La lettre juridique n°428 du 17 février 2011 : Santé

[Jurisprudence] La preuve du harcèlement moral, sous le contrôle de la Cour de cassation

Réf. : Cass. soc., 25 janvier 2011, n° 09-42.766, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8506GQ4)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

le 18 Février 2011

Le contentieux du harcèlement moral continue de prospérer, en tous ses aspects : notion, définition, sanctions et spécialement, régime de la preuve. La Cour de cassation a eu récemment l'occasion de conforter sa jurisprudence relative à la charge de la preuve, telle qu'elle pèse à la fois sur le salarié et sur l'employeur. En effet, pour la Cour de cassation, il appartient à la cour d'appel de se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral (Cass. soc., 25 janvier 2011, n° 09-42.766, FS-P+B+R) (1). Il était reproché à la cour d'appel, en violation des articles L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) et L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K) du Code du travail, de se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral. Il incombe, ensuite, au juge d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause ne sont pas constitutives d'un harcèlement et justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (2). L'arrêt retient, également, l'attention, en ce qu'il se prononce sur le régime de la visite de reprise, puisque la Cour de cassation décide que l'initiative appartient à l'employeur. Le retard dans l'organisation de la visite de reprise est imputable à l'employeur lorsque le salarié l'a informé de son classement en invalidité deuxième catégorie et qu'ayant l'obligation de prendre l'initiative de faire procéder à une visite de reprise, l'employeur a juste invité le salarié à prendre rendez-vous auprès de la médecine du travail (3). Pour important que cet aspect de l'arrêt soit, l'attention est essentiellement portée sur la thématique du harcèlement et celle du régime de la preuve. Le droit positif et la jurisprudence ont établi un partage des rôles, entre le salarié, désormais tenu d'établir (et non plus seulement présenter) des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement (I) et l'employeur, à qui il incombe de prouver que les agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (II). La Chambre sociale exerce donc un contrôle sur la prise en compte par le juge du fond de l'ensemble des faits établis par le salarié, sur la qualification de présomption de harcèlement moral et sur les justifications de l'employeur. I - Mécanisme de la présomption de faits de harcèlement

A - Evolution législative du régime de la preuve, à la charge du salarié

La loi n° 2002-73 de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (N° Lexbase : L1304AW9) a adopté, en matière de harcèlement moral ou sexuel, le même mécanisme de la charge de la preuve qu'en matière de lutte contre les discriminations : le salarié qui s'estime victime de harcèlement moral ou sexuel doit présenter les éléments de fait laissant supposer un harcèlement. A la partie défenderesse, il incombe de prouver que les agissements incriminés ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (C. trav., anc. art. L. 122-52 N° Lexbase : L0584AZN) (4). Ce régime est aménagé par rapport au droit commun afin de prendre en compte la spécificité du harcèlement et la difficulté pour la victime d'en établir la preuve. Ce régime est, également, applicable au harcèlement sexuel. Certains travaux parlementaires (5) ont regretté que le régime finalement adopté à l'époque ait conduit à une inversion de la charge de la preuve au détriment du défendeur.

Le Conseil constitutionnel a assorti ce régime de la charge de la preuve de très strictes réserves d'interprétation dans sa décision du 12 janvier 2002 sur la loi de modernisation sociale (Cons. const., 12 janvier 2002, n° 2001-455 DC N° Lexbase : A7588AXC). Les dispositions des articles 158 et 169 de la loi ont aménagé la charge de la preuve en faveur des personnes qui s'estiment victimes d'un harcèlement moral ou sexuel. Or, pour le Conseil constitutionnel, il ressort des termes mêmes des dispositions critiquées que les règles de preuve dérogatoires qu'elles instaurent trouvent à s'appliquer "en cas de litige" : il s'ensuit que ces règles ne sont pas applicables en matière pénale et ne sauraient, en conséquence, avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte au principe de présomption d'innocence (cons. 84).

