Jurisprudence : CEDH, 21-01-1999, Req. 25716/94, Janowski c. Pologne

CEDH, 21-01-1999, Req. 25716/94, Janowski c. Pologne

A7086AWD

Référence

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Cour européenne des droits de l'homme

21 janvier 1999

Requête n°25716/94

Janowski c. Pologne



AFFAIRE JANOWSKI c. POLOGNE

(Requête n° 25716/94)


ARRÊT

STRASBOURG

21 janvier 1999

En l'affaire Janowski c. Pologne,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu'amendée par le Protocole n° 11, et aux clauses pertinentes de son règlement, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :

M. L. Wildhaber, président,

Mme E. Palm,

M. C.L. Rozakis,

Sir Nicolas Bratza,

MM. M. Pellonpää,

B. Conforti,

A. Pastor Ridruejo,

G. Bonello,

J. Makarczyk,

P. Kûris,

R. Türmen,

C. Bîrsan,

M. Fischbach,

J. Casadevall,

Mme H.S. Greve,

MM. A.B. Baka,

R. Maruste,

ainsi que de M. M. de Salvia, greffier,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 18 novembre 1998 et 14 janvier 1999,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour, telle qu'établie en vertu de l'ancien article 19 de la Convention, par le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») le 26 février 1998, par un ressortissant polonais, M. Józef Janowski (« le requérant »), le 27 février 1998 et par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 16 mars 1998, dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 25716/94) dirigée contre la République de Pologne et dont le requérant avait saisi la Commission le 25 janvier 1994 en vertu de l'ancien article 25.

La requête du Gouvernement renvoie à l'ancien article 48 ; celle du requérant à l'ancien article 48 tel qu'amendé par le Protocole n° 9, ratifié par la Pologne ; la demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration polonaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Demande et requêtes ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 10 de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 35 § 3 d) du règlement B, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance et désigné son conseil (article 31). M. R. Bernhardt, président de la Cour à l'époque, a autorisé l'avocat à employer la langue polonaise (article 28 § 3).

3. En sa qualité de président de la chambre initialement constituée (ancien article 43 de la Convention et article 21 du règlement B) pour connaître notamment des questions de procédure pouvant se poser avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 11, M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, le conseil du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure écrite. Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du requérant et du Gouvernement les 13 juillet et 7 août 1998 respectivement. Le 15 septembre 1998, le délégué de la Commission a soumis des observations écrites.

4. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l'article 5 § 5 dudit Protocole, l'examen de l'affaire a été confié à la Grande Chambre de la Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. J. Makarczyk, juge élu au titre de la Pologne (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. L. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm et M. C.L. Rozakis, vice-présidents de la Cour, Sir Nicolas Bratza et M. M. Pellonpää, présidents de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 § 3 du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : M. B. Conforti, M. A. Pastor Ridruejo, M. G. Bonello, M. P. Kûris, Mme V. Stràžnická, M. C. Bîrsan, M. M. Fischbach, M. J. Casadevall, Mme H.S. Greve, M. A.B. Baka et M. R. Maruste (articles 24 § 3 et 100 § 4 du règlement). Par la suite, M. R. Türmen, juge suppléant, a remplacé Mme Strážnická, empêchée (article 24 § 5 b) du règlement).

5. A l'invitation de la Cour (article 99 du règlement), la Commission a délégué l'un de ses membres, M. M.A. Nowicki, pour participer à la procédure devant la Grande Chambre.

6. Ainsi qu'en avait décidé le président, une audience, à laquelle assistait le requérant, s'est déroulée en public le 18 novembre 1998, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.

Ont comparu :

– pour le Gouvernement

M. K. Drzewicki, professeur de droit international public, agent,

Mme E. Cha³ubiñska, magistrat détaché

auprès du ministère de la Justice, conseil,

MM. A. Kaliñski, bureau de l'agent du Gouvernement,

M. £uczka, Représentant permanent adjoint

de la Pologne auprès du Conseil de l'Europe,

Mlle M. Dêbska, bureau de l'agent du Gouvernement, conseillers ;

– pour le requérant

Me B. Banasik, avocate au barreau de £ódŸ, conseil ;

– pour la Commission

M. M.A. Nowicki, délégué,

Mme M.-T. Schoepfer, secrétaire de la Commission.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Nowicki, Me Banasik et M. Drzewicki.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7. Le requérant est né en 1937. Journaliste de son état, il habite Zduñska Wola, en Pologne.

