La lettre juridique n°435 du 7 avril 2011

La lettre juridique - Édition n°435

Éditorial

De l'interprétation machiavélienne des droits de l'Homme par la Cour européenne

Lecture: 5 min

N7797BR9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4282653-derniere-revue-en-pdf#article-417797
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


On pourrait croire que les juges de Strasbourg font preuve d'un cynisme politique proche d'un certain machiavélisme, en ce mois de mars 2011, mais il n'en est rien. Ou, plus subtilement, la Cour européenne des droits de l'Homme fait siennes les prescriptions du Prince de Nicolas Machiavel, pour mieux rappeler qu'en matière de respect des droits de l'Homme, comme en matière politique, la vertu du "prince" -l'Etat, dans une société moderne et démocratique- est plus de nature pragmatique que morale ; ce qui ne veut pas dire qu'il ne doit pas sacrifier aux valeurs et rites moraux du peuple qu'il administre pour assurer la paix et le développement social, mais que la morale n'est pas au coeur de son action pour conquérir et conserver le pouvoir.

Le 18 mars 2011, la Cour jugeait, ainsi, qu'en prescrivant la présence des crucifix dans les salles de classe des écoles publiques, la réglementation italienne donnait, certes, à la religion majoritaire du pays une visibilité prépondérante dans l'environnement scolaire, mais que cela ne suffisait pas pour caractériser une démarche d'endoctrinement susceptible d'établir un manquement aux prescriptions de l'article 2 du Protocole n° 1. Et, en décidant de maintenir ces crucifix dans les salles de classe, les autorités ont agi dans les limites de la latitude dont dispose l'Italie dans le cadre de son obligation de respecter, dans l'exercice des fonctions qu'elle assume dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, le droit des parents d'assurer cette instruction conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.

Le 24 mars 2011, la même Cour estimait que le recours à la force meurtrière fut "absolument nécessaire" pour "assurer la défense de toute personne contre la violence illégale", et que le décès d'un manifestant, lors du "G8" en 2001, ne caractérisait pas une violation des obligations positives de protéger la vie, en raison de l'organisation et de la planification des opérations de police lors de cet évènement international. En l'espèce, le carabinier, auteur des coups de feu, était confronté à un groupe de manifestants qui menaient une attaque illégale et très violente contre le véhicule à l'intérieur duquel il se trouvait bloqué. La Cour a estimé qu'il avait agi dans la conviction honnête que sa propre vie et son intégrité physique, ainsi que la vie et l'intégrité physique de ses collègues, se trouvaient en péril du fait de l'agression dont ils faisaient l'objet. Soit. Mais, elle surenchérissait et précisait que s'il incombe aux Etats contractants d'adopter des mesures raisonnables et appropriées afin d'assurer le déroulement pacifique des manifestations licites et la sécurité de tous les citoyens, ils ne sauraient, pour autant, le garantir de manière absolue. Ils jouissent, également, d'un large pouvoir d'appréciation dans le choix de la méthode à utiliser à cet effet.

Par ces deux arrêts rendus à une semaine d'intervalle, la Cour européenne rappelle qu'elle est, certes, chargée de faire respecter la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, mais qu'elle n'est pas un censeur de l'action politique des Etats contractants. Sa démarche s'inscrit tout autant dans la recherche d'une morale politique fidèle aux stipulations de la Convention, qui constituent le corpus éthique et laïc des Etats signataires, que dans la recherche de l'ordre et de la paix sociale favorables au développement démocratique -et économique- de ces mêmes Etats. Ce faisant, les juges strasbourgeois sont plus machiavéliens que machiavéliques. L'adjectif péjoratif ne saurait s'appliquer pour la Cour européenne : cette dernière ne prônant certainement pas le cynisme et la manipulation politiques dans le cadre d'une conquête et de la conservation du pouvoir. Si César Borgia siégeait à Strasbourg, la Convention européenne aurait du plomb dans l'aile ! Il convient, dès lors, d'user de ce néologisme "machiavélien", employé par les exégètes du Prince pour qualifier le point de vue pragmatique des juges de la Cour, dans l'application des règles conventionnelles à l'égard de l'Italie, patrie de l'écrivain florentin. Et, l'on ne saurait tomber plus à propos.

"Le machiavélisme est l'effort pour percer à jour les hypocrisies de la comédie sociale, pour dégager les sentiments qui font véritablement mouvoir les hommes, pour saisir les conflits authentiques qui constituent la texture du devenir historique, pour donner une vision dépouillée de toute illusion de ce qu'est réellement la société" écrivit Raymond Aron dans Les Etapes de la pensée sociologique. On ne saurait faire plus pragmatique comme vision du politique. On est loin de Fénelon et de son Télémaque, chargé d'éduquer le Grand Dauphin sous l'ère bigote de Madame de Maintenon.

"Gouverner, c'est faire croire". Le prince doit s'appuyer sur le peuple pour conserver son pouvoir... Et, si ce peuple est majoritairement attaché à une tradition, fut-elle d'essence religieuse, pourquoi s'attirer les foudres de ce dernier ? C'est toute la problématique de cet arrêt rendu le 18 mars 2011. "Les hommes prudents savent toujours se faire un mérite des actes auxquels la nécessité les a contraints", nous livre Machiavel dans son Discours sur la première Décade de Tite-Live. Que l'Etat italien est prudent en ne suscitant pas l'ire de son peuple, fervent catholique, et, surtout, de l'Etat symbiotique pontifical...

"Car la force est juste quand elle est nécessaire" et "sur cela s'est élevée la question de savoir s'il vaut mieux être aimé que craint, ou être craint qu'aimé ? On peut répondre que le meilleur serait d'être l'un et l'autre. Mais, comme il est très difficile que les deux choses existent ensemble, je dis que, si l'une doit manquer, il est plus sûr d'être craint que d'être aimé" : tels sont les préceptes tirés de l'ouvrage écrit, pourtant, en 1513, et qui trouve une résonance certaine à travers l'arrêt du 24 mars 2011. Mais attention, les juges strasbourgeois, dans leur lecture assidue, ne se sont pas arrêtés aux chapitres XV à XXII, justifiant l'exécution des opposants, pour frapper les esprits et décourager la contestation de l'autorité du Prince ; ils retiennent, surtout, en l'espèce, les chapitres XXIII à XXVI, où la philosophie machiavélienne aspire à préserver le peuple de soulèvements néfastes pour l'ordre et la paix sociale, chers à la démocratie, en réprimant la contestation et le désordre. "Aussi est-il nécessaire au Prince qui se veut conserver qu'il apprenne à pouvoir n'être pas bon"...

Non ! La République des juges de la Cour européenne n'est pas platonicienne, fondée sur une utopie morale ; mais elle est proprement machiavélienne, fondée sur la réalité, les sentiments et les contradictions humaines confrontés à la morale de notre temps et de nos civilisations occidentales : les droits de l'Homme. Et, il s'agit, dès lors, pour eux, d'orchestrer l'action des Etats signataires afin que ces derniers, par trop oublier la vertu morale et encourager la seule vertu politique, ne sombrent dans la tyrannie, honnie par l'auteur du Prince lui-même, si avide de liberté. Ce n'est pas un hasard si l'un des pères de nos valeurs humanistes contemporaines, Rousseau, estimait que l'ouvrage de Nicolas Machiavel était, en fait, le "livre de républicains".

newsid:417797

Aide juridictionnelle

[Textes] Haro sur l'aide juridictionnelle !

Réf. : Décret n° 2011-272 du 15 mars 2011, portant diverses dispositions en matière d'aide juridictionnelle et d'aide à l'intervention de l'avocat (N° Lexbase : L7533IPP)

Lecture: 5 min

N9498BR9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4282653-derniere-revue-en-pdf#article-419498
Copier

par Cédric Tahri, Directeur de l'Institut rochelais de formation juridique (IRFJ), Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 30 Septembre 2011


L'aide juridictionnelle consiste, pour les personnes ayant de faibles revenus, à bénéficier d'une prise en charge par l'Etat de la rétribution des auxiliaires de justice (avocat, huissier, d'expertise, avoués, notaires, ...) et des frais de justice (expertise, enquête sociale, médiation familiale, etc.). En fonction des niveaux de ressources, l'Etat prend en charge soit la totalité des frais de procès, soit une partie d'entre eux. Au total, 900 000 personnes en bénéficient chaque année, de sorte que 312 millions d'euros seront attribués au titre de l'aide juridictionnelle en 2011. Or, en cette période de restrictions budgétaires, le Gouvernement s'évertue à réduire ce poste de dépenses.
En premier lieu, les prestations rendues par les avocats et les avoués dans le cadre de l'aide juridictionnelle ne sont plus soumises au taux réduit de la TVA prévu à l'article 279-f du Code général des impôts (N° Lexbase : L0686IP4). Faisant suite à l'arrêt rendu le 17 juin 2010 par la Cour de justice de l'Union européenne (1), le VII de l'article 70 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 (loi de finances rectificative pour 2010 N° Lexbase : L9902IN3) abroge effectivement ces dispositions. En conséquence, les prestations pour lesquelles les avocats, les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et les avoués sont indemnisés totalement ou partiellement par l'Etat dans le cadre de l'aide juridictionnelle sont soumises au taux normal de la TVA depuis le 31 décembre 2010.

En deuxième lieu, une circulaire du 31 décembre 2010 (N° Lexbase : L9197IPC) fixe le plafond de ressources à 929 euros pour une aide juridictionnelle totale (par comparaison, 915 euros pour 2010, 911 euros pour 2009) et 1 393 euros pour une aide juridictionnelle partielle (par comparaison, 1 372 euros pour 2010, 1 367 euros pour 2009), soit  une augmentation de 1,5 %. Si la progression du plafond de l'aide juridictionnelle totale est sensiblement plus importante que par le passé, celui-ci reste inférieur au seuil de pauvreté (949 euros selon l'INSEE).

En troisième lieu, l'article 41 de la loi de finances pour l'année 2011 a modifié la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE). Désormais, depuis le 1er janvier 2011, les droits de plaidoirie sont laissés à la charge des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, soit 8,84 euros. Jusqu'à la fin de l'année dernière, ces droits de plaidoirie étaient à la charge de l'Etat. Cette réforme est présentée comme étant un outil de responsabilisation du justiciable, pour détruire toute velléité de recours à des procédures abusives ou dilatoires. Toutefois, il est permis d'en douter. Outre le fait qu'il existe déjà des outils pour atteindre cet objectif, le transfert du coût du droit de plaidoirie de l'Etat remettra en cause la gratuité de l'accès au droit pour les justiciables les plus démunis. Et, au final, ce seront les jeunes avocats qui supporteront le coût de ce transfert puisque ce sont les premiers, en nombre, à traiter les dossiers au titre de l'aide juridictionnelle.

En dernier lieu, le décret n° 2011-272 du 15 mars 2011, portant diverses dispositions en matière d'aide juridictionnelle et d'aide à l'intervention de l'avocat , a modifié le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L0627ATE) (2).

La juridiction avisée du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle est tenue de surseoir à statuer dans l'attente de la décision statuant sur cette demande. Il en est de même lorsqu'elle est saisie d'une telle demande, qu'elle transmet sans délai au bureau d'aide juridictionnelle compétent. Néanmoins, ces dispositions ne sont pas applicables en cas d'irrecevabilité manifeste de l'action du demandeur à l'aide, insusceptible d'être couverte en cours d'instance (art. 5).

Le délai du recours ouvert à l'intéressé contre les décisions du bureau d'aide juridictionnelle qui était d'un mois est réduit à quinze jours (art. 7). L'objectif du Gouvernement est apparemment de réduire au minimum les contestations sur l'octroi de l'aide.

La part contributive versée par l'Etat à l'avocat choisi ou désigné pour assister plusieurs personnes dans une procédure reposant sur les mêmes faits en matière pénale ou dans un litige reposant sur les mêmes faits et comportant des prétentions ayant un objet similaire dans les autres matières, est réduite de 30 % pour la deuxième affaire, de 40 % pour la troisième, de 50 % pour la quatrième et de 60 % pour la cinquième et s'il y a lieu pour les affaires supplémentaires (art. 10).

Le décret indique que la partie condamnée aux dépens qui ne bénéficie pas elle-même de l'aide juridictionnelle est tenue, sauf dispense totale ou partielle accordée par le juge, de rembourser au Trésor, dans la proportion des dépens mis à sa charge, les sommes avancées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle. La partie tenue aux dépens dans les cas prévus par la loi est assimilée à la partie condamnée aux dépens (art. 13).

Dans le décret du 19 décembre 1991 sont insérés deux nouveaux articles qui organisent le sort des dépens en cas de désistement ou d'accord des parties mettant fin à l'instance (art. 14). Le nouvel article 123-1 dispose qu'en cas de désistement mettant fin à l'instance, les dépens ne peuvent être mis à la charge du défendeur bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Toute stipulation contraire est réputée non écrite.

Le nouvel article 123-2 précise que l'accord des parties tendant à mettre fin à une instance les opposant ne peut mettre à la charge de la partie bénéficiaire de l'aide juridictionnelle plus de la moitié des dépens de cette instance. Il en est de même de la convention des époux en cas de divorce par consentement mutuel.

En outre, la procédure applicable au nouveau régime de recouvrement de l'aide juridictionnelle, issue de la loi de finances pour 2011, est précisée (art. 15 et suivants). Le recouvrement des sommes avancées par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle est effectué par le comptable-assignataire au vu d'un titre de perception établi et rendu exécutoire par l'ordonnateur compétent. Le titre de perception est notifié à la personne contre qui les sommes sont à recouvrer par les comptables publics. Il peut faire l'objet d'une opposition de la part du redevable et contient : 1) Les nom, prénom, date et lieu de naissance et domicile de la personne contre qui les sommes sont à recouvrer et, s'il s'agit d'une personne morale, sa forme, sa dénomination et son siège social ; 2) La date et la nature de la décision ainsi que la juridiction qui a rendu cette décision ; 3) La mention des textes applicables ; 4) Le détail des bases de la liquidation au sens de l'article 81 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général de la comptabilité publique (N° Lexbase : L5348AG8) ; 5) Les délais et modalités de paiement et d'opposition. Cela dit, les sommes engagées par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, avant son admission à cette aide, ne sont pas comprises dans les dépens recouvrables par l'Etat.

Enfin, le premier président de la cour d'appel et le procureur général près cette cour sont institués conjointement ordonnateurs secondaires des dépenses et des recettes se rapportant à diverses rétributions et frais liés à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat (art. 21).


(1) CJUE, 17 juin 2010, C-492/08, Commission c/ France (N° Lexbase : A1922E3L).
(2) Notons que le décret du 15 mars 2011 modifie le dispositif de l'aide juridictionnelle devant la Cour nationale du droit d'asile. Sur cette question, v. circulaire du 18 mars 2011, relative à la désignation des avocats prêtant leur concours au titre de l'aide juridictionnelle devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) siégeant dans les départements d'outre-mer (N° Lexbase : L9143IPC).

newsid:419498

Associations

[Questions à...] Association : pour quels projets ? Selon quels risques ? - Questions à Maître Grégoire Marchac, Avocat associé aux barreaux de Paris et de New York, Cabinet Forensis, Administrateur de la Compagnie des Conseils et Expert Financiers (CCEF)

Lecture: 8 min

N9503BRE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4282653-derniere-revue-en-pdf#article-419503
Copier

par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 08 Avril 2011

L'article 1er de la loi du 1er juillet 1901 (N° Lexbase : L3076AIR) définit l'association comme "la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices". La spécificité des associations se manifeste donc dans le but du groupement tel qu'il est déterminé par la loi c'est-à-dire le but non lucratif. Pour autant, et alors qu'on assiste depuis une dizaine d'années à une recrudescence de la création d'associations, leur spécificité semble subir une sorte d'érosion pour tendre à s'aligner sur les groupements du monde des affaires. D'ailleurs, Yves Chartier, conseiller honoraire à la Cour de cassation, écrivait dans le Rapport annuel de la Cour pour 2001 que "aujourd'hui, l'association a pris aussi une place en tant que simple technique contractuelle dans les rapports de droit privé, notamment en droit des affaires" (étude La liberté d'association dans la jurisprudence de la Cour de cassation). Pour faire le point sur ce type de structure, Lexbase Hebdo a rencontré Maître Grégoire Marchac, Avocat associé aux barreaux de Paris et de New York, Cabinet Forensis (1), Administrateur de la Compagnie des Conseils et Expert Financiers (CCEF) (2), qui au sein de ce cabinet, s'occupe, notamment, d'associations, de fondations, d'ONG, etc., tant s'agissant du conseil sur le montage et l'accompagnement des fondateurs que sur des problématiques contentieuses en assurant leur défense devant toutes les juridictions civile, pénale ou administrative.

Lexbase : La structure associative connaît un véritable essor. Quelles en sont les raisons ? Pour quels projets l'association est-elle particulièrement adaptée ?

Grégoire Marchac : En effet, on assiste aujourd'hui à un véritable développement du tissu associatif. Cela est dû à la conjonction de plusieurs phénomènes : le retrait de l'Etat providence dont l'intervention est moins prégnante, voire qui se désengage de certains secteurs, à quoi s'ajoute un accroissement du temps libre, d'une part, des actifs avec le passage à 35 heures de la durée légale hebdomadaire du travail et, d'autre part, de nos retraités qui vivent plus longtemps et en meilleure santé. Si bien qu'aujourd'hui, la France compte plus d'un million d'associations !

Mais, le tissu associatif est très hétérogène, en terme de taille des structures, d'abord, puisqu'on trouve des associations locales composées uniquement de quelques membres dont le but est l'organisation d'une manifestation et qui ne disposent que de peu de ressources, essentiellement les cotisations versées par les adhérents, mais aussi des associations reconnues d'utilité publique, qui regroupent plus de 1 000 adhérents, qui brassent des fonds importants et qui peuvent même recevoir des legs et des donations. Le tissu associatif est très hétérogène, ensuite, en raison des vocations diverses qu'elles revêtent : associations cultuelles, sportives, de bienfaisance, etc..

Il est donc parfois difficile de s'y retrouver et un professionnel du droit auquel est présenté un projet associatif, doit, au préalable, s'assurer que l'association est bien la structure adéquate, qu'elle répond réellement au cahier des charges des fondateurs. En effet, il convient, parfois d'orienter plutôt les fondateurs vers une société commerciale, tout particulièrement dans des domaines dans lesquels des flux financiers importants seront présents. Par exemple, créer un évènement sportif et le financer suppose bien souvent de mettre en place des cotisations, une billetterie, des droits d'entrées, un sponsoring, etc.. Or une association type loi de 1901 est une personne morale à but non lucratif ; elle ne doit pas générer de bénéfices, de sorte que, dans certains cas, elle ne sera pas la structure adaptée au projet des fondateurs au risque d'engendrer des conséquences fiscales particulièrement néfastes. De même, il arrive que les fondateurs émettent le voeu d'être rétribués par la redistribution de bénéfices que l'association serait susceptible de faire, ce qu'interdit la forme associative. Il y a donc beaucoup de questions qui se posent et il peut parfois être préférable de créer une petite SARL avec un personnel ad hoc et de permettre aux fondateurs de revêtir la qualité d'associés ou d'intervenir à un autre niveau comme sponsor, par exemple. L'outil associatif est intéressant mais il ne répond pas à toutes les demandes. D'autres outils, existent, notamment, dans le monde de la philanthropie, tels que les fondations ou les fonds de dotation dont on a beaucoup entendu parlé depuis 2008 bien que ces derniers n'aient pas eu le succès escompté.

On le voit, le rôle d'un professionnel et donc, en amont, de bien comprendre le projet des fondateurs et de les orienter vers l'outil le plus adapté. Il conviendra, ensuite, de bien structurer les statuts.

Lexbase : Sans révéler vos "recettes", quels conseils peuvent être donnés pour la rédaction des statuts ?

Grégoire Marchac : Le premier conseil que l'on peut donner est d'éviter impérativement de prendre des statuts types, notamment sur internet. Les statuts doivent être adaptés au projet associatif des fondateurs. En outre les statuts types sont souvent incomplets et insuffisants.

D'abord, le pacte associatif que forment les statuts doit obligatoirement contenir l'objet, le siège de l'association, son organisation et ses règles de fonctionnement. Le contenu impératif est très limité, de sorte que sur le plan purement juridique rien n'interdit d'avoir des statuts extrêmement succincts. La loi de 1901 et son décret d'application laissent, en effet, une grande liberté contractuelle par rapport à d'autres types de personnes morales. Cela est très intéressant, puisque cette marge de manoeuvre importante permet assurément d'être innovant, mais cette liberté présente également un risque élevé. Ainsi, par exemple, les statuts doivent-ils contenir les règles de gouvernance, de quorum et de majorité pour la prise des décisions en assemblée générale. Si rien n'est prévu, la règle supplétive est l'unanimité, avec tous les risques de blocage que cela suppose. En cas de silence ou de lacune des statuts, il convient de se référer non seulement à la loi de 1901 mais également au Code civil, notamment aux règles du partage, du mandat, ou d'une façon plus générale au droit des obligations.