De plus, les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse instaurées par les dispositions critiquées ne sauraient, selon le Conseil constitutionnel, dispenser celle-ci d'établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu'elle présente au soutien de l'allégation selon laquelle la décision prise à son égard procéderait d'un harcèlement moral ou sexuel au travail. La partie défenderesse sera mise en mesure de s'expliquer sur les agissements qui lui sont reprochés et de prouver que sa décision est motivée des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. En cas de doute, il appartiendra au juge, pour forger sa conviction, d'ordonner toutes mesures d'instruction utiles à la résolution du litige (cons. 89).

Ces règles ont été aménagées par la loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003, dite loi "Fillon" (N° Lexbase : L9374A8P) (6). Il ne s'agit plus pour le salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement mais d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement (C. trav., art. L. 1154-1 N° Lexbase : L0747H9K) (7). Le législateur a voulu modifier ce régime pour rééquilibrer la charge de la preuve et prévenir ainsi certains recours manifestement abusifs.

En effet, cette nouvelle définition du régime de la charge de la preuve est conforme au droit européen. La Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 (N° Lexbase : L8030AUX), relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, qui considère le harcèlement comme une forme de discrimination, prévoit un aménagement de la charge de la preuve en faveur de la victime. Son article 8 prévoit, en effet, que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement.

Le nouveau régime de la preuve est, enfin, conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (supra). Par sa décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 sur la loi de modernisation sociale, le juge constitutionnel a donc indiqué que l'aménagement de la charge de la preuve prévue à l'article 169 de la loi du 17 janvier 2002 ne dispenserait pas le demandeur, devant le juge civil ou prud'homal, de présenter des éléments de présomption précis et concordants relatifs aux agissements allégués.

Enfin, le nouveau Code du travail a recodifié le dispositif (C. trav., art. L. 1154-1 N° Lexbase : L0747H9K) (8).

B - Appréciation contentieuse du mécanisme de présomption

La loi a évolué, renforçant l'obligation du salarié d'établir les faits laissant présumer un fait de harcèlement. La jurisprudence a suivi la voie ainsi tracée par le législateur, en plusieurs étapes.

Première étape. La Cour de cassation, en 2007 (9), a d'abord admis que les règles relatives à la charge de la preuve ne constituent pas des règles de procédure applicables aux instances en cours mais touchent le fond du droit, de sorte que le harcèlement moral allégué doit (en l'espèce) être examiné au regard des dispositions de l'article L. 122-52 du Code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 janvier 2003.

Deuxième étape. Ensuite et surtout, la Cour de cassation a laissé aux juges du fond une large marge d'appréciation quant à l'appréciation des faits. L'existence et la caractérisation d'un harcèlement relevaient, jusque-là et en principe, depuis un arrêt du 27 octobre 2004 (Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 04-41.008, F-P+B N° Lexbase : A7443DDZ) (10), du pouvoir souverain des juges du fond.

Ainsi, en 2007 (11), la Cour de cassation considérait qu'un arrêt rendu par les juges du fond n'a pas à être censuré dès lors que les juges du fond ont estimé que la décision de licenciement était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et, qu'ils ont, sur la demande de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice résultant d'agissements fautifs de harcèlement, retenu que les faits allégués n'étaient pas susceptibles de revêtir la qualification de harcèlement moral. Cette jurisprudence a été réaffirmée dans plusieurs arrêts (12).

En 2008 (13), la cour d'appel de Paris a relevé que les attestations produites aux débats par une salariée pour démontrer avoir été victime d'un harcèlement moral de son employeur à l'origine de sa maladie qui l'a rendue inapte à tout poste dans l'entreprise, s'appliquent uniquement pour la plupart à la qualité de son travail au service de celui-ci. Ces éléments sont de nature à établir à la fois l'importance de l'investissement de la salariée dans son travail, et à l'existence d'une relation professionnelle difficultueuse, voire conflictuelle, avec son employeur, elles ne permettent cependant pas d'en déduire un comportement fautif de celui-ci au sens, nécessairement, de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ).

