La lettre juridique n°395 du 20 mai 2010

La lettre juridique - Édition n°395

Éditorial

Amiante : qu'importe la perte de rémunération pourvu que l'on soit anxieux !

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


On ne sait, aujourd'hui, si la Cour de cassation, dans son arrêt du 11 mai 2010, consacrant le préjudice d'anxiété, à défaut de consacrer le préjudice économique, en faveur de plusieurs salariés ayant été exposés à l'amiante, a eu du flair, mais quel formidable pied de nez : s'engouffrez dans le risque psychanalytique, plutôt que de reconnaître que les victimes de l'amiante, même bénéficiant de l'allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA), subissent, nécessairement -sinon c'est "marche ou crève"-, une perte de chance de mener une carrière normale jusqu'à son terme, relève d'une voie d'indemnisation, pour le moins, étrange. A moins qu'il ne s'agisse, tout simplement, de consacrer, in abstracto, le préjudice d'anxiété dans le cadre global de l'obligation de sécurité de résultat : auquel cas, le ciel vient, sans doute, de tomber sur la tête de nos entreprises gauloises !

Ah ! Avec une masse volumique de 1 400 kg/m3, une conductivité thermique de 0,168 W/(m.K) et une chaleur massique de 1045 J/(kg.K), l'amiante, excellent matériau d'isolation thermique ignifuge, avait tout pour plaire... Même ses noms scientifiques (chrysotile pour l'amiante blanc et crocidolite pour le bleu) sonnaient bien à notre oreille : on n'y décelait pas les oripeaux de l'amanite tue mouche, au nom si évocateur... Pire, malgré de charmants sobriquets comme asbestos, "indestructible" en grec ancien, et "laine de salamandre" -eu égard aux croyances populaires faisant de la salamandre un être incombustible vivant dans le feu-, l'amiante brûle notre quotidien comme une splendide "tunique de Nessus" !

Remplacez l'Amour promis par le centaure agonisant, par une isolation -à moindre coût, parce que le flocage sans amiante est possible depuis 1951, mais à moindre rendement- (presque) parfaite, et c'est le même poison qui vous brûle... Exception faite que, dans le mythe gréco-romain, non seulement Nessus, mais aussi Déjanire offrant la tunique empoisonnée à son mari, et Héraclès, lui-même, brûlant sous l'effet du poison de l'Hydre de Lerne, connaissent une fin des plus tragiques. Point de tout cela concernant l'amiante : il est décrété hors la loi et mis à l'Index en 1997 ; les victimes sont, progressivement mais sûrement, atteintes de fibroses pulmonaires, de cancers broncho-pulmonaires, de cancers de la plèvre et de cancers des voies digestives ; mais, pour les entreprises ayant soumis leurs salariés à la fibre minérale, outre la réparation d'un préjudice certain lorsque l'infection est avérée, on se contentera d'une "demi-mesure", le versement d'indemnités au titre du préjudice d'anxiété lorsque ces salariés souhaitent exercer une sorte de "droit de retrait" et bénéficier de l'ACAATA -au nom si évocateur-.

Bon, ce n'est pas comme si le premier rapport dénonçant la forte mortalité des ouvriers dans les filatures et dans les usines de tissage d'amiante datait de 1906 et que l'amiante figurait au tableau de maladies professionnelles depuis 1945... Et puis, la première mobilisation contre l'utilisation de l'amiante ne date que de 1975 -déjà au sujet des bâtiments de l'Université de Jussieu-. Non ! Il faut du temps pour reconnaître un "drame" de Santé publique, et pour que tous les acteurs économiques en prennent conscience : 100 000 morts en France d'ici à 2025, selon l'Inserm, sans compter les riverains de roches amiantifères, même si l'exposition est faible selon l'InVS. Les parlementaires sont plus rassurants au demeurant : 35 000 décès survenus entre 1965 et 1995 seraient dus à des expositions aux fibres d'amiante et quelques dizaines de milliers de décès sont prévus entre 2005 et 2030...

Il ne fait guère de doute que les salariés en cause "se trouvent par le fait de l'employeur dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et [sont] amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse", dixit la Cour de cassation. Une inquiétude permanente ? Des vertiges, des nausées, des palpitations, des difficultés à respirer, une contrition de la poitrine, une forte transpiration ? Allez ! L'amiante est anxiogène : qui l'eut cru ? Jusqu'au "raptus anxieux" ? Qui sait ? Pour la psychanalyse, l'anxiété est à distinguer de l'angoisse dont la nature doit être investiguée dans le cadre d'entretiens psychanalytiques afin d'en établir sa fonction intrapsychique pour l'éclairer du point de vue de la conscience et la dépasser dans une cure. Ouf ! Nous sommes sauvés : à l'heure où certains philosophes déboulonnent Freud (lire Le crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne de Michel Onfray), estimant que la psychanalyse ne peut être considérée comme une science, mais relève tout au plus d'une philosophie, comme universalisation de l'expérience personnelle de son initiateur autrichien), il convenait de ne pas laisser Psyché (l'âme) envahir le Quai de l'Horloge, au risque que l'on -essentiellement les entreprises- en perde la boussole... Point de préjudice d'angoisse, donc ! Benzodiazépines, buspirone, captodiame, méprobamate, hydroxyzine, étifoxine feront bien l'affaire. On n'obligera pas, en principe, les entreprises à rembourser les séances de psychanalyse (nécessairement forts coûteuses selon Freud) de leurs salariés anxieux pour des motifs (que seule une analyse pourrait déterminer, d'ailleurs) professionnels ; mais, on comprend, dès lors, que le terrain est glissant. Pourtant, la Haute juridiction semble s'y engouffrer.

"L'anxiété, c'est un conseil d'agenouillement" nous livre Victor Hugo dans Les travailleurs de la mer. La Cour régulatrice plie-t-elle, alors, un genou faisant allégeance à la douleur liée à l'anticipation d'une maladie considérée comme certaine et incurable en reconnaissant ce préjudice d'anxiété ou faisant allégeance à l'impossible indemnisation de ces milliers de travailleurs démissionnaires privés d'une carrière professionnelle normale, faute, certainement, pour les juges du fond de pouvoir déterminer véritablement le quantum ?

"Le scepticisme est l'élégance de l'anxiété" promulgue Cioran dans Syllogismes de l'amertume. Alors, anxieux nous sommes, car sceptiques devant la reconnaissante d'une obligation de sécurité de résultat obligeant les entreprises à indemniser, non plus le harcèlement sexuel, le harcèlement moral, les discriminations ou le non -respect de l'interdiction globale de fumer dans les locaux... mais, désormais, la (seule) anxiété du salarié... Sceptiques nous sommes devant l'incompréhension d'un juge de cassation qui estime que la seule allocation de cessation anticipée d'activité et l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété (présomption simple ou irréfragable ?) suffisent à reconstituer la rémunération perdue des travailleurs de la fibre d'or sans doute inhalée...

"L'indécision, l'anxiété sont à l'esprit et à l'âme ce que la question est au corps" conclut, pour nous, Chamfort : le tribunal de l'Inquisition, pour sauver nos âmes, s'occupait de la seconde, les conseillers prud'hommes, pour sauver nos corps, sont, désormais, en charge des premières !

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... René Despieghelaere, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau de Lille

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N1932BPA

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... René Despieghelaere, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Lille.
Lexbase : Quelles sont les spécificités du barreau de Lille ?

René Despieghelaere : Jean-Michel Darrois, qui rencontrait certains Bâtonniers dans le cadre de l'élaboration de son rapport sur les professions du droit, m'a confié qu'il percevait le barreau de Lille comme "disséminé", eu égard à la foultitude des cabinets individuels, qui ignorent les bénéfices du regroupement et "confondent trop souvent solitude et indépendance". Si je ne partage pas totalement ce point de vue, je dois tout de même admettre qu'il y a, dans celui-ci, une part de vrai.

Si nous comptons certains gros cabinets -tels Fidal, Ernst & Young, Landwell, etc.-, et quelques cabinets composés d'une dizaine d'associés et de collaborateurs, la grande majorité des structures à Lille est effectivement individuelle, contrairement à la composition de barreaux équivalents, comme ceux de Lyon et des Hauts-de-Seine qui comptent toutes formes et toutes tailles de structures. Peut-être la proximité avec Paris change-t-elle la donne ?

Cette situation a, en tous les cas, l'avantage de la diversité : nous disposons de tout un panel d'activités et de profils allant de "l'hyper judiciaire" à l'"hyper juridique", avec une référence commune à tous les avocats, celle de l'appartenance à un même barreau. Parmi eux, nous avons, notamment, la chance de bénéficier de la présence d'éminents pénalistes, dont, par exemple, Maître Dupond-Moretti, Maître Berthon ou encore Maître Moyart.

Le barreau de Lille a, enfin, pour spécificité son emplacement géographique. Nous sommes très proches des places de Londres, de Bruxelles ou de Paris. Nous développons les relations inter-régions (en particulier avec le barreau de Bruxelles). Les efforts en ce sens doivent être poursuivis et renforcés. Nous devons exploiter davantage les bénéfices de cet emplacement stratégique.

Lexbase : Le RPVA est-il bien implanté à Lille ?

René Despieghelaere : Dès 2005, le barreau de Lille a signé la convention conclue par le CNB et la Chancellerie et a été désigné comme site pilote, dans le cadre de l'expérimentation du RPVA.

En 2008, le réseau a littéralement "explosé", dès lors que les greffes étaient tout à fait prêts : en fin d'année, toutes les mises en état étaient numérisées. Aujourd'hui, sur un barreau d'environ 960 avocats effectifs, plus de 700 sont inscrits au RPVA. Ce succès s'explique en grande partie par la mobilisation de mon prédécesseur (le Bâtonnier Debosque), qui a multiplié les formations à destination des confrères et de leurs collaborateurs (assistantes, etc.). Il a, également, opté pour l'ouverture de bornes collectives, afin de réduire les coûts pour les confrères, et il a, enfin, progressivement supprimé les équivalents papiers.

J'ai à coeur, au titre de mon mandat, de continuer cette action, d'autant qu'une échéance capitale est fixée : au 1er janvier 2011, la déclaration d'appel avec représentation obligatoire en matière civile devra être faite exclusivement par voie électronique auprès du greffe. Notre objectif est d'atteindre les 100 % d'inscrits à ce moment là. Le barreau de Lille, en tant que site "pré-génération", expérimente, d'ores et déjà, cette nouvelle forme de communication avec la cour d'appel.

Le RPVA est un outil puissant qui a, récemment, été amélioré par le décret du 29 avril 2010 (décret n° 2010-434, relatif à la communication par voie électronique en matière de procédure civile N° Lexbase : L0190IHI), aux termes duquel vaut signature, l'identification réalisée lors de la transmission des actes de procédure dressés par les auxiliaires de justice et transmis aux juridictions par voie électronique. Jusqu'alors, les textes déjà parus ne régissaient que la transmission des actes de procédure et non leur établissement, qui doit nécessairement s'accompagner d'une signature. Le barreau de Lille avait souligné cette lacune.

Cet outil est à même d'offrir une multitude de fonctionnalités. Il ne se réduit, en effet, pas à la mise en état, mais présente, au contraire, tous les avantages d'un réseau. Pour exemple, si l'acte d'avocat doit être créé (ce que nous souhaitons tous), le rôle d'un tel réseau, du point de vue de la conservation des actes et de l'archivage, sera évident.

Lexbase : Le RPVA est une priorité au titre de votre mandat. Quels sont les autres objectifs que vous vous êtes fixés ?

René Despieghelaere : J'ai souhaité placer mon mandat sous le signe des nouvelles technologies, mais aussi sous celui de la communication.

Pour déterminer les moyens qui nous permettraient de communiquer plus efficacement, surtout auprès du public (acteurs de la vie politique, économique et civile), et de casser l'image que l'on nous prête d'"homme du prétoire", nous avons choisi de nous tourner vers un professionnel, l'agence Place aux idées neuves. Celle-ci nous accompagne dans l'élaboration d'une politique de communication pour les cinq prochaines années. L'idée est, notamment, d'envoyer l'avocat à l'extérieur du Palais de justice et de son cabinet.

Nous avons choisi de débuter notre réflexion en nous appuyant sur les sondages effectués auprès de notre barreau. Nous calons nos actions sur les exigences que les questionnaires nous ont permis de percevoir.

Depuis fin novembre 2009, nous éditons un trimestriel intitulé "Avocats Grand Lille " et destiné à nos salles d'attente et aux acteurs économiques. Il nous permet d'informer le public sur les facettes de notre profession et de nous rendre plus accessibles à ses yeux. Edité à l'origine à 5 000 exemplaires, nous avons presque doublé les tirages de ce magazine en moins de trois numéros ! Nous faisons, pour chaque édition, un véritable travail de vulgarisation et nous choisissons de ne pas aborder uniquement des thèmes juridiques, mais de mettre, au contraire, l'accent sur les personnes, leurs loisirs, leurs ambitions, etc..

Toujours dans cette optique de rencontre avec le public, nous avons, également, mis en place les "Rencontres du Barreau", aux cours desquelles un thème est débattu par des avocats, des spécialistes et des acteurs de la vie sociale, économique et politique. Après avoir traité des projets immobiliers au regard du Grenelle de l'environnement et de la liberté au sein de la société numérique, le troisième volet de ces rencontres portera sur la gestation pour autrui et se déroulera le 20 mai de 18h30 à 20h00 à la Faculté des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques de Lille (3 rue du Professeur Laguesse).

Enfin, bien entendu, mon équipe et moi-même avons été fortement absorbés par le projet de réforme de la procédure pénale. Qu'il s'agisse des conditions dans lesquelles se déroulent les gardes à vue en France et de la présence de l'avocat dans le cadre de ces mesures ou de la suppression du juge d'instruction et du maintien du statut du Parquet, les sujets sont tous épineux et les débats difficiles, d'autant que le Garde des Sceaux a posé d'emblée qu'il ne serait pas discuté du statut du Parquet, ni de la suppression du juge d'instruction. Par ailleurs, aucune étude d'impact n'a été réalisée préalablement à l'élaboration de l'avant-projet de loi. La confusion règne donc. Pour exemple, le CNB chiffre à 300 millions d'euros les besoins financiers complémentaires au titre de l'aide juridictionnelle, quand le Gouvernement avance un montant de seulement 150 millions. Nous voici, en fait, partis dans une réforme pour laquelle personne n'est en mesure d'en déterminer le coût.

Partant de ce constat, il nous a semblé impératif de réfléchir sur la situation de l'aide juridictionnelle en France. Outre l'insuffisance des fonds qui lui sont alloués, nous dénonçons le rejet systématique de la part du Gouvernement d'une réelle rémunération de l'avocat au profit d'une indemnisation dérisoire. Comment, dans ces conditions, garantir aux justiciables un réel accès à la justice ? Déjà en 2006, nous avions manifesté pour obtenir une meilleure valorisation des UV. Eu égard à la faible revalorisation consentie, nous considérions avoir plus essuyé un échec que remporté une victoire. Aujourd'hui, notre barreau "repart au front", en prenant l'initiative d'organiser des Etats généraux sur l'aide juridictionnelle, qui se tiendront le 25 juin prochain dans les locaux de la faculté de Lille II ; événement pour lequel nous pouvons compter sur l'appui du CNB et de la Conférence des Bâtonniers.

Lexbase : Sur ce même sujet, pourquoi les avocats lillois ont-ils décidé de suspendre leurs plaidoiries en l'absence de décision d'aide juridictionnelle ?

René Despieghelaere : Cette action s'inscrit dans un contexte particulier. A Lille, nous enregistrons plus de six mois de retard dans le traitement des dossiers au Bureau d'aide juridictionnelle (BAJ) ; retard dû, en grande partie, à un manque significatif de greffiers depuis plusieurs mois. C'est, donc, pour dénoncer cette situation, que les avocats lillois ont refusé de plaider les instances en cours en l'absence de décision d'aide juridictionnelle et que le barreau de Lille, aux côtés du Syndicat des avocats de France, a adressé, le 20 avril dernier, une lettre ouverte au Garde des Sceaux l'alertant de la gravité de la situation.

De telles difficultés, qui sont également connues par de nombreux autres barreaux, ajoutées au désengagement général de l'Etat en matière d'aide juridictionnelle, amènent à s'interroger sur une politique délibérée de la part de celui-ci, afin d'assécher le nombre de dossiers, en ne les traitant pas dans les délais raisonnables. La question se pose légitimement, quand on sait que le montant de l'aide est calculé en fonction du nombre de dossiers traités en N-1.

Notre action semble, toutefois, porter ses fruits : la première présidente de la cour d'appel de Douai, Dominique Lottin, vient d'annoncer l'arrivée de deux nouveaux greffiers, en vue d'un retour à un délai normal de traitement des dossiers d'ici juin. La situation reste délicate.

Lexbase : Que pensez-vous du "barreau de région" ?

René Despieghelaere : Tout d'abord, il ne faut pas confondre le barreau de région avec le barreau de cour, tel que préconisé dans le rapport "Darrois".

L'idée d'un barreau de région répond essentiellement à une réalité économique. La question du découpage resterait à trancher. Soit l'on raisonne à l'échelon des cours d'appel au nombre de 33 et l'on décide de créer autant de barreaux de région, soit on en institue 22, pour les 22 régions administratives françaises.

Une fois que cette question sera réglée, je préconise, en termes de gouvernance, une élection commune pour les membres du conseil de l'Ordre, ainsi que l'élection d'un vice-Bâtonnier au niveau de chaque tribunal de grande instance. Celui-ci serait membre de droit du conseil de l'Ordre. Le Bâtonnier régional serait élu au suffrage universel (soit, par le vote de tous les avocats de la région). Les Bâtonniers de région siègeraient nécessairement au sein du CNB et/ou tout autre Ordre national. Bien entendu, eu égard à l'ampleur de ses tâches, un tel Bâtonnier de région devrait nécessairement être rémunéré.

Certains barreaux (de taille plus ou moins modeste) redoutent l'hégémonie des personnalités issues des "grands barreaux". J'aime rappeler que le Bâtonnier Leleu, ancien président du CNB, est ancien Bâtonnier du barreau de Béthune. Ce n'est pas une ville que l'on porte à la tête d'une région, mais bien une personne.

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Hygiène et sécurité

[Jurisprudence] Préjudice d'anxiété reconnu pour les salariés exposés à l'amiante, mais réparation d'une perte de chance refusée pour les préretraités amiante

Réf. : Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, Société Ahlstrom Labelpack, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1745EXW)

Lecture: 11 min

N1931BP9

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"

Le 07 Octobre 2010

L'exposition de salariés à l'amiante est un drame en France, comme le titre si justement un rapport parlementaire récent (1). Cette catastrophe sanitaire est à l'origine de la jurisprudence redéfinissant la faute inexcusable de l'employeur en 2002 (2), d'un contentieux judiciaire en responsabilité civile des employeurs (3), d'un contentieux administratif, parce que des employeurs mettent en cause les décisions du ministre du Travail d'inscrire ou non un établissement sur la liste de ceux ouvrant droit au profit de leurs salariés au dispositif de cessation anticipée d'activité (4), et, enfin, d'un contentieux répressif pour mise en danger d'autrui (5).
Dans un arrêt du 11 mai 2010, la Cour de cassation s'est prononcée sur deux questions jusque-là non tranchées et pourtant d'une portée très sensible pour les salariés exposés pendant des années à des matériaux contenant de l'amiante. La première tient à la réparation d'un préjudicie spécifique, dit d'anxiété, qui, comme son nom l'indique, répare le préjudice du salarié lié à sa situation instable et précaire au regard de maladies dont il est probable, mais pas définitif, ni certain, qu'il aurait contractées du fait de l'amiante. La Cour de cassation l'admet (I). La seconde question vise non plus les salariés et anciens salariés d'entreprises ayant utilisé des matériaux contenant de l'amiante, mais les anciens salariés bénéficiaires d'une préretraite dite amiante, en application de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (art. 41) (N° Lexbase : L5411AS9). Leur qualité de bénéficiaire d'une préretraite amiante leur ouvre-t-il droit à la réparation d'un préjudice, celui de la perte de revenus liés au travail, du fait même que l'employeur a commis une faute en exposant ses salariés à de l'amiante pendant une longue période (II) ? Cette fois-ci, la Cour de cassation le refuse. Rappelons que, dans cette affaire, des salariés ont cessé leur activité professionnelle et présenté leur démission pour prétendre au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata). Ils ont saisi la juridiction prud'homale pour qu'il soit jugé que la rupture du contrat de travail était la conséquence de leur exposition fautive par l'employeur à l'amiante et pour demander la condamnation de la société à leur payer des sommes correspondant à la différence de revenus entre leur salaire et le montant de l'Acaata ainsi qu'une somme au titre du préjudice d'anxiété. La cour d'appel de Bordeaux, par 17 arrêts du 7 avril 2009 (6), leur avait accordé une double réparation, au titre du préjudice d'anxiété, et pour les bénéficiaires d'une préretraite amiante, au titre de la perte de revenus.

Résumé

Les salariés qui ont travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante (ou des matériaux contenant de l'amiante) se sont trouvés par le fait de l'employeur dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante. Ils ont été amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse. Les juges du fond ont pu caractériser l'existence d'un préjudice spécifique d'anxiété.

Le salarié qui a demandé le bénéfice de l'allocation servie au titre de la "préretraite amiante" n'est pas fondé à obtenir de l'employeur fautif des conséquences d'une exécution fautive du contrat de travail, en application d'une obligation de sécurité de résultat, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, en réparation d'une perte de revenu résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal.

I - Réparation du préjudice d'anxiété reconnu aux salariés exposés à l'amiante

A - Réparations non contentieuses des maladies liées à l'amiante

L'affection consécutive à l'exposition à l'amiante donne droit à l'attribution d'une indemnité spéciale pour changement d'emploi ainsi qu'à une indemnité en capital ou une rente.

Une indemnité spéciale est accordée au salarié qui est atteint d'une affection liée à l'inhalation de fibres d'amiante lorsque le changement d'emploi est nécessaire pour prévenir une aggravation de son état. Elle n'est accordée qu'à la condition que le salarié ne puisse pas bénéficier d'une rente (CSS, art. L. 461-8 N° Lexbase : L5316ADA). L'ouverture du droit à l'indemnité spéciale pour changement d'emploi est subordonnée au dépôt d'une déclaration prévue à l'article D. 461-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9571ADT) et au résultat de l'examen du malade par le médecin-conseil. L'emploi doit être quitté dans le délai de six mois à compter de la date du certificat descriptif mentionné à l'article L. 461-5 (N° Lexbase : L1345HBG) (7). L'indemnité de changement d'emploi ne peut être attribuée qu'une seule fois (CSS, art. D. 461-14 N° Lexbase : L9577AD3). Elle est égale à soixante jours de salaire par année d'exposition au risque de l'une des affections mentionnées à l'article D. 461-5 (N° Lexbase : L9569ADR), sans pouvoir dépasser trois cents jours de salaire (CSS, art. D. 461-15 N° Lexbase : L9578AD4) (8). Enfin, le pouvoir réglementaire a précisé que le travailleur bénéficiaire d'une indemnité de changement d'emploi peut, en cas d'aggravation de son état, demander l'attribution d'une indemnité en capital ou d'une rente (CSS, art. D. 461-17 N° Lexbase : L9580AD8) (9).

