Jurisprudence : CJCE, 10-05-1995, aff. C-384/93, Alpine Investments BV c/ Minister van Financiën

CJCE, 10-05-1995, aff. C-384/93, Alpine Investments BV c/ Minister van Financiën

A1645AWT

Référence

CJCE, 10-05-1995, aff. C-384/93, Alpine Investments BV c/ Minister van Financiën. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1008006-cjce-10051995-aff-c38493-alpine-investments-bv-c-minister-van-financien
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Cour de justice des Communautés européennes

10 mai 1995

Affaire n°C-384/93

Alpine Investments BV
c/
Minister van Financiën



61993J0384

Arrêt de la Cour
du 10 mai 1995.

Alpine Investments BV contre Minister van Financiën.

Demande de décision préjudicielle: College van Beroep voor het Bedrijfsleven - Pays-Bas.

Libre prestation des services - Article 59 du traité CEE - Interdiction du démarchage par téléphone pour des services financiers.

Affaire C-384/93.

Recueil de Jurisprudence 1995 page I-1141

1. Libre prestation des services ° Dispositions du traité ° Champ d'application ° Services offerts par téléphone à des destinataires potentiels dans d'autres États membres ° Inclusion

(Traité CEE, art. 59)

2. Libre prestation des services ° Dispositions du traité ° Champ d'application ° Services fournis d'un État membre à un autre sans déplacement du prestataire ° Inclusion

(Traité CEE, art. 59)

3. Libre prestation des services ° Restrictions ° Interdiction ° Portée ° Mesures indistinctement applicables dans l'État membre d'établissement du prestataire ° Inclusion

(Traité CEE, art. 59)

4. Libre prestation des services ° Restrictions ° Notion ° Interdiction du démarchage téléphonique de clients potentiels dans d'autres États membres ° Inclusion

(Traité CEE, art. 59)

5. Libre prestation des services ° Restrictions ° Interdiction du démarchage téléphonique transfrontalier pour des services liés à l'investissement dans les contrats à terme de marchandises ° Justification par des raisons d'intérêt général ° Maintien de la bonne réputation du secteur financier de l'État membre édictant l'interdiction ° Caractère proportionné de l'interdiction ° Admissibilité

(Traité CEE, art. 59)

1. L'application des dispositions en matière de libre prestation de services n'est pas subordonnée à l'existence préalable d'une relation entre un prestataire et un destinataire déterminé. L'article 59 du traité doit dès lors être interprété en ce sens qu'il s'applique à des offres de services d'un prestataire faites par téléphone à des destinataires potentiels établis dans d'autres États membres.

2. L'article 59 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'applique aux services qu'un prestataire fournit sans se déplacer à partir de l'État membre dans lequel il est établi à des destinataires établis dans d'autres États membres.

3. L'article 59 du traité concerne non seulement les restrictions établies par l'État d'accueil, mais aussi celles établies par l'État d'origine, même si elles sont des mesures d'application générale, ne sont pas discriminatoires et n'ont pas pour objet ou pour effet de procurer au marché national un avantage par rapport aux prestataires de services d'autres États membres.

4. L'interdiction de prendre contact par téléphone avec des clients potentiels se trouvant dans un autre État membre sans leur consentement préalable est susceptible de constituer une restriction à la libre prestation des services étant donné qu'elle prive les opérateurs concernés d'une technique rapide et directe de publicité et de prise de contact.

5. L'interdiction faite dans un État membre aux intermédiaires financiers qui y sont établis de prendre contact par téléphone avec des clients potentiels se trouvant dans un autre État membre sans leur consentement préalable pour leur proposer des services liés à l'investissement dans des contrats à terme de marchandises constitue une restriction à la libre prestation des services, mais est justifiée par la raison impérieuse d'intérêt général que constitue le maintien de la bonne réputation du secteur financier national. Le bon fonctionnement des marchés financiers est, en effet, largement tributaire de la confiance qu'ils inspirent aux investisseurs, laquelle est notamment conditionnée par l'existence d'une réglementation professionnelle visant à assurer la compétence et la loyauté des intermédiaires financiers. Or, en soustrayant les investisseurs à un mode de démarchage les prenant généralement au dépourvu, l'interdiction du "cold calling" sur un marché aussi spéculatif que celui des contrats à terme de marchandises vise à assurer l'intégrité du secteur financier national.