Dans le même sens, la même cour d'appel de Paris a décidé, en 2008 (14), qu'il appartient à la salariée d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral. Cependant, ainsi que l'a exactement jugé le conseil de prud'hommes, la salariée n'a communiqué aucun élément en ce sens, quand bien même les échanges de courriers entre les parties démontrent des difficultés relationnelles entre elles, étant en outre observé que la salariée fait principalement état d'agissements de harcèlement moral de la part de l'épouse de l'employeur, qualité que n'avait pas cette dernière.

La Cour de cassation vérifie que les juges du fond n'ont pas inversé la charge de la preuve. Un arrêt du 9 octobre 2007 (15) approuve une cour d'appel qui, pour décider que l'existence d'un harcèlement moral n'était pas établie, a retenu que l'employeur rapportait la preuve d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral expliquant les retards dans les paiements de salaire et les changements d'horaires et que des propos injurieux n'avaient été tenus qu'une fois.

Troisième étape. Dans un contexte de montée des situations de souffrance au travail et leurs conséquences parfois gravissimes, la Cour de cassation a, finalement, infléchi sa jurisprudence et a décidé de renforcer la nature de son contrôle, d'harmoniser les pratiques des différentes cours d'appel et de préciser les règles qui conduisent la charge de la preuve. Par quatre arrêts rendus le 24 septembre 2008 (16), la Cour de cassation a décidé d'exercer un contrôle de qualification. Désormais, elle devra trouver dans les arrêts les motifs nécessaires à lui permettre de contrôler que le salarié a rapporté la preuve de faits et que ces faits qui doivent être appréhendés par le juge dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence du harcèlement allégué. La Cour de cassation a précisé sa doctrine dans son rapport annuel de 2008 (17).

En 2009 (18), la Cour de cassation a ainsi décidé qu'appréciant la valeur des éléments qui lui étaient soumis, la cour d'appel a constaté que les attestations produites par la salariée ne relataient pas les agissements dont elle disait avoir été victime et que le certificat médical versé aux débats ne faisait que reprendre ses propos sur l'origine de l'affection médicalement constatée. Elle a pu en déduire, sans méconnaître les règles de preuve applicables en la matière, que la salariée n'établissait pas la matérialité d'éléments de fait précis et concordants pouvant laisser présumer l'existence d'un harcèlement.

De même, en 2010 (19), la Cour de cassation a relevé qu'appréciant la valeur et la portée de l'ensemble des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a relevé que le salarié n'avait pas été personnellement victime d'une dégradation de ses conditions de travail à la suite des agissements du chef de bureau subis par un autre salarié, de sorte qu'il n'était pas fondé à se prévaloir d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat en matière de harcèlement moral.

Enfin, en 2011 (20), la Cour de cassation a précisé que le fait que la salariée qui a été mise à l'écart de ses collègues au sein de l'entreprise et subissait des humiliations, agissements ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail permet de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Quatrième étape. La Cour de cassation a précisé, en 2010 (21), qu'une salariée n'est tenue que d'apporter des éléments qui permettent de présumer de l'existence d'un harcèlement moral. En l'espèce, une salariée a produit, à l'appui de ses allégations de harcèlement moral, une attestation rapportant que lors de l'entretien préalable la salariée a déclaré que "depuis quelque temps ça n'allait plus au sein de l'établissement" et indiquant l'avoir vue pleurer sur son lieu de travail, un certificat d'un médecin, qu'elle consulte depuis septembre 2004, selon lequel elle a dit être l'objet de conflits socioprofessionnels, un bulletin d'hospitalisation à compter du 15 novembre 2004 et des prescriptions de médicaments pour la période du 5 novembre 2004 au 10 septembre 2007. A tort, les juges du fond en ont déduit qu'elle n'établit pas l'existence de faits répétés permettant de présumer l'existence d'un harcèlement.

Mais ce mécanisme de présomption, instauré au profit de la victime d'un acte de harcèlement, s'articule avec l'obligation, à la charge de l'employeur, d'apporter la preuve contraire.

