La lettre juridique n°432 du 17 mars 2011 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Motivation de la lettre de licenciement économique : exigence de faits précis et matériellement vérifiables

Réf. : Cass. soc., deux arrêts, 16 février 2011, n° 09-72.172, FS-P+B (N° Lexbase : A1576GXN) et n° 10-10.110, FS-P+B (N° Lexbase : A1621GXC)

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par Lise Casaux-Labrunée, Professeur à l'Université Toulouse 1 Capitole

le 17 Mars 2011

La Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts, le 16 février 2011, portant sur des affaires relativement semblables : deux licenciements économiques individuels prononcés à l'encontre de salariés ayant chacun contesté la rupture de leur contrat de travail pour insuffisance des motifs figurant dans la lettre de licenciement (insuffisance au regard des exigences définies par les dispositions des articles L. 1233-2 (N° Lexbase : L8307IAW), L. 1233-3 (N° Lexbase : L8772IA7) et L. 1233-16 (N° Lexbase : L1135H9W) du Code du travail). Dans les deux cas, les cours d'appel de Colmar et de Rennes ont considéré les lettres de licenciement insuffisamment motivées et condamné les employeurs au paiement d'indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'insuffisance de motif équivalant en ce domaine à l'absence de motif. Le contrôle opéré par la Cour de cassation conduit, en revanche, à dissocier le sort des deux affaires et à considérer dans un cas que la lettre de licenciement fondée sur des faits précis et matériellement vérifiables est correctement motivée, alors que dans l'autre, où il est seulement fait état d'une "baisse significative d'activité entraînant l'obligation de supprimer le poste de travail", la rupture n'est pas validée. Ces deux arrêts du même jour sont un peu comme blanc et noir, ils donnent l'exemple et le contre-exemple, et permettent de mieux comprendre ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire lorsqu'on motive une lettre de licenciement pour motif économique. La jurisprudence selon laquelle la lettre de licenciement pour motif économique doit comporter l'énoncé précis des raisons économiques à l'origine de la rupture, mais aussi l'incidence de ces raisons sur l'emploi ou le contrat de travail, est connue depuis longtemps (Cass. soc., 30 avril 1997, n° 94-42.154, publié N° Lexbase : A4092AAS) et les avocats sont impardonnables de l'ignorer (Cass. civ. 1, 5 février 2009, n° 07-20.196, F-P+B N° Lexbase : A9489ECG). Les arrêts du 16 février 2011 s'inscrivent sur la même ligne, mais révèlent un degré d'exigence supplémentaire de la part des juges qui insistent surtout à cette occasion sur la nécessité pour les employeurs d'énoncer dans la lettre de licenciement économique "des faits précis et matériellement vérifiables" à défaut desquels le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Ces arrêts invitent à apporter plus de soin à la motivation des lettres de licenciement économique qui, loin d'être une simple considération de forme, répond au contraire, et le rappel n'est peut-être pas inutile, à deux objectifs essentiels : informer le salarié sur les raisons précises qui motivent la rupture de son contrat de travail (I) et fixer clairement les limites d'un éventuel litige (II).
Résumé

La lettre de licenciement pour motif économique, qui fixe les limites du litige, doit énoncer des faits précis et matériellement vérifiables. A défaut, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

La lettre qui fait seulement état d'une baisse significative d'activité mettant l'employeur dans l'obligation de supprimer le poste de travail du salarié (manager commercial), sans autre précision, ne satisfait pas aux exigences légales de l'article L. 1233-16 du Code du travail (n° 09-72.172).

Celle en revanche qui fait état d'un ensemble de faits établissant la baisse d'activité significative et irrémédiable de l'employeur et précisant l'incidence de cette baisse d'activité sur l'emploi de la salariée (secrétaire d'avocat) est fondée sur des faits précis et matériellement vérifiables et répond aux exigences légales de motivation résultant des articles L. 1233-3 et L. 1233-16 du Code du travail (n° 10-10.110).

Commentaire

I - L'exigence d'une motivation précise pour informer pleinement le salarié licencié

Exigence de fond et non de forme. L'obligation de motiver la lettre de licenciement ne constitue pas une simple exigence de forme. Elle traduit, au contraire, une véritable règle de fond qui repose sur des considérations d'ordre public de protection, notamment le droit pour le salarié d'être pleinement informé des raisons qui justifient la rupture de son contrat de travail. Le licenciement étant un acte grave, lourd de conséquences pour celui qui le subit, il est essentiel à la protection du travailleur qu'il ne puisse être licencié sans savoir pourquoi (1). L'insuffisance de motivation n'est d'ailleurs pas sanctionnée comme une irrégularité de procédure, mais comme une condition de fond dont le défaut prive le licenciement de cause réelle et sérieuse (2).

Exigence de double motivation. Cette exigence de motivation a depuis longtemps été précisée par les magistrats de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui l'ont en quelque sorte "dédoublée" (ce "dédoublement" étant la conséquence directe de la définition du motif économique, donnée à l'article L. 1233-3 du Code du travail, qui est elle-même en deux temps) : "la lettre de licenciement donnée pour motif économique doit mentionner les raisons économiques prévues par la loi et leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail".