A ce niveau, vous comprendrez donc que l'intervention d'un professionnel est plus que recommandée.

Lexbase : Le droit des associations connaît-il, à l'instar du droit des sociétés, des règles particulières, en matière de conflits d'intérêts, de procédures des conventions réglementées ou de cumul entre un mandat de dirigeant et un contrat de travail ?

Grégoire Marchac : Le droit des associations ne connaît aucune règle spécifique contraignante s'agissant des conventions qui peuvent être passées entre un dirigeant, lui même ou par personne interposées, et l'association. Il peut arriver, toutefois, que l'on mette en place des protections assez similaires à celles qui existent en droit des sociétés. Ces solutions sont donc ici purement contractuelles, puisqu'elles seront intégrées dans les statuts ou le règlement intérieur de l'association pour faire en sorte qu'un dirigeant ne fasse pas du commerce avec l'association et n'en tire pas un bénéfice personnel. Au demeurant, les dirigeants ont une responsabilité civile personnelle. Ainsi, notamment lorsqu'ils engagent des dépenses ou mènent des actions contraires aux intérêts de l'association, ils peuvent être poursuivis et condamnés à réparer le préjudice qui en est résulté. La protection est donc bien présente, par le jeu de cette responsabilité !

De même, concernant le cumul avec un contrat de travail, la loi de 1901 impose que le dirigeant soit indépendant, si bien qu'un tel cumul apparaît en principe incompatible avec le droit des associations. Il y aurait un conflit d'intérêts ! Par ailleurs, les contrats de travail du personnel salarié d'une association sont bien entendu soumis au droit du travail qui interdit également un tel schéma en raison de l'absence de lien de subordination qui en résulterait.

Lexbase : Quels sont les principes qui gouvernent la responsabilité des dirigeants d'association ?

Grégoire Marchac : Les dirigeants d'association peuvent engager leur responsabilité civile et leur responsabilité pénale.

S'agissant de la première -la responsabilité civile-, comme je vous l'indiquais, plus avant, elle sera mise en jeu en leur qualité de mandataires. Il peut s'agir, à l'instar de ce que prévoit le droit des sociétés, de dirigeant de droit ou de dirigeant de fait lorsqu'une personne s'immisce dans la gestion de l'association. Concernant la faute, il peut s'agir d'une faute volontaire, de négligence ou d'imprudence, commise par le dirigeant dans l'exercice de ses fonctions. Le droit des associations connaît également la notion de faute détachable des fonctions. Ce serait notamment le cas pour des dépenses somptuaires engagées par le président sans rapport avec l'objet de l'association. Les fonctions étant bénévoles et les dirigeants n'y consacrant pas un plein temps, il s'agit, toutefois, le plus souvent de fautes d'omission ou de négligence. En général les tribunaux font d'ailleurs preuves d'une certaines indulgence, lorsque les fonctions sont bénévoles. Le caractère bénévole de leur fonction confère en quelque sorte une certaine protection pour les dirigeants.

Quant à sa responsabilité pénale, elle pourra être engagée lorsque le dirigeant aura commis des malversations, c'est-à-dire s'il a sciemment utilisé des facilités et des moyens que lui procuraient ses fonctions pour commettre des actes pénalement répréhensibles. En pratique, il s'agira le plus souvent d'escroquerie ou d'abus de confiance, comme c'est le cas dans l'affaire de la "SPA".

Mais les poursuites pénales sont également souvent la conséquence de la réalisation d'un accident. C'est tout particulièrement vrai pour les associations sportives, lorsqu'elles organisent des événements au cours desquels des personnes sont blessées. Dans ce cas, le président de l'association organisatrice qui n'aurait pas pris les bonnes mesures pour garantir la sécurité des participants ou des spectateurs pourrait être poursuivi pour blessures involontaires ou homicide involontaire. D'ailleurs, j'interviens beaucoup en matière de sport automobile, domaine dans lequel ces problématiques sont très présentes. Le rôle de l'avocat est donc double : certes, défendre les présidents d'associations qui seraient poursuivis dans ces conditions, mais aussi, en amont, avant qu'un tel drame ne se produise, en les conseillant afin de leur indiquer les risques encourus au plan civil et pénal et leur faire part du cadre juridique spécifique applicable qui impose notamment un certain nombre d'obligations pour les dirigeants d'associations. Mieux vaut prévenir que guérir !

Lexbase : La frontière entre "entreprises" et "associations" est parfois assez ténue. Quel est le risque pour une association ?

Grégoire Marchac : Si les associations sont à but non lucratif, certaines ont également des activités commerciales. Nombreuses sont celles, en effet, qui vendent des produits dérivés ou offrent des services. Mais, le principe est simple : l'activité commerciale ne peut être que l'accessoire de l'activité principale à but non lucratif. Le curseur est souvent fixé par l'administration fiscale et le risque est donc essentiellement fiscal, puisque, à partir d'un certain seuil, une association devra se déclarer à l'impôt sur les sociétés et sera redevable de la TVA. En outre, si l'activité économique prend des proportions trop importantes, on se retrouve finalement face à une violation du pacte associatif qui imposera à l'association de se dissoudre ou de se transformer en société commerciale. D'autres solutions moins radicales peuvent aussi être envisagées : il est dès lors concevable de procéder à une "délocalisation" de l'activité commerciale à l'extérieur de l'association (ex : vente de produits dérivés, de billetterie...) et la loger au sein d'une société commerciale d'exploitation.

Lexbase : Une des difficultés majeures que rencontre les association tient à leur financement, leur accès au crédit. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Grégoire Marchac : Le financement des associations est complexe car elles n'ont pas de capital ni de ressources aussi solides qu'une société commerciale. Imaginez que de généreux dons ne se renouvèlent pas d'une année à l'autre et que l'association ait à rembourser un prêt sur la base des cotisations des adhérents ! L'accès au crédit est donc difficile en pratique. La démarche pour demander des financements auprès des établissements de crédit est donc très particulière et nécessite un accompagnement pour préparer le dossier qui sera présenté au comité de crédit de la banque choisie. La banque trouve parfois des garanties dans les actifs immobiliers d'une association, si elle ne possède. Les professionnels travaillent actuellement sur ces questions, notamment au sein de la Compagnie des Conseils et Experts Financiers (CCEF).


(1) Cf. le site internet du cabinet Forensis.
(2) Cf. le site internet de la CCEF.

newsid:419503

Bancaire

[Le point sur...] Du recours aux holdings luxembourgeoises dans les financements structurés français

Lecture: 10 min

N9591BRN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4282653-derniere-revue-en-pdf#article-419591
Copier

par Alexandre Bordenave, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, Secrétaire de la Conférence du Barreau des Hauts-de-Seine (2011), chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

Le 07 Avril 2011

"Le Droit est la plus puissante des écoles de l'imagination. Jamais poète n'a interprété la nature aussi librement qu'un juriste la réalité" (1). Au risque de commencer par une banalité, il faut bien admettre que l'aphorisme d'Hector possède un à-propos presque choquant en matière de financements structurés : quelle discipline s'est montrée plus prompte à accueillir les montages les plus élaborés, au bord du syncrétisme avec les résultats parfois désastreux que l'on connaît ? Tendance récente, le recours à des holdings luxembourgeoises dans les financements structurés français, dont on peut espérer qu'il présente des qualités d'innocuité suffisantes, en est une parfaite illustration.
Ladite mode consiste simplement en l'interposition d'une, voire de deux, société holding luxembourgeoise dans des schémas de financement destinés au marché français (par exemple, en matière de LBO ou immobilière). En pareil cas, la ou lesdites sociétés tiennent le rôle de faîtière de la société de projet ou d'acquisition créée sous l'empire du droit français et qui, le plus souvent, supporte l'endettement généré par l'opération. Irrésistiblement, l'on pense à des raisons fiscales, puisqu'il s'agit du Luxembourg. Pourtant, l'abolition définitive, le 31 décembre 2010, du célébrissime régime de la "holding 29" (2) laisse à penser que les motivations des bailleurs de fonds et autres arrangeurs pourraient avoir un ressort profond différent.
Disons-le sans plus d'hésitation : lorsque fleurissent des sociétés holdings luxembourgeoises dans des financements de droit français, l'objectif affiché avec plus ou moins de netteté est plutôt celui d'un forum shopping au détriment de l'application du droit français des entreprises en difficulté, jugé comme trop "pro-débiteur" pour des raisons fort louables tenant à la protection de l'emploi et du tissus économique. Car, qui dit règles de procédures collectives trop contraignantes pour les créanciers, dit sûretés moins efficaces et crédit moins bien garanti. "Sûretés traquées, crédit détraqué" (3) ! Et, comme de bien entendu, c'est la sauvegarde qui incarne, s'agissant du droit français, la nouvelle bête noire des prêteurs de fonds en tous genres, nul doute que la cassation récemment prononcée dans l'affaire "Coeur Défense" n'est pas pour les rassurer (4) ! Eviter la sauvegarde susceptible de peser sur l'emprunteur (car c'est bien de celle-ci dont il s'agit) via une ou plusieurs holdings luxembourgeoises procède d'un raisonnement en deux étapes, destiné à permettre la réalisation des sûretés constituées pour garantir le crédit : rendre, autant que faire ce peut, le juge français incompétent (I) et profiter à plein des dispositions de l'article 5 du Règlement (CE) n° 1346/2000 en date du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité (N° Lexbase : L6914AUM) (II).

I - Echapper aux affres de la sauvegarde en s'assurant l'incompétence du juge français

Dans les montages financiers que nous étudions, la société emprunteuse, généralement créée pour les besoins de l'opération comme un simple véhicule (le véhicule), demeure généralement en France. En revanche, son capital social fait l'objet d'une souscription intégrale (5) par une holding luxembourgeoise, elle aussi constituée pour les seuls besoins d'une transaction donnée (1 LuxCo). Pour palier tout défaut de paiement du véhicule emprunteur, 1 LuxCo est tenue, à la demande des prêteurs, de donner en garantie du financement obtenu une sûreté portant sur les titres composant le capital social du véhicule, à savoir, dans la plupart des cas, un nantissement de compte-titres régi par les dispositions de l'article L. 211-20 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6971IC8). Ce type de sûreté est particulièrement valorisé par les bailleurs de fonds, non pas tant pour la valeur économique qu'elle leur permet d'extraire du véhicule mais pour la faculté qu'elle leur offre de prendre le contrôle de cette dernière entité, devenant alors tous puissants pour demander un placement sous sauvegarde du véhicule (6) : évidemment, ils se garderont bien de le faire ! Comble de joie pour les prêteurs : 1 LuxCo étant une société luxembourgeoise, elle ne peut être mise sous sauvegarde... du moins, c'est le principe (A), qui souffre de lourdes exceptions (B).

A - La holding luxembourgeoise à l'abri de la sauvegarde française

En guise de technique élémentaire anti-sauvegarde, obtenir des sûretés d'une société luxembourgeoise est une riche et élémentaire idée.

Tout d'abord, un juge français n'a pas normalement la possibilité de mettre en oeuvre cette procédure eu égard à 1 LuxCo. En effet, l'article 3.1 du Règlement n° 1346/2000 dispose que "les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité". La même disposition poursuit : "pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire". Ainsi, le principe est que seul un juge luxembourgeois est compétent pour connaître d'une procédure d'insolvabilité relative à 1 LuxCo. Ensuite et enfin, cela exclut la possibilité de mettre sous sauvegarde 1 LuxCo, puisque le droit luxembourgeois, applicable à la procédure d'insolvabilité ouverte au bénéfice de cette société (Règlement n° 1346/2000, art. 4), ignore cette procédure.

Aussi, en cas de défaut du véhicule, les prêteurs devraient-ils pouvoir réaliser auprès de 1 LuxCo, sans difficulté liée à l'insolvabilité potentielle du véhicule, la sûreté dont ils jouissent sur les titres composant le capital du véhicule, avec les avantages mentionnés précédemment. Ainsi, c'est tout le schéma de financement qui, par effet de contagion vertueuse, se trouve normalement protégé d'un bourbier ressemblant peu ou prou à celui dans lequel les créanciers de l'affaire "Coeur Défense" se trouvent encore pris.

B - L'exposition subsidiaire de la holding luxembourgeoise à la sauvegarde française

Malheureusement pour nos sympathiques prêteurs, les choses ne sont pas aussi simples qu'il n'y paraît. Le droit communautaire donne, en effet, les moyens aux tribunaux nationaux d'attraire devant eux des procédures d'insolvabilité relatives à des sociétés étrangères dont le centre des intérêts principaux est situé dans l'Etat membre où ils sont compétents : il s'agit là d'une lecture a contrario bien connue de l'article 3.1 du Règlement n° 1346/2000.

S'agissant de 1 LuxCo, on peut raisonnablement penser qu'il n'y a rien d'herculéen à transporter en France sa procédure d'insolvabilité : rappelons que, dans notre exemple, 1 LuxCo est une simple société holding dont l'objet et l'activité concrète consistent à détenir les titres du véhicule français. Dans ces conditions, il est difficile de contester que le centre de ses intérêts principaux, le "lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers" (Règlement, cons. 13) se situe là où l'objet du financement se trouve : en France, donc. Une fois opéré ce déplacement, les prêteurs se trouvent à nouveau exposés aux risques générés par un placement sous sauvegarde, puisque le juge français retrouve par là la plénitude de ses pouvoirs pour appliquer sa loi à 1 LuxCo. Dès lors, l'éventualité que le nantissement de compte-titres octroyé par 1 LuxCo soit bloqué au nom du principe de suspension des poursuites individuelles est bien réelle.

Cette perspective, sombre pour les prêteurs, doit être d'autant plus considérée que les juges français font montre d'un zèle assumé dans l'application du critère énoncé par la Cour de justice de l'Union européenne (7) dans sa décision "Eurofood" (8), à savoir une délocalisation du centre des intérêts principaux d'un débiteur aussitôt que peuvent être rapportés "des éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettant d'établir l'existence d'une situation réelle différente" à celle de la présomption dont dispose le Règlement eu égard au siège statutaire. La jurisprudence française de ces dernières années regorge d'exemples en ce sens (9), au rang desquels s'inscrit le contentieux "Coeur Défense" (le revoici !), qui a vu la cour d'appel de Paris s'abstenir de contrôler les raisons ayant conduit le tribunal de premier degré à s'estimer compétent pour connaître d'une sauvegarde au bénéfice de Dame Luxembourg, la holding luxembourgeoise détenant l'emprunteur français, Heart of La Défense (10). Il faut dire que le principe européen de confiance mutuelle (11), dont les tribunaux français sont des amateurs (12), empêche peu ou prou tout tribunal d'un Etat membre de venir contester sa compétence à un tribunal d'un autre Etat membre s'étant saisi d'une procédure d'insolvabilité. De facto, les tribunaux français connaissent très régulièrement des procédures d'insolvabilité concernant des sociétés établies hors de France. S'ils le font dans l'exemple pris ici, ils réduisent à néant toutes les prétentions des créanciers nantis : leur sûreté ne pourra plus être réalisée et le couperet de la sauvegarde ne pourra que tomber lourdement sur 1 LuxCo.

D'emblée, quelques précautions peuvent être prises pour assurer un minimum de substance à cette société, afin que le centre de ses intérêts principaux soit plus profondément ancré au Luxembourg. Souvent, il s'agit d'obligations contractuelles figurant dans le contrat de prêt conclu avec le véhicule emprunteur (contrat dont 1 LuxCo est fréquemment signataire) et qui impose un certain nombre de règles pratiques destinées à assurer (au moins en tant qu'illusion) que 1 LuxCo soit gérée effectivement depuis le Luxembourg (13). Néanmoins, toutes utiles qu'elles puissent être, ces lignes de défense s'avèrent bien fragiles face à l'épée de Damoclès qu'est le pouvoir du juge français à étendre, avec fort peu de justification, sa compétence en matière d'insolvabilité à 1 LuxCo : il est donc nécessaire de trouver une parade plus efficace.

En l'occurrence, remédier à cette faiblesse du montage initialement envisagé consiste à lui adjoindre une seconde holding luxembourgeoise, faîtière de 1 LuxCo ("2 LuxCo"), afin d'asseoir une structure dite "double LuxCo". Citius, altius, fortius ? Vérifions.

II - Echapper aux affres de la sauvegarde en paralysant ses effets sur certaines sûretés

L'élévation de la structure de financement, dont procède la constitution de 2 LuxCo, permet aux bailleurs de fonds d'obtenir une autre sûreté, de droit luxembourgeois cette fois : elle porte sur les titres composant le capital social de 1 LuxCo (14). Cette construction ouvre aux créanciers le bénéfice des dispositions très avantageuses de l'article 5 du Règlement n° 1346/2000 (A), mais n'est pas exempte de toute critique (B).

A - La protection offerte par l'article 5 du Règlement n° 1346/2000

Le premier paragraphe de l'article 5 du Règlement n° 1346/2000 dispose que "l'ouverture de la procédure d'insolvabilité n'affecte pas le droit réel d'un créancier ou d'un tiers sur des biens [...] appartenant au débiteur, et qui se trouvent, au moment de l'ouverture de la procédure, sur le territoire d'un autre Etat membre". Il s'agit d'une règle très appréciée des créanciers puisqu'elle dégage la voie, à la condition que le débiteur concerné ne possède pas dans l'Etat membre un établissement secondaire susceptible d'être concerné par une procédure d'insolvabilité secondaire aux fins liquidatives (15), à une réalisation des sûretés hors toute discipline imposée par une procédure collective.

La sûreté octroyée par 2 LuxCo sur les titres de capital de 1 LuxCo entre dans le champ de cette disposition. D'une part, il s'agit bel et bien d'un droit réel, l'article 5.2 a) du Règlement précisant que, parmi les droits réels inaffectés, se trouve notamment "le droit de réaliser ou de faire réaliser le bien et d'être désintéressé par le produit ou les revenus de ce bien, en particulier en vertu d'un gage ou d'une hypothèque". D'autre part, au nom de la lex rei sitae (16), le droit est bien constitué hors de France puisqu'il grève des titres de droit étranger dont on peut s'assurer (s'agissant d'une société non cotée) qu'ils sont inscrits sur des registres détenus hors de France (17).

Dès lors, quel que soit le raisonnement tenu par les juges eu égard au montage pris en exemple, que le centre des intérêts principaux de 1 LuxCo, voire de 2 LuxCo, soit caractérisé en France (18), que 1 LuxCo, voire 2 LuxCo, fasse ou non l'objet d'une sauvegarde (19), les créanciers peuvent toujours réaliser la sûreté dont ils bénéficient sur les titres détenus à l'étranger par 2 LuxCo dans le capital social de 1 LuxCo (20). Par là, la structure de financement se trouve considérablement renforcée puisqu'elle autorise les créanciers à prendre le contrôle de 1 LuxCo même en pleine tempête financière, pouvant ainsi devenir les acteurs de la non-mise sous sauvegarde de 1 LuxCo et du véhicule français. Le mécanisme est d'autant plus efficace que la sûreté sur les titres de 1 LuxCo peut être exercée dans des conditions souples permettant l'anticipation, autant que faire ce peut, des difficultés des sociétés sous-jacentes.

B - Le prix de la protection pour les créanciers

Voir une panacée dans un montage "double LuxCo" serait une vue optimiste de l'esprit, au moins pour deux raisons :

- ce schéma de financement contribue à une complexification substantielle de la documentation contractuelle, tant au moment de sa mise en place que dans son emploi au quotidien. En conséquence, il ne peut être recouru à ce schéma que pour des financements d'une ampleur suffisante. Au fond, cela s'accorde bien avec le fait qu'il est ici question de gestion préventive du risque : faute de risque suffisant, il n'est sans doute pas indispensable de suivre les chemins sinueux de la "double LuxCo" ;

- comme le montage n'incluant qu'une seule holding luxembourgeoise, il implique que les bailleurs de fonds soient prêts à assumer une prise totale de contrôle de la structure, puisque c'est ce à quoi aboutit in fine l'exercice des sûretés portant sur les titres de capital de 1 LuxCo et du véhicule. En tout état de cause, cela signifie pour les prêteurs de s'exposer à un risque nouveau, celui de la gestion des sociétés emprunteuses, parfois s'agissant d'activités fortement encadrées ou générant des risques particuliers (21). C'est d'autant plus gênant que les autres sûretés constituées pour les besoins des financements dont il est question ne peuvent généralement profiter des mêmes précautions, dans la mesure où elles sont constituées par le véhicule emprunteur lui-même.

Autrement dit : comme à l'accoutumée, les avantages et inconvénients de cette technique particulière de sécurisation du risque doivent donc être soupesés avec minutie.