II - Le mécanisme de présomption est combiné avec l'obligation, à la charge de l'employeur, d'apporter la preuve contraire

A - Obligation légale, pour l'employeur, d'apporter la preuve contraire

La loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003, portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques (art. 4, supra), a modifié le régime de la preuve : au vu des éléments de fait établis par le salarié (mécanisme de présomption), il incombe au défendeur (l'employeur) de prouver que les agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (C. trav., art. L. 1154-1 N° Lexbase : L0747H9K).

Le droit européen (Accord-cadre européen sur le harcèlement et la violence au travail, 26 avril 2007) (22) retient la même solution. Selon ce texte, la procédure en question doit prendre en considération les éléments suivants, dont la liste n'est pas limitative : il est dans l'intérêt de toutes les parties d'agir avec la discrétion nécessaire pour préserver la dignité et l'intimité de chacun ; aucune information ne doit être divulguée aux parties qui ne sont pas impliquées dans l'affaire ; les plaintes sont examinées et traitées sans délai injustifié ; toutes les parties impliquées doivent être entendues de manière impartiale et bénéficier d'un traitement équitable ; les plaintes doivent être étayées par des informations détaillées ; les fausses accusations ne sont pas tolérées et leurs auteurs s'exposent à des mesures disciplinaires ; une assistance externe peut s'avérer utile. Ces dispositions ont, d'ailleurs, été reprises en droit interne par l'accord national interprofessionnel sur le harcèlement et la violence au travail du 26 mars 2010 (arrêté du 23 juillet 2010 portant extension d'un accord national interprofessionnel sur le harcèlement et la violence au travail N° Lexbase : L9690IMT).

B - La Cour de cassation contrôle les justifications avancées par les employeurs

En 2008 (23), la Cour de cassation a estimé que, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. En l'espèce, la cour d'appel a pu ainsi relever que chacune des mesures invoquées par la salariée était justifiée par la situation économique de l'entreprise et la nécessité de sa réorganisation.

En 2009 (24), la Cour de cassation a relevé que si les justifications de l'employeur sont convaincantes, le juge écartera la qualification de harcèlement moral. Après avoir écarté en l'état des éléments qui lui étaient soumis, tout ton blessant ou humiliant de la part de l'employeur, la cour d'appel a retenu que la gestion du bar entrait dans les attributions de la salariée ; il lui appartenait de répondre au téléphone ; l'arbitrage des tournois du vendredi était habituellement confié à des bénévoles et c'était en raison de son état de santé que Mme C. n'avait plus été payée par virement mais par chèque. Les juges du fond en ont déduit que les agissements de l'employeur étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Dans le même sens, la Cour de cassation a confirmé, en 2009 (25), cette nécessité, pour l'employeur, d'apporter des éléments de preuve. Les reproches et avertissement adressés au salarié et les conditions d'exécution de son travail constatées dans l'arrêt étaient de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement, en sorte qu'il revenait à l'employeur d'établir que ses agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Pour débouter le salarié de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement, une cour d'appel a retenu que les courriels du salarié n'étaient pas de nature à établir ses propres allégations ou à fournir des éléments propres à les compléter et que le harcèlement n'était pas prouvé. Mais pour la Cour de cassation (26), dès lors que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement. En faisant peser la charge de la preuve sur le salarié, la cour d'appel a violé l'art. L. 1154-1 du Code du travail.

Conformément à sa jurisprudence, la Cour de cassation a jugé, en 2011 (27), qu'un salarié se prévalant d'un ensemble de faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral pour avoir été destinataire d'un propos blessant, avoir été laissé sans activité par son employeur pendant plusieurs mois et avoir fait l'objet d'une procédure de licenciement par la suite abandonnée devant le refus de l'administration d'accorder son autorisation, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Si l'existence de faits laisse présumer un harcèlement, il appartient à l'employeur de prouver qu'ils n'étaient pas constitutifs d'un harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (28).

En l'espèce (arrêt rapporté), la Cour de cassation s'inscrit dans la continuité de sa jurisprudence. Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, le juge doit apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il appartenait aux juges du fond de se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral.


