La lettre juridique n°432 du 17 mars 2011 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Mars 2011

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N7432BRP

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le 17 Mars 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus pas la Cour de cassation. Dans le premier, en date du 15 février 2011, la Chambre commerciale pose le principe de l'absence d'exigence de la déclaration de créance au passif d'un agent immobilier détenant à titre précaire des fonds pour le compte de son client, alors que dans le second, soumis à la plus large publicité, la même formation de la Cour régulatrice censure, le 8 mars 2011, dans l'emblématique affaire "Coeur Défense", l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 février 2010 qui avait rétracté le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde de la bailleresse de la célèbre tour et de sa holding.
  • L'absence d'exigence de la déclaration de créance au passif d'un agent immobilier détenant à titre précaire des fonds pour le compte de son client (Cass. com., 15 février 2011, n° 10-10.056, F-P+B N° Lexbase : A1599GXI)

L'effet réel de la procédure collective a encore frappé, serait-on tenté d'écrire.

Plusieurs arrêts, commentés ont permis, au cours de l'année 2010, d'apercevoir l'acclimatation que la Cour de cassation a faite d'une analyse doctrinale, selon laquelle l'ouverture d'une procédure collective produit un effet de saisie collective des biens du débiteur. Un premier arrêt a porté sur la succession de procédures collectives atteignant deux époux communs en biens (1). Un second arrêt a concerné le sort des rémunérations perçues par le débiteur pendant sa liquidation judiciaire (2).

Les biens du débiteur, soumis à l'effet réel de la procédure collective, sont confisqués aux créanciers soumis à la discipline collective, les créanciers antérieurs, de manière classique, mais aussi, depuis la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), les créanciers postérieurs non éligibles au traitement préférentiel, c'est-à-dire les créanciers non visés au I de l'article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L3493ICD), autrement dénommés "créanciers postérieurs non méritants".

Cette analyse admise, il importe de bien délimiter le périmètre de l'effet réel de cette saisie collective, car de celui-ci dépend le corps de règles applicables, la discipline collective, au centre de laquelle il faut placer l'obligation de déclarer la créance au passif, corollaire immédiat de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles.

En l'espèce, un bailleur avait confié à un agent immobilier le soin de percevoir les loyers d'un bail. L'agent immobilier, mandataire, avait été placé en liquidation judiciaire. Le mandant avait déclaré sa créance de restitution de sommes détenues à titre précaire au passif du mandataire et avait été admis à ce passif. Le liquidateur contestait cette admission, qui avait été prononcée, en dernier ressort, par le juge-commissaire, le montant en cause étant en dessous du taux du ressort.

La question qui se posait donc, en l'espèce, était de savoir si les fonds détenus par un agent immobilier, au nom et pour le compte de son client, doivent faire l'objet, de la part de ce client, d'une déclaration de créance au passif, lorsque l'agent immobilier est placé sous sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire.

A cette question, la Cour de cassation répond, de la plus nette des manières, en cassant l'ordonnance attaquée, que "le mandant d'une agence immobilière en liquidation judiciaire n'a pas à déclarer sa créance de restitution résultant des dispositions de la loi du 2 janvier 1970 [oi n° 70-9, réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce N° Lexbase : L7536AIX] au passif de la procédure, celle-ci échappant par sa nature aux dispositions de la procédure collective obligeant les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture à déclarer leurs créances au liquidateur".

La stricte observation des textes régissant le domaine d'application de la déclaration de créance ne permet pas de parvenir à une telle solution. L'article L. 622-24, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3455ICX) énonce, en effet, que "à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire". Cette formulation est très générale et n'introduit pas de distinction. On pourrait donc s'arrêter à la généralité du domaine d'application de la déclaration de créance au passif, qui s'évince des textes, et soumettre le mandant d'un agent immobilier, comme tout créancier, à cette obligation.