C'est un arrêt du 30 avril 1997 qui a posé pour la première fois ce principe (3), confirmé depuis à de nombreuses reprises, soit pour sanctionner des lettres de licenciement indiquant uniquement les motifs économiques prévus par la loi, sans précision de leur incidence sur l'emploi du salarié, soit au contraire pour valider des licenciements reposant sur des motifs suffisamment détaillés (4). Dans deux arrêts du 11 juin 2002, la Chambre sociale a affirmé avec encore plus de force le contenu de la motivation exigée : la lettre de licenciement doit comporter non seulement l'énonciation des difficultés économiques, mutations technologiques ou de la réorganisation de l'entreprise, mais également, l'énonciation des incidences de ces éléments sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié (suppression ou transformation d'emploi, modification du contrat de travail) (5). En résumé, il ne suffit pas que le salarié connaisse les raisons économiques générales qui sont à l'origine de la cessation de son contrat de travail (baisse d'activité, réorganisation de l'entreprise...), encore faut-il lui indiquer avec suffisamment de précision pourquoi son propre emploi est affecté par ces considérations de nature économique.

Exigence de précision. Dans l'une des deux affaires jugées le 16 février 2011 (n° 09-72.172), l'employeur et/ou son conseil ont appliqué la règle, mais de façon superficielle : "suite à une baisse significative de l'activité en 2004, nous sommes dans l'obligation de supprimer le poste de manager commercial". Les deux temps de la motivation sont bien là : le motif économique d'abord, l'incidence sur l'emploi ensuite... mais de façon trop simpliste, minimaliste. L'explication pour le salarié est un peu courte.

L'employeur se borne, en effet, ainsi que l'indique l'arrêt d'appel, à faire état dans la lettre de licenciement d'une baisse significative d'activité sans même évoquer d'éventuelles difficultés économiques au niveau du secteur d'activité auquel appartient l'entreprise ; il ne justifie pas davantage de la nécessité de supprimer le poste du salarié concerné, notamment au regard de la baisse d'activité dont il fait état. La lettre de licenciement est donc logiquement considérée comme insuffisamment motivée : "mais attendu que la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit énoncer des faits précis et matériellement vérifiables ; que la cour d'appel qui a constaté que la lettre de licenciement ne faisait état que d'une baisse d'activité, sans autre précision, en a exactement déduit qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences légales de l'article L. 1233-16 du Code du travail".

Le moyen invoqué à l'appui du pourvoi est, également, intéressant à relever pour la méconnaissance qu'il contient : "pour répondre aux exigences de l'article L. 1233-16 du Code du travail, la lettre de licenciement pour motif économique, qui fixe les limites du litige, doit mentionner celle des raisons économiques légales par lesquelles l'employeur entend justifier le licenciement ainsi que l'incidence qu'a eu ce motif sur l'emploi ou le contrat de travail ; qu'en fixant ainsi les limites du litige, l'employeur n'est pas pour autant tenu de livrer, dès ce stade, l'ensemble des éléments nécessaires à l'appréciation de la validité du licenciement". L'employeur considère dès lors que les motifs indiqués dans sa lettre (baisse d'activité nécessitant suppression de poste) "sont suffisamment explicites pour être matériellement vérifiables et pour pouvoir se rattacher à l'un des motifs prévus par la loi"... à tort. Il méconnaît l'exigence de précision imposée par les juges, qui n'est pas tout à fait nouvelle (6) : dès la lettre de licenciement, l'employeur doit livrer des faits précis et matériellement vérifiables permettant d'informer pleinement le salarié des raisons de la mesure prise à son encontre, et de fixer les limites d'un éventuel litige en cas de désaccord.

II - L'exigence de faits précis et matériellement vérifiables pour fixer les limites d'un éventuel litige

Respect du contradictoire. Là encore, on est loin d'une simple contrainte de forme. En exigeant de l'employeur qu'il motive précisément la lettre de licenciement, c'est l'effectivité du droit au recours du salarié qu'il s'agit d'assurer, autrement dit le respect du contradictoire. La lettre de licenciement, si elle ne lie pas les parties ni le juge quant aux qualifications qu'elle contient, a, en revanche, pour effet de fixer les limites du litige quant aux faits (7). D'un point de vue procédural, la motivation de la lettre doit permettre au salarié de contester les raisons de la rupture, à condition qu'il en ait une connaissance écrite et précise. Elle oblige, également, l'employeur à expliciter les raisons de sa décision et de fait, à déterminer le terrain sur lequel pourra porter une éventuelle contestation. La fixation des limites du litige par la lettre de licenciement, dans la perspective d'une contradiction, suppose une motivation qui repose sur des faits suffisamment clairs et précis exprimés noir sur blanc dans ladite lettre.