Aussi peu évident que cela puisse paraître de prime abord, ce ne sont donc pas de pures raisons fiscales qui conduisent à la structuration de financements français avec une ou plusieurs sociétés holdings luxembourgeoises, mais bien des raisons d'ordre juridique tenant à la protection que les prêteurs espèrent trouver en se ménageant un safe harbour au-delà de nos frontière via un recours finalement assez basique aux dispositions du Règlement n° 1346/2000. Bien sûr, l'on peut légitimement chercher à savoir pourquoi le Luxembourg recueille les faveurs plutôt qu'une autre juridiction : pourquoi des holdings luxembourgeoises, et non allemandes ou espagnoles ? En termes de droit communautaire des entreprises en difficulté, le résultat est similaire, compte tenu de la portée du Règlement précité. Alors, oui, admettons-le : subsidiairement, il existe bien un biais fiscal pour le Luxembourg. On avance également que le droit des sociétés luxembourgeois offrirait une plus grande souplesse en termes de gestion, sans que cela emporte une franche conviction.

Au-delà de ce qui pourrait passer pour une conviction bâtie instinctivement par des banquiers, il faut reconnaître que préférer le droit luxembourgeois au droit français pour ce qui est de la facilité qu'on y trouve en matière de réalisation de sûretés paraît fondé, si l'on en croit le dernier rapport Doing Business (22) qui place le Grand Duché à la première place pour ce qui est de l'exécution des contrats, quand la France écope d'une honorable septième position. De lege feranda, le droit français pourrait combler cette insuffisance toute relative en étant enrichi de dispositions en application desquelles une sauvegarde ne pourrait plus être ouverte au bénéfice d'entités ad hoc constituées pour les besoins d'une opération de financement (23). De lege lata, le recours plus fréquent à des véhicules non soumis aux dispositions du livre sixième du Code de commerce, tel le fonds commun de placement à risque (24), pourrait également s'avérer opportun. Seule une réflexion commune sur ces questions aboutira à des résultats bien maîtrisés et satisfaisants pour l'ensemble des parties et ce bien public mondial qu'est la stabilité financière : banquiers de tous les pays, aidez-vous et le Ciel nous aidera tous (25) !


(1) J. Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu, Acte 2, scène V.
(2) Voir le communiqué de presse publié par le Gouvernement luxembourgeois pour expliquer les raisons de la disparation de ce régime de faveur. Ladite suppression résulte de la loi luxembourgeoise du 22 décembre 2006.
(3) L.-M. Martin, Sûretés traquées, crédit détraqué, Revue Banque, 1975, 1138.
(4) Cass. Com., 8 mars 2011, n° 10-13.988, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0445G7M), à propos duquel, lire E. Le Corre-Broly, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Mars 2011, Lexbase Hebdo n° 243 du 17 mars - édition affaires (N° Lexbase : N7432BRP) ; P.-M. Le Corre, La restauration jurisprudentielle du climat de confiance à l'égard de la sauvegarde, D., 2011, 919.
(5) Souvent, préfère-t-on, pour cette raison, constituer une société par actions simplifiée unipersonnelle.
(6) En application de l'article L. 620-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3237ICU).
(7) Qui, alors, s'appelait Cour de justice des Communautés européennes.
(8) CJCE, 2 mai 2006, aff. C-341/04 (N° Lexbase : A2224DP3) ; D., 2006, p.1752.
(9) Voir, par exemple, l'affaire "Daisytek" : CA Versailles, 24ème ch., 4 septembre 2003, n° 03/0503 (N° Lexbase : A5627C9B), Revue critique de droit international privé, 2003, p.655, JCP éd. G, 2004, II, 10004 ; Cass. com., 27 juin 2006, n° 03-19.863, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0940DQU), JCP éd. G, 2006, II, 10147, note M. Menjucq. Dans le même ordre d'idées, l'affaire "Rover" est assez significative : T. com. Nanterre, 19 mai 2005, Revue des procédures collectives, 2005, p.241, note M. Menjucq.
(10) Voir le commentaire de M. Menjucq : Affaire Heart of La Défense : incertitudes sur le critère d'ouverture de la procédure de sauvegarde, Revue des procédures collectives, mai 2010, étude 11.
(11) Pour plus de détails sur la question, se reporter à A. Weyembergh, Le principe "ne bis in idem" : pierre d'achoppement de l'espace pénal européen, Cahiers de droit européen, avril 2004, n° 3-4, p. 337 et V. Heuze, La Reine Morte : la démocratie à l'épreuve de la conception communautaire de la justice - L'abolition de la démocratie (1ère partie), JCP éd. G, 28 mars 2011, p. 359.
(12) CA Versailles, 13ème ch.,15 décembre 2005, n° 05/04273 (N° Lexbase : A5069DMP)..
(13) Ce qui peut impliquer, par exemple, que les réunions des organes dirigeants de 1 LuxCo se tiennent effectivement au Luxembourg.
(14) Vraisemblablement, un gage d'actions de droit luxembourgeois.
(15) Cf. Règlement n° 1346/2000, articles 3.2 et 3.3.
(16) A propos de laquelle on peut se plonger dans la belle thèse du Professeur L. d'Avout : Sur les solutions du conflit de lois en droit des biens, Economica, 2006.
(17) Cela peut être une autre obligation de faire (ou de ne pas faire) stipulée à la charge de 1 LuxCo (qui agit en tant que teneur de compte de ses propres titres) dans le contrat de prêt.
(18) Pour ce qui est de 2 LuxCo, avec les mêmes motivations que celles mentionnées s'agissant de 1 LuxCo.
(19) Si le centre des intérêts principaux de 2 LuxCo est caractérisé en France, pour les raisons détaillées plus avant, un tribunal français peut choisir de placer la société sous sauvegarde.
(20) Sauf cas d'abus de droit, évidemment.
(21) Imaginons, par exemple, pour faire écho à une actualité lourde à un financement de projet dans l'énergie.
(22) Rapport Doing Business 2010, Agir pour les entrepreneurs.
(23) Un peu comme la cour d'appel de Paris l'avait suggéré dans l'affaire "Coeur Défense" (CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 25 février 2010, n° 09/22756 N° Lexbase : A9371ESU).
(24) Régis par les articles L. 214-36 (N° Lexbase : L2242IBN) et suivants, D. 214-1 (N° Lexbase : L2057HW4) et suivants et R. 214-38 (N° Lexbase : L3753HWW) et suivants du Code monétaire et financier.
(25) Pour faire un mélange détourné plus baroque que savant de deux conclusions célèbres : celle du Manifeste du Parti communiste (K. Marx et F. Eengels, 1848) et de la fable Le Chartier embourbé de J. de La Fontaine.

newsid:419591

Collectivités territoriales

[Doctrine] La "Loppsi 2" et les collectivités locales : inventaire des principales dispositions

Réf. : Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L5066IPC)

Lecture: 16 min

N7793BR3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4282653-derniere-revue-en-pdf#article-417793
Copier

par Arnaud Le Gall, avocat au barreau de Caen et Maître de conférences à l'Université de Caen

Le 07 Avril 2011

La loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite "Loppsi 2" (1), contient plusieurs dispositions qui intéressent les collectivités locales. Le texte entier de la loi est lui-même assez hétéroclite. Autant dire que les dispositions qui intéressent les élus locaux sont tout aussi disparates. Parmi les mesures du projet qui avaient été médiatisées, le pouvoir conféré au préfet pour faire évacuer les campements illicites a été annulé par le Conseil constitutionnel (2). Ce dernier a considéré que la possibilité accordée au préfet de faire procéder, à toute époque de l'année, à l'évacuation de personnes défavorisées ne disposant pas d'un logement décent, sans considération de la situation personnelle ou familiale, portait atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis (3). On notera, également, que les baux emphytéotiques passés sur le domaine public des collectivités locales pour les besoins de la police et de la gendarmerie nationale, ainsi que les conventions entre l'Etat les collectivités pour la construction et la prise à bail au profit de ces mêmes services sont prorogés jusqu'à la fin de l'année 2013 (4). Les dispositions qui ont partiellement échappé à la censure du Conseil constitutionnel peuvent être regroupées autour de deux thèmes majeurs : la lutte contre la délinquance (I) et la police administrative (II). I - La lutte contre la délinquance

Bien que n'étant pas des acteurs de première ligne dans la lutte contre la délinquance, les communes et les autres collectivités locales sont, néanmoins, étroitement concernées par cette politique publique. La "Loppsi 2", qui a été largement censurée par le Conseil constitutionnel dans ce domaine, comprend des dispositions relatives à la vidéosurveillance et à la délinquance des mineurs. Elle crée, également, plusieurs délits qui se commettent sur le domaine public.

A - La vidéosurveillance

1 - Le maintien du monopole des personnes publiques

Les mots ne sont jamais anodins : la langue de bois fait encore des progrès dans le langage juridique. En effet, le mot "vidéoprotection" remplace, désormais, dans l'ensemble des textes législatifs et réglementaires, le mot "vidéosurveillance" (5). Cette modification sémantique pourrait prêter à sourire si elle ne recelait pas une volonté de dissimulation. En effet, la vidéosurveillance ne pourra être qualifiée de vidéoprotection qu'à la condition que l'efficacité de ces mécanismes de contrôle dans la lutte contre la criminalité, en prévention et en répression, soit largement prouvée. Dans le cas contraire, ce changement démontre simplement que le renforcement de la surveillance des personnes qui n'ont pas à craindre la surveillance vidéo parce qu'ils ne commettent ni crimes, ni délits sur la voie publique, demeure le seul effet tangible de l'accroissement de ces mesures.

Le Conseil constitutionnel, qui continue d'employer le terme de vidéosurveillance, a largement censuré les dispositions de la loi relatives à cette question. Celles-ci auraient permis à l'Etat, mais aussi aux communes, de confier la gestion de la vidéosurveillance à des sociétés privées dont les agents n'auraient eu accès qu'aux images transmises en direct et non aux enregistrements. Cependant, le Conseil a considéré, assez logiquement, que le fait de confier l'exploitation et le visionnage de la vidéosurveillance de la voie publique à des personnes privées, constituait une délégation de tâches inhérentes à l'exercice, par l'Etat, de ses missions de souveraineté. Elles méconnaissaient donc les exigences constitutionnelles liées à la protection de la liberté individuelle et de la vie privée. Le Conseil a, également, censuré les dispositions permettant à des entreprises de pratiquer une vidéosurveillance aux abords immédiats de leurs bâtiments et installations sur la voie publique et de visionner les images pour le compte des personnes publiques, y compris des communes. Là encore, le Conseil n'a pu que constater que ces dispositions permettaient à des personnes privées d'exercer une mission de surveillance générale de la voie publique. L'impossibilité constitutionnelle de déléguer des missions de police administrative à une personne privée justifie une censure qui était assez inévitable (6).

La "Loppsi 2" complète donc la loi du 21 janvier 1995 (7), en accroissant le champ d'application de la vidéosurveillance. Celle-ci vise toujours, notamment, la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords, la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d'agression ou de vol, ou la surveillance des lieux et établissements ouverts au public, et particulièrement exposés à des risques d'agression ou de vol. La "Loppsi 2" étend ces domaines, en particulier, à la lutte contre le trafic de stupéfiants et contre les infractions douanières, la prévention d'actes de terrorisme et des risques naturels ou technologiques, ainsi qu'à la sécurité des installations accueillant du public dans les parcs d'attraction (8).

2 - La surveillance des installations sensibles

Le préfet peut autoriser les communes dont le territoire abrite des installations sensibles (9) à mettre en oeuvre un système de vidéoprotection. Le conseil municipal doit délibérer sur cette question dans un délai de trois mois. Le financement et la maintenance de système sont pris en charge par l'Etat par le biais d'une convention. Ce nouveau dispositif est applicable aux établissements de coopération intercommunale qui exercent la compétence relative aux dispositifs locaux de prévention de la délinquance (10).

Le dispositif issu des débats parlementaires est beaucoup moins contraignant que celui qui résultait d'un amendement déposé par le Gouvernement en première lecture devant l'Assemblée nationale. Cet amendement prévoyait qu'en cas de refus de la commune, le préfet pouvait user de son pouvoir de substitution d'action lorsque la vidéosurveillance était imposée par une nécessité impérieuse de sécurité publique. Cette hypothèse visait, en particulier, l'hypothèse où il serait nécessaire de surveiller un lieu susceptible de constituer une cible pour une action terroriste, mais où le maire de la commune refuserait un équipement de vidéosurveillance. Le préfet aurait, ainsi, pu passer outre ce refus, et faire financer l'installation par la collectivité. Le Sénat a justement considéré que ce dispositif serait de nature à porter atteinte à la libre administration des collectivités territoriales. Il a donc supprimé le pouvoir de substitution d'action et proposé la conclusion de la convention entre l'Etat et la collectivité. Cette convention précisera, notamment, les modalités de fonctionnement de maintenance du système mis en place. Il appartient donc aux exécutifs qui seront informés d'un risque majeur d'action terroriste sur le territoire de leur commune de faire preuve de responsabilité. Il faut, cependant, relever que les installations vitales susceptibles de faire l'objet d'attaques de cette nature sont très nombreuses et ne se limitent pas aux installations naturellement stratégiques.

B - La délinquance des mineurs

1 - Le couvre-feu des mineurs

Certains élus n'ont pas attendu de dispositions législatives spécifiques pour imposer des mesures dites de "couvre-feu" interdisant aux mineurs de circuler seuls la nuit dans les rues. Le Conseil d'Etat a, d'ailleurs, défini les critères de légalité de ce type de mesures qui entrent dans le champ d'application des pouvoirs de police des maires. Un arrêt du 9 juillet 2001 subordonne la légalité de ces mesures "à la double condition qu'elles soient justifiées par l'existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquelles elles sont édictées, et qu'elles soient adaptées par leur contenu à l'objectif de protection pris en compte" (11). On relèvera qu'il ne s'agit là que de la reprise des deux critères classiques de la légalité des mesures de police qui, pour être légales, doivent être, d'une part, nécessaires et, d'autre part, proportionnées.

La "Loppsi 2" donne, désormais, au préfet la possibilité de décréter des interdictions de circulation aux mineurs de moins de treize ans. La mesure de police vise à restreindre la liberté d'aller et de venir de ces mineurs entre vingt-trois heures et six heures. Il convient de noter que cet arrêté n'est pas destiné à protéger l'ordre public contre les actes de délinquance dont ces mineurs pourraient se rendre coupables. Il s'agit, au moins en théorie, de les protéger contre un risque manifeste pour leur santé, leur sécurité, leur éducation ou leur moralité. La décision énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de faits et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s'applique (12).

Cette restriction à la liberté d'aller et venir est assez illusoire et constitue plus un indicateur de situation qu'un remède. Elle n'est pas sans conséquence pour les polices municipales qui devront, bien entendu, faire appliquer ces arrêtés, dans le respect de leurs compétences propres. Or, il n'est pas difficile d'imaginer l'extrême difficulté de faire respecter une telle mesure. On ne peut donc qu'être dubitatif sur l'efficacité de ce genre de dispositions.

2 - Le renforcement du rôle du président du conseil général

Le président du conseil général dispose d'une compétence de principe dans le domaine de l'action sociale. A ce titre, en vue d'exercer ses compétences en matière d'assistance éducative, la loi lui donne la possibilité de proposer un contrat de responsabilité parentale aux parents d'un mineur en difficulté (13). La "Loppsi 2" renforce l'efficacité du contrat de responsabilité parentale. Le président du conseil général est informé par le procureur de la République des mesures alternatives aux poursuites et des jugements devenus définitifs en cause.

Le contrat, dont la durée ne peut excéder une année, rappelle les obligations des titulaires de l'autorité parentale et comporte toute mesure d'aide et d'action sociales de nature à remédier à la situation. Il contient, notamment, les motifs et les circonstances de fait justifiant le recours à un tel contrat, ainsi qu'une présentation de la situation de l'enfant et des parents ou du représentant légal du mineur. Il rappelle les obligations des titulaires de l'autorité parentale et les engagements des parents ou du représentant légal du mineur pour remédier aux difficultés identifiées dans le contrat, ainsi que les sanctions qui peuvent intervenir au cas où il ne serait pas respecté (14).

Les conséquences de la violation de ce contrat sont importantes (15). Le président du conseil général est, ainsi, en mesure de demander au directeur de l'organisme débiteur des prestations familiales la suspension du versement de tout ou partie des allocations familiales. Il peut saisir le procureur de la République de faits susceptibles de constituer une infraction pénale. Il peut enfin, saisir le juge des enfants qui peut, alors, ordonner que les prestations seront, en tout ou partie, versés à une personne physique ou morale qualifiée, dite "délégué aux prestations familiales". Ce délégué prend toutes décisions, en s'efforçant de recueillir l'adhésion des bénéficiaires des prestations familiales et de répondre aux besoins liés à l'entretien, à la santé et à l'éducation des enfants. Il exerce auprès de la famille une action éducative visant à rétablir les conditions d'une gestion autonome des prestations. Cette mesure ne peut excéder deux ans et peut être renouvelée par décision motivée.

3 - La contractualisation de la politique de sécurité

Depuis la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 (16), l'article L. 2211-4 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L7526IPG) prévoit que le maire anime, dans le respect des compétences des autres autorités administratives sur le territoire de la commune, la politique de prévention de la délinquance et en coordonne la mise en oeuvre. De plus, dans les communes de plus de 10 000 habitants et dans celles comprenant une zone urbaine sensible, le maire préside un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Les contrats locaux de sécurité et les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance existent respectivement depuis 1997 et 2002.

Toutefois, ces outils ne semblent pas suffisamment employés. Certaines communes n'ont pas souhaité exercer les prérogatives conférées par la loi de 2007. Le faible taux de mise en oeuvre s'explique, également, par l'absence de formalisation des relations entre le maire et les acteurs de la prévention. La liberté importante laissée aux maires par la loi a probablement nui à l'efficacité de la mesure. Un amendement déposé en séance a donc prévu que le maire peut, désormais, convenir avec l'Etat, ou les autres personnes morales intéressées, des modalités nécessaires à la mise en oeuvre des actions de prévention de la délinquance. Cette nouvelle disposition a pour objet de formaliser davantage la collaboration entre le maire et les autres acteurs de la prévention de la délinquance. Les acteurs concernés sont, à la fois, les acteurs classiques (gendarmerie, police, justice) mais, également, les directeurs des établissements de l'Education nationale.

C - Les nouvelles infractions

Plusieurs incidents ont attiré l'attention de l'autorité sur une pratique qui traduit assez bien le degré de délitement de la société. Il s'agit de la distribution d'argent à objet publicitaire sur les voies publiques. Recherchant un mode de publicité facile qui garantit la présence d'une foule importante, une société avait annoncé son intention de procéder à une distribution d'argent. Comme on pouvait s'en douter, et malgré l'annulation de dernière minute de la manifestation, celle-ci s'est rapidement transformée en émeute et a donné lieu à des délits graves, notamment des violences sur les personnes. Rien ne garantissait qu'une telle opération ne se renouvellerait pas du fait d'un quasi-vide législatif.

L'article 431-29 du Code pénal (N° Lexbase : L7581IPH) punit, désormais, de six mois d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende la distribution sur la voie publique, à des fins publicitaires, d'argent sur la voie publique, la peine pouvant être portée au double des sommes distribuées (17). Le fait d'annoncer une telle distribution est puni de trois mois d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Les maires devront donc être vigilants pour alerter les autorités compétentes. Bien entendu, toute demande d'utilisation du domaine public faite en violation de cet article sera légalement refusée. On notera, également, que la loi instaure un délit de vente à la sauvette puni de 6 mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende, ainsi qu'un délit d'exploitation de vente à la sauvette (18). Les maires des communes touchées par ces pratiques, et notamment, les maires des communes touristiques, disposent, désormais, d'un outil supplémentaire pour tenter de juguler ce fléau.

D - La police municipale

Seule disposition relative à la police municipale ayant échappé à la censure du Conseil constitutionnel, l'article 94 de la loi dispense, désormais, les agents de police municipale de renouveler la procédure d'agrément et d'assermentation lorsqu'ils exercent leurs fonctions dans une nouvelle commune (19). L'agrément et l'assermentation restent donc valables tant qu'ils continuent d'exercer des fonctions d'agents de police municipale. En cas de recrutement par une commune ou un établissement de coopération intercommunale situé sur le ressort d'un autre tribunal de grande instance, les procureurs de la République compétents au titre de l'ancien et du nouveau lieu d'exercice des fonctions sont avisés sans délai. La censure opérée par le Conseil constitutionnel a supprimé la possibilité, pour les agents de police municipale, de procéder à des contrôles d'identité. Ces agents n'étant pas mis à la disposition des officiers de police judiciaire qui sont, eux-mêmes, sous le contrôle direct et effectif de l'autorité judiciaire, le Conseil a estimé que cette disposition ne respectait pas l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L1332A99). Les mêmes motifs ont conduit à l'annulation de la disposition qui conférait la qualité d'agent de police judiciaire aux directeurs de polices municipales.