Ce serait méconnaître la nature des rapports juridiques unissant le client d'un agent immobilier à ce dernier. Lorsque, en application des dispositions de la loi du 2 janvier 1970, l'agent immobilier reçoit des sommes de la part de ses clients, c'est au titre d'un mandat, qui l'oblige, comme tout mandataire fidèle, à restituer lesdites sommes. Il doit d'ailleurs obligatoirement contracter une garantie, permettant à ses clients d'être assurés de pouvoir obtenir paiement de ce qui leur est dû, dans l'hypothèse où l'agent immobilier serait défaillant. Cette garantie n'est pas un cautionnement, mais a la nature d'une garantie autonome, d'où il résulte que sa mise en oeuvre est absolument indépendante d'une déclaration de créance de la part du mandant, le client, au passif du mandataire, l'agent immobilier. La solution a été posée, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR) (3), à une époque où l'absence de déclaration de la créance au passif entraînait son extinction. Elle est évidemment reconductible sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, alors surtout que, on le sait, la créance non déclarée n'est plus éteinte, mais seulement inopposable à la procédure collective.

Ainsi, l'agent immobilier ne s'approprie jamais les sommes encaissées pour le compte de ses clients. Elles n'entrent pas dans son patrimoine réel.

La solution n'est pas sans précédent. En effet, dans une espèce, il avait été relevé que "les fonds transitant par le compte réseau n'étaient pas la propriété de la société, intervenant comme simple mandataire, mais celle des franchisés, l'arrêt en déduit que, ces derniers n'étant pas créanciers de la société, les règles gouvernant l'admission des créances et leur paiement dans le cadre des procédures collectives sont inapplicables à la restitution des fonds ; qu'en l'état de ses seules constatations et appréciation dont il résulte que le juge-commissaire [...] n'a pas excédé ses pouvoirs, la cour d'appel a également justifié sa décision" (4).

La Cour de cassation, comme elle le fait, au moins implicitement, dans l'arrêt commenté, appuie sa solution sur la propriété des fonds qu'elle reconnaît aux mandataires, ce qui conduit à une exclusion du périmètre de la procédure collective, de son effet réel, des sommes en question. Logiquement, les propriétaires de ces sommes ne sont pas traités comme des créanciers, soumis comme tels à devoir déclarer leur créance au passif, mais comme des propriétaires.

Mais, peut-être est-il alors possible de soutenir qu'elles entrent dans son patrimoine apparent. La solution aurait pour conséquence d'obliger le mandant à revendiquer, sous les formes et dans les délais classiques, ces sommes d'argent dans la procédure collective de l'agent immobilier.

Dans un premier temps, la jurisprudence avait admis que la revendication puisse porter sur une somme d'argent. Il fallait, pour cela, que le revendiquant soit bien propriétaire, non simple créancier (5). L'exigence était en conséquence posée en ces termes : l'argent ne devait pas être confondu dans le patrimoine du débiteur, ce qui n'était pas sans poser des difficultés de preuve.

Une difficulté se présentait spécialement si l'obligation de restitution était détenue sur un banquier. La solution décrite cadrait assez mal avec l'analyse selon laquelle l'obligation du banquier de restituer à son client les sommes déposées par celui-ci chez lui relevait d'un quasi-dépôt, le banquier devenant en réalité propriétaire des sommes déposées à charge pour lui de rendre l'équivalent à son client quand ce dernier en fera la demande. L'idée avait cependant été avancée en doctrine de revendiquer non une somme d'argent, mais le compte bancaire, en tant qu'universalité (6).

A la suite d'une évolution (7), la Cour de cassation considère désormais, sous la forme d'un principe, qu'"une demande de restitution de fonds ne peut être formée par voie de revendication, la seule voie ouverte au créancier d'une somme d'argent étant de déclarer sa créance à la procédure collective de son débiteur" (8). Toute demande portant sur une somme d'argent oblige donc à considérer l'intéressé comme un créancier, soumis comme tel à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles et corrélativement astreint à devoir déclarer sa créance antérieure au passif.

Après avoir posé ce principe de solution, la Cour de cassation le tempère immédiatement : la déclaration de créance ne s'impose que si la personne en redressement ou en liquidation judiciaire -en l'occurrence le franchiseur- est débitrice personnelle des franchisés, ce qui n'est pas le cas en présence de facturation et d'encaissement par le franchiseur de sommes déposées en banque sur un compte réseau, le franchiseur ne jouant alors que le rôle d'un mandataire chargé d'encaisser pour le compte des franchisés les créances détenues sur des tiers par ces derniers (9).

Ainsi, dès lors que la somme d'argent est détenue par la personne sous procédure collective à titre précaire, et qu'elle a l'obligation de la restituer, son bénéficiaire n'est pas un créancier, soumis comme tel à la procédure collective.

