aux fins de qualifier un contrat de marché public ou de concession de services, de tels risques étant, en effet, inhérents à tout contrat, que celui-ci corresponde à un marché public de services ou à une concession de services" (3).

En l'espèce, les droits d'utilisation sont déterminés, annuellement, par voie de convention avec les organismes de Sécurité sociale. Le prestataire risque donc de se trouver confronté à de nouvelles contraintes imposées pendant la durée du contrat et qui n'étaient donc pas nécessairement toutes prévisibles au moment de sa conclusion. Or, il paraît très difficile pour le prestataire de résilier le contrat avant son échéance. En outre, les coûts prévisionnels et les coûts réels peuvent différer car il n'est pas possible d'exclure qu'il y ait des fluctuations de l'activité. Par ailleurs, 10 % du service est payé par les usagers eux-mêmes lorsqu'ils ne sont pas couverts par la Sécurité sociale. Il y a donc un risque d'insolvabilité. Enfin, le pouvoir adjudicateur avait, en l'espèce, confié ce service à deux entreprises distinctes, il existait donc un certain degré de concurrence. Le contrat doit donc être qualifié de concession.

  • Le droit de l'urbanisme commercial à l'épreuve du droit du marché intérieur (CJUE, 24 mars 2011, aff. C-400/08 N° Lexbase : A4673HG8)

Afin de se prononcer sur l'existence d'un manquement commis par le royaume d'Espagne en raison de la réglementation de la communauté autonome de Catalogne relative à l'urbanisme commercial, la Cour de justice devait se prononcer sur l'existence d'une restriction à la liberté d'établissement (A), puis examiner si cette entrave était susceptible d'être justifiée par des exigences impérieuses d'intérêt général (B).

A - L'existence d'une entrave

La Cour de justice examine, d'abord, si la réglementation constitue une discrimination indirecte. En effet, cette réglementation ne contient aucun critère de distinction en fonction de la nationalité de l'entreprise, mais la Commission estimait qu'elle produisait des effets discriminatoires. En effet, elle soutenait que la réglementation catalane était particulièrement sévère pour les établissements de grande taille (hypermarchés), et que cette distinction induisait un avantage pour les opérateurs économiques espagnols au détriment des opérateurs d'un autre Etat membre de l'Union et, en l'occurrence, probablement aux entreprises françaises qui sont très présentes sur le marché espagnol de la grande distribution. La Cour de justice estime, toutefois, que la Commission n'a pas apporté de preuves suffisantes à l'appui de ses allégations.

Dans ses conclusions, l'Avocat général E. Sharpston avait parfaitement démontré que seuls certains aspects de la réglementation catalane avaient pour effet de défavoriser les très grands établissements commerciaux par rapport aux établissements de petite et moyenne dimension. Ensuite, il est admis que les opérateurs étrangers contrôlent en Catalogne la majorité des grands établissements, alors que ceux de taille inférieure sont contrôlés par les espagnols. Mais il n'est pas possible d'en déduire que les opérateurs étrangers préfèrent les grands établissements, et les opérateurs espagnols les établissements commerciaux plus petits. Une simple coïncidence n'est pas suffisante pour construire un lien de causalité. Dans la mesure où la Commission n'apportait aucun autre élément, la Cour ne pouvait que constater que la réglementation n'était pas indirectement discriminatoire.

La Cour rappelle, toutefois, que, "selon une jurisprudence constante, l'article 43 CE [devenu article 49 TFUE] (N° Lexbase : L2697IPL) s'oppose à toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice, par les citoyens de l'Union, de la liberté d'établissement garantie par le Traité" (4). Cette extension de la jurisprudence "Cassis de Dijon" (5) à la liberté d'établissement est désormais ancienne (6).

Sans entrer dans les détails de la réglementation catalane, la Cour rappelle simplement que constitue bien une entrave "une réglementation nationale qui subordonne l'établissement d'une entreprise d'un autre État membre à la délivrance d'une autorisation préalable, car celle-ci est susceptible de gêner l'exercice, par une telle entreprise, de la liberté d'établissement en l'empêchant d'exercer librement ses activités par l'intermédiaire d'un établissement stable" (7). On rappellera, d'ailleurs, que, selon l'article 9, paragraphe 1, b) de la Directive (CE) 2006/123 du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4), "la nécessité d'un régime d'autorisation est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général". C'est, ainsi, considérer qu'un régime d'autorisation est en soi une restriction à la liberté d'établissement. La plus grande difficulté résidait donc dans les possibles justifications de cette restriction.

B - Les justifications de l'entrave

La Commission soutenait que la réglementation catalane ne visait qu'à protéger le petit commerce et qu'elle poursuivait donc un objectif purement économique, qui ne pouvait donc être considéré comme une exigence impérative d'intérêt général (8). L'Espagne faisait, en revanche, valoir que cette réglementation pouvait se réclamer de la protection des consommateurs, de la protection de l'environnement et de l'aménagement du territoire, qui ont effectivement été considérés comme des exigences impératives par la Cour de justice (9). La Cour rappelle ensuite, de manière fort intéressante, que, "s'il incombe à l'Etat membre invoquant une raison impérieuse d'intérêt général pour justifier une restriction à une liberté de circulation de démontrer que sa réglementation est appropriée et nécessaire pour atteindre l'objectif légitime poursuivi, cette charge de la preuve ne saurait aller jusqu'à exiger que cet Etat membre démontre, de manière positive, qu'aucune autre mesure imaginable ne permet de réaliser ledit objectif dans les mêmes conditions" (10). Elle va donc, pour chacun des aspects de la réglementation en cause, examiner s'il est nécessaire.

La réglementation vise, d'abord, à limiter les emplacements et la taille des établissements de type "hypermarché". Pour la Cour, de telles limitations visent bien des objectifs de protection de l'environnement et d'aménagement du territoire, mais elle estime que l'Espagne n'a pas démontré en quoi elles permettaient effectivement de répondre à ces impératifs. Elle met, ensuite, en place un système d'autorisation spécifique à l'égard des grands établissements. La Cour estime qu'un régime d'autorisation est seul capable de protéger l'environnement. A cet égard, il n'y a pas de violation du droit de l'Union. En revanche, l'obligation de prendre en compte, pour la délivrance d'une telle autorisation, l'existence d'un équipement commercial dans la zone concernée, ainsi que les effets de cette nouvelle implantation sur la structure commerciale de cette zone répond à un objectif purement économique et n'est donc pas justifié. Il en va de même de l'obligation, dans le cadre de la procédure de délivrance de cette autorisation, d'établir un rapport sur le degré d'implantation et l'incidence sur le commerce de détail.

Pour ce qui concerne l'obligation de consultation du tribunal de défense de la concurrence, la Cour considère que, dans la mesure où il s'agit simplement d'une question procédurale et que la décision de cet organisme est non contraignante, cette exigence est justifiée au regard des raisons invoquées par le Royaume d'Espagne. Il en va de même de l'exigence de consultation de la commission des équipements commerciaux. La Cour stigmatise, toutefois, la composition de cette commission. Elle remarque, en effet, que cette commission est composée de représentants des collectivités publiques et du commerce local préexistant. Elle conclut donc qu'"un organisme composé de cette sorte, au sein duquel les intérêts liés tant à la protection de l'environnement qu'à celle des consommateurs ne sont pas représentés, tandis que le sont les concurrents potentiels du demandeur d'autorisation, ne peut constituer un instrument apte à réaliser des objectifs d'aménagement du territoire, de protection de l'environnement et de protection des consommateurs" (11).

La Commission reprochait, également, l'insuffisante précision des critères fixés dans la législation catalane. Il faut, en effet, rappeler que l'article 10, paragraphe 2 d) et g) de la Directive (CE) 2006/123 précise que les critères d'attribution d'une autorisation doivent être "clairs et non ambigus [...] transparents et accessibles". La Cour de justice ne va, toutefois, pas sanctionner sur ce point le droit espagnol. Elle estimait, encore, que le système selon lequel le silence gardé par l'administration vaut décision de rejet était contraire à la liberté d'établissement et qu'il aurait fallu mettre en place un système, estimé plus favorable, selon lequel le silence vaut décision d'acceptation. Là encore, la Cour considère qu'il n'y a pas violation du droit de l'Union. Pour finir, il était reproché l'obligation de payer une taxe à l'administration afin de financer le traitement des demandes d'autorisation. Ce coût, qui est de 0,1 % du coût total du projet, est apparu raisonnable à la Cour de justice. Il ne reste donc plus qu'au législateur français à lire avec attention cet arrêt qui constitue une sorte de vademecum pour les pouvoirs publics nationaux souhaitant intervenir en matière d'urbanisme commercial (12).

  • Le droit de séjour d'un enfant mineur citoyen européen et de ses ascendants, ressortissants d'un Etat tiers (CJUE, 8 mars 2011, aff. C-34/09 N° Lexbase : A8752G4W)

Afin de mesurer précisément l'innovation (B) que constitue l'arrêt ici commenté, il convient de rappeler les faits de l'affaire et la jurisprudence antérieure de la Cour de justice (A).

A - Faits de l'espèce et jurisprudence antérieure de la Cour

Les faits de l'espèce étaient relativement simples. M. X, de nationalité colombienne, après être entré en Belgique, avait demandé, ainsi que son épouse, à bénéficier du statut de réfugié. Ce statut leur ayant été refusé, ils avaient donc fait l'objet d'un ordre de quitter le territoire belge, mais sans possibilité de reconduite en Colombie en raison de l'état de guerre civile que subissait ce pays. Ils ont de nouveau sollicité les autorités belges pour obtenir la régularisation de leur séjour. Ils se sont vus opposer une décision de refus qu'ils ont, sans succès, contesté devant la juridiction administrative. Quelques mois plus tard, Mme X a donné naissance a un enfant, qui, né sur le territoire belge, a la nationalité belge et, en l'absence de démarche particulière de ses parents, n'a pas la nationalité colombienne. Deux ans, plus tard, un autre enfant est né. Ils ont donc demandé à bénéficier d'un droit de séjour sur le territoire de l'Union en leur qualité de parent d'enfants ayant la qualité de citoyen belge.

De tels faits n'étaient pas totalement nouveaux pour la Cour de justice. Dans l'arrêt "Chen" (13), une ressortissante chinoise, séjournant au Royaume-Uni, avait accouché en Irlande du Nord. Or, en vertu de la loi de la République d'Irlande, toute personne née sur le territoire de l'île d'Irlande a la nationalité irlandaise. Dès lors, l'enfant était de nationalité irlandaise et, par là même, avait la qualité de citoyen européen. La Cour de justice avait estimé que, dans la mesure où l'enfant avait la citoyenneté européenne, il disposait d'un droit à la libre circulation dans l'Union, comme ses ascendants dont il était à charge. Cette personne disposait, ainsi, grâce à son enfant de nationalité irlandaise, d'un droit de séjour sur le territoire du Royaume-Uni. Les faits de l'affaire "Chen" se distinguaient, toutefois, des faits de l'affaire du 8 mars 2011. Dans l'affaire "Chen", le droit au séjour au Royaume-Uni découlait de l'exercice de la liberté de circulation de l'enfant irlandais vers le territoire du Royaume-Uni. Dans la présente affaire, en revanche, il n'y avait aucun élément circulatoire. La situation n'était affectée d'aucun élément d'extranéité, tous les éléments de la situation en cause pouvaient être rattachés, en apparence du moins, à un seul et même ordre juridique.

B - Innovation ?

Le Royaume de Belgique, les huit Etats membres, dont la France, intervenant à la procédure, ainsi que la Commission européenne, avait estimé qu'il s'agissait d'une situation purement interne à l'égard de laquelle le droit de l'Union n'était pas applicable. L'Avocat général Sharpston, avait, dans ses conclusions, contesté ce point de vue de manière très circonstanciée et convaincante. Sans qu'il soit besoin de revenir sur ces arguments, on rappellera que la jurisprudence de la Cour de justice relative aux situations purement internes n'est pas toujours très rigoureuse, et qu'elle a une conception très extensive de la circulation entrant dans le champ d'application du Traité. Mais tous ces éléments, quel que soit, par ailleurs, leur intérêt pratique ou intellectuel ne sont pas ici d'une grande importance, car ils ne sont pas évoqués par l'arrêt de la Cour, dont la principale caractéristique n'est pas l'abondance de la motivation.

La Cour affirme laconiquement que "l'article 20 TFUE (N° Lexbase : L2507IPK) s'oppose à des mesures nationales ayant pour effet de priver les citoyens de l'Union de la jouissance effective de l'essentiel des droits conférés par leur statut de citoyen de l'Union" (14). Elle apprécie alors in concreto la situation des enfants, citoyens européens. Elle estime logiquement que "le refus de séjour opposé à une personne, ressortissant d'un Etat tiers, dans l'Etat membre où résident ses enfants en bas âge, ressortissants dudit Etat membre, dont elle assume la charge, ainsi que le refus d'octroyer à cette personne un permis de travail auront un tel effet" . Elle considère "qu'un tel refus de séjour aura pour conséquence que lesdits enfants, citoyens de l'Union, se verront obligés de quitter le territoire de l'Union pour accompagner leurs parents. De la même manière, si un permis de travail n'est pas octroyé à une telle personne, celle-ci risque de ne pas disposer de ressources nécessaires pour subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille, ce qui aurait, également, pour conséquence que ses enfants, citoyens de l'Union, se verraient obligés de quitter le territoire de celle-ci. Dans de telles conditions, lesdits citoyens de l'Union seront, de fait, dans l'impossibilité d'exercer l'essentiel des droits conférés par leur statut de citoyen de l'Union" (16).

Autrement dit, si les parents X ne se voient pas reconnaître un droit de séjour en Belgique, les enfants ne pourront plus séjourner en Belgique. Ces derniers se verront donc priver d'un droit fondamental attaché à la qualité de citoyen européen qui est le droit de séjourner librement sur le territoire des Etats membres de l'Union.

L'examen de la situation des enfants X comme une situation purement interne reposait sur une mauvaise appréhension de ce phénomène. Les situations purement internes sont, en effet, toujours des hypothèses dans lesquels il existe une discrimination à rebours : un ressortissant d'un Etat ne peut se prévaloir d'une liberté que lui confère le marché intérieur à l'encontre de son propre Etat, alors que le ressortissant d'un autre Etat, dans une situation comparable, pourrait le faire. Il n'y a, d'ailleurs, discrimination à rebours que face à une entrave indistinctement applicable. Or, la discrimination à rebours ne relève, par nature, pas du champ d'application du droit de l'Union. Ce n'est pas une discrimination en raison de la nationalité au sens du droit de l'Union. En effet, ce principe, dans le cadre du marché intérieur, est, en réalité, une composante du droit à la libre circulation. Avant que la Cour ne s'intéresse aux mesures indistinctement applicables, une entrave était, par nature, considérée comme une discrimination directe ou indirecte. Dès lors, par nature, ce n'est jamais le séjour d'une personne sur son territoire qui est en cause dans une discrimination à rebours, mais l'exercice d'un droit, par ailleurs, conféré aux autres ressortissants de l'Union.

Il en va de même dans le cadre de la citoyenneté. Ce droit à la non-discrimination en raison de la nationalité reconnu aux citoyens européens se distingue des autres droits comme en témoigne sa formulation dans un article 18 TFUE (N° Lexbase : L2484IPP) distinct de l'article 20 TFUE, qui, lui, consacre les autres droits fondamentaux du citoyen européen. La rédaction de cet article 18 FUE est elle-même spécifique : "dans le domaine d'application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu'ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité". Or l'interprétation de la Cour de justice du principe de non-discrimination en raison de la nationalité implique qu'il y ait eu auparavant exercice d'une liberté de circulation. Mais le principe de non-discrimination n'implique pas un droit au séjour puisque ce dernier est par ailleurs garanti par l'article 20 TFUE, il vise à garantir dans le cadre du droit au séjour dans un autre Etat membre un exercice non discriminatoire des droits. Dès lors dans la mesure où le problème face auquel se trouvaient les enfants Zambrano était une question de droit au séjour dans leur propre Etat, l'article 18 TFUE était par nature inapplicable et dès lors, aucun problème de situation purement interne ne pouvait être évoqué. La Cour devait donc se prononcer uniquement au regard de l'article 20 TFUE.

Pour apprécier l'exacte portée de la solution de la Cour, il faut ici rappeler la structure de l'article 20 TFUE : "1. Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un Etat membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. 2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les Traités. Ils ont, entre autres : a) le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres ; b) le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu'aux élections municipales dans l'Etat membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat ; c) le droit de bénéficier, sur le territoire d'un pays tiers où l'Etat membre dont ils sont ressortissants n'est pas représenté, de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout Etat membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ; d) le droit d'adresser des pétitions au Parlement européen, de recourir au médiateur européen, ainsi que le droit de s'adresser aux institutions et aux organes consultatifs de l'Union dans l'une des langues des Traités et de recevoir une réponse dans la même langue. Ces droits s'exercent dans les conditions et limites définies par les Traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci".

Force est de constater que les droits conférés aux littera b), c) et d) ne sont pas subordonnés à l'exercice de la liberté de circulation, mais sont conférés directement aux citoyens européens. Dès lors, l'élément circulatoire n'est pas, en soi, déterminant pour déterminer l'existence des droits attachés à la citoyenneté. La situation des enfants X pose finalement une question d'interprétation du littera a) de l'article 20 TFUE. Au regard de sa rédaction, deux interprétations paraissent possibles : soit le droit de séjourner est une conséquence de la liberté de circulation, soit il s'agit d'un droit autonome qui existe indépendamment de l'exercice préalable de la liberté de circulation. Or, dans la situation des enfants X, la première interprétation a pour conséquence de les priver du droit de séjourner sur le territoire belge. Seule la première interprétation permet, ainsi, de leur assurer un droit de séjour sur le territoire belge, Etat dont ils ont la nationalité.

Dès lors, on ne comprend pas très bien pas pourquoi l'affaire ici commentée n'a pas pu être réglée au regard du seul droit belge et du droit européen des droits de l'Homme. En effet, tout citoyen dispose d'un droit inconditionnel au séjour sur le territoire de l'Etat dont il a la nationalité. Ce principe s'exprime indirectement par l'interdiction d'extrader les nationaux qui est reconnue implicitement par la loi belge du 15 mars 1874, relative à l'extradition, et par l'interdiction d'expulser ses propres ressortissants qui est, notamment, consacrée par l'article 3 du Protocole n° 4 additionnel à la CESDH. Selon cet article, "1. Nul ne peut être expulsé, par voie de mesure individuelle ou collective, du territoire de l'Etat dont il est le ressortissant. 2. Nul ne peut être privé du droit d'entrer sur le territoire de l'Etat dont il est le ressortissant". Il résulte du rapport explicatif de ce protocole que "le mot 'expulsion' doit être compris ici dans le sens générique que lui reconnaît le langage courant ('chasser hors d'un endroit')" (17). Ce protocole a été ratifié par la Belgique le 21 septembre 1970. En toute hypothèse, les enfants X ne pouvaient être "expulsés" de Belgique et, dans la mesure où ils sont mineurs, cela impliquait nécessairement de conférer un titre de séjour à leurs parents.

A n'en pas douter, le véritable apport de la Cour de justice est surtout son pragmatisme qui permet de conclure que le refus de séjour des parents implique de priver les enfants de leur droit au séjour sur le territoire belge. On notera, d'ailleurs, qu'en ce sens, l'article L. 313-11 du Code français de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L6388IGP) permet de délivrer un titre de séjour "vie privée et familiale" aux "ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés du soutien familial nécessaire dans le pays d'origine". Dès lors, si le droit belge et l'interprétation qui en était faite conduisait indirectement à l'expulsion des enfants X, la Cour ne pouvait admettre une telle interprétation du Traité, sauf à méconnaître elle-même le principe selon lequel tout citoyen a le droit de résider sur le territoire de l'Etat dont il a la nationalité.

Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Point n° 24.
(2) Point n° 37.
(3) Point n° 38.
(4) Point n° 63.
(5) CJCE, 20 février 1979, aff. C-120/78 (N° Lexbase : A5743AUA).
(6) CJCE, 31 mars 1993, aff. C-19/92 (N° Lexbase : A0065AWC).
(7) Point n° 65.
(8) Voir, par exemple, CJCE, 28 avril 1998, aff. C-120/95 (N° Lexbase : A0132AWS).
(9) Voir respectivement CJCE, 20 février 1979, aff. C-120/78, précité ; CJCE, 9 juillet 1992, aff. C-2/90 (N° Lexbase : A9960AUG) ; CJCE, 1er juin 1999, aff. C-302/97 (N° Lexbase : A1746AWL).
(10) Point n° 75.
(11) Point n° 111.
(12) Voir la proposition de loi relative à l'urbanisme commercial, adoptée en première lecture par le Sénat le 31 mars 2011.
(13) CJCE, 19 octobre 2004, aff. C-200/02 (N° Lexbase : A6217DDM).
(14) Point n° 42.
(15) Point n° 43.
(16) Point n° 44.
(17) Point n° 21.