8. Selon ses dires, il observait le 2 septembre 1992 deux gardes municipaux qui sommaient des vendeurs sur la voie publique de déguerpir d'une place de Zduñska Wola sur laquelle la vente n'aurait pas été autorisée par la municipalité, et de transporter leurs étalages de fortune sur un marché voisin. Le Gouvernement soutient qu'en demandant simplement aux vendeurs de se déplacer, les gardes étaient mus par des considérations d'hygiène et de circulation. Le requérant fait valoir de son côté qu'il intervint alors en indiquant aux gardes que leurs agissements étaient dépourvus de tout fondement juridique et méconnaissaient la législation garantissant la liberté en matière économique. Il leur précisa que la municipalité n'avait voté aucun texte les autorisant à faire ainsi évacuer la place. Il releva que les gardes n'agissaient selon toute apparence que sur instructions verbales du maire et il exhorta les vendeurs à rester sur place. Un groupe de passants assista à l'échange opposant les gardes au requérant.

9. Par la suite, à une date non précisée, le parquet de district (Prokurator Rejonowy) de Zduñska Wola engagea une procédure pénale contre le requérant. Le 5 janvier 1993, le procureur de district déposa un acte d'accusation auprès du tribunal de district (S¹d Rejonowy) de Zduñska Wola. Le requérant fut inculpé d'injure à gardes municipaux dans l'exercice de leurs fonctions et de mépris flagrant de l'ordre juridique, infraction réprimée par l'article 236 du code pénal combiné avec l'article 59 § 1.

10. Le 29 avril 1993, le tribunal de district reconnut le requérant coupable d'avoir commis, à l'encontre de deux gardes municipaux, l'infraction d'injure au sens de l'article 236 du code pénal. Il déclara qu'il s'agissait d'un acte de hooliganisme visé à l'article 59 § 1 du code pénal. Il condamna son auteur à une peine de huit mois d'emprisonnement assortie d'un sursis de deux ans et à une amende de 1 500 000 anciens zlotys (PLZ). Il ordonna également au requérant de verser 400 000 PLZ à des institutions caritatives et 346 000 PLZ au titre des dépens.

11. A une date non spécifiée, M. Janowski interjeta appel contre ce jugement, faisant valoir que sa condamnation se fondait sur des éléments insuffisants puisque le tribunal de district n'avait pas établi quels étaient les termes diffamatoires qui auraient été utilisés et avait seulement constaté que le requérant avait traité les gardes d'« ignorants ». Ce mot ne devrait pas passer pour une insulte mais pour une critique admissible à l'endroit de fonctionnaires. L'intéressé soutint en outre que le tribunal avait mal appliqué la loi puisque, contrairement à ce qu'avait conclu le juge, ses agissements ne pouvaient à l'évidence pas être qualifiés de hooliganisme ; il n'aurait cherché en effet qu'à protéger des vendeurs à l'étalage contre des actes illégaux de la police municipale.

12. Le 29 septembre 1993, le tribunal régional (S¹d Wojewódzki) de Sieradz cassa la partie du jugement contesté s'agissant de la peine d'emprisonnement et de l'injonction de payer 400 000 PLZ à des institutions caritatives. Il confirma cependant l'amende de 1 500 000 PLZ et ramena les dépens à 150 000 PLZ. Le tribunal régional estima que le juge du fond s'était trompé en qualifiant l'infraction de hooliganisme puisque le requérant avait été mû par le souci de défendre les vendeurs contre ce qui, à ses yeux, revêtait un caractère illégal de la part des gardes municipaux. L'intéressé n'avait dès lors pas agi sans motif justifiable, condition préalable requise pour que soit constituée l'infraction de hooliganisme.

13. De plus, le tribunal régional convint avec le requérant que le conseil municipal de Zduñska Wola n'avait voté aucune résolution interdisant la vente sur la voie publique et qu'aucun panneau n'avait été affiché pour en informer le public en temps et lieu. Dès lors, le tribunal de district n'était pas fondé à constater chez le requérant un mépris flagrant de l'ordre juridique.