B - Réparations judiciaires des maladies liées à l'amiante

  • Réparation de droit commun en cas de contestation d'une offre du Fiva

La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2001 (10) a créé un Fonds d'indemnisation pour les victimes de l'amiante (Fiva). Ce fonds a pour objet de prendre en charge l'intégralité de la réparation des préjudices subis par les victimes de l'amiante. Tous les salariés ou leurs ayants droit qui ont obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante, mais aussi toute personne ayant subi un préjudice résultant d'une exposition à l'amiante, peuvent s'adresser à ce fonds d'indemnisation.

Le fonds propose, dans les six mois de la réception du dossier, une offre d'indemnisation à la victime. Dès lors que la victime accepte l'offre qui lui est faite, cette acceptation vaut désistement des actions en indemnisation individuelles en cours. Par ailleurs, cette acceptation rend irrecevable toute action future en réparation du préjudice amiante. Le demandeur ne peut intenter une action en justice devant la cour d'appel que dans trois cas : si sa demande d'indemnisation est rejetée ; si le fonds ne lui a pas fait d'offre dans les six mois ; ou s'il n'a a pas accepté l'offre qui lui est faite.

Les juges du fond apprécient souverainement l'existence et l'étendue du préjudice patrimonial subi ainsi que le montant de la rente annuelle propre à assurer l'entière réparation de l'intégrité physique que la salarié a subi du fait de la maladie ; la cour d'appel apprécie souverainement l'existence et l'étendue des préjudices extra-patrimoniaux subis ainsi que le montant des indemnités propres à en assurer l'entière réparation (11).

  • Réparation de droit commun hors périmètre de la prise en charge du Fiva

- Réparation due en cas de reconnaissance d'une faute inexcusable

On sait que, depuis les arrêts "amiante" (12), une société qui a conscience du danger lié à l'amiante et qui n'a pas pris les mesures nécessaires pour en préserver son salarié commet une faute inexcusable. Dès lors, le régime de la réparation lié à la reconnaissance d'une faute inexcusable s'applique (CSS, art. L. 452-1 N° Lexbase : L5300ADN).

En cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la victime d'une maladie liée à l'amiante peut, notamment, se voir attribuer une majoration de sa rente au titre de la faute de l'employeur qui vient s'ajouter à la réparation déjà intégrale accordée par le Fiva. Selon les travaux parlementaires (13), pour une personne dont le taux d'IPP est de 100 %, les réparations complémentaires accordées par les tribunaux des affaires de Sécurité sociale au titre du préjudice physique, moral et d'agrément s'échelonnent entre 110 000 et 300 000 euros.

- Réparation sui generis : le préjudice d'anxiété

En l'espèce, les juges du fond avaient reconnu aux salariés un état pathologique d'anxiété lié à l'exposition de l'amiante et à ses risques sanitaires, état ouvrant droit à réparation. L'employeur rejetait l'existence même de ce type de préjudice, arguant que les juges du fond ont assimilé à tort le bénéfice d'une surveillance médicale post-professionnelle facultative à une prétendue obligation de se plier à des contrôles, ne caractérisant pas, ainsi, l'existence d'un élément objectif distinct de l'angoisse. L'employeur invoquait, également, que, si l'anxiété suscitée par l'exposition au risque constituait un trouble psychologique suffisamment caractérisé pour appeler une réparation spécifique, il ne saurait être pris en charge que dans les conditions prévues par les articles L. 451-1 (N° Lexbase : L4467ADS), L. 461-1 (N° Lexbase : L5309ADY) et L. 461-2 (N° Lexbase : L1343HBD) du Code de la Sécurité sociale : à défaut d'une demande formulée par le salarié au titre d'une maladie professionnelle, la cour d'appel ne pouvait transférer l'indemnisation d'un tel trouble sur l'entreprise.

La Cour de cassation n'a pas été convaincue par l'argumentation juridique de l'employeur, il est vrai assez fragile. Les salariés avaient travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. Ils se trouvaient, dès lors, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante. Ils ont été amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse. L'ensemble caractérise l'existence d'un préjudice spécifique d'anxiété.

II - Absence de réparation du préjudice lié à la perte d'un revenu pour les salariés bénéficiaires d'une préretraite amiante

A - Le régime de la préretraite amiante

Le dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante a été instauré par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998. Il est organisé autour d'un fonds, le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA), qui finance l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, ainsi que les cotisations d'assurance vieillesse et de retraite complémentaire de ses bénéficiaires. Plusieurs conditions doivent être remplies pour avoir droit au versement de l'Acaata. Le demandeur doit, tout d'abord, appartenir à l'une des trois catégories de bénéficiaires visées par la loi :
- les salariés ou anciens salariés d'établissements figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du Travail, de la Sécurité sociale et du Budget (liste 1). Il s'agit d'établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante et d'établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ;
- les salariés ou anciens salariés d'établissements de réparation ou de construction navale figurant sur une liste, établie par arrêté des mêmes ministres, et exerçant certains métiers figurant dans le même arrêté, les ouvriers dockers de certains ports et le personnel portuaire assurant la manutention (liste 2) ;
- et les salariés ou anciens salariés du régime général ou du régime agricole reconnus atteints d'une maladie professionnelle provoquée par l'amiante et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du Travail et de la Sécurité (asbestose, mésothéliome, cancer broncho-pulmonaire, tumeur pleurale bénigne et plaques pleurales).

Outre l'appartenance à l'une de ces catégories, un salarié ou ancien salarié doit être âgé d'au moins cinquante ans pour pouvoir bénéficier de l'Acaata. Il doit accepter de démissionner de son emploi s'il est encore salarié. Le versement de l'allocation s'interrompt dès lors que le bénéficiaire remplit les conditions pour percevoir une retraite à taux plein.

Le montant de l'allocation est fixé par l'article 2 du décret n° 99-247 du 29 mars 1999, relatif à l'allocation de cessation anticipée d'activité (N° Lexbase : L4823AQP), et équivaut à 65 % du salaire de référence dans la limite du plafond de la Sécurité sociale et 50 % de ce salaire pour la fraction comprise entre une et deux fois ce plafond. Le décret n° 2009-1735 du 30 décembre 2009 (N° Lexbase : L1890IG4) a revalorisé le montant minimal de l'allocation de 20 % et prévu que les rémunérations servant de base à la détermination de l'allocation doivent présenter un caractère régulier et habituel. Selon le pouvoir réglementaire (14), sont considérés comme tels tous les éléments de rémunération versés selon une périodicité égale ou inférieure à un an, ce qui exclut les indemnités compensatrices de RTT et de congés payés versées à l'occasion du départ du salarié.

Par ailleurs, en application de la jurisprudence administrative (15), il convient désormais d'inclure dans le calcul du salaire de référence les périodes d'activité donnant lieu à une indemnité de congé payé versée par une caisse professionnelle, indique la DSS.

B - Pas de cumul entre le bénéfice d'une préretraite amiante et la réparation du préjudice de perte de chance

Comme le relèvent si justement les travaux parlementaires, outre la réduction de leur espérance de vie, les victimes de l'amiante subissent souvent d'autres préjudices considérables : incapacité de poursuivre une carrière professionnelle, souffrances physiques et psychologiques, perte de bien-être pour le malade comme pour ses proches, etc.. Dans ces conditions, la réparation forfaitaire offerte par la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale est rapidement apparue insuffisante, ce qui a motivé la création d'un fonds d'indemnisation, destiné à assurer aux victimes, dans des délais rapides, une réparation intégrale de leur préjudice (Fiva).

Mais une autre stratégie judiciaire a été imaginée par les victimes, acceptée par la cour d'appel de Bordeaux en 2009, mais rejetée par la Cour de cassation (arrêt rapporté). Elle consiste, pour les salariés bénéficiaires de l'allocation de cessation anticipée d'activité de demander au juge la condamnation de l'employeur fautif, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, en réparation d'une perte de revenu résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal.

En l'espèce, les juges du fond, pour condamner la société à verser aux salariés une somme à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte d'une chance, avaient retenu qu'aux termes des dispositions de l'article L. 4121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1448H9I), interprété à la lumière de la Directive CE 89/391 du 12 juillet 1989, concernant la mise en oeuvre des mesures visant à promouvoir l'amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs au travail (N° Lexbase : L9900AU9), l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il doit en assurer l'effectivité. En l'espèce, en dehors de la situation d'exposition aux risques ayant ouvert le droit à l'Acaata, l'employeur, en ne mettant pas en oeuvre toutes les protections individuelles et collectives préconisées, notamment, sur les années de 1990 à 1996, n'a pas exécuté correctement l'obligation de sécurité de résultat. Cette violation de ses obligations étant d'autant plus caractérisée qu'il ne pouvait ignorer le danger auquel il exposait ses salariés. Si l'Acaata met obstacle à la perception d'un revenu de complément, en revanche, elle ne peut, par elle-même, exonérer l'employeur fautif des conséquences d'une exécution fautive du contrat de travail, que les salariés ont fait le choix de demander la réparation du préjudice que leur causait un départ anticipé à la retraite accompagné d'une diminution de revenus significative, constituant une perte de chance de mener à son terme une carrière professionnelle normale.

La Cour de cassation, par l'arrêt rapporté, remet en cause la solution retenue par les juges du fond, sans rendre sa décision très explicite : elle se contente de viser l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la Sécurité sociale pour 1999 et avance le principe selon lequel le salarié qui a demandé le bénéfice de l'Acaata n'est pas fondé à obtenir de l'employeur fautif, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenu résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal.

Pourtant, la LFSS 1999 instituant la préretraite amiante ne mentionne aucune règle de non-cumul, sauf précisément, en son article 41-I, selon lequel le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité ne peut se cumuler ni avec l'un des revenus ou l'une des allocations mentionnées à l'article L. 131-2, ni avec un avantage de vieillesse ou d'invalidité. De même, l'article 41-II précise que l'allocation cesse d'être versée lorsque le bénéficiaire remplit les conditions requises pour bénéficier d'une pension de vieillesse au taux plein, telle qu'elle est définie aux articles L. 351-1 et L. 351-8. Donc, a contrario, la préretraite amiante peut se cumuler avec l'indemnisation accordée par le juge, en application du droit commun de la responsabilité civile, sur la base d'une perte de chance de mener à son terme une carrière professionnelle normale.


(1) J.-M. Vanlerenberghe, G. Dériot et J.-P. Godefroy, Le drame de l'amiante en France-comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l'avenir, Mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante, Sénat, n° 37, 2005-2006.
(2) Arrêts dits "amiante" : Cass. soc., 28 février 2002, 6 arrêts, n° 00-13.172, Société Everite c/ M. André Gerbaud, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0610AYA), n° 00-11.793, Société Eternit industrie c/ Mme Arlette Chavatte, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0602AYX), n° 00-10.051, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Grenoble c/ Société Ascométal, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0806AYI), n° 99-21.255, Société Eternit industrie c/ M. Christophe Gaillardin, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0773AYB), n° 99-17.201, Société Valeo c/ Mme Monique Rabozivelo, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0761AYT), n° 99-18.389, Société Eternit industries c/ Mme Marie-Louise Delcourt-Marousez, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0766AYZ). Lire les obs. de V. Boccara, Amiante: la reconnaissance par la Cour de cassation du caractère inexcusable de la faute de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 13 du 6 mars 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N2210AA4).
(3) CA Bordeaux, 7 avril 2009, n° 08/04292, Société Ahlstrom Label Pack c/ M. Jean-Paul Bertholom (N° Lexbase : A2144EGI) et surtout Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, Société Ahlstrom Labelpack, FP-P+B+R.
(4) CE, 2 octobre 2009, 3 arrêts, n° 313394, Association départementale de défense des victimes de l'amiante 44 (N° Lexbase : A5734ELX), n° 319021, Société Saint-Gobain-Isover (N° Lexbase : A5740EL8) et n° 316820, M. Tocut (N° Lexbase : A5738EL4).
(5) Condamnation d'une société et de son ancien dirigeant du chef de mise en danger d'autrui, pour avoir exposé des salariés aux poussières d'amiante entre 1998 et 2001 et ce, en violation de la réglementation applicable : CA Douai, 6 mars 2008, n° 07-02135, Alstom Power Boilers (N° Lexbase : A7278D7P). V. J.-M. Vanlerenberghe, G. Dériot et J.-P. Godefroy, Le drame de l'amiante en France-comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l'avenir, préc., p. 102-119.
(6) Voir, notamment, CA Bordeaux, 7 avril 2009, n° 08/04292, préc..
(7) Toutefois, le médecin-conseil peut fixer un délai plus court si l'état du travailleur le nécessite.
(8) Toute fraction d'année compte pour une année entière. Le salaire servant de base au calcul de l'indemnité est le salaire moyen des ouvriers de la même catégorie de la dernière entreprise dans laquelle le travailleur a été exposé au risque de silicose, tel qu'il est fixé à l'expiration du délai prévu au deuxième alinéa de l'article D. 461-14 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9577AD3).
L'indemnité de changement d'emploi est acquise au travailleur ou à ses ayants droit. Elle est versée par la CPAM ou par l'organisation spéciale de Sécurité sociale dont relève le travailleur. Si l'intéressé occupe un emploi, l'indemnité ne pourra représenter que la différence entre le salaire moyen (revalorisé, au cas où, postérieurement au changement d'emploi, serait survenue une augmentation générale des salaires intéressant la catégorie à laquelle appartenait la victime) et le nouveau salaire de l'intéressé, jusqu'à concurrence du montant de l'indemnité (fixé supra). L'indemnité de changement d'emploi ne se cumule pas avec l'indemnité journalière prévue à l'article L. 433-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3044ICQ).
(9) Dans ce cas, le délai de deux ans mentionné à l'article R. 443-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7315ADB) court de la date de la décision de la juridiction compétente reconnaissant le droit à l'indemnité ou, dans le cas où la fixation de cette indemnité n'a donné lieu à aucune contestation, de la date du premier versement.
(10) Loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 (N° Lexbase : L5178AR9).
(11) Cass. civ. 2, 19 mai 2005, n° 04-06.028, M. Claude d'Orgeville c/ Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva), FS-P+B (N° Lexbase : A4247DI7).
(12) Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-17.201, préc., selon lequel en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. V., aussi, Cass. soc., 26 novembre 2002, n° 00-19.483, Société Everite c/ M. André Pueyo, FS-D (N° Lexbase : A1155A4K).
(13) J.-M. Vanlerenberghe, G. Dériot et J.-P. Godefroy, Le drame de l'amiante en France-comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l'avenir, préc., p. 97.
(14) Circ. intermin. DSS/SD2C n° 2010-21 du 22 janvier 2010, à l'allocation de cessation d'activité anticipée des travailleurs de l'amiante (N° Lexbase : L5322IG9).
(15) CE 1° et 6° s-s-r., 20 novembre 2009, n° 324880, M. Tielie (N° Lexbase : A7331ENT).

Décision

Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, Société Ahlstrom Labelpack, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1745EXW)

Texte concerné : loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999, art. 41 (N° Lexbase : L5411AS9)

Mots-clés : amiante ; salariés exposés ; anxiété de contracter une maladie ; préjudice (oui) ; préretraite ; préjudice perte de revenu ; réparation (non)

Lien base : (N° Lexbase : E3186ET8)

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Internet

[Textes] Présentation de la loi, relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne

Réf. : Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010, relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (N° Lexbase : L0282IKN)

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010


Publiée au Journal officiel du 13 mai 2010, la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010, relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, aura passé avec succès le contrôle de constitutionnalité opéré par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2010-605 DC, du 12 mai 2010 N° Lexbase : A1312EXU). Les griefs étaient pourtant nombreux : méconnaissance du principe fondamental de prohibition des jeux de hasard, non-conformité au droit de l'Union européenne, contradiction à l'intérêt général ainsi qu'à l'objectif de sauvegarde de l'ordre public et inadéquation manifeste des moyens mis en oeuvre par rapport aux objectifs poursuivis. C'est que l'opportunité de légiférer était évidente. Il existe, en France, une offre illégale très importante de jeux d'argent et de hasard sur internet : 25 000 sites illégaux de jeux sont accessibles, dont un quart en langue française, et 75 % des paris sur internet sont pris sur de tels sites. Le développement rapide de cette offre répond à une demande des joueurs français (notons également au passage, que le texte intervient peu de temps avant le Mondial de foot et que ce nouveau marché des jeux et paris en ligne est estimé à près de 2 milliards d'euros par an). Eu égard aux risques importants qu'il fait peser sur l'ordre public et social, ce marché doit être strictement encadré et contrôlé par les pouvoirs publics. L'objectif est quadruple, la politique de l'Etat visant à :

- prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs ;
- assurer l'intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu ;
- prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; et
- veiller au développement équilibré et équitable des différents types de jeu afin d'éviter toute déstabilisation économique des filières concernées.

A cette fin, la loi soumet les opérateurs de jeux sur internet proposant une offre de paris sportifs, de paris hippiques ou encore de jeux en cercle (poker notamment) à l'obtention d'un agrément préalable délivré par une autorité administrative indépendante, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJL). Cette attribution est conditionnée au respect par l'opérateur d'un cahier des charges déterminé par la loi, l'ARJL pouvant, sous certaines conditions, la retirer en cas de manquement ultérieur. La publicité en faveur de l'offre légale est, en outre, réglementée.

I - Champs d'application de la loi

Toute exploitation des jeux d'argent et de hasard est placée sous un régime de droits exclusifs délivrés par l'Etat.

Sont, par ailleurs, soumis à un régime d'agrément, les jeux et les paris en ligne qui font appel au savoir-faire des joueurs et, s'agissant des jeux, font intervenir simultanément plusieurs joueurs.

Le législateur réglemente les jeux d'argent et de hasard en ligne dont l'engagement passe exclusivement par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne.

Il est précisé que les jeux de hasard sont des "jeux payants où le hasard prédomine sur l'habileté et les combinaisons de l'intelligence pour l'obtention du gain". Sont, toutefois, exclus par la loi les jeux de pur hasard : l'article 3 du texte dispose, en effet, que "ne constitue pas un jeu ou un pari en ligne le jeu ou le pari enregistré au moyen de terminaux servant exclusivement ou essentiellement à l'offre de jeux ou à la prise de paris et mis à la disposition des joueurs dans des lieux publics ou des lieux privés ouverts au public".

L'opérateur de jeux ou de paris en ligne concerné par la réglementation est, lui, défini comme "toute personne qui, de manière habituelle, propose au public des services de jeux ou de paris en ligne comportant des enjeux en valeur monétaire et dont les modalités sont définies par un règlement constitutif d'un contrat d'adhésion au jeu soumis à l'acceptation des joueur".

II - Création de deux instances chargées de s'assurer de la bonne pratique des jeux d'argent et de hasard en ligne

La loi crée deux instances chargées de s'assurer de la bonne pratique des jeux d'argent et de hasard en ligne : le comité consultatif des jeux et l'ARJL.

- Le comité consultatif des jeux

Il est institué auprès du Premier ministre et a compétence sur l'ensemble des jeux d'argent et de hasard. Il est chargé de centraliser les informations en provenance des autorités de contrôle et des opérateurs de jeux, d'assurer la cohérence de la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard et d'émettre des avis sur l'ensemble des questions relatives à ce secteur et sur l'information du public concernant les dangers du jeu excessif.

Ce comité comprend un collège présidé par un membre du Parlement et composé de dix-neuf membres, dont le secrétariat est assuré par les services du Premier ministre. Il comprend, également, un observatoire des jeux composé de huit membres et deux commissions consultatives, chargées de mettre en oeuvre, respectivement, la politique d'encadrement des jeux de cercle et de casino et celle des jeux et paris sous droits exclusifs.

- L'ARJL

Autorité administrative indépendante (AAI), elle a, notamment, pour mission de :

- veiller au respect des objectifs de la politique des jeux et des paris en ligne soumis à agrément, grâce à un contrôle permanent de l'activité des opérateurs de jeux ou de paris en ligne agréés ;
- surveiller les opérations de jeu ou de pari en ligne et participer à la lutte contre les sites illégaux et contre la fraude ;
- proposer aux ministres compétents le cahier des charges ;
- rendre un avis sur tout projet de texte relatif au secteur des jeux en ligne soumis à agrément que lui transmet le Gouvernement et lui proposer les modifications législatives et réglementaires qui lui paraissent nécessaires à la poursuite des objectifs de la politique des jeux d'argent et de hasard ;
- instruire les dossiers de demande d'agrément des opérateurs de jeux ou de paris en ligne et délivrer les agréments en veillant au respect des objectifs de la politique des jeux d'argent et de hasard ;
- fixer les caractéristiques techniques des plates-formes et des logiciels de jeux et de paris en ligne des opérateurs soumis au régime d'agrément et homologuer les logiciels de jeux et de paris utilisés par les opérateurs.

L'AAI comprend un collège, une commission des sanctions et, le cas échéant, des commissions spécialisées.

Le collège : sauf disposition contraire et hormis les décisions de sanctions confiées à la commission des sanctions, les attributions de l'ARJL sont confiées au collège. Celui-ci est composé de sept membres nommés à raison de leur compétence économique, juridique ou technique. La durée de leur mandat est de six ans, ni révocable, ni renouvelable.

La commission des sanctions : elle comprend six membres, dont deux membres du Conseil d'Etat, deux conseillers à la Cour de cassation et deux magistrats de la Cour des comptes. Parmi ces membres est désigné par décret le président de la commission, pour la durée de son mandat de membre. Les fonctions de membre de la commission des sanctions, de six ans renouvelable une fois, sont incompatibles avec celles de membre du collège.

La commission des sanctions peut prononcer des sanctions à l'encontre d'un opérateur de jeux ou de paris en ligne titulaire de l'agrément, en cas de manquement aux obligations législatives et réglementaires applicables à son activité.

L'ouverture de la procédure de sanction revient au collège, qui met préalablement le contrevenant en demeure de se conformer à la réglementation dans un délai qui ne peut être inférieur à un mois ni supérieur à six mois et renouvelable une fois, sauf en cas de manquement grave et répété. Au terme de ce délai, l'opérateur est tenu de se soumettre dans le délai d'un mois à une nouvelle certification. S'il n'y a pas déféré ou si, le cas échéant à la suite de cette nouvelle procédure de certification, les mesures correctives prises par l'opérateur sont jugées insuffisantes par le collège, celui-ci peut décider l'ouverture de la procédure, en notifiant les griefs et en saisissant la commission.

La commission des sanctions peut prononcer, compte tenu de la gravité du manquement, une des sanctions suivantes :

- l'avertissement ;
- la réduction d'une année au maximum de la durée de l'agrément ;
- la suspension de l'agrément pour trois mois au plus ; et
- le retrait de l'agrément.