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Droit pénal fiscal

[Chronique] Chronique de droit pénal fiscal - Avril 2011

Lecture: 12 min

N9624BRU

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par Christian Lopez, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise

Le 14 Avril 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver la chronique d'actualités en droit pénal fiscal réalisée par Christian Lopez, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise. Cette chronique traite de la possibilité, pour le codébiteur d'une dette douanière, de se prévaloir de la remise accordée par les autorités à un autre codébiteur solidaire (CJUE, 17 février 2011, C-78/10). Elle revient, ensuite, sur deux questions prioritaires de constitutionnalité traitées par le Conseil constitutionnel. La première concerne la conformité à la Constitution de l'article 1729 du CGI, relatif à la majoration de 40 % en cas de mauvaise foi du contribuable (Cons. const., décision n° 2010-103 QPC, 17 mars 2011) ; les deux suivantes concernant la conformité à la Constitution de l'article 1728 du CGI, relatif à la majoration de 80 % en cas d'activité occulte du contribuable et à la majoration de 40 % en cas de retard ou de défaut de dépôt du document requis par une mise en demeure (Cons. const., décision n° 2010-104 QPC et n° 2010-105/106 QPC du 17 mars 2011) I - Procédure : la remise partielle de droits accordée à l'un des codébiteurs lui est personnelle et ne peut profiter à l'ensemble des codébiteurs solidaires (CJUE, 17 février 2011, C-78/10 N° Lexbase : A3774GX3)

A l'initiative de la cour d'appel de Rouen (CA Rouen, 28 janvier 2010, n° 08/02997 N° Lexbase : A2283E9G), la Cour de justice de l'Union européenne a été saisie d'une question préjudicielle portant sur l'étendue d'une remise de droits, accordée partiellement, sur le fondement des articles 213, 233 et 239 du Code des douanes communautaire (N° Lexbase : L6102AUK). Il s'agit, notamment, de savoir si un opérateur économique, codébiteur solidaire d'une dette douanière, peut invoquer, avec succès, une remise de la dette douanière accordée à un autre codébiteur solidaire, et réduire de manière correspondante sa propre dette.

En l'espèce, une société spécialisée dans l'importation et l'exportation de produits forestiers, en particulier le papier et la pâte à bois, se voit confier, par une autre société cliente, des opérations liées au transport, au stockage et au dédouanement de marchandises qu'elle commercialise dans l'Union européenne. La première société, spécialisée dans l'import-export, a chargé un commissionnaire en douanes d'effectuer, pour son compte, les opérations de dédouanement desdites marchandises. Au cours de l'année 2000, les autorités douanières ont procédé à une enquête sur les opérations d'importation de ces marchandises, effectuées au titre des années 1998 et 1999, constatant qu'une partie des marchandises entreposées dans les magasins de la société spécialisée dans l'import-export avait été livrée à la société cliente, sans que les formalités de dédouanement aient été accomplies. Pour ces marchandises, les autorités douanières ont considéré qu'avait été commise l'infraction d'importation sans déclaration. Les autorités douanières ont alors notifié à la société spécialisée dans l'import-export, à la société cliente et au commissionnaire, les infractions qu'elles avaient constatées, et ont réclamé les droits de douane et taxes correspondant aux livraisons de ces marchandises. Elles ont, par la suite, émis des avis de mise en recouvrement à l'encontre de ces trois entreprises, notamment pour paiement des droits de douane. Après avoir subi le rejet d'une demande de remise partielle des droits, la société spécialisée dans l'import-export verra sa demande acceptée par l'autorité douanière.

La question, objet de la présente décision, est de savoir si les articles 213, 233 et 239 du Code des douanes communautaire s'opposent à ce que trouve application le principe de représentation mutuelle des codébiteurs solidaires qui découle, dans certaines conditions, des articles 1200 (N° Lexbase : L1302ABT) et suivants du Code civil. Autrement dit, la société cliente et le commissionnaire peuvent-ils bénéficier de la remise accordée à la société à l'origine de la demande de remise ? C'est dans ce cadre que la cour d'appel de Rouen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante : "les articles 213, 233 et 239 du Code des douanes [...] s'opposent-ils à ce qu'un codébiteur solidaire de la dette douanière, n'ayant pas bénéficié d'une décision de remise de ladite dette, puisse opposer à l'administration chargée du recouvrement la décision de remise, fondée sur l'article 239 [de ce code], que cette dernière a notifiée à un autre codébiteur solidaire afin d'être dispensé du paiement de la dette douanière ?"

La CJUE souligne que, si l'article 233, premier alinéa, du Code des douanes communautaire prévoit l'extinction de la dette douanière en cas de remise du montant des droits, cette disposition ne précise pas si, en cas de pluralité de débiteurs, cette extinction concerne le seul demandeur de la remise, ou si celle-ci s'étend également, et nécessairement, aux autres codébiteurs de la dette. Toutefois, elle précise qu'une interprétation de cette disposition, limitant l'extinction de la dette douanière au seul auteur de la demande de remise, qui apparaît justifiée au regard d'un ensemble d'éléments concordants, et notamment en ce que le texte susvisé prévoit une cause d'extinction de la dette douanière, doit faire l'objet d'une interprétation stricte. En effet, cet article répond à la nécessité de protéger les ressources propres de l'Union (CJUE, 29 avril 2010, C-230/08 N° Lexbase : A7852EWQ). De même, il ressort de la jurisprudence même de la Cour, que les Etats membres ont la possibilité d'adopter des mesures de nature à contribuer efficacement à la mise en oeuvre des objectifs de la réglementation douanière, et en particulier d'assurer le recouvrement effectif de la dette douanière. Les Etats membres peuvent ainsi, dans le respect de ces objectifs, et conformément au principe de proportionnalité, fixer, le cas échéant, des règles précisant les conditions d'application des dispositions prévues par cette réglementation (CJUE, 23 septembre 2004, C-414/02 N° Lexbase : A4113DDP).

Dans ses conclusions, l'avocat général Trstenjak Verica souligne que la question préjudicielle ne porte que sur le rapport entre, d'une part, des codébiteurs solidaires n'ayant pas obtenu de remise et, d'autre part, les autorités douanières françaises. La question ne concerne donc pas le rapport entre les différents débiteurs de la dette douanière. Selon elle, cette distinction est significative car le régime juridique du rapport entre les autorités douanières et les débiteurs de la dette douanière a des effets directs sur les droits de douane, et donc sur les ressources propres de l'Union. Elle souligne que "tout porte à croire que les questions relatives à l'extinction de la dette douanière à l'égard des autorités douanières, et qui touchent donc directement aux ressources propres de l'Union, sont réglées de manière uniforme par le CDC. En revanche, le régime juridique du rapport entre les différents codébiteurs solidaires, notamment la question de savoir dans quelle mesure, dans les rapports internes, chacun d'entre eux sera finalement tenu de la dette douanière, n'a pas d'effet direct sur les ressources propres. Il existe donc, à mon avis, à cet égard, en l'état actuel du droit de l'Union, une latitude plus grande pour les ordres juridiques nationaux".

La CJUE va, ainsi, considérer qu'une décision des autorités douanières de remise partielle au profit d'un débiteur solidairement tenu d'une dette douanière n'emporte pas, automatiquement, d'effet au profit des autres codébiteurs solidaires de cette dette. Les règles du Code des douanes communautaire s'opposent donc à l'application d'une disposition nationale prévoyant de tels effets.

II - Sanctions fiscales

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 17 décembre 2010, par le Conseil d'Etat (CE 9° et 10° s-s-r., 17 décembre 2010, n° 341014 N° Lexbase : A6790GNS, n° 331113 [LXB=A6723GNC ], n° 344316 N° Lexbase : A6798GN4), de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité, relatives à la conformité, aux droits et libertés garantis par la Constitution, de dispositions relatives aux pénalités fiscales. En effet, viennent d'être déclarées conforme à la Constitution les majorations de droits prévues en cas de défaut de déclaration dans les 30 jours suivant la réception d'une mise en demeure ; de découverte d'une activité occulte ; ou d'insuffisances de déclaration commises de mauvaise foi.

A - Présentation des dispositions contestées

  • QPC : conformité à la Constitution de l'article 1729 du CGI, relatif à la majoration de 40 % en cas de mauvaise foi du contribuable (Cons. const., décision n° 2010-103 QPC, 17 mars 2011 N° Lexbase : A8912HC3)

L'article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB), visé dans cette QPC, est attaqué sur sa rédaction issue de la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987 modifiant les procédures fiscales et douanières, dite loi "Aicardi" (N° Lexbase : L9705AUY).

Aux termes de cet article est instituée une majoration de 40 %, due si la mauvaise foi du contribuable est établie. En effet, il est précisé, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2006, que : "lorsque la déclaration ou l'acte mentionnés à l'article 1728 (N° Lexbase : L1715HNT) font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 (N° Lexbase : L1536IPL) et d'une majoration de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie ou 80 % s'il s'est rendu coupable de manoeuvres frauduleuses ou d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU)".

Cet article instaure donc une pénalité fiscale à taux fixe dont on peut se demander si elle respecte les principes de proportionnalité et d'individualisation des peines. Il convient de préciser que cette disposition a fait l'objet de modifications dans le cadre de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités (N° Lexbase : L4620HDH), aboutissant au remplacement des termes "mauvaise foi" par "manquement délibéré".

La mauvaise foi est caractérisée par la réunion, d'une part, d'un élément matériel, l'existence d'une insuffisance de déclaration et, d'autre part, d'un élément intentionnel, le caractère délibéré de cette omission. Les juges du fond apprécient souverainement le caractère intentionnel de l'omission ou de l'insuffisance de déclaration (CE 9° et 8° s-s-r., 29 décembre 1999, n° 148725, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0322B9S).

Selon le requérant, le fait que cet article prévoie une majoration du montant des droits de 40 %, en cas de mauvaise foi du contribuable, porte atteinte aux principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines, qui découlent de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (N° Lexbase : L6813BHS).

  • QPC : conformité à la Constitution de l'article 1728 du CGI, relatif à la majoration de 80 % en cas d'activité occulte du contribuable et à la majoration de 40 % en cas de retard ou de défaut de dépôt du document requis par une mise en demeure (Cons. const., décisions n° 2010-104 QPC N° Lexbase : A8913HC4 et n° 2010-105/106 QPC N° Lexbase : A8914HC7 du 17 mars 2011)

Cette question prioritaire de constitutionnalité est relative à l'article 1728 du CGI, dans sa rédaction issue de la loi n° 99-172 du 30 décembre 1999, de finances pour 2000 (N° Lexbase : L0258AIE), en tant qu'il prévoit une majoration de 40 % en cas de retard ou de défaut de dépôt du document requis par une mise en demeure. Cette même disposition a également fait l'objet d'un examen du Conseil constitutionnel dans sa rédaction issue de la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987, modifiant les procédures fiscales et douanières.

Aux termes de l'article 1728 du CGI, dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2006 :
"1. Lorsqu'une personne, physique ou morale, ou une association, tenue de souscrire une déclaration ou de présenter un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la direction générale des impôts s'abstient de souscrire cette déclaration ou de présenter cet acte dans les délais, le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 10 %.
2. Le décompte de l'intérêt de retard est arrêté soit au dernier jour du mois de la proposition de rectification, soit au dernier jour du mois au cours duquel la déclaration ou l'acte a été déposé.
3. La majoration visée au 1 est portée à :
- 40 % lorsque le document n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure notifiée par pli recommandé d'avoir à le produire dans ce délai ;
- 80 % lorsque le document n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une deuxième mise en demeure notifiée dans les mêmes formes que la première ;
- 80 % en cas de découverte d'une activité occulte".

Selon les requérants, cet article, qui prévoit une majoration du montant des droits de 40 %, en cas de retard ou de défaut de dépôt du document requis par une mise en demeure, porte atteinte aux principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines, qui découlent de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

B - Des dispositions conformes à la Constitution

Toutes les dispositions contestées s'appuyaient sur la méconnaissance des principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen par les majorations en cause.

Aux termes de cet article : "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". Le principe d'individualisation des peines, qui en découle, implique que la majoration des droits, lorsqu'elle constitue une sanction ayant le caractère d'une punition, ne peut être appliquée que si l'administration, sous le contrôle du juge, l'a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.

Il a été souligné que l'article 1729 du CGI, pour assurer l'égalité devant les charges publiques, vise à améliorer la prévention et à renforcer la répression des insuffisances volontaires de déclaration de base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt.

Cet article prévoit, également, une majoration de 80 % si le contribuable s'est rendu coupable de manoeuvres frauduleuses ou d'abus de droit. Il s'agit d'une sanction financière, dont la nature est directement liée à celle de l'infraction, la loi ayant elle-même assuré la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements, sous le contrôle du juge. En effet, ce dernier exerce son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration. Il peut décider, soit de maintenir, soit d'appliquer la majoration effectivement encourue au taux prévu par la loi, soit de ne laisser à la charge du contribuable que des intérêts de retard, s'il estime que l'administration n'établit pas que ce dernier se serait rendu coupable de manoeuvres frauduleuses, ni qu'il aurait agi de mauvaise foi. Il peut ainsi tenir compte de la gravité des agissements commis par le contribuable, et proportionner les pénalités. Sur ces fondements, le juge constitutionnel a considéré que l'article 1729, en son alinéa 1er, était conforme à l'article 8 de la Déclaration de 1789, ne portant aucune atteinte aux droits ou libertés garantis par la Constitution.

Si le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de reconnaître le caractère manifestement disproportionné de certaines sanctions (décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, loi de finances pour 1998 N° Lexbase : A8445ACR ; décision n° 87-237 DC du 30 décembre 1987, loi de finances pour 1988 N° Lexbase : A8160AC9), il ne lui appartient pas de mettre en oeuvre un "pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement" (décision n° 2010-604 DC du 25 février 2010, loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public N° Lexbase : A2529ESH).

Par ailleurs, il convient de souligner qu'au-delà de la décision de 2005 (décision n° 2005-520 DC du 22 juillet 2005, loi précisant le déroulement de l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité N° Lexbase : A1641DKY), avec son rattachement sans ambiguïté du principe d'individualisation des peines à l'article 8 de la DDHC, le Conseil constitutionnel avait eu l'occasion de souligner, implicitement, son rattachement au principe de nécessité des peines (décision n° 78-97 DC du 27 juillet 1978, loi portant réforme de la procédure pénale sur la police judiciaire et le jury d'assises N° Lexbase : A7977ACG ; décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes N° Lexbase : A8028ACC).

Quoiqu'il en soit, la décision du 22 juillet 2005 a été déterminante pour la consécration du principe d'individualisation des peines comme découlant de l'article 8 de la DDHC de 1789. A ce stade, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de sanctionner, en matière fiscale, le caractère automatique de la sanction. En effet, dans le cadre de sa décision du 10 décembre 2010 (Cons. const., décision n° 2010-72/75/82 QPC, du 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7111GMC), il était précisé que "le juge qui prononce une condamnation pour le délit de fraude fiscale est tenu d'ordonner la publication du jugement de condamnation au Journal officiel ; qu'il doit également ordonner l'affichage du jugement ; qu'il ne peut faire varier la durée de cet affichage fixée à trois mois par la disposition contestée ; qu'il ne peut davantage modifier les modalités de cet affichage prévu, d'une part, sur les panneaux réservés à l'affichage des publications officielles de la commune où les contribuables ont leur domicile et, d'autre part, sur la porte extérieure de l'immeuble du ou des établissements professionnels de ces contribuables ; que, s'il peut décider que la publication et l'affichage seront faits de façon intégrale ou par extraits, cette faculté ne saurait, à elle seule, permettre que soit assuré le respect des exigences qui découlent du principe d'individualisation des peines ; que, dès lors, le quatrième alinéa de l'article 1741 du CGI doit être déclaré contraire à la Constitution" (lire nos obs., Chronique de droit pénal fiscal - février 2011, Lexbase Hebdo n° 426, 2 février 2011 - édition fiscale N° Lexbase : N5099BRB).

De cette jurisprudence semble se dégager un premier critère qui émanerait de la qualité de l'autorité décisionnelle de la sanction, à savoir si celle-ci est prononcée par l'administration ou par le juge de l'impôt. Un second critère se dégagerait, portant sur la possibilité, ou non, de varier la peine : d'un côté l'administration a le pouvoir de punir, sans juger, par la seule application des éléments de fait, imposés par la norme elle-même, porteuse des éléments susceptibles de contenir l'individualisation, et de l'autre, le juge ne peut se voir confisquer son pouvoir d'appréciation.

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Avril 2011

Lecture: 16 min

N9647BRQ

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Le 14 Avril 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus par la Cour de cassation. Dans le premier, en date du 15 mars 2011, la Chambre commerciale refuse de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le respect de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, relatif au droit de propriété, par l'action en revendication telle qu'elle est encadrée par l'article L. 624-9, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008. Dans le second arrêt soumis à une large publicité (P+B+I), la même formation statue, le 8 mars 2011, sur la prescription de la substitution en cours d'instance de l'extension-sanction par l'obligation aux dettes sociales.
  • L'action en revendication face à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : confrontation manquée (Cass. com. QPC, 15 mars 2011, n° 10-40.073, FS-P+B N° Lexbase : A6681HDS)

Le propriétaire d'une machine-outil avait donné celle-ci en location à une entreprise ayant ultérieurement fait l'objet, en octobre 2009, d'une procédure de redressement judiciaire convertie quelques mois plus tard en liquidation. A l'expiration du contrat de location, le propriétaire avait tenté de récupérer son matériel, mais en vain dans la mesure où la revendication avait été présentée plus de trois mois après la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective au BODACC. Le propriétaire avait alors demandé la transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 624-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3492ICC), applicable en la cause. Cette QPC était rédigée en ces termes : "l'article L. 624-9 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, porte-t-il atteinte au droit de propriété constitutive d'une violation de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1364A9E)" qui dispose que "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité" ?

Par arrêt en date du 15 mars 2011, la Cour de cassation dit n'y avoir lieu à renvoi de cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Ainsi, nous assistons, avec regret, à une confrontation manquée entre les dispositions de l'article L. 624-9 du Code du commerce et celles de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Pourtant l'importance et la pertinence de la question soulevée méritaient sans doute qu'elle soit portée à la connaissance du Conseil constitutionnel.

Rappelons qu'il résulte des dispositions de l'article L. 624-9 du Code de commerce que "la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure". Cet article comportait, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008, un second alinéa aux termes duquel "pour les biens faisant l'objet d'un contrat en cours au jour de l'ouverture de la procédure, le délai court à partir de la résiliation ou du terme du contrat". La suppression de cet alinéa par l'article 41 de l'ordonnance du 18 décembre 2008 avait conduit à l'irrecevabilité de la demande en revendication du propriétaire dans l'espèce en cause : sa revendication aurait été jugée recevable sous l'empire des dispositions anciennes mais s'avérait tardive sous l'empire des dispositions nouvelles car la revendication n'avait pas été faite dans le délai unifié de trois mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC.

Précisons que cette unification des délais de revendication n'a pas été instaurée dans l'optique de tendre un nouveau piège aux propriétaires mais dans celle de leur assurer une sécurité juridique. Cette sécurité juridique est trouvée dans le fait que le point de départ du délai de revendication est aujourd'hui, en tout état de cause, aisément déterminé : il s'agit de la publication du jugement d'ouverture du BODACC. Au contraire, la détermination de la date de résiliation d'un contrat en cours n'est pas aisée, ce qui pouvait conduire le cocontractant propriétaire à se méprendre sur la date de la résiliation du contrat qui constituait, jusqu'à l'ordonnance de 2008, le point de départ du délai de revendication. En effet, la date de résiliation du contrat est différente selon qu'elle survient par suite d'une absence de réponse à la mise en demeure d'avoir à se prononcer sur le sort du contrat, par suite d'un refus exprès de continuation, par suite du défaut de paiement de la contrepartie du contrat poursuivi ou encore par suite de la renonciation spontanée de l'administrateur... L'unification du délai de présentation de la demande en revendication coupe court à toute hésitation du cocontractant et assèche ainsi un important puit de contentieux (1).

La Chambre commerciale de la Cour de cassation, se focalisant essentiellement sur cette modification apportée à l'article L. 624-9, considère qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel dans la mesure où les dispositions de cet article, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008, "se bornent à unifier le point de départ du délai de l'action en revendication du meuble en le faisant courir, dans tous les cas, à compter de la publication au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales du jugement d'ouverture sous peine de rendre inopposable à la procédure collective le droit de propriété du revendiquant". Il est regrettable que la question ait été conçue étroitement -portant seulement sur le point de départ unifié du délai de revendication- et qu'il en ait donc été apporté une réponse étroite. Pourtant, dans son avis (2), l'avocat général avait relevé que "la critique présente une plus large portée dès lors que le texte qui rétablit l'unicité des délais [de revendication] peut impliquer l'expropriation des propriétaires, sans recours et sans indemnité, alors que l'article 17 précité soumet la régularité de l'atteinte au droit à la 'nécessité publique' et à la 'juste et préalable indemnité'". L'avocat général considérait que "parce que la question prioritaire de constitutionnalité demande de s'interroger sur la constitutionnalité de l'article L. 624-9 dans sa rédaction issue de l'ordonnance de 2008 et que ce texte ne prévoit aucun recours en cas de revendication hors délais, elle nous oblige à faire porter l'examen sur la disposition dans tous ses aspects et pas seulement en ce que l'ordonnance de 2008 a supprimé l'alinéa 2". Hélas, l'appel n'a pas été entendu et l'avis n'a pas été suivi.

C'est en cela que l'on assiste à une confrontation manquée entre l'article L. 624-9 du Code de commerce et l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Cette confrontation était pourtant appelée des voeux de l'avocat général dont l'avis concluait à la transmission de la question au Conseil constitutionnel, "en raison de son sérieux qui mérite le débat".

La Chambre commerciale ne partage pas cet avis et considère, de façon critiquable nous semble-t-il, qu'au contraire, la question ne présente pas de caractère sérieux : elle estime que "les restrictions aux conditions d'exercice du droit de propriété qui peuvent résulter de ce texte répondent à un motif d'intérêt général et n'ont ni pour objet, ni pour effet d'entraîner la privation du droit de propriété ou d'en dénaturer la portée ; que la question posée ne présente donc pas de caractère sérieux au regard des exigences qui s'attachent au principe de valeur constitutionnelle invoqué".

Cette affirmation péremptoire aurait sans doute mérité d'être nuancée.

Certes, la sanction du défaut de revendication n'est pas la perte pure et simple du droit de propriété, lequel n'est donc pas transféré ipso facto au débiteur sous procédure (3). C'est la raison pour laquelle, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR), la Cour de cassation avait considéré que les dispositions de son article 115 "aux termes desquelles la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois à compter du jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire, ne sont pas contraires à celles de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L1625AZ9en ce qu'il protège le droit de propriété, et sont applicables à la revendication exercée par le bailleur sur le bien mobilier faisant l'objet du contrat de location" (4).