(1) En l'espèce, ayant fait l'objet de plusieurs arrêts de travail pour maladie, la salariée a été mise en invalidité deuxième catégorie à compter du 1er juin 2005, ce dont elle a informé l'employeur. Ce dernier l'a invitée, le 29 juin 2005, à prendre rendez-vous auprès de la médecine du travail. Après avoir mis en demeure son employeur d'organiser les visites de reprise, la salariée a été déclarée inapte, à l'issue de deux visites médicales, à tout poste dans l'entreprise puis licenciée. Elle a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes, notamment au titre d'un harcèlement moral. La cour d'appel a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts, estimant que l'essentiel des pièces produites concerne de multiples courriers que cette dernière a écrit à son employeur, aux membres du CHSCT, à l'inspection du travail, dans lesquels elle dénonce les moindres décisions, les réponses, les remarques de sa hiérarchie tant sur le fonctionnement de l'établissement que sur les points qui la concernent personnellement. Les attestations, les avis d'arrêt de travail ne permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement quant aux faits évoqués (propos menaçants, discrédit sur son travail). Le retrait des moyens nécessaires à l'exécution de son travail tels que le choix d'un dentiste plus proche de l'établissement, la permutation des locaux d'infirmerie, le changement de clés du secrétariat ne pouvait être retenu, ces décisions ayant été prises en accord avec la DDASS. Par ailleurs, les demandes de régularisation des attestations de soins ressortant du pouvoir de direction de l'employeur, ne laissent présumer un quelconque harcèlement.
(2) Sur la preuve du harcèlement moral, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" ; voir Harcèlement moral ? Prouvez-le ! - Questions à Isabelle Boukhris, avocate associé du cabinet LEKS, Lexbase Hebdo n° 341 du 12 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7743BIM).
(3) Sur la constatation de l'inaptitude par l'autorité compétente, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E3271ETC).
(4) C. trav., art. L. 122-52 (N° Lexbase : L0584AZN), Créé par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 (N° Lexbase : L1304AW9) (art. 169) : "[...] le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".
(5) Sénat, Rapport, A. Gournac, au nom de la commission des affaires sociales, n° 92 (2002-2003), 11 décembre 2002 ; V. aussi J.-E. Ray, Harcèlements immoraux, Liaisons sociales Magazine, mai 2002, p. 56.
(6) Assemblée nationale, Rapport de D. Dord, au nom de la commission des affaires culturelles, n° 386, 26 novembre 2002 ; Sénat, Rapport A. Gournac, au nom de la commission des affaires sociales, n° 92 (2002-2003), 11 décembre 2002 ; Assemblée nationale, Rapport J.-M. Dubernard, au nom de la commission mixte paritaire, n° 509 ; Sénat, Rapport de M. Alain Gournac, au nom de la commission mixte paritaire, n° 105 (2002-2003).
(7) C. trav., art. L 122-52, modifié par la loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 (art. 4) : "[...] dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".
(8) C. trav., art. L. 1154-1 : "[...] ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".
(9) Cass. soc., 13 décembre 2007, n° 06-44.080, FS-P+B (N° Lexbase : A0815D3L).
(10) Bull. 2004, V, n° 267. V. J.-Y. Frouin, Sur le contrôle par la Cour de cassation de la qualification juridique de harcèlement moral, RJS 2005, p. 671 ; Cour de cassation, Rapport annuel, 2004, p. 215, édition La documentation française. Il n'appartient qu'aux juges du fond d'apprécier souverainement si les faits qu'ils constatent sont constitutifs d'un harcèlement moral. La Cour de cassation n'exerce qu'un contrôle de motivation au regard de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L6565H7B).