Le retrait de l'agrément peut s'accompagner de l'interdiction de solliciter un nouvel agrément pendant un délai maximal de trois ans.

Elle peut, à la place, décider de prononcer une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, à la situation de l'opérateur en cause, à l'ampleur du dommage causé et aux avantages qui en sont tirés, sans pouvoir excéder 5 % du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos correspondant à ses activités faisant l'objet de l'agrément. Ce plafond est porté à 10 % en cas de nouveau manquement. A défaut d'activité antérieure permettant de déterminer ce plafond, le montant de la sanction ne peut excéder 150 000 euros, portés à 375 000 euros en cas de nouvelle violation de la même obligation.

Lorsque le manquement est constitutif d'une infraction pénale, le montant de la sanction pécuniaire ne peut excéder celui prévu pour l'amende pénale. Lorsque la commission des sanctions a prononcé une sanction pécuniaire devenue définitive avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes, celui-ci peut ordonner que la sanction pécuniaire s'impute sur l'amende qu'il prononce.

Enfin, lorsqu'un opérateur agréé de jeux ou de paris en ligne communique des informations inexactes, refuse de fournir les informations demandées ou fait obstacle au déroulement de l'enquête, la commission des sanctions peut, après une mise en demeure restée infructueuse, prononcer une sanction pécuniaire d'un montant qui ne peut excéder 30 000 euros.

La commission ne peut être saisie de faits remontant à plus de trois ans, s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction. Ses décisions peuvent faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant la juridiction administrative par les personnes sanctionnées et par le président de l'ARJL, après accord du collège.

Le collège ou le président de la commission des sanctions informe sans délai le procureur de la République des faits qui sont susceptibles de recevoir une qualification pénale, à charge pour celui-ci d'informer sans délai la commission de sa décision de mettre en mouvement l'action publique sur les faits objets de la transmission.

III - L'agrément

L'ARJL délivre un agrément distinct aux opérateurs de jeux ou de paris en ligne pour les paris hippiques, les paris sportifs et les jeux de cercle en ligne, d'une durée de cinq ans renouvelable et non cessible. Il est conditionné au respect du cahier des charges par l'opérateur. Les conditions de délivrance de cet agrément viennent d'être précisées par le décret n° 2010-482 du 12 mai 2010 (N° Lexbase : L0278IKI).

Le refus d'agrément ou de non-renouvellement doit être motivé et ne peut reposer que sur un motif tiré de l'incapacité technique, économique ou financière de l'opérateur de faire face durablement aux obligations attachées à son activité. Il peut, également, être motivé par la sauvegarde de l'ordre public, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et les nécessités de la sécurité publique et de la lutte contre le jeu excessif ou pathologique. Le refus peut, enfin, résulter du fait que le demandeur soit frappé d'une des sanctions prévues à l'article 43 ou que l'entreprise, son propriétaire ou l'un de ses dirigeants ou mandataires sociaux a fait l'objet d'une condamnation pénale devenue définitive relevant des catégories énumérées par décret en Conseil d'Etat.

Toute modification des informations figurant sur la demande d'agrément doit être communiquée dans un délai fixé par décret à l'ARJL, qui peut, par décision motivée et en cas de changement des éléments déterminants de la demande (notamment, concernant la détention du capital), demander à l'opérateur de présenter une nouvelle demande d'agrément dans un délai d'un mois.

Quiconque aura offert ou proposé au public une offre en ligne de paris ou de jeux d'argent et de hasard sans être titulaire de l'agrément ou d'un droit exclusif est puni de trois ans d'emprisonnement et de 90 000 euros d'amende. Ces peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 200 000 euros d'amende, lorsque l'infraction est commise en bande organisée.

Les personnes physiques reconnues coupables encourent, également, des peines complémentaires (1).

Les personnes morales déclarées responsables pénalement encourent, également, outre l'amende, des peines complémentaires, ainsi que l'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, de solliciter et, le cas échéant, le retrait d'un tel agrément ou autorisation si la personne morale en est titulaire au moment du jugement.

IV - La mise en oeuvre de la politique de l'Etat en matière de jeu d'argent et de hasard en ligne

- La protection des mineurs

Les mineurs, même émancipés, ne peuvent prendre part à des jeux d'argent et de hasard dont l'offre publique est autorisée par la loi, à l'exception des jeux de loterie. Il appartient aux opérateurs de faire obstacle à leur participation.

En outre, les opérateurs ne peuvent pas financer l'organisation ou parrainer la tenue d'événements à destination spécifique des mineurs et ils doivent mettent en place, lors de toute connexion à leur site, un message avertissant que les jeux d'argent et de hasard sont interdits aux mineurs. La date de naissance du joueur est exigée au moment de son inscription, ainsi qu'à chacune de ses visites sur le site de l'opérateur.

- La protection des joueurs excessifs ou pathologiques

L'opérateur est tenu de faire obstacle à la participation aux activités de jeu ou de pari qu'il propose des personnes interdites de jeu en vertu de la réglementation en vigueur ou exclues de jeu à leur demande.

A cette fin, par l'intermédiaire de l'ARJL, il consulte les fichiers des interdits de jeu tenus par les services du ministère de l'Intérieur et clôture tout compte joueur dont le titulaire viendrait à être touché par une interdiction ou une exclusion. Il prévient les comportements de jeu excessif ou pathologique par la mise en place de mécanismes d'auto-exclusion et de modération et de dispositifs d'autolimitation des dépôts et des mises. Il communique, en outre, en permanence à tout joueur fréquentant son site le solde instantané de son compte. Enfin, il informe les joueurs des risques liés au jeu excessif ou pathologique par le biais d'un message de mise en garde, ainsi que des procédures d'inscription sur les fichiers des interdits de jeu tenus par les services du ministère de l'Intérieur.

Par ailleurs, le jeu à crédit est interdit. L'opérateur, ainsi que ses dirigeants, mandataires sociaux ou employés ne peuvent consentir des prêts d'argent aux joueurs ou mettre en place directement ou indirectement des dispositifs permettant aux joueurs de s'accorder des prêts entre eux. Le site de l'opérateur ne peut, en outre, contenir aucune publicité en faveur d'une entreprise susceptible de consentir des prêts d'argent aux joueurs ou de permettre le prêt entre joueurs, ni aucun lien vers le site d'une telle entreprise.

- La lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

La loi complète la liste des entreprises, visée à l'article L. 561-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4965IEM), soumises aux obligations de vigilance, de déclaration à la cellule TRACFIN et de contrôle interne. Le contrôle du respect de ses obligations est confié à l'ARJL, pour les seuls opérateurs de jeux en ligne. La commission des sanctions pourra, pour sa part, prononcer les sanctions à l'encontre des opérateurs, qu'ils interviennent ou non en ligne.

- Les règles en matière de publicité

Aux termes de la loi, toute communication commerciale en faveur d'un opérateur de jeux d'argent et de hasard légalement autorisé est :

- assortie d'un message de mise en garde contre le jeu excessif ou pathologique, ainsi que d'un message faisant référence au système d'information et d'assistance ;
- interdite dans les publications à destination des mineurs ;
- interdite sur les services de communication audiovisuelle et dans les programmes de communication audiovisuelle, présentés comme s'adressant aux mineurs ;
- interdite dans les services de communication au public en ligne à destination des mineurs ;
- interdite dans les salles de spectacles cinématographiques lors de la diffusion d'oeuvres accessibles aux mineurs.


(1) Interdiction des droits civiques, civils et de famille, confiscation des biens ayant servi directement ou indirectement à commettre l'infraction ou qui en sont le produit, affichage ou diffusion de la décision prononcée, fermeture définitive, ou pour une durée de cinq ans au plus, des établissements ou de l'un ou de plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés, interdiction, soit d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle, ou une société commerciale, étant précisé que ces interdictions d'exercice peuvent être prononcées cumulativement.

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Social général

[Evénement] "Grenelle 2" : la "RSE" attitude ?

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N1914BPL

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

RSE ou Responsabilité sociale (voire sociétale) des entreprises : "concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales, et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire" (définition retenue par le Livre vert de la Commission européenne en 2001).
Contribution des entreprises aux enjeux du développement durable, il s'agirait donc, pour les entreprises, de prendre en compte les impacts sociaux et environnementaux de leur activité afin d'adopter des pratiques plus respectueuses de l'environnement pris dans son acception la plus large. Le discours est tentant et bien rôdé et la philosophie d'un tel précepte paraîtrait presque idéaliste si les nécessités juridiques ne nous rappelaient pas à la réalité pragmatique d'une notion qui semblerait, de prime abord, juste dans l'air du temps.
Pourtant l'enjeu est de taille. En témoigne, le "fantasmagorique" article 83 du projet de loi "Grenelle 2", qui a tout simplement "disparu" du texte définitif. Parmi les quelques 250 autres articles survivants, point d'obligation donc pour les entreprises d'inclure dans le rapport de gestion des données sociales et environnementales. Inutile de se lancer ici dans le pourquoi du comment de l'inflexible et sempiternelle bataille de lobbying ayant pu précéder la rédaction définitive du texte, rappelons juste que cette obligation a été introduite en 2001 dans le Code de commerce par la loi sur les nouvelles régulations économiques, dite "NRE" (C. com., art. L. 225-102-1 N° Lexbase : L3957HB8) (1). Le Grenelle en prévoyait "simplement" l'extension en instaurant pour les entreprises de plus de 500 salariés des obligations d'information sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, obligation étendue dans l'article 83 bis aux entreprises publiques et aux administrations. Finalement, un décret ultérieur déterminera son champ d'application (périmètre d'application, nature des informations à fournir...). Simplement. En fait, rien n'est vraiment simple lorsqu'on parle "RSE". Et si ces dernières années ont vu émerger un nouveau paradigme pour les entreprises, à mi-chemin entre rêve alterécologique et nécessités économiques, cette même RSE doit aujourd'hui faire face à la crise. Fi donc de la maximisation courtermiste des profits, une entreprise se doit aujourd'hui d'être "sociétalement" correcte, c'est-à-dire faire de la gouvernance un moteur actif du développement durable. Plus de biberons au bisphénol, plus de téléphone portable dans les écoles maternelles, plus de bâtiments énergivores, sans parler de la taxe carbone, mais la RSE sera... L'Assemblée nationale adoptait donc, le 11 mai 2010, le projet de loi portant engagement national pour l'environnement, déjà voté par le Sénat le 8 octobre 2009. Procédure d'urgence oblige, reste donc l'examen en commission mixte paritaire des articles adoptés en des termes différents par les deux chambres.

La question posée par l'article 83 est aussi simple que cruciale : faut-il contraindre les entreprises à établir et diffuser la liste des critères environnementaux et sociaux qui leur permettent d'établir leur stratégie développement durable et d'en mesurer la portée ? Le dispositif mis en place par la loi "NRE" de 2001, ne s'appliquant, par ailleurs, qu'aux entreprises cotées, en instaurant une obligation d'inclure dans le rapport de gestion des données sociales et environnementales, a, en effet, révélé certaines faiblesses, pour ne pas dire lacunes. En se contentant d'établir par décret les différents thèmes sur lesquels les entreprises concernées devaient informer, sans imposer ni sanction, ni même certification, elle a eu pour effet de voir naître, certes, des rapports de développement durable, mais qui n'en avaient que le nom et faisaient davantage office d'objets de communication que de réels indicateurs de la qualité et de l'effectivité des stratégies alors mises en place. Fort de ce constat, l'article 83 en prévoyait logiquement l'élargissement : les entreprises de plus de 500 salariés seraient dès lors contraintes d'informer sur leurs critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Il se proposait donc d'obliger les entreprises à renseigner des indicateurs environnementaux et sociaux, afin de les comparer entre elles en présentant un bilan social et environnemental. "Obligation de moyen, pas de résultat", rassurait, dès le mois de mars, la commissaire au développement durable, Michèle Pappalardo. Cela n'aura pas suffi. L'obligation d'un reporting généralisé n'a -curieusement- pas convaincu ! Et le projet de loi a ainsi préféré retenir, de façon assez laconique, n'y voyons aucune mauvaise intention, qu'"un décret en Conseil d'Etat établit la liste de ces informations en cohérence avec les textes européens et internationaux, ainsi que les modalités de leur présentation de façon à permettre une comparaison des données". De même, les sociétés concernées deviennent celles "dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ainsi qu'aux sociétés dont le total de bilan ou le chiffre d'affaires et le nombre de salariés excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat".

C'est dans ce contexte pour le moins houleux que l'Université Paris V (Descartes) organisait, les 18 et 19 mars dernier, en partenariat avec le Centre de droit des affaires et de gestion (Cedarg) et l'Association pour le développement de l'enseignement et de la recherche sur la responsabilité sociale de l'entreprise (Aderse), deux colloques sur les thèmes de "Quel droit pour la responsabilité sociale de l'entreprise?" et "Quels modèles de gestion pour quelle RSE?", placés sous le Haut patronage de Jean-Louis Borloo, ministre d'Etat, ministre de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de la Mer en charge des Technologies vertes et des négociations sur le climat. L'occasion pour les intervenants de revenir, autour de plusieurs tables rondes, sur un concept qui devrait tendre à prendre une place prépondérante dans le comportement des entreprises...

En effet, commence par souligner Christine Neau-Leduc, Professeur à l'Université de Montpellier, les enjeux vont concerner, en premier lieu, le système juridique. Il semble, en effet, que la RSE mette à mal la hiérarchie des normes. Et il y a là une question essentielle en termes de théorie générale, notamment en droit social, celle de la reconnaissance d'une réglementation en droit privé, c'est-à-dire celle de la question du pouvoir normatif de l'employeur au sein de l'entreprise. Cette question implique d'inventer de nouveaux instruments juridiques. Il s'agirait, dans cette optique, de reconnaître un accord-cadre européen ou un accord-cadre juridique transnational, qui permettrait d'offrir un panel plus important aux acteurs de la RSE. C'est peut-être aussi, à en croire la même intervenante, l'apparition d'une "lex sociale"... Au-delà, il existe aujourd'hui des instruments juridiques, comme l'arbitrage ; peut-être suffirait-il de les adapter...

Pour autant, avec Bernard Teyssié, Professeur à l'Université Paris II Panthéon-Assas, resterons-nous attentifs aux procédures d'arbitrage : peut-on se contenter d'une procédure d'arbitrage spécifique à chaque accord ? Il est peut-être souhaitable de mettre en place une procédure d'arbitrage internationale avec une chambre d'arbitrage dévolue au droit social, l'OIT fournissant la base technique. Ce qui renvoie nécessairement à une seconde question : quel est le droit que cette chambre devra appliquer ? D'où l'éventualité de mettre en place une loi internationale sociale...

Cette question de la nécessité de l'arbitrage international suscite les interrogations les plus vives. Et à certains de s'empresser à apporter une réserve. François Fatoux, Délégué général de l'Orse (Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises), remarque, à cet égard, qu'il existe, à l'heure actuelle, une soixantaine d'accords internationaux. Sur ces soixante accords, une cinquantaine sont européens. Or, mettre en place un tel système ne risque-t-il pas de freiner la signature de tels accords ? Peut-être faut-il, en amont, assurer l'effectivité des accords dans l'entreprise ? Pour ce faire, cinq outils existent d'ores et déjà : le recours à des ONG et à des audits ; la déclinaison de l'accord mondial par des accords locaux ; la valorisation des bonnes pratiques ; les systèmes d'alerte ; ou, encore, un système d'auto-évaluation. Jacques Mestre, Professeur à l'Université Aix-Marseille III, relève, quant à lui, que l'idée de mettre en place une chambre d'arbitrage risque d'être perçue comme dangereuse, dans un premier temps.

Si la RSE est un enjeu pour le système juridique, elle l'est tout autant pour les parties prenantes et, en particulier, pour les entreprises, pour lesquelles elle devient un enjeu "interne" de management conditionnant l'efficacité de la démarche. Cependant, si l'introduction du facteur écologique dans l'entreprise reste un enjeu important, au quotidien, la démarche RSE risque de buter sur les réalités sociales de l'entreprise, les salariés étant peut-être moins réceptifs à ce type de discours... Toujours sur le plan interne, la RSE va également représenter un enjeu pour les organisations syndicales et pourrait symboliser le pari de la rénovation du dialogue sociale si l'on considère que la RSE suppose une collaboration très étroite entre les acteurs nationaux et internationaux. En effet, lorsque les syndicats s'emparent de la question écologique, ils se tournent vers un intérêt supérieur à celui des salariés. La RSE contribuerait ainsi à changer le champ d'action syndical...

Au-delà de ces considérations, l'entreprise doit prendre la mesure de son empreinte écologique, comme le souligne Marie-Pierre Blin, Maître de conférences à l'Université de Toulouse 1 Capitole, ce qui implique également une refonte des conditions de travail. La thématique semble donc s'élargir à l'environnement de l'entreprise. Cette évolution ressort d'ailleurs très clairement du "Grenelle 1" de l'environnement : la gouvernance nouvelle des entreprises fait de l'écologie un instrument interne (2). Il s'agit ici de consacrer une connaissance écologique dans l'entreprise. Est également envisagée l'introduction d'un plan de formation tourné vers l'environnement et, c'est peut-être là l'essentiel, la possibilité d'attribuer aux institutions représentatives du personnel une mission de développement durable.

Ce soutien législatif passe par un second axe, selon la même intervenante, qui est celui de l'alerte. D'abord façonné par les sociologues, le système de l'alerte a aujourd'hui pénétré le monde juridique et implique d'organiser dans l'entreprise la révélation, par le salarié, de dispositif dont il a connaissance. L'enjeu est essentiel pour le développement durable.

Quels sont les vecteurs possibles ?

L'alerte peut, en premier lieu, être médiate. Elle passe alors par les institutions représentatives du personnel. A cet égard, on peut s'interroger sur l'opportunité de l'élargir aux comités d'entreprise. Elle peut, en second lieu, être immédiate, c'est-à-dire provenir du salarié lui-même. Dans ce cas de figure, elle peut être externe ou interne. Dans l'hypothèse de l'alerte "externe", le juge a mis en avant une limite en précisant, dans un arrêt du 8 décembre 2009, qu'un code de conduite des affaires peut limiter le droit d'expression (3). Dans l'hypothèse de l'alerte "interne", la question fait l'objet d'un contentieux important, notamment en termes de procédure (4). Ceci révèle peut-être une certaine "mise en lumière du hiatus entre le rêve et la réalité". Bernard Teyssié souligne, en effet, la divergence naissante entre une conception idéale, idéaliste serions même nous tenter de dire, de la reconnaissance d'accords de responsabilité sociale, qui ne doivent à ce titre pas avoir de force contraignante, et une réalité qui, en droit social, s'appelle les syndicats, les institutions représentatives du personnel et les salariés, qui vont vouloir des effets concrets et visibles, et non seulement théoriques. Toute la difficulté risque, donc, dans les années à venir, de trouver un juste équilibre entre ces aspirations au départ divergentes.

Dès lors, l'on s'en rend bien compte ici, si la RSE soulève de nombreuses questions et en laisse non moins en suspens, elle suppose une approche pragmatique. Anne de Ravaran, Directrice juridique RH Thalès, permet de concrétiser cette approche. En effet, après avoir insisté sur le fait que, sur le plan pratique, la RSE est devenue une réalité au sein du groupe Thalès, Anne de Ravaran rappelle, pour reprendre la genèse de la mise en place d'un tel dispositif, qu'un Code éthique a été distribué en 2001 à l'ensemble des salariés de tous les pays, code s'accompagnant de la mise en place parallèle d'une procédure d'alerte éthique et dont la partie sociale prévoit un engagement dans le développement des ressources humaines dans les relations avec les salariés et, dans les relations avec les sous-traitants, la mise en place d'une Charte achat. Et de conclure que, d'un point de vue très pratique, la RSE doit concilier, au niveau de l'entreprise, les intérêts économiques et sociaux, or, cela ne pourra se faire qu'avec la volonté d'agir des salariés, "en quelque sorte, militants de la RSE".

Surtout, peut-être faut-il réfléchir, comme nous y invite, pour terminer, Jacques Mestre, sur les conséquences de tous ces changements et garder à l'esprit que les accords cadres internationaux restent avant tout des instruments de relations professionnelles. Il ne faut pas davantage oublier que la RSE risque d'induire un problème d'interprétation des normes, or, elle n'a aucune vertu à limiter la souveraineté des Etats. Finalement, si l'on fait un peu de prospective, ne va-t-on pas un jour arriver à modifier le droit même du travail ? C'est pourquoi il apparaît sans nul doute aujourd'hui urgent d'en assurer une juste appréhension par les mécanismes juridiques existants.


(1) Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (N° Lexbase : L8295ASZ).
(2) "La qualité des informations sur la manière dont les sociétés prennent en compte les conséquences sociales et environnementales de leur activité et l'accès à ces informations constituent des conditions essentielles de la bonne gouvernance des entreprises" (loi n° 2009-967 du 3 août 2009, de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, art. 53 N° Lexbase : L6063IEB).
(3) Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3615EPL). Lire les obs. de Ch. Willmann, Alerte professionnelle : un code d'entreprise doit être conforme à la loi du 6 janvier 1978, Lexbase Hebdo n° 376 du 17 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7165BMC).
(4) Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191, préc..

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[Evénement] Twitter, Facebook... Réseaux sociaux : pratique et déontologie

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N1901BP4

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 03 Mars 2011

Depuis peu, la vague des réseaux sociaux déferle sur le monde, emportant progressivement avec elle le scepticisme de ceux qui, dans un premier temps, ont cru à un effet de mode. Tout le monde s'y intéresse de près ou de loin et, qu'il soit positif ou non, chacun a son avis sur la question. Il suffit de visionner cette présentation pour s'en convaincre. Les avocats ne font pas exception à la règle. Ils sont nombreux à avoir compris les intérêts de ces nouveaux outils en termes de communication et de gestion de projet notamment (1). Les geeks de la profession multiplient, ainsi, les initiatives pour informer leurs confrères et les former aux nouvelles technologies. La dernière en date, un colloque intitulé Twitter, Facebook... Réseaux sociaux : pratique et déontologie et organisé par l'Ordre des avocats de Lille, s'est tenue mardi 11 mai 2010, dans les locaux de la Maison de l'Avocat.
L'événement a réuni de nombreux avocats lillois, de tout âge et issus tant du conseil que du contentieux. Ils sont venus découvrir cet "ovni" appelé "réseau social", pour les uns, ou parfaire leurs connaissances sur le sujet, pour les autres (surtout les jeunes, qui utilisent déjà au quotidien et à titre personnel Facebook et autres copains d'avant). Tous sont repartis plus intéressés encore qu'ils ne l'étaient déjà, preuve de l'opportunité et de la qualité de la manifestation.