La même solution avait aussi été posée en matière de séquestre. Il résulte de l'article 1956 du Code civil (N° Lexbase : L2179ABC) que le dépositaire, dans le cadre d'un séquestre, même sous procédure collective, a l'obligation de rendre la chose contentieuse à la personne qui sera jugée devoir l'obtenir, sans qu'il y ait place à concours entre les créanciers de ce dépositaire (10). Le super privilège des salaires ne peut donc l'emporter (11). En conséquence, le bénéficiaire des sommes séquestrées n'a pas à déclarer sa créance au passif du séquestre (12).

Ainsi, le client de l'agent immobilier, lequel détient des sommes à titre de mandat de la part de son client, est traité non comme un créancier, astreint à devoir déclarer sa créance au passif, mais plutôt comme un propriétaire, dispensé de revendiquer, puisque sa propriété porte sur une somme d'argent. En somme, c'est un propriétaire de meuble émancipé de toute discipline collective.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

  • La consécration de la sauvegarde comme outil de gestion par l'arrêt "Coeur Défense" (Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13.988, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0445G7M)

Du "Coeur de la Défense" se sera écoulé beaucoup d'encre doctrinale et judiciaire. Rien d'étonnant à cela eu égard à l'importance juridique et aux enjeux financiers de cette spectaculaire affaire "Heart Of La Défense" (HOLD), plus connue des praticiens des procédures collectives sous l'appellation "Coeur Défense".

La société par actions simplifiée HOLD, dont le capital est entièrement détenu par une holding (la société Dame Luxembourg), est propriétaire, par l'intermédiaire d'une société civile immobilière dont elle est la seule associée, d'un ensemble immobilier à usage de bureaux destinés à la location appelé "Coeur Défense". Le financement de l'acquisition de cet ensemble immobilier a été fait au moyen d'emprunts à taux variable, consentis par la société Lehman Brothers Bankhaus AG (Allemagne), et remboursables in fine. Jusqu'à l'échéance du terme, seuls étaient payables les échéances trimestrielles d'intérêt. Les emprunts étaient garantis par une hypothèque, par la cession des créances de loyers des baux consentis par la société HOLD et par le nantissement assorti d'un pacte commissoire de la totalité des actions de la société HOLD détenues par la holding Dame Luxembourg. Pour répondre aux exigences prévues par les contrats de prêt, la société HOLD avait également fourni des contrats de couverture du risque de variation des taux d'intérêt, lesquels avaient été conclus avec la société Lehman Brothers international (Royaume-Uni) en qualité de contrepartie, elle-même garantie par la société Lehman Brothers Inc (Etats-Unis). Dans le cadre d'une opération de titrisation, la créance du prêteur a été cédée à un fonds commun de titrisation représenté par la société de gestion Eurotitrisation. En raison de l'ouverture de procédures collectives à l'encontre des sociétés du groupe Lehman Brothers (contrepartie pour les contrats de couverture, et garante), la société de gestion Eurotitrisation a exigé qu'un autre établissement garantisse désormais le risque de variation des taux d'intérêt dans la mesure où les contrats de couverture n'étaient plus conformes aux critères de notation prévus aux contrats de prêt, menaçant de prononcer, à défaut, la déchéance du terme des prêts. Soutenant essentiellement qu'il était impossible, dans le contexte de crise financière de l'automne 2008, de trouver une nouvelle contrepartie pour les contrats de couverture, la société HOLD et sa holding Dame Luxembourg ont demandé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde.

Cette demande a été accueillie par le tribunal de commerce de Paris le 3 novembre 2008 (13) lequel a, par jugement du 9 septembre 2009 (14), arrêté un plan de sauvegarde. Exerçant une tierce-opposition, la société Eurotitrisation avait sollicité la rétractation des jugements d'ouverture des procédures de sauvegarde. Le recours, déclaré recevable par le tribunal de commerce de Paris, a cependant été rejeté. Sur appel interjeté par la société Eurotitrisation, tiers opposant, la cour d'appel de Paris, par un arrêt du 25 février 2010 (15), a confirmé le jugement en ce qu'il avait déclaré recevable la tierce-opposition mais l'a infirmé, rétractant ainsi les jugements d'ouverture des procédures de sauvegarde.