La sanction du défaut de revendication est autre : elle consiste en l'inopposabilité (5) à l'égard de la procédure collective (6) du droit de propriété. En théorie donc, l'absence de revendication ne porte pas atteinte au droit de propriété. Cependant, force est de constater que, dans la plupart des procédures collectives -c'est-à-dire, hélas, celles de liquidation judiciaire-, cette inopposabilité du droit de propriété aura des effets équipollents à ceux d'une confiscation du droit de propriété : l'inopposabilité du droit de propriété autorisera le liquidateur à vendre le bien non revendiqué, qui devient alors le gage des créanciers (7). Le tiers aura alors acquis de bonne foi un bien meuble (8) et sera ainsi protégé par l'article 2276 du Code civil (N° Lexbase : L7197IAS) contre toute revendication émanant du précédent propriétaire. Ainsi, alors même que le propriétaire n'est pas consentant, le droit de propriété sur une chose lui appartenant est transféré à une autre personne, ce qui induit nécessairement, in fine, une perte du droit de propriété. Ainsi, dans la majeure partie des cas, l'absence de revendication aura, par ricochet, un effet d'expropriation du propriétaire.

Quid en cas de plan de redressement ou de sauvegarde ? La vente du bien non revendiqué apparaît possible pendant la période d'observation, le produit de la vente étant alors affecté au débiteur sous procédure collective. En revanche, en l'absence de vente du bien pendant la période d'observation, l'absence de revendication ne pourra plus produire d'effet néfaste pour le propriétaire lorsque le débiteur aura obtenu un plan de redressement ou de sauvegarde et qu'il sera donc redevenu in bonis (9). Si le plan de continuation est résolu, l'inopposabilité du droit de propriété à la procédure n'interdira pas au propriétaire de faire déclarer opposable à la seconde procédure son droit de propriété (10). Ainsi, comme l'a relevé l'avocat général, la portée de l'absence de perte de droit de propriété est limitée au cas où le débiteur redevient in bonis. C'est donc bien, comme le souligne l'avis de l'avocat général, à une "quasi expropriation du propriétaire" qu'aboutit l'absence de revendication. C'est la raison pour laquelle il semblerait peut-être opportun que, de façon plus nette (et plus large), soit à nouveau posée la question de la constitutionnalité de l'article L. 624-9 du Code de commerce : l'interprétation de la Cour de cassation qui considère, en liquidation judiciaire, que le bien non revendiqué devient le gage des créanciers de la procédure collective et interdit toute prérogative du propriétaire ne porte-t-elle pas atteinte au droit de propriété constitutionnellement protégé ?

De lege ferenda, nous appelons de nos voeux qu'il soit opéré un aménagement de l'action en revendication. Pour mettre les dispositions de l'article L. 624-9 du Code de commerce à l'abri d'une inconstitutionnalité, il nous semble qu'il faille prévoir, à l'image de ce qui existe en matière de déclaration de créance, une possibilité de relevé de forclusion. Il serait bienvenu que le propriétaire retardataire dispose de la possibilité d'être relevé de forclusion lorsqu'il est lié au débiteur par un contrat en cours au jour du jugement d'ouverture. On pourrait imaginer de prévoir la possibilité pour le créancier de solliciter un relevé de forclusion dans le délai de trois mois à compter de la résiliation ou de l'arrivée à terme du contrat. Cela offrirait au propriétaire un délai d'action aussi long que celui qui existait avant l'ordonnance du 18 décembre 2008. La solution serait cohérente avec l'esprit de l'ordonnance qui, rappelons-le, ne visait pas à sanctionner les propriétaires, mais à leur éviter d'être victimes d'une insécurité juridique.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon

  • La prescription de la substitution en cours d'instance de l'extension-sanction par l'obligation aux dettes sociales (Cass com., 8 mars 2011, n° 09-70714, FS-P+B+I N° Lexbase : A0442G7I)

Les premières difficultés suscitées par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT) ont été liées à l'application de celle-ci dans le temps. On les croyait peut-être toutes réglées. Eh bien, non ! Et rassurons-nous, il y en aura, sans doute, encore bien d'autres.

Le contentieux de l'application de la loi de sauvegarde des entreprises a été alimenté par la question des sanctions. La solution ne peut surprendre. La construction législative s'y prêtait particulièrement. En effet, tout en posant un principe classique en droit des entreprises en difficulté, selon lequel la loi ancienne continue à régir les procédures ouvertes avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, une double série de dérogations était posée : certaines dispositions de la loi nouvelle s'appliquaient immédiatement aux procédures en cours, qui normalement auraient dû être seulement régies par la loi ancienne. En sens inverse, certaines dispositions de la loi ancienne devenaient inapplicables après le 1er janvier 2006 aux procédures pourtant ouvertes sous l'empire du texte ancien.

Et, de fait, le contentieux a été d'ampleur.

Mention spéciale, dans le cadre de ce contentieux lié à l'application de la loi dans le temps, à la suppression des extensions de procédure, soit au titre de la solidarité (C. com., art. L. 624-1, anc. N° Lexbase : L7040AIL), soit sur le fondement des fautes retenu contre des dirigeants fautifs (C. com., art. L. 624-4, anc. N° Lexbase : L7043AIP et L. 624-5, anc. N° Lexbase : L7044AIQ). Aux yeux des dirigeants poursuivis en extension-sanction, l'opportunité d'échapper à toute sanction est apparue. Et, logiquement, les plaideurs se sont ingéniés à trouver des arguments. De leur côté, les mandataires de justice, pris "de cours législatif", ont imaginé des stratégies procédurales. L'une d'elle est au centre de l'arrêt commenté.

En l'espèce, un dirigeant est assigné en 2005, alors que la liquidation judiciaire de la société débitrice avait été ouverte en 2003, en liquidation judiciaire à titre personnel (extension-sanction). Aucune condamnation n'est intervenue au 1er janvier 2006, ce qui est une donnée très importante, en l'espèce. En 2009, le liquidateur, en cause d'appel, modifie sa demande et, au lieu de solliciter la condamnation à la liquidation judiciaire à titre personnel du dirigeant poursuivi, demande sa condamnation à l'obligation aux dettes sociales. Le pouvait-il, en 2009, au regard des règles de la prescription de l'action en obligation aux dettes sociales ?

Telle était la question que devait résoudre la Cour de cassation. Avant d'y répondre, il importe de procéder à un rappel.

La loi de sauvegarde des entreprises a modifié, dans un double sens, le périmètre des personnes éligibles aux procédures collectives. D'un côté, elle pose la règle nouvelle de l'application des procédures collectives à tout professionnel indépendant, ce qui permet d'englober en son sein les professionnels libéraux. D'un autre, elle supprime toutes les ouvertures de procédures collectives par voie de fausses extensions, qu'il s'agisse de celles intéressant les associés de sociétés, sur le fondement de la solidarité (C. com., art. L. 624-1, anc.), ou qu'il soit question de celles reposant sur des fautes légalement déterminées frappant les dirigeants de la personne morale débitrice (C. com., art. L. 624-5, anc.). Ainsi, si toutes les entreprises relèvent désormais du droit des entreprises en difficulté, seules ces dernières y sont assujetties.

Une disposition transitoire de la loi de sauvegarde (loi n° 2005-845, art. 192) prévoit que la procédure ouverte en vertu de l'article L. 624-5 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, n'est pas affectée par son entrée en vigueur. Ce texte ne fait que confirmer le principe de survie de la loi ancienne aux procédures ouvertes avant son entrée en vigueur.

Il s'en déduit, a contrario, que l'action en redressement ou en liquidation judiciaire à titre personnel contre le dirigeant fautif, qui n'a pas abouti à une condamnation au 1er janvier 2006, ne plus prospérer après cette même date (11). Le texte de l'article 192 de la loi du 26 janvier 2005 permet de régler l'hypothèse où, après ouverture de la procédure à titre de sanction, la cour d'appel réforme ou annule la décision par un arrêt antérieur au 1er janvier 2006. A cette date, la procédure à titre de sanction n'est plus ouverte et ne peut donc plus l'être après cette même date (12).

Tout en supprimant le redressement et la liquidation judiciaires à titre personnel contre le dirigeant fautif, la loi de sauvegarde des entreprises crée l'obligation aux dettes sociales, action devant permettre de condamner le dirigeant social sur le fondement de fautes légalement déterminées à toutes les dettes sociales, et non pas seulement à l'insuffisance active, comme cela est le cas dans le domaine de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif. Cette sanction peut être prononcée en remplacement de la procédure-sanction à l'encontre des dirigeants à compter du 1er janvier 2006, et même pour les procédures ouvertes contre les personnes morales avant l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845, art. 191-5°) (13). Il n'y a pas là violation de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), les faits justifiant l'obligation aux dettes sociales étant, sous l'empire de la législation antérieure, des faits justifiant le prononcé de l'extension-sanction (14).

Les mandataires de justice ayant assigné au titre d'une action en redressement ou en liquidation judiciaire avant le 1er janvier 2006, action non couronnée de succès à cette date, se sont naturellement demandés s'ils pouvaient remplacer, en cours d'instance, une demande d'ouverture d'une procédure collective pour faute par une action en obligation aux dettes sociales. Les juridictions du fond ont répondu par l'affirmative. Il a été jugé que la demande en substitution de l'action en obligation aux dettes sociales à l'ouverture d'une procédure collective à titre de sanction présentée en cause d'appel était recevable (15), car l'article 564 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0394IGP), qui interdit la présentation en cause d'appel de demandes nouvelles, prévoit à titre d'exception la recevabilité des demandes nouvelles tendant à faire juger des questions nées d'un fait, ce qui est le cas d'une loi promulguée en cause d'appel, dès lors qu'elle se déclare immédiatement applicable (16).

Une nouvelle assignation tendant au prononcé de cette sanction est-elle nécessaire ? Il a été répondu en jurisprudence par la négative. La demande de substitution peut prospérer par voies de conclusions (17).

La nature juridique de cette substitution se pose et, derrière elle, se profile une question, au centre de l'arrêt commenté : la demande de substitution d'une action en redressement ou en liquidation judiciaire à titre personnel, par une action en obligation aux dettes sociales est-elle enfermée dans le délai de l'action en obligation aux dettes sociales ? Autrement dit, la prescription attachée à cette dernière action s'applique-t-elle à la demande de substitution, alors que l'action en redressement ou en liquidation judiciaire personnel a, quant à elle, été introduite dans le délai de prescription qui la concerne ?

La cour d'appel avait relevé que la demande en obligation aux dettes sociales avait été formée par le liquidateur dans ses conclusions signifiées le 12 février 2009, tandis que la liquidation judiciaire de la société avait été prononcée le 21 novembre 2003. Dans ces conditions, estime la Cour de cassation, "la cour d'appel en a exactement déduit que cette action, qui se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire de la personne morale en application de l'article L. 652-4 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, était prescrite".

La solution s'impose.

Tout d'abord, il n'est pas douteux que la demande tendant à substituer à l'action en redressement ou en liquidation judiciaire à titre personnel une action en obligation aux dettes sociales pouvait être présentée par voie de conclusions. De quoi s'agit-il ? D'une demande additionnelle (18), variété de demande incidente. Or il n'y a pas de discussion pour considérer que la demande incidente doit être présentée dans le délai de l'action. Autrement dit, la demande de substitution doit impérativement être introduite dans le délai pour agir en obligation aux dettes sociales, c'est-à-dire trois ans à compter de la liquidation judiciaire. Le Service d'études et de documentation de la Cour de cassation l'avait annoncé (19). La Cour de cassation le confirme. Tel n'était pas le cas en l'espèce, puisque les conclusions, tendant à la substitution, n'avaient été signifiées que plus de cinq ans après la liquidation judiciaire.

Il importe de remarquer que la demande de substitution avait été présentée en appel : seule la signification de conclusions, dans cette procédure écrite, valait présentation de la demande incidente.

Cette possibilité de substitution est précieuse pour les plaideurs, puisqu'elle évite au demandeur à l'action de se retrouver dans une instance qui ne peut plus prospérer. Rappelons qu'après le 1er janvier 2006, toute condamnation au redressement et à la liquidation judiciaires est exclue.

Pour autant, cette possibilité de substitution ne règle pas toutes les difficultés. Pour s'en convaincre, il suffit de raisonner sur l'exemple suivant. Le commissaire à l'exécution d'un plan de cession a introduit, avant le 1er janvier 2006, une action en redressement judiciaire à titre personnel. A cette même date, son action n'a pas abouti à une condamnation. Après le 1er janvier 2006, il ne peut poursuivre une telle demande. Pour autant, il ne peut présenter une demande de condamnation à l'obligation aux dettes sociales, puisqu'il n'a pas qualité, l'action étant réservée au liquidateur. Son action tombe en déshérence, ce qui peut apparaître choquant (20).

Tout n'est donc pas résolu avec cette possibilité de substitution et il resterait à observer la position que prendrait la Cour de cassation, dans le cas de l'action engagée par un commissaire à l'exécution du plan.

Une dernière précision s'impose au lecteur, sur ces strates législatives successives. L'article 133 de l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT) prévoit l'abrogation des dispositions régissant l'obligation aux dettes sociales. L'article 173 du même texte précise qu'il ne sera plus possible d'engager une action en obligation aux dettes sociales à compter de l'entrée en vigueur de l'ordonnance, soit le 15 février 2009. Il indique, toutefois, que les actions en obligation aux dettes sociales déjà engagées au jour de l'entrée en vigueur de l'ordonnance se poursuivent (21).

On le voit, il faut être très attentif pour s'y retrouver dans ce dédale de sinueuses législations, qui permet, au passage, de remarquer ce plaisir intense, et toujours renouvelé, dans ce tango argentin au rythme législatif toujours plus endiablé.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) V. F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, LGDJ,8 ème éd., n° 551.
(2) Avis de l'avocat général R. Bonhomme auquel nous adressons nos remerciements pour sa transmission.
(3) Ainsi, Cass. com., 26 novembre 2002, n° 01-03.980, FS-P (N° Lexbase : A1231A4D), Bull. civ. IV, n° 176 ; D., 2003, AJ 67, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2003/1, n° 7 ; RTDCiv., 2003, 316, n° 3, obs. Th. Revet ; Gaz. Pal., somm. 5-6 septembre 2003, p. 9, note C. Denner ; RTDCom., 2003, 570, n° 7, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., 2003, p. 309, n° 8, obs. M.-H. Monsérié-Bon.
(4) Cass. com., 8 mars 1994, n° 92-14.394, publié (N° Lexbase : A6948ABX), Bull. civ. IV, n° 101.
(5) Par exemple, Cass. com., 3 décembre 2003, n° 01-02.177, F-D (N° Lexbase : A3562DA8).
(6) Sur la réapparition, au travers de la "procédure collective", de la masse des créanciers que la loi du 25 janvier 1985 avait pourtant supprimée, v. M. Cabrillac, L'impertinente réapparition d'un condamné à mort ou la métempsychose de la masse des créanciers, in Mélanges Gavalda, Dalloz, 2001, p. 69.
(7) Cass. com., 23 mai 1995, n° 93-10.439, publié (N° Lexbase : A8218ABY), Bull. civ. IV, n° 153, Gaz. Pal., 1996, pan. 59 ; Cass. com., 3 décembre 2003, n° 01-02.177, F-D (N° Lexbase : A3562DA8) ; CA Paris, 25ème ch., sect. B, 2 juillet 2004, n° 2002/22190 (N° Lexbase : A2814DDL). L'inopposabilité du droit de propriété autorise identiquement le liquidateur à faire procéder à la destruction de biens non revendiqués dans les délais légaux : Cass. com., 3 décembre 2003, préc. ; Act. proc. coll., 2004/3, n° 30.
(8) Cass. com., 28 juin 1994, n° 92-17.311, inédit (N° Lexbase : A6682C4A).
(9) Cass. com., 4 janvier 2000, n° 96-19.511, inédit (N° Lexbase : A7857BSS), Act. proc. coll., 2000/4, n° 40, D., 2000, jur. 533, nos obs., RJ com., 2000, p. 266, n° 1561, note C. Dumesnil-Rossi et L. Santana, RTDCom., 2002, 159, n° 9, obs. A. Martin-Serf ; Cass. com., 24 mars 2004, n° 02-18.048, FS-P+B sur le 1er moyen (N° Lexbase : A6332DB7), Bull. civ. IV, n° 61, D., 2004, AJ 1084, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2004/8, n° 105, obs. C. Régnaut-Moutier, JCP éd. E, 2004, chron. 1292, p. 1384, n° 2, obs. M. Cabrillac, Rev. proc. coll., 2004, p. 378, n° 1, obs. M.-H. Monsérié-Bon, nos obs. Les conséquences de l'inopposabilité du droit de propriété résultant de l'absence de revendication du propriétaire, Lexbase Hebdo n° 121 du 20 mai 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N1628ABW) ; Cass. com., 30 octobre 2007, n° 06-18.328, F-D (N° Lexbase : A2370DZS), Gaz. proc. coll., 2008/1, p. 67, note F. Pérochon, Rev. proc. coll., 2008/4, p. 44, n° 150, note M.-H. Monsérié-Bon.
(10) Cass. com., 20 juin 1995, n° 93-17.009, inédit (N° Lexbase : A8095AHB), Rev. proc. coll., 1995, 482, n° 21, obs. B. Soinne ; Cass. com., 20 mai 1997, n° 94-16.733, inédit (N° Lexbase : A3888A77), D. Affaires, 1997, 860.
(11) Cass. com., 7 mars 2006, n° 04-20.252, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A4796DNX), Bull. civ. IV, n° 60, D., 2006, AJ 856, obs. A. Lienhard, D., 2006, pan. 2252, obs. F.-X. Lucas, JCP éd. E, 2006, chron. 2331, p. 1530, n° 1, obs. Ph. Pétel, Act. proc. coll., 2006/8, n° 95, note C. Régnaut-Moutier, Dr. sociétés, 2006, n° 88, obs. J.-P. Legros, Rev. proc. coll., 2006/3, p. 256, n° 7, obs. Ph. Roussel Galle, nos obs. in Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - mars/avril 2006 (1ère partie) Lexbase Hebdo n° 212 du 27 avril 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N7539AKG) ; Cass. com. 30 mai 2006, n° 05-12.311, F-D (N° Lexbase : A7578DPD), Gaz. proc. coll., 2006/4, p. 37, note Th. Montéran, Rev. proc. coll., 2006/3, p. 256, n° 7, obs. Ph. Roussel Galle.
(12) Cass. com., 30 janvier 2007, n° 05-17.125, F-D (N° Lexbase : A7809DTE) et nos obs. in La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre, Lexbase Hebdo n° 249 du 19 février 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0608BAR).
(13) V. ainsi, CA Dijon, ch. civ., sect. B, 17 mars 2009, n° 08/01219 (N° Lexbase : A8201GYE) ; Rev. proc. coll., juillet/août 2009, étude 97, p. 56, note A. Martin-Serf.
(14) CA Orléans, ch. éco. et fin., 24 septembre 2009, n° 08/03420 (N° Lexbase : A3145GKP), Rev. proc. coll., 2011, comm. 17, note A. Martin-Serf.
(15) CA Orléans, ch. com., 23 mars 2006, n° 05/00620, D., 2006, AJ 1600, obs. A. Lienhard, Rev. proc. coll., 2006/3, p. 257, n° 9, obs. Ph. Roussel Galle, Rev. proc. coll., 2007/2, p. 82, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; CA Orléans, ch. éco. et fin. 29 juin 2006, n° 05/2969, Rev. proc. coll., 2007/2, p. 89, n° 7, obs. A. Barret ; CA Versailles, 7 décembre 2006, n° 05/02872, Gaz. proc. coll., 2007/1, p. 50, note Th. Montéran ; CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 31 mai 2007, n° 06/01787 (N° Lexbase : A9336DZS), JCP éd. E, 15 novembre 2007, 2402, p. 42.
(16) CA Orléans, ch. com., 23 mars 2006, n° 05/00620, préc. et les obs préc. ; CA Versailles, 7 décembre 2006, n° 05/2872, préc., RJDA, 2007/12, p. 1245, n° 1268.
(17) V. ainsi, CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 31 mai 2007, n° 06/01787, préc., Dr sociétés, 2008/1, p. 22, n° 9, note J.-P. Legros, Act. proc. coll. 2008/15, n° 237 ; CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 26 mars 2008, n° 07/00393 (N° Lexbase : A0647G9T), Rev. proc. coll., 2008/4, p. 54, n° 163, note A. Martin-Serf.
(18) V. ainsi, CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 31 mai 2007, n° 06/01787, préc. et les obs. préc. ; CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 26 mars 2008, n° 07/00393, préc. et les obs. préc..
(19) BICC du 1er avril 2006, p. 3.
(20) Sur cette problématique, nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 5ème éd., 2010/2011, n° 073.35.
(21) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 7 avril 2009, n° 08/13421 (N° Lexbase : A1762EGD) ; Dr. sociétés, 2010/2, comm. 33, p. 33, note J.-P. Legros ; Rev. proc. coll., 2011, comm. 17, note A. Martin-Serf.