II - La police administrative

Deux dispositions qui se rattachent à la police administrative méritent de retenir l'attention. Elles ont, en effet, un impact certain sur la vie des communes. Il s'agit, d'une part, de la création des titres d'identité et, d'autre part, de la nouvelle procédure qui concerne les meubles des personnes habitant des immeubles frappés d'un arrêté de péril.

A - Les titres d'identité

La combinaison de l'article L. 1611-2-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L5057ICB) et des dispositions du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005, relatif aux passeports électroniques (N° Lexbase : L6439HE9), a confié au maire la mission de réception et des saisies des demandes de passeports numériques. Les communes peuvent, ainsi, proposer de réaliser les photographies destinées à ces documents sécurisés. L'Etat a subventionné 2 000 stations de photographies dans les services d'état civil. Le nombre de communes équipées est de 3 505. Les photographes professionnels, dont l'activité est fortement impactée par le développement des appareils photo numériques, appréciaient peu d'être privés d'une source de revenus non négligeable, les photographies d'identité représentant entre 10 et 30 % de leurs revenus.

La loi de finances rectificatives du 30 décembre 2008 (20) a introduit deux modifications à ce dispositif afin de répondre à cette inquiétude. D'une part, elle a prévu un tarif plus faible pour le passeport dont la photographie est réalisée par un photographe (86 euros au lieu de 89 euros). D'autre part, elle a permis au maire de renoncer au recueil de l'image numérisée du visage pour l'établissement de passeport biométriques. La loi précise, désormais, que le recueil des photographies d'identités pour les demandes de passeport ne concerne que les communes équipées des matériels adéquats au 1er janvier 2011 (21). En dehors de ces cas, les photographies destinées à la réalisation des passeports, des cartes d'identités et des autres numériques sécurisés seront réalisées par un professionnel dans des conditions définies par décret. L'objectif est de protéger 9 000 emplois chez les photographes professionnels.

Ces dispositions ont fait l'objet d'un âpre débat entre le Gouvernement et l'Assemblée nationale, d'un côté, et le Sénat, de l'autre. Ce dernier proposait une modification beaucoup plus radicale du dispositif existant qui aurait interdit aux mairies d'établir les photographies dans tous les cas. Celles-ci n'auraient pu être réalisées que par des photographes agréés. Ce mécanisme a été jugé trop lourd à gérer pour l'Etat et trop restrictif : les mairies se voyaient interdire la réalisation des photographies et les photographes agréés disposaient d'un monopole, ce qui aurait été d'une compatibilité douteuse avec le principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Les mairies qui ont investi dans une installation de photographie vont donc pouvoir continuer à proposer ce service aux demandeurs de passeport.

B - La procédure de péril : le sort des meubles de l'occupant

La procédure d'arrêté de péril est prévue par les articles L. 511-1 (N° Lexbase : L8421HEM) et suivants du Code de la construction et de l'habitation. Celui-ci prévoit deux procédures selon l'urgence de la situation. L'arrêté de péril impose, en tout état de cause, au propriétaire de l'immeuble de reloger les occupants. S'il ne peut remplir cette obligation, le maire procède au relogement des occupants, les frais de l'opération étant mis à la charge du propriétaire. La procédure de péril peut conduire l'autorité de police à prononcer l'interdiction définitive d'habiter. Une déclaration d'insalubrité ou, en cas d'urgence, une décision de police du maire prise sur le fondement du Code général des collectivités territoriales peut aboutir au même résultat. Toutefois, aucune disposition particulière ne régissait la situation des meubles de l'occupant. Il arrive, en effet, que les meubles se retrouvent littéralement sur la rue du fait de l'intervention, notamment des services de secours. En tout état de cause, l'interdiction définitive d'habiter l'immeuble impose l'évacuation des meubles. Plusieurs hypothèses peuvent alors apparaître : soit l'occupant ne peut être retrouvé -c'est une hypothèse qui ne doit pas être sous-estimée- ; soit l'occupant n'a pas la possibilité de réutiliser immédiatement ses meubles dans le logement provisoire qui lui est attribué -il peut s'agir d'un hôtel ou d'un logement meublé-. Dans tous les cas, le sort des meubles doit être réglé. Un amendement parlementaire déposé en séance en première lecture à l'Assemblée nationale complète cette lacune, bien qu'il n'ait été accompagné d'aucune explication de vote.

La "Loppsi 2" ajoute donc quatre articles (CCH, art. L. 542-1 N° Lexbase : L7598IP4 à L. 542-4) au Code de la construction et de l'habitation (22). L'hypothèse est celle de l'interdiction définitive d'habitation d'un immeuble. Les meubles évacués et qui demeurent sur les lieux font l'objet d'une description précise par un acte d'huissier qui est mandaté par l'autorité de police. Le procès-verbal ainsi établi est signifié à l'occupant. Il faut, tout d'abord, préciser que les meubles dont il s'agit sont exclusivement ceux de l'occupant régulier. Les meubles des occupants sans titre et autres squatters ne sont pas protégés par cette procédure. Ensuite, la protection ne bénéficie qu'aux meubles présents uniquement dans la résidence principale. Enfin, la protection ne concerne pas les occupants de locaux qui ne sont pas destinés à l'hébergement ou à l'habitation. Les meubles sont, ensuite, remis et entreposés en un lieu approprié désigné par l'autorité de police ayant ordonné l'évacuation. L'occupant dispose d'un délai d'un an à compter de la signification de l'acte d'huissier pour retirer ses meubles.

Les frais provoqués par l'opération -constat et de garde des meubles entreposés- sont à la charge du propriétaire ou de l'exploitant de l'immeuble jusqu'à l'expiration du délai de retrait. A l'issue de ce délai, trois situations peuvent apparaître. L'occupant peut conserver les meubles à l'entrepôt. Dans ce cas, les frais de garde des meubles sont mis à sa charge. A défaut, les meubles non retirés sont, sur autorisation du juge de l'exécution du lieu de situation des meubles, vendus aux enchères publiques. Ceux qui ne sont pas susceptibles d'être vendus sont déclarés abandonnés et détruits. Le juge statue après avoir entendu ou appelé les parties. Une exception est prévue pour les papiers et documents de nature personnelle, qui sont conservés sous scellés par l'huissier de justice pendant deux ans. A l'expiration de ce délai, l'huissier de justice détruit les documents conservés et dresse un procès-verbal qui fait mention des documents détruits. Le produit de la vente est remis à l'occupant, après déduction des frais engagés après l'expiration du délai de retrait des meubles. En revanche, si l'occupant prouve par tout moyen qu'aucune proposition de relogement adaptée à ses besoins ne lui a été faite, les meubles sont conservés aux frais du propriétaire ou de l'exploitant jusqu'à ce qu'il ait été relogé par le propriétaire ou, en cas de carence de ce dernier, par le maire.

Le procès-verbal établi par l'huissier contient, à peine de nullité, plusieurs mentions. Il doit établir un inventaire des meubles déménagés et de ceux laissés sur place par l'occupant, et indiquer s'ils paraissent avoir une valeur marchande ou non. L'acte doit préciser le lieu et les conditions d'accès au local où sont déposés les meubles. Il doit, également, faire sommation à l'occupant de les retirer dans le délai d'un an et indiquer le sort des biens au cas où l'occupant refuserait de les retirer. L'acte convoque la personne évacuée à comparaître devant le juge de l'exécution à une date déterminée qui ne peut être antérieure à l'expiration du délai imparti, afin qu'il soit statué sur le sort des meubles non retirés avant le jour de l'audience.

Ces nouvelles dispositions prévoient, enfin, que, lorsque le propriétaire ou l'exploitant ne se conforme pas à ses obligations, l'autorité de police ayant ordonné l'évacuation prend les dispositions nécessaires pour assurer ces obligations. Les frais de l'opération sont mis à la charge du propriétaire. La créance résultant de cette substitution est recouvrée comme en matière de contributions directes par la personne publique créancière.

Ces nouvelles dispositions vont permettre de régler provisoirement certains problèmes matériels liés à l'évacuation des occupants. Toutefois, elles imposent de nouvelles contraintes aux collectivités qui vont devoir trouver des lieux de stockage pour les meubles en question. De plus, le recouvrement des sommes sur les propriétaires n'est pas toujours aisé. En faisant opposition aux titres de recettes, ceux-ci peuvent, ainsi, provoquer automatiquement la suspension du recouvrement et gagner du temps au détriment de la collectivité qui ne peut faire sanctionner par le juge les oppositions purement dilatoires.


(1) Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L5066IPC).
(2) Cons. const., décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 (N° Lexbase : A2186G9T).
(3) Cons. const., décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, précitée, point 55. On notera que le Conseil, dans une approche compassionnelle du droit, ne précise pas de quels droits et libertés il s'agit. Il estime, en effet, que la possibilité ouverte aux personnes concernées de saisir le juge des référés du tribunal administratif n'est pas une garantie suffisante pour assurer la conciliation entre ces droits et la nécessité de sauvegarder l'ordre public.
(4) Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, art. 96.
(5) Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, art. 17.
(6) Sur le rappel de l'impossibilité de déléguer la surveillance du domaine public, y compris par voie de vidéosurveillance, voir, par exemple, QE n° 383 de Mme Marie-Jo Zimmermann, JOAN du 10 juillet 2007, p. 4824, réponse publ. 3 juin 2008, p. 4687 (N° Lexbase : L9108IPZ).
(7) Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation relative à la sécurité (N° Lexbase : L1655IEZ), art. 10, JO du 24 janvier 1995.
(8) Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, art. 18.
(9) Il s'agit des installations mentionnées aux articles L. 1332-1 ([LXB=L8648HEZ ]) et L. 1332-2 (N° Lexbase : L7801HNA) du Code de la défense. Il s'agit, notamment, des installations nucléaires de base.
(10) CGCT, art. L. 5211-60 (N° Lexbase : L7724IPR).
(11) CE référé, 9 juillet 2001, n° 235638 (N° Lexbase : A4838AUQ).
(12) Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, art. 43.
(13) C. act. soc. fam., art. L. 222-4-1 (N° Lexbase : L7531IPM).
(14) C. act. soc. fam., art. R. 222-4-1 (N° Lexbase : L1707HSZ).
(15) C. act. soc. fam., art. L. 222-4-1, précité.
(16) Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance (N° Lexbase : L6035HU3).
(17) Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, art. 50.
(18) Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, art. 51 et 52.
(19) Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, art. 94.
(20) Loi n° 2008-1443 de finances rectificatives du 30 décembre 2008, art. 103 (N° Lexbase : L3784IC7), JO du 31 décembre 2008.
(21) Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, art. 16.
(22) Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, art. 124.

newsid:417793

Divorce

[Chronique] Chronique de droit patrimonial du divorce - Mars 2011

Lecture: 11 min

N9504BRG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4282653-derniere-revue-en-pdf#article-419504
Copier

par Marjorie Brusorio-Aillaud Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var

Le 07 Avril 2011



Lexbase vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualités en droit patrimonial du divorce réalisée par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var. Au sommaire de cette chronique, on retrouve, en premier lieu, un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 mars 2011, qui s'est prononcée sur la prise en compte du RMI parmi les ressources de l'époux créancier d'une prestation compensatoire (Cass. civ. 1, 9 mars 2011, n° 10-11.053, F-P+B+I). En second lieu, l'auteur s'est arrêté sur un arrêt du 9 février 2011 relatif à la révision des prestations compensatoires (Cass. civ. 1, 9 février 2011, n° 09-17.447, F-D).
  • Eléments pris en compte pour fixer le montant de la prestation compensatoire : quid du RMI de l'époux créancier ? (Cass. civ. 1, 9 mars 2011, n° 10-11.053, F-P+B+I N° Lexbase : A3240G77)

L'article 271 du Code civil (N° Lexbase : L3212INB) énonce la liste des éléments que le juge doit prendre en considération pour décider si l'un des époux peut prétendre à une prestation compensatoire. Or, cette liste n'étant pas exhaustive, les tribunaux ont régulièrement à préciser si tel revenu ou telle ressource doit être pris(e) en compte.

Dans une affaire jugée le 9 mars dernier, une femme reprochait à une cour d'appel d'avoir tenu compte, pour le calcul de ses ressources et l'attribution de 15 000 euros de prestation compensatoire, du montant du RMI (revenu minimum d'insertion) qu'elle percevait. Son pourvoi en cassation fut rejeté.

Cette décision est parfaitement logique et donne l'occasion d'un rappel des éléments que les juges prennent en compte pour fixer la prestation compensatoire.

La prestation compensatoire est fixée, d'après l'article 271 du Code civil, "selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.

A cet effet, le juge prend en considération notamment :

- la durée du mariage ;
- l'âge et l'état de santé des époux ;
- leur qualification et leur situation professionnelles ;
- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
- leurs droits existants et prévisibles ;
- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa
".

Et le second alinéa de l'article 272 du même code (N° Lexbase : L8783G8S) précise "dans la détermination des besoins et des ressources, le juge ne prend pas en considération les sommes versées au titre de la réparation des accidents du travail et les sommes versées au titre du droit à compensation d'un handicap".

L'adverbe "notamment", au début de la liste énoncée par le premier de ces textes, indique clairement que celle-ci n'est pas exhaustive.

Il a ainsi été jugé que les magistrats devaient tenir compte :

- de tous les composants du patrimoine des époux "et notamment leurs biens propres ou personnels quelle qu'en soit l'origine", telle que, par exemple, la perception d'"une somme importante lors de la vente d'un bien propre, dont il [le défendeur] n'avait pas justifié l'emploi" (1) ;
- du concubinage d'un des conjoints, qu'il s'agisse de l'époux créancier (2) ou débiteur (3) ;
- de l'allocation chômage de l'époux débiteur (4) ;
- de l'indemnité de fonction perçue en tant que maire, par le mari (5) ;
- de la prestation compensatoire versée à une précédente épouse (6) ;
- de la contribution à l'entretien et l'éducation des enfants, pour déterminer les ressources de l'époux débiteur (7), mais pas celles du conjoint qui en a la garde (8).

En revanche, les juges n'ont pas à prendre en considération :

- la vocation successorale de l'épouse créancière, au motif que celle-ci ne constitue pas un "droit prévisible" (9). Il est vrai qu'il est possible que la personne n'ait jamais cet héritage si, par exemple, ses parents dilapident tout, l'exhérèdent ou décèdent après elle ;
- les perspectives de versement d'une pension de réversion en cas de prédécès de l'ex-mari, débiteur de la prestation compensatoire (10), dès lors que, comme la vocation successorale, la pension de réversion attribuée en cas de prédécès du conjoint est aléatoire, personne ne pouvant prédire qui va mourir en premier ;
- les prestations destinées aux enfants (allocations familiales, prestations dédiées à la naissance et au jeune enfant, aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée (AFEAMA), allocation de garde d'enfant à domicile (AGED), prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), allocation de soutien familial (ASF), complément familial, allocation de rentrée scolaire), qui ne constituent pas des revenus bénéficiant aux parents (11).

Dans l'affaire commentée, le mariage avait eu lieu en 1979 et deux enfants, à présent majeurs, en étaient issus. L'épouse percevait une pension d'invalidité et le RMI. L'époux était sans emploi et touchait une indemnité mensuelle versée par les Assedic. Le couple était propriétaire d'un immeuble commun dont la valeur avait été estimée à une somme comprise entre 120 000 et 160 000 euros. Au regard de ces éléments, les premiers juges avaient estimé que la rupture du mariage créait une disparité dans les situations respectives des parties justifiant l'allocation d'une prestation compensatoire, au profit de l'épouse, d'un montant de 15 000 euros. En appel, l'épouse faisait valoir que le RMI ne devait pas être considéré comme une ressource de l'époux créancier de la prestation compensatoire, au motif qu'il est fondé sur la solidarité nationale et ne peut pas se substituer aux obligations découlant du mariage. Cet argument n'a pas convaincu les magistrats, tant de la cour d'appel que de la Cour de cassation, et cela paraît logique.

Pour décider de ce qui doit être pris en considération ou non, les juges se fondent sur la définition de la prestation compensatoire : un capital ou une rente destiné(e) à compenser, autant que possible, la disparité que le divorce crée dans les conditions de vie des époux (C. civ., art. 270, al. 2 N° Lexbase : L2837DZ4), fixé(e) selon les besoins de l'époux créancier et les ressources du débiteur, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible (C. civ., art. 271). Le RMI (12) est une allocation de quelques centaines d'euros (selon que l'allocataire est seul ou en couple, avec ou sans enfant à charge, déjà bénéficiaire ou non de l'aide au logement...), versée par la caisse d'allocations familiales ou la mutualité sociale agricole. Il constitue un minimum social. Son versement n'est pas limité dans le temps. Il est maintenu tant que les conditions sont respectées. Contrairement à la vocation successorale ou la pension de réversion, il constitue un droit prévisible. Contrairement aux prestations destinées aux enfants, il est censé profiter directement à son bénéficiaire. Comme l'allocation chômage ou l'indemnité perçue en tant que maire, il représente bien une ressource, "un revenu".

Certes, si un jour le RMI cesse de lui être versé, l'épouse ne pourra pas demander une augmentation de la prestation compensatoire pour compenser cette perte (C. civ., art. 276-3, al. 2 N° Lexbase : L2844DZD). Cependant, si l'ex-épouse ne bénéficie plus de cette allocation, c'est qu'elle aura, pour vivre, un autre revenu que celui minimum d'insertion ou de solidarité active.

  • Prestation compensatoire : 5 000 francs par mois depuis 30 ans (1633 euros aujourd'hui) et pas de révision ! (Cass. civ. 1, 9 février 2011, n° 09-17.447, F-D N° Lexbase : A7240GW3)

Lorsqu'elles ont été fixées avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-596 du 30 juin 2000 (N° Lexbase : L0672AIQ), les prestations compensatoires versées sous forme de rentre viagère peuvent être révisées dès lors que leur maintien en l'état procure au créancier un avantage manifestement excessif au regard des critères posés à l'article 276 du Code civil (N° Lexbase : L2843DZC) (âge, état de santé...).

Dans une affaire jugée le 9 février 2011, un homme demandait la révision de la prestation compensatoire versée à son ex-épouse, depuis trente ans, et fut débouté au motif que, justement, cela ne lui procurait pas un avantage excessif.

Cet arrêt montre à quel point il peut être difficile d'obtenir la révision de la prestation compensatoire et, à l'occasion d'un premier moyen, comment peut être formée la demande.

1. La révision de la prestation compensatoire... sur la forme

Selon l'article 1074 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0825IGN), relatif à la procédure en matière familiale, "les demandes sont formées, instruites et jugées en chambre du conseil, sauf disposition contraire. Les décisions relatives au nom, au prénom ou au divorce sont rendues publiquement".

Dans l'affaire examinée, l'arrêt d'appel avait été prononcé par mise à disposition au greffe. Or, selon l'époux, les décisions statuant après divorce, sur la suppression ou la modification d'une prestation compensatoire, ne sont pas des décisions relatives au divorce, au sens de l'alinéa 2 de l'article 1074 du Code de procédure civile, et doivent être rendues en chambre du conseil. L'arrêt attaqué aurait ainsi violé l'article 1074, alinéa 1er, du Code de procédure civile.

Cependant, d'après la Cour de cassation, la mise à disposition au greffe n'emporte pas dérogation aux règles de publicité prévues pour les jugements. En effet, selon l'article 451 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6558H7Z) "les décisions contentieuses sont prononcées en audience publique et les décisions gracieuses hors la présence du public, le tout sous réserve des dispositions particulières à certaines matières. La mise à disposition au greffe obéit aux mêmes règles de publicité". Par conséquent, le moyen était dénué de fondement.

La décision est ainsi parfaitement logique et n'appelle pas de remarque particulière.

2. La révision de la prestation compensatoire... sur le fond

Selon l'article 33 VI de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 (N° Lexbase : L2150DYB), "les rentes viagères fixées par le juge ou par convention avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-596 du 30 juin 2000 relative à la prestation compensatoire en matière de divorce peuvent être révisées, suspendues ou supprimées à la demande du débiteur ou de ses héritiers lorsque leur maintien en l'état procurerait au créancier un avantage manifestement excessif au regard des critères posés à l'article 276 du Code civil. L'article 276-3 de ce code (N° Lexbase : L2844DZD) est applicable à la révision, à la suspension ou la suppression des rentes viagères fixées par le juge ou par convention avant l'entrée en vigueur de la présente loi".

La Cour de cassation a précisé que ce texte distinguait deux causes de révision des anciennes prestations compensatoire : soit la preuve d'un avantage manifestement excessif, soit la preuve d'un changement important dans les besoins ou ressources des parties (13) et, qu'à défaut d'avantage excessif, le juge devait rechercher s'il existait un changement important dans les ressources ou les besoins des parties (14).