Sur les pourvois exercés à l'encontre de cet arrêt, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu, le 8 mars 2011, un très riche et important arrêt (FS-P+B+R+I) faisant état d'une quintuple cassation. Nous nous attarderons ici uniquement sur les trois points qui nous semblent les plus fondamentaux.

Le premier apport de l'arrêt se situe sur un terrain procédural : celui de la recevabilité de la tierce-opposition formée par un créancier à l'encontre du jugement statuant sur l'ouverture de la procédure de sauvegarde. Sur ce point, la Cour de cassation est en parfait accord avec la cour d'appel. Elle considère qu'"il résulte des articles L. 661-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L4168HBY), dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT), et 583, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6740H7R), que la tierce-opposition est ouverte à l'encontre du jugement statuant sur l'ouverture de la procédure de sauvegarde à tout créancier invoquant des moyens qui lui sont propres". En l'occurrence, la Cour de cassation considère que la société Eurotitrisation faisait état de moyens propres dès lors qu'"elle alléguait que la procédure de sauvegarde avait pour but exclusif de permettre aux sociétés HOLD et Dame Luxembourg d'échapper, au moins temporairement, à l'exécution de leurs obligations contractuelles envers le seul fonds commun de titrisation, qu'elle représentait, ou de la contraindre à négocier leur aménagement".

Sur le fond, la Chambre commerciale de la Cour de cassation répond à plusieurs questions dont deux nous semblent essentielles.

1°) Les difficultés insurmontables rencontrées par le débiteur doivent-elles, pour conduire à l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, avoir une incidence sur la poursuite de son activité ? Autrement formulé : au titre des conditions d'ouverture de la procédure, faut-il prendre en considération l'objectif de la procédure de sauvegarde qui est de permettre de poursuivre l'activité économique ?

Il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article L. 620-1 (N° Lexbase : L4125HBE), applicable en la cause, qu'"il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d'un débiteur [...] qui justifie de difficultés, qu'il n'est pas en mesure de surmonter, de nature à le conduire à la cessation des paiements (16). Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif". Se focalisant sur la seconde de ses deux phrases, la cour d'appel de Paris avait considéré que, pour pouvoir être prises en considération et conduire à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, les difficultés insurmontables devaient affecter la poursuite de l'activité du débiteur dans la mesure où, précisément, la sauvegarde a pour objectif de permettre cette poursuite. Cette position de la cour d'appel de Paris était saluée par une partie de la doctrine (17). Ainsi, la cour d'appel avait rétracté les jugements ayant ouvert les procédures de sauvegarde des sociétés HOLD et Dame Luxembourg en retenant que la société HOLD n'invoquait pas l'existence de difficultés pouvant affecter son activité de bailleresse et que la société Dame Luxembourg n'avait pas prétendu éprouver de difficultés à poursuivre son activité de gestion de son portefeuille de titres.

Prenant le contre-pied la position adoptée par la cour d'appel, la Chambre commerciale considère, au contraire, que, "si la procédure de sauvegarde est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin, notamment, de permettre la poursuite de l'activité économique, il ne résulte pas de ce texte [C. com., art. L. 620-1, al. 1er] que l'ouverture de la procédure soit elle-même subordonnée à l'existence d'une difficulté affectant cette activité [...]. En statuant [...comme elle l'a fait], la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé le texte [de l'article L. 620-1, alinéa 1er, du Code de commerce]".

Est ainsi consacrée la position du Professeur Le Corre (18) qui, critiquant l'arrêt d'appel, considérait qu'"il importe peu que ces difficultés [que le débiteur ne peut surmonter] soient relatives à l'activité de l'entreprise débitrice. La cour d'appel semble ici avoir ajouté à la loi, même s'il ne nous échappe pas que l'objectif de la sauvegarde est d'assurer la poursuite de l'activité".

2°) Dans l'arrêt "Coeur Défense", la Chambre commerciale répond à une autre question fondamentale : est-ce que le but que souhaite atteindre le débiteur grâce à l'ouverture de la procédure de sauvegarde -consistant à imposer à ses cocontractants une atteinte à l'exécution du contrat- doit entrer en ligne de compte ?