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Experts-comptables

[Jurisprudence] Il est interdit d'interdire... totalement le démarchage aux experts-comptables

Réf. : CJUE, 5 avril 2011, aff. C-119/09 (N° Lexbase : A4134HM3)

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N9746BRE

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 14 Avril 2011

C'est un arrêt particulièrement important et très attendu, notamment par les experts-comptables, mais pas seulement, qu'a rendu la Cour de justice de l'Union européenne le 5 avril 2011. Par requête introduite le 28 novembre 2007, une société française avait demandé au Conseil d'Etat d'annuler le décret nº 2007-1387 (décret du 27 septembre 2007, portant Code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable N° Lexbase : L5421HYG) en ce qu'il interdit le démarchage. Cette société considérait que l'interdiction générale et absolue de toute activité de démarchage, prévue à l'article 12-I du Code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable (N° Lexbase : L9987HZW), est contraire à l'article 24 de la Directive "Services" (Directive 2006/123 du Parlement européen et du Conseil, relative aux services dans le marché intérieur N° Lexbase : L8989HT4) et met gravement en péril la mise en oeuvre de cette norme communautaire. Le Conseil d'Etat, par un arrêt du 4 mars 2009 (CE 1° et 6° s-s-r., 4 mars 2009, n° 310979 N° Lexbase : A5776EDB), a sursis à statuer et a posé à la Cour la question préjudicielle suivante: "La Directive [2006/123] a-t-elle entendu proscrire, pour les professions réglementées qu'elle vise, toute interdiction générale, quelle que soit la forme de pratique commerciale concernée, ou bien a-t-elle laissé aux Etats membres la possibilité de maintenir des interdictions générales pour certaines pratiques commerciales, telles que le démarchage ?" La réponse de la Cour de Luxembourg est très claire : la Directive "Services" doit être interprétée en ce qu'elle s'oppose à une réglementation nationale qui interdit totalement aux membres d'une profession réglementée, telle que la profession d'expert-comptable, d'effectuer des actes de démarchage. Bref retour sur cette décision et sur ses conséquences...
Les textes. La requérante soutenait donc que l'article 12-I du Code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable, est contraire à l'article 24 de la Directive 2006/123.
Aux termes du premier de ces texte, "il est interdit aux [experts-comptables] d'effectuer toute démarche non sollicitée en vue de proposer leurs services à des tiers. Leur participation à des colloques, séminaires ou autres manifestations universitaires ou scientifiques est autorisée dans la mesure où elles ne se livrent pas, à cette occasion, à des actes assimilables à du démarchage".
L'article 24 de la Directive 2006/123, intitulé "Communications commerciales des professions réglementées", impose, quant à lui, aux Etats deux obligations :
- d'une part, ils doivent supprimer toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées ;
- et, d'autre part, ils sont tenus de veiller à ce que les communications commerciales faites par les professions réglementées respectent les règles professionnelles, conformes au droit communautaire, qui visent notamment l'indépendance, la dignité et l'intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession, les règles en matière de communications commerciales devant être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnées.

Or, pour les juges, l'intention du législateur de l'Union était non seulement de mettre fin aux interdictions totales, pour les membres d'une profession réglementée, de recourir à la communication commerciale, quelle qu'en soit la forme, mais également d'éliminer les interdictions de recourir à une ou plusieurs formes de communication commerciale telles que, notamment, la publicité, le marketing direct ou le parrainage. De même, doivent être considérées comme des interdictions totales, proscrites par l'article 24, les règles professionnelles prohibant de communiquer, dans un média ou dans certains d'entre eux, des informations sur le prestataire ou sur son activité.

Or le démarchage tel qu'il est visé par la réglementation française entre-t-il dans le champ d'application de cette prohibition ? En d'autres termes, le démarchage constitue-t-il une communication commerciale ?

La notion de communication commerciale. D'abord, la notion de "communication commerciale" est définie à l'article 4, point 12, de la Directive 2006/123. Elle inclut toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, les biens, les services ou l'image d'une entreprise, d'une organisation ou d'une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée. Toutefois, ne relèvent pas de cette notion :
- les informations permettant l'accès direct à l'activité de l'entreprise, de l'organisation ou de la personne, notamment un nom de domaine ou une adresse de courrier électronique ;
- les communications relatives aux biens, aux services ou à l'image de l'entreprise, de l'organisation ou de la personne élaborées d'une manière indépendante, en particulier lorsqu'elles sont fournies sans contrepartie financière.

Dès lors, pour la Cour, la communication commerciale ne se limite pas à la publicité classique, mais elle comprend d'autres formes de publicité et de communications d'informations destinées à engager de nouveaux clients.

La notion de démarchage. Si la notion de démarchage n'est définie ni par la Directive 2006/123, ni par aucun autre acte du droit de l'Union, l'article 12-I du Code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable précise, en somme, que doit être considérée comme un acte de démarchage une prise de contact d'un expert-comptable avec un tiers qui ne l'a pas sollicitée, en vue de proposer ses services à ce dernier.
Pour la Cour, le démarchage constitue une forme de communication d'informations destinée à rechercher de nouveaux clients ; il implique un contact personnalisé entre le prestataire et le client potentiel, afin de présenter à ce dernier une offre de services et peut, de ce fait, être qualifié de marketing direct. Elle en déduit que le démarchage relève de la notion de "communication commerciale", au sens des articles 4 et 24 de la Directive "Services".

L'interdiction de démarchage peut-elle alors être considérée comme une interdiction totale des communications commerciales ? La Cour de Luxembourg relève qu'il résulte du libellé de l'article 12-I du Code de déontologie ainsi que de la grille indicative des outils de communication, établie par le Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, que, en vertu de cette disposition, les membres de la profession d'expert-comptable doivent s'abstenir de tout contact personnel non sollicité qui pourrait être considéré comme un recrutement de clientèle ou une proposition concrète de services commerciaux.
L'interdiction du démarchage est donc ici conçue de manière large, en ce qu'elle prohibe toute activité de démarchage, quelle que soit sa forme, son contenu ou les moyens employés. Cette interdiction qui comprend la prohibition de tous les moyens de communication permettant la mise en oeuvre de cette forme de communication commerciale, doit donc être considérée comme une interdiction totale des communications commerciales, prohibée par l'article 24.

Or, une réglementation d'un Etat membre interdisant aux experts-comptables de procéder à tout acte de démarchage est susceptible d'affecter davantage les professionnels provenant d'autres Etats membres, en les privant d'un moyen efficace de pénétration du marché national en cause. Elle constitue, dès lors, une restriction à la libre prestation des services transfrontaliers (1).

La Cour rejette, par ailleurs, l'argument du Gouvernement français selon lequel le démarchage porterait atteinte à l'indépendance des membres de cette profession, dans la mesure où, par une prise de contact avec le dirigeant de l'entreprise ou de l'organisme concernés, l'expert-comptable risquerait de modifier la nature de la relation qu'il doit habituellement entretenir avec son client. En effet, le fait que l'interdiction soit totale contrevient au droit de l'Union, suffit à rendre cette disposition incompatible avec la Directive et ne peut être justifiée, même si elle est non discriminatoire, fondée sur une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnée.

Conséquences du non-respect de la Directive "Services" par le Code déontologie des professionnels de l'expertise comptable. D'abord, le Conseil d'Etat, qui avait sursis à statuer dans l'attente de la réponse de la CJUE, devra tirer les conséquences qui s'imposent à lui de la réponse ainsi donnée, et donc déclarer la disposition litigieuse illégale. Les autorités devront, par la suite, édicter de nouvelles dispositions encadrant le démarchage de clients par les experts-comptables.

Or, ne nous y trompons pas, ce que la CJUE a censuré en des termes fort explicites est l'interdiction totale de démarcher. Le droit national peut donc tout à fait encadrer la communication commerciale, et par conséquent la restreindre, y apporter des limites. Si la CJUE prohibe l'interdiction totale d'effectuer des actes de démarchage pour les experts-comptables, elle ne procède pas pour autant à une libéralisation totale du démarchage. Alors, quelles sont les limites légitimes et légales qui pourront y être apportées ? Et bien, la réponse à cette question découle directement du droit de l'Union et plus précisément de la Directive "Services", dont l'article 24 prévoit que les communications commerciales faites par les professions réglementées doivent respecter les règles professionnelles, conformes au droit communautaire, qui visent notamment l'indépendance, la dignité et l'intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel. On le voit, la marge de manoeuvre de ceux à qui il reviendra de réécrire cette disposition du Code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable, à savoir l'ordre des experts-comptables, est suffisamment large pour prévoir des garde-fous et empêcher une libéralisation totale du démarchage qui contreviendrait assurément à l'indépendance des membres de cette profession. L'expert-comptable étant chargé de contrôler la comptabilité d'entreprises et d'organismes auxquels il n'est pas lié par un contrat de travail ainsi que d'attester la régularité et la sincérité des comptes de résultats de ces entreprises ou de ces organismes, il est indispensable que ce professionnel ne soit suspecté d'aucune complaisance vis-à-vis de ses clients.
Les restrictions apportées à la liberté de démarcher de nouveaux clients devront donc être strictement proportionnées au but poursuivi qui réside dans le respect des principes professionnels d'indépendance, de dignité et d'intégrité.

Enfin, l'arrêt du 5 avril 2011 est important car le principe ainsi posé de la non-conformité au droit communautaire de dispositions qui interdisent totalement le démarchage aux professions réglementées a vocation à s'appliquer à d'autres professions réglementées qui connaîtraient un sort identique. On pense évidemment tout de suite aux avocats pour lesquels l'article 66-4 de la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ), le décret du 25 août 1972 (décret n° 72-785 relatif au démarchage et à la publicité en matière de consultation et de rédaction d'actes juridiques N° Lexbase : L6642BHH ) et l'article 10-2 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) prohibent tout acte de démarchage, en quelque domaine que ce soit, et toute offre de service personnalisée adressée à un client potentiel. Il s'agit bien là d'une interdiction totale incompatible avec l'article 24 de la Directive "Services" !


(1) Cf., déjà en ce sens, CJCE, 10 mai 1995, C-384/93, points 28 et 38 (N° Lexbase : A1645AWT).

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Impact de la rétroactivité d'une fusion sur un contrat conclu sous condition suspensive

Réf. : CE 8° et 3° s-s-r., 26 janvier 2011, n° 312470, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7461GQE)

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par Simon Ginesty, Avocat, Landwell & associés

Le 14 Avril 2011

De nos jours, les opérations de restructuration constituent une étape courante de la vie des sociétés : fusion, scission, apport partiel d'actifs ou autre cession leur permettent de s'adapter et de rester compétitives dans notre économie globalisée. Pourtant, et malgré l'effort important du législateur pour simplifier ces opérations, il n'en demeure pas moins qu'elles constituent toujours une opération complexe : outre les problématiques financières et juridiques, la fiscalité applicable ne doit pas être oubliée, sous peine de remettre en cause tout le bénéfice attendu de l'opération (1) !
Or si la vie des affaires est rapide, celle du droit l'est moins. De fait, la question du calendrier s'avère déterminante pour mener à bien une restructuration. Partant de ce postulat, le juge, puis le législateur, ont admis que les parties puissent fixer une date d'effet différente de celle de la conclusion du contrat pour leur opération de restructuration, et notamment une date antérieure : on parle alors de rétroactivité (2). Cette dernière est aujourd'hui courante car elle permet de simplifier la réalisation, surtout pour la détermination des valeurs d'apport et de la parité d'échange.
Toutefois, lorsqu'une date d'effet rétroactive a été décidée par les parties, ces dernières sont tenues de prendre en compte toutes les conséquences de la date stipulée (3), ainsi que nous le rappelle l'arrêt du Conseil d'Etat, en date du 26 janvier 2011 (4). En l'espèce, la société Pinault Printemps Redoute (PPR) avait absorbé, le 30 septembre 1992, la Compagnie Internationale d'Ameublement (CIA). Pour des raisons pratiques (5), les deux sociétés avaient décidé de fixer la date d'effet de l'opération au 1er avril 1992.

Ayant réalisé une cession de titres de participation le 25 février 1992, la société CIA avait donc déclaré, au titre de la période allant du 1er janvier au 31 mars 1992, la plus-value correspondante. Estimant que la date d'effet juridique de l'opération était intervenue, non le jour de la date de cession, mais le 13 avril 1992, date de réalisation de la condition suspensive de l'opération, l'administration avait, en conséquence, réintégré la plus-value au titre de l'exercice commun ouvert postérieurement au 1er avril 1992.

La combinaison de la fusion et de la conclusion du contrat litigieux mettait donc en jeu deux "types" de rétroactivités différentes :
- l'une au titre de la fusion ;
- l'autre au titre de la conclusion d'un contrat sous condition suspensive.

Cet arrêt du Conseil d'Etat nous permet ainsi de revenir, d'une part, sur le traitement de la rétroactivité sur un plan juridique, comptable et fiscal, mais, également, de nous intéresser à la portée de cette rétroactivité, dans l'hypothèse où la société absorbée a conclu un contrat sous condition suspensive. En effet, si la décision de donner un effet rétroactif à une opération de fusion est pratique, il n'en demeure pas moins qu'elle n'est pas anodine.

I - La rétroactivité : une mention utile

Bien que juridiquement et fiscalement récente, la faculté offerte aux parties de stipuler une date antérieure pour l'effet d'une fusion offre l'indéniable avantage de la simplicité, comparativement à une opération "normale".

A - La nécessité d'une clause de rétroactivité

Classiquement, la fusion prend effet à la date de réalisation définitive de l'opération, c'est-à-dire à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l'opération (6) (en pratique, il s'agit de la date de l'assemblée générale de la société absorbante). Toutefois, si cette date a le mérite de respecter le droit des tiers (7), elle ne simplifie pas le traitement comptable et fiscal des deux sociétés.

Il faut, en effet, avoir à l'esprit qu'une opération de ce type demande nécessairement plusieurs semaines de préparation (voire plusieurs mois s'il s'agit de sociétés cotées). Outre les nombreux audits (8) et la rédaction du projet de fusion, ces opérations exigent l'accomplissement de formalités complexes (9) qui prennent un certain temps, pour ne pas dire un temps certain (10).

Or, en ne retenant que la date d'approbation de la convention, les parties ne peuvent, par hypothèse, tenir compte de la période dite "intercalaire", c'est-à-dire correspondant à la période entre l'accord des parties sur la chose et sur le prix d'une part, (pour reprendre la terminologie civile d'un contrat de vente) et la réalisation de cet accord (11), d'autre part.

Pour prendre en considération cette période, qui peut être longue, les parties ont la faculté de donner un effet rétroactif à l'opération ; ceci a l'important avantage de simplifier le traitement comptable et fiscal de l'opération, puisqu'elle permet à la société absorbante de reprendre, dans ses comptes, le résultat réalisé par la société absorbée pendant cette période intercalaire.

B - La rétroactivité sur le plan juridique

Sur le plan juridique, les parties ont la possibilité de donner deux dates d'effet différentes :
- soit la date "classique" de réalisation définitive de l'opération, telle que décrite supra ;
- soit une date conventionnelle (12), fixée par les parties : celle-ci peut être postérieure ou antérieure à la date de réalisation définitive de l'opération.

Les parties ont donc la possibilité d'attribuer à l'opération une date d'effet différente de celle de la réalisation effective de l'opération (13). En pratique, la rétroactivité s'effectue par l'insertion d'une clause spéciale dans le traité de fusion.

Pourtant, le droit des sociétés s'accommode mal de la rétroactivité puisqu'il a vocation à organiser les droits des tiers et des associés. Dès lors, une distinction doit être opérée entre, d'une part, la date "d'effet", date de commencement de la prise en compte, par la société bénéficiaire, des apports des résultats de la société apporteuse (absorbée ou scindée), et, d'autre part, la date de "réalisation", date de transfert de la propriété des biens composant le patrimoine de la société apporteuse (absorbée ou scindée) au profit de la société bénéficiaire des apports (14).

S'agissant de cette dernière, l'article L. 236-3 du Code de commerce ([LXB=L6353AI7 ]) dispose, en effet, que le patrimoine des sociétés absorbées ou scindées est transmis à la société bénéficiaire dans l'état où ils se trouvent à la date de réalisation définitive de l'opération ; ceci rend impossible toute modification des parités d'échange des droits sociaux bien que les actifs nets aient très vraisemblablement fluctué pendant la période intercalaire.

En conséquence, seule la date d'effet peut être rétroactive, la date de réalisation de l'opération étant, dans tous les cas, la date de l'approbation de l'opération par les assemblées (15) ou l'expiration du délai d'opposition des créanciers ; il s'avérerait, de toute façon, pour le moins difficile de considérer que l'ensemble des actes juridiques accomplis par la société absorbée pendant la période intercalaire soient, par fiction, rétroactivement rattachés à la société absorbante. Ainsi la clause de rétroactivité n'a d'effet qu'entre les parties et ne concerne pas, sauf exception (16), les tiers ; pour ces derniers, ils doivent s'en tenir à la date de réalisation définitive de l'opération, celle à laquelle s'opère la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante (17).

C - Le traitement comptable

La date d'effet comptable d'une fusion est basée sur le même texte que la date d'effet juridique (18).

Toutefois, cette rétroactivité ne saurait remonter indéfiniment ; pour respecter le principe de spécialité des exercices, la date d'effet conventionnelle ne doit être :
- ni postérieure à la date de clôture de l'exercice en cours de la ou des sociétés bénéficiaires ;
- ni antérieure à la date de clôture du dernier exercice clos de la ou des sociétés qui transmettent leur patrimoine.

L'effet est donc limité à l'exercice comptable au cours duquel la fusion a été approuvée (19), mais permet ainsi de tenir compte de l'ensemble des opérations effectuées pendant la période intercalaire (20) ; ceci est, notamment, vrai en cas de "perte de rétroactivité, c'est à dire en cas de perte subie par la société absorbée pendant cette période (21)".

D - Le traitement fiscal

Sur le plan fiscal, et bien que le CGI soit muet sur ce point, le juge a reconnu, dans un arrêt de principe (22), la prise en compte des clauses de rétroactivité en admettant la déduction, par la société absorbante, des déficits provenant de la reprise des opérations réalisées par la société absorbée depuis la date d'effet prévue au contrat. L'administration fiscale a d'abord refusé aux contribuables cette faculté, estimant qu'il fallait recourir à l'évaluation des apports pour tenir compte de cette perte intercalaire (23), puis s'est finalement rangée à la décision du juge suprême (24).

Toutefois, la clause de rétroactivité ne joue qu'en matière d'impôt sur les sociétés ; elle n'est pas opposable à l'administration fiscale en matière de contribution économique territoriale, de taxe sur les salaires ou de TVA.

La décision des parties de donner un effet rétroactif à la convention se traduit par une fiction : l'ensemble des produits et charges, provenant de l'exploitation des activités apportées pendant la période intercalaire, considéré comme réalisé directement par la société absorbante (25). Ainsi, lorsque le traité d'apport fait rétroagir la date d'effet de cette convention, les sociétés sont tenues de prendre en compte toutes les conséquences de cette clause : l'ensemble des droits et obligations, les profits et charges (y compris donc, et surtout, lorsque les opérations se traduisent par un déficit (26)), mais aussi les amortissements, doivent être rattachés par la société absorbante au résultat de l'exercice au cours duquel la convention a été conclue (27). Cette rétroactivité agit donc comme une intégration fiscale de fait pour la période concernée (28).

Dès lors les parties ne peuvent, même partiellement, renoncer aux conséquences de la date d'effet pour la détermination de leurs résultats imposables. En réalité, il est aujourd'hui impossible de "scinder" une opération de fusion en deux parties avec des dates d'effets différentes : bien que pratique, cette faculté s'avèrerait pour le moins délicate à mettre en oeuvre, aussi bien pour l'administration fiscale que pour les contribuables eux-mêmes (29).

Plus encore, l'administration fiscale a précisé que les opérations réalisées pendant la période intercalaire entre les parties peuvent être neutralisées (abandon de créance, cession d'immobilisation, etc.) (30). Ainsi, les transactions réalisées entre les deux sociétés pendant cette période doivent être écartées pour la détermination du résultat imposable.

En l'espèce, les sociétés PPR et CIA avaient décidé de faire rétroagir la date d'effet de l'opération au 1er avril 1992. Chaque société a donc déclaré un seul exercice au titre de l'année 1992 : la société CIA pour la période du 1er janvier au 31 mars 1992 et la société PPR du 1er janvier au 31 décembre 1992 (comprenant les résultats de la société CIA entre le 1er avril et le 31 décembre 1992).

Le problème auquel étaient confrontés les juges n'était donc pas tant l'application de la rétroactivité, que les conséquences de cette rétroactivité sur les contrats passés par lesdites sociétés, et notamment le contrat de cession, dont la condition suspensive s'est réalisée, par la société CIA le 25 février 1992.

II - Conséquences de la rétroactivité sur un contrat sous condition suspensive

A - Sur le plan juridique

En vertu de l'article 1181 du Code civil (N° Lexbase : L1283AB7), "l'obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d'un événement futur et incertain, ou d'un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties. Dans le premier cas, l'obligation ne peut être exécutée qu'après l'événement. Dans le second cas, l'obligation a son effet du jour où elle a été contractée".

Tant que la condition est pendante, c'est-à-dire lorsque la condition ne s'est pas réalisée, le droit du créancier n'existe pas (31). A l'inverse, lorsque la condition se réalise, le droit est réputé exister dès le premier jour, soit lors de la conclusion du contrat (32).

Ainsi, un contrat passé sous condition suspensive entraîne donc ipso facto une rétroactivité de ses effets au jour de la conclusion du contrat, lorsque la condition se réalise (33).

En l'espèce, la société CIA avait conclu le contrat de cession le 25 février 1992, soit pendant la période comptable et fiscale antérieure à la fusion, laquelle ne rétroagissait que jusqu'au 1er avril 1992. Toutefois, ce contrat avait été conclu sous la condition de l'autorisation de son conseil d'administration, laquelle n'était intervenue que le 13 avril 1992, soit postérieurement à la date de fusion convenue par les parties.

Il s'agissait donc d'un contrat conclu sous condition suspensive, ainsi que l'a justement analysé le Conseil d'Etat (34). La condition s'étant réalisée, et sur un plan strictement juridique, la cession des titres par la société CIA était donc réputée s'être opérée le 25 février 1992, soit antérieurement à la date de fusion retenue par les parties.

Il n'en va pas de même sur les plans comptable et fiscal.

B - Sur le plan comptable

Sur le plan comptable, "seuls les bénéfices réalisés à la date de clôture d'un exercice peuvent être inscrits dans les comptes individuels" (35). En outre, "pour calculer le résultat par différence entre les produits et les charges de l'exercice, sont rattachés à l'exercice [...] les produits acquis à cet exercice" (36).

