La lettre juridique n°394 du 13 mai 2010

La lettre juridique - Édition n°394

Éditorial

La France : le coq comme emblème, l'hippocampe comme complexe

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N0734BPU

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


(Oui... Non... Oui... Non... Ah, ça me chatouille ! Ah, ça me gratouille ! Et puis, notre Illustre Editorialiste de la rue Froidevaux, chantre de la bien Pensée s'y est essayé... alors n'hésitons plus !)

Les semaines se suivent et offrent leurs lots de polémiques aux tonalités juridiques bien trempées et dont il apparaît difficile de se soustraire ; et ce, d'autant qu'une fois n'est pas coutume, l'actualité jurisprudentielle rejoint l'actualité politique, sur le sujet glissant du moment : la recherche d'une identité nationale. Et, comme tout ce qui touche au tréfonds de l'âme collective a tendance à faire remonter les sentiments les plus exacerbés ou les plus angéliques, je me permettrai, avec votre Haute autorisation, de m'amuser, une nouvelle fois, de la fraude des mots, chère à Platon, de la poltronnerie des hommes en charge de la Cité.

Après l'histoire du carcan vestimentaire, après celle du fast food halal indigeste, c'est au tour de la polygamie d'entrer dans le harem de l'identité communautariste, dans le tourbillon médiatique. Et, là où le bât blesse, une nouvelle fois, c'est qu'au-delà de la stigmatisation d'une religion en particulier, le problème s'apprête à être traité sous son angle le moins noble ; le pic de polygynie va sans doute être conquis par son versant le moins courageux : le portefeuille des polygames !

Si l'on veut bien se remémorer les faits, encore ardents, tant il ne manque pas d'habiles bateliers de l'électoralisme, à bâbord comme à tribord, pour souffler sur les braises, la femme d'un honnête boucher -l'individu n'ayant fait l'objet ni d'une inculpation, ni d'une condamnation, à l'heure actuelle- a, récemment, écopé d'une amende de 22 euros, pour avoir conduit le visage grillagé, portant un niqab, et enfreignant de la sorte l'article R. 412-6 du Code de la route qui dispose qu'un automobiliste doit toujours garder intacts ses "possibilités de mouvement" et "son champ de vision". Un conseiller élyséen, dont la liberté de parole est inversement proportionnelle à celle d'un quelconque ministre, aura mis le feu aux poudres, en encensant l'officier de police, l'auréolant des palmes de la République, pour acte de bravoure ou de résistance -on ne sait pas trop-. Sur ce, comme cela se fait de coutume pour une contravention routière, la femme, pas le moins du monde complexée par sa soumission vestimentaire, convoque le ban et l'arrière ban des médias, afin de tenir une conférence de presse, dénonçant l'atteinte à sa vie privée -comprenez à ses convictions religieuses- ; et le ministre de l'Intérieur, ex-ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale de surenchérir -on oublie jamais ses premières amours- sur l'appartenance du mari, non contrevenant lui, à un groupuscule islamiste radical, sur son addiction à la polygamie, pire, sur une prétendue fraude aux allocations familiales et autres prestations de solidarité... Le mari en question, au lieu de faire le dos rond, se rebiffe et ironise : on comprendra que la question n'est plus du ressort d'une simple infraction au Code de la route, mais d'une infraction au Code génétique de la République française.

Ce n'est, bienheureusement, pas Mickey Mouse -en référence, non au personnage monogame emblématique de Disney, mais au nom de code de l'opération aéroportée lancée sur Hiroshima-, mais la bombe juridique est lâchée : il conviendrait, selon le locataire de la place Beauvau de déchoir le sieur présumé de polygamie de sa nationalité ! Ce qui, soyons en certain, rendrait à sa femme et à ses "maîtresses" -pour reprendre le vocable du protagoniste hédoniste- la dignité et le respect que la République doit leur garantir...