En l'espèce, la cour d'appel de Paris avait mis en évidence le but recherché par les sociétés HOLD et Dame Luxembourg lorsqu'elles avaient sollicité l'ouverture d'une procédure de sauvegarde :
- la société HOLD avait cherché à porter atteinte à la force obligatoire de la clause des contrats de prêts lui imposant une obligation de couverture répondant à certains critères de notation. L'ouverture de la procédure de sauvegarde lui permettait ainsi d'éviter que ne survienne la déchéance du terme en l'absence de fourniture d'une nouvelle couverture de la variation de taux d'intérêt conforme, en termes de notation, aux exigences contractuelles ;
- de son côté, la société Dame Luxembourg, qui avait affecté en nantissement au profit du prêteur l'intégralité des actions de la société HOLD qu'elle détenait, comptait, grâce à l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à son égard, échapper à l'exécution du pacte commissoire qui confère au créancier le droit de s'approprier la chose objet de la sûreté (ici, les actions HOLD) en cas de défaillance du débiteur (HOLD). Rappelons, en effet, que le pacte commissoire -interdit jusqu'à l'ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346, relative aux sûretés N° Lexbase : L8127HHH)- est désormais autorisé (19) mais qu'il ne peut être constitué ou réalisé après jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.

La cour d'appel de Paris a considéré que les buts poursuivis par les débiteurs qui sollicitaient l'ouverture de procédures de sauvegarde, consistants à porter atteinte à la force obligatoire des contrats de prêt ainsi qu'à l'exécution du pacte commissoire, devaient fermer l'accès à la procédure de sauvegarde. La position de la cour d'appel était partagée par une partie de la doctrine considérant que la procédure de sauvegarde "n'est pas destinée à arranger la situation d'agents économiques en faisant couvrir par l'autorité judiciaire des effets restrictifs des droits des créanciers" (20) ou que cette procédure "ne doit pas être conçue comme un moyen détourné d'obtenir un délai de grâce ou de suspension de certains effets d'un contrat" (21) ou enfin qu' "il n'est pas admissible que la sauvegarde soit détournée de ses finalités par un débiteur qui chercherait seulement à échapper à ses obligations contractuelles" (22).

La question "éthico-juridique" qui se posait à la Chambre commerciale de la Cour de cassation était donc celle de savoir si la procédure de sauvegarde pouvait légitimement être utilisée tel un outil de gestion ayant pour seul objet de porter atteinte à la force obligatoire des contrats.

Suivant en cela la position adoptée par une partie de la doctrine faillitiste, la Chambre commerciale accepte clairement de ranger la procédure de sauvegarde dans la boîte à outils du gestionnaire d'entreprise en considérant que "hors le cas de fraude, l'ouverture de la procédure de sauvegarde ne peut être refusée au débiteur, au motif qu'il chercherait ainsi à échapper à ses obligations contractuelles, dès lors qu'il justifie, par ailleurs, de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter et qui sont de nature à le conduire à la cessation des paiements".

La solution doit être saluée, d'une part, parce que, comme le relève la Cour de cassation, exiger que le seul but du débiteur ne soit pas de porter atteinte à la force obligatoire des contrats, c'est ajouter à la loi une condition qu'elle ne comporte pas. Il ne faut pas voir là un dévoiement de la procédure de sauvegarde dont la doctrine (23) souligne qu'elle a précisément pour vocation de méconnaître la force obligatoire du contrat. La règle de l'interdiction des poursuites, celle de l'arrêt du cours des intérêts de certaines créances, celle de l'interdiction des paiements, ainsi que l'imposition de délais du plan en sont d'évidentes illustrations.

D'autre part, il est flagrant que, dans l'esprit du législateur, la procédure de sauvegarde est bel et bien un outil de gestion ayant pour objet de permettre au chef d'entreprise de surmonter les difficultés qu'il n'est pas parvenu à aplanir sur le terrain de la négociation avec ses partenaires. Cette conception instrumentaliste de la sauvegarde est encore plus nette dans la procédure dernière-née : la sauvegarde financière accélérée (loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, de régulation bancaire et financière, art. 57 et 58 N° Lexbase : L2090INQ). La SFA est une menace planant sur ceux qui ne sont pas disposés à négocier, un outil-épouvantail au service du chef d'entreprise qui doit conduire des créanciers financiers à accepter la négociation avec le débiteur dans le cadre d'un accord de conciliation pour éviter l'ouverture d'une SFA dans le cadre de laquelle des sacrifices leur seront imposés. La sauvegarde "classique" doit également être perçue comme un outil d'incitation à la négociation partenariale.