Le ton a été donné, dès les premières minutes du colloque, par Emmanuel Masson, Bâtonnier désigné qui a relevé qu'en 340 secondes (soit le temps qu'aura duré le discours d'introduction de René Despieghelaere, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Lille, pour qui le thème est cher), 36 000 nouveaux blogs se sont ouverts, 202 000 "twitts" (sur Twitter) ont été lancés et 38 000 applications i-phone ont été téléchargées. Et, de poursuivre avec les chiffres : aujourd'hui, on compte 1,6 milliards d'internautes, 37 millions en France, dont 16 millions sont présents sur des réseaux sociaux. Dans ce contexte, Facebook est le champion toute catégorie avec près de 400 millions d'utilisateurs en début d'année 2010.

Présentation des nouveaux outils de communication

Une présentation des différents outils communautaires et, en particulier de Twitter et de Facebook, a été faite par un professionnel de la communication, Benjamin Zehnder, Consultant associé Didier Gras communication.

Celui-ci a exposé l'intérêt de Twitter -plateforme ouverte permettant de partager de courtes phrases-, dans le cadre professionnel, en tant que puissant outil de communication, mais aussi de veille.

Sur le premier point, retenons qu'il s'agit essentiellement de conversations, d'une marque avec les consommateurs et surtout entre consommateurs, et qu'il est important de créer du contenu pour être "suivi". Celui-ci, pour présenter un réel intérêt doit être différent de celui figurant sur le site institutionnel de la "marque" (ou du cabinet, si l'on transpose). Il est, en outre, important de bien identifier les personnes qui partagent ses propres centres d'intérêt. La transparence, l'honnêteté et le temps (à y consacrer) sont les trois autres grandes règles à respecter sur le réseau social, si l'on souhaite en retirer un réel bénéfice.

Maxime Moulin, avocat et membre de la Commission communication de l'Ordre, a donné un exemple de l'intérêt de ce site : il a récemment été contacté sur cette plateforme par un éditeur pour rédiger une note sur la loi "Hadopi", qui aura, au bout de quelques jours, été consultée plusieurs milliers de fois.

Les intervenants ont, également, insisté sur la puissance de cet outil du point de vue de la veille (qui, faut-il le rappeler, représente une large part de l'activité d'un avocat) : les informations figurant sur le site sont sûres, en ce qu'elles proviennent la plupart du temps de la source ; elles sont, également, de qualité et de toute première fraicheur. Il arrive, ainsi, très souvent que des scoops (arrêts, projets de loi, etc.) soient divulgués sur Twitter avant d'être publiés sur les sites officiels.

Facebook a la particularité de regrouper toutes les fonctionnalités (de publication, de conversation, etc.) des sites communautaires. Pour autant, le site est avant tout utilisé au sein de la sphère privée, plus que professionnelle. Le bénéfice en termes de veille est donc plus limité que sur Twitter. Pris sous l'angle de la communication, il trouve toute sa pertinence, eu égard, notamment, au nombre d'abonnés et d'interactions entre eux. Et, si l'outil a, dans un premier temps, compté quasiment que de jeunes utilisateurs (les digital natives, nés dans les années 80), il s'adresse et séduit rapidement et sûrement toutes les générations.

Utilisation de ces nouveaux outils dans le cadre de l'exercice professionnel

Emmanuel Masson, Bâtonnier désigné, a confirmé le réel intérêt de ces plateformes dans le cadre de la veille juridique. D'autant que de nombreux autres outils permettent de gérer au mieux la diffusion et la réception de l'information. Dans le premier cas, des sites permettent de diffuser instantanément la même information sur tous les réseaux sociaux et, dans le second cas, d'autres proposent une sélection de l'actualité, toujours concise et percutante.

L'attention de l'assistance a, également, été attirée sur les avantages que présentent les sites dits "collaboratifs" (ou de "networking"), plateformes qui permettent aux professionnels de travailler ensemble à distance sur des dossiers communs, grâce à une panoplie de fonctionnalités de publication, de suivi des modifications, de gestion des paramètres de confidentialité, etc.. Ces outils, qui accompagneront à coup sûr l'interprofessionnalité tant recommandée par la commission "Darrois", permettent déjà à certains confrères de remédier à la solitude de leur exercice professionnel. Rappelons que Lille compte plus de six cent cabinets individuels.

Assurer la présence de son cabinet dans les réseaux sociaux en conformité avec la déontologie

Selon Bertrand Debosque, ancien Bâtonnier et président de la Commission communication de l'Ordre, si le règlement intérieur national (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8) ne prévoit pas de dispositions spécifiques relatives aux réseaux sociaux -ceci alors même que la dernière Assemblée générale du CNB a remodelé significativement l'article 10 portant sur la publicité-, les principes essentiels qu'il pose ont une portée suffisamment générale pour dicter quelle conduite adopter. Ceci d'autant plus que l'article 1-3 impose au professionnel de respecter ces règles fondamentales, ainsi que toutes les autres dispositions du règlement, en toutes circonstances et, donc, même dans le cadre de la vie privée.

Les principes essentiels régissant la profession sont issus de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130 N° Lexbase : L6343AGZ), aux termes duquel l'avocat exerce ses fonctions "avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité". L'article 3 du décret du 12 juillet 2005 (décret n° 2005-790 N° Lexbase : L6025IGA) ajoute qu'il est soumis, dans son exercice, au respect "des principes d'honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie". Les principes de confidentialité et de secret professionnel sont, également, consacrés.

Concernant la publicité, l'article 10 du RIN autorise la publicité aux seules fins de délivrer une information au public. Toute information laudative est proscrite. Le texte pose, également, une interdiction absolue en ce qui concerne le démarchage et précise, notamment, que "toute offre de service personnalisée adressée à un client potentiel est interdite à l'avocat". Cette interdiction vaut pour tous les médias. En outre, quel que soit le support, le cabinet doit, toujours, pouvoir être identifié et localisé. Le nouvel article 10-6 du RIN régit spécifiquement la question de la publicité sur internet. Il traite, notamment, opportunément des noms de domaines, qui ont fait polémique récemment (2).

Deux obstacles à la publicité des avocats sur les réseaux sociaux ont été relevés par l'intervenant : l'interdiction de tout encart ou de toute bannière publicitaire et le contrôle des liens hypertextes figurant sur la page de l'avocat, par celui-ci. En aucun cas, ils ne doivent être contraires aux principes essentiels de la profession. Or, sur les réseaux sociaux, ces liens sont nombreux et publiés par une foule de personnes.

Les risques de ces nouveaux médias

Maxime Moulin, membre de la Commission communication de l'Ordre, qui qualifie, à juste titre, internet de caisse de résonnance énorme, a identifié plusieurs dangers majeurs inhérents aux réseaux sociaux :

- la perte de productivité du cabinet. Les réseaux sociaux demandent du temps, il faut donc pouvoir quantifier celui-ci préalablement et le maîtriser ; à noter que certains outils informatiques permettent de décider des sites internet pouvant être consultés par l'effectif d'une société ;

- le "viol" du cabinet. Facebook, qui restreint tous les ans un peu plus la confidentialité, serait, sur ce plan, plus dangereux que Twitter qui limite à 140 caractères les twitts ; un tel format minimise les risques de grandes divulgations ;

- le problème de l'e-réputation. Sur le net, toute information peut être diffusée très rapidement dans le monde entier et de façon quasi permanente ; aucun droit à l'oubli n'existe encore réellement et quand bien même il serait proclamé, il serait difficilement mis en oeuvre ;

- le problème du vol d'identité ;

- la responsabilité de l'éditeur. Sur tout site communautaire, l'utilisateur est responsable du contenu de sa page et de tout ce qui y serait publié par des tiers ;

- l'espionnage ;

- enfin, le spamming et les virus.


(1) Lire De la nécessité d'intégrer le web à l'exercice de la profession d'avocat - Questions à Clarisse Berrebi - avocate et Présidente nationale de l'ACE -JA, Lexbase Hebdo n° 15 du 18 janvier 2010 - édition professions (N° Lexbase : N9623BMD)  et Communication des avocats sur internet - Questions à Christiane Féral-Schuhl, associée du cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie et Présidente de l'Association pour le développement de l'informatique juridique (ADIJ), Lexbase Hebdo n° 21 du 2 mars 2010 - édition professions (N° Lexbase : N4687BNW).
(2) Lire Avocats : quels-noms-de-domaine.com ?, Lexbase Hebdo n° 20 du 24 février 2010 - édition professions (N° Lexbase : N2584BNZ).

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Mai 2010

Lecture: 10 min

N1935BPD

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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis

Le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics, rédigée par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique. Un texte et deux décisions juridictionnelles sont ici mis en évidence. Il s'agit, tout d'abord, de l'ordonnance rendue par le tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 26 mars 2010, n° 1001296, Société Chenil Service), qui ne manquera pas d'attirer l'attention des praticiens car elle est l'une des premières rendues par le juge administratif dans le cadre du nouveau référé contractuel institué par l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L1548IE3). Son importance réside dans les précisions qu'elle apporte quant aux modalités d'exercice de ce recours en matière de marchés publics passés selon une procédure adaptée. Ensuite, un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 5 mai 2010 (CE 3° et 8° s-s-r., 5 mai 2010, n° 301420, M. Bernard, mentionné dans les tables du recueil Lebon) indique que les conditions financières de l'occupation du domaine public peuvent être modifiées en cours d'exécution. Sera, enfin, traité le décret n° 2010-406 du 26 avril 2010, relatif aux contrats de concession de travaux publics et portant diverses dispositions en matière de commande publique, qui vient utilement compléter l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009, relative aux contrats de concession de travaux publics (N° Lexbase : L4656IE8).
  • Le référé contractuel et les marchés publics passés selon une procédure adaptée (TA Lyon, 26 mars 2010, n° 1001296, Société Chenil Service N° Lexbase : A0107EWU)

Imposé par le droit communautaire, et plus précisément par la Directive "recours" du 11 décembre 2007 (1), le référé contractuel a été introduit dans notre droit par l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, et s'applique aux contrats dont la consultation a été engagée à partir du 1er décembre 2009. C'est, par conséquent, avec impatience que l'on attendait les premières ordonnances rendues par ce nouveau juge du référé contractuel dont les conditions de saisine et les pouvoirs sont fixés par les articles L. 551-13 (N° Lexbase : L1581IEB) à L. 551-23 du Code de justice administrative, celle prononcée par le tribunal administratif de Lyon le 26 mars 2010 étant déjà riche d'enseignements.

Dans cette affaire, la commune de Vénissieux avait, le 11 février 2010, conclu avec la Société protectrice des animaux (SPA) de Lyon un marché public relatif à la capture, au ramassage et au transport des animaux errants ou dangereux sur la voie publique (correspondant au lot n° 1), et à la gestion de la fourrière animale (correspondant au lot n° 2) pour l'année 2010. La société Chenil Service avait alors saisi le juge du référé contractuel en lui demandant d'annuler ledit contrat (2) au motif qu'il avait été signé par la commune sans observer un quelconque délai de suspension de signature, et que les deux lots avaient été attribués à la SPA de Lyon alors qu'elle avait présenté des offres anormalement basses. Le juge du référé contractuel a rejeté son recours en apportant une précision d'importance dont on ne peut mesurer la portée qu'après avoir brièvement rappelé l'économie du référé contractuel.

Le tribunal administratif de Lyon rappelle, tout d'abord, les conditions particulières dans lesquelles le juge du référé contractuel peut être saisi. Selon les termes de l'article L. 551-13 du Code de justice administrative, le président du tribunal, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 (N° Lexbase : L1591IEN) et L. 551-5 (N° Lexbase : L1572IEX) du même code, c'est-à-dire tous les contrats ayant pour objet l'exécution de travaux, de fournitures, de produits ou la prestation de services, soit en contrepartie d'un prix, soit en contrepartie du droit d'exploiter l'ouvrage ou le service ou de ce droit assorti d'un prix, ou encore d'une délégation de service public. Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas des contrats locaux. Mais à ce cadre de droit commun, le Code de justice administrative apporte quelques exceptions. L'article L. 551-15 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1560IEI) dispose, notamment, que le référé contractuel ne peut être exercé, ni à l'égard des contrats dont la passation n'est pas soumise à une obligation de publicité préalable lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, ni à l'égard des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s'applique pas l'obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus, lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a accompli la même formalité.

Se posait donc la question de savoir si les marchés publics passés selon une procédure adaptée pouvaient donner lieu à un référé contractuel. Le tribunal administratif de Lyon répond par l'affirmative au terme d'un raisonnement qui se veut constructif et protecteur de l'esprit du référé contractuel. L'angle d'attaque développé par la société requérante était le suivant. Elle soutenait que la ville de Vénissieux n'avait pas respecté l'article 80 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L9824IEL), lequel impose au pouvoir adjudicateur d'informer les candidats dont l'offre n'a pas été retenue des motifs de ce rejet et de respecter un délai d'au moins dix jours entre la date à laquelle la décision de rejet est notifiée aux candidats non retenus et la date de signature du marché. Le tribunal administratif de Lyon juge logiquement que cet article 80 n'était pas applicable au marché litigieux qui était un marché conclu selon une procédure adaptée, et non selon une procédure formalisée. La ville de Vénissieux a donc pu légalement signer le marché le 11 février 2010, puis par lettre du 12 février, notifiée le 16 février à la société Chenil Service, informer cette dernière de la signature du marché et du rejet de son offre.

Pour autant, le tribunal administratif ne conclut pas à l'irrecevabilité de la société requérante à saisir le juge du référé contractuel, et c'est sur ce point que son ordonnance est importante. Il juge, en effet, qu'en n'ayant pas informé les candidats non retenus du rejet de leur offre préalablement à la signature du contrat et en n'ayant pas, par la force des choses (le contrat étant déjà signé !), laissé un délai raisonnable entre la notification de cette décision et la signature du marché, la ville de Vénissieux n'a pas respecté les obligations qui étaient les siennes, et a permis à la société Chenil Service d'être recevable à exercer un référé contractuel. En effet, il faut bien voir que, si l'article L. 551-15 du Code de justice administrative exclut les "petits" marchés du champ d'application du référé contractuel (les marchés sans obligation de publicité préalable et les marchés soumis à une obligation de publicité préalable mais non concernés par l'obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus), c'est à la stricte condition que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice ait, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication. Sur le fond, le juge du référé contractuel n'a, cependant, pas donné raison à la société requérante qui n'a pas apporté des éléments de preuve suffisants permettant d'établir que l'offre présentée par la SPA de Lyon était anormalement basse.

  • Contrat d'occupation du domaine public : la modification des conditions pécuniaires de l'occupation domaniale est possible en cours de contrat (CE 3° et 8° s-s-r., 5 mai 2010, n° 301420, M. Bernard, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1103EX7)

La situation du titulaire d'un contrat administratif n'est pas toujours enviable si l'on songe aux prérogatives exorbitantes accordées à la personne publique par le régime juridique général du contrat administratif (pouvoir de contrôle et de direction, de sanction, de modification et de résiliation unilatérale). Cette situation est, sans doute, encore moins enviable lorsque le contrat administratif en cause est un contrat d'occupation du domaine public (3), car au régime juridique du contrat administratif s'ajoute alors celui de la domanialité publique dont on sait qu'il repose, notamment, sur le principe du caractère précaire et révocable des autorisations d'occupation domaniale.

L'affaire jugée par le Conseil le 5 mai 2010 illustre parfaitement cette situation en reconnaissant à l'autorité domaniale le pouvoir de modifier les conditions pécuniaires de l'occupation. En 1969, le port de plaisance de Port-Camargue avait été concédé par l'Etat et pour 50 ans à la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Nîmes, Baglos, Uzès, Le Vignan. Le cahier des charges disposait que le concessionnaire supportait seul la charge de tous les impôts auxquelles sont ou pourraient être assujetties la concession et sa dépendance. En 1979, la CCI a autorisé M. X à occuper une parcelle du plan d'eau du port située au droit de sa marina (4) avant qu'un arrêté préfectoral ne vienne, en 1984, mettre le port à la disposition de la commune du Grau-du-Roi, en maintenant, toutefois, les droits du concessionnaire jusqu'à l'expiration de la concession. En 1997, la CCI a mis à la charge de l'intéressé la somme de 184,66 euros correspondant à une fraction de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les années 1996 et 1997. M. X ayant refusé de s'acquitter de cette somme, le litige a alors été porté devant le tribunal administratif de Montpellier qui a rejeté le recours de la CCI.

La cour administrative d'appel de Marseille (CAA Marseille, 5ème ch., 11 décembre 2006, n° 03MA02015 N° Lexbase : A9040DTY) a, cependant, annulé ce jugement de rejet et condamné l'occupant au paiement de la somme contestée. Le Conseil d'Etat a cassé cet arrêt au motif que la cour administrative d'appel a dénaturé les stipulations du contrat d'occupation conclu entre M. X et la CCI. En effet, celles-ci autorisaient la CCI à mettre à la charge de l'occupant les seuls impôts auxquels étaient, ou pouvaient être, assujettis les pieux qu'il avait implantés dans la partie du plan d'eau occupé par lui. Or, la CCI avait répercuté la charge de la taxe foncière sur les occupants en prenant pour assiette l'ensemble des équipements du port de plaisance, et non les ouvrages que chaque permissionnaire avait été autorisé à construire. Pour le Conseil d'Etat, les clauses contractuelles faisaient donc clairement obstacle à ce que la CCI puisse réclamer l'intégralité de la somme contestée.

Mais ce que le contrat ne permettait pas de faire, le régime de la domanialité publique l'autorise. Pour le juge administratif, en effet, la somme réclamée par la CCI peut être justifiée par le pouvoir donné au gestionnaire du domaine public de modifier les conditions pécuniaires auxquelles l'occupation domaniale était subordonnée. Le pouvoir ici attribué n'en demeure pas moins étroitement conditionné. En l'espèce, il semble que la somme réclamée par la CCI n'a été validée par le Conseil d'Etat que parce qu'elle résultait d'une réévaluation de la valeur locative du port par l'administration fiscale. Pour déterminer cette valeur, celle-ci avait décidé, à partir de 1996, de prendre en compte les postes d'amarrage attenant aux marinas alors que ces derniers étaient auparavant pris en compte pour déterminer la valeur locative des marinas au titre de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties acquittée par chacun des propriétaires. C'est, en d'autres termes, le fait du prince en amont qui justifie en aval la modification des conditions financières de la sous-occupation domaniale.

  • Décret n° 2010-406 du 26 avril 2010, relatif aux contrats de concession de travaux publics et portant diverses dispositions en matière de commande publique (N° Lexbase : L9996IGC) (JO du 28 avril 2010, p. 7686)

Le décret n° 2010-406 du 26 avril 2010 était attendu (5). Il constitue, en effet, le très utile prolongement de l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009, relative aux contrats de concession de travaux (6), qui, si elle avait rappelé les principes de la commande publique, avait renvoyé au pouvoir réglementaire le soin d'en déterminer le régime de passation (7). Le premier titre du décret est consacré aux contrats de concession de travaux publics passés par l'Etat et certains de ses établissements publics, le deuxième est relatif aux modalités de publicité et de passation des contrats de concession de travaux publics et des marchés de travaux passés par les concessionnaires de travaux publics, et le troisième titre porte diverses dispositions. Il est à noter que ce décret est applicable depuis le 29 avril 2010 (sous réserve toutefois des articles 37, 39 et 40).

Concernant les contrats de concession de travaux publics passés par l'Etat et certains de ses établissements publics (Titre 1er), le décret rappelle la définition de la notion de concession de travaux publics (contrat administratif dont l'objet est de faire réaliser tous travaux de bâtiment ou de génie civil par un concessionnaire, dont la rémunération consiste soit dans le droit d'exploiter l'ouvrage, soit dans ce droit assorti d'un prix), et exclut de son champ d'application certaines catégories de contrats (article 4). La passation de ces contrats doit intervenir dans le respect des principes de la commande publique, obligation étant faite au pouvoir adjudicateur qui se propose de conclure une concession de travaux publics de faire connaître son intention au moyen d'un avis conforme au modèle fixé par le droit communautaire (article 9), dès lors que son montant est égal ou supérieur à 4,845 millions d'euros hors taxes. Cet avis d'appel public à la concurrence doit, ensuite, être envoyé au Journal officiel de l'Union européenne. Pour les contrats de concession de travaux publics d'un montant inférieur au seuil précité, le pouvoir adjudicateur choisit librement les modalités de publicité adaptées en fonction des caractéristiques du contrat, de son montant et de la nature des travaux en cause (article 12). Pour les contrats d'un montant égal ou supérieur au seuil communautaire, un certain nombre de délais sont fixés par l'article 14 relativement aux contrats dépassant les seuils communautaires (délai de réception des candidatures d'au moins 52 jours par exemple). La dématérialisation est encouragée (articles 14 et 15). De même, dès qu'il a fait son choix pour une candidature ou une offre, le pouvoir adjudicateur notifie à tous les autres candidats le rejet de leur candidature ou de leur offre avec les motifs de ce rejet. Un délai de standstill de 16 jours doit être respecté entre la date d'envoi de la notification et la date de conclusion du contrat (délai réduit à 11 jours en cas de transmission par voie électronique), ce délai devant être indiqué dans l'acte de notification de l'attribution du contrat.

Ces règles sont déclinées dans le titre II de la première partie du décret relatif aux contrats de concession de travaux publics passés par les autres pouvoirs adjudicateurs (c'est-à-dire par les pouvoirs adjudicateurs soumis à l'ordonnance du 6 juin 2005, relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics N° Lexbase : L8429G8P, ainsi que par les collectivités territoriales et leurs établissements publics) et aux marchés de travaux passés par les concessionnaires de travaux publics. Concernant les collectivités territoriales, les dispositions du décret sont codifiées aux articles R. 1415-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L0050IHC). Elles sont plus denses que celles applicables à l'Etat (8). Enfin, le décret n° 2010-406 comporte diverses dispositions. Parmi celles-ci figure, notamment, l'article 40 qui tire les conséquences de la condamnation par la Cour de justice de l'Union Européenne (9) de la procédure française des marchés de définition, en abrogeant les articles 73 (N° Lexbase : L3234ICR), 74-IV (N° Lexbase : L0030IHL) et 168-V (N° Lexbase : L0029IHK) du Code des marchés publics.