En l'espèce, le couple avait divorcé en 1980, sur demande conjointe, et leur convention définitive prévoyait le versement d'une prestation compensatoire, à l'épouse, sous forme d'une rente viagère mensuelle de 5 000 francs laquelle, désormais, du fait de l'indexation, était de 1 633 euros. En 2008, l'époux avait demandé la suppression de la rente au motif que le versement de celle-ci, depuis plus de 30 ans, soit la somme 586 500 euros, constituait un avantage excessif pour l'épouse. Sa demande avait été rejetée. Devant la Cour de cassation, il avançait deux arguments.

D'abord, la cour d'appel n'aurait pas dû se fonder sur les seuls critères posés par l'article 276 du Code civil, mais tenir compte de ceux énoncés par l'article 271 du même code, de la durée du service de la rente et du montant déjà versé. Ensuite, elle n'aurait pas dû se borner à constater que l'épouse disposait d'un logement dans un bâtiment dépendant d'un ensemble immobilier appartenant à une SCI familiale dont elle détenait 40 % du capital, mais examiner l'ensemble du patrimoine des parties.

Cependant, la Cour de cassation a estimé qu'ayant examiné l'évolution de la situation financière des parties depuis le jugement de divorce, au regard des éléments produits aux débats, notamment leur patrimoine immobilier, et ayant relevé que, compte tenu de son âge, l'épouse n'avait pas de perspective de modification de sa situation professionnelle et de ses droits à la retraite, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche invoquée et qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a souverainement estimé que le maintien de la rente en l'état ne lui procurerait pas un avantage manifestement excessif, au regard des critères de l'article 276 du Code civil. Le moyen ne pouvait donc pas être accueilli.

Du point de vue de l'époux, et en équité, cette décision peut paraître sévère. Celui-ci verse depuis 30 ans, et va encore verser, une rente à une ex-épouse qui, divorcée à l'âge de 34 ans, s'est plus investie dans des activités bénévoles, selon le moyen annexe, que dans une formation professionnelle lui permettant de subvenir à ses besoins. De 5 000 francs par mois en 1980, la prestation est à présent fixée à 1 633 euros, pour un total de 586 500 euros.

Cependant, du point de vue de l'épouse, et en droit, la solution peut se justifier. En 1980 (comme aujourd'hui d'ailleurs), l'objectif de la prestation compensatoire était de compenser, autant que possible, la disparité que le divorce créait dans les conditions de vie des époux. Celle-ci a été fixée selon les besoins de l'époux à qui elle était versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible (C. civ., art. 271). Or, au moment de leur divorce, l'époux bénéficiait de salaires de 708 963 francs, de revenus mobiliers de 62 789 francs et de revenus fonciers de 2 668 francs soit 774 420 francs (118 059 euros) par an et 64 535 francs (9 838,30 euros) par mois, selon le moyen annexe, tandis que l'épouse n'avait aucun revenu. De plus, la cour d'appel avait bien examiné les éléments énoncés par l'article 276 du Code civil (tel que cela est indiqué dans l'article 33 VI de la loi de 2004) et non ceux visés à l'article 271 du même code (tel que l'invoquait l'époux). Cela relevait de son appréciation souveraine et les Hauts magistrats, statuant seulement en droit, pouvaient seulement vérifier qu'elle l'avait fait.

En pratique, la jurisprudence admet rarement la révision d'une prestation compensatoire pour avantage manifestement excessif. Il en fut ainsi, par exemple, dans une affaire où la retraite de l'ex-époux n'était plus que deux fois plus importante que celle de l'ex-épouse alors que, au moment du divorce, le salaire du premier représentait six fois celui de la seconde (15). De même, dans une affaire où un homme avait été condamné, en 1979, à verser 2 200 francs de rente mensuelle à son ex-épouse née en 1933, les juges du fond ont retenu, presque trente ans plus tard, pour admettre que cela procurait à l'épouse un avantage manifestement excessif et qu'il y avait lieu de réduire le montant de la prestation à 400 euros par mois, que si, compte tenu de son âge, l'ex-épouse ne pouvait envisager de travailler, elle bénéficiait toutefois d'un patrimoine lui assurant la possibilité d'un logement, d'une retraite modeste mais constituant un revenu régulier et qu'elle partageait les charges de la vie courante avec un compagnon (16).

La loi du 30 juin 2000 a offert aux débiteurs d'anciennes prestations compensatoires la possibilité d'en demander la révision en cas de changement dans les ressources ou besoins des parties, comme pour les nouvelles prestations, mais aussi en cas d'avantage manifestement excessif, au regard des critères posés à l'article 276 du Code civil. Cependant, en pratique, les juges admettent rarement une révision sur ce dernier fondement et, quand ils le font, on constate que c'est parce qu'il y a un changement dans les besoins et ressources des parties. Ainsi, en définitive, et contrairement à ce qu'énonce la Cour de cassation, "l'avantage manifestement excessif" n'est pas une cause de révision différente mais simplement une variante "du changement dans les besoins et ressources".


(1) Cass. civ. 1, 20 septembre 2006, n° 04-17.803 (N° Lexbase : A2974DRL).
(2) Cass. civ. 1, 16 mars 2004, n° 02-12.786, F-D (N° Lexbase : A5981DB7) ; Cass. civ. 1, 25 avril 2006, n° 05-15.706, F-P+B (N° Lexbase : A2165DPU), Bull. civ. I, n° 203.
(3) Cass. civ. 1, 3 décembre 2008, n° 07-14.609, F-P+B (N° Lexbase : A5157EBM), Bull. civ. I, n° 278.
(4) Cass. civ. 2, 5 novembre 1986, n° 85-12.860 (N° Lexbase : A5739AAS), Bull. civ. II, n° 159.
(5) Cass. civ. 2, 14 janvier 1999, n° 96-22.150 (N° Lexbase : A3886CHE), Bull. civ. II, n° 10.
(6) Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 06-10.763, FS-P+B (N° Lexbase : A3036DUY), Bull. civ. I, n° 69.
(7) Cass. civ. 2, 10 mai 2001, n° 99-17.255 (N° Lexbase : A4303ATK), Bull. civ. II, n° 93.
(8) Cass. civ. 1, 25 mai 2004, n° 02-12.922 (N° Lexbase : A2708DCB), Bull. civ. I, n° 148.
(9) Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-10.989, F-P+B+I (N° Lexbase : A2205GBB). Voir déjà, sous l'empire de la législation antérieure : Cass. civ. 1, 21 septembre 2005, n° 04-13.977, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4773DMQ), Bull. civ. I, n° 339 ; Cass. civ. 1, 3 octobre 2006, n° 04-20.601, F-D (N° Lexbase : A4962DR9).
(10) Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-15.346, F-P+B+I (N° Lexbase : A2212GBK). Voir déjà : Cass. civ. 1, 23 mai 2006, n° 05-17.856, F-D (N° Lexbase : A6809DPU).
(11) Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-12.718, F-P+B+I (N° Lexbase : A2208GBE). Voir déjà : Cass. civ. 2, 26 septembre 2002, n° 00-21.914, FS-P+B (N° Lexbase : A4916AZ4), Bull. civ. II, n° 186 ; Cass. civ. 1, 12 mai 2004, n° 03-10.249, F-P (N° Lexbase : A1696DCS), Bull. civ. I, n° 133.
(12) Remplacé depuis le 1er juin 2009 par le RSA (revenu de solidarité active).
(13) Cass. civ. 1, 19 septembre 2007, n° 06-20.193, F-P+B (N° Lexbase : A4338DYC), Bull. civ. I, n° 284.
(14) Cass. civ. 1, 6 mai 2009, n° 07-15.704, F-D (N° Lexbase : A7432EGD).
(15) Cass. civ. 1, 11 mars 2009, n° 08-11.211, F-D (N° Lexbase : A7176ED7).
(16) Cass. civ. 1, 4 juin 2007, n° 06-14.542, F-D (N° Lexbase : A5598DWA).

newsid:419504

Droit comptable

[Doctrine] Juste valeur : projet de norme internationale

Lecture: 8 min

N4954BRW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4282653-derniere-revue-en-pdf#article-414954
Copier

par Robert Obert, professeur agrégé honoraire, diplômé d'expertise comptable, docteur en sciences de gestion

Le 07 Avril 2011

Après que le FASB, le normalisateur américain, (FAS 157, septembre 2006) ait publié une norme générale sur l'évaluation à la "juste valeur", l'IASB ("International Accounting Standard Board"), organisme international de normalisation comptable, vient de présenter deux exposés-sondages complémentaires avec appel à commentaires sur le même sujet en mai 2009 et en juin 2010. Ces projets proposent de remplacer la référence à la notion de "juste valeur" ("fair value") figurant dans les différentes normes par un seul texte. Une nouvelle norme est attendue dans le premier semestre 2011 et la Direction technique de l'IASB a publié en août 2010 une ébauche de la norme (Staff draft), accompagnée d'un guide d'application et d'une série d'exemples illustratifs. Le concept de la "juste valeur"

Si la notion est apparue pour la première fois en 1975 dans une norme américaine (FAS 12) relative à la comptabilisation des titres de placement, il fallut attendre 1995 pour que l'IASC (l'ancêtre de l'IASB) publie la norme IAS 32 relative aux instruments financiers pour voir émerger le concept de "juste valeur" dans les normes internationales. Depuis, ce concept a été utilisé par de nombreuses normes pour l'évaluation des actifs ou des passifs. On y trouve toujours la définition figurant dans IAS 32 depuis la révision de 1998 : "la 'juste valeur' est le montant pour lequel un actif pourrait être échangé, ou un passif éteint, entre des parties bien informées et consentantes dans le cadre d'une transaction effectuée dans des conditions de concurrence normale".

L'application de la "juste valeur" dans les états financiers peut se justifier par les raisons suivantes :

- les investisseurs, principaux utilisateurs des états financiers, se fondent essentiellement sur la "juste valeur" des entités dans leur prise de décisions, parce qu'elle reflète l'opinion des marchés et traduit mieux la valeur actuelle des flux monétaires futurs ;
- la mise sur le marché des instruments financiers de plus en plus fréquemment avant leur échéance contractuelle justifie un mode d'évaluation qui permet de mieux refléter la réalité économique ;
- les valeurs historiques ne permettent pas toujours de comparer les performances alors qu'une valeur du jour, observée sur les marchés, facilite la comparabilité des comptes.

Le concept de "juste valeur" a été, à partir de 2002, l'un des thèmes choisis par le FASB, le normalisateur américain et l'IASB dans le cadre de la convergence entre US GAAP (principes comptables généralement appliqués américains) et IFRS (normes internationales d'information financière).

Application du concept de la "juste valeur"

Dans les normes internationales, lesquelles sont utilisées pour l'établissement des comptes consolidés des sociétés européennes faisant appel public à l'épargne, le concept de "juste valeur" s'applique essentiellement dans le cadre des instruments financiers (IAS 32, IAS 39, IFRS 7). Mais ce concept peut être utilisé également dans d'autres domaines. Ainsi, les normes IFRS relatives aux stocks (IAS 2), aux immobilisations corporelles (IAS 16), aux locations (IAS 17), aux produits des activités ordinaires (IAS 18), aux avantages au personnel (IAS 19), à la comptabilisation des subventions (IAS 20), aux effets des variations des monnaies étrangères (IAS 21), à la dépréciation des actifs (IAS 36), aux immobilisations incorporelles (IAS 38), aux immeubles de placement (IAS 40), à l'agriculture (IAS 41), à la première application des normes IFRS (IFRS 1), aux paiements fondés sur des actions (IFRS 2), aux regroupements d'entreprises (IFRS 3), aux contrats d'assurance (IFRS 4) et aux actifs non courants détenus en vue de la vente et activités abandonnées (IFRS 5), pour des points déterminés, font appel au concept de la "juste valeur".

Si l'on examine le bilan consolidé d'une grande banque du CAC 40 (document de référence 2009, BNP Paribas), 51 % des actifs sont des actifs financiers évalués à la "juste valeur" et 36 % des passifs exigibles sont des passifs financiers évalués à la "juste valeur". Par ailleurs, si l'on examine le bilan d'une grande entreprise industrielle du CAC 40 (document de référence 2009, Total) 3 % des actifs et 41 % des passifs exigibles (pour l'essentiel des emprunts obligataires dont les risques sont couverts par un instrument financier dérivé) sont des actifs ou des passifs financiers évalués à la "juste valeur". Ce concept a donc une importance fondamentale dans la présentation des états financiers des entités faisant appel public à l'épargne.

Critique du concept de "juste valeur"

Le concept de la "juste valeur" a fait, depuis sa mise en oeuvre, l'objet de nombreuses critiques que l'on peut analyser comme suit :

1. La détermination de la "juste valeur" peut conduire à des résultats discutables. Un marché n'existe pas nécessairement et on ne peut pas toujours observer une valeur pour l'instrument correspondant. Les méthodes de valorisation à partir de modèles (voir ci-après la hiérarchie des méthodes de niveau 3) sont parfois opaques et ne sont pas harmonisées entre entités. Plusieurs responsables d'institutions financières critiquent aussi le fait que la valorisation s'applique à des actifs destinés à être conservés à moyen ou long terme et pour lesquels la valorisation instantanée n'a pas de sens.
2. Le concept de "juste valeur" s'appuie sur la théorie économique dite des marchés efficients, développé par l'économiste américain Eugène Fama, dans les années 1970. Comme l'a, en outre, illustré la récente crise financière, les marchés ne sont pas toujours efficients et en conséquence, ce concept sous-jacent et la pertinence d'une mesure de la "juste valeur" qui en découle peuvent être contestés.
3. La comptabilisation en "juste valeur" conduit à une certaine volatilité du résultat. En effet, la remise à jour régulière des valeurs des actifs entraîne une volatilité des comptes et des résultats des sociétés sans correspondance avec leur activité économique.
4. L'utilisation de la "juste valeur" a un effet procyclique très puissant notamment sur le système bancaire et financier. En période d'expansion et de hausse des cours, le prix des actifs détenus dans le bilan des banques (et donc leurs bénéfices comptables et leurs fonds propres) augmente. Les banques peuvent tout à la fois respecter les normes prudentielles (accord Bâle II) et accroître le montant de leurs prêts aux investisseurs et leurs propres investissements. En revanche, lorsque les cours chutent, comme après 2007, elles sont obligées d'inscrire dans leurs comptes des dépréciations qui réduisent leurs bénéfices et leurs fonds propres. Les règles prudentielles les amènent alors à réduire leur offre de crédit.
5. Alors que l'IASB considère que l'information financière qui se dégage de la comptabilité est destinée en priorité aux investisseurs (cadre conceptuel, § 10), l'Autorité des normes comptables (ANC), le normalisateur national considère (plan stratégique 2010-2011), qu'il y a lieu de s'assurer que les normes comptables traduisent une approche économique et non exclusivement financière. Pour cela, l'ANC défend une conception de la comptabilité comme outil commun à la disposition de diverses parties prenantes et reflétant la réalité des modèles économiques, par opposition à un système fondamentalement axé sur la mesure instantanée aux prix de marché au profit des investisseurs. Cette position de l'ANC explique la réponse (plutôt négative) apportée par les organismes de normalisation français aux exposés sondages de l'IASB sur l'évaluation à la "juste valeur".

Principes de base

- La nouvelle norme, reprenant la définition du FASB et abandonnant celle d'IAS 32 de 1998, définit ainsi la "juste valeur" : "la 'juste valeur' est le prix qui serait reçu pour la vente d'un actif ou payé pour transférer un passif dans une transaction ordonnée entre les participants d'un marché à la date d'évaluation".
- Pour certains actifs et passifs, les transactions observables sur le marché ou les informations sur celui-ci peuvent être facilement accessibles. Pour d'autres actifs et passifs, elles pourraient ne pas être disponibles. Toutefois, l'objectif d'une mesure de la "juste valeur" dans les deux cas reste le même : il s'agit d'estimer le prix auquel une transaction ordonnée de vendre l'actif ou de transférer le passif entre les participants du marché, à la date d'évaluation (soit un prix de sortie dans la perspective d'un acteur du marché qui détient l'actif ou se libère du passif).
- Lorsque le prix d'un actif ou d'un passif identique n'est pas directement observable, une entité doit mesurer la "juste valeur" en utilisant une autre technique d'évaluation (par exemple en utilisant un prix coté pour un bien ou un passif semblable).
- La "juste valeur" est une mesure fondée sur le marché, pas une mesure spécifique à l'entité. Par conséquent, l'intention d'une entité de détenir un actif ou de régler ou de s'acquitter d'un engagement n'est pas pertinente pour mesurer la "juste valeur".
- L'évaluation de la "juste valeur" suppose que la transaction de vente de l'actif ou de transfert du passif a lieu sur le marché le plus avantageux auquel l'entité a accès, c'est-à-dire le marché qui maximise le montant qui serait reçu pour la vente de l'actif ou qui minimise le montant qui serait payé pour le transfert du passif, après prise en compte des coûts de transaction et des frais de transport.
- La "juste valeur" d'un actif ou d'un passif doit être évaluée en utilisant les hypothèses que les intervenants du marché utiliseraient pour fixer le prix de l'actif ou du passif.

Ces intervenants doivent être :
- indépendants les uns des autres ;
- bien informés, c'est-à-dire qu'ils sont suffisamment renseignés pour prendre une décision d'investissement ;
- capables de conclure une transaction sur l'actif ou le passif ;
- consentants à conclure une transaction sur l'actif ou le passif, c'est-à-dire qu'ils sont motivés, mais non forcés ou obligés de quelque autre façon de le faire.

Application aux actifs non financiers, aux passifs, aux instruments de capitaux propres, aux instruments financiers

La nouvelle norme en projet présente les spécificités applicables à l'évaluation des actifs non financiers (problème posé par l'utilisation optimale, postulat de la valeur) des passifs (non exécution des risques, restrictions qui empêchent le transfert d'un actif), des instruments de capitaux propres et des instruments financiers (entrées basées sur les prix d'offre et de demande, évaluation de la "juste valeur" des actifs et passifs financiers lorsque l'entité a des positions de contrepartie sur des risques de marché ou de crédit).

Techniques d'évaluation

Le projet de norme présente trois approches pour l'évaluation : l'approche marché, l'approche résultat et l'approche coût. L'approche marché s'applique lorsque des prix sont observables pour des actifs identiques ou similaires. L'approche résultat utilise des techniques permettant de convertir des montants futurs en un seul montant présent : cette approche inclut notamment les techniques d'actualisation des flux futurs de trésorerie et les modèles d'évaluation des options. L'approche coût est basée sur le montant qu'il faudrait décaisser pour remplacer un actif existant en tenant compte notamment de son obsolescence.

Hiérarchie des méthodes

Le projet présente également une hiérarchie en trois niveaux de l'évaluation à la "juste valeur". Le niveau 1 est applicable lorsqu'il existe des prix cotés pour un actif ou un passif identique sur un marché actif. Le niveau 2 s'applique lorsqu'il existe des prix cotés pour un actif ou un passif similaire dans un marché actif, ou des prix cotés pour un actif et un passif identique dans un marché non actif, ou pour des marchés liés aux actifs et passifs (tel le marché de taux d'intérêt) dont les prix sont observables ou encore pour des marchés qui ne sont pas observables mais où il est possible par extrapolation de se référer à des marchés dont les prix sont observables. Enfin, le niveau 3 s'applique aux cas où les marchés ne sont pas du tout observables, directement ou indirectement, le modèle utilisé devant prendre en compte notamment le risque qu'accepte de courir le vendeur sur ce type de marché.

Pour en savoir plus

  • IASB. Fair value measurement sur http://www.ifrs.org/ ;
  • Voir nos obs., Genèse de la juste valeur, Revue française de comptabilité, n° 427, décembre 2009, p. 23-26, et n° 428, janvier 2010, p. 30-34.

newsid:414954

Droit des étrangers

[Questions à...] Des contrôles d'identité frontaliers contraires au droit communautaire - Questions à Violène Vandelle, avocate au barreau de Toulouse

Réf. : Cass. civ. 1, 23 février 2011, n° 09-70.462, F-P+B+I (N° Lexbase : A4665GX3)

Lecture: 10 min

N9555BRC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4282653-derniere-revue-en-pdf#article-419555
Copier

par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 07 Avril 2011

Dans un arrêt rendu le 23 février 2011 (Cass. civ. 1, 23 février 2011, n° 09-70.462, F-P+B+I (N° Lexbase : A4665GX3), la Cour de cassation vient confirmer le caractère irrégulier des contrôles d'identité dits "Schengen" opérés sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7648IPX). Il ressort de ce contrôle particulier que l'identité de toute personne peut être contrôlée dans une certaine zone aux frontières terrestres, portuaires et aéroportuaires de la France, sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence d'éléments de soupçon de commission d'une infraction ou de circonstances particulières établissant un risque de trouble à l'ordre public. Or, la Cour de justice, dans un arrêt rendu le 22 juin 2010 (CJUE, 22 juin 2010, aff. C-188/10 et C-189/10 N° Lexbase : A1918E3G), a considéré que cette disposition, pour ce qui concerne les contrôles intervenant dans la zone "des vingt kilomètres", est contraire au principe de libre circulation des personnes tel qu'énoncé, notamment, par l'article 67 § 2 du TFUE (N° Lexbase : L2717IPC). La Cour de Luxembourg rappelait donc que toute entrave à la liberté de circulation des personnes doit nécessairement être justifiée au regard de la réserve d'ordre public, sauf à méconnaître le droit. Dans son arrêt du 23 février 2011, la première Chambre civile de la Cour de cassation confirme donc cette solution, rendant, de facto, irréguliers tous les contrôles frontaliers opérés par les forces de l'ordre sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale. Pour revenir sur cette décision importante, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Violène Vandelle, avocate au barreau de Toulouse. Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les modalités du contrôle d'identité frontalier prévu à l'alinéa 4 de l'article 78-2 du Code de procédure pénale ?