S'agissant des contrats conclus sous condition suspensive, une incertitude existait quant à leur traitement comptable, tout au moins quand la condition était réalisée entre la date de clôture et la date d'arrêté des comptes. En effet, dans cette hypothèse, et sous réserve, également, que la réalisation de la condition était indépendante de la volonté des parties, rien ne s'opposait à ce que la plus-value résultant de cette cession ne soit pas comptabilisée à la date de clôture de l'exercice (37).

Cette incertitude est désormais levée : en cas de contrat conclu sous condition suspensive, le produit assorti d'une condition suspensive ne doit pas être comptabilisé à la date de clôture, parce qu'il n'est ni "réalisé" ni "acquis" au sens de la réglementation comptable (38). Il s'agit là ni plus ni moins que de l'application du principe de prudence.

C - Sur le plan fiscal

Le traitement fiscal ne diffère pas de l'approche comptable. S'agissant des plus-values et moins-values professionnelles, elles sont prises en compte au titre de l'exercice ou de l'année au cours desquels elles sont réalisées ou bien, le cas échéant, constatées.

Cette date coïncide généralement avec celle du transfert de propriété ; ainsi, en cas de vente, le transfert de propriété s'opère, sauf convention contraire des parties, dès l'accord sur la chose et sur le prix, même si le paiement du prix intervient à une date postérieure (39).

Mais ce n'est pas toujours le cas, comme en l'espèce. En effet, bien que la vente entre les parties fût parfaite dès le 25 février 1992, l'autorisation du conseil d'administration de la société CIA étant une condition suspensive du contrat de cession, les règles susmentionnées interdisaient la comptabilisation de cette opération tant que la condition ne s'était pas réalisée, soit au 13 avril 1992.

Dans l'hypothèse d'une fusion, comme dans le cas présent, la solution retenue ne varie pas, même lorsque le traité de fusion comporte une clause de rétroactivité. Ainsi, en cas de cession pendant la période intercalaire d'éléments non amortissables, c'est au nom de la société absorbante que sera réalisée la taxation de la plus-value (40) ; seule la qualité de débiteur de l'impôt change.

Il en est de même pour la cession de titres de participation : dans ce cas, ce sera la société absorbante qui sera réputée avoir cédé les titres, en retenant la valeur fiscale de ces éléments dans les comptes de la société absorbée (41).

La solution au litige ne faisait dès lors plus de doute : "considérant qu'il résulte de ce qui précède que si une vente initiée par la société absorbée pendant la période séparant l'ouverture de son exercice en cours et la date stipulée pour l'effet de son absorption ne devient parfaite qu'après cette date, cette opération doit être rattachée non aux résultats de la société absorbée au titre de cette période, mais à ceux de la société absorbante au titre de son exercice en cours". Ainsi, en raison de la rétroactivité souhaitée par les parties, la plus-value devait être rattachée par la société PPR à son propre exercice.

Pour les praticiens, cet arrêt confirme qu'il conviendra d'être -si cela est possible- encore plus attentif aux contrats conclus par la société absorbée. En effet, de la même manière que pour les contrats conclus intuitu personae (42) ou les clauses d'agrément, l'audit, qui doit être réalisé en amont de la fusion, devra révéler et appréhender les conditions suspensives, sous peine de retrouver dans les comptes de la société absorbante une plus-value que l'on croyait avoir d'ores et déjà évaluée au titre de l'actif net apportée par la société absorbée.


(1) Ainsi, le législateur a t-il créé un régime de faveur, destiné à atténuer les conséquences douloureuses de la cessation d'activité (CGI, art. 210-0A N° Lexbase : L3301IGD).
(2) Le Code de commerce envisage également la possibilité de donner une date postérieure. Cette hypothèse est rare en ce qui concerne les fusions mais relativement fréquente s'agissant des scissions et des apports partiels d'actifs soumis au régime des scissions.
(3) CE 7° et 8° s-s-r., 18 mars 1992, n° 62402, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0738AI8).
(4) On notera d'ailleurs que les arrêts relatifs à la rétroactivité des fusions sont relativement rares, ce d'autant plus que de telles clauses dans les traités de fusions sont elles extrêmement fréquentes.
(5) Voir supra.
(6) C. com., art. L. 236-4 (N° Lexbase : L6354AI8).
(7) En effet, une opération de fusion engage non seulement les deux parties, mais cette opération a des conséquences sur les actionnaires, les cocontractants, les créanciers, les marchés financiers, etc..
(8) Ce terme est parfois remplacé par celui de "due diligence". L'objectif est de permettre à l'acheteur, via l'analyse de l'information mise à sa disposition, de prendre une décision d'investissement, on distingue ainsi les "due diligences financières" et les "due diligence stratégiques" (sur cette question, et notamment la différence par rapport à l'audit légal, voir Mémento Expert Fusions et Acquisitions, n° 3160 et suivants).
(9) Par exemple, pour n'en citer qu'un, le projet de fusion, une fois établi et signé, doit être déposé au greffe du tribunal de commerce du lieu du siège social de chacune des sociétés absorbantes et absorbées (C. com., art. L. 236-6, alinéa 2 N° Lexbase : L6356AIA). Cette publicité doit être accomplie un mois au moins avant la date de la première assemblée générale appelée à statuer sur l'opération (C. com., art. R. 236-2 N° Lexbase : L2642IEL).
(10) L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris 5ème ch., 29 novembre 2007, n° 06PA01361, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9310D39) en fait d'ailleurs mention : "si les deux sociétés sont convenues, comme elles y sont d'ailleurs généralement contraintes par les délais nécessaires notamment à l'évaluation des apports et à la réunion des organes délibérants des deux personnes morales, de donner effet à la fusion à une date déterminée, antérieure à celle à laquelle la convention est définitivement conclue".
(11) Soit par exemple, deux sociétés A et B, dont les exercices sont basés sur l'année civile, qui décident de fusionner le 1er mars 2011. A cette date, les deux parties se sont entendues sur le prix d'acquisition (ou d'échange, selon) et sur les modalités de l'opération. Toutefois, les deux assemblées générales ne seront convoquées que le 1er mai 2011, temps destiné, d'une part, à convoquer lesdites assemblées, mais, aussi, à préparer les conventions, définir le nouvel organigramme, etc.. Si la convention ne prévoit rien, la date de réalisation effective de l'opération interviendra le 1er mai. Or, pendant ce délai de deux mois (soit entre le 1er mars et le 1er mai), chaque entité est considérée comme indépendante fiscalement et peut ainsi réaliser toutes les opérations nécessaires à son activité. De fait, l'évaluation du prix et/ou des apports qui avait fait l'objet d'un consensus le 1er mars peut s'en trouver altérer.
(12) Faculté reconnue par l'article L. 236-4 du Code de commerce. Il convient par ailleurs de noter que cette rétroactivité n'est pas limitée aux fusions ou opérations assimilées placées sous le régime de faveur (CGI, art. 210 A N° Lexbase : L3936HLD et suivants). Elle est en revanche impossible, d'un point de vue juridique et comptable, s'agissant d'une transmission universelle du patrimoine (TUP - en ce sens, voir Comité Juridique Ansa du 7 juillet 2004).
(13) Cette possibilité n'est possible, selon le Code de commerce (article L. 236-4), que dans l'hypothèse où la société absorbante existe préalablement à l'opération. A contrario, il ne semble pas possible, juridiquement, de donner un effet rétroactif à l'opération en cas de fusion par création d'une société nouvelle.
(14) En ce sens, voir étude par Jean Paillusseau, JCP éd. E n° 40, 5 octobre 2000 ; Dominique Villemot et Catherine Barthès-Bonaly, Revue de droit fiscal n° 27, 3 juillet 1995, page 1100.
(15) C'est, en effet, à cette date que le commissaire à la fusion doit vérifier que l'actif net apporté est au moins égal à l'augmentation de capital de la société absorbante augmentée, le cas échéant, de la prime de fusion (C. com., art. L. 236-10 N° Lexbase : L2498IB7 et R. 225-8 N° Lexbase : L0143HZC).
(16) C'est notamment le cas en matière d'intéressement, où, de façon dérogatoire, la rétroactivité aurait un effet sur les salariés qui seraient, fictivement, considérés comme ayant changé d'employeur à une date antérieure : le résultat servant de base à la détermination des primes d'intéressement sera celui déterminé sur le résultat de l'exercice ouvert au 1er jour de la période de rétroactivité (en ce sens, voir Cass. soc., 23 février 1983, n° 81-16.106 N° Lexbase : A6648CI3 ; Cahiers de droit de l'entreprise n° 5, Septembre 2010, dossier 26).
(17) Voir par exemple Cass. com., 23 mars 1999, n° 96-20.555, publié au Bulletin (N° Lexbase : A8037AGR), à propos du sort de la caution : "mais attendu que la cour d'appel, ayant retenu par motifs propres et adoptés que l'opération de fusion n'est devenue définitive que le 14 janvier 1994, date de l'assemblée générale de la société CIA [...] qui approuvait le projet de fusion et date à laquelle s'est opérée la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante et que la totalité de la créance était exigible depuis septembre 1993, c'est à bon droit que, sans dénaturer les documents visés au moyen et en justifiant légalement sa décision, la cour d'appel a décidé que la caution ne pouvait se prévaloir de la date d'effet au 1er janvier 1993, convenue entre les parties à la fusion".
(18) C. com., art. L. 236-4, précité. Il convient de noter qu'en cas d'établissement de comptes consolidés (établis en règles françaises), c'est la date de prise de contrôle effective qui doit être retenue, même en cas de clause de rétroactivité.
(19) C. com., art. L. 236-4, précité. CE Section, 12 juillet 1974, n° 81753, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7621AYW), confirmé par la suite par CE 7° 8° et 9° s-s-r., 16 mai 1975, n° 92372, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1185B8E), ainsi que par les commentaires de l'administration fiscale (BOI n° 4 I-2-00 du 3 août 2000, n° 84 et suivants N° Lexbase : X6075AAA). Pour reprendre notre exemple, la rétroactivité ne saurait remonter au-delà du 31 décembre 2010, date de clôture des deux sociétés.
(20) Par exemple, le versement de dividendes, ou encore une augmentation de capital de la société absorbée.
(21) En cas d'effet rétroactif, lorsque la valeur des apports à la date d'effet risque de devenir, du fait d'une perte intercalaire, supérieure à la valeur réelle globale de la société à la date de réalisation de l'opération, une provision pour perte de rétroactivité est constatée au passif pris en charge dans le traité d'apport, réduisant d'autant le montant des apports pour répondre à l'obligation de libération du capital (Règlement comptable CRC n° 2004-01, paragraphe 5.1).
(22) CE Section, 12 juillet 1974, n° 81753, publié au recueil Lebon, précité.
(23) L'administration fiscale s'est appuyée sur un avis de la Commission des opérations de bourse (COB ; devenue AMF depuis la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière, dite "LSF" N° Lexbase : L3556BLB) de février 1982 sur le traitement comptable de la perte intercalaire (Bull. COB février 1982, p. 6) : "si la société absorbée subit des pertes pendant la période de rétroactivité, il faudra en tenir compte dans l'évaluation des apports".
(24) BOI 4 I-1-93 du 11 août 1993 (N° Lexbase : X0827AAU), confirmé par BOI 4 I-2-00 du 3 août 2000.
(25) Comme le résume le commissaire du Gouvernement Arrighi de Casanova dans ses conclusions sous l'arrêt CE 8° et 9° s-s-r., 16 juin 1993, n° 70446, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0070ANW), "la notion de prise d'effet rétroactif de la fusion signifie en effet que l'activité de l'absorbée est censée avoir pris fin à la date de la rétroactivité [...]. A cette date, c'est l'absorbante qui se substitue à l'absorbée".
(26) CE, 12 juillet 1974, n° 81753, précité, confirmé par l'arrêt CE, 16 juin 1993, n° 70446, précité, qui a précisé toutefois que la perte de liquidation subie par la société absorbée, avant la date à laquelle le bilan d'apport a été dressée, constitue un élément dont les parties au traité de fusion ont déjà tenu compte dans l'évaluation de l'actif net transféré et qui, partant, n'est donc pas déductible du bénéfice imposable de la société absorbante.
(27) CE 7° et 8° s-s-r., 18 mars 1992, n° 62402, précité.
(28) Dans l'hypothèse, justement, où les deux sociétés faisaient partie d'un même groupe fiscalement intégré, la rétroactivité permet d'éliminer les conséquences fiscales de la sortie de groupe puisque les résultats seront réputés être réalisés par la société absorbante directement.
(29) BOI n° 4 I-2-00 du 3 août 2000, n° 88 : "les sociétés apporteuses et bénéficiaires des apports sont tenues de prendre en compte toutes les conséquences de la date d'effet pour la détermination de leurs résultats imposables. Elles ne peuvent pas renoncer, même partiellement, aux conséquences de la date d'effet stipulée dans le traité d'apports".
(30) BOI n° 4 I-2-00 du 3 août 2000, n° 110 : "les opérations réalisées pendant la période intercalaire entre la société apporteuse et la société bénéficiaire de l'apport au titre des activités apportées ne sont pas prises en compte pour la détermination des résultats imposables de la société bénéficiaire de l'apport". C'est, notamment, le cas pour le versement de dividendes, qui doit donc être soustrait du résultat de la société bénéficiaire de la distribution. S'il bénéficie du régime des sociétés mères et filiales, la société mère n'a donc pas à comprendre dans son résultat la quote-part de frais et charges prévue à l'article 216 du CGI (BOI n° 4 I-2-00 n° 111). On relèvera qu'au plan comptable, ces opérations doivent être annulées (voir note 20 supra).
(31) Le droit du créancier est en "germe", une "espérance de droit", pour reprendre l'expression de certains auteurs (Philippe Malaurie/Laurent Aynès - Les obligations, édition Defresnois, n° 1238 et suivants).
(32) Voir par exemple, Cass. civ. 3, 19 février 1976, n° 74-12.154, publié au Bulletin (N° Lexbase : A1033CI4).
(33) Dans le cas inverse, c'est-à-dire lorsque la condition est défaillante, le droit est réputé n'avoir jamais existé : le contrat est donc caduc (en ce sens, Taisne, th., n° 302, p. 418).
(34) L'arrêt relève que la société avait, elle-même, indiqué que la cession litigieuse s'était effectuée sous la condition suspensive de l'autorisation du conseil d'administration, dans sa réponse à la notification de redressements, puis dans sa réclamation.
(35) C. com., art. L. 123-21 (N° Lexbase : L5579AIH), repris à l'article 313-2 du Règlement comptable CRC n° 99-03.
(36) Article 313-2 du Règlement comptable CRC n° 99-03.
(37) Cette incertitude est née d'une position de la COB (devenue l'AMF) dans son rapport annuel 1995 (page 110) : "des sociétés se sont interrogées sur la déconsolidation, à la date de clôture, de filiales pour lesquelles des accords de cession étaient intervenus en fin d'année, accompagnés d'une condition indépendante de la volonté des parties [...]. Si les textes prévoient la déconsolidation d'une filiale destinée à être cédée, ils ne précisent pas explicitement le traitement à retenir dans cette situation [...]. La Commission a considéré que la déconsolidation patrimoniale de ces filiales pouvait s'effectuer à la date de clôture, les flux de l'exercice étant conservés dans le compte de résultat consolidé, conformément à la position exprimée antérieurement".
(38) Avis n° 2005-E du 6 septembre 2005 du Comité d'Urgence du Conseil National de la Comptabilité.
(39) Voir par exemple, CE 3° et 8° s-s-r., 7 juillet 2000, n° 208508, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5195B7K), sur la présentation de l'acte à la formalité de l'enregistrement : "considérant que la cession par la société [...] à la société [...] est intervenue par un acte sous seing privé en date du 6 octobre 1983 ne comportant aucune condition suspensive et qui doit être réputé fixer la date à laquelle l'accord a eu lieu sur la chose et le prix ; que la circonstance que l'acte sous seing privé n'a été présenté à la formalité de l'enregistrement que le 7 novembre 1983 et que la société [...] n'a reçu le prix de la vente que le 25 novembre suivant est sans influence sur la date à laquelle la cession des immeubles dont il s'agit a effectivement eu lieu".
(40) Cette plus-value sera calculée selon la valorisation fiscale de l'élément cédé dans les comptes de la société absorbée.
(41) En ce sens, BOI n° 4 I-2-00 du 3 août 2000. Ainsi, si les titres sont détenus par la société absorbée depuis plus de deux ans, la cession relèvera du régime des plus-values à long terme.
(42) La jurisprudence et la doctrine s'accordent à considérer que les contrats conclus intuitu personae ne sont pas transmis de plein droit dans le cadre d'une fusion (voir pour un exemple, Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-16.878, F-P+B N° Lexbase : A9814DL3 pour le cas d'un "contrat d'agent revendeur").

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Institutions

[Questions à...] La naissance du Défenseur des droits, un acteur essentiel de la défense des libertés du citoyen - Questions à Patrice Gélard, sénateur et rapporteur du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits

Lecture: 6 min

N9661BRA

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 14 Avril 2011

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (loi n° 2008-724, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK) a institué le Défenseur des droits afin de renforcer substantiellement les possibilités de recours non juridictionnel dont dispose le citoyen pour assurer la défense de ses droits et libertés. Sa mise en oeuvre a nécessité l'intervention d'une loi organique (loi n° 2011-333 du 29 mars 2011, relative au Défenseur des droits N° Lexbase : L8916IPW), qui détaille ses compétences, l'étendue de ses pouvoirs, ainsi que la composition des collèges qui l'assistent dans sa mission, et d'une loi ordinaire (loi n° 2011-334 du 29 mars 2011, relative au Défenseur des droits N° Lexbase : L8917IPX), prévoyant, notamment, les sanctions pénales dont est assortie la méconnaissance des dispositions relatives aux pouvoirs d'investigation du Défenseur des droits. Pour faire le point sur les missions et les attributions de ce nouvel acteur essentiel de la vie publique, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Patrice Gélard, sénateur et rapporteur du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits. Lexbase : Quel sera le statut du Défenseur des droits ?

Patrice Gélard : Face au constat d'une dilution des responsabilités résultant de la multiplication des autorités indépendantes chargées de protéger les droits et libertés, le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République, créé en 2007, a souhaité qu'une étape importante soit franchie dans le sens d'une amélioration de la protection des droits des citoyens. S'inspirant du succès rencontré en Espagne par le Défenseur du Peuple mentionné à l'article 54 de la Constitution ibérique, il a recommandé la création d'un Défenseur des droits de rang constitutionnel, ayant vocation à exercer les compétences du Médiateur de la République et d'autres autorités indépendantes. L'article 71-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5162IBS), issu de la révision du 23 juillet 2008, crée donc un Défenseur des droits, afin d'apporter une consécration constitutionnelle à la mission de protection des droits assurée par un ensemble d'autorités indépendantes, auxquelles il doit se substituer, et de donner davantage de cohérence et de lisibilité à notre système de protection des droits, pour le plus grand bénéfice des usagers. C'est donc une autorité constitutionnelle indépendante, mais qui, pour autant, ne fait pas partie des pouvoirs publics constitutionnels. Il ne reçoit, dans l'exercice de ses attributions, aucune instruction, quelle que puisse en être l'origine (autorité, personne, groupe de pression). Par ailleurs, la loi organique garantit son inamovibilité. Ainsi, il ne pourra être mis fin aux fonctions du Défenseur que sur sa demande ou, en cas d'empêchement, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat.

Lexbase : Comment seront garanties son indépendance et son autorité morale ?

Patrice Gélard : Les immunités prévues par les lois s'appliquent aux positions qu'il sera amené à prendre dans l'exercice de ses fonctions. Pour le reste, il est un citoyen comme les autres, donc susceptible de poursuites civiles et pénales. Enfin, son indépendance est également assurée par le fait que son mandat n'est pas renouvelable (le Défenseur des droits est nommé pour six ans), et que ses fonctions sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat électif (mandat parlementaire ou local). Il lui sera, également, interdit d'exercer toute fonction de président et de membre de conseil d'administration, de directoire ou de conseil de surveillance, ou encore d'administrateur délégué dans une société, une entreprise ou tout autre établissement. L'impartialité et la transparence du Défenseur des droits se traduisent aussi par l'existence, d'une part, d'un règlement intérieur précisant certaines modalités de fonctionnement et d'intervention et, d'autre part, d'un code de déontologie destiné à éviter tout conflit d'intérêt entre les fonctions qu'il exerce au sein de l'institution et ses fonctions antérieures ou postérieures.

Lexbase : Quel sera le champ d'intervention de cette nouvelle autorité ?

Patrice Gélard : Il correspond au champ des quatre autorités fusionnées : le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et la Halde, mais, de surcroît, le Défenseur des droits pourra être saisi dans tous les domaines concernant les droits et libertés. Sur ce plan, le progrès est considérable, car, outre la possibilité d'agir dans le domaine des droits et libertés, il sera possible au Défenseur des droits d'intervenir lorsque la violation de ces derniers sera commise par des personnes privées, notamment lorsque les actes en cause sont de nature à mettre en cause la protection des droits d'un enfant ou constituent un manquement aux règles de déontologie dans le domaine de la sécurité. S'agissant, plus particulièrement, de la protection des droits de l'enfant, le Défenseur pourra être directement saisi par l'enfant mineur, de même que par ses représentants légaux, les membres de sa famille, les services médicaux ou sociaux, ainsi que les associations reconnues d'utilité publique qui défendent les droits de l'enfant. Par ailleurs, comme le précise l'article 6 de la loi organique, la saisine du Défenseur des droits sera gratuite. Cependant, elle devra être précédée de démarches auprès des administrations et organismes chargés d'une mission de service public si elle porte sur un dysfonctionnement, et non sur une atteinte aux droits de l'enfant ou aux règles de déontologie de la sécurité.