L'État membre à partir duquel est donné l'appel téléphonique non sollicité étant le mieux placé pour réglementer le démarchage de clients potentiels se trouvant dans un autre État membre, il ne saurait lui être reproché de ne pas laisser ce soin à l'État membre du destinataire. De plus, la restriction en cause ne saurait être considérée comme excessive, l'interdiction étant limitée au marché sur lequel ont été constatés des abus et à un seul des modes possibles d'approche de la clientèle.

Dans l'affaire C-384/93,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par le College van Beroep voor het Bedrijfsleven et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Alpine Investments BV

Minister van Financiën,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 59 du traité CEE,

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, F. A. Schockweiler, P. J. G. Kapteyn et C. Gulmann, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, J. L. Murray, D. A. O. Edward (rapporteur) et J.-P. Puissochet, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

° pour Alpine Investments BV, par Mes G. van der Wal et W. B. J. van Overbeek, avocats près le Hoge Raad der Nederlanden,

° pour le gouvernement néerlandais, par M. A. Bos, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

° pour le gouvernement hellénique, par M. V. Kontolaimos, conseiller juridique adjoint au Conseil juridique de l'État, et Mme V. Pelekou, mandataire judiciaire au Conseil juridique de l'État, en qualité d'agents,

° pour le gouvernement du Royaume-Uni, par MM. J. D. Colahan, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d'agent, et P. Duffy, barrister,

° pour la Commission des Communautés européennes, par MM. B. Smulders et P. van Nuffel, membres du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales d'Alpine Investments BV, du gouvernement néerlandais, représenté par M. J. S. van den Oosterkamp, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement belge, représenté par M. J. Devadder, directeur d'administration au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, du gouvernement hellénique, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. C. Vajda, barrister, et de la Commission des Communautés européennes à l'audience du 29 novembre 1994,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 26 janvier 1995,

rend le présent

Arrêt

1 Par ordonnance du 28 avril 1993, parvenue à la Cour le 6 août suivant, le College van Beroep voor het Bedrijfsleven (ci-après le "College van Beroep") a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles portant sur l'interprétation de l'article 59 du même traité.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un recours introduit par Alpine Investments BV contre l'interdiction que lui avait faite le ministère des Finances néerlandais de contacter des particuliers par téléphone sans leur consentement préalable écrit afin de leur proposer divers services financiers (pratique dite du "cold calling").

3 Alpine Investments BV, demanderesse au principal (ci-après "Alpine Investments"), est une société de droit néerlandais établie aux Pays-Bas, qui est spécialisée dans les contrats à terme de marchandises.

4 Les parties à un contrat à terme de marchandises s'engagent à acheter ou à vendre une certaine quantité de marchandises d'une qualité déterminée à un prix et à une date fixés au moment de la conclusion du contrat. Elles n'ont toutefois pas l'intention de prendre réception ou de livrer effectivement des marchandises, mais contractent uniquement dans l'espoir de profiter des fluctuations de prix entre le moment de la conclusion du contrat et le mois de la livraison, ce qui est possible en effectuant sur le marché à terme, avant le début du mois de livraison, l'opération inverse de la première transaction.

5 Alpine Investments offre trois types de services en matière de contrats à terme de marchandises: la gestion de portefeuilles, le conseil en placements et la transmission d'ordres des clients à des commissionnaires opérant sur des marchés à terme de marchandises situés tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Communauté. Elle aurait des clients non seulement aux Pays-Bas, mais également en Belgique, en France et au Royaume-Uni. Toutefois, elle ne disposerait d'aucun établissement en dehors des Pays-Bas.

6 A l'époque des faits au principal, les services financiers étaient soumis aux Pays-Bas à la Wet Effectenhandel du 30 octobre 1985 (loi sur le commerce des valeurs mobilières, ci-après la "WEH"). L'article 6, paragraphe 1, de cette loi interdisait à toute personne de servir d'intermédiaire dans des transactions portant sur des valeurs mobilières sans disposer d'une autorisation. L'article 8, paragraphe 1, permettait au ministre des Finances d'accorder, dans des circonstances particulières, une dérogation à cette interdiction. Toutefois, aux termes du paragraphe 2 de l'article 8, la dérogation pouvait "être soumise à des restrictions et assortie de prescriptions afin de combattre les évolutions indésirables dans le commerce des valeurs mobilières".

7 Le 6 septembre 1991, le ministre des Finances, défendeur au principal, a accordé à Alpine Investments une dérogation pour placer des ordres auprès d'un commissionnaire déterminé, Merill Lynch Inc. La dérogation précisait que Alpine Investments devrait se conformer à toutes les règles susceptibles d'être édictées par le ministre des Finances dans un proche avenir en ce qui concerne ses contacts avec des clients potentiels.