Violène Vandelle : L'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale autorise le contrôle d'identité de toute personne se trouvant, d'une part, dans une zone de vingt kilomètres comprise dans une bande territoriale de vingt kilomètres de profondeur bordant la frontière terrestre avec les autres Etats-parties à la Convention signée à Schengen le 19 juin 1990, et, d'autre part, dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international désignés par arrêté un ministériel du 5 novembre 2008 (N° Lexbase : L9199IPE), en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port, et de présentation, des titres et documents prévus par la loi. Il s'agit donc de contrôles d'identité opérés sur le seul fondement de la situation géographique de l'individu contrôlé, qui peuvent être mis en oeuvre sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence de soupçons de commission d'une infraction ou de circonstances particulières établissant un risque de trouble à l'ordre public.

Lexbase : La CJUE, en juin 2010, a considéré que cette disposition est contraire au principe de libre circulation des personnes ? Quelles étaient les motivations des juges luxembourgeois ?

Violène Vandelle : L'article 67 § 2 du TFUE consacre la libre circulation des personnes à l'intérieur de l'Union qui est chargée d'assurer "l'absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière d'asile, d'immigration et de contrôle des frontières extérieures". L'article 20 du Règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 (N° Lexbase : L0989HIH), dit "Code frontières Schengen", dispose que les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières puissent être effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité. L'article 21 du même Règlement prévoit, en outre, que les contrôles à l'intérieur du territoire d'un Etat membre sont interdits lorsqu'ils revêtent un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.

La CJUE a donc eu l'occasion de se prononcer sur la conformité de l'article 78-2, alinéa 4, avec ces dispositions communautaires. Elle a, ainsi, pu juger dans un arrêt rendu le 22 juin 2010, que les contrôles prévus par cet article "constituent, non pas des vérifications aux frontières interdites par l'article 20 du Règlement n° 562/2006, mais des vérifications à l'intérieur du territoire d'un Etat membre, visées par l'article 21 dudit Règlement" (point n° 68). Elle poursuit en rappelant qu'aux termes de l'article 21 du même Règlement, les "contrôles à l'intérieur du territoire d'un Etat membre ne sont [...] interdits que lorsqu'ils revêtent un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières" (point n° 69). Elle relève, ensuite, que "l'article 78-2, quatrième alinéa, du Code de procédure pénale, qui autorise des contrôles indépendamment du comportement de la personne concernée et de circonstances particulières établissant un risque d'atteinte à l'ordre public, ne contient ni précisions, ni limitations de la compétence ainsi accordée, notamment relatives à l'intensité et à la fréquence des contrôles pouvant être effectués sur cette base juridique, ayant pour objet d'éviter que l'application pratique de cette compétence par les autorités compétentes aboutisse à des contrôles ayant un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières au sens de l'article 21 [...] du Règlement n° 562/2006" (point n° 73).

Elle en conclut que, pour satisfaire aux exigences des articles 20 et 21 du Règlement (CE) du 15 mars 2006, "une législation nationale conférant une compétence aux autorités de police pour effectuer des contrôles d'identité, compétence qui est, d'une part, limitée à la zone frontalière de l'Etat membre avec d'autres Etats membres et, d'autre part, indépendante du comportement de la personne contrôlée et de circonstances particulières établissant un risque d'atteinte à l'ordre public, doit prévoir l'encadrement nécessaire de la compétence conférée à ces autorités afin, notamment, de guider le pouvoir d'appréciation dont disposent ces dernières dans l'application pratique de ladite compétence. Cet encadrement doit garantir que l'exercice pratique de la compétence consistant à effectuer des contrôles d'identité ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières" (point n° 74).

La CJUE considère, ainsi, que les contrôles d'identité réalisés par les autorités de police dans la zone frontalière de deux Etats membres ont le caractère de "vérifications à l'intérieur du territoire d'un Etat membre", et non celui de "vérifications aux frontières intérieures" prohibées par le "Code frontières Schengen". Elle constate, toutefois que, dès lors que ces contrôles sont opérés en dehors de considérations relatives au comportement de l'intéressé et de circonstances établissant l'existence d'un risque d'atteinte à l'ordre public, la législation nationale qui les autorise doit prévoir l'encadrement de cette compétence garantissant que les contrôles, ainsi, pratiqués ne revêtent pas un effet équivalent aux vérifications aux frontières. A défaut d'un tel encadrement, ces contrôles sont contraires aux dispositions des articles 20 et 21 du Règlement CE du 15 mars 2006. Dans la mesure où l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale ne prévoit aucun encadrement des contrôles d'identité opérés dans la zone comprise entre la frontière et une ligne tracée à vingt kilomètres de cette frontière, les contrôles réalisés sur le fondement de cette disposition sont donc contraires au droit communautaire.

Lexbase : Dans la présente décision, la Cour de cassation fait une application immédiate de la jurisprudence de la CJUE. Quelles conséquences cela implique-t-il ?

Violène Vandelle : A l'occasion de son arrêt en date du 23 février 2011, la Cour de cassation fait, en effet, une application immédiate de la solution dégagée par la CJUE. Une telle application semble conforme au principe de primauté du droit communautaire. La conséquence de cette décision est la nullité des contrôles d'identité opérés sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale dans la "bande des vingt kilomètres". En matière de droit des étrangers, cette décision implique que le juge des libertés et de la détention, saisi par le préfet d'une demande de prolongation de la rétention administrative d'un étranger ayant été interpellé et placé en rétention à la suite d'un tel contrôle, rejette cette demande et procède à la remise en liberté de l'étranger.

En pratique, l'arrêt du 23 février 2011 interdit donc aux autorités de polices de contrôler l'identité d'un individu sur le seul constat de sa présence dans la "bande des vingt kilomètres". Néanmoins, la pratique a, d'ores et déjà, permis de constater que l'administration tente de contourner les exigences du droit communautaire en réalisant des contrôles d'identité dans cette zone, mais cette fois sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 78-2 du Code de procédure pénale, qui dispose que, "sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise, l'identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat". Dans le même sens, de nombreux procès-verbaux d'interpellation font, désormais, apparaître la mention de motifs relatifs à l'existence d'un risque pour l'ordre public afin de justifier la réalisation de contrôles d'identité systématiques dans les zones visées par l'article 78-2, alinéa 4, du Code de procédure pénale.

Lexbase : L'arrêt du 23 février 2011 ne concerne que la "bande des vingt kilomètres". Qu'en est-il alors des contrôles menés dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares visées par l'article 78-2 ?

Violène Vandelle : La Cour de justice a jugé que législation européenne s'oppose à ce qu'une disposition nationale puisse prévoir la possibilité de contrôles d'identité à l'intérieur du territoire national qui, à défaut d'encadrement spécifique, pourrait, en pratique, conduire à des vérifications systématiques d'identité, équivalentes à des contrôles d'identité aux frontières. Ainsi, en dépit du fait qu'elle n'a été saisie que de la conformité des contrôles opérés dans une zone de vingt kilomètres à partir de la frontière, l'analyse qu'elle fait des exigences communautaires relatives au contrôle d'identité doit pouvoir s'appliquer également à ceux effectués, sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 4, dans les ports, aéroports et gares ouverts au trafic international.

En effet, si de tels contrôles doivent être qualifiés de vérifications à l'intérieur du territoire de l'Etat membre, il est constant que l'article 78-2, alinéa 4, les autorise dans les espaces ouverts au trafic international, indépendamment du comportement de la personne contrôlée ou de considérations relatives à l'ordre public. En outre, il ne peut être contesté que cette disposition ne prévoit, ainsi que l'a constaté la CJUE aux termes du point n° 73 de sa décision, aucune limitation, ni encadrement de cette compétence. Au surplus, il ne peut être écarté de l'analyse du caractère transposable du raisonnement développé par la Cour de justice le fait que le législateur national a prévu les deux types de contrôle d'identité au sein du même alinéa, achevant de démontrer le caractère connexe de ces deux modalités de contrôle. Il résulte de ces éléments que les contrôles opérés sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 4, dans les ports, aéroports, et gares ouverts au trafic international, sont susceptibles de revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières intérieures.

Plusieurs décisions ont, ainsi, pu consacrer le caractère transposable du raisonnement établi par la CJUE à propos des contrôles opérés dans la bande des vingt kilomètres à ceux effectués dans les ports, aéroports, et gares ouverts au trafic international, et juger de tels contrôles contraires au droit communautaire (CA Paris, 12 juillet 2010, n° 10/02962 N° Lexbase : A6949E47 ; CA Toulouse, 30 juillet 2010, n° 10/206 N° Lexbase : A6472E89). Cette analyse ne présente aucune difficulté en ce qui concerne les contrôles d'identité réalisés dans les gares ferroviaires ouvertes au trafic international. En effet, compte tenu de sa situation géographique dans l'espace européen, la France n'a de liaison ferroviaire qu'avec des Etats membres de l'"espace Schengen" (à l'exception du Royaume-Uni, mais les usagers de cette liaison font l'objet d'une procédure spécifique, impliquant un contrôle systématique d'identité avant la montée à bord du train). Dès lors, les contrôles d'identité opérés dans les gares ouvertes au trafic international sont toujours susceptibles de revêtir un effet équivalent à des vérifications aux frontières intérieures prohibées par l'article 20 du "Code frontières Schengen".

Il doit, cependant, être relevé que les ports et aéroports ouverts au trafic international peuvent accueillir des liaisons avec des pays tiers. Dès lors, les contrôles d'identité réalisés dans ces espaces sont susceptibles d'avoir un effet équivalent aux vérifications aux frontières extérieures de l'Union qui doivent, au contraire, être opérés de manière systématique, par application de l'article 7 du Règlement (CE) du 15 mars 2006.

Lexbase : L'article 69 de la "Loppsi 2" (2) prévoit de limiter à six heures consécutives la durée des opérations de contrôle d'identité dans ces deux zones. Cela pourrait-il débloquer la situation ?

Violène Vandelle : Cet article 69 prévoit, en effet, d'ajouter au quatrième alinéa de l'article 78-2 du Code de procédure pénale la phrase suivante : "[...] le contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une durée n'excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ou lieux [...]". Il convient de relever que les limites, ainsi, prévues par la loi concernent aussi bien les contrôles d'identité opérés dans la bande des vingt kilomètres que ceux intervenant dans les ports, aéroports et gares ouverts au trafic international. Le législateur anticipe donc l'éventuelle contrariété du second type de contrôle vis-à-vis du droit communautaire.

Cet ajout vise, bien évidemment, à mettre le droit national en conformité avec les exigences communautaires telles qu'elles ont été précisées par la jurisprudence de la CJUE. Ce paragraphe semble, notamment, répondre au point n° 73 de l'arrêt de la Cour de justice du juin 2010 qui relevait que les dispositions soumises à son appréciation ne contenaient "ni précisions, ni limitations de la compétence ainsi accordée, notamment relatives à l'intensité et à la fréquence des contrôles pouvant être effectués sur cette base juridique".

Toutefois, il n'est pas certain qu'une limitation de la durée des opérations de contrôle permettra de rendre les vérifications d'identité opérées dans la bande des vingt kilomètres et, par analogie, dans les ports, aéroports et gares ouverts au trafic international, conformes aux exigences du droit communautaire. En effet, dans son arrêt de juin 2010, la CJUE relève que les contrôles définis par le quatrième alinéa de l'article 78-2 sont géographiquement circonscrits dès lors que la compétence ainsi dévolue aux autorités de police est "limitée à la zone frontalière de l'Etat membre avec d'autres Etats membres". Toutefois, cette limite s'avère insuffisante pour justifier d'un encadrement garantissant l'absence d'effet équivalent à celui des vérifications aux frontières. Dans ces conditions, il n'est pas certain que la seule limitation temporelle des contrôles d'identité pourra constituer un encadrement suffisant, dès lors que cette disposition aboutit, en pratique, à autoriser, durant six heures consécutives, les contrôles systématiques d'identité.

A cet égard, la deuxième partie de la phrase que l'article 69 de la "Loppsi 2" ajoute à l'article 78-2 du Code de procédure pénale prévient une telle situation en indiquant que "le contrôle [...] ne peut consister en un contrôle systématique des personnes". Cette mention ne semble pas non plus répondre à l'exigence formulée par la CJUE. En effet, aux termes de son arrêt de juin 2010, l'encadrement de la compétence relative aux contrôles d'identité réalisés indépendamment du comportement de l'intéressé, et en dehors de circonstances révélant l'existence d'un risque pour l'ordre public, doit permettre "de guider le pouvoir d'appréciation dont disposent [les autorités chargée de ce contrôle] dans l'application pratique de ladite compétence".

La simple affirmation de l'interdiction de l'exercice systématique des contrôles d'identité ne constitue en aucun cas un "guide" à l'usage des autorités chargées de réaliser les contrôles d'identité. Partant, elle semble insuffisante pour garantir que ceux-ci ne revêtent pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières intérieures prohibées par les articles 20 et 21 précités du "Code frontières Schengen".


(1) Voir le site de la Cimade, Quand le parquet, l'administration et la police contournent allègrement le droit communautaire, 18 février 2011.
(2) Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L5066IPC).

newsid:419555

Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Le régime de faveur des fusions, un régime exclusif des associations

Réf. : CAA Douai 3ème ch., 21 octobre 2010, n° 08DA01310, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9569GGI)

Lecture: 7 min

N7661BR8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4282653-derniere-revue-en-pdf#article-417661
Copier

par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

Le 07 Avril 2011

Par un arrêt en date du 21 octobre 2010, la cour administrative d'appel de Douai vient de juger que les associations dotées de la personnalité morale, même si elles sont assujetties à l'impôt sur les sociétés, ne peuvent bénéficier du régime de faveur prévu au II de l'article 209 du CGI (N° Lexbase : L3322IG7). Les faits dans cette affaire étaient les suivants : l'association requérante a souhaité s'engager dans une opération de fusion par voie d'absorption d'une autre association. Elle a donc sollicité, auprès du service des impôts, l'agrément prévu par le II de l'article 209 du CGI prévu pour le report des déficits en cas de fusion des sociétés. Aux termes de l'article 210-0-A du CGI (N° Lexbase : L3301IGD), qui reprend les dispositions de la Directive du 23 juillet 1990 (Directive 90/434/CE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents N° Lexbase : L7670AUM), une fusion est l'opération par laquelle une ou plusieurs sociétés absorbées transfère(nt), par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de son(leur) patrimoine à une société absorbante préexistante, ou constituée par elle(s), moyennant l'attribution à ses(leurs) associés de titres de la société absorbante. Par décision du 27 mars 2007, le Directeur des services fiscaux a refusé de délivrer l'agrément, au motif que l'opération en cause n'était pas éligible au régime prévu au II de l'article 209 du CGI. L'association a relevé appel du jugement du tribunal administratif de Lille qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

La délivrance de l'agrément, qui a d'abord relevé du pouvoir discrétionnaire de l'autorité administrative, est de droit, depuis 2002, si les conditions posées par le II de l'article 209 du CGI sont réunies, le juge n'exerçant sur cette décision qu'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation (CE 8° et 7° s-s-r., 1er juin 1988, n° 79550, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8208APP). En l'espèce, la cour se fonde exclusivement sur le terrain de la loi. L'arrêt précité de la cour administrative d'appel de Douai précise que l'obtention de l'agrément spécial, délivré par le ministre de l'Economie et des Finances, est réservé aux seules opérations réalisées par les personnes qui sont désignées par l'article 210-0-A du CGI, au nombre desquelles ne sont pas citées les associations, alors même que les dispositions de l'article 210 C du CGI (N° Lexbase : L3945HLP) prévoient que le régime spécial des fusions est réservé aux opérations auxquelles participent des personnes morales ou des organismes passibles de l'IS, quelle que soit leur forme juridique. En conséquence, les associations dotées de la personnalité morale, quand bien même elles sont assujetties à l'IS, ne peuvent bénéficier du régime de faveur prévu à l'article 209-II du CGI ; cette solution jurisprudentielle est inédite.

I - Le II de l'article 209 du CGI prévoit une exception à l'impossibilité de transfert des déficits lors d'une fusion, si cette dernière est placée sous le régime de l'article 210 A du CGI, et que plusieurs conditions sont remplies

Les dispositions combinées des articles 209-II et 210-0-A, qui définissent le champ d'application du régime spécial des fusions, ne visent que les sociétés, à l'exclusion de toute autre personne morale.

A - Les dispositions combinées des articles 210-0-A et 209-II du CGI délimitent le périmètre d'éligibilité aux dispositions du régime de faveur

En vertu des dispositions de l'article 209 du CGI, le déficit enregistré par une société constitue une charge déductible de l'exercice suivant. Toutefois, lors d'une fusion, les déficits de la société apporteuse ne sont normalement pas transférables à la société absorbante (CE 9° s-s., 20 novembre 1964, n° 55007 N° Lexbase : A7823C8A). Le transfert de déficit ne peut, en effet, s'effectuer que dans le cadre d'une même société (CE Assemblée plénière, 8 juin 1990, n° 92501, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4646AQ7). Toutefois, le II de l'article 209 du CGI prévoit une exception à l'impossibilité de transfert des déficits lors d'une fusion, si cette dernière est placée sous le régime de l'article 210 A du CGI (N° Lexbase : L3936HLD). L'administration fiscale peut alors autoriser, en délivrant un agrément, le transfert des déficits antérieurs non encore déduits par la société absorbée ou apporteuse à la société bénéficiaire de l'apport, qui pourra les imputer sur ses bénéfices ultérieurs. Le II de l'article 209 du CGI prévoit que l'agrément est délivré lorsque trois conditions sont réunies : l'opération doit être placée sous le régime de l'article 210 A ; pour ouvrir droit au régime spécial prévu aux articles 210 A et suivants, une fusion doit répondre à l'une des définitions de l'article 210-0-A ; enfin, par application des dispositions de l'article 210 C, le régime spécial des fusions est réservé aux opérations auxquelles participent exclusivement des personnes morales ou organismes passibles de l'IS.

B - Dans cette affaire, plusieurs arguments militaient en faveur du refus de délivrer l'agrément spécial à l'association

Tout d'abord, l'association, en l'absence de capital, ne pouvait pas remettre de titres en contrepartie des apports. Or, le II de l'article 209 du CGI prévoit la rémunération des apports par une attribution de titres. On pouvait alors se demander si l'opération litigieuse était bien une opération de fusion au sens des dispositions de l'article 210-0-A du CGI. En effet, pour qu'il y ait fusion, les associés de la société absorbée doivent devenir associés de la société absorbante. Or, ils le deviennent par voie d'attribution de droits sociaux de cette dernière, la rémunération des apports étant une condition substantielle de l'application du régime des fusions.

L'association requérante faisait valoir, de son côté, qu'il importait peu que la rémunération ne consiste pas en la remise de titres. Mais cette interprétation est contraire à la lettre de la loi qui ne fait état que d'une attribution de titres et éventuellement d'une soulte en espèces. En effet, l'article 210-0-A du CGI prévoit que, sont éligibles au régime spécial des fusions, les opérations par lesquelles une ou plusieurs sociétés absorbées transmettent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine à une autre société existante absorbante, moyennant l'attribution à leurs associés de titres de la société absorbante et, éventuellement, d'une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale de ces titres. Or, ces conditions n'étaient pas remplies en l'espèce.

Restait pour l'association requérante la possibilité de se prévaloir des dispositions de l'article 210 C du CGI qui rend applicables les articles 210 A et 210 B (N° Lexbase : L3313IGS) aux opérations auxquelles participent, exclusivement, des personnes morales ou organismes passibles de l'IS, ce qui n'exclut pas les associations soumises à cet impôt.

II - Le transfert, sur agrément, à l'absorbante, des déficits antérieurs non déduits par l'absorbée, ne s'applique pas en cas de fusion de deux associations, même si elles sont assujetties à l'IS

Les dispositions de l'article 210 C du CGI restreignent l'application du régime de faveur aux seules opérations réalisées par les personnes qui sont désignées par l'article 210-0-A du CGI, au nombre desquelles ne sont pas citées les associations.