Ces dispositions ont pour objet de supprimer le filtre parlementaire obligatoire, lequel était devenu obsolète au fil des ans, ce qui constitue une avancée indéniable pour la garantie des droits. La loi organique précise que, toutefois, cette saisine n'interrompt, ni ne suspend, par elle-même, les délais de prescription des actions en matière civile, administrative ou pénale, non plus que ceux relatifs à l'exercice de recours administratifs ou contentieux. Enfin, les moyens d'action renforcés du Défenseur des droits devraient permettre d'améliorer le taux de médiations réussies, d'apporter une réponse adaptée à chaque cas individuel, et de mieux prendre en compte ses recommandations afin de lui permettre d'être plus efficace face aux administrations récalcitrantes.

Lexbase : Quelles seront les personnes chargées de l'assister dans sa mission ?

Patrice Gélard : Les adjoints qu'il choisira, et qui seront nommés par le Premier ministre. Il y aura, également, trois conseils consultatifs composés de neuf membres mis en place à ses côtés. Il paraît, en effet, indispensable que le Défenseur des droits bénéficie de toutes les garanties qu'apporte un examen collégial des réclamations, sans pour autant que son autorité et son rôle d'harmonisation ne soient atténués. Sont donc créés par la loi organique : un collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l'enfant, un collège chargé de la déontologie dans le domaine de la sécurité, et un collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l'égalité. Le Défenseur des droits est le président de chacun des trois collèges, ce qui devrait assurer des échanges permanents entre les formations collégiales et le Défenseur. Cependant, compte tenu de l'étendue des compétences du Défenseur, on peut penser qu'il ne présidera que les réunions les plus importantes de chaque collège, celles qui auront à se prononcer sur des questions particulièrement délicates. Ses adjoints, vice-présidents de chaque collège, pourraient donc le suppléer, le cas échéant, à la présidence des réunions.

Lexbase : Le Défenseur des droits pourra être saisi par toute personne s'estimant lésée par le fonctionnement d'une administration ou d'un service public. Que cela recouvre-t-il exactement ?

Patrice Gélard : Il s'agit d'une saisine relative à une réclamation qui porte sur les services publics, ces derniers étant entendus au sens large. On vise, en effet, les personnes morales de droit privé à qui pourrait être confiée une mission de service public. Mais, à la différence du Médiateur de la République, on cible non seulement les rapports entre les services publics et les administrés, mais aussi les atteintes aux droits et libertés des personnes. On va bien au-delà du simple dysfonctionnement d'une administration. Cependant, l'article 10 de la loi organique apporte une limitation importante aux compétences du Défenseur, en prévoyant qu'il ne peut être saisi ni se saisir d'office des différends qui peuvent apparaître entre des personnes publiques et des organismes chargés d'une mission de service public. Il ne peut pas non plus connaître des différends qui peuvent opposer ces personnes publiques et ces organismes et leurs agents, à raison de l'exercice de leurs fonctions.

Lexbase : Quels seront les pouvoirs d'intervention qui lui seront attribués ?

Patrice Gélard : Ils sont très étendus : médiation, transaction, vérification, recommandation, saisine d'une administration, injonction. L'article 26 de la loi organique énonce, en effet, que le Défenseur des droits peut procéder à la résolution amiable des différends portés à sa connaissance, par voie de médiation. L'article 28 précise, quant à lui, qu'il peut proposer à l'auteur des faits une transaction consistant dans le versement d'une amende transactionnelle dont le montant ne peut excéder 3 000 euros. L'article 30 donne au Défenseur des droits la possibilité d'émettre toute recommandation de nature à régler les difficultés dont il est saisi. Dans l'hypothèse où l'une de ses recommandations ne serait pas suivie d'effet, il peut enjoindre à la personne mise en cause de prendre les mesures nécessaires. Si cette injonction demeure infructueuse, le Défenseur des droits peut rendre publiques ses recommandations, ses injonctions et la réponse de la personne publique ou de l'organisme mis en cause, sous la forme d'un rapport spécial. Il peut, enfin, saisir l'autorité disciplinaire compétente pour des faits constatés dans l'exercice de ses fonctions, et lui paraissant justifier une sanction.

Lexbase : Des critiques se sont élevées de la part de certaines autorités amenées à disparaître (Halde, CNDS, Défenseur des enfants). Vous paraissent-elles justifiées ?

Patrice Gélard : Les critiques élevées par les autorités appelées à disparaître étaient avant tout des critiques animées par la défense du statut de ceux qui les dirigeaient. La nouvelle institution dispose non seulement des pouvoirs des institutions destinées à être remplacées, mais aussi de prérogatives encore plus étendues. Le statut constitutionnel du Défenseur des doits est de nature à renforcer l'autorité et le prestige de l'institution.

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Internet

[Panorama] Panorama d'actualité en droit des nouvelles technologies du cabinet FERAL-SCHUHL / SAINTE-MARIE, société d'avocats - Avril 2011

Lecture: 9 min

N9630BR4

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Le 14 Avril 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, le panorama d'actualité en droit des nouvelles technologies réalisé par le cabinet d'avocats FERAL-SCHUHL / SAINTE-MARIE. Ce cabinet, fondé par des avocats spécialistes dans les technologies, se concentre sur la négociation et la contractualisation de projets innovants et technologiques, sur la gestion des droits de propriété intellectuelle et sur la médiation, l'arbitrage ou les contentieux associés. Composé de 15 avocats et juristes spécialisés, le cabinet FERAL-SCHUHL / SAINTE-MARIE, leader dans le secteur des technologies de l'information et de la communication, sélectionne donc tous les mois, l'essentiel de l'actualité du droit des NTIC. Ainsi, au sommaire de ce deuxième panorama, on retrouvera, entre autres, la décision du Conseil constitutionnel qui a censuré 13 articles de la "LOPPSI 2", confirmant, en particulier, la compétence administrative exclusive en matière de vidéoprotection sur la voie publique. Par ailleurs, ce panorama revient sur la condamnation de Google pour contrefaçon par quatre arrêts de la cour d'appel de Paris en date du 14 janvier 2011, ou encore sur la publication, au Journal officiel du 1er mars 2011, du décret d'application de la "LCEN" du 25 février 2011, relatif à la conservation et à la communication des données permettant d'identifier toute personne ayant contribué à la création d'un contenu mis en ligne. I - Données personnelles
  • Vidéoprotection sur la voie publique : les Sages confirment la compétence administrative exclusive (Cons. const., décision n° 2011-625 DC, du 10 mars 2011, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure N° Lexbase : A2186G9T)

Le 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel a censuré 13 articles de la "LOPPSI 2" (loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure N° Lexbase : L5066IPC ; JORF du 15 mars 2011). A signaler notamment, l'article 18 relatif à la vidéoprotection qui a été censuré en ce qu'il permettait à des personnes morales de droit privé de surveiller la voie publique alors que cette compétence revient à la police administrative générale.

  • Avis de la CNIL sur les conditions de conservation des données d'identification (CNIL, délibération n° 2007-391 du 20 décembre 2007, portant avis sur le projet de décret pris pour l'application de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : L2600DZC, et relatif à la conservation des données de nature à permettre l'identification de toute personne physique ou morale ayant contribué à la création d'un contenu mis en ligne)

La délibération du 20 décembre 2007, portant avis sur le projet de décret relatif à la conservation d'informations par les hébergeurs et les fournisseurs d'accès internet (FAI), a été publiée le 3 mars 2011. La CNIL souligne notamment l'imprécision du texte sur les catégories des personnes assujetties à cette obligation de conservation.

  • Google soumis à la loi "informatique et libertés" (TGI Montpellier, ord. du 28 octobre 2010)

Une ordonnance du tribunal de grande instance de Montpellier a fait application de la loi "informatique et liberté" (loi n° 78-17, 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS) dans un litige mettant en cause le moteur de recherche Google auquel il était demandé de supprimer des liens renvoyant à une vidéo à caractère pornographique. Le tribunal a considéré en l'espèce que Google et Google Inc étaient responsables de traitement et a fait application des dispositions de compétence territoriale prévues à l'article 5 de la loi du 6 juillet 1978.

  • La CNIL précise sa politique en matière de biométrie (article de la CNIL du 14 mars 2011)

La CNIL, à l'occasion d'une condamnation intervenue à l'encontre d'une société ayant fourni une installation biométrique qu'elle avait refusé d'autoriser, a réaffirmé, le 14 mars 2011, sa politique en la matière. Elle précise qu'elle n'a "aucune position de principe à l'encontre de la biométrie, dès lors que les dispositifs mis en oeuvres sont respectueux des droits et des libertés fondamentales des personnes".

  • Google condamné par la CNIL (article de la CNIL du 21 mars 2011)

Le 17 mars 2011, la CNIL a condamné Google au versement d'une amende de 100 000 euros pour avoir procédé à la captation, à l'insu des personnes concernées, de "données de contenus", notamment identifiants, mots de passe, données de connexion, échanges de courriels.

  • Modification de l'organisation de la CNIL (loi n° 2011-333 du 29 mars 2011, relative au Défenseur des droits N° Lexbase : L8916IPW et loi n° 2011-334 du 29 mars 2011, relative au Défenseur des droits N° Lexbase : L8917IPX ; JORF du 30 mars 2011)

La loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 a été modifiée par les lois ordinaire et organique du 29 mars 2011, relatives au Défenseur des droits. La composition de la formation restreinte de la CNIL est modifiée, les membres du bureau (Président et Vice-présidents) ne pouvant désormais plus en faire partie, et le Défenseur des droits peut, à sa demande, être présent lors des réunions de la formation plénière.

  • Publication du rapport de la CNIL sur le fichier des "Roms" (article de la CNIL du 30 mars 2011)

Le 30 mars 2011, la CNIL a publié le rapport définitif relatif aux investigations menées auprès de la gendarmerie nationale concernant la mise en oeuvre supposée d'un fichier des "Roms", dénommé "fichier MENS". Il résulte de ces investigations qu'aucun "fichier structuré et pérenne regroupant des données à caractère personnel de nature ethnique visant, en particulier, les "gens du voyage" n'est mis en oeuvre par la gendarmerie nationale". La CNIL a toutefois constaté une méconnaissance de certaines des obligations issues de la loi "informatique et libertés" lors du traitement par la gendarmerie nationale de données à caractère personnel dans le cadre de ses activités de renseignement.

II - Communications électroniques

  • Tarif social pour les téléphones mobiles (convention signée entre l'Etat et les opérateurs téléphoniques du 7 mars 2011)

Le 7 mars 2011, une table ronde pour la mise en oeuvre d'un tarif social dans la téléphonie mobile et l'internet a réuni des représentants du Gouvernement et des opérateurs téléphoniques. Ces derniers se sont engagés à proposer dans les 6 prochains mois, une offre "Tarif social mobile" de 10 euros pour 40 minutes de télécommunication et 40 SMS par mois, sans engagement ni frais d'activation ou de résiliation.

  • Pas de commissaire du Gouvernement au sein de l'ARCEP (loi n° 2011-302 du 22 mars 2011, portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques N° Lexbase : L8628IPA ; JORF du 23 mars 2011)

Le 9 mars 2011, le Sénat a adopté définitivement le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communication électronique. La suppression de la disposition relative à la création d'un poste de commissaire du gouvernement au sein de l'ARCEP a été confirmée.

  • L'Autorité de la concurrence saisie pour l'instauration d'un tarif social d'accès à internet haut débit (communiqué de presse de l'Autorité de la concurrence du 14 mars 2011)

Le ministère des Finances a saisi, le 8 mars dernier, l'Autorité de la concurrence pour qu'elle se prononce sur les enjeux et modalités de la mise en oeuvre d'un tarif social d'accès à l'Internet haut débit. La demande d'avis porte sur un système de labellisation des offres proposant un prix considéré comme abordable. Il est cependant exclu qu'une compensation financière soit accordée aux opérateurs labellisés.

III - Droit d'auteur et oeuvres numériques

  • Rapport du Sénat sur la création dans le monde numérique (rapport d'information du Sénat, sur la création dans le monde numérique, enregistré à la présidence le 4 mars 2011)

La Commission de la Culture du Sénat a publié un rapport d'information portant sur "la création dans le monde numérique" qui se prononce notamment sur le financement des contenus et la régulation des acteurs de l'internet. Le statut des hébergeurs est abordé et il est proposé de former une alliance entre éditeurs et distributeurs "dans l'intérêt de l'ensemble des acteurs concernés".

  • Adoption par le Sénat d'une proposition de loi sur le prix unique du livre numérique (proposition de loi relative au prix du livre numérique, adoptée en deuxième lecture par le Sénat le 29 mars 2011)

La proposition de loi sur le prix unique du livre numérique a été adoptée en deuxième lecture par le Sénat le 29 mars 2011. Elle impose à toute personne qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France de fixer un prix de vente.

  • Un site de vidéo à la demande et streaming de musique condamné (CA Paris, Pôle 5, 12ème ch., 22 mars 2011)

La cour d'appel de Paris a confirmé, par un arrêt du 22 mars 2011, la condamnation d'un site de vidéo à la demande et streaming de musique pour mise à disposition de liens permettant l'écoute gratuite d'enregistrements musicaux sans autorisation des ayants droit. Le site a été condamné au paiement de dommages et intérêts calculés sur la base des bénéfices effectués grâce à la publicité.

  • Réaction au rejet du projet de règlement Google books (communiqué de presse du ministère de la Culture du 23 mars 2011)

Le 23 mars 2011, le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, s'est félicité du rejet par la justice américaine du règlement entre Google et les auteurs et éditeurs américains, soulignant que cette décision "valide la stratégie mise en oeuvre en France pour favoriser la diffusion des oeuvres de l'esprit dans l'univers numérique tout en respectant le droit d'auteur". Le ministre de la Culture rappelle cependant qu'il souhaite qu'un règlement général soit adopté sur cette question.

Par quatre décisions du 14 janvier 2011, la cour d'appel de Paris a condamné Google Inc et Google France pour contrefaçon d'oeuvres audiovisuelles. Il leur était reproché de ne pas avoir mis en oeuvre toutes les mesures efficaces pour empêcher la rediffusion sur le site Google Vidéo d'un fichier illicite ayant déjà fait l'objet d'une suppression.

IV - Cybercriminalité

  • L'infraction d'accès frauduleux retenue à l'encontre du pirate de Deezer (TGI Paris, 12ème ch., 17 décembre 2010)

Le tribunal de grande instance de Paris, par un jugement du 17 décembre 2010, a condamné à deux mois de prison avec sursis le pirate qui s'était introduit frauduleusement sur le site de Deezer afin de dupliquer ses bases de données et les reproduire en ligne sur son propre site. Le tribunal a considéré que le délit d'accès frauduleux était caractérisé, l'intrusion ayant été effectuée par un "spécialiste chevronné" au moyen d'un procédé hors de portée de l'internaute lambda.

  • Pas de condamnation à l'encontre du "pirate" de Cdiscount (TGI Bordeaux, 4ème ch., 6 janvier 2011)

Le tribunal de grande instance de Bordeaux, le 6 janvier 2011, a prononcé la relaxe de l'auteur d'une entrave présumée au fonctionnement d'un site internet appartenant à une filiale de Cdiscount. Le prévenu s'était introduit sur le site afin de récupérer des informations destinées à alimenter une "veille concurrentielle". Pour prononcer la relaxe, le tribunal s'est fondé sur l'absence d'intention de nuire ainsi que de blocage ou ralentissement du site, éléments constitutifs de l'infraction.

V - Cybersurveillance

  • L'appréciation restrictive du caractère professionnel des e-mails de salariés (Cass. soc., 2 février 2011, n° 09-72.449, F-D N° Lexbase : A3615GRC)

La Cour de cassation, par un arrêt du 2 février 2011, s'est prononcée au sujet du caractère privé des e-mails échangés entre salariés sur leur lieu de travail. Elle a considéré que dès lors qu'une cour d'appel relève que les courriels envoyés sont en rapport avec l'activité professionnelle, elle ne peut déduire leur caractère privé de leur contenu pour les écarter des débats dans le cadre d'une procédure disciplinaire.

VI - Acteurs de l'internet

  • Règles de conservation des données d'identification précisée par décret (décret n° 2011-219 du 25 février 2011, relatif à la conservation et à la communication des données permettant d'identifier toute personne ayant contribué à la création d'un contenu mis en ligne N° Lexbase : L4181IPK ; JORF du 1er mars 2011)

Le décret d'application de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique de 2004 ("LCEN" N° Lexbase : L2600DZC), portant sur l'obligation de conservation des données d'identification par les créateurs de contenus en ligne, a été publié au Journal officiel du 1er mars 2011. Il précise les informations qui doivent être conservées pour chaque opération, qu'il s'agisse de création initiale, de modification de contenus ou de suppression.

VII - Commerce électronique

  • Le droit de rétractation inapplicable aux ventes en ligne entre particuliers (Jurid. prox. Dieppe 7 février 2011)

Le tribunal de proximité de Dieppe s'est prononcé, par une décision du 7 février 2011, en faveur d'une application restrictive de l'article L. 121-16 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6441G9G). Cet article, qui prévoit un droit de rétraction au profit de l'acheteur en ligne, ne peut pas être invoqué lorsqu'il s'agit d'une vente entre deux particuliers par le biais d'un site internet de mise en relation.

VIII - Droit de la presse

  • L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil en cas d'injure publique (Cass. civ. 1, 17 février 2011, n° 09-72.249, F-D N° Lexbase : A1577GXP)

Par un arrêt du 17 février 2011, la Cour de cassation a considéré qu'une décision de la cour d'appel de Paris a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. La Haute juridiction juge que la cour d'appel ne pouvait infirmer la décision d'une instance disciplinaire ayant prononcé une peine d'avertissement contre un avocat au motif que "la caricature ne constituait pas un manquement à la délicatesse en raison des circonstances particulières de l'affaire", alors que cette condamnation disciplinaire faisait suite à une décision de la juridiction répressive le condamnant pour injure publique envers un particulier.

FERAL-SCHUHL / SAINTE-MARIE, société d'avocats
www.feral-avocats

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Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut Universitaire de France - Avril 2011 : La réforme de la justice civile, entre harmonisation et uniformisation (1ère partie)

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N9686BR8

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Le 30 Septembre 2011

Depuis décembre 2009, les textes importants qui concernent la procédure civile s'enchaînent. Entre lois et décrets, ce mouvement de réforme s'est encore accéléré depuis l'automne 2010. Les modifications concernent la procédure civile au sens strict (réforme de la procédure devant la cour d'appel, de la procédure orale, de la conciliation), mais plus généralement la justice civile (fusion des professions d'avocat et d'avoué, création de l'acte contresigné par avocat, etc.). L'esprit des textes oscille entre harmonisation et uniformisation. L'harmonisation se manifeste par la création de règles communes à toutes les procédures de conciliation, par l'introduction de l'écrit dans la procédure orale ou par la création d'un système gradué de la preuve des actes juridiques (authentiques, contresignés par avocat ou sous seing privé). L'uniformisation est illustrée par l'absorption des prérogatives des avoués par les avocats ou par la généralisation du calendrier de procédure. Dans cette chronique, nous proposons une synthèse des grands changements suscités par les textes adoptés au cours des derniers mois. Compte tenu de l'ampleur de ces modifications, cette chronique s'étalera sur deux numéros de l'édition "privée". Cette semaine, seront traités les thèmes suivants :

1. L'acte contresigné d'avocat
2. La procédure de conciliation.

Dans le prochain numéro, seront abordées :

3. La procédure orale
4. La fusion des professions d'avocat et d'avoué
5. La procédure d'appel.

1. L'acte contresigné d'avocat

Il s'agit d'une création tout à fait importante dans le paysage des actes juridiques en droit français issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées (N° Lexbase : L8851IPI). Mais cette création recèle autant d'innovations que d'incertitudes. Nous allons tenter d'en éclairer le sens, tout en soulignant ses ambigüités.

A l'origine de cette création se trouve le rapport "Darrois" sur les professions du droit remis au Président de la République en avril 2009. Le rapport avait souhaité répondre à une revendication de certains avocats, visant à leur permettre de dresser des actes authentiques. Après avoir constaté que l'acte authentique, par sa force probante (1) et son caractère exécutoire, devait être réservé à certaines professions, le rapport "Darrois" proposa une demi-mesure en créant l'acte contresigné d'avocat.

Cette création poursuit plusieurs d'objectifs :

- d'abord, il s'agit d'inciter les parties à recourir aux conseils d'un avocat avant de s'engager par contrat. La commission "Darrois" met en exergue le risque lié aux modèles de contrats que les parties consultent sur Internet et utilisent sans mesurer la portée de l'engagement. Le rapport souhaite ainsi que les parties aient, plus souvent, recours à un avocat pour bénéficier de ses conseils dans la rédaction des contrats.

- ensuite, la commission "Darrois" a souhaité apporter une sécurité juridique supérieure à celle existante en matière contractuelle. Elle propose ainsi de "renforcer la valeur de l'acte sous seing privé" lorsque celui-ci est contresigné par un avocat. La formule "renforcer la valeur" est d'une grande ambiguïté, car juridiquement, aucun contrat n'a plus de valeur qu'un autre. Dès lors qu'il est valablement conclu, le contrat, qu'il soit oral, écrit ou authentique, oblige pareillement les parties. La question est donc essentiellement sa valeur probatoire, dite encore force probante ; question sur laquelle nous reviendrons.

- enfin, la commission "Darrois" a souhaité lier l'acte contresigné avec l'obligation de conseil et la responsabilité de l'avocat. Selon le rapport, "la responsabilité assumée par les avocats dans le cadre de ce contreseing incitera ces derniers à améliorer la qualité de leur conseil".

La loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 s'est largement inspirée de ce rapport pour insérer un chapitre 1er bis dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ). Ce chapitre est intitulé : "le contreseing de l'avocat". L'ambiguïté de l'acte contresigné par l'avocat apparaît nettement. On aurait pu imaginer qu'en tant que mode de preuve spécifique, l'acte contresigné d'avocat soit intégré dans le Code civil qui contient les dispositions sur la preuve des obligations. Entre l'acte authentique et l'acte sous seing privé, l'acte contresigné aurait dû, logiquement trouver sa place. La loi du 28 mars 2011 (article 3) insère, au contraire, trois articles (66-3-1 à 66-3-3) dans la loi du 31 décembre 1971.