François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique


(1) Directive (CE) 2007/66 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007, modifiant les Directives (CE) 89/665 ( N° Lexbase : L9939AUN) et 92/13 ( N° Lexbase : L7561AUL) du Conseil en ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics (N° Lexbase : L7337H37), JOUE du 20 décembre 2007.
(2) L'annulation du contrat (CJA, art. L. 551-18 N° Lexbase : L1598IEW) compte parmi les nombreux et puissants pouvoirs du juge du référé contractuel. À celui-ci s'ajoutent, en effet, un pouvoir de suspension (CJA, art. L. 551-17 N° Lexbase : L1555IEC), de résiliation, de réduction de la durée du contrat, ou encore la possibilité d'infliger une pénalité financière (CJA, art. L. 551-19 N° Lexbase : L1605IE8).
(3) Contrats dont l'on sait qu'ils sont administratifs par détermination de la loi (C. gen. prop. pers. pub., art. L. 2331-1 N° Lexbase : L0421H4D).
(4) Il s'agissait donc d'un sous-contrat d'occupation du domaine public.
(5) Voir, en ce sens, F. Linditch, JCP éd. A, 2010, 2164.
(6) Sur cette ordonnance, voir G. Clamour, Ombres et lumières de l'ordonnance relative aux concessions de travaux, Contrats Marchés publ., 2009, chron. 9, F. Linditch, JCP éd. A, 2009, 2214, P. Proot, Dr. adm., 2009, comm. 128.
(7) Selon l'article 8 de l'ordonnance du 15 juillet 2009, "la passation des contrats de concession de travaux publics est soumise à des obligations de publicité dans les conditions, et sous réserve des exceptions définies par voie réglementaire".
(8) Sur ces dispositions spécifiques aux collectivités territoriales, lire F. Linditch, Décret relatif aux concessions de travaux publics, les dispositions applicables aux collectivités locales, JCP éd. A, 2010, 2164.
(9) CJUE, 10 décembre 2009, aff. C-299/08, Commission européenne c/ République française (N° Lexbase : A3939EPL), AJDA, 2009, p. 2373, obs. J.-M. Pastor, Contrats marchés publ., 2010, comm. 16, note W. Zimmer, CP-ACCP, 2010, n° 96, p. 89, note V. Cochi et G. Terrien, RJEP, 2010, comm. 25, nos obs.

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Sociétés

[Manifestations à venir] L'entrepreneur individuel à responsabilité limitée : entreprise individuelle de demain ?

Lecture: 1 min

N1930BP8

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Le 07 Octobre 2010

La Chambre de commerce et d'industrie de Paris, le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables, l'Ordre des experts-comptables de la région Paris Ile-de-France et l'Ordre des avocats de Paris organisent le 1er juin 2010 une matinée de rencontre sur le thème de l'Entrepreneur individuel à responsabilité limitée à la Chambre de commerce et d'industrie de Paris. En présence d'Hervé Novelli, secrétaire d'Etat chargé du Commerce, de l'Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme, des Services et de la Consommation, auprès de la ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, ce colloque sera l'occasion de présenter les principaux aspects de ce nouvel outil et, très concrètement, de le soumettre aux débats des praticiens et représentants du monde professionnel.
  • Programme

Première table ronde : le pari de la simplicité est-il gagné ?

- EIRL : un mode d'emploi réellement accessible à tous ?
- Vers des auto-entrepreneurs à responsabilité limitée (AERL) ?
- Quel impact de l'EIRL sur le droit des sûretés ?
- Quelle procédure pour l'EIRL en difficulté ?

Seconde table ronde : quelle croissance pour l'EIRL ?

- Le concept peut-il résister aux besoins de financement ?
- L'EIRL, un nouvel outil d'optimisation patrimoniale ?
- L'EIRL, un choix définitif ou une passerelle vers la forme sociétaire ?

  • Intervenants

Pierre Simon, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris
Jean Castelain, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris
Joseph Zorgoniotti, président du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables
Hervé Novelli, secrétaire d'Etat chargé du Commerce, de l'Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme, des Services et de la Consommation, auprès de la ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi
François Drouin, président directeur général d'OSEO
Anne Outin-Adam, directeur du pôle de politique législative et juridique à la CCIP
François Hurel, président de l'Union des auto-entrepreneurs
Philippe Dupichot, professeur à l'Université Paris XII, avocat
Patrick Canet, mandataire judiciaire, ancien professeur associé des facultés de droit
Xavier de Roux, auteur du rapport "La création d'un patrimoine d'affectation"
Laurent Benoudiz, expert-comptable, commissaire aux comptes, conseiller de l'Ordre des experts-comptables région Paris Ile-de-France
Jean-Yves Mercier, avocat
Philippe Touzet, avocat, membre du Conseil de l'Ordre

  • Date

Mardi 1er juin 2010
8h30 - 12h00

  • Lieu

Chambre de commerce et d'industrie de Paris
27 avenue de Friedland
75008 Paris

  • Renseignements

www.ccip.fr
Fax : 01.55.65.72.82
E-mail : cpigeon@ccip.fr

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Libertés publiques

[Panorama] La protection européenne de la liberté d'expression : panorama de la jurisprudence récente (janvier - mai 2010)

Lecture: 33 min

N1929BP7

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par Cédric Tahri, ATER à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun (1). Sous réserve du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (N° Lexbase : L4743AQQ), elle vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de société démocratique. Telle que la consacre l'article 10, la liberté d'expression est assortie d'exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante. En particulier, l'adjectif "nécessaire", au sens de l'article 10 § 2, implique un "besoin social impérieux" (2). Certes, les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour juger de l'existence d'un tel besoin, mais elle se double d'un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l'appliquent, même quand elles émanent d'une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une "restriction" se concilie avec la liberté d'expression que protège l'article 10. Pour autant, la Cour n'a point pour tâche, lorsqu'elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes. Elle se charge de vérifier sous l'angle de la Convention les décisions qu'elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d'appréciation. Il ne s'ensuit pas qu'elle doive se borner à rechercher si l'Etat défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l'ingérence litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire pour déterminer si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent "pertinents et suffisants" et si elle était "proportionnée au but légitime poursuivi". Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l'article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents. L'exercice est particulièrement délicat, ce dont témoignent les dix derniers arrêts de principe rendus en la matière.

Dans un arrêt du 19 janvier 2010, les juges strasbourgeois estiment que la condamnation d'un journaliste portugais pour diffamation constitue une entrave injustifiée à sa liberté d'expression.

Les faits. En l'espèce, M. X, ressortissant portugais, était directeur de l'hebdomadaire régional Notícias de Leiria, dans lequel il signa un article en février 2000 concernant une procédure pénale dont aurait fait l'objet J., médecin et homme politique connu dans la région, pour agression sexuelle sur une patiente. Il signa un autre article sur ce sujet quelques jours plus tard, précisant certains faits, ainsi qu'une "note du directeur" appelant à ce que de nouveaux témoignages concernant d'éventuels autres agissements similaires de J. fussent signalés. Dans le cadre des poursuites pénales à son encontre, M. X fut accusé de violation du segredo de justiça (notion proche du "secret de l'instruction") et de diffamation envers J.. Le tribunal de Leiria considéra dans son jugement du 21 décembre 2004 que le requérant était allé au-delà de ses responsabilités en tant que journaliste et qu'il avait lancé une suspicion générale envers J. en insinuant, sans fondement, que ce dernier se serait livré à des agissements similaires envers d'autres victimes. M. X fut déclaré coupable d'une infraction de violation du segredo de justiça et de deux infractions de diffamation aggravée, le plaignant étant un élu du peuple. Il fut condamné à une peine de 500 jours-amende, ainsi qu'au versement de 5 000 euros de dommages-intérêts à J.. En appel, le requérant contesta la condamnation relative au segredo de justiça, au motif qu'il n'avait pas eu accès de manière illégale aux informations en question. Sur la question de la diffamation, il soutenait avoir simplement exercé son droit à la liberté d'expression, avoir fondé ses articles sur des faits, qui concernaient de surcroit un sujet d'intérêt général. Enfin, il soutenait que la circonstance aggravante prévue par le Code pénal ne pouvait s'appliquer dans ce cas, les actes de J. n'ayant pas été pratiqués dans le cadre de ses fonctions politiques. Son recours fut rejeté par la cour d'appel en novembre 2005. M. X fit en vain un recours constitutionnel, puis un recours extraordinaire en harmonisation de jurisprudence auprès de la Cour suprême, qui fut déclaré irrecevable. Il décida alors de saisir la Cour européenne, en particulier sur le fondement de l'article 10 de la Convention puisque, selon lui, ses condamnations pour violation du segredo de justiça et diffamation avaient porté atteinte à sa liberté d'expression.

Le droit. Concernant la condamnation pour violation du segredo de justiça, la Cour ne partage pas l'argument du requérant, selon lequel l'ingérence des autorités dans son droit à la liberté d'expression n'était pas "prévue par la loi", pour défaut de prévisibilité. En effet, compte tenu de la jurisprudence des tribunaux portugais en la matière, il pouvait prévoir les conséquences judiciaires de la publication de ses articles. Par ailleurs, il n'est pas contesté que cette ingérence poursuivait le but légitime de protéger, d'une part, la bonne administration de la justice, et d'autre part la réputation d'autrui. La Cour rappelle que ni le souci de protection de l'enquête, ni celui de protection de la réputation d'autrui ne l'emportent sur l'intérêt du public à être informé de certaines poursuites pénales dont font l'objet les hommes politiques. Elle souligne que, dans cette affaire, n'ont été décelés aucun préjudice à l'enquête -terminée au moment de la publication du premier article- ou atteinte à la présomption d'innocence. Enfin rien n'indique que la condamnation en question ait contribué à la protection de la réputation d'autrui. La Cour conclut donc, à l'unanimité, à la violation de l'article 10.

Concernant la condamnation pour diffamation, la Cour admet que les articles litigieux relevaient de l'intérêt général, le public ayant le droit d'être informé des enquêtes visant les hommes politiques, même quand elles ne semblent pas concerner, à première vue, leurs fonctions politiques. En outre, les questions dont connaissent les tribunaux peuvent être à tout moment discutées dans la presse ou l'opinion publique. Au sujet de la nature des deux articles en cause, la Cour souligne que M.X ne faisait que donner des informations concernant la procédure pénale en cause, en dépit d'un certain ton critique envers l'accusé. La Cour relève à cet égard qu'il ne lui appartient pas, ni aux juridictions nationales, de se substituer à la presse dans leur choix de techniques de compte rendu. Quant à la "note du directeur" qu'il avait publiée, la Cour estime que le requérant, malgré une phrase relevant davantage du jugement de valeur, se fondait sur une base factuelle suffisante dans le contexte plus large de la couverture médiatique de cette affaire.

Ainsi, si les raisons invoquées par les juridictions nationales pour la condamnation de M. X étaient pertinentes, les autorités n'ont pas avancé de motif social impérieux pour justifier l'ingérence dans le droit du requérant à la liberté d'expression. En outre, la Cour relève que les sanctions qui ont été imposées au requérant étaient excessives et de nature à dissuader l'exercice de la liberté des médias. La Cour conclut, par cinq voix contre deux, à la violation de l'article 10.

Dans un arrêt du 6 février 2010, la Cour européenne considère que la saisie du roman de Guillaume Apollinaire, Les onze mille verges, et la condamnation de l'éditeur constituent une violation de l'article 10 de la Convention dans la mesure où elles ont entravé l'accès du public turc à une oeuvre du patrimoine littéraire européen.

Les faits. En l'espèce, M. X, éditeur de profession, publia en 1999 la traduction en turc du roman érotique Les onze mille verges de l'auteur français Guillaume Apollinaire (On Bir Bin Kirbaç en turc), ouvrage décrivant des scènes de rapports sexuels crues, avec diverses pratiques telles que le sadomasochisme ou le vampirisme. M. X fut condamné en vertu du Code pénal, pour publication obscène ou immorale, de nature à exciter et à exploiter le désir sexuel de la population. Le requérant fit valoir qu'il s'agissait d'une fiction, utilisant des techniques littéraires telles que l'exagération ou la métaphore et que la postface de l'ouvrage était signée de spécialistes de l'analyse littéraire. Il ajouta que l'oeuvre ne comportait aucune connotation violente et que l'humour et l'exagération des propos étaient plutôt de nature à éteindre le désir sexuel. La saisie et la destruction de tous les ouvrages fut ordonnée et le requérant fut condamné à une peine d'amende d'un montant proche de 1 100 euros. Par un arrêt définitif du 11 mars 2004, la Cour de cassation infirma le jugement attaqué concernant l'ordre de destruction des exemplaires, en vertu d'une modification législative intervenue en 2003. Elle confirma le jugement pour le restant. L'intégralité de l'amende fut alors réglée par M. X qui décida de saisir la Cour européenne, le 2 septembre 2004, sur le fondement de l'article 10 de la Convention.

Le droit. Les juges strasbourgeois précisent, d'abord, que l'existence d'une ingérence, la prévisibilité par la loi de cette ingérence et la légitimité du but poursuivi, à savoir la protection de la morale, ne sont pas contestées. Ils rappellent, ensuite, que ceux qui promeuvent des oeuvres ont aussi des "devoirs et responsabilités", dont l'étendue dépend de la situation et du procédé utilisé. En effet, les exigences de la morale varient dans le temps et l'espace, même au sein d'un Etat. Or, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur le contenu précis de ces exigences comme sur la "nécessité" d'une "restriction" ou "sanction" destinée à y répondre (3). Néanmoins, la Cour tient compte dans cette affaire du passage de plus d'un siècle depuis la première parution de l'ouvrage en France (en 1907), de sa publication dans de nombreux pays en diverses langues, et de sa consécration par l'entrée dans la collection La Pléiade. La reconnaissance des singularités culturelles, historiques et religieuses des pays membres du Conseil de l'Europe ne saurait aller jusqu'à empêcher l'accès du public d'une langue donnée, en l'occurrence le turc, à une oeuvre figurant dans le patrimoine littéraire européen.

Ainsi l'application de la législation en vigueur à l'époque des faits ne visait pas à répondre à un besoin social impérieux. Par ailleurs, la lourde peine d'amende et la saisie des exemplaires de l'ouvrage n'étaient pas proportionnées au but légitime visé et n'étaient donc pas nécessaires dans une société démocratique, au sens de l'article 10. Par conséquent, il y a eu violation de cette disposition.

Par un arrêt rendu le 18 février 2010, la Cour européenne décide qu'une condamnation pour un article accusant nommément une fonctionnaire de graves irrégularités lors du contrôle fiscal d'une célébrité n'est pas contraire à la liberté d'expression.

Les faits. En l'espèce, la Cour de Strasbourg était saisie de la condamnation pour diffamation publique envers un fonctionnaire prononcée par des juridictions françaises à l'encontre de Mme X, directrice de publication d'un bulletin d'information trimestriel Tous contribuables, de son éditeur, l'association Contribuables associés, et de l'auteur de propos retranscrits dans un numéro paru en juillet 2001. Dans l'article litigieux, l'intéressé, animateur et producteur connu d'émissions de télévision, exposait avoir obtenu gain de cause devant le tribunal administratif concernant le redressement fiscal imposé à sa société de production. Surtout, il y mettait nommément en cause une inspectrice du fisc, à qui il reprochait d'avoir "commis des faux", d'avoir voulu "[la] peau [de l'animateur G. L.] à n'importe quel prix", de bénéficier d'une "irresponsabilité totale" et d'avoir "commis, non seulement des erreurs, mais des graves irrégularités". Par la suite, l'inspectrice des impôts fit citer l'auteur des propos, la directrice de la publication et l'éditeur en justice, pour y répondre du délit de diffamation publique envers un fonctionnaire. Le 9 avril 2002, le tribunal de grande instance de Paris les condamna pour les faits dont ils étaient accusés. Il constata que l'article litigieux imputait à la fonctionnaire d'avoir, dans le cadre de ses fonctions et en violation de toutes les règles légales et déontologiques, agi dans le seul souci d'assouvir une vengeance personnelle et portait atteinte à l'honneur et à la considération de l'inspectrice des impôts. Le tribunal estima que la véracité des accusations portées contre la fonctionnaire n'avait pas été prouvée, pas plus que la bonne foi dont Mme X se prévalait. Cette dernière et G. L. furent condamnés à payer 1 500 euros d'amende chacun et, solidairement, 1 euros de dommages et intérêts et 1 200 euros de frais et dépens. L'association Contribuables Associés fut déclarée civilement responsable. Mme X et G. L. firent appel. A la suite du décès de ce dernier, la partie civile se désista à son encontre. Le 23 octobre 2003, la cour d'appel de Paris confirma le jugement de première instance et condamna en outre Mme X à payer 500 euros au titre des frais d'appel. Le 25 mai 2004, la Cour de cassation rejeta son pourvoi (Cass. crim., 25 mai 2004, n° 03-86.641, F-D N° Lexbase : A1173ESA). La directrice de publication ainsi que son éditeur décidèrent alors d'introduire une requête devant la Cour européenne au motif que leur condamnation pour diffamation était contraire à leur droit à la liberté d'expression, au sens de l'article 10 de la Convention.

Le droit. Les juges strasbourgeois n'ont statué que sur la requête présentée par Mme X. En effet, l'association Contribuables Associés n'ayant pas fait appel de sa condamnation, elle n'avait pas épuisé les voies de recours dont elle disposait en France pour se plaindre de l'atteinte alléguée à sa liberté d'expression. Pour cette raison, sa requête n'a pas été jugée recevable et seule celle de la directrice de publication a été examinée au fond.

A cet égard, la Cour européenne, après avoir constaté que l'atteinte à la liberté d'expression était prévue par la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW) et qu'elle poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la réputation ou des droits d'autrui, a recherché, très classiquement, si celle-ci était nécessaire dans une société démocratique, en particulier, si les motifs avancés par les autorités nationales pour justifier la condamnation étaient pertinents et suffisants. Ainsi, elle a constaté que l'article "ne se bornait pas à relater un contrôle fiscal [...] [mais] exposait, en des termes assez virulents, des griefs à l'égard de l'inspectrice des impôts, nommément désignée, accusée d'avoir commis des faux, d'avoir voulu 'la peau' de ce contribuable 'à tout prix', de bénéficier d'une 'irresponsabilité totale' et d'avoir commis de 'graves irrégularités'" (§ 60). Elle a, également, relevé que celui-ci concernait un litige privé et n'avait pas pour but de donner des informations générales sur les impôts (§ 63). Surtout, la Cour a insisté sur la nécessité d'une protection particulière des agents "contre des attaques verbales offensantes" durant leur service (4). Pour autant, elle a considéré que "la condamnation de la requérante et la peine qui lui a été infligée" (1 500 euros d'amende et 1 euro au titre des dommages et intérêts) n'étaient pas disproportionnées au but légitime poursuivi, et que les motifs invoqués par les juridictions internes pour justifier ces mesures -manque de prudence et d'équilibre par rapport aux accusations portées- étaient "pertinents et suffisants" (§ 67). En conséquence, les juges ont conclu, à l'unanimité, à l'absence de violation de l'article 10.

Dans un arrêt du 25 février 2010, la Cour européenne estime qu'une condamnation pour diffamation et injure publiques envers le maire d'une commune, prononcée à l'encontre du président d'une association de riverains s'opposant à la construction d'un ensemble immobilier, en raison de propos parus sur le site internet de cette association, constitue une violation de l'article 10 de la Convention.

Les faits. En 2004, le maire de Sens, a autorisé la construction d'un ensemble immobilier de 221 logements. Désireux de faire obstacle à la réalisation de ce projet, des riverains constituèrent une association -le comité de défense du quartier sud de Sens- dont le requérant fut élu président. Ce dernier indique dans sa requête, sans plus de précisions, avoir saisi en son propre nom le tribunal administratif de Dijon d'une demande d'annulation de l'"acte illégal de la maire de Sens" et avoir obtenu gain de cause en janvier 2006. Dans ses observations ultérieures, il précise que la juridiction administrative, statuant en sa faveur, aurait annulé le projet immobilier contesté en décembre 2005. Il expose avoir également obtenu en juillet 2007 l'annulation du projet d'implantation d'une grande surface et en septembre 2008 celui du plan local d'urbanisme, et qu'en mars 2008 il fut élu conseiller municipal. Entre-temps, le 6 août 2004, le maire avait cité le requérant à comparaître devant le tribunal correctionnel de Sens pour diffamation et injure publiques envers une personne chargée d'un mandat public, à raison de propos parus en juillet 2004 sur le site Internet de l'association. Le 17 mars 2005, le tribunal correctionnel de Sens jugea, s'agissant du délit de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, qu'un passage "n'excéd[ait] pas la critique admise en politique dans un état démocratique" et qu'il n'y avait donc pas lieu à suivre de ce chef. Il déclara, en revanche, le requérant coupable de ce délit, à raison des quatre autres passages, ainsi que du délit d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, et le condamna au paiement d'une amende de 1 000 euros, outre 1 000 euros de dommages-intérêts pour la partie civile. Par un arrêt du 6 avril 2006, la cour d'appel de Paris, saisie par le requérant et le ministère public, confirma le jugement en ce qu'il déclarait le requérant coupable du délit de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, mais uniquement à raison de deux phrases ("comment [le maire] encourage et développe la délinquance de centre-ville pour justifier sa politique sécuritaire" ; "c'est je m'en mets plein les poches"). Le jugeant en outre coupable du délit d'injure pour l'un des deux passages à cet égard en cause ("Alors cynique, schizophrène ou menteuse, [le maire] ?"), elle le condamna à une amende de 500 euros et, confirmant le jugement, à 1 000 euros de dommages-intérêts. Le requérant se pourvut alors en cassation, invoquant notamment une méconnaissance de son droit à la liberté d'expression et alléguant, s'agissant de certains propos retenus comme injurieux, que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris était "non conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et contraire à sa jurisprudence". Cependant, par une décision du 3 octobre 2006, la Chambre criminelle de la Cour de cassation déclara le pourvoi non admis. Le président de l'association décida donc d'introduire une requête devant la Cour européenne en se fondant sur l'article 10 de la Convention.

Le droit. La Cour de Strasbourg a estimé que les propos incriminés s'inscrivaient dans le cadre d'une polémique entre la municipalité et l'association présidée par le requérant, à propos de la politique d'urbanisme conduite par le maire et son équipe et qu'ils trouvaient donc leur place dans un débat d'intérêt général et relevaient de l'expression politique et militante, cas où la liberté d'expression bénéficie d'une protection accrue (5). Rappelant la distinction à opérer entre déclarations de fait et jugements de valeur (les seconds ne se prêtant pas à une démonstration d'exactitude), elle a indiqué que les propos imputés "d'une virulence certaine", "même s'ils ne s'inscrivent pas dans le cadre de la liberté d'expression d'un membre de l'opposition à proprement parler, [...] relèvent de l'expression de l'organe représentant d'une association portant les revendications émises par ses membres sur un sujet d'intérêt général, dans le cadre de la mise en cause d'une politique municipale" (§ 40). Par ailleurs, les juges strasbourgeois ont rappelé que "les élus doivent faire preuve d'une tolérance particulière quant aux critiques dont ils font l'objet et, le cas échéant, aux débordements verbaux ou écrits qui les accompagnent" (6). Or, s'agissant d'un sujet sensible portant sur le cadre de vie des riverains d'un projet immobilier, ils ont considéré qu'"un juste équilibre n'a pas été ménagé entre la nécessité de protéger le droit du requérant à la liberté d'expression et celle de protéger les droits et la réputation de la plaignante" et que les motifs fournis par les juridictions nationales, s'ils pouvaient passer pour pertinents, n'étaient pas suffisants et ne correspondaient à aucun besoin social impérieux (§ 41). Enfin, les juges ont précisé que le montant relativement modéré des sommes mises à la charge du requérant (500 euros d'amende, 1 000 euro de dommages et intérêts et 500 euros au titre des frais exposés par la partie civile non pris en charge par l'Etat) ne pouvait justifier, en soi, l'ingérence dans le droit d'expression de ce dernier. En conséquence, sa condamnation "ne représentait pas un moyen raisonnablement proportionné à la poursuite du but légitime visé, compte tenu de l'intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté d'expression" (§ 43). La violation de l'article 10 de la Convention était donc caractérisée.