(11) Cass. soc., 13 décembre 2007, n° 06-44.080, FS-P+B, préc..
(12) Cass. soc., 23 novembre 2005, n° 04-41.649 (N° Lexbase : A7585DLI), Bull. civ. V, n° 334 ; Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-43.029, F-D (N° Lexbase : A5927DY8).
(13) CA Paris, 18ème ch., 4 novembre 2008, n° 06/12144 (N° Lexbase : A2733EBT).
(14) CA Paris, 21ème ch., sect. C, 1er juillet 2008, n° 06/08469 (N° Lexbase : A7867D9A).
(15) Cass. soc., 9 octobre 2007, n° 06-42.350, F-D (N° Lexbase : A7443DYC).
(16) Cass. soc., 24 septembre 2008, quatre arrêts FS-P+B+R+I, n° 06-45.747 (N° Lexbase : A4540EAE), n° 06-46.517 (N° Lexbase : A4541EAG), n° 06-43.504 (N° Lexbase : A4538EAC) et n° 06-45.747 (N° Lexbase : A4540EAE) ; Cass. soc., 30 janvier 2008, n° 06-43.579, F-D (N° Lexbase : A6062D4B) ; Bull. civ. V, n° 175 et lire les obs. de Ch. Radé, Principe à travail égal, salaire égal, égalité de traitement, non-discrimination et harcèlement : la Cour de cassation reprend la main, Lexbase Hebdo n° 321 du 9 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3848BHY).
(17) La Chambre sociale a rejeté le pourvoi n° 06-46.517 formé contre un arrêt ayant jugé que le harcèlement sexuel reproché au salarié avait été établi, et, dans les pourvois n° 06-45.747 et n° 06-45.794 elle censure, au contraire, faute de disposer des éléments suffisants à l'exercice de son contrôle, la cour d'appel qui s'était bornée à décider, dans un motif général, que les pièces produites par la salariée ne permettaient pas de faire présumer le harcèlement allégué. Elle adopte la même solution à propos du pourvoi n° 06-45.579, faute pour le juge du fond d'avoir pris en compte l'ensemble des faits évoqués par la salariée et recherché si, ainsi appréhendés dans leur globalité, ces faits ne permettaient pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Enfin, dans la dernière affaire, elle rejette cette fois le recours dès lors que l'arrêt constate (souverainement cette fois) que les faits invoqués se trouvaient justifiés par la situation économique de l'entreprise et la nécessité de la restructurer. V. A. Martinel, Harcèlement moral et contrôle de la Cour de cassation, SSL, n° 1368, 29 septembre 2008.
(18) Cass. soc., 31 mars 2009, n° 07-45.264, F-D (N° Lexbase : A5166EE3). V. H. Gosselin, Harcèlement moral : la nouvelle donne, SSL, n° 1417 du 19 octobre 2009.
(19) Cass. soc., 20 octobre 2010, n° 08-19.748, FS-P+B (N° Lexbase : A4140GCC) et voir les obs. de Ch. Radé, Harcèlement et inégalité salariale : la Cour de cassation plus exigeante sur les éléments pertinents à fournir par le demandeur, Lexbase Hebdo n° 415 du 4 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4485BQ8).
(20) Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-42.481, F-D (N° Lexbase : A2801GQS).
(21) Cass. soc., 10 novembre 2010, n° 08-44.661, F-D (N° Lexbase : A8968GGA).
(22) Voir les obs. de S. Martin-Cuenot, Harcèlement et violence au travail : conclusion d'un accord cadre européen, Lexbase Hebdo n° 259 du 10 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0430BBK).
(23) Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-43.504, FS-P+B+R+I, préc., Bull. civ. V, n° 175.
(24) Cass. soc., 31 mars 2009, n° 08-40.041, F-D (N° Lexbase : A5299EEY).
(25) Cass. soc., 27 mai 2009, n° 07-43.112, F-D (N° Lexbase : A3769EH3).
(26) Cass. soc., 7 juillet 2009, n° 07-45.632, F-D (N° Lexbase : A7239EIX).
(27) Cass. soc., 2 février 2011, n° 09-66.781, F-D (N° Lexbase : A3544GRP).
(28) Cass. soc., 6 janvier 2011, n° 08-43.279, F-D (N° Lexbase : A9639GPP).

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