A - La seule circonstance que l'association requérante soit assujettie à l'IS ne lui permet pas de bénéficier du régime de faveur sur le fondement de l'article 210 C du CGI, car il s'agit d'une simple disposition d'exclusion

L'association requérante soutenait que le régime spécial des fusions n'était pas seulement applicable aux opérations de restructuration auxquelles sont parties les sociétés, mais pouvait également concerner les associations. Elle invoquait, à l'appui de ce moyen, les dispositions de l'article 210 C du CGI, qui prévoient que le régime spécial des fusions est réservé aux opérations auxquelles participent exclusivement des personnes morales ou organismes passibles de l'IS. La cour administrative d'appel de Douai n'a pas suivi l'association, en s'appuyant sur la lettre de la loi, dans la mesure où l'article 210 C se borne à écarter les personnes morales non soumises à l'IS du champ de l'article 210 A, s'agissant de l'exonération des plus-values de fusion, et de l'article 210 B, qui étend cette exonération au cas d'apport partiel d'actif. Tout au contraire, l'article 210-0-A du CGI précise que les dispositions relatives aux fusions et scissions, prévues par un certain nombre de textes, dont les articles 210 A à 210 C, sont applicables à des opérations précisément définies, qui mettent en cause exclusivement des sociétés.

Les dispositions de l'article 210 C du CGI n'ont pas pour objet d'étendre à l'ensemble des personnes morales assujetties à l'IS, et sans autre condition, le régime de faveur créé par les articles 210 A et 210 B du CGI. Aussi, la seule circonstance que l'association, dotée de la personnalité morale, soit assujettie à l'IS, ne lui permet pas de bénéficier du régime de faveur, dès lors qu'elle ne respecte pas les conditions visées à l'article 210-0-A du CGI.

B - L'association ne pouvait pas non plus se prévaloir de la doctrine administrative, et notamment d'une instruction du 25 octobre 2002 qui concerne les fusions de mutuelles

L'association requérante se prévalait aussi de la doctrine administrative. Une instruction du 25 octobre 2002 (instruction du 25 octobre 2002, BOI 4 I-2-02 N° Lexbase : X2621ABP) admet, en effet, que le transfert du patrimoine d'une association régie par la loi du 1er juillet 1901 (loi du 1er juillet 1901, relative au contrat d'association N° Lexbase : L3076AIR) à une autre association de même nature, peut être placé sous le régime fiscal des fusions, cette opération ne motivant alors aucune perception en matière d'IS.

La cour écarte ce moyen, au motif que l'association requérante ne peut utilement opposer à l'administration les dispositions de l'instruction précitée sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L4634ICM), dès lors que le présent litige ne faisait suite à aucun rehaussement d'imposition, et avait seulement pour objet de demander l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision du Directeur des services fiscaux.

Enfin, l'association requérante ne pouvait invoquer utilement une rupture d'égalité de traitement avec les sociétés commerciales, car les associations ne sont pas dans une situation juridique identique.

newsid:417661

Juristes d'entreprise

[Questions à...] A propos de la reconnaissance des programmes de conformité - Questions à Bruno Lasserre, Président de l'Autorité de la concurrence

Lecture: 5 min

N9605BR8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4282653-derniere-revue-en-pdf#article-419605
Copier

Le 27 Mars 2014


Lexbase Hebdo - édition professions vous propose de retrouver cette semaine l'interview de Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, réalisée par l'Association française des juristes d'entreprise (AFJE) pour le Juriste d'Entreprise Magazine (1), et portant sur la reconnaissance des programmes de conformité.
AFJE : Quelle est la vision de l'Autorité sur la notion de programme de compliance "crédible" ?

Bruno Lasserre : Comme je l'ai dit publiquement à plusieurs reprises, l'Autorité de la concurrence attache beaucoup d'importance à ce que tous les leviers permettant d'inciter les opérateurs économiques à se conformer aux règles prohibant les ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante soient mobilisés.

Cela passe évidemment par une politique de détection, d'instruction et de sanction des infractions, à commencer par les plus graves d'entre elles. Quand je parle d'infractions graves, je ne pense pas seulement aux conséquences négatives que les cartels ou certains abus caractérisés, notamment, sont de nature à avoir sur le fonctionnement du processus concurrentiel, sur le bien-être des consommateurs et plus généralement sur l'économie. Quand des entreprises violent le droit de la concurrence, ce sont aussi les autres entreprises qui en souffrent. Souvenons-nous des innombrables PME victimes du cartel du négoce de l'acier, que nous avons condamné en 2008. Mais les entreprises touchées peuvent aussi être membres du CAC 40, comme cela a été le cas avec l'entente conclue par les "majors" du travail temporaire, qui a également été sanctionnée par l'Autorité en 2009.

Cela dit, nous estimons que la régulation concurrentielle doit utiliser ses deux jambes. Parallèlement à cet effort de dissuasion et de répression, nous pensons donc qu'un travail de pédagogie et d'explication est déterminant. C'est pour cela que, à côté de leur activité d'avis et de recommandation, qui est de plus en plus nourrie, le Conseil de la concurrence, et aujourd'hui l'Autorité, ont développé une pratique établie consistant à inciter les entreprises ayant commis des ententes ou des abus à s'engager dans une démarche volontaire de conformité aux règles de concurrence. Cette pratique se matérialise par la mise en place de programmes de conformité, dans le cadre de la procédure de non-contestation des griefs prévue par le Code de commerce. Cette démarche volontaire a pour contrepartie une réduction de la sanction pécuniaire qui aurait été encourue par l'intéressé si celui-ci avait choisi de contester les griefs, au lieu d'y renoncer.

Naturellement, il faut que ces programmes soient à la hauteur de l'enjeu. Nous attendons donc trois choses. Premièrement, il nous paraît important qu'ils soient adaptés à la situation concrète de l'entreprise ou du groupe qui s'engage à en mettre un en place. Deuxièmement, il est impératif qu'ils soient crédibles. Cela veut dire, en particulier, qu'ils doivent témoigner d'un engagement clair, au plus haut niveau de l'entreprise, de diffuser une culture de la concurrence en son sein et de veiller au respect des règles de concurrence. Cela implique aussi de prévoir des mécanismes de contrôle et de traitement des cas de défaillance. L'entreprise y a du reste tout intérêt, puisque cela lui permet de dénoncer immédiatement les pratiques qu'elle découvre à l'Autorité, en vue de bénéficier du programme de clémence. Troisièmement, le respect des engagements pris doit pouvoir être vérifié concrètement. En conclusion, ce qu'il faut retenir, c'est que l'Autorité soutient les efforts des entreprises qui s'engagent dans une véritable démarche de conformité, mais aussi que les entreprises ne gagnerons rien si elles s'en tiennent à promettre sans tenir (ce que les anglo-saxons appellent le "window dressing").

AFJE : L'Autorité est-elle toujours désireuse de publier des lignes directrices en la matière, et si oui à quelle échéance ?

Bruno Lasserre : J'avais annoncé en 2009 que l'Autorité de la concurrence mettrait en chantier deux documents abordant la question de la conformité. D'une part, un communiqué de procédure sur la non-contestation des griefs, qui aura vocation à évoquer notamment la question de savoir dans quelles circonstances et selon quelles modalités les programmes de conformité peuvent être pris en considération dans le cadre de cette procédure. D'autre part, un document-cadre de nature plus générale, destiné à expliquer la vision qu'a l'Autorité de la conformité au sens large (donc en allant au-delà des seuls programmes de conformité).

Nous avons cependant été conduits à modifier notre calendrier, en mettant d'abord en chantier un projet de document relatif à la détermination du montant des sanctions pécuniaires, et ensuite seulement ces deux projets. Cet ordre présente finalement une certaine logique, puisque la mise en oeuvre d'un programme de conformité efficace, en vertu d'engagements pris dans le cadre d'une procédure de non-contestation des griefs, est un élément susceptible de déboucher sur une réduction de sanction.

Le projet relatif aux sanctions pécuniaires devrait faire l'objet d'une consultation publique au premier trimestre de l'année 2011. Les travaux relatifs aux textes concernant la non-contestation des griefs et la conformité pourraient logiquement être lancés dans la foulée. Comme cela a été toujours été le cas jusqu'ici, nous publierons d'abord des projets de documents, qui feront l'objet d'une vaste consultation publique destinée à nous permettre d'enrichir notre réflexion et de prendre en compte les points de vue des acteurs. Ce n'est qu'ensuite que nous publierons une version finale de ces documents.

AFJE : La vision de l'Autorité est-elle partagée par d'autres autorités de concurrence ?

Bruno Lasserre : Nous constatons qu'il existe toute une gradation de points de vue à ce sujet. C'est assez compréhensible, pour deux raisons. D'une part, les données de départ ne sont objectivement pas les mêmes partout. Aux Etats-Unis, pays où est née la "compliance", il faut avoir à l'esprit que la culture de la concurrence est très ancrée, que l'expérience acquise par les autorités de concurrence et par les juges dans la mise en oeuvre des règles est très importante et qu'il existe tout un ensemble de points (responsabilité individuelle des mandataires sociaux ou des cadres, risque de peines de prison, etc.) sur lesquels le droit n'est pas le même qu'en France ou en Allemagne. La Commission européenne est nettement plus réticente en la matière, mais cette réticence s'explique par le fait qu'elle agit dans un contexte culturel et juridique très différent de celui qui prévaut outre-Atlantique, et qu'elle dispose d'outils qui ne sont pas les mêmes qu'aux Etats-Unis.

La position de l'Autorité de la concurrence française (partagée par ses homologues britanniques) est encore différente, là encore parce que les données sont différentes. La culture de la concurrence est plus récente, parfois encore plus fragile à Paris et, dans une certaine mesure à Londres (qui ne dispose d'un droit de la concurrence au sens strict que depuis 1998), qu'à Washington. Les outils sont plus nombreux qu'à Bruxelles (avec un droit pénal de la concurrence, même si la disposition française n'est pas très utilisée par les juges, alors qu'un mouvement en ce sens s'est amorcé au Royaume-Uni). Mais ils restent moins diversifiés qu'aux Etats-Unis (en tout cas en France, où il n'existe pas de possibilité de prévoir des interdictions d'exercer). On a donc deux autorités qui croient à la valeur ajoutée de la conformité, mais, c'est naturel, qui sont encore dans une phase qu'on peut espérer transitoire, de réflexion et d'expérimentation.

Il ne faudra donc pas considérer notre futur communiqué de procédure sur la non-contestation des griefs et le document-cadre sur la conformité qui l'accompagnera comme un point final, mais comme un point de départ. Notre intention est que ces documents incitent les entreprises à s'engager encore davantage dans la conformité, afin que les acteurs et l'Autorité puissent avancer, main dans la main, dans la direction d'une économie qui met la concurrence au coeur de ses préoccupations.


(1) Propos recueillis par Jean-Yves Trochon, administrateur de l'AFJE, publiés dans le Juriste d'Entreprise Magazine, n° 8, Janvier 2011.

newsid:419605

Procédure prud'homale

[Jurisprudence] Les conditions strictes de l'aveu judiciaire en matière prud'homale

Réf. : Cass. soc., 22 mars 2011, n° 09-72.323, F-P+B (N° Lexbase : A7683HIE)

Lecture: 7 min

N9499BRA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4282653-derniere-revue-en-pdf#article-419499
Copier

par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Avril 2011

La formule est célèbre, quoique mieux adaptée à la matière pénale qu'au procès prud'homal : l'aveu est la reine des preuves. Ce procédé probatoire ne donne pourtant lieu qu'à un très faible contentieux, en droit commun et, peut-être plus encore, en droit du travail. Si le règne de l'aveu est donc contestable sur un plan purement statistique, il l'est également sur le plan juridique, comme en donne le sentiment, un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 22 mars 2011 (1). Appelée à se prononcer sur la qualification d'aveu judiciaire d'une déclaration faite par un salarié et reprise, de manière très imprécise, par les motifs d'un jugement prud'homal, la Chambre sociale fait application des règles classiques de l'aveu judiciaire issues du Code civil (I) pour faire émerger des règles spécifiques de l'aveu en matière prud'homale (II).
Résumé

L'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice une partie. Il fait pleine foi contre celui qui l'a fait et ne peut être divisé contre lui.

La seule mention figurant dans les motifs du jugement selon laquelle "le salarié reconnaît et ne conteste plus les faits", alors qu'aucune note d'audience contenant les déclarations précises qui avaient été faites par le salarié devant le bureau de jugement n'était produite, ne pouvait valoir aveu judiciaire.

Commentaire

I - Les conditions générales de l'aveu judiciaire appliquées à la procédure prud'homale

  • Liberté de la preuve en matière prud'homale

Le droit du travail a, parfois, aménagé l'administration de la preuve en matière prud'homale. Les illustrations les plus marquantes concernent les questions relatives au temps de travail (2), les dispositions relatives à la preuve du harcèlement ou des discriminations et (3), enfin, la preuve en matière disciplinaire ou en matière de licenciement (4).

Pour autant, dans ces hypothèses, ce sont surtout la charge et, éventuellement, le risque de la preuve qui ont été aménagés. Au contraire, les modes de preuve admis devant les juridictions prud'homales ont rarement été encadrés (5). Logiquement, les règles de droit commun issues de l'article 1341 du Code civil (N° Lexbase : L2630C3S) devraient s'appliquer en la matière : liberté de la preuve des faits juridiques et des actes juridiques portant sur une valeur inférieure à 1 500 euros ; système de la légalité des preuves pour les actes excédant une valeur de 1 500 euros (6).

La Chambre sociale invoque parfois un prétendu principe de la liberté de la preuve en matière prud'homale (7), ce qui pourrait remettre en cause l'application de l'article 1341 du Code civil dans ce domaine mais n'aurait que peu d'influence sur l'utilisation de l'aveu judiciaire comme mode de preuve.

  • Aveu judiciaire

Si le litige prud'homal s'inscrit dans un système de liberté de la preuve, l'aveu, au même titre que n'importe quel autre mode de preuve, peut être admis à prouver une prétention. De la même manière, il est habituellement considéré que, même dans un système de preuve légal où seul l'écrit permet de faire la preuve de certains actes juridiques, l'aveu judiciaire, comme le serment, peut toujours prévaloir sur cet écrit. Peu importe donc que la matière prud'homale soit ou non ouverte au principe de liberté de la preuve, l'aveu judiciaire devrait toujours pouvoir permettre d'apporter la preuve de l'existence d'un fait ou d'un acte.

Les caractéristiques de l'aveu judiciaire sont énoncées par l'article 1356 du Code civil (N° Lexbase : L1464ABT) : il s'agit de "la déclaration que fait en justice la partie", l'aveu fait "pleine foi contre celui qui l'a fait" et ne "peut être divisé contre lui". Enfin, l'aveu ne peut être révoqué sauf preuve qu'il a été donné à la suite d'une erreur de fait.

L'aveu judiciaire ne présente, au moins en apparence, aucune particularité en matière prud'homale. A peine peut-on relever qu'une décision déjà ancienne reconnaissait que, s'agissant d'une procédure orale, l'avocat peut engager la partie qu'il représente par un aveu fait oralement (8) alors qu'habituellement, l'aveu judiciaire est écrit (9).

C'est précisément à propos de la valeur probante d'un aveu judiciaire dans une instance prud'homale que la Chambre sociale était saisie.

  • Espèce

Un salarié, exerçant les fonctions de directeur de division dans une société avait été licencié avec dispense d'exécution du préavis. Le licenciement avait été prononcé en raison de l'exercice par le salarié d'un chantage et de pressions sur la responsable des ressources humaines, le salarié l'ayant menacé de révéler des faits relevant de sa vie privée pour tenter d'orienter en sa faveur une décision de sanction qui était envisagée contre lui.

Le salarié ne contesta pas, devant les juges du fond, avoir passé un appel téléphonique à la responsable des ressources humaines de l'entreprise, mais il nia avoir, à cette occasion, tenu de quelconques propos pouvant être assimilés à du chantage ou des pressions. La cour d'appel reprenait la formule adoptée par le conseil de prud'hommes selon laquelle "il apparaît de façon parfaitement claire et évidente que M. X a tenté d'utiliser l'existence d'une relation privée et intime pour obtenir une intervention en sa faveur. M. X a reconnu les faits et ne les conteste plus. M. X a indiqué, sans qu'il ne le contredise, que ce n'était pas du chantage, mais un moyen de défense". Les juges d'appel estimaient que cette formule, issue de la motivation du jugement prud'homal, ne caractérisait pas un aveu judiciaire du salarié concernant les faits de chantage et de pressions reprochés et en déduisait que le licenciement était "illégitime" (sic).

La société forma pourvoi en cassation sur le fondement d'un moyen unique, cependant composé de plusieurs branches. Pour l'essentiel, elle arguait de la violation de l'article 1356 du Code civil, la cour d'appel n'ayant pas reconnu la valeur d'un aveu judiciaire aux constatations reprises par le conseil de prud'hommes.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, par cet arrêt du 22 mars 2011, rejette le pourvoi. Pour confirmer le raisonnement adopté par la cour d'appel, la Chambre sociale rappelle d'abord les règles relatives à l'aveu judiciaire tirées de l'article 1356 du Code civil, notamment que "l'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie" et "qu'il fait pleine foi contre celui qui l'a fait et ne peut être divisé contre lui" (10). Elle déduit, ensuite, de ces règles que "la seule mention figurant dans les motifs du jugement, selon laquelle le salarié reconnaît et ne conteste plus les faits', alors qu'aucune note d'audience contenant les déclarations précises qui avaient été faites par le salarié devant le bureau de jugement n'était produite, ne pouvait valoir aveu judiciaire". Elle repousse, par cette motivation, les arguments des deux premières branches du moyen tout en constatant que les trois autres branches ne tendaient qu'à remettre en discussion l'appréciation souveraine des juges du fond en matière de cause réelle et sérieuse du licenciement (11).

II - Les conditions spécifiques de l'aveu judiciaire en matière prud'homale

  • L'exigence de précision des déclarations constitutives d'un aveu judiciaire

La cour d'appel, comme la Cour de cassation qui confirme donc son raisonnement, estimait que les mentions portées au jugement prud'homal étaient insuffisantes pour caractériser un aveu judiciaire.

Certes, les constatations du juge prud'homal figuraient bien dans le cadre de sa décision et, plus précisément encore, dans la motivation du jugement. Mais ces constatations ne permettaient pas, faute de précision, de déterminer avec certitude que le salarié avait eu la volonté de reconnaître les pressions et le chantage qui lui était reprochés. Or, il s'agit là d'une règle classique de la qualification juridique d'aveu, l'aveu ne peut découler que d'une volonté non équivoque de reconnaître les faits imputés (12).

Si le caractère équivoque de l'aveu ressortait déjà de son imprécision, il s'ajoutait à cela que le prétendu aveu s'appuyait sur l'absence de contestation par le salarié de faits qui lui étaient reprochés. Si l'aveu implicite est parfois retenu par le législateur (13) ou la jurisprudence (14), l'aveu par le silence, c'est-à-dire l'aveu caractérisé par l'absence de contestation de faits reprochés, ne peut jamais caractériser un aveu judiciaire, cela en raison du caractère nécessairement équivoque du silence (15).

Si la solution paraît donc justifiée quant aux règles classiques de l'aveu judiciaire, elle paraît également opportune s'agissant des fondements de ce mode de preuve. L'aveu constitue une preuve contre soi-même. C'est donc un mode de preuve dangereux contre celui qui le subit, si bien qu'il est indispensable que les règles qui en découlent soient interprétées strictement.

  • Les modalités de l'aveu judiciaire en matière prud'homale

L'aveu judiciaire exige donc précision et expression claire et sans équivoque de la volonté de celui qui avoue. Cette exigence pourrait ne pas être anodine. En effet, malgré l'utilisation très rare de l'aveu judiciaire en matière sociale, il n'en demeure pas moins que le Code du travail donne pour mission au bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de consigner les déclarations des parties, lesquelles pourraient alors faire l'objet d'un aveu judiciaire... à condition cependant que les propos consignés soient suffisamment précis (16). Dans ce cas de figure, c'est le procès-verbal de non-conciliation qui devra être rédigé avec précision.

Cependant, l'aveu pourra, comme c'était le cas dans cette affaire, être recherché dans la décision rendue par le bureau de jugement ou, d'ailleurs, dans l'arrêt d'appel. La Chambre sociale nous offre, alors que la question ne lui avait pas été posée, un moyen de s'assurer que les déclarations des parties font bien l'objet d'un aveu judiciaire : l'existence d'une "note d'audience contenant les déclarations précises qui avaient été faites par le salarié". Cette recommandation a de quoi surprendre car la Chambre sociale n'a pas toujours donné une telle importance à ces notes d'audience, refusant par exemple de reconnaître l'existence d'un accord de rupture d'un contrat d'apprentissage sur le fondement d'une telle note qui reprenait formellement l'accord des deux parties (17). Le rôle de ces notes d'audience, prises par le greffier, est pourtant essentiel dans le cadre d'une procédure orale comme le demeure, au moins en théorie, la procédure prud'homale (18).