La façon dont le législateur appréhende la procédure collective a changé. Les mentalités doivent changer également : la procédure de sauvegarde doit être parfaitement appréhendée par le débiteur comme un outil, une technique de gestion, accessible au débiteur qui rencontre des difficultés insurmontables. De facto, ces difficultés insurmontables le sont en réalité du fait d'un refus de négociation conventionnelle (suffisante) de la part des partenaires, de sorte qu'il faudra leur forcer la main en utilisant le droit des procédures collectives qui, par essence, porte atteinte à l'effet obligatoire du contrat.

En conclusion, l'accès à la procédure de sauvegarde est particulièrement large. La suppression de la référence à la cessation des paiements par l'article L. 620-1 du Code de commerce ainsi que la création de la sauvegarde financière accélérée en sont les témoins. Il faut, mais il suffit, que le débiteur justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter, peu important que le but poursuivi par le débiteur -sous réserve de la fraude de ce dernier- soit d'échapper à la force obligatoire des contrats qui le lient à ses partenaires.

Cette consécration, par l'arrêt "Coeur Défense", de la procédure de sauvegarde comme outil de gestion doit être saluée car tel semblait être l'objectif du législateur. Désormais, ainsi que le relève M. Alain Lienhard, "rien ne s'oppose à ce que la procédure profite à des holdings, à des sociétés ad hoc, simples véhicules d'acquisition, peu importe que, derrière l'entreprise, soient protégés les actionnaires, ce qui ouvre grand la voie de la sauvegarde aux holdings d'acquisition dans les opérations de LBO" (24).