Exemple. L'arrêt du 16 février 2011 (n° 10-10.110) offre de ce point de vue un exemple intéressant en ce sens que la lettre de licenciement pour motif économique y est motivée comme suit : "suppression définitive de votre emploi de secrétaire, motivée par les circonstances suivantes"... Fait suite à l'annonce principale, une série de développements prenant pour point de départ les tâches habituellement confiées à la salariée et indiquant un ensemble de faits établissant la baisse significative et irrémédiable de l'activité de l'employeur, précisant la nature et l'origine des circonstances économiques obligeant ce dernier à rompre définitivement le contrat de travail de l'intéressée (en l'occurrence, s'agissant d'un cabinet d'avocats, la perte définitive des affaires "crédits permanents" et des dossiers "pré-contentieux" dont était principalement chargée la salariée, confiés définitivement par les clients à d'autres auxiliaires de justice) (8).

Différences d'appréciation et contrôle. Intéressante à relever est aussi la différence d'appréciation de la même lettre de licenciement faite par les juges du fond et par ceux de la Cour de cassation. Sur la base des mêmes faits exprimés dans la lettre, là où la cour d'appel ne voit qu'une baisse du chiffre d'affaires n'induisant pas ipso facto une menace sur la compétitivité de l'entreprise et ne suffisant pas à établir la réalité des difficultés économiques, la Cour de cassation entrevoit une véritable baisse d'activité de nature à légitimer la rupture : "alors que la lettre de licenciement, qui faisait état d'une baisse d'activité résultant de la disparition d'un certain nombre de contentieux traités par le cabinet et de son incidence sur l'emploi de la salariée, était fondée sur des faits précis et matériellement vérifiables, la cour d'appel, à qui il appartenait de vérifier l'existence de difficultés économiques résultant de cette baisse d'activité, a violé les textes susvisés" (décision rendue au visa des articles L. 1233-3 et L. 1233-16 du Code du travail). Les juges du fond vont donc, également, devoir se mettre au diapason (les conclusions d'appel faisaient valoir en l'espèce que la réorganisation du cabinet, par la suppression du poste de cette secrétaire, était justifiée par la nécessité d'assurer la sauvegarde de sa compétitivité dans la mesure où la perte de clientèle entraînait une baisse de 40 % de son résultat... des faits aisément vérifiables).

Effectivité du droit au recours du salarié. Le contenu de la lettre de licenciement conditionne par conséquent l'effectivité du droit au recours du salarié. Pour que le salarié soit en mesure de se défendre et de préparer son argumentation en cas de contestation, encore faut-il que la lettre de licenciement lui donne suffisamment d'indications sur les raisons de la rupture de son contrat de travail. "A défaut, ce serait l'effectivité même de son droit au recours, au sens des articles 6§1 (N° Lexbase : L7558AIR) et 13 (N° Lexbase : L4746AQT) de la Convention européenne des droits de l'Homme, qui risquerait de s'en trouver affectée" (9).


(1) J. Savatier, Dr. civ., 1990, p. 101.
(2) Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 88-44.308, publié (N° Lexbase : A9329AAR).
(3) Cass. soc., 30 avril 1997, n° 94-42.154, publié (N° Lexbase : A4092AAS).
(4) V. les obs. de Ch. Radé, L'avocat doit être au fait de l'évolution de la jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 340 du 5 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7651BI9).
(5) Cass. soc., 11 juin 2002, n° 00-40.214 (N° Lexbase : A9089AYB) et n° 00-40.625 (N° Lexbase : A9094AYH), La lettre de licenciement pour motif économique doit comporter l'énoncé précis des difficultés économiques et leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 28 du 20 juin 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N3240AAA).
(6) Cass. soc., 20 novembre 2001, n° 99-46.131, F-D (N° Lexbase : A2324AXD).
(7) Ph. Waquet, La lettre de rupture par l'employeur d'un contrat de travail, RJS, novembre 1993, p. 632.
(8) Une baisse d'activité ou de chiffre d'affaires ne constitue pas en elle-même une cause économique de licenciement lorsque la situation économique de l'entreprise est satisfaisante : Cass. soc., 6 juillet 1999, n° 97-41.036, publié (N° Lexbase : A6341AGX).
(9) Avis de l'avocat général R. de Gouttes, Ass plén., 24 janvier 2003, n° 00-41.741, publié (N° Lexbase : A7381A47).

Décisions

Cass. soc., 16 février 2011, n° 09-72.172, FS-P+B (N° Lexbase : A1576GXN)

Rejet, CA Colmar, ch. soc., sect. B, 20 octobre 2009

Textes visés : C. trav. art. L. 1233-16 (N° Lexbase : L1135H9W)

Cass. soc., 16 février 2011, n° 10-10.110, FS-P+B (N° Lexbase : A1621GXC)

Cassation, CA Rennes, 8ème ch. prud., 5 novembre 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 1233-3 (N° Lexbase : L8772IA7) et L. 1233-16 (N° Lexbase : L1135H9W)

Mots-clés : licenciement pour motif économique, lettre de licenciement, motivation, faits précis et matériellement vérifiables.

Liens base : (N° Lexbase : E9401ESY)

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