8 Le 1er octobre 1991, le ministre des Finances a décidé d'interdire de manière générale aux intermédiaires financiers proposant des placements dans le commerce à terme et hors bourse de marchandises de contacter des clients potentiels par "cold calling".

9 Selon le gouvernement néerlandais, cette décision a été prise à la suite des nombreuses plaintes que le ministre des Finances avait reçues, au cours de l'année 1991, d'investisseurs qui avaient fait des placements malheureux dans ce domaine. Comme ces plaintes émanaient pour partie d'investisseurs établis dans d'autres États membres, il aurait étendu l'interdiction aux services offerts dans d'autres États à partir des Pays-Bas dans le souci de préserver la réputation du secteur financier néerlandais.

10 C'est dans ces conditions que, le 12 novembre 1991, le ministre des Finances a interdit à Alpine Investments de se mettre en relation avec des clients potentiels par téléphone ou en personne, sauf si ceux-ci avaient au préalable fait savoir, explicitement et par écrit, qu'ils l'autorisaient à prendre contact avec eux de cette manière.

11 Alpine Investments a introduit une réclamation contre la décision du ministre lui interdisant de pratiquer le "cold calling". Par la suite, sa dérogation ayant été remplacée, le 14 janvier 1992, par une autre dérogation lui permettant de placer des ordres chez un autre commissionnaire, Rodham et Renshaw Inc., qui était également assortie de l'interdiction de pratiquer le "cold calling", elle a introduit une nouvelle réclamation le 13 février 1992.

12 Par décision du 29 avril 1992, le ministre des Finances a rejeté la réclamation d'Alpine Investments. Le 26 mai suivant, Alpine Investments a formé un recours devant le College van Beroep.

13 Alpine Investments ayant notamment fait valoir que l'interdiction du "cold calling" était incompatible avec l'article 59 du traité dans la mesure où elle concernait des clients potentiels établis dans des États membres autres que les Pays-Bas, le College van Beroep a soumis à la Cour plusieurs questions portant sur l'interprétation de cette disposition:

"1) La disposition de l'article 59 du traité CEE doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle vise également les prestations de services que le prestataire de services offre par téléphone à partir de l'État membre dans lequel il est établi à des clients (potentiels) établis dans un autre État membre et exécute aussi ensuite à partir de cet État membre?

2) Les dispositions de l'article précité visent-elles également les conditions et/ou restrictions qui régissent dans l'État membre dans lequel le prestataire de services est établi l'exercice légal de l'activité professionnelle concernée ou l'exploitation légale de l'entreprise concernée, mais qui ne s'appliquent pas ou, du moins, pas selon les mêmes modalités et dans la même mesure à l'exercice de l'activité professionnelle précitée ou à l'exploitation de l'entreprise précitée dans l'État membre dans lequel les destinataires (potentiels) de la prestation de services en cause sont établis, et qui sont par conséquent susceptibles de constituer pour le prestataire de services, dans le cadre de l'offre de services à des clients (potentiels) établis dans un autre État membre, des entraves qui ne s'appliquent pas à ceux qui assurent des prestations de services similaires et sont établis dans cet autre État membre?

En cas de réponse affirmative à la question sous 2):

3) a) Les intérêts de la protection du consommateur et de la protection de la réputation des prestations de services financiers aux Pays-Bas, qui sont à la base d'une disposition visant à lutter contre des évolutions fâcheuses dans le commerce des valeurs mobilières, peuvent-ils être considérés comme des raisons impératives d'intérêt général, justifiant une entrave telle que visée dans la question précédente?

b) Une disposition d'une dérogation, qui interdit ce qu'il est convenu d'appeler le "cold calling", doit-elle être considérée comme étant objectivement nécessaire pour protéger les intérêts précités et proportionnée au but poursuivi?"

14 Il y a lieu d'observer, à titre liminaire, que, à supposer qu'elle soit applicable aux transactions sur les marchés à terme de marchandises, la directive 93/22/CEE du Conseil, du 10 mai 1993, concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières (JO L 141, p. 27), est postérieure aux faits du litige au principal. Par ailleurs, la directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (JO L 372, p. 31), ne s'applique ni aux contrats conclus par téléphone ni aux contrats relatifs aux valeurs mobilières [article 3, paragraphe 2, sous e)].

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