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon


(1) Cass. com., 16 mars 2010, n° 08-13.147, FS-P+B (N° Lexbase : A8033ETP) ; D., 2010, AJ p. 825, note A. Lienhard ; D., 2010, 1112, note M.-L. Bélaval ; D., 2010, pan. com. 1828, nos obs. ; Gaz. pal. éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 2 et 3 juillet 2010, n° 183 et 184, p. 13, note L. Antonini-Cochin ; Act. proc. coll., 2010/8, n° 122, note J. Vallansan ; Rev. proc. coll., 2010/6, comm.. 248, note G. Berthelot ; JCP éd. E, 2010, chron. 1742, n° 6, obs. M. Cabrillac.
(2) Cass. com., 13 avril 2010, n° 08-19.074, FS-P+B (N° Lexbase : A0473EWG) ; nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Mai 2010, Lexbase Hebdo n° 395 du 20 mai 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N1927BP3).
(3) Ass. plén., 4 juin 1999, n° 96-18.094 (N° Lexbase : A8184AHL), Bull. Ass. plén., n° 4, Act. proc. coll., 1999/12, n° 162, obs. M. Béhar-Touchais, RTDCiv., 1999, 665, obs. M. Bandrac et P. Crocq, D. Affaires, 1999, 1082, obs. A. L., LPA, 27 décembre 1999, n° 257, p. 9, note F. Lemaitre-Basset et J. B. Schroeder, Rev. proc. coll., 2000, 56, n° 4, obs. E. Kerckhove, LPA, 10 février 2000, no 29, p. 16, note C.-I. Féviliyé-Dawey, RTDCom., 2000, 175, obs. A. Martin-Serf ; Cass com. 23 mai 2000, n° 97-19.403 (N° Lexbase : A1571CZ9), Act. proc. coll., 2000/12, no 147 ; Cass. civ. 1, 12 décembre 2000, n° 98-10.224, inédit (N° Lexbase : A2940CSP), RD banc. et fin., 2001/3, p. 161, n° 113 ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 9 décembre 2003, n° 2003/06150 (N° Lexbase : A8886DAD).
(4) Cass. com., 30 juin 2004, n° 03-17.330, FS-D (N° Lexbase : A9129DC4).
(5) Cass. com., 25 mars 1997, n° 94-18.337 (N° Lexbase : A1529ACM), Bull. civ. IV, n° 84 ; Cass. com., 10 mai 2000, n° 97-16.726 (N° Lexbase : A3448AUA), Bull. civ. IV, n° 98, D., 2000, AJ 277, obs. A. Lienhard, JCP éd. E, 2000, chron. 1566, n° 11, obs. Ph. Pétel, JCP éd. E, 2001, jur. 521, note L. Courtot et F. Marmoz, RD banc. et fin. 2000/4, n° 161, obs. F.-X. Lucas.
(6) F.-X. Lucas, obs. RD banc. et fin., 2003/4, p. 218, n° 154.
(7) V. déjà, Cass. com., 10 mai 2000, préc. et les obs. préc. ; adde, F.-X. Lucas, obs. RD banc. et fin. 2003/4, préc..
(8) Cass. com. 4 février 2003, n° 00-13.356, F-D (N° Lexbase : A9194A4B) ; D., 2003, AJ 1230, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2003/10, n° 128, obs. C. Régnaut-Moutier ; RD banc. et fin., 2003/4, p. 218, n° 154, obs. F.-X. Lucas ; JCP éd. E, 2003, jur. 1363, p. 1536, note D. Robine ; Defrénois, 2003, art. 37810, p. 1163, note R. Lichbaber ; RTDCom., 2003, 572, n° 9, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., 2003, p. 306, n° 2, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; Dr et proc., 2003/5, p. 292, nos obs..
(9) Cass. com., 30 juin 2004, n° 03-17.330, FS-D (N° Lexbase : A9129DC4).
(10) Cass. com., 13 novembre 2001, n° 97-16.652, FS-P (N° Lexbase : A0861AX8), Bull. civ. IV, n° 177, JCP éd. E, 2002, jur. 641, p. 666, note F. Barrière, Rev. proc. coll., 2003/1, p. 14, n° 13, obs. Ch. Lebel ; CA Paris, 3ème ch., sect. C, 2 juillet 2003, n° 2001/13673 (N° Lexbase : A4273C97).
(11) Cass. com., 13 novembre 2001, préc. et et les obs. préc..
(12) CA Montpellier, 1ère ch., sect. D, 27 février 2008, JCP éd. E, 2008, 2182.
(13) T. com. Paris, 3 novembre 2008, deux jugements, aff. n° 2008077996, SARL Dame Luxembourg (N° Lexbase : A8599EB4) et n° 2008077997, SAS Heart of le Défense (N° Lexbase : A4438EBY).
(14) T. com. Paris, 9 septembre 2009, aff. n° 2009044625 (N° Lexbase : A2424ELD).
(15) CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 25 février 2010, n° 09/22756 (N° Lexbase : A9371ESU) ; D., 2010, AJ p. 579, note G. Podeur et R. Dammann ; Gaz. pal., 16 et 17 avril 2010, n° 106 et 107, p. 13, note P.-M. Le Corre ; Bull. Joly sociétés, 2010, p. 211, note F.-X. Lucas ; Act. proc. coll., 2010/8, n° 112, note B. Saintourens ; JCP éd. E, 2010, chron. 1742, n° 1, obs. Ph. Pétel ; JCP éd. E, 2010, 1475, note B. Saintourens ; RDBF, 2010/3, § 94, note A. Cerles ; Rev. proc. coll., 2010/4, § 152, p. 46, note B. Saintourens ; LPA, 9 mars 2010, n° 48, p. 12, note G. Teboul ; Dr. et patrimoine 2010, n° 196, p. 85, note C. Saint-Alary Houin et M.-H. Monsérié-Bon ; adde M. Menjucq, Affaire Heart of La Défense : incertitude sur le critère d'ouverture de la procédure de sauvegarde, Rev. proc. coll., 2010/3, § 11, p. 13.
(16) La mention "de nature à le conduire à la cessation des paiements" a été supprimée par l'ordonnance du 18 décembre 2008.
(17) B. Saintourens, Act. proc. coll., 2010/8, n° 112 ; Ph. Pétel, JCP éd. G, 2010, p. 1807.
(18) P.-M. Le Corre, Gaz. pal., 16 et 17 avril 2010, préc..
(19) C. civ., art. 2365 (N° Lexbase : L1192HIY), en matière de nantissement ; C. civ., art. 2348 (N° Lexbase : L1175HID) en matière de gage.
(20) B. Saintourens, préc..
(21) G. Podeur et R. Dammann, D., 2010, AJ, p. 579.
(22) M. Menjucq, préc...
(23) F.-X. Lucas, Bull. Joly sociétés, 2010, p. 211.
(24) D., 2011., Actu. 743.

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