Le premier article (66-3-1) porte sur l'engagement de l'avocat dans l'acte : Il énonce qu'"en contresignant un acte sous seing privé, l'avocat atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties qu'il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte". Cette disposition rappelle donc que l'avocat est susceptible d'engager sa responsabilité civile, au même titre que le notaire, dans l'exercice de son obligation de conseil et de rédacteur d'acte. La disposition ne semble pas innovante puisque les obligations de l'avocat liées au conseil et à la rédaction des actes existent déjà (2). Il y a pourtant une différence pratique importante entre le conseil délivré à l'oral, dont la preuve sera malaisée, et celui lié à l'acte contresigné. L'avocat s'engage non seulement sur l'efficacité de l'acte, mais également sur l'information des clients s'agissant de la portée de l'engagement. L'expression "conséquences juridiques de l'acte" est très vague et rend l'obligation de conseil particulièrement large.

Ainsi, l'objectif premier poursuivi par le législateur, qui consiste à inciter les parties à se tourner vers l'avocat pour la conclusion de leurs contrats, s'accompagne d'une contrepartie lourde de conséquences : l'engagement juridique de l'avocat et la responsabilité potentielle qui l'accompagne.

Le deuxième article (66-3-2) dispose que "l'acte sous seing privé contresigné par les avocats de chacune des parties ou par l'avocat de toutes les parties fait pleine foi de l'écriture et de la signature de celles-ci tant à leur égard qu'à celui de leurs héritiers ou ayants cause". La formule "pleine foi" est ambivalente. Elle est utilisée à deux reprises par le Code civil : d'une part, dans l'article 1319 qui prévoit que "l'acte authentique fait pleine foi de la convention qu'il renferme entre les parties contractantes et leurs héritiers ou ayants cause" ; d'autre part, dans l'article 1356 (N° Lexbase : L1464ABT) "l'aveu judiciaire [...] fait pleine foi contre celui qui l'a fait".

Il est difficile de croire que le législateur ait souhaité attribuer la même force probante à l'acte contresigné d'avocat et à l'acte notarié. Les débats à l'Assemblée nationale traduisent, au contraire, le rejet de la proposition du rapport "Darrois" de rapprocher actes contresigné d'avocat et acte authentique (3). L'expression "fait pleine foi" est donc mal choisie, sauf à considérer qu'elle signifie seulement "fait preuve", ce qui n'indique aucune force probante particulière.

Il faut donc chercher la force probante de l'acte contresigné d'avocat ailleurs. L'article 66-3-2 prévoit que "la procédure de faux prévue par le Code de procédure civile lui est applicable". Ainsi, comme le veut la tradition juridique française, la force probante d'un mode de preuve est, avant tout, définie par la manière dont il peut être détruit. Mais ce qui est troublant, c'est que l'acte contresigné peut être attaqué de la même manière que l'acte sous seing privé. Ainsi, la force probante de l'acte sous seing privé est conditionnée par la reconnaissance de celui à qui on l'oppose (C. civ., art. 1322 N° Lexbase : L1433ABP). A l'inverse, si une partie "désavoue son écriture ou sa signature" une vérification doit être ordonnée en justice selon les articles 287 (N° Lexbase : L1892H4T) et suivants du Code de procédure civile. S'agissant de l'acte contresigné d'avocat, la procédure de contestation est celle du faux de l'article 299 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1924H4Z). Mais lorsqu'un acte est argué de faux, l'article 299 renvoie précisément à l'article 287, c'est-à-dire à la vérification d'écriture. Voilà qu'en sautant d'un article à un autre, on se rend compte que le législateur a doté l'acte contresigné d'avocat de la même force probante que l'acte sous seing privé.

On en arrive donc à la contradiction suivante : l'acte contresigné fait pleine foi de la convention qu'il renferme, mais il peut être combattu avec les mêmes armes que l'acte sous sein privé. Le législateur n'a pas mesuré la portée de son texte et les travaux parlementaires montrent à quel point la question de la force probante d'un mode de preuve a été méconnue ou mal comprise par les rédacteurs de la loi.

En effet, le système probatoire français des actes juridiques repose sur une imprécision. Hérité du système des preuves légales, l'actuel système du Code civil n'a conservé qu'une partie des attributs de la force probante : le mode de contestation de la preuve. C'était ignorer que la force probante doit également permettre d'établir une hiérarchie entre les preuves. Le législateur de 2011 souhaitait établir une hiérarchie entre l'acte authentique, l'acte contresigné d'avocat et l'acte sous seing privé (4). Mais les outils juridiques dont il disposait ne lui permettaient pas d'atteindre un tel résultat. Précisément, l'article 1316-2 (N° Lexbase : L0628ANL) prévoit qu'en cas de conflit de preuve littérale, le juge détermine par tout moyen le titre le plus vraisemblable. Cette disposition neutralise la création d'une hiérarchie des preuves.

En définitive, la différence entre l'acte contresigné d'avocat et l'acte sous seing privé est très faible. Pour contester le premier, il suffit d'arguer le faux. Pour contester le second, il faut simplement dénier l'écriture ou la signature. Mais dans les deux cas, la procédure de vérification devra être ordonnée. Entre les deux, le juge devra choisir le plus vraisemblable.

Et l'ironie est telle que l'acte sous seing privé accède à la force de l'acte authentique dès qu'il est reconnu par les parties, alors que le législateur a expressément refusé cette accession à l'acte contresigné d'avocat. La situation devient alors absurde.

Le troisième article de la loi consacré à l'acte contresigné d'avocat confère, in extremis à cet acte, une spécificité marginale. L'article 66-3-3 de la loi de 1971 prévoit, désormais, que "l'acte sous seing privé contresigné par avocat est, sauf disposition dérogeant expressément au présent article, dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi". Cette précision est utile, car elle peut dispenser de certaines formalités manuscrites lourdes, mais elle reste marginale puisque la jurisprudence appliquant l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT) a récemment dispensé les parties des mentions manuscrites, estimant que pour les actes "par lesquels une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent", seule l'identité du signataire avait de l'importance (5).

En conclusion, l'acte contresigné d'avocat est considéré comme la mesure phare de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, mais elle demeure, avant toute chose, une mesure symbolique sur le plan probatoire. Par ailleurs, alors qu'elle avait été conçue pour favoriser la profession d'avocat, elle met en exergue l'obligation de conseil, et crée ainsi autant de contraintes qu'elle n'apportera de clients.

On précisera que les dispositions de la loi consacrées à l'acte contresigné d'avocat entreront en vigueur "le premier jour du neuvième mois suivant celui de la publication de la présente loi", soit le premier décembre 2011.

2. La procédure de conciliation

Le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010, relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale (N° Lexbase : L0992IN3), est une émanation du rapport "Guinchard", sur la répartition des contentieux remis au Garde des Sceaux en juin 2008. L'une des 65 propositions de ce rapport concernait le développement de la conciliation. Le décret, dans sa notice, explique qu'il s'agit de développer et de faciliter l'activité des conciliateurs avant toute action en justice (tentative préalable de conciliation) ou en cours d'instance (dans la procédure aux fins de jugement) (6).

Le décret modifie plusieurs dispositions, dans la partie générale du Code de procédure civile (dispositions communes à toutes les juridictions), dans certaines parties spéciales du même Code, mais également dans le décret n° 78-381 du 20 mars 1978 modifié, relatif aux conciliateurs de justice (N° Lexbase : L0747AYC).

A. Modification des dispositions communes à toutes les procédures de conciliation

Les dispositions générales sur la conciliation dans le Code de procédure civile sont divisées par le décret en trois chapitres :

- Dispositions générales (articles 127 N° Lexbase : L1108IND à 129)
- La conciliation déléguée à un conciliateur de justice (articles 129-1 N° Lexbase : L1113INK à 129-5)
- L'acte de conciliation (articles 130 N° Lexbase : L1115INM à 131).

Le premier chapitre ne subit pas de modifications de fond. En revanche, le deuxième chapitre est substantiellement augmenté. On ne retrouve pas de réelles innovations, mais surtout l'intégration dans les dispositions communes du Code de procédure civile de dispositions déjà prévues, soit pour le tribunal d'instance, soit dans le décret de 1978 relatif aux conciliateurs de justice.

Le juge qui délègue sa mission de conciliation (en vertu d'une disposition particulière), désigne le conciliateur et fixe la durée de la mission. Cette durée ne peut dépasser initialement deux mois, mais peut être renouvelée. Le juge fixe la date à laquelle l'affaire sera appelée. Il peut mettre fin à tout moment à la conciliation, soit à la demande d'une partie, soit à l'initiative du conciliateur, soit d'office (uniquement si le bon déroulement de la conciliation apparaît compromis). Le Code précise que les décisions du juge prises dans le cadre de la délégation de conciliation sont des mesures d'administration judiciaire. Elles ne sont donc pas susceptibles de recours.

La procédure de conciliation comporte plusieurs points communs avec une procédure juridictionnelle. Le conciliateur peut convoquer les parties, lesquelles peuvent être assistées par une personne ayant qualité pour le faire devant la juridiction concernée. Le conciliateur dispose du pouvoir d'enquête : transport sur les lieux, audition de témoins. Les éléments de preuve qu'il pourra extraire de ses constatations ou des auditions ne pourront être ensuite utilisés dans la procédure contentieuse si la conciliation devait échouer. Le conciliateur dialogue avec le juge en l'informant des difficultés qu'il rencontre dans l'exercice de sa mission, du succès ou de l'échec de cette procédure.

En quelques articles le Code de procédure civile résume donc la procédure de conciliation sur délégations de façon claire et succincte.

Le troisième chapitre consacré à l'acte de conciliation comporte des dispositions novatrices, car il ouvre deux voies possibles pour l'issue de la procédure :

- de façon traditionnelle, les parties peuvent signer avec le juge un procès verbal de conciliation, dont les extraits délivrés par le juge ont force exécutoire ;

- les parties peuvent également signer avec le conciliateur un constat de conciliation. Pour acquérir la force exécutoire, ce constat devra être homologué par le juge selon une procédure gracieuse. Cette possibilité était antérieurement mentionnée dans le décret du 20 mars 1978. L'article 9 de ce même décret prévoit désormais que le juge peut être saisi par requête pour conférer force exécutoire à l'accord sauf si une partie s'oppose à cette procédure.

Ces deux procédures sont applicables, que l'accord de conciliation soit total ou partiel.

Une disposition commune applicable à toutes les juridictions à été intégrée dans la partie relative aux mesures d'instruction. Elle prévoit que le juge chargé de procéder à une mesure d'instruction ou d'en contrôler l'exécution peut constater la conciliation des parties (C. pr. civ., art. 171-1 N° Lexbase : L1105INA).

Par ailleurs, conformément aux préconisations du rapport "Guinchard", le Code de l'organisation judiciaire est modifié pour accueillir un "conseiller chargé de suivre l'activité des conciliateurs de justice et des médiateurs et de coordonner leur action dans le ressort de la cour d'appel" (COJ art. art. R. 312-13-1 N° Lexbase : L1117INP). Ce magistrat doit établir un rapport annuel sur l'activité des conciliateurs et médiateurs.

Enfin, une partie des dispositions communes relative à la conciliation est intégrée dans le décret du 20 mars 1978, relatif aux conciliateurs de justice. L'article 6 de ce décret prévoit ainsi que "le conciliateur de justice peut s'adjoindre, avec l'accord des parties, le concours d'un autre conciliateur de justice du ressort de la cour d'appel". Selon le rapport "Guinchard", il s'agit ici de faciliter la conciliation dans des dossiers lourds ou de favoriser la formation de nouveaux conciliateurs.

B. La conciliation devant les juridictions spécialisées

Devant le tribunal d'instance et la juridiction de proximité, le Code de procédure civile distingue la conciliation déléguée et celle devant le juge.

A l'article 829 du Code de procédure civile, le juge perd la possibilité d'enjoindre aux parties de rencontrer un conciliateur. En revanche, il a la possibilité d'engager la procédure de conciliation déléguée de sa propre initiative, chaque fois que le demandeur ne s'y est pas opposé formellement dans sa déclaration. A son tour, le défendeur doit refuser expressément la tentative de conciliation par déclaration au greffe de la juridiction. La conciliation déléguée peut avoir lieu au cours de l'instance. Ainsi, l'article 845, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1189IND) prévoit que le juge peut, à tout moment de la procédure, inviter les parties à rencontrer un conciliateur de justice.

Le rapport "Guinchard" avait préconisé "la transmission au tribunal par le conciliateur de justice, en cas d'échec d'une tentative de conciliation extrajudiciaire, de la requête conjointe des parties aux fins de jugement et la création d'une passerelle entre la tentative préalable de conciliation et la saisine du tribunal aux fins de jugement". Ces suggestions ne sont pas reprises et le Code mentionne simplement que les parties sont avisées que la juridiction peut être saisie aux fins d'homologation de leur accord ou aux fins de jugement en cas d'échec de la conciliation. L'échec de la conciliation ne permet donc pas d'enchaîner directement sur une procédure de jugement et les parties doivent saisir à nouveau le juge.

S'agissant de la conciliation menée par le juge, le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 regroupe toutes les dispositions du Code de procédure civile déjà existantes dans une même section. L'intérêt de cette procédure réside dans le fait qu'à défaut de conciliation, l'affaire peut être immédiatement jugée si les parties y consentent.

Devant le tribunal de commerce, le Code de procédure civile est enrichi de plusieurs dispositions permettant au tribunal de désigner un conciliateur de justice avec l'accord des parties et par simple mention au dossier (C. pr. civ., art. 860-2 N° Lexbase : L1161INC). La conciliation déléguée est ainsi étendue à cette juridiction conformément aux recommandations du rapport "Guinchard".

Devant le tribunal paritaire des baux ruraux, la modification prend la forme d'un maintien. En effet, l'article 883 du Code de procédure civile prévoyait que les parties étaient tenues de comparaître en personne sauf représentation pour motif légitime (N° Lexbase : L1169INM). Le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 leur permet désormais de se faire représenter en toutes circonstances. Toutefois, l'article 883, alinéa 2, du Code de procédure civile maintient une exception en disposant que "lors de la tentative préalable de conciliation, elles sont tenues de comparaître en personne, sauf à se faire représenter en cas de motif légitime".

En conclusion, la réforme de la conciliation n'est pas de grande ampleur, mais elle bénéficie d'une mise en cohérence. Les dispositions communes du Code de procédure civile sont étoffées et quelques dispositions spéciales permettent d'harmoniser la conciliation devant les juridictions spécialisées. Il est à regretter que des dispositions sur la conciliation persistent dans un texte annexe : le décret de 1978 sur les conciliateurs. L'harmonisation a donc ses limites.

Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut Universitaire de France


(1) Il fait foi jusqu'à inscription de faux, C. civ., art. 1319 (N° Lexbase : L1430ABL).
(2) P. Cassuto-Teytaud, La responsabilité des professions juridiques devant la première chambre civile, Rapport annuel 2002 de la Cour de cassation.
(3) Le rapport "Darrois" proposait d'insérer un article selon lequel "L'acte sous seing privé contresigné dans les conditions ci-dessus est légalement tenu pour reconnu au sens de l'article 1322 du Code civil". L'article 1322 prévoit, quant à lui que "L'acte sous seing privé, reconnu par celui auquel on l'oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l'ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l'acte authentique". Il donne donc la force probante de l'acte authentique à un acte sous seing privé.
(4) Cf. Rapport de L. Béteille, fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi, de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées.
(5) Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 06-17.534, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3931D7Q), JCP éd. G, 2008, II, 10081, note E. Putman, D., 2008, p. 1956, note I. Maria.
(6) Cf. sur la distinction, C. Blery, Conciliation et procédure orale en matière civile, commerciale et sociale - à propos du décret du 1er octobre 2010, JCP éd. G, 2010, 1044.

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Rel. individuelles de travail

[Questions à...] De la complexité des relations entre une maison-mère et sa filiale étrangère - Question à Maître Rémi Dupiré, Dupiré et associés, avocat au barreau de Paris

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N9719BRE

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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 15 Avril 2011

Détachement des travailleurs dans le cadre d'une prestation de services transnationale, expatriation, mobilité inter-groupe, relations entre maison-mère et filiale... L'exécution d'un contrat de travail, relation entre un salarié et son employeur, se complexifie au travers de ces procédés juridiques où il est de plus en plus difficile d'identifier le véritable employeur. Sur qui pèsent finalement les obligations inhérentes au contrat de travail ? Dans un arrêt du 30 mars 2011 (Cass. soc., 30 mars 2011, n° 09-70.306, FS-P+B+R N° Lexbase : A3925HMC) (1) se pose tout particulièrement la question de l'exécution de l'obligation de l'article L. 1231-5 du Code du travail (N° Lexbase : L1069H9H) assurant le rapatriement et le reclassement d'un salarié licencié par une filiale étrangère (2). Cette obligation joue ainsi même en l'absence du maintien d'un contrat de travail entre le salarié et la maison-mère et lorsque le contrat conclu avec la filiale est seulement soumis au droit d'un autre pays. Lexbase-Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Rémi Dupiré, avocat au barreau de Paris pour tenter de comprendre l'étendue des obligations pesant sur la société mère française. Pour ce dernier, "les dispositions de l'article L. 1231-5 du Code du travail peuvent dorénavant être considérées comme une règle de droit international privé devant être appliquée quelque soit la loi régissant le contrat de travail" risquant à terme de porter préjudice au salarié. Lexbase : L'arrêt du 30 mars 2011 énonce que la société mère lorsqu'un salarié, mis par la société au service de laquelle il était engagé à la disposition d'une filiale étrangère à laquelle il est lié par un contrat de travail, est licencié par cette filiale, la société mère doit assurer son rapatriement et lui procurer un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions au sein de la société mère. L'application de ce texte n'étant pas subordonné au maintien d'un contrat de travail entre le salarié et la maison-mère et peu important, également, que le contrat conclu avec la filiale soit soumis au droit étranger. Cet arrêt semble être le prolongement des arrêts rendus le 13 novembre 2008 (3)? Qu'en pensez-vous ? En quoi diffère-t-il ?

Rémi Dupiré : Préalablement à toute discussion, il est important de rappeler que la mise à disposition d'un salarié au sein d'une filiale étrangère peut être effectuée sous deux régimes différents, le détachement ou l'expatriation. Les statuts qui en découlent obéissent alors à des règles juridiques distinctes emportant des conséquences différentes en matières sociales et fiscales. Le choix de l'un ou l'autre de ces statuts dépend essentiellement de la durée prévisible de la mission, de la législation applicable au sein du pays d'accueil ainsi que des conventions internationales en vigueur.

En cas de "détachement" le contrat de travail conclu avec la société mère française se poursuit. Pour des raisons inhérentes à la législation du pays d'accueil, un contrat de droit local peut être conclu "en parallèle".

En cas "d'expatriation", le contrat initial est, en revanche, suspendu. Un contrat de droit local est alors obligatoirement conclu.

Ainsi, tant en matière de détachement que d'expatriation le lien de droit entre l'employeur français et le salarié subsiste. Il est dès lors normal qu'à l'échéance de la mission effectuée à l'étranger le salarié soit réintégré dans ses fonctions antérieures. C'est dans cette logique que s'inscrivent les dispositions de l'article L. 1231-5 du Code du travail. Celles-ci visant à garantir la protection du salarié français en mission de courte ou longue durée à l'étranger. En 2008, la Cour de cassation a toutefois pris une position revenant sur ce raisonnement juridique. Les juges suprêmes ont, en effet, affirmé que cette obligation de rapatriement prévue à l'article L. 1231-5 du Code du travail s'appliquait même en l'absence de tout lien contractuel liant le salarié travaillant à l'étranger avec la maison mère.

L'arrêt rendu le 30 mars 2011 conforte cette position mais vient, par ailleurs, ajouter que cette obligation de rapatriement subsiste alors même que le salarié n'a jamais exercé la moindre activité en France. En l espèce, un salarié avait été embauché en contrat à durée déterminée en France pour travailler à la création et l'implantation d'une filiale aux états unis. A l'expiration de son contrat à durée déterminée de deux mois, ledit salarié avait été logiquement recruté par la société américaine nouvellement créée. Cinq ans plus tard, licencié par son employeur américain, ce même salarié demandait (et obtenait) sa réintégration au sein de la maison mère française.

La solution rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme que les dispositions de l'article L. 1231-5 du Code du travail s'appliquent en l'absence même de tout lien contractuel existant entre le salarié et la maison mère française. Elle précise, au passage, que bien que le salarié n'ait jamais exercé la moindre activité en France, cela ne fait pas obstacle à l'application de ces mêmes dispositions. Se faisant, elle pose le postulat selon lequel le droit du travail français reste applicable à une relation contractuelle pourtant totalement soumise au droit étranger...

Lexbase : Pourquoi doit-on appliquer l'article L. 1231-5 en l'absence de contrat de travail entre le salarié étrangère et la société mère ?

Rémi Dupiré : Ainsi qu'il l'a été précédemment rappelé cette obligation ne résulte pas de la loi mais bien d'une interprétation extensive de la jurisprudence.

Les juges suprêmes ont souhaité assurer une protection optimale des salariés licenciés hors de leur pays d'origine. Le but étant, au-delà de la problématique liée à la réintégration, de permettre au salarié de bénéficier, en cas de licenciement, des dispositions applicables en droit français.

Lexbase : Cette obligation ne joue-t-elle qu'en cas de licenciement ?

Rémi Dupiré : L'obligation de rapatriement s'impose dès lors qu'il y a expatriation ou détachement et ce, en toute logique, la mission à l'étranger ayant, par définition, un caractère temporaire.

Une fois la prestation menée à son terme, le salarié réintègre son entreprise d'origine soit parce que son contrat initial est resté en vigueur (détachement) soit parce qu'il a simplement été suspendu (expatriation).

