Jurisprudence : CE Référé, 09-07-2001, n° 235638

CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

Cette décision sera mentionnée dans les tables du Recueil Lebon

N° 235638

Préfet du Loiret

Ordonnance du 9 juillet 2001


REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE JUGE DES REFERES

Vu, enregistré le 5 juillet 2001, le recours présenté par le préfet du Loiret tendant à ce que le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat :

1/ annule l'ordonnance du 22 juin 2001 du président du tribunal administratif d'Orléans en tant qu'elle n'a pas entièrement fait droit à sa demande de suspension de l'arrêté du maire d'Orléans du 15 juin 2001 réglementant la circulation des mineurs de moins de 13 ans;

2/ suspende l'exécution de l'ensemble des dispositions de l'arrêté du 15 juin 2001 du maire d'Orléans ;

le préfet du Loiret soutient que l'ordonnance est entachée d'irrégularité dans la mesure où elle a omis de répondre au moyen tiré de l'inexactitude matérielle du motif de l'arrêté relatif à la part des mineurs dans la délinquance; que contrairement à ce qu'énonce l'arrêté municipal il n'est pas établi que les mineurs de 13 ans menacent gravement la tranquillité publique; que les statistiques font au contraire apparaître une très faible participation des mineurs à la délinquance ; que l'arrêté attaqué porte une atteinte excessive à la liberté de circulation; qu'à cet égard, il vise, non un comportement ou un mode d'utilisation de la voie publique, mais une catégorie de la population; qu'il ne saurait légalement être fondé sur un motif tiré de la protection des mineurs, sous peine de porter atteinte au libre exercice de l'autorité parentale; que l'article 2 de l'arrêté prévoyant une mesure d'exécution d'office est également illégal alors surtout que cette exécution suppose une vérification préalable de l'âge des mineurs et donc un contrôle ou un relevé d'identité ; que, l'arrêté portant sur la période du 15 juin au 15 septembre 2001, sa suspension présente un caractère d'urgence ;

Vu l'ordonnance attaquée, ensemble l'arrêté du maire d'Orléans en date du 15 juin 2001 ;

Vu, enregistré le 6 juillet 2001, le mémoire présenté pour la ville d'Orléans représentée par son maire en exercice qui conclut d'une part au rejet de l'appel du préfet du Loiret et d'autre part, par voie d'appel incident, à l'annulation de l'ordonnance du 22 juin 2001 du président du tribunal administratif d'Orléans en tant qu'elle a suspendu les effets de l'arrêté municipal du 15 juin 2001 dans le secteur situé entre la rue de Bourgogne et la Loire ; la ville d'Orléans conclut également à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 15 000 F au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que l'ordonnance attaquée par le préfet est suffisamment motivée ; que la réalité de l'importance de la délinquance juvénile dans les trois secteurs pour lesquels l'ordonnance a admis la légalité de l'arrêté municipal est établie ; que le nombre des actes de délinquance commis par les mineurs est en augmentation et que la part des mineurs dans la délinquance s'accroît ; que l'arrêté municipal n'a pas un caractère illégalement discriminatoire; que ni la liberté de circulation ni le principe de l'autorité parentale n'excluent que l'autorité compétente réglemente la circulation des mineurs au titre de la police administrative pour les prévenir contre eux-mêmes dès lors que la mesure satisfait à l'exigence de proportionnalité ; que ni l'intervention du juge des enfants ni celle du parquet ne sont exclusives de l'exercice d'un pouvoir de police administrative ; que d'ailleurs l'article 2 de l'arrêté municipal comporte une articulation avec les pouvoirs du procureur de la République et du juge des enfants ; qu'en ce qui concerne l'article 2 de l'arrêté municipal, il est conforme au régime de l'exécution forcée; que la reconduite au domicile des mineurs de moins de 13 ans n'est prévue qu'en cas d'urgence ; que l'appréciation par le juge administratif de la légalité d'un acte administratif ne dépend pas des conditions de son exécution ; que l'arrêté municipal n'est contraire à aucune disposition relative aux contrôles d'identité ; que s'agissant du secteur situé entre la rue de Bourgogne et la Loire, pour lequel l'ordonnance du 22 juin 2001 a suspendu l'arrêté municipal, la délinquance y est très importante et expose-les jeunes mineurs à des dangers ; que c'est à tort que l'ordonnance attaquée a retenu qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de cette partie de l'arrêté ;

Vu le code civil ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative et notamment son livre V ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le préfet du Loiret, d'autre part, la commune d'Orléans;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du samedi 7 juillet 2001 à 10 heures à laquelle ont été entendus :

- Me Odent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du préfet du Loiret ;

- Me Vier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune d'Orléans ;

- M. Florent Montillot, adjoint au maire d'Orléans, représentant la commune;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, telles qu'elles résultent de la loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, et reproduites aux articles L. 554-1 et L. 554-3 du code de justice administrative, lorsqu'il défère au tribunal administratif un acte qu'il estime contraire à la légalité  » ;

le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué (...). Lorsque l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, le président du tribunal administratif (...) en prononce la suspension dans les quarante-huit heures. La décision relative à la suspension est susceptible d'appel devant le Conseil d'Etat dans la quinzaine de sa notification. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat (...) statue dans un délai de quarante-huit heures »  ;

Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, le préfet du Loiret a demandé au président du tribunal administratif d'Orléans de suspendre l'exécution de l'arrêté du 15 juin 2001 par lequel le maire d'Orléans a interdit, pour la période du 15 juin au 15 septembre 2001, la circulation dans quatre secteurs délimités de cette ville, entre 23 heures et 6 heures, des mineurs de moins de treize ans non accompagnés d'une personne majeure ; que par l'article 1er de son ordonnance du 22 juin 2001 le président du tribunal administratif, statuant en référé, a suspendu l'exécution de l'arrêté du 15 juin en tant qu'il concernait le quatrième secteur délimité par l'arrêté et, par l'article 2, a rejeté les conclusions de suspension relatives aux trois autres secteurs ; que le préfet du Loiret fait appel de l'article 2 de cette ordonnance et demande la suspension de l'ensemble des dispositions de l'arrêté municipal ; que par voie d'appel incident, la commune d'Orléans demande l'annulation de l'article 1erde l'ordonnance du 22 juin 2001 et le rejet de l'ensemble des conclusions de suspension présentées par le préfet;

Considérant que selon son article 1er l'arrêté du maire d'Orléans est applicable du 15 juin au 15 septembre 2001, de 23 heures à 6 heures, dans une partie limitée de territoire de la commune et vise les mineurs de moins de treize ans non accompagnés d'une personne majeure ; que, selon l'article 2, un mineur en infraction avec ces dispositions pourra « ... en cas d'urgence (...) être reconduit à son domicile par les agents de la police nationale ou de la police municipale... » , lesquels « ... informeront sans délai le procureur de la République de tous les faits susceptibles de donner lieu à l'engagement de poursuites ou à la saisine du juge des enfants »  ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier ainsi que de l'audience tenue par le juge des référés du Conseil d'Etat qu'en édictant ces dispositions le maire a entendu essentiellement contribuer à la protection des mineurs de moins de treize ans contre les dangers auxquels ils sont tout particulièrement exposés aux heures et dans les lieux mentionnés à l'article 1er, et qui tiennent tant au risque d'être personnellement victimes d'actes de violence qu'à celui d'être mêlés, incités ou accoutumés à de tels actes ;

Considérant que ni l'article 371-2 du code civil selon lequel la santé, la sécurité et la moralité de l'enfant sont confiées par la loi à ses père et mère, qui ont à son égard, droit et devoir de garde, de surveillance et d'éducation, ni les articles 375 à 375-8 du même code selon lesquels l'autorité judiciaire peut, en cas de carence des parents, et si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur sont en danger, prononcer des mesures d'assistance éducative, ni, enfin, les pouvoirs généraux que les services de police peuvent exercer en tous lieux vis-à-vis des mineurs, ne font obstacle à ce que, pour contribuer à la protection des mineurs, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu'il tient des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales ;

Considérant toutefois que la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est subordonnée à la double condition qu'elles soient justifiées par l'existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées et qu'elles soient adaptées par leur contenu à l'objectif de protection pris en compte ;

En ce qui concerne l'appel principal du préfet du Loiret :

Considérant que les trois premiers secteurs délimités par l'arrêté municipal du 15 juin 2001 demeurent caractérisés ainsi que l'avait constaté le « contrat local de sécurité de l'agglomération orléanaise » signé le 22 mai 2000 par le représentant de l'Etat et les maires des communes intéressées, qui les avait qualifiés de « sensibles » par un taux de délinquance particulièrement élevé; que, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus l'arrêté du 15 juin 2001 a pour objectif principal la protection des mineurs de moins de treize ans, le fait qu'il ne serait pas établi que la délinquance imputable spécifiquement à ces mineurs serait plus élevée dans ces secteurs est sans incidence sur la légalité de l'arrêté; que les mesures prévues à l'article lel sont adaptées aux circonstances et ne sont pas excessives par rapport aux fins poursuivies ; que les dispositions de l'article 2 ne méconnaissent par elles-mêmes ni les dispositions du code de procédure pénale relatives aux contrôles d'identité ni, dès lors qu'elles ne sont applicables qu'en cas d'urgence, les règles de l'exécution forcée ; qu'elles peuvent permettre, indépendamment de l'information, qu'elles prévoient, de l'autorité judiciaire, d'appeler l'attention des parents sur les risques de toute nature que leurs enfants encourent en circulant la nuit dans ces secteurs ; qu'à cet égard elles poursuivent les mêmes fins que l'action confiée aux « correspondants de nuit » recrutés par la commune d'Orléans et chargés par elle de mener, dans ces quartiers, une action de sensibilisation des enfants et des familles distincte de l'activité des services de police ;

Considérant que de ce qui précède, il résulte que le préfet du Loiret n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par son article 2, l'ordonnance attaquée -qui est suffisamment motivée- a rejeté ses conclusions tendant à la suspension de celles des dispositions de l'arrêté du 15 juin 2001 qui sont relatives aux secteurs définis aux annexes I, II et III ;

En ce qui concerne l'appel incident de la commune d'Orléans :

Considérant qu'il n'est pas établi que dans le quatrième secteur délimité par l'arrêté municipal du 15 juin 2001 les mineurs de moins de treize ans soient exposés à des risques justifiant l'édiction de mesures restreignant leur liberté de circulation ; que d'ailleurs ce quartier n'a pas été qualifié de  » sensible »  par le contrat local de sécurité ; que le maire d'Orléans n'est dès lors pas fondé à soutenir que c'est à tort que par l'article 1er de son ordonnance, le président du tribunal administratif d'Orléans a suspendu pour ce secteur l'exécution de l'arrêté du 15 juin 2001 ;

Sur les conclusions de la commune d'Orléans tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de Justice administrative :

Considérant que, dans les circonstance de l'espèce, il n'y a pas lieu de condamner l'Etat à payer à la ville d'Orléans la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

ORDONNE:

Article 1er
: L'appel du préfet du Loiret et l'appel incident de la commune d'Orléans sont rejetés.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet du Loiret, au maire d'Orléans et au ministre de l'intérieur.

Fait à Paris, le 9 juillet 2001

Signé: D. Labetoulle

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

Le Secrétaire :

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