  • CEDH, 6 avril 2010, Req. 45130/06, Ruokanen et autres c/ Finlande (arrêt uniquement en anglais)

Dans une affaire en date du 6 avril 2010, la Cour européenne juge que la condamnation pour diffamation de journalistes finlandais ne constitue pas une atteinte à leur liberté d'expression dans la mesure où ils n'ont pas vérifié le bien-fondé d'une accusation de viol avant de publier leur article.

Les faits. L'affaire concernait un article publié le 11 mai 2001 dans la revue finlandaise Suomen Kuvaleht, dont la manchette était ainsi libellée : "Viol au cours d'une fête pour célébrer la victoire au championnat de baseball". Cet article indiquait qu'une étudiante adulte avait été violée en septembre 2000 par des membres d'une équipe de baseball au cours d'une fête organisée pour célébrer sa victoire au championnat finlandais. Il reposait sur les déclarations que la victime avait faites au sein de l'établissement d'enseignement supérieur qu'elle fréquentait et qui avaient été corroborées par plusieurs témoins interrogés par les requérants mais désirant garder l'anonymat. L'article précisait aussi que la jeune femme ne souhaitait pas pour l'instant signaler les faits à la police. Par la suite, une enquête de police fut diligentée mais elle fut rapidement abandonnée, la victime du viol allégué ne pouvant identifier le ou les délinquants. Le procureur accusa alors l'auteur de l'article ainsi que le directeur de la publication de diffamation qualifiée ; une action en dommages-intérêts engagée par l'équipe de baseball fut jointe à cette procédure pénale. En mars 2003, les requérants furent reconnus coupables des faits qui leur étaient reprochés et furent condamnés à des amendes de 3 540 et 1 920 euros et à plus de 80 000 euros de dommages-intérêts au total pour indemniser les différents membres de l'équipe de baseball. Le tribunal estimait en particulier que les propos tenus par la victime du viol n'étaient pas fiables puisque l'intéressée n'avait pas signalé les faits à la police et il concluait que les accusations portées dans l'article revêtaient un caractère si grave que les requérants auraient dû en vérifier plus soigneusement le bien-fondé. Sur recours des requérants, la juridiction d'appel confirma cette décision, considérant que ceux-ci n'avaient pu démontrer avoir eu des motifs suffisants de croire que les accusations étaient fondées et que, en ne révélant pas leurs sources, ils avaient pris le risque d'être condamnés pour diffamation. La Cour suprême ayant refusé l'autorisation de la saisir, les intéressés décidèrent d'introduire une requête devant la Cour européenne sur le fondement de l'article 10 de la Convention.

Le droit. Dans la présente affaire, la Cour de Strasbourg s'est demandée si les autorités internes avaient ménagé l'équilibre voulu entre le droit des requérants à la liberté d'expression et le droit des auteurs allégués d'un crime au respect de leur réputation. Elle a relevé que l'article permettait d'identifier facilement les joueurs de baseball, dont la réputation pouvait donc être flétrie. En effet, ils appartenaient au club de sport local dont l'article indiquait le nom et, en tant que membres de l'équipe gagnante du championnat 2000, ils étaient connus dans leur ville d'origine, des supporters de baseball et du grand public. En outre, les allégations étaient graves et avaient été présentées comme des déclarations de fait et non comme des jugements de valeur. De surcroît, les requérants avaient omis de vérifier si les accusations qu'ils portaient reposaient sur une base factuelle alors qu'ils auraient pu élucider la question en prenant contact avec la victime, les joueurs et leur équipe. L'article, écrit avant l'enquête pénale sur le viol allégué, avait non seulement porté atteinte aux droits des joueurs à être présumés innocents tant que leur culpabilité n'aurait pas été établie, mais les avait aussi diffamés en exposant des éléments qui n'avaient pas encore été établis. Aussi, la Cour a considéré que les peines prononcées étaient proportionnées au vu des circonstances d'espèce et qu'elles n'étaient pas de nature à menacer la liberté des médias et le droit du public d'être informé sur des sujets d'intérêt général (§ 51). A cet égard, elle a rappelé que d'autres impératifs, dont le respect de la présomption d'innocence (7) et de la réputation des tiers (8), devaient être mis dans la balance avant de communiquer au public des informations.

En conclusion, les tribunaux internes ont suffisamment démontré que l'ingérence dans le droit des requérants à la liberté d'expression était "nécessaire, dans une société démocratique". Les sanctions prononcées ont été jugées proportionnées, de sorte qu'un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu a été respecté. En conséquence, la Cour a conclu, par cinq voix contre deux, à la non-violation de l'article 10... sanctionnant par la même occasion le manquement des journalistes à leurs obligations professionnelles.

  • CEDH, 8 avril 2010, Req. 10941/03, Bezymyannyy c/ Russie (arrêt uniquement en anglais)

Dans un arrêt rendu le 8 avril dernier, les juges strasbourgeois jugent que la condamnation pour diffamation d'un particulier, faisant suite au dépôt d'une plainte pénale contre un juge, est contraire à l'article 10 de la Convention.

Les faits. En l'espèce, M. X est un homme d'affaires russe, anciennement actionnaire majoritaire d'une société privée. Selon lui, en 1997, plusieurs personnes ont établi un faux contrat de vente concernant ses actions dans la société, ainsi qu'un faux registre des actionnaires, afin de prendre le contrôle du groupement. L'affaire fut ensuite portée devant les tribunaux internes. En avril 1998, le tribunal du district Oktyabrskiy de Belgorod, présidé par le juge B., débouta M. X de l'action par laquelle il cherchait à faire annuler la vente des actions et à faire déclarer faux et illégal le registre des actionnaires. Le tribunal refusa de procéder à une expertise des éléments de preuve, dont une copie du registre des actionnaires ainsi que les livres comptables du conservateur de ce registre. Une expertise des documents que l'homme d'affaires russe prétendait faux fut achevée en novembre 1998 dans le cadre d'une procédure pénale dirigée contre plusieurs personnes et qu'avait intentée un enquêteur à la demande de l'intéressé. Cette expertise confirma que la copie du registre des actionnaires et les livres comptables du conservateur avaient été falsifiés et que certaines mentions en avaient été supprimées ou modifiées de manière frauduleuse. L'instruction pénale fut apparemment interrompue en novembre 2001. Par la suite, l'affaire fut suspendue puis reprise plusieurs fois. En mars 2000, M. X adressa au procureur de la région de Belgorod une lettre, avec copie au procureur général de la Russie, alléguant qu'au cours de la procédure dans son affaire de 1998, le juge B. avait commis un délit en rendant sciemment une décision injuste. Dans sa lettre, il donnait son sentiment sur les circonstances de sa cause, faisait état de l'issue des expertises qu'avait menées l'enquêteur dans la procédure pénale et invitait les autorités responsables à diligenter des poursuites pénales contre le juge B. Il adressa des lettres identiques au président du tribunal régional de Belgorod et au directeur de la commission de qualification à la magistrature en mai 2000. En réponse à ces lettres, des poursuites pénales pour diffamation furent intentées contre M. X, à la demande du président du tribunal régional de Belgorod et du juge B.. Elles furent suspendues en mai 2001 en application d'une loi d'amnistie. A une date non précisée, le juge B. assigna l'homme d'affaires en diffamation, réclamant environ 3 000 euros de dommages-intérêts et l'ordre de retirer les déclarations litigieuses. Les tribunaux internes firent droit à ces demandes, mais ramenèrent les dommages-intérêts à 800 euros. M. X décida alors d'introduire une requête devant la Cour européenne. Sur le fondement de l'article 10 de la Convention, il argua que la procédure pour diffamation engagée par le juge B. n'avait pas été équitable, que la lettre qu'il avait adressée aux autorités compétentes ne pouvait être considérée comme diffusant des informations diffamatoires, et que sa condamnation à des dommages-intérêts était disproportionnée et arbitraire.

Le droit. Conformément à sa jurisprudence antérieure (9), la Cour a déclaré que les fonctionnaires devaient être à l'abri d'attaques offensantes, insultantes et diffamatoires visant à les toucher dans l'exercice de leurs fonctions et à porter atteinte à la confiance que le public met en eux et dans la charge qu'ils occupent. Elle a même ajouté qu'il était encore plus important de protéger les juges car les accusations dirigées contre eux pouvaient non seulement nuire à leur réputation personnelle mais aussi saper la confiance du public dans l'intégrité du pouvoir judiciaire dans son ensemble. Or, en l'espèce, M. X s'est borné à rapporter ce qu'il tenait pour illégal à un organe habilité à engager des poursuites pénales. Il a employé des termes qui n'étaient ni insultants ni offensants. Selon la Cour, il a agi dans le cadre défini par la loi pour le dépôt de plaintes. A cet égard, il est rappelé que les justiciables doivent pouvoir signaler aux responsables compétents de l'Etat la conduite de fonctionnaires qui leur semble irrégulière ou illégale ; c'est l'un des éléments fondamentaux de l'Etat de droit. Dès lors, le rôle important que joue le pouvoir judiciaire dans une société démocratique ne saurait en soi mettre les juges à l'abri de plaintes émanant de justiciables (10). Par ailleurs, les juges ont précisé que le contenu des lettres du requérant n'avait pas été portée à la connaissance de l'opinion ; elle n'avait donné lieu à aucune autre forme de publicité, dans la presse ou autre. L'impact négatif que les propos du requérant ont éventuellement eu sur la réputation du juge B. était donc tout à fait limité (11). Enfin, en ce qui concerne la sanction infligée au requérant, la Cour a estimé qu'une condamnation à verser environ 800 euros pour avoir demandé l'institution d'une procédure pénale contre un juge était d'une sévérité disproportionnée.

En conséquence, la Cour a estimé que la procédure en diffamation intentée contre le requérant avait imposé à celui-ci un fardeau excessif et disproportionné. Il y a donc bien eu violation de l'article 10.

Dans une affaire en date du 20 avril 2010, la Cour européenne a décidé que la condamnation de M. X pour des propos sur les musulmans en France était justifiée, de sorte que sa requête était irrecevable.

Les faits. Le président du Front national a été condamné en 2005 à une amende de 10 000 euros pour "provocation à la discrimination, à la haine, à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée", pour les propos qu'il avait tenus sur les musulmans en France dans un entretien au quotidien Le Monde, dans lequel il affirmait notamment que "le jour où nous aurons non plus 5 millions, mais 25 millions de musulmans, ce seront eux qui commanderont". La cour d'appel de Paris le condamna de nouveau en 2008 à une amende du même montant, après qu'il eut commenté dans l'hebdomadaire Rivarol sa première condamnation en ces termes : "D'autant que quand je dis qu'avec 25 millions de musulmans chez nous, les Français raseront les murs, des gens dans la salle me disent non sans raison : 'Mais Monsieur X, c'est déjà le cas maintenant !'". La cour d'appel estima que les propos de M. X à ce journal sous-entendaient que la sécurité des Français, présentés comme "les gens" dont les réactions iraient plus loin que les propos condamnés, passait par le rejet des musulmans auxquels il les opposait. Elle déclara que la liberté d'expression du requérant ne pouvait justifier des propos comportant une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes. Par la suite, la Cour de cassation rejeta en 2009 le pourvoi du président du Front national, à l'appui duquel il faisait valoir que ses propos ne constituaient pas un appel explicite à la haine ou à la discrimination, qu'ils ne mettaient pas en cause les musulmans en raison de leur religion, et que la référence à l'Islam visait une doctrine politique et non une foi religieuse. L'intéressé introduisit alors une requête devant la Cour européenne, sa condamnation pénale constituant, selon lui, une violation de son droit à la liberté d'expression, protégé par l'article 10 de la Convention.

Le droit. Dans cette affaire hautement médiatique, la Cour de Strasbourg a jugé que l'ingérence des autorités publiques dans l'exercice de la liberté d'expression de M. X que constituait sa condamnation pénale était prévue par la loi et poursuivait le but légitime de protection de la réputation ou des droits d'autrui. Surtout, la Cour a rappelé qu'elle accordait la plus haute importance à la liberté d'expression dans le contexte du débat politique en démocratie et que cette liberté valait non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur, mais aussi pour celles qui étaient susceptibles de heurter, choquer ou inquiéter. En outre, elle a affirmé que tout individu engagé dans un débat public d'intérêt général pouvait recourir à une certaine dose d'exagération, voire de provocation, tant qu'elle respectait la réputation et les droits d'autrui. Ce principe est donc applicable à l'élu qui représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts. La Cour exerce alors un contrôle des plus stricts des ingérences dans sa liberté d'expression (12).

En l'espèce, les juges ont considéré que les propos du requérant s'inscrivaient dans le cadre du débat d'intérêt général relatif aux problèmes liés à l'installation et à l'intégration des immigrés dans les pays d'accueil. Ils ont ajouté que l'ampleur variable des problèmes qui pouvaient se poser dans ce cadre, jusqu'à générer mésentente et incompréhension, commandait de laisser à l'Etat une latitude assez grande pour apprécier la nécessité d'une ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression (13). Cependant, dans les faits, les propos de M. X étaient assurément susceptibles de donner une image inquiétante de la "communauté musulmane" dans son ensemble, pouvant susciter un sentiment de rejet et d'hostilité. En effet, le président du Front national opposait, d'une part, les Français et, d'autre part, une communauté dont l'appartenance religieuse est expressément mentionnée et dont la forte croissance était présentée comme une menace, déjà présente, pour la dignité et la sécurité des Français.

Pour ces motifs, la Cour européenne a conclu que l'ingérence dans l'exercice du droit du requérant à la liberté d'expression était "nécessaire dans une société démocratique" et que sa condamnation était à la fois justifiée et proportionnée.

Dans un arrêt en date du 22 avril 2010, la Cour de Strasbourg a jugé que la condamnation d'une élue pour des propos tenus au cours d'une manifestation était attentatoire à sa liberté d'expression, telle qu'elle est protégée par l'article 10 de la Convention.

Les faits. Mme X était adjointe au maire de Lyon à l'époque des faits. En mars 2002, elle prit part à une manifestation organisée lors de la remise de la Légion d'honneur au président de l'Université Jean Moulin Lyon III, à qui les manifestants reprochaient sa prétendue complaisance envers les thèses racistes et négationnistes défendues par certains professeurs au sein de l'Université. L'un des enseignants de l'Université interpella les manifestants en disant : "ce que vous dites est un scandale. Je suis fier d'être juif et je suis fier d'être à Lyon III". La requérante, elle-même de confession israélite, répondit à ces propos : "vous êtes la honte de la communauté". L'enseignant cita Mme X à comparaître devant le tribunal correctionnel de Lyon pour avoir proféré des injures envers un fonctionnaire public (délit prévu par la loi de 1881 sur la presse). Le 18 décembre 2003, le tribunal correctionnel jugea, sur le plan pénal, que ce délit était couvert par une loi d'amnistie du 6 août 2002 ; sur le plan civil, il débouta l'enseignant de sa demande de dommages-intérêts. Toutefois, le 24 juin 2004, la cour d'appel de Lyon infirma ce jugement, pris en ses dispositions civiles. Elle estima que l'expression proférée par la requérante en public visait l'enseignant du fait de son appartenance au corps des enseignants de l'Université Jean Moulin Lyon III, donc en tant que représentant de l'administration. Elle condamna Mme X à payer 3 000 euros en dommages-intérêts et 2 500 euros pour frais de justice. La Cour de cassation rejeta son pourvoi et la condamna à payer 2 500 euros supplémentaires pour frais de justice (Cass. crim., 15 mars 2005, n° 04-84.831 N° Lexbase : A4604DHY). L'élue décida alors d'introduire une requête devant la Cour européenne sur le fondement de l'article 10 de la Convention.

Le droit. Fidèle à sa jurisprudence, la Cour a d'abord rappelé que les limites de la critique admissible étaient plus larges à l'égard de fonctionnaires agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles que pour de simples particuliers (même s'il peut s'avérer nécessaire de protéger particulièrement les fonctionnaires contre des attaques verbales offensantes, car ils doivent bénéficier de la confiance du public sans être indûment perturbés) (14). Ensuite, elle a souligné que, dans la présente affaire, les propos tenus par Mme X relevaient de sujets d'intérêt général (la lutte contre le racisme et le négationnisme) et s'inscrivaient dans un débat public d'une extrême importance (l'attitude des autorités de l'Université Jean Moulin Lyon III à l'égard de professeurs mis en cause pour les thèses qu'ils avaient défendues). De plus, il ne faisait aucun doute que Mme X s'exprimait en sa qualité d'élue, de sorte que ses propos relevaient de l'expression politique ou "militante" (15). Dans ces conditions, les autorités avaient un marge de manoeuvre particulièrement restreinte pour apprécier la nécessité de condamner la requérante. Par ailleurs, la Cour a tenu compte du contexte particulier dans lequel les propos litigieux ont été tenus. Il s'agissait, en effet, d'un échange de paroles rapide au cours d'une manifestation, avec en arrière-plan la polémique qui régnait à cette époque à Lyon et au niveau national, comme en témoigne la création d'une commission d'historiens par le ministère de l'Education nationale pour étudier la question, ainsi que le rapport qu'elle a rendu. Enfin, la lourdeur de la condamnation civile imposée à Mme X a été prise en considération.

Tous ces éléments ont finalement conduit la Cour européenne à constater une violation de l'article 10 de la Convention.

Dans un arrêt du 6 mai 2010, la Cour de Strasbourg juge injustifiée la condamnation pour diffamation de M. X et de la société éditrice du magazine Lyon Mag' à la suite de la publication d'un article sur les réseaux islamistes lyonnais.

Les faits. M. X est directeur de publication de Lyon Mag', un magazine mensuel d'information traitant de sujets d'actualité. Le numéro d'octobre 2001 titrait : "Exclusif, Sondage SOFRES, Les musulmans de l'agglomération face au terrorisme. Enquête : Faut-il avoir peur des réseaux islamistes à Lyon ?". Le magazine reproduisait sur les trois quarts de la couverture une photographie de M. T. avec pour légende "T., Un des leaders musulmans les plus influents à Lyon". L'article qui lui était consacré ("T. l'ambigu") indiquait notamment qu'en 1995 M. T. avait été interdit d'entrée sur le territoire français, ainsi que son frère H., avec qui il contrôlait le centre islamiste de Genève, devenu, selon les renseignements français, le rendez-vous des islamistes européens. Saisi par M. T., le tribunal correctionnel de Lyon conclut au caractère diffamatoire de la publication mais prononça une relaxe et débouta M. T. de son action civile en raison de la bonne foi des requérants. La cour d'appel infirma ce jugement en 2003, constatant que le délit de diffamation publique envers un particulier était constitué. Elle condamna M. X à payer 2 500 euros de dommages-intérêts à M. T. et déclara la société éditrice civilement responsable de cette condamnation. Les juges du fond se livrèrent à une analyse des propos de l'article, y notant en particulier qu'ils insinuaient que M. T. pourrait être un leader recrutant des jeunes "frustrés et vulnérables" sensibles aux "discours radicaux". En 2004, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de M. X et de la société éditrice (Cass. crim., 9 novembre 2004, n° 03-83.366, FS-P+F N° Lexbase : A1373DEL). Ces derniers décidèrent alors d'introduire une requête devant la Cour européenne sur le fondement de l'article 10 de la Convention.

Le droit. Les articles litigieux s'inscrivant à l'époque dans un débat d'intérêt général -ils ont été publiés juste après les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center (16)- la Cour a considéré que les autorités ne bénéficiaient que d'une faible latitude pour restreindre la liberté d'expression des requérants. Cela étant, les juges ont constaté que, si les juridictions nationales s'étaient livrées à une analyse de la terminologie et des insinuations contenues dans les articles, il convenait également d'en considérer le contexte, à savoir la publication d'une série d'articles résultant d'une enquête de terrain sur les réseaux islamistes lyonnais, réalisée en trois semaines. De plus, les articles ne faisaient pas systématiquement référence à M. T. et ils faisaient preuve de prudence, en différentiant par exemple Islam et Islamisme. Certes, M. T. avait une place importante dans le magazine, par le texte et l'image, mais il n'y faisait l'objet d'aucune animosité personnelle et la dose d'exagération acceptable en matière de liberté journalistique n'était pas dépassée, d'autant que M. T., en tant que conférencier actif, pouvait s'attendre à un examen minutieux de ses propos. En outre, les propos litigieux n'étaient pas dépourvus de toute base factuelle puisque de nombreux documents mettant en évidence le danger représenté par les discours de M. T. ont été présentés à la Cour (17).

Dans ces conditions, l'intérêt des requérants à communiquer et celui du public à recevoir des informations sur un sujet d'intérêt global et sur ses répercussions directes pour l'ensemble de l'agglomération lyonnaise l'emportait sur le droit de M. T. à la protection de sa réputation. C'est donc sans grande surprise que la Cour conclut à la violation de l'article 10 de la Convention, d'autant que la condamnation au versement de 2 500 euros de dommages et intérêts était disproportionnée.

Dans cet ultime arrêt en date du 11 mai 2010, les juges strasbourgeois décident que la condamnation d'un conseiller municipal pour avoir indument imputé des infractions pénales au maire de sa commune ne porte pas atteinte à sa liberté d'expression.

Les faits. Alors qu'il était conseiller municipal d'opposition de la commune de Clohars-Carnoët (Finistère), M. X fut agressé physiquement par un élu de la majorité, par la suite condamné pour ces faits. M. X demanda alors au maire de la commune, en vain, de faire paraître dans le bulletin municipal d'information un article y faisant allusion. Dans ce contexte, en janvier 2003, son groupe politique distribua dans la commune un tract rédigé par M. X, dénonçant la censure à contre ce groupe et la manière dont le maire et son équipe géraient les affaires municipales. Le tract faisait, notamment, état d'interrogations "sur les manipulations de nos chers dirigeants qui crochent un peu trop dedans", se référait à une "commission d'appel d'offres [...] dont les règles ont été bafouées" et, concernant une association, demandait "Que penser de l'ordre du jour du conseil municipal du 7.11.02 avec le souhait de Monsieur le Maire de voir M. L. représenter la commune au sein de [l'association]" et "pourquoi cette association a-t-elle droit aux largesses de la municipalité [...] ?". A la suite d'une plainte avec constitution de partie civile du maire contre M. X pour diffamation, ce dernier fut renvoyé en jugement en février 2004 pour y répondre du délit de diffamation publique envers un dépositaire de l'autorité publique. Dans un jugement du 16 septembre 2004, le tribunal correctionnel de Quimper estima que ce tract accusait clairement le maire de détournement de fonds et de non-respect des règles d'attribution des marchés publics et qu'il s'agissait d'imputations d'infractions pénales qui portaient manifestement atteinte à son honneur et à sa considération. Le tribunal jugea que M. X n'avait pas apporté la preuve de la véracité de ses dires et n'était pas non plus de bonne foi. Il fut donc déclaré coupable de diffamation envers un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public et condamné au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre des dommages-intérêts et à une peine d'amende de 4 000 euros. Le 15 mars 2005, la cour d'appel de Rennes confirma intégralement le jugement attaqué et condamna de surcroît M. X à verser au maire 1 000 euros pour frais et dépens. Le 3 janvier 2006, la Cour de cassation rejeta son pourvoi (Cass. crim., 3 janvier 2006, n° 05-81.877 N° Lexbase : A3095EXW). Estimant que la condamnation dont il avait fait l'objet était contraire à sa liberté d'expression, M. décida de saisir la Cour européenne.