Les dispositions de l'article L. 1231-5 visent donc simplement à éviter toute "confusion" de l'employeur souhaitant procéder au licenciement de l'un de ses salariés détaché ou expatrié via la rupture du contrat conclu avec la filiale.

Par ailleurs, les magistrats de la Chambre sociale ont étendu la notion de licenciement à toute forme de rupture du contrat local (transaction (4), cession de fonds de commerce (5) (...).

Lexbase : Comment mettre en place l'obligation de reclassement ? Ne joue-t-elle qu'à l'égard de la société mère ou aussi à l'égard des autres filiales ?

Rémi Dupiré : L'article L. 1231-5 du Code du travail impose à l'employeur de rapatrier le salarié licencié au sein de la société mère française.

Toutefois, dans la mesure où il a déjà été jugé qu'un reclassement pouvait se traduire par une modification du contrat de travail du salarié réintégré, il semble possible d'affirmer que l'obligation de reclassement s'étend au groupe (du moins en l'absence de poste vacant au sein de la maison mère).

Lexbase : L'article L. 1231-5 ne souffre-t-il pas d'une interprétation difficile ?

Rémi Dupiré : Les dispositions figurant audit article découlent naturellement du statut de détaché ou d'expatrié, de l'existence d'un contrat principal et d'un contrat accessoire, uniquement conclu pour répondre à des contraintes d'ordre extérieur (législation locale, prestations sociales, fiscalité...).

C'est plutôt l'interprétation jurisprudentielle qui en est faite qui semble difficile à appréhender. Cependant, déconnectée des règles applicables en matière de mobilité internationale (détachement et expatriation), elle risque de rendre particulièrement complexe les mutations intra groupe.

Ces dispositions jurisprudentielles contreviennent, par ailleurs, au principe dit de la "loi d'autonomie" applicable en matière de droit international.

Ce faisant, la Chambre sociale revient, également, sur le principe qu'elle avait posée en 1993 dans un arrêt dit "Robertson", arrêt aux termes duquel elle avait précisé "que le droit français avait cessé d'être applicable aux relations contractuelles des parties à la date à laquelle le nouvel engagement avait pris effet [...]" (6).

De fait, les dispositions de l'article L.1231-5 du Code du travail peuvent dorénavant être considérées comme une règle de droit international privé devant être appliquée quelle que soit la loi régissant le contrat de travail.

Lexbase : Comment simplifier les relations entre les sociétés mères françaises et les filiales étrangères ?

Rémi Dupiré : Au regard de cette jurisprudence, le risque de développement des contentieux au sein des groupes de dimension transnationale risque de s'accroître.

Il suffira, pour les salariés mutés au sein d'un groupe français et implantés à l'international, de démontrer qu'ils ont été contractuellement liés à un moment donné avec la société mère française pour se voir appliquer les dispositions de l'article L. 1231-5 précité et de fait, l'ensemble des règles prévues en matière de licenciement par le Code du travail français.

De manière à limiter ces contentieux les employeurs français vont devoir faire preuve d'ingéniosité : embauche directe par leur filiale des salariés destinés à l'international, conclusion de contrats internationaux intégrant une clause compromissoire...

C'est le salarié qui, au final, sera pénalisé par cette volonté de le protéger à tout prix, au détriment de toute logique juridique et des règles applicables en matière de droit international.


(1) Sur cet arrêt, voir, également, les obs. de Ch. Willmann, Détachement dans une filiale : la société mère reste débitrice de l'obligation de reclassement, Lexbase Hebdo n° 436 du 14 avril 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N9666BRG).
(2) Sur cette question, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E9303ESD).
(3) Cass. soc., 13 novembre 2008, n° 06-42.583, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2272EBR) et 07-41.700, FS-P+B+R(N° Lexbase : A2437EBU).
(4)Cass. soc., 6 juillet 1982, n° 80-41.092, publié (N° Lexbase : A3477CGU), Bull. soc., n° 451.
(5)Cass. soc., 13 novembre 2008, n° 06-42.583, préc..
(6) Cass. soc., 30 juin 1993, n° 89-41.293 (N° Lexbase : A6250AB4).

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Rémunération

[Jurisprudence] Les plus-values réalisées en matière de stock-options ne doivent pas être prises en compte pour calculer l'indemnité pour licenciement injustifié

Réf. : Cass. soc., 30 mars 2011, jonction, n° 09-42.105 et n° 10-11.488, F-P+B (N° Lexbase : A3893HM7)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 15 Avril 2011

Contrairement à ce que l'on pense parfois, toutes les sommes versées par l'employeur à ses salariés ne sont pas nécessairement du salaire. Cette question se pose fréquemment lors de la vérification du respect du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic), l'employeur ayant alors naturellement tendance à vouloir incorporer au salaire toutes les sommes versées au salarié à l'occasion du travail. Le problème peut également surgir à l'occasion du calcul de certaines indemnités, telle l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans la mesure où elles sont fondées sur le "salaire" du salarié. Dans ce cas, et pour des raisons évidentes, c'est ce dernier qui souhaite voir intégrer à son salaire l'ensemble des sommes qu'il a perçues de son employeur. Ainsi, dans un arrêt rendu le 30 mars 2011, une salariée soutenait que devaient être intégrées dans le calcul de l'indemnité précitée les plus-values réalisées sur les stock-options. La Cour de cassation n'a pas été de cet avis ; ce qui doit être approuvé.
Résumé

Les plus-values réalisées par un salarié lors de la levée des actions, même si elles sont soumises à cotisations sociales par application de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9723ING), ne constituent pas une rémunération allouée en contrepartie du travail entrant dans la base de calcul de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Observations

I - Calcul de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Dès lors qu'il compte au moins deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et que celle-ci emploie habituellement au moins onze salariés (C. trav., art. L. 1235-5 N° Lexbase : L1347H9R), le salarié qui a fait l'objet d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure "aux salaires des six derniers mois" (C. trav., art. L. 1235-3 N° Lexbase : L1342H9L).

Si le législateur avait visé la "rémunération" des six derniers mois en lieu et place du "salaire" perçu sur cette même période, le calcul de l'indemnité n'aurait a priori guère posé de difficultés. Il aurait suffit de prendre en compte la totalité des sommes perçues par le salarié durant ce laps de temps. La notion de salaire étant plus étroite que celle de rémunération (1), il convient d'en conclure que toutes les sommes versées au salarié ne rentrent pas nécessairement dans la base de calcul de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (2).

La question de savoir, ce qui est du salaire et ce qui n'en est pas, n'est évidemment pas propre à la situation présentement envisagée. Elle se pose à bien d'autres égards et, spécialement, lorsque doit être vérifié si le salaire versé au salarié respecte le Smic. Des arrêts récents rendus par la Chambre criminelle, dont c'est peu dire qu'ils ont fait grand bruit, en portent témoignage (3).

Dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rapporté, et pour aller à l'essentiel, une salariée licenciée de manière injustifiée prétendait que les plus-values réalisées sur les stock-options dont elle avait bénéficié devaient être intégrées dans la base de calcul de son indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En d'autres termes, la salariée soutenait que ces plus-values faisaient partie intégrante du salaire au sens de l'article L. 1235-3 du Code du travail.

Ce n'est pas la solution retenue par la Cour de cassation qui, confirmant la décision des juges du fond, affirme que "les plus-values réalisées par un salarié lors de la levée des actions, même si elles sont soumises à cotisations sociales par application de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale, ne constituent pas une rémunération allouée en contrepartie du travail entrant dans la base de calcul de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse".

II - Les plus-values réalisées lors de la levée d'options de souscription ou d'achat d'action ne constituent pas un salaire

Le salarié bénéficiaire d'options de souscription ou d'achat d'action peut, en fait, réaliser une double plus-value (4) :

- une plus-value d'acquisition, qui est l'avantage correspondant à la différence entre le cours (ou la valeur s'il s'agit d'un titre non coté) de l'action constaté à la date de levée de l'option et le prix payé par le bénéficiaire ;

- une plus-value de cession, qui est la différence positive entre le prix de vente des titres et leur valeur réelle le jour de la levée de l'option.

Ces plus-values constituent, à n'en point douter, un complément de rémunération, dont on sait d'ailleurs qu'il est souvent important, voire, dans certaines hypothèses qui ne concernent pas il est vrai au premier chef des salariés, indécent. Mais, et c'est l'enseignement majeur de l'arrêt rapporté, ces plus-values ne peuvent être assimilées à un salaire, au sens de l'article L. 1235-3 du Code du travail. Ce n'est certes pas exactement ce que dit la Cour de cassation qui décide qu'elles ne constituent pas "une rémunération allouée en contrepartie du travail entrant dans la base de calcul de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse". Mais, précisément, cette "base de calcul" est constituée par le "salaire des six derniers mois".

La Cour de cassation fonde la solution sur le fait que ces plus-values ne constituent pas la contrepartie du travail (5). Ce critère est classique puisqu'on le retrouve dans la jurisprudence de la Chambre sociale relative à la détermination des compléments de rémunération devant être intégrés au salaire afin de vérifier le respect du Smic (6).

La solution pourrait être discutée au regard de sa généralité. En effet, si l'attribution collective et générale de stock-options paraît plus liée au seul fait que les bénéficiaires sont salariés ou mandataires sociaux, certaines attributions plus limitées peuvent être mises en relation avec la qualité des services rendus à la société et donc avec la qualité du travail fourni. Cela étant, et à strictement parler, c'est l'attribution des options qui peut alors être considérée comme la contrepartie du travail et non les plus-values dont il faut tout de même rappeler qu'elles ne sont pas assurées. La solution de la Cour de cassation nous paraît donc devoir être approuvée.

Il faut remarquer que, dans son motif de principe, celle-ci vise "les plus-values réalisées par un salarié lors de la levée des actions". Est-ce à dire qu'est seule visée la plus-value d'acquisition, à l'exclusion de la plus-value de cession ? La suite de ce même motif le confirme puisque est visé le fait que ces plus-values sont soumises à cotisations sociales par application de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale. Or, c'est la plus-value d'acquisition qui est considérée comme un salaire passible de cotisations de Sécurité sociale si les titres sont cédés moins de quatre ans après l'attribution des options. Cela étant, il nous paraît logique que la plus-value de cession ne soit pas visée, étant entendu qu'elle ne peut, de quelque manière que ce soit, être considérée comme un salaire. Résultant de la cession des titres, elle est un revenu du patrimoine.

L'arrêt commenté rappelle ainsi que le droit du travail peut retenir ses propres solutions et marquer ainsi son autonomie par rapport au droit de la Sécurité sociale. Cela n'est évidemment pas nouveau. On ajoutera que cette même décision démontre que le droit du travail est autonome du droit fiscal puisque ce dernier prévoit que la plus-value d'acquisition est en principe imposée au titre des traitements et salaires (7).


(1) La distinction entre "salaire" et "rémunération" n'est à dire vrai guère évidente. On en veut pour preuve l'arrêt rapporté dans lequel la Cour de cassation vise la "rémunération allouée en contrepartie du travail", ce qui vise en réalité sans doute le "salaire". V. sur la question J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 25ème éd., 2010, n° 781.
(2) La Cour de cassation considère de longue date que c'est la rémunération brute des salariés qui doit être prise en compte pour le calcul de l'indemnité. V. en dernier lieu, Cass. soc., 13 juillet 2004, n° 03-43.780 (N° Lexbase : A1160DDC), Bull. civ. V, n° 207.
(3) Cass. crim. 15 février 2011, n° 10-83.988 (N° Lexbase : A1718GXW) : "Dans le cas où les temps de pause correspondent à un repos obligatoire durant lequel les salariés ne sont plus à la disposition de leur employeur, les primes les rémunérant, qui ne correspondent ni à un travail effectif au sens de l'article L. 3221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0794H9B), ni à un complément de salaire de fait au sens de l'article D. 3231-6 dudit code (N° Lexbase : L9056H9B), sont exclues du salaire devant être comparé au salaire minimum de croissance". Lire S. Tournaux, Prime de pause et Smic : confirmation... et variation ?, Lexbase Hebdo n° 430 du 3 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N5103BRG).
(4) Lors de l'attribution des options, il peut, en outre, bénéficier d'un "rabais" correspondant à la différence entre le prix d'attribution de l'action (c'est-à-dire le prix auquel l'option donne le droit d'acheter l'action) et sa valeur réelle au même moment (c'est-à-dire, pour une action cotée, le cours de bourse du jour de l'attribution). Ce rabais est imposé dans la catégorie des traitements et salaires au titre de l'année au cours de laquelle l'option est levée (CGI, art. 80 bis N° Lexbase : L1775HLC).
(5) Remarquons que dans un arrêt, certes ancien et non publié, la Cour de cassation a considéré, sans plus de détails, que devaient être prises en compte les primes et avantages en nature : Cass. soc., 3 décembre 1992, n° 91-45.617 (N° Lexbase : A8497AGS). Par sa généralité, cette solution peut être discutée. V. plus récemment, pour l'exclusion d'une gratification discrétionnaire : Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 07-45.587 (N° Lexbase : A0820EMC).
(6) J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, op. cit., n° 802 et la jurisprudence citée.
(7) CGI, art. 80 bis. V. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 23ème éd., 2010, n° 797.

Décision

Cass. soc., 30 mars 2011, jonction, n° 09-42.105 et n° 10-11.488, F-P+B (N° Lexbase : A3893HM7)

Rejet, CA Pau, ch.soc., deux arrêts, 9 mars et 31 novembre 2009

Texte concerné : C. trav., art. L. 1235-3 (N° Lexbase : L1342H9L)

Mots-clefs : licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité, calcul, plus-values réalisées en matière de stock-options.

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Santé

[Questions à...] La vente de tabac aux mineurs : vers une application de la loi ? Questions à Maître Francis Caballero, Avocat à la cour

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N9710BR3

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Le 14 Avril 2011

Dans le cadre d'une affaire largement médiatisée, un buraliste de Limoges se voit poursuivi pour avoir vendu du tabac à une mineure de dix-sept ans, en méconnaissance de la loi dite "Bachelot" du 21 juillet 2009 (loi n° 2009-879 N° Lexbase : L5035IE9). Il appartiendra au juge de proximité du tribunal de police de Limoges de décider de se prononcer sur la sanction applicable -une amende "symbolique" de 150 euros- et sur la condamnation du buraliste au paiement de dommages-intérêts -nettement moins symbolique... Si les faits sont pour le moins banals, la poursuite et la condamnation des débitants de tabac sont, en revanche, beaucoup plus rares. Force est de constater que, dans la réalité, la loi n'est pas appliquée. L'occasion nous est donc ici donnée de faire le point sur l'état du droit et de la jurisprudence applicable. Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Francis Caballero, le spécialiste en la matière, et avocat des poursuivants dans cette affaire, qui a accepté de répondre à nos questions. Lexbase : Pouvez-vous nous préciser l'état du droit applicable depuis la loi "Bachelot" du 21 juillet 2009 ? Quelles sont les modalités d'application de l'interdiction de vente de tabac aux mineurs et les sanctions ?

Francis Caballero : L'article L. 3511-2-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5703IEX), prévoit qu'"il est interdit de vendre ou d'offrir gratuitement, dans les débits de tabac et tous commerces ou lieux publics, des produits du tabac ou des ingrédients définis au deuxième alinéa de l'article L. 3511-1 à des mineurs de moins de dix-huit ans".

La sanction relative à cette interdiction est prévue à l'article L. 3512-1-1 du même code (N° Lexbase : L6717HN4), en vertu duquel "est puni des amendes prévues pour les contraventions de la 2ème classe le fait de vendre ou d'offrir gratuitement, dans les débits de tabac et tous commerces ou lieux publics, des produits du tabac à des mineurs de moins de dix-huit ans, sauf si le contrevenant fait la preuve qu'il a été induit en erreur sur l'âge des mineurs. Les modalités du contrôle de l'âge sont définies par décret".

Il s'agit en fait d'une sanction symbolique, la contravention de deuxième classe étant punie d'une amende d'un montant de 150 euros.

Ce dispositif, institué par la loi n° 2003-715 du 31 juillet 2003, visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes (N° Lexbase : L3709BLX), visait initialement la vente aux mineurs de moins de seize ans. Il a été modifié par l'article 98 de la loi "Bachelot" n° 2009-879 du 21 juillet 2009, portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, qui étend l'interdiction posée à la vente aux mineurs de moins de dix-huit ans.

Le décret d'application de cette mesure (décret n° 2010-545 du 25 mai 2010, relatif aux sanctions prévues pour la vente et l'offre de produits du tabac N° Lexbase : L3434IM7), codifié à l'article R. 3512-3 (N° Lexbase : L3653IMA), précise que "la personne chargée de vendre des produits du tabac peut exiger que les intéressés établissent la preuve de leur majorité, par la production d'une pièce d'identité ou de tout autre document officiel muni d'une photographie".

Afin de faciliter l'application de ces dispositions législative et réglementaire, le ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille, en collaboration avec le ministère de la Justice et le ministère de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales, a dressé la liste des documents officiels pouvant être exigés par la personne chargée de vendre des tabacs dans une circulaire n° DGS/SD6B/2005/217 du 3 mai 2005. Il est précisé que sont ainsi admis comme documents officiels au titre de l'article R. 3512-3 du Code de la santé publique, sous réserve qu'ils soient munis d'une photographie, les carte nationale d'identité et passeport ; carte du lycéen ; carte d'étudiant ; permis de conduire ; titre de séjour ; carte d'identité ou de circulation délivrée par les autorités militaires ; carte de réduction délivrée par une entreprise de transport public ; carte professionnelle délivrée par une autorité publique ; carte d'invalidité civile ou militaire ; et permis de chasser.

Lexbase : Ce dispositif a-t-il déjà fait l'objet d'une application jurisprudentielle ?

Francis Caballero : La poursuite du buraliste de Limoges ne constitue pas tout à fait une première, puisqu'elle fait suite à une précédente affaire dans laquelle le Comité national contre le tabagisme (CNCT), avait poursuivi un bureau de tabac parisien pour avoir vendu du tabac à des mineurs de moins de 16 ans, plus précisément à sept mineurs de quinze, quatorze, treize, douze et même onze ans. Nous avons attaqué le bureau de tabac devant le juge de proximité du tribunal de police de Paris qui a condamné l'intéressé à une amende de 750 euros, puisqu'il s'agissait d'une personne morale (le montant est multiplié par cinq dans ce cas) (Jurid. prox. Paris, 23 juin 2010, n° 10/C61967 N° Lexbase : A3701HNE). Il a, par ailleurs, été condamné à verser 5 000 euros à titre de dommages-intérêts (contre 80 000 euros réclamés au total, puisque je réclame, en général, 10 000 euros par enfant).

Le bureau de tabac a fait appel de cette décision. La cour d'appel doit rendre sa décision en septembre, donc l'affaire n'est pas définitivement jugée, mais il existe tout de même une décision de justice avec des motifs. Le juge a ainsi estimé, d'une part, que le bureau de tabac n'avait pas été induit en erreur, d'autre part, qu'il aurait dû se renseigner sur l'âge des mineurs. Cela étant, le juge n'a pas fait preuve d'une grande sévérité puisqu'il n'a retenu qu'une seule infraction, pour sept ventes réalisées à sept moments distincts, alors qu'il aurait pu condamner l'intéressé à sept amendes, et qu'il faut rappeler que l'un des enfants n'était âgé que de onze ans.

Lexbase : Pouvez-vous nous expliquer la situation donnant lieu à l'affaire qui va être soumise au juge de Limoges ?

Francis Caballero : Dans l'affaire qui va être soumise au juge de Limoges, la mère d'une mineure de dix-sept ans a porté plainte contre un buraliste qui vendait régulièrement des cigarettes à sa fille, laquelle était tabaco-dépendante. La mère a fait constater par huissier les ventes illégales à deux reprises.

L'originalité de cette affaire par rapport à celle précédemment évoquée venait de ce que la mère avait agi au nom de sa fille et que, pour la première fois, il ne s'agissait pas seulement d'une victime associative, à savoir le CNCT.

Malheureusement, cette affaire a entraîné un tel déchaînement médiatique et de haine à l'égard de cette femme, qu'elle a finalement écrit au Parquet pour retirer sa plainte. Sa plainte ne sera pas retirée en tant que telle puisqu'elle est jointe à celle du CNCT qui est maintenue. Nous réclamons seulement 15 000 euros de dommages-intérêts en moins que prévu.

Dans cette affaire, le buraliste ne nie pas avoir vendu les cigarettes à un mineur -il peut en effet difficilement le nier- mais il argumente, classiquement, qu'il pensait que l'adolescente était majeure, et que rien ne permet de différencier un mineur de dix-sept ans d'un majeure de dix-huit ans. C'est un grand classique de la défense, que ce soit en matière de détournement de mineurs, de vente d'alcool aux mineurs, etc..

Rappelons que le législateur a prévu que le buraliste peut s'exonérer s'il prouve qu'il a "été induit en erreur sur l'âge des mineurs". Selon moi, le fait d'avoir été induit en erreur, correspond au fait que le mineur aurait menti sur son âge, ou se serait déguisé, autrement dit qu'il aurait voulu tromper le vendeur.

Mais tel n'était pas le cas en l'espèce, et le buraliste se devait donc de demander la carte d'identité de la jeune fille, chose qu'il n'a pas faite. L'argument alors opposé par les buralistes, dans cette situation, consiste à soutenir qu'ils ne sont pas "flics" et qu'ils ne disposent d'aucune légitimité pour réclamer les papiers de leurs clients.

Mais cela revient tout simplement à inverser la situation dès lors qu'il ne s'agit pas d'une infraction qui serait commise par le jeune en cause, mais bien par le buraliste.

Contrairement à ce que l'on peut entendre, la réglementation n'est donc certainement pas inapplicable, il suffit simplement pour les buralistes de réclamer les papiers de la personne pour laquelle il existe un doute sur son âge ; il s'agit d'une contrainte pour le buraliste, qui doit être systématiquement respectée sous peine d'être passible d'une sanction et de versement de dommages-intérêts.

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