14. Enfin, le tribunal régional observa que les motifs du jugement ne mentionnaient pas les mots offensants employés par le requérant. Il estima cependant qu'il y avait dans le dossier suffisamment d'éléments pour conclure que M. Janowski avait en réalité insulté les gardes, les traitant de « goujats » et d'« idiots » (« æwoki » et « g³upki »). Ces mots sont généralement considérés comme injurieux et, en les utilisant, le requérant avait outrepassé les limites de la liberté d'expression. Le tribunal estima que c'était à bon droit que l'intéressé avait été condamné en vertu de l'article 236 du code pénal dont le but est de garantir que les fonctionnaires ne soient pas entravés dans l'exercice de leurs fonctions.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

15. A l'époque des faits, la législation était la suivante :

Article 236 du code pénal :

« Quiconque injurie un fonctionnaire (...) dans et à l'occasion de l'exercice de ses fonctions est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement, d'une autre peine restrictive de liberté ou d'une amende. »

« Kto zniewa¿a funkcjonariusza publicznego (…) podczas i w zwi¹zku z pe³nieniem obowi¹zków s³u¿bowych, podlega karze pozbawienia wolnoœci do lat 2, ograniczenia wolnoœci albo grzywny. »

Article 59 § 1 du code pénal :

« En cas de commission d'une infraction préméditée de hooliganisme, le tribunal inflige à son auteur une peine d'emprisonnement ne pouvant être inférieure à une fois et demie la peine minimale prévue pour ce type d'infraction (...) »

« Je¿eli sprawca dopuœci³ siê umyœlnego wystêpku o charakterze chuligañskim, s¹d wymierza karê pozbawienia wolnoœci nie ni¿sz¹ od dolnego zagro¿enia zwiêkszonego o po³owê (…) »

L'article 120 § 14 du code pénal prévoyait que l'infraction devait être considérée comme relevant du hooliganisme si son auteur l'avait commise en public, sans motif justifiable ou avec un motif manifestement injustifié, dénotant ainsi un mépris flagrant de l'ordre juridique.

PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION

16. M. Janowski a saisi la Commission le 25 janvier 1994. Il invoquait l'article 6 de la Convention, se plaignant de ce que le tribunal de district de Zduñska Wola avait refusé de lui accorder l'aide judiciaire et d'entendre deux témoins à décharge et avait établi un procès-verbal qui ne reflétait pas les dépositions des témoins et du requérant à l'audience. Ce dernier invoquait aussi l'article 10 pour se plaindre de ce que sa condamnation avait méconnu son droit à la liberté d'expression.

17. La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 25716/94) le 27 novembre 1996, à l'exception des griefs tirés de l'article 6. Dans son rapport du 3 décembre 1997 (ancien article 31 de la Convention), elle formule, par huit voix contre sept, l'avis qu'il y a eu violation de l'article 10. Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt.

CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR

18. Dans son mémoire, le requérant prie la Cour de constater que les faits de la cause révèlent des violations des articles 3, 6, 7 § 1 et 10 de la Convention, et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l'ancien article 50 de la Convention (aujourd'hui article 41).

Le Gouvernement, pour sa part, invite la Cour à conclure qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation de l'article 10.

EN DROIT

I. SUR L'OBJET DU LITIGE

19. Dans son mémoire à la Cour, le requérant soulève plusieurs griefs tirés des articles 3, 6, 7 § 1 et 10 de la Convention. La Cour observe que la Commission n'a retenu que le grief invoquant l'article 10, selon lequel la condamnation de l'intéressé aurait méconnu son droit à la liberté d'expression (paragraphes 16-17 ci-dessus).

20. La Cour n'est dès lors tenue d'examiner que le grief tiré par le requérant de l'article 10 (voir, mutatis mutandis, l'arrêt McGinley et Egan c. Royaume-Uni du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-III, pp. 1354-1355, §§ 68-70).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

21. M. Janowski soutient que sa condamnation pour injure aux gardes municipaux a méconnu son droit à la liberté d'expression tel que le lui garantit l'article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

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