Le droit. La Cour a analysé la condamnation du requérant comme une ingérence dans son droit à la liberté d'expression, s'attardant particulièrement sur son caractère nécessaire dans une société démocratique. Tout d'abord, elle a relevé que le tract portait incontestablement sur un sujet d'intérêt général (la gestion d'une municipalité) (18), sur lequel M. X avait le droit de communiquer des informations au public. Ensuite, la Cour a retenu que les propos litigieux concernaient un homme politique visé en cette qualité (à l'égard duquel les limites de la critique admissible sont plus larges) et émanaient d'un autre homme politique, d'un groupe d'opposition (cette dernière circonstance amenant la Cour à exercer un contrôle des plus stricts).

Toutefois, la Cour a noté que lorsque le tract litigieux avait été diffusé, aucun débat public n'était en cours sur la gestion de la commune. Le maire n'avait pas non plus fait l'objet de poursuites judiciaires à ce sujet. Ainsi, même si l'on devait considérer que les propos de M. X n'étaient qu'un jugement de valeur (et non une déclaration de faits), il était possible de les qualifier d'excessifs. Tout jugement de valeur doit en effet avoir au minimum une base factuelle, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, les juridictions françaises ayant considéré que les faits imputés au maire n'étaient pas établis. Enfin, la Cour a affirmé que les accusations portées à l'encontre du maire étaient d'une extrême gravité et qu'elles pouvaient paraître d'autant plus crédibles qu'elles émanaient d'un membre du conseil municipal, censé être bien informé sur la gestion de la commune. Dans ces conditions, la peine et la condamnation -relativement importante- prononcées n'étaient pas disproportionnées par rapport à l'objectif de protéger la réputation d'autrui, et les motifs invoqués pour justifier ces mesures étaient pertinents et suffisants. La Cour a donc conclu à l'absence de violation de l'article 10 de la Convention.


(1) Ce principe est fréquemment rappelé par la Cour européenne, v. notamment CEDH, 29 août 1997, Req. 83/1996/702/894, Worm c/ Autriche (N° Lexbase : A7663AWQ).
(2) V. par exemple, CEDH, 21 janvier 1999, Req. 29183/95, Fressoz et Roire c/ France (N° Lexbase : A7713AWL).
(3) V. également, CEDH, 25 janvier 2007, Req. 68354/01, Vereinigung Bildender Künstler c/ Autriche (N° Lexbase : A3077EXA), § 26, CEDH 2007-II.
(4) V. notamment, CEDH, 21 janvier 1999, Req. 25716/94, Janowski c/ Pologne (N° Lexbase : A7086AWD), CEDH 1999-I, § 33 ; CEDH, 21 décembre 2004, Req. 61513/00, Busuioc c/ Moldavie (arrêt uniquement en anglais),  § 64.
(5) V. notamment, CEDH, 7 novembre 2006, Req. 12697/03, Mamère c/ France (N° Lexbase : A1924DS3) ; CEDH, 22 octobre 2007, Req. 21279/02, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c/ France (N° Lexbase : A8226DYC).
(6) V. CEDH, 11 avril 2006, Req. 71343/01, Brasilier c/ France (N° Lexbase : A9827DNB).
(7) V. CEDH, 3 octobre 2000, Req. 34000/96, Du Roy et Malaurie c/ France (N° Lexbase : A6940AWX).
(8) V. CEDH, 21 janvier 1999, Req. 29183/95, Fressoz et Roire c/ France (N° Lexbase : A7713AWL).
(9) V. l'arrêt "Taffin et Contribuables Associés c/ France" ainsi que les références précitées.
(10) V. CEDH, 5 octobre 2006, Req. 14881/03, Zakharov c/ Russie, § 22 (arrêt uniquement en anglais).
(11) Contra, v. CEDH, 17 décembre 2004, Req. 49017/99, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark (N° Lexbase : A4374DEQ), § 79.
(12) V. CEDH, 27 février 2001, Req. 26958/95, Jérusalem c/ Autriche (N° Lexbase : A3075EX8), CEDH 2001-II, § 35.
(13) V. CEDH, 10 juillet 2008, Req. 15948/03, Soulas et autres c/ France (N° Lexbase : A5460D94), § 37.
(14) La solution vaut également pour les hommes politiques, v. nos obs., La liberté d'expression des hommes politiques, Lexbase Hebdo n° 348 du 30 avril 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0498BKN), note sous Cass. crim., 12 novembre 2008, n° 07-83.398, Christian V., F-PF (N° Lexbase : A2676EDH) et Cass. crim., 31 mars 2009, n° 07-88.021, LDHC, FS-P+F (N° Lexbase : A5174EED).
(15) V. CEDH, 15 février 2005, Req. 68416/01, Steel et Morris c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A7030DGH).
(16) V. CEDH, 2 octobre 2008, Req. 36109/03, Leroy c/ France (N° Lexbase : A5370EA7), § 41.
(17) Sur l'existence d'une base factuelle suffisante, v. CEDH, 18 septembre 2008, Req. 35916/04, Chalabi c/ France (N° Lexbase : A3891EAD), § 44.
(18) V. déjà, CEDH, 2 février 2010, Req. 571/04, Kubaszewski c/ Pologne (arrêt uniquement en anglais), § 43.

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Mai 2010

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N1857BPH

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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique met en valeur le caractère libéral de la fiscalité française lié à l'exercice d'options par les contribuables si, toutefois, ces derniers exercent leurs droits et que l'administration fiscale respecte leur volonté. Une décision du Conseil d'Etat permet d'illustrer cet aspect dans le cadre du régime de groupe et plus précisément quant au respect de la liberté contractuelle dont disposent les parties signataires à une convention d'intégration fiscale (CE 3° et 8° s-s-r., 12 mars 2010, n° 328424). Puis, la présente chronique met en exergue l'attitude de l'administration fiscale en matière d'option fiscale : deux décisions des juges du fond révèlent la volonté de s'opposer à l'exercice d'une option, par le contribuable, pour un régime plus favorable ou, au contraire, d'opter à sa place alors qu'une telle décision n'appartient qu'au seul contribuable (CAA Paris, 7ème ch., 12 février 2010, n° 08PA01073 ; CAA Paris, 9ème ch., 11 février 2010, n° 08PA01984).
  • Intégration fiscale : la consécration de la liberté contractuelle (CE 3° et 8° s-s-r., 12 mars 2010, n° 328424 N° Lexbase : A4553EQP)

Le régime de l'intégration fiscale (CGI, art. 223 et s. N° Lexbase : L3804IGY), dont les dispositions sont entrées en vigueur en 1988 (loi n° 87-1060 du 30 décembre 1987, art. 68 A), n'a pas généré jusqu'à aujourd'hui un contentieux de masse dont le juge de l'impôt a eu à connaître.

L'intégration fiscale permet à "une société [de] se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe".

Ce régime, qui rend la société tête de groupe seule redevable de l'impôt sur les sociétés (1), entraîne la compensation des déficits et des bénéfices des sociétés membres : la société intégrante calcule un résultat d'ensemble en opérant des retraitements afin d'assurer une neutralité fiscale. Cette neutralité fiscale peut être mise à mal : très récemment, des difficultés d'application au regard de l'imposition des jetons de présence -déjà malmenés par le Code général des impôts- sont apparus puisque l'application des dispositions propres à l'intégration fiscale entraînaient une double imposition des jetons de présence. Un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy (2) (CAA Nancy, 2ème ch., 3 juin 2009, n° 07NC01792 N° Lexbase : A9155EHK), commenté par l'administration fiscale (instruction du 2 février 2010, BOI 4 H-5-10 [3] N° Lexbase : X6937AGZ) et une intervention législative récente (loi n° 2009-1674, 30 décembre 2009, de finances rectificative pour 2009, art. 33 N° Lexbase : L1817IGE) ont permis de mettre fin à cette anomalie fiscale.

La société intégrante ayant seule la qualité de redevable de l'impôt sur les sociétés, les membres inclus dans le périmètre de l'intégration fiscale sont libres de conclure une convention visant à répartir la contribution de chacun à l'impôt sur les sociétés et de prévoir les conséquences d'une sortie du périmètre d'intégration fiscale d'une société intégrée à la suite, par exemple, d'une cession à un tiers ou si les conditions requises par la loi ne sont plus remplies (4). La loi fiscale ne fixant aucun cadre, les parties sont libres de conclure une convention d'intégration fiscale (5) entre la filiale et la société tête de groupe visant à traiter de ces conséquences dans la limite des droits des tiers, dont les créanciers et les associés minoritaires. Cette liberté contractuelle fut discutée par l'administration fiscale ce dont témoigne l'activité du juge de l'impôt (TA Cergy-Pontoise, 30 juin 2009, n° 0401884, Dr. fisc., 2009, comm. 470, note de J. Vaudoyer ; CAA Versailles, 3ème ch., 22 septembre 2009, n° 08VE03647 N° Lexbase : A3000EPS ; TA Cergy-Pontoise, 5ème ch., 15 mai 2008, n° 04-5972, RJF, janvier 2009, n° 15, concl. T. Paris, BDCF, janvier 2009, n° 4) quant à l'interprétation d'une convention d'intégration fiscale -qui est un contrat de droit privé- et sa portée en droit fiscal.

Par deux décisions remarquées rendues en décembre 2009 (CE 3° et 8° s-s-r., 11 décembre 2009, n° 301341 N° Lexbase : A4265EPN) et mars 2010 (CE 3° et 8° s-s-r., 12 mars 2010, n° 328424 N° Lexbase : A4553EQP) ayant trait aux effets d'une convention d'intégration fiscale portant, toutefois, sur des faits différents, la Haute juridiction administrative a clairement réaffirmé le principe de la liberté contractuelle à défaut de dispositions législatives spéciales impératives.

Au cas particulier, la société intégrante Wolseley Centers France s'est vue notifier, à la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 1995, 1996 et 1997 une amende de 5 % des sommes omises car les filiales devaient participer "à la charge globale de l'imposition due par le groupe au prorata de leurs résultats et non en fonction des cotisations dont elles auraient été redevables si elles avaient été imposées individuellement". Pour le service, "la société mère avait ainsi octroyé des subventions indirectes à ces filiales sous forme de réallocation de l'économie d'impôt réalisée dans le cadre de l'intégration fiscale". Ces "subventions" ne figurant pas dans l'état de suivi des abandons de créances et des subventions (6), l'administration a, alors, appliqué sa doctrine selon laquelle une sanction de 5 % des sommes "omises" devait être prononcée (CGI, art. 1734 bis [7] N° Lexbase : L4202HML ; aujourd'hui : CGI 1763 N° Lexbase : L3836IG8). En effet, les conclusions du rapporteur public (concl. L. Olléon, Dr. fisc., 2010, comm. 272) signalent que, selon la thèse de l'administration fiscale, "la société mère [...] est seule titulaire du gain d'impôt réalisé au niveau du résultat d'ensemble du groupe. Par suite, elle n'est pas légalement tenue d'en faire profiter les autres sociétés du groupe. En l'absence d'obligation légale, elle s'y oblige par la convention, l'attribution d'un tel avantage sans contrepartie caractérise l'octroi d'une subvention".

Cette thèse ne sera pas suivie par le juge de l'impôt tant au fond qu'en cassation écartant l'application de la doctrine administrative (instruction du 26 juin 2002, BOI 4 L-2-02 N° Lexbase : X1534ABG ; instruction du 23 juillet 1992, BOI 4 H-13-92, Dr. fisc., 1992, instr. 10667). En effet, le Conseil d'Etat dit pour droit, dans le silence des dispositions fiscales régissant le régime de l'intégration fiscale, que l'économie d'impôt résultant de l'application du régime d'intégration fiscale n'implique pas qu'elle profite uniquement à la seule société intégrante : les sociétés membres du groupe fiscales ont la possibilité de prévoir les conditions de la répartition de la charge d'impôt ou de l'économie d'impôt résultant de l'option pour le régime de l'article 223 A du CGI (N° Lexbase : L4827IGU).

Cependant, la Haute juridiction administrative apporte un tempérament à la liberté contractuelle en fixant deux limites : la répartition de la charge d'impôt ne doit pas porter atteinte "ni à l'intérêt social propre de chaque société ni aux droits des associés ou des actionnaires minoritaires et ne constitue pas, par suite, un acte anormal de gestion". Elle confirme, ainsi, les positions du juge du fond (TA Lyon, 27 septembre 2005, n° 0300728 N° Lexbase : A1953ETI ; CAA Lyon, 5ème ch., 2 avril 2009, n° 05LY01975 N° Lexbase : A8825EGX).

Dans ses conclusions, le rapporteur public, évoquant la décision précitée du 11 décembre 2009, indique que "le ministre fondait également son argumentation sur l'idée que ce qui n'est pas autorisé est interdit [...le Conseil d'Etat ne l'a] pas suivi, et [il a été] jugé au contraire que ce qui n'est pas interdit est autorisé". En définitive, le raisonnement suivi par l'administration fiscale est singulier car elle tente de se substituer au législateur dont la compétence est exclusive (8).

Le Conseil d'Etat, dont la jurisprudence contribue à l'interprétation particulièrement technique des dispositions légales relatives au régime de l'intégration fiscale, met un terme à la thèse de l'administration fiscale qui ne prospérera pas au moins devant le juge de l'impôt.

  • Gestion des déficits fiscaux : le droit d'opter appartient au contribuable

Afin d'assurer une bonne gestion fiscale, le droit fiscal français permet au contribuable d'arrêter des décisions : le Conseil constitutionnel invite d'ailleurs ce dernier à "opérer des arbitrages et [...] conditionne la charge finale de l'impôt aux choix éclairés de l'intéressé". Or, en matière de droit optionnel, l'administration fiscale est en situation de compétence liée l'obligeant ainsi à accepter l'exercice régulier de cette option, quant à la forme et sur le fond, si toutefois le respect des obligations du régime optionnel sont satisfaites (10). Il est intéressant de relever, dans la jurisprudence récente des juges du fond, l'attitude de l'administration fiscale qui tente soit de limiter la portée de l'exercice d'une option (A) ; soit d'exercer une option à la place du contribuable (B).

A- Option pour le report en arrière des déficits (CAA Paris, 7ème ch., 12 février 2010, n° 08PA01073 N° Lexbase : A0177ETQ)

Les déficits des entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent être reportés en avant sans limitation de durée depuis la loi de finances pour 2004 (11) (loi n° 2003-1311, art. 89 N° Lexbase : L6348DM3) ou être reportés en arrière depuis l'adoption de l'article 19 de la loi de finances pour 1985, codifié à l'article 220 quinquies du CGI (N° Lexbase : L3412HNP).

A ce titre, l'entreprise peut imputer les déficits qu'elle constate sur les bénéfices des trois exercices précédents en souscrivant une déclaration n° 2039. Cette créance de carry-back offre un certain nombre d'avantages bien supérieurs au régime du report en avant des déficits : elle sera nécessairement restituée au contribuable par le Trésor au terme d'un délai de cinq ans en l'absence d'imputation sur de l'IS à payer ou même immédiatement si l'entreprise fait l'objet d'une procédure collective (instruction du 28 mai 2004, BOI 4 A-4-04 N° Lexbase : X2051ACX) ; elle constitue une augmentation de l'actif net non imposable et elle améliore les résultats comptables ; la créance de carry-back peut également être mobilisée auprès d'un établissement financier dans certaines conditions (CGI, ann. III, art. 46 quater-0 U N° Lexbase : L8526HLD, C. mon. fin., art. L. 313-23 N° Lexbase : L9256DYH à L. 313-35) ; elle peut être transférée lors d'une opération de restructuration telle une fusion (CGI, art. 220 quinquies II). En d'autres termes, ce régime dérogatoire offre de nombreux avantages si, toutefois, l'entreprise a opté. Or, la jurisprudence démontre qu'il existe d'importantes divergences entre l'administration fiscale et les contribuables quant aux conditions dans lesquelles ces derniers peuvent opter. Ainsi, les déficits reportés en arrière étant imputés sur des bénéfices, la jurisprudence a précisé qu'en l'absence de distinction opérée par la loi, il y avait lieu d'appliquer l'adage ubi lex non distinguit : l'entreprise peut reporter son déficit sur des résultats antérieurs devenus bénéficiaires à la suite d'un redressement notifié par l'administration fiscale (CE 9° et 10° s-s-r., 19 décembre 2007, n° 285588 N° Lexbase : A1488D3I).

Au cas particulier, la société M. a déposé en décembre 2000, à la suite d'une mise en demeure de l'administration fiscale, une déclaration de résultat pour l'exercice clos au 31 décembre 1999 ainsi qu'une demande de report en arrière du déficit constaté au titre de l'année 1999 sur les bénéfices de l'exercice 1997. Cette demande de carry-back a été effectuée après l'expiration du délai légal de dépôt des résultats. Cependant, le report en arrière des déficits étant considéré comme une réclamation au sens des dispositions du Livre des procédures fiscales (LPF, art. 190 N° Lexbase : L5858HIS ; CE Contentieux, 30 juin 1997, n° 178742 N° Lexbase : A0501AEB), cette dernière doit, alors, aux termes de l'article R. 196-1 du LPF (N° Lexbase : L6486AEX), être présentée au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la réalisation de l'événement qui motive la réclamation.

La cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 7ème ch., 12 février 2010, n° 08PA01073) juge que les dispositions réglementaires applicables aux faits de l'espèce (CGI ann. III, art. 46 quater-0 W N° Lexbase : L8530HLI) prévoyant que l'exercice de l'option au moment du dépôt des résultats annuels ne peut "avoir pour effet d'interdire de présenter la demande de report en arrière, dans le délai de réclamation prévu à l'article R. 196-1 du Livre des procédures fiscales, au cas où la déclaration portant option de report en arrière d'un déficit aurait été jointe à une déclaration de résultat déposée tardivement".

On notera, d'une part, que l'article 46 quater-0 W du CGI, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce (12), prévoit que l'entreprise "doit joindre à la déclaration de résultat de l'exercice au titre duquel cette option a été exercée une déclaration conforme au modèle fixé par l'administration". Au cas d'espèce, il n'était pas contesté que la société M. avait bien joint à sa déclaration de résultat de l'exercice 1999 une déclaration n° 2039. D'autre part, la thèse de l'administration fiscale, qui s'est d'ailleurs exprimée dans le même sens dans la décision précitée du 19 décembre 2007 (concl. C. Landais, Dr. fisc., 2008, comm. 173, note J.-L. Pierre), revenait à empêcher le contribuable d'exercer son droit à opter. Ce raisonnement est écarté au cas présent par la cour administrative d'appel de Paris.

B- Faculté d'imputer une plus-value nette à long terme sur un déficit courant (CAA Paris, 9ème ch., 11 février 2010, n° 08PA01984 N° Lexbase : A0178ETR)

Les dispositions légales relatives à l'imposition des plus-values nettes à long terme étaient, jusqu'à l'ouverture des exercices à compter du 1er janvier 1997, un véritable paradis pour les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés. Aux termes des textes applicables aux faits de l'espèce (CGI, art. 39 quindecies N° Lexbase : L1466HLU), et sous réserve de dispositions légales spécifiques, "le montant net des plus-values à long terme fait l'objet d'une imposition séparée au taux de 16 %. Il s'entend de l'excédent de ces plus-values sur les moins-values de même nature constatées au cours du même exercice. Toutefois, ce montant net n'est pas imposable lorsqu'il est utilisé à compenser le déficit d'exploitation de l'exercice". Ainsi, la loi permettait aux entreprises relevant de l'IS de ne pas voir une plus-value nette à long terme taxée au taux de 16 % mais de l'imputer sur le déficit d'exploitation.

A la suite d'une vérification de comptabilité d'une société anonyme exerçant une activité de marchands de biens, l'administration fiscale, qui a vérifié le déficit fiscal déclaré de l'année 1996, a refusé l'imputation d'une moins-value à long terme sur une plus-value à long terme constatée au titre de l'exercice 1996. L'administration fiscale a, alors, décidé "d'imputer la part de la plus-value nette à long terme révélée par le contrôle sur le déficit ordinaire de l'exercice 1996 et sur les déficits [antérieurs] reportables sur cet exercice". Consécutivement, cette réduction des déficits reportables a entraîné le constat d'une base imposable et d'un impôt pour l'année 1998, alors même que la société anonyme avait initialement déclaré un résultat déficitaire. Le juge d'appel censure la juridiction de première instance qui avait débouté la société de ses demandes : il la décharge en conséquence des compléments d'impôt sur les sociétés ainsi que de la contribution supplémentaire alors en vigueur, car "la décision de gestion prévue par les dispositions précitées de l'article 39 quindecies du Code général des impôts ne peut être prise que par le contribuable".

On relèvera, dans la jurisprudence antérieure du juge de l'impôt administratif (CE Contentieux, 11 février 1994, n° 117302 N° Lexbase : A9715ARA), que ce dernier avait déjà tiré les conséquences de l'exercice de cette option offerte par la loi opposable tant à l'administration qu'au contribuable même si la doctrine administrative, à laquelle le contribuable s'était référé pour se former une opinion quant à l'opportunité d'y souscrire, est entre-temps rapportée.