Au-delà de l'usage des notes d'audience, le conseil de prud'hommes devrait toujours pouvoir reprendre in extenso, dans le cadre de sa motivation, le contenu précis des déclarations faites par l'une des parties et destinée à caractériser un aveu judiciaire. En dehors de ces deux méthodes, il semble, en revanche, que la qualification d'aveu judiciaire sera désormais repoussée.


(1) En réalité, et pour être tout à fait précis, l'arrêt sous examen ne remet pas en cause la force probatoire de l'aveu qui permet, notamment, de prouver contre un écrit, caractéristique qui justifie qu'il soit qualifié de "reine des preuves" en matière civile. Pour une explication de l'incidence de cette formule dans le droit de la preuve en matière civile, v. J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, "Droit civil - Les obligations. 3. Le rapport d'obligation", Sirey, 6ème éd., 2009, p. 49.
(2) C. trav., art. L. 3171-4 (N° Lexbase : L0783H9U) : "En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".
(3) Sur la preuve du harcèlement moral, v. dernièrement Cass. soc., 25 janvier 2011, n° 09-42.766, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8506GQ4) et les obs. de Ch. Willmann, La preuve du harcèlement moral sous le contrôle de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 428 du 17 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N4911BRC).
(4) C. trav., art. L. 1333-1 (N° Lexbase : L1871H98), pour la procédure disciplinaire ; C. trav., art. L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G), pour le licenciement.
(5) V. par exemple la remise du bulletin de paie qui ne vaut pas quittance du paiement, Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 04-41.231, FS-P+B (N° Lexbase : A3478DMR), D., 2007, p. 1906, obs. Ph. Delebecque ; JCP éd. S, 2006, p. 1134, note P.-Y. Verkindt.
(6) Sur les systèmes dits de "preuve morale" et de "preuve légale", v. J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, préc., p. 18.
(7) Cass. soc., 25 février 2009, n° 07-42.876, F-D (N° Lexbase : A3960EDZ) ; Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 07-43.202, F-D (N° Lexbase : A3379EPT). V. surtout Cass. soc., 10 mars 2010, n° 08-17.044, FS-P+B (N° Lexbase : A1703ETA) et nos obs., La liberté de la preuve de l'atteinte au repos dominical, Lexbase Hebdo n° 388 du 25 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6059BNQ), arrêt dans lequel le principe est pour la première fois utilisé au visa d'un arrêt de cassation.
(8) Cass. civ. 1, 3 février 1993, n° 91-12.714 (N° Lexbase : A5835AHL).
(9) Cass. civ. 1, 14 mai 1991, n° 90-12.688 (N° Lexbase : A5134AHM).
(10) L'évocation du caractère indivisible de l'aveu paraît ici superflue puisque cette règle n'a d'objet qu'à condition que l'aveu soit complexe, c'est-à-dire qu'il comporte la reconnaissance de plusieurs faits distincts, ou qu'il s'agisse d'un aveu qualifié, c'est-à-dire qu'il comporte la reconnaissance d'un fait sous certaines conditions qui en altèrent l'essence ou la nature. Sur cette question, v. H. Roland, L. Boyer, "Adages du droit français", Litec, 4ème éd., v. Confessio dividi non debet, n° 55.
(11) Sur l'appréciation souveraine des juges du fond en matière de cause réelle et sérieuse de licenciement, v. Cass. soc., 30 novembre 2010, n° 08-43.499, FS-P+B (N° Lexbase : A6257GMP) et nos obs., Le contrôle de la qualification de faute grave : refus de la modification du lieu de travail et propos désobligeants du salarié, Lexbase Hebdo n° 422 du 6 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0336BRU).
(12) V. notamment un aveu équivoque en raison du caractère contradictoire des propos tenus, si bien que la qualification d'aveu judiciaire ne pouvait être retenue, Ass. plén., 29 mai 2009, n° 07-20.913, P+B+R+I (N° Lexbase : A3448EH8) et les obs. d'E. Vergès, La chronique de procédure civile, Lexbase Hebdo n° 356 du 23 juin 2009 - édition privée (N° Lexbase : N6691BKZ).
(13) Parmi d'autres exemples, v. le cas de la vérification d'écriture demandée à titre principal devant une juridiction : le juge tient l'écrit pour reconnu si le défendeur cité à personne ne comparaît pas, C. proc. civ., art. 296 (N° Lexbase : L1916H4Q).
(14) Les exemples sont rares, anciens et étrangers au droit social... V. tout de même Cass. civ. 3, 20 novembre 1970, n° 69-12.053, publié au bulletin (N° Lexbase : A3237CIQ). Contra, la seule circonstance que le salarié ait demandé au bureau de conciliation d'ordonner la délivrance d'une lettre de licenciement et d'un certificat de travail ne pouvait constituer l'aveu non équivoque d'une rupture antérieure du contrat, Cass. soc., 8 octobre 2003, n° 01-43.951, F-P (N° Lexbase : A7178C9Q).
(15) Ainsi du fait de ne pas répondre à des conclusions adverses, comportement qui ne peut caractériser un aveu judiciaire, v. Cass. com., 12 mars 1996, n° 93-18.062, inédit au bulletin (N° Lexbase : A8876CR8).
(16) Sur le rôle du bureau de conciliation en matière de consignation des déclarations des parties, v. C. trav., art. R. 1454-10, alinéa 3 (N° Lexbase : L0891IAA).
(17) Cass. soc., 11 juillet 2006, n° 04-42.134, F-D (N° Lexbase : A4376DQ7).
(18) Le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010, relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale (N° Lexbase : L0992IN3), adopté à la suite du rapport "Guinchard", n'a pas substantiellement modifié les règles de l'oralité en matière prud'homale (v. tout de même sur la question T. Grumbach, E. Serverin, La réforme de la procédure orale en perspective prud'homale, RDT, 2011, p. 193). Il n'en demeure pas moins qu'en pratique, la présentation de prétentions orales a tendance à se raréfier dans les conseils de prud'hommes.

Décision

Cass. soc., 22 mars 2011, n° 09-72.323, F-P+B (N° Lexbase : A7683HIE)

Rejet, CA Rouen, ch. soc., 13 octobre 2009, n° 08/03019 (N° Lexbase : A5645GPR)

Textes cités : C. civ., art. 1356 (N° Lexbase : L1464ABT) ; C. trav., art. L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G)

Mots-clés : procédure prud'homale, aveu judiciaire, notes d'audience, caractère précis.

Liens base : (N° Lexbase : E3810ETB)

newsid:419499

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le principe d'égalité de traitement ne doit pas être confondu avec le principe "à travail égal, salaire égal"

Réf. : Cass. soc., 23 mars 2011, n° 09-42.666, FS-P+B (N° Lexbase : A7611HIQ)

Lecture: 8 min

N9501BRC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4282653-derniere-revue-en-pdf#article-419501
Copier

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Avril 2011

La Chambre sociale de la Cour de cassation a dégagé en 2008 un principe général d'égalité de traitement dont elle précise les contours au fur et à mesure que l'occasion lui en est donnée. Dans un nouvel arrêt en date du 23 mars 2011, la Haute juridiction distingue nettement l'égalité de traitement du principe "à travail égal, salaire égal" (I), tout en empruntant à ce dernier l'analyse de différences qui ne sauraient être justifiées par la seule considération de la date d'embauche des salariés (II).
Résumé

Lorsque la différence de traitement entre des salariés placés dans une situation identique au regard de l'avantage considéré résulte des termes mêmes de l'accord collectif, il y a lieu de faire application du principe d'égalité de traitement sans recourir nécessairement à une comparaison entre salariés de l'entreprise effectuant le même travail ou un travail de valeur égale.

Ayant relevé que les salariés étaient traités différemment selon qu'ils étaient recrutés avant ou après l'entrée en vigueur de l'accord, la cour d'appel a décidé à bon droit que la salariée devait bénéficier de la reprise d'ancienneté attribuée aux salariés recrutés directement.

I - De la distinction du principe d'égalité de traitement et du principe "à travail égal, salaire égal"

Présentation. Le principe "à travail égal, salaire égal" a été dégagé en 1996 par l'arrêt "Ponsolle" à partir d'un certain nombre de dispositions françaises et internationales (1). Selon la formule de l'arrêt fondateur, "l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés de l'un ou l'autre sexe, pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique".

En 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation a consacré un autre principe civil d'égalité de traitement entre les salariés, dans un arrêt relatif au régime des retenues pour fait de grève des personnels d'Air-France (2), puis a fait application de ce nouveau principe aux conditions de l'attribution de la médaille du travail et du bénéfice d'un régime de retraite supplémentaire d'entreprise (3), puis à l'attribution par voie d'accord collectif d'une semaine de congés payés supplémentaires au seul bénéfice de cadres (4), de primes de treizième mois et de transport (5), de la "possibilité, pour [des] commerciaux, de participer à des animations commerciales et à un concours leur permettant de bénéficier d'un voyage" (6) ou du bénéfice des dispositions d'une convention collective prévoyant une reprise d'ancienneté (7).

La Cour de cassation n'a toutefois pas eu véritablement l'occasion d'en préciser le régime ; tout au plus a-t-elle affirmé, à chaque reprise, que la différence devait s'apprécier "au regard de l'avantage en cause" (8).

L'affaire. Cet arrêt apporte une précision utile sur les critères d'application de l'un et l'autre de ces principes.

Dans cette affaire, une association gérant un foyer pour jeunes enfants handicapés avait conclu un accord de transposition pour accompagner le changement d'accord applicable dans l'établissement. Une infirmière de l'établissement avait été repositionnée dans cette nouvelle Convention collective nationale (CCN des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées) en application de l'accord de transposition au coefficient immédiatement supérieur à celui dont elle bénéficiait dans l'ancienne, et conformément d'ailleurs aux dispositions de l'article 38 de la CCN.

Le niveau de ce repositionnement équivalait, dans la nouvelle CCN, à la situation du recrutement direct d'une infirmière avec une ancienneté antérieure de trois ans. Or, au moment de ce repositionnement, cette salariée pouvait justifier d'une ancienneté fonctionnelle de près de dix ans. Il apparaissait donc que, si elle avait été nouvellement recrutée par son établissement, dans les mêmes conditions, et non pas repositionnée, elle aurait bénéficié des autres dispositions de l'article 38 de la CCN des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées imposant à l'employeur de lui accorder le bénéfice des deux tiers de l'expérience acquise, dans les mêmes fonctions, au service d'un précédent employeur, ce qui lui aurait assuré un coefficient plus élevé et, partant, une rémunération supérieure.

La cour d'appel d'Agen lui avait donné raison sur ce point et accordé le bénéfice de ce coefficient supérieur, accompagné d'un rappel de salaires, en se fondant sur le principe "à travail égal, salaire égal" (9).

Pour obtenir la cassation de l'arrêt d'appel qui avait fait droit à sa demande, l'employeur faisait valoir que la différence de traitement dénoncée résultait directement des termes mêmes de l'article 38, et que la salariée ne se comparait à aucune autre salariée de son entreprise placée dans une même situation, ce qui excluait qu'elle put établir avoir été victime d'une différence de traitement prohibée au regard du principe "à travail égal, salaire égal".

La solution. Ces arguments n'ont pas convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi.

Après avoir indiqué que, "lorsque la différence de traitement entre des salariés placés dans une situation identique au regard de l'avantage considéré résulte des termes mêmes de l'accord collectif, il y a lieu de faire application du principe d'égalité de traitement sans recourir nécessairement à une comparaison entre salariés de l'entreprise effectuant le même travail ou un travail de valeur égale", la Cour indique que la cour d'appel a décidé "à bon droit que la salariée devait bénéficier de la reprise d'ancienneté attribuée par la convention collective du 15 mars 1966 aux salariés recrutés directement" après avoir relevé "que les salariés étaient traités différemment selon qu'ils étaient recrutés avant ou après l'entrée en vigueur de l'accord de transposition du 6 février 2004".

Egalité de traitement et principe "à travail égal, salaire égal". Pour qu'une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal" soit établie, trois conditions doivent être remplies : un travail égal (ou de valeur égale), un salaire inégal et une identité de situation. Lorsqu'est en cause l'application du principe "à travail égal, salaire égal", seule compte, pour contraindre l'employeur à se justifier, l'analyse du travail des salariés dont on compare le salaire. Si l'examen matériel des tâches réalisées, qui doit impérativement être opéré, démontre qu'elles sont égales, ou de valeur égale, alors l'employeur sera tenu de démontrer que l'inégalité salariale se justifie par une différence de situation entre les salariés. Le champ d'application de ce principe est donc plus étroit que celui du principe d'égalité de traitement, ou de non-discrimination, puisqu'il ne concerne que les salariés accomplissant un même travail, alors que le principe d'égalité de traitement concerne les salariés placés dans une même situation, au regard de l'avantage considéré, ce qui englobe des données personnelles, juridiques et économiques.

Egalité de traitement et principe de non-discrimination. La situation du principe d'égalité de traitement semble différente, et assez proche de celle du principe de non-discrimination.

Le droit français s'est en effet doté depuis l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 (loi n° 2008-496 N° Lexbase : L8986H39) d'une définition générale des discriminations directement applicable en droit du travail, par renvoi de l'article L. 1132-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6053IAG). S'agissant de la discrimination directe, qui seule nous intéresse ici, l'article 1er la définit comme "la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable".

Le principe d'égalité de traitement se distingue du principe de non-discrimination par le fait qu'il ne suppose pas la prise en compte d'un motif illicite et qu'il ne comporte pas de sanctions pénales. Il suppose seulement que des personnes placées dans une même situation soient traitées différemment au regard de l'avantage en cause.

Or, comme cela a été justement jugé en matière de discrimination, il peut y avoir discrimination sans comparer nécessairement le traitement réservé à deux salariés, dès lors qu'il apparaît que le salarié aurait été mieux traité si l'employeur n'avait pas pris en compte, dans sa décision, le motif prohibé (10).

La discrimination peut par ailleurs résulter soit d'un comportement de l'employeur, mais peut également résulter des termes même d'un accord collectif.

Ce raisonnement vaut pleinement pour le principe d'égalité de traitement dans la mesure où le critère d'attribution de l'avantage en cause peut être parfaitement indépendant du travail accompli et trouver sa cause dans la situation personnelle ou familiale, ou, comme c'était le cas ici, dans l'ancienneté du salarié.

C'est pourquoi la Cour de cassation a raison d'affirmer, dans cet arrêt, que "lorsque la différence de traitement entre des salariés placés dans une situation identique au regard de l'avantage considéré résulte des termes mêmes de l'accord collectif, il y a lieu de faire application du principe d'égalité de traitement sans recourir nécessairement à une comparaison entre salariés de l'entreprise effectuant le même travail ou un travail de valeur égale".

L'égalité de traitement n'est donc pas une variante du principe "à travail égal, salaire égal", elle constituerait même plutôt l'inverse, c'est-à-dire le genre dont le principe dégagé par la jurisprudence "Ponsolle" ne serait qu'une espèce.

II - Egalité de traitement et date d'embauche

Insuffisance du seul critère tiré de la date d'embauche. L'arrêt confirme également le fait que la différence de date d'embauche entre les salariés ne constitue pas en elle-même la justification pertinence d'une différence de traitement dès lors qu'elle ne révèle pas une différence de situation au regard de l'avantage en cause (11).

D'une manière générale, on sait que la jurisprudence admet la pertinence du critère de la date d'embauche lorsqu'il révèle la soumission des salariés à des situations juridiques distinctes ; il en ira ainsi de salariés qui cessent de bénéficier d'avantages prévus par le statut collectif dénoncé ou mis en cause et à qui le nouveau statut, ou l'employeur, vont accorder des compensations financières (12).

Or, dans cette affaire, l'application du texte en cause aboutissait à accorder aux salariés déjà en poste au moment de leur entrée dans la CCN une reprise d'ancienneté inférieure à celle qui était accordée aux salariés nouvellement embauchés, et ce sans qu'on en perçoive bien la raison. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que la Cour de cassation censure un dispositif conventionnel dont l'application aboutit, très paradoxalement, à traiter les nouveaux salariés mieux que les anciens, alors que, logiquement, l'ancienneté acquise a plutôt vocation à être valorisée, et non sanctionnée .

Critique. L'application du principe d'égalité de traitement lorsqu'est en cause un accord collectif, fait toujours difficulté car on peut se demander de quel droit le juge se permet de considérer qu'une différence de traitement voulue par les partenaires sociaux n'est pas assez justifiée pour être admise, surtout lorsque l'accord collectif en cause peut, en contrepartie, consentir à certaines catégories de salariés d'autres avantages à titre de compensation (14).

Cette remarque est bien entendu justifiée, à condition toutefois que la différence de traitement ait bien été voulue par les partenaires sociaux et qu'elle ne soit absolument pas justifiée. Or, il n'est pas certain que les partenaires sociaux aient toujours imaginé toutes les conséquences de l'application des textes qu'ils signent, de telle sorte que l'intervention correctrice du juge ne heurte pas nécessairement l'autonomie collective.


(1) Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, publié (N° Lexbase : A9564AAH).
(2) Cass. soc., 10 juin 2008, n° 06-46.000, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0540D9U), Dr. soc., 2008, p. 981, chron. Ch. Radé, SSL, n° 1359, p. 10, entretien avec P. Bailly.
(3) Cass. soc., 27 mai 2009, n° 08-41.391, F-D (N° Lexbase : A3968EHG), v. nos obs., Egalité de traitement entre salariés : la difficile justification par l'appartenance à des établissements distincts, Lexbase Hebdo n° 354 du 11 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6427BKA).
(4) Cass. soc., 1er juillet 2009, FS-P+B (N° Lexbase : A5734EI9), Dr. soc., 2009, p. 1002, obs. Ch. Radé ; JCP éd. S, 2009, p. 1451, note E. Jeansen ; Dr. soc., 2009, p. 1169, chron. P.-A. Antonmattéi ; SSL, 28 septembre 2009, p. 16, chron. J. Barthélémy, p. 13, interview P. Bailly.
(5) Cass. soc., 8 juin 2010, n° 09-40.614, F-D (N° Lexbase : A0178EZM).
(6) Cass. soc., 1er février 2011, n° 10-11.717, F-D (N° Lexbase : A3675GRK).
(7) Cass. soc., 23 mars 2011, n° 09-42.666, FS-P+B (N° Lexbase : A7611HIQ).
(8) Cass. soc., 1er février 2011, n° 10-11.717, préc..
(9) CA Agen, 28 avril 2009, n° 08/00443 (N° Lexbase : A7423E8G).
(10) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-42.849, FS-P+B (N° Lexbase : A2061ENN), v. nos obs., L'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés, Lexbase Hebdo n° 373 du 26 novembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4664BMP) (discrimination pour fait de grève).
(11) Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-40.169, FS-P+B (N° Lexbase : A4304DIA), Bull. civ. V, n° 178.
(12) Il s'agira alors (notamment) de compenser la réduction de la durée légale du travail par l'instauration d'une garantie de rémunération (Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 03-47.197, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8452DLM, JCP éd. G, 2005, II, 10017, note D. Corrignan-Carsin ; Dr. soc., 2006, p. 224, obs. Ch. Radé ; Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-43.136, FS-P+B N° Lexbase : A2978DUT, Dr. soc., 2007, p. 647, obs. Ch. Radé), d'assurer aux salariés qui relevaient d'un accord dénoncé le maintien de leurs avantages individuels acquis, soit par application de la règle légale (Cass. soc., 11 janvier 2005, n° 02-45.608, FS-P N° Lexbase : A0168DGC, Dr. soc., 2005, p. 323, obs. Ch. Radé, D., 2005, p. 323, note A. Bugada), soit dans le cadre de l'accord de substitution (Cass. soc., 31 oct. 2006, n° 03-42.641, FS-P+B (N° Lexbase : A1936DSI), v. nos obs., La volonté d'empêcher une baisse de rémunération justifie une inégalité salariale, Lexbase Hebdo n° 236 du 16 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N5148ALA).
(13) A propos de la prise en compte des carrières conventionnelles, Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-41.406, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9550ECP), Dr. soc., 2009, p. 399, chron. Ch. Radé.
(14) V. nos obs., Le cadre, les congés payés et le principe d'égalité de traitement, sous l'arrêt "Pain", Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07 42.675, préc., Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0001BLM).

Décision

Cass. soc., 23 mars 2011, n° 09-42.666, FS-P+B (N° Lexbase : A7611HIQ)

Rejet, CA Agen, 28 avril 2009, n° 08/00443 (N° Lexbase : A7423E8G)

Textes concernés : principe d'égalité de traitement

Mots-clés : égalité de traitement, à travail, salaire égal

Liens base : (N° Lexbase : E2578ETN)

newsid:419501

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.