(1) S'il est vrai que chaque société du groupe est solidaire de l'impôt et de l'IFA calculé au nom du groupe, elle ne l'est uniquement qu'à hauteur de l'impôt et des pénalités qui seraient dus si celle-ci n'était pas membre du groupe (CGI, art. 223 A, dernier alinéa N° Lexbase : L4827IGU).
(2) "Dès lors, si l'administration était fondée, en vertu de l'article 223 B précité, à réintégrer, dans le résultat d'ensemble des sociétés du groupe déclaré par la SA Sifcor, la totalité du montant des jetons de présence distribués par ses filiales, elle ne pouvait le faire sans réaliser une double imposition, compte tenu de l'unicité du résultat déclaré, que sous déduction des sommes que les filiales avaient elles-mêmes réintégrées dans leur propre résultat sur le fondement de l'article 210 sexies".
(3) "Cette décision est contraire aux dispositions du 5ème alinéa de l'article 223 B du CGI (N° Lexbase : L0101IKX) applicables jusqu'au 31 décembre 2009 ainsi qu'aux précisions contenues dans le BOI 4-H-9-88 du 9 mai 1988 n° 67 et dans la DB 4 H-6623 n° 65 selon lesquelles la réintégration porte sur l'ensemble des sommes versées, même si la société filiale qui les a allouées n'a pu en déduire qu'une partie en application de l'article 210 sexies du CGI (N° Lexbase : L3953HLY). L'acquiescement à l'arrêt a néanmoins été décidé dès lors que la double réintégration des mêmes jetons de présence et tantièmes dans le résultat imposable du groupe fiscalement intégré conduit à soumettre à l'impôt sur les sociétés une somme qui ne constitue pas un revenu et constitue une double imposition qui ne peut se justifier au regard du bon fonctionnement de l'impôt. En conséquence, la DB 4 H-6623 n° 65 est rapportée".
(4) V. cependant : CGI ann. III, art. 46 quater-0 ZG 3° (N° Lexbase : L8662HLE).
(5) Il existe sept formules de convention d'intégration fiscale dont trois sont à écarter pour des raisons juridiques : "Dans les trois premières conceptions, l'économie de trésorerie réalisée grâce aux déficits : - soit n'est pas prise en résultat (1ère conception) ; - soit est prise immédiatement dans le résultat de la société mère (2ème conception) ; - soit est prise immédiatement dans le résultat des sociétés déficitaires (3ème conception). Dans la 4ème conception, la société mère constate toutes les charges d'impôt et l'économie réalisée par le groupe", A. Charveriat et J.-Y. Mercier, La pratique de l'intégration fiscale, Editions Francis Lefebvre, 3ème édition, 2006, p. 480.
(6) 2058 SG.
(7) Applicable aux faits de l'espèce.
(8) Compétence exclusive quant à l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures (Constitution de 1958, art. 34 N° Lexbase : L1294A9S).
(9) Cons. const., 29 décembre 2005, n° 2005-530 DC (N° Lexbase : A1204DMK), RJF, mars 2006, n° 290, § 79.
(10) A. Agostini, Les options fiscales, LGDJ, Bibliothèque de science financière, 1983, p. 208 et s. ; v. également : p. 272.
(11) Antérieurement, le report des déficits ne pouvait se faire que sur les cinq exercices suivant celui au titre duquel ils étaient constatés.
(12) Depuis le 1er janvier 2005, les dispositions de cet article ont été réécrites : "L'entreprise qui exerce l'option prévue au premier alinéa du I de l'article 220 quinquies du Code général des impôts doit joindre au relevé de solde de l'exercice au titre duquel cette option est exercée, une déclaration conforme au modèle fixé par l'administration" (CGI ann. III, art. 46 quater-0 W N° Lexbase : L8531HLK).

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Mai 2010

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Le 07 Octobre 2010


Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ont été sélectionnés, ce mois-ci, deux arrêts : tout d'abord, dans le premier arrêt rendu le 13 avril 2010, la Cour de cassation revient sur la saisie des rémunérations par le liquidateur d'un débiteur placé en liquidation judiciaire. Ensuite, dans le second arrêt sélectionné cette semaine et daté également du 13 avril 2010, la Chambre commerciale, à propos du tandem SA d'exploitation/société civile immobilière, a eu à connaître de la question relative à la poursuite de l'associé répondant indéfiniment, mais sans solidarité, des dettes de la SCI à laquelle a été étendue la procédure collective de la société anonyme d'exploitation.
  • La saisie des rémunérations par le liquidateur d'un débiteur placé en liquidation judiciaire (Cass. com., 13 avril 2010, n° 08-19.074, FS-P+B N° Lexbase : A0473EWG)

Sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L4126BMR), un débiteur placé en liquidation judiciaire conservait la possibilité d'entreprendre une nouvelle profession indépendante. L'idée n'était pas nécessairement bonne, puisque le produit de cette nouvelle activité retombait dans la liquidation judiciaire, du fait des règles du dessaisissement. Par souci de cohérence, la loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT) a clairement interdit à un débiteur la possibilité d'entreprendre une nouvelle profession indépendante, tant que durerait sa liquidation judiciaire.

Au contraire, que l'on soit sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 ou sous celui de la loi de sauvegarde des entreprises, un débiteur placé en liquidation judiciaire conserve la possibilité d'exercer une activité salariée. Que deviennent alors ses salaires ? La réponse est clairement donnée par les règles du dessaisissement : les biens qui échoient au débiteur après sa liquidation judiciaire et jusqu'à sa clôture sont appréhendés par la liquidation judiciaire, qui joue comme une saisie collective. C'est ce que l'on dénomme l'effet réel de la procédure collective (1). Toutefois, échappent au dessaisissement, les biens insaisissables. D'évidence, en effet, ne peuvent être saisis que les biens saisissables. Dans ces conditions, la fraction non saisissable du salaire échappe au dessaisissement et donc à l'effet réel de la procédure de liquidation judiciaire.

Si les salaires sont versés sur un compte bancaire, ce compte ne devrait pouvoir être mouvementé que par le liquidateur, qui représente le débiteur et administre ses droits patrimoniaux. Dans ces conditions, si un compte est ouvert au nom du débiteur, ce qui est anormal puisqu'il devrait l'être au nom du liquidateur ès qualités, le banquier, même de bonne foi, s'expose à devoir reconstituer le compte à hauteur des sommes indûment prélevées par le débiteur, le fonctionnement du compte étant en effet inopposable à la procédure collective. Or, la sanction classique de la violation des règles du dessaisissement réside dans une inopposabilité de l'acte à la procédure collective.

Du fait des règles du dessaisissement et de l'effet réel de la liquidation judiciaire, le liquidateur est en droit de demander au débiteur la remise de tous les salaires dans la limite de leur fraction saisissable. L'inexécution de la part du débiteur peut être analysée en un détournement d'actif, constitutif d'un cas de banqueroute. Cette menace, fermement adressée par le liquidateur au débiteur, doit être de nature à amener ce dernier à composer.

Ce n'est manifestement pas ce qui s'est passé dans la présente espèce. M. T. a été placé en liquidation judiciaire en 2004. Le débiteur a rapidement trouvé un emploi et le liquidateur a entendu obtenir le reversement des salaires. Pour cela, il a assigné l'employeur devant le tribunal de commerce, qui avait ouvert la procédure collective. Fort logiquement, le débiteur a contesté la compétence du tribunal, lequel a néanmoins condamné l'employeur à verser les salaires directement au liquidateur. Le débiteur a formé un contredit, qui a été rejeté par la cour d'appel. Le débiteur s'est alors pourvu en cassation et, sans surprise, la Cour de cassation va lui donner raison : "attendu que la saisie des rémunérations dues par un employeur est soumise aux dispositions du Code du travail ; que si le liquidateur d'un salarié en liquidation judiciaire est fondé à demander à l'employeur le versement entre ses mains des salaires du débiteur qui, à l'exclusion de leur fraction saisissable, sont appréhendés par l'effet réel de la procédure collective, il doit mettre en oeuvre la procédure de saisie des rémunérations ressortissant à la compétence exclusive du tribunal d'instance".

Cet arrêt est intéressant, d'abord en ce qu'il réaffirme la notion d'effet réel de la procédure collective, déjà utilisé dans un arrêt de la Chambre commerciale du 16 mars 2010 (2). Il faut comprendre que la liquidation judiciaire joue comme une véritable saisie collective des biens du débiteur, ce qui autorise le liquidateur, aux fins de désintéressement des créanciers, à disposer de ces derniers, après avoir obtenu une autorisation du juge-commissaire, sous réserve des règles spéciales à la liquidation judiciaire simplifiée qui permet au liquidateur de vendre les biens du débiteur sans autorisation du juge-commissaire. Puisque la liquidation judiciaire joue comme une saisie collective, il est logique que les salaires du débiteur placé en liquidation judiciaire puissent être appréhendés par le liquidateur. Là ne réside pas la difficulté.

Pour appréhender les salaires entre les mains d'un tiers, à savoir l'employeur, une seule voie d'exécution est autorisée : la saisie des rémunérations. Or, en application de l'article R. 3252-6 du Code du travail (N° Lexbase : L4516IAI, ancien art. L. 145-5, al. 1) et R. 3252-12 (N° Lexbase : L4502IAY, ancien art. L 145-5, al. 2), le juge d'instance a une compétence exclusive d'ordre public pour connaître de la saisie des rémunérations. Il était donc inconcevable de présenter une telle demande devant le tribunal de commerce, fut-ce celui qui avait ouvert la procédure collective. Si ce tribunal de la faillite connaît de tout ce qui concerne le redressement et la liquidation judiciaires, c'est-à-dire les actions nées de la faillite et celles sur lesquelles les règles du droit des entreprises en difficulté exercent leur incidence, il n'en est ainsi que pour autant qu'une compétence exclusive d'ordre public ne soit pas conférée à une autre juridiction.

Une fois affirmé que les salaires ne peuvent être saisis entre les mains de l'employeur que par la technique de la saisie des rémunérations, une difficulté surgit, qui n'est pas résolue dans la présente espèce, mais dont la Cour de cassation avait eu à connaître dans un arrêt de sa Chambre commerciale du 2 mai 2001 (3).

Dans cette espèce, le liquidateur, agissant en qualité de représentant des créanciers, avait demandé au tribunal d'instance la saisie des rémunérations dues au débiteur. Les juges du fond lui avaient donné gain de cause en retenant que l'état des créances de la liquidation judiciaire arrêté par le juge-commissaire constitue un titre exécutoire au sens de l'article R. 145-1 du Code du travail. Cette disposition, devenu l'article R. 3252-1 (N° Lexbase : L8965H9W), n'autorise la saisie des rémunérations qu'au bénéfice d'un créancier titulaire d'un titre exécutoire.

Il n'y a pas de difficulté à reconnaître au liquidateur la faculté d'utiliser les droits des créanciers qu'il représente, à l'encontre du débiteur. Si ces créanciers ont un titre exécutoire, il faut identiquement admettre la possibilité pour le liquidateur d'utiliser le titre exécutoire dont disposent les créanciers qu'il représente.

La difficulté est précisément de déterminer ce que les créanciers antérieurs d'une procédure collective peuvent exhiber pour fonder leurs poursuites individuelles. Individuellement, la solution n'a d'ailleurs pas de sens, compte tenu de l'interdiction qui les frappe, d'exercer pendant la procédure collective, des voies d'exécution contre le débiteur, pour obtenir paiement d'une créance antérieure. Collectivement, en revanche, la question prend tout son sens lorsque l'on transpose la problématique sur la tête du liquidateur.

Peut-on admettre que le liquidateur utilise les décisions d'admission des créances au passif dont dispose chacun des créanciers qu'il représente ? La difficulté tient au fait que ces décisions d'admission, qui constituent la reconnaissance du droit de créance de chacun des créanciers à l'égard du débiteur et le droit à participer aux répartitions et dividendes, ne sont pas revêtues de la formule exécutoire. Elles ne condamnent pas au paiement, mais reconnaissent seulement que la personne sous procédure collective est débitrice de sommes d'argent à l'égard de chacun des créanciers admis au passif.

Lorsque la Cour de cassation a statué dans son arrêt du 2 mai 2001, l'état des créances ne s'était pas encore vu reconnaître une nature juridictionnelle. L'état des créances désigne le recueil des décisions d'admission ou de rejet des créances ou d'incompétence prononcées par le juge-commissaire, qui est déposé au greffe du tribunal. La Cour de cassation a, ensuite, considéré que la signature du juge-commissaire au pied de l'état des créances déposé par le mandataire de justice conférerait à cet acte le caractère d'une décision de justice. Il en a été, par exemple, tiré la conséquence, que l'appel pouvait être dirigé non contre une ordonnance du juge-commissaire, mais contre l'état des créances lui-même (4).

Si l'état des créances a une valeur juridictionnelle, faut-il, pour autant, lui reconnaître la valeur d'un titre exécutoire ? Une réponse négative de principe doit être apportée, pour une raison bien simple : il n'est pas revêtu de la formule exécutoire.

Soit. Mais alors, comment le liquidateur pourra-t-il procéder pour obtenir la saisie des rémunérations ? Il nous semble possible pour le liquidateur de faire apposer sur l'état des créances la formule exécutoire par le greffier du tribunal qui a ouvert la procédure. On ne voit pas où pourrait se situer la difficulté. Certes, objectera-t-on, le débiteur, par l'état des créances, n'est pas condamné à payer. Mais, très clairement, l'état des créances contient toutes les décisions d'admission au passif, c'est-à-dire toutes les décisions émanant du juge-commissaire, qui sont de véritables décisions de justice, qui reconnaissent les droits de créance de chacun des créanciers soumis à la discipline collective, et qui ont donc dû déclarer leurs créances au passif. Dans ces conditions, comment pourrait-on douter que le recueil de ces décisions -l'état des créances- qui a valeur juridictionnelle, puisse se voir doté de la l'efficacité d'un titre exécutoire par apposition de la formule exécutoire ? C'est, à notre sens, la seule possibilité pour sortir de l'impasse juridique dans laquelle on risquerait de se trouver.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

Le tandem SA d'exploitation/société civile immobilière est très fréquemment utilisé et nourrit un contentieux fourni en matière de confusion des patrimoines. Il a fait naître une question, dont a eu à connaître récemment la Cour de cassation, relative à la poursuite de l'associé répondant indéfiniment, mais sans solidarité, des dettes de la SCI à laquelle a été étendue la procédure collective de la société anonyme d'exploitation.

Dans l'espèce, ayant donné lieu à un arrêt de la Chambre commerciale du 13 avril 2010 appelé à la publication au Bulletin, un montage très classique avait été mis en place : une société civile immobilière avait, au moyen d'un prêt consenti par un établissement bancaire, acquis un immeuble devant être donné à bail à la société anonyme d'exploitation. Après la mise en redressement judiciaire de la SA, la procédure collective avait été étendue à la SCI sur le fondement de la confusion des patrimoines. Après avoir déclaré sa créance au passif de la SCI, la banque avait assigné, en paiement du solde du prêt, l'associé titulaire de la totalité des parts de la SCI. Cette poursuite était fondée sur les dispositions de l'article 1857, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L2054ABP) selon lequel "les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date d'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements".

Condamné par la cour d'appel à payer à la banque une certaine somme (CA Paris, 15ème, sect. B, 24 mai 2007, n° 05/21218 N° Lexbase : A0773DXW), l'associé de la SCI s'était pourvu en cassation en avançant plusieurs arguments au soutien de son pourvoi, qui devait finalement être rejeté par la Chambre commerciale.

Cet arrêt du 13 avril 2010 permet d'apporter des précisions intéressantes, d'une part, sur les dettes dont les associés peuvent être appelés à répondre sur le fondement de l'article 1857 du Code civil et, d'autre part, sur la notion de "cessation des paiements", au sens de cette disposition.

I - Les associés de SCI ne sont-ils tenus des dettes sociales que si elles ont été contractées alors qu'ils étaient associés ?

Dans l'espèce rapportée, la question se posait de savoir si l'associé répondait des dettes contractées antérieurement à son "entrée" dans la société.

En l'occurrence, le prêt accordé par le banquier pour l'acquisition de l'immeuble avait été octroyé le 24 décembre 1988 cependant que l'associé assigné par le prêteur avait acquis la totalité des parts de la SCI le 17 juin 1992, soit trois ans et demi après l'octroi du prêt. L'associé poursuivi soutenait que seuls les associés à la date de la conclusion du contrat de prêt pouvaient être appelés à répondre des dettes sociales en application de l'article 1857 du Code civil. Cette argumentation n'est pas favorablement accueillie par la Chambre commerciale dans la mesure où l'article 1857 du Code civil précise que les associés répondent à l'égard des tiers des dettes sociales "à la date de leur exigibilité ou à celle de la cessation des paiements". Ainsi, le critère auquel il importe de se référer pour résoudre la difficulté n'est pas celui de la date de naissance de la créance, mais celle de son exigibilité : dès lors que l'exigibilité de la créance est postérieure à la date à laquelle l'associé a acquis cette qualité, l'associé doit répondre des dettes sociales même s'il n'avait pas revêtu la qualité d'associé au jour de la naissance de la créance.

En matière de prêt octroyé par un professionnel du crédit, la date de naissance -ou le fait générateur- de la créance de remboursement est trouvée dans la conclusion du prêt (5). L'exigibilité de la créance, quant à elle, est "distillée" dans le temps au rythme des échéances mentionnées dans le tableau d'amortissement, à moins qu'une cause de déchéance du terme ne frappe le prêt. Cette cause de déchéance du terme pourra être propre au contrat (pour cause de non-respect d'une obligation contractuelle) ou résulter du droit des procédures collectives (déchéance du terme provoquée par le prononcé de la liquidation judiciaire).

La date de naissance de la créance importe peu en matière de poursuite de l'associé de SCI : dès lors que la créance est exigible à l'égard de la SCI, l'associé devra en répondre même si celle-ci est née alors même que l'associé n'avait pas encore acquis cette qualité.

II - Que faut-il entendre par "cessation des paiements" au sens de cet article 1857 du Code civil ?

Toutes les difficultés ne sont cependant pas aplanies car l'article 1857 du Code civil, après avoir précisé que les associés répondent à l'égard des tiers des dettes sociales à la date de leur exigibilité, poursuit en indiquant "ou à celle de la cessation des paiements". Que faut-il entendre par "cessation des paiements" au sens de cet article 1857 du Code civil ? Faut-il déconnecter cette notion du droit des entreprises en difficulté et ne l'interpréter qu'au regard du créancier poursuivant ? Il s'agirait alors du simple fait pour le débiteur de cesser d'effectuer des paiements au profit du créancier en question. Faut-il comprendre, au contraire, que "la cessation des paiements" doit s'entendre comme en droit des procédures collectives : il s'agit du fait pour le débiteur de ne plus pouvoir faire face à son passif exigible avec son actif disponible (6) -condition pour que soient ouvertes les procédures de redressement et de liquidation judiciaires- ?

L'interprétation de cette notion de cessation des paiements pouvait apparaître cruciale dans l'espèce rapportée. En effet, la société anonyme d'exploitation avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du 6 mars 1992. La date de cessation des paiements avait été fixée au 1er mars 1991, date à laquelle l'associé de la SCI ultérieurement poursuivi n'avait pas encore la qualité d'associé. Cette procédure collective avait été étendue à la SCI sur le fondement de la confusion des patrimoines par jugement du 11 juin 1993.

La notion de cessation des paiements ici retenue ne peut être que celle adoptée par le Code de commerce. Il n'y aurait, en effet, pas de sens à prendre en considération soit l'exigibilité de la créance soit la cessation des paiements relative à cette créance car, pour que le problème de la cessation des paiements d'une créance se pose, d'évidence, il faut qu'elle soit exigible. La raison commande donc de considérer que l'article 1857 du Code civil, en visant la "cessation des paiements", s'intéresse exclusivement à la situation de la société, non à la question du non paiement de la dette.

On sait qu'en cas d'extension sur le fondement de la fictivité ou de la confusion des patrimoines, la date de cessation des paiements retenue est identique pour toutes les structures (7). Appliquée sans nuances aux faits de l'espèce, l'identité de date de cessation des paiements aurait dû conduire à décider que la SCI était déjà en cessation des paiements lorsque Monsieur L. (l'associé) est devenu associé. Il aurait dû, alors, en être tiré la conséquence que ce dernier ne pouvait être tenu des dettes sociales puisqu'il est devenu associé après la date de cessation des paiements de la SCI.

A ce stade, entre en jeu, un deuxième principe, bien connu en matière d'extension sur le fondement de l'extension pour confusion des patrimoines, celui de l'absence de rétroactivité des effets de l'extension (8) : l'extension ne prend effet et n'est opposable qu'à compter du jugement qui la prononce. Ce second principe, appliqué aux faits de l'espèce, conduit à décider que la cessation des paiements de la SCI ne résulte que du jugement d'extension et c'est pourquoi il est possible de demander paiement des dettes sociales de l'associé puisque ce dernier avait bien cette qualité au jour de l'extension. Ainsi, malgré l'identité de date de cessation des paiements, il ne pouvait être considéré que l'associé n'était pas tenu des dettes sociales au prétexte d'une cessation des paiements antérieure de la SCI, cible de l'extension.

Dès lors, le plus ancien des deux évènements visés à l'article 1857 du Code civil, pour déterminer les dettes sociales que devait supporter l'associé, devait être retenu. Il aurait dû s'agir en l'espèce du jugement d'extension, qui aurait dû entraîner l'interdiction de payer les créances antérieures. Les dispositions légales n'avaient pas été respectées, puisque les échéances du prêt consenti par la banque avaient continué à être remboursées par la SCI après l'extension. Il n'y avait donc aucune difficulté à considérer que l'associé pouvait répondre des dettes sociales soit parce que leur exigibilité était postérieure à son entrée dans la société, soit parce le jugement d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines qui fonde la cessation des paiements de la société était identiquement postérieur à l'entrée de l'associé dans le capital social de la SCI.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon


(1) V. sur la question, la remarquable thèse de M. Sénéchal, L'effet réel de la procédure collective, Litec, 2002.
(2) Cass. com., 16 mars 2010, n° 08-13.147, Mme Hélène Gascon, FS-P+B (N° Lexbase : A8033ETP), D., 2010, AJ, p. 825, note A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2010/8, n° 122, note J. Vallansan.
(3) Cass. com., 2 mai 2001, n° 97-19.536, M. Philippe Gallard c/ M. Bernard Jumel (N° Lexbase : A3381ATE), Bull. civ. IV, n° 82 ; Act. proc. coll., 2001/11, n° 143, note O. Salvat ; RTD com., 2001, 773, obs. J.-L. Vallens.
(4) Cass. com., 15 mars 2005, n° 03-19.786, M. Hervé Asselineau c/ M. Gilles Pellegrini, F-D (N° Lexbase : A3070DH8) ; Cass. com., 3 juin 2009, n° 08-12.279, Société Paris ouest approvisionnement Parouest, représentée par son mandataire ad litem M. Albert Abihssira, FS-P+B (N° Lexbase : A6276EHW), D., 2009, AJ, p. 1603, note A. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2009/4, 1ère partie, n° 303 et 304, p. 35, note P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll., 2009/14, n° 214, note J.-Ch. Pagnucco ; Rev. Sociétés, 2009/3, p. 662, note P.-M. Le Corre.
(5) Sur la question v., not., P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action 2010/2011, n° 442.16.
(6) Sur cette notion v., not., P.-M. Le Corre, ibid., n° 221.10 et s..
(7) Cass. com., 24 octobre 1995, n° 93-20.469, Société BVE, société en nom collectif c/ Société Lasseron et autres (N° Lexbase : A8026AHQ), Rev. proc. coll., 1996, p. 206, n° 12, obs. Calendini ; Cass. com., 8 juin 1999, n° 97-10.276, M. Francis Coste c/ M. Bernard de Saint-Rapt, ès qualités d'administrateur de la SA SCL International, SA Coste, CLC Location, CLC Transport et autres, inédit (N° Lexbase : A7538CPU) , Act. proc. coll., 1999/12, n° 155, LPA, 8 juillet 1999, n° 135, p. 5, note P. M..
(8) Sur la question de l'absence de rétroactivité de l'extension v., not., P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 213.43.

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