Or, déjà, plusieurs problèmes pointent le bout de leur nez au-delà du seul niqab. Sauf à être accusé d'intelligence avec l'ennemi ou d'avoir trompé les autorités lors de l'acquisition de la nationalité française, les conditions de déchéance sont plutôt restreintes... surtout sous le seul angle de la moralité. Certes, la polygamie, au sens strict du terme, c'est-à-dire le fait d'être civilement marié à plusieurs hommes ou femmes, est interdite en France, mais l'adultère n'est même plus pénalement sanctionné depuis 1975 ! Quant à la fraude aux allocations familiales et autres prestations sociales, si elle entraînait la déchéance de la nationalité, nombreux seraient les apatrides en notre beau pays ! On comprendra, dès lors, que le ministre en charge de l'Identité nationale, habilement conseillé par un staff informé de la législation de 1945 par leurs vieux codes rouges dépoussiérés pour l'occasion, ait pu paraître, dans un premier temps précautionneux, pour ne pas dire sceptique, vis-à-vis du volontarisme juridique de son prédécesseur. Mais, le ministre de l'Immigration s'est alors rapidement ravisé, sur injonction amicale du Président ou sur celle de l'ami du Président directement -on ne sait-, et a, en effet, indiqué qu'une révision des lois existantes pourrait être nécessaire pour démettre de leur nationalité française les personnes naturalisées qui s'adonnent à la polygamie tout en fraudant l'aide sociale. "Si le peuple français considère qu'on ne peut pas frauder dans ces conditions [...] Eh bien, à ce moment-là, sous l'arbitrage du Président de la République et du Premier ministre, on pourrait très bien concevoir une évolution législative", a indiqué M. Besson.

Et hop ! Comme pour la burqa, les "Garcimore" et autres "Gérard Majax" de la "législatite aigue" préconisent une énième loi au nom des fondements de la République... Mais attention, pas pour interdire la polygamie dans les faits -elle est déjà interdite stricto sensu-, mais en s'attaquant à la fraude sociale, au porte-monnaie des contrevenants à la morale occidentale ! C'est un peu l'histoire d'Eliott Ness qui coinça Al Capone sur le terrain de la fraude fiscale, alors que, parfois, nécessité n'a pas besoin de loi... Hier, la sécurité civile invoquée contre le voile intégral, aujourd'hui la lutte contre la fraude sociale comme rempart contre la polygamie... Bel exemple de l'affirmation courageuse des valeurs de la République et, plus généralement, du choix multiséculaire des civilisations occidentales en faveur de la famille monogamique. Bel exemple des limites extrinsèques au multi-culturalisme, au mutli-cultualisme, au communautarisme.

D'abord, un chiffre s'impose : 80 % des sociétés sont polygames en droit, soit un tiers de la population mondiale ; entendons-nous bien, il s'agit des peuples dont les Etats ou les codes sociaux autorisent la polygamie, bien que plus de 60 % d'entre eux choisissent d'être monogames, dans les faits. Par conséquent, la France terre d'asile découvre, aujourd'hui, avec stupeur et, néanmoins hypocrisie, que les us et coutumes des immigrés peuvent être en contrariété avec ceux de la terre d'accueil ; et ce malgré la fermeté du Conseil d'Etat qui réaffirme, encore récemment, que le droit au regroupement familial ne fait pas obstacle au refus de délivrance de titres de séjour pour les étrangers vivant en état de polygamie. Alors, sauf à taper du point sur la table en affirmant comme, auprès de certaines contrées du soleil couchant, que les valeurs et droits fondamentaux occidentaux ont vocation à civiliser le monde et à l'hégémonie, on ne peut pas dire que les statistiques nous soient pleinement favorables.

Ensuite, si la France condamne la polygamie parallèle (le fait d'avoir plusieurs hommes ou femmes en même temps), elle autorise la polygamie séquentielle (le fait d'avoir plusieurs partenaires différents au cours de sa vie, mais non simultanément). Et, aussi logique que cela puisse paraître, là où la polygamie parallèle existe, le divorce est bien souvent interdit ; là où la polygamie séquentielle est de mise, le divorce est nécessairement instauré. Autrement dit, il est difficile de condamner tout de go la polygamie dans son ensemble, quand objectivement parlant, on s'y adonne nous même -et nous faisons fi de l'adultère qui n'altère, bien évidemment, pas la structure familiale telle que l'Etat l'envisage pour la stabilité de la société-.

Enfin, et surtout, il faut relire Engels et L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat, pour se rappeler combien la famille monogamique est fondée sur la domination de l'homme, avec le but exprès de procréer des enfants d'une paternité incontestée, et que cette paternité est exigée parce que ces enfants entreront un jour en possession de la fortune paternelle, en qualité d'héritiers directs. Autrement dit, les origines de la monogamie ne sont pas véritablement vertueuses, elles relèvent du pur calcul économique et de la dévolution successorale. Et, si elle est l'une des marques de la civilisation commençante, elle ne fut aucunement le fruit de l'amour sexuel individuel, avec lequel elle n'avait absolument rien à voir, puisque les mariages restèrent, comme par le passé, des mariages de convenance. Ce fut la première forme de famille basée non sur des conditions naturelles, mais sur des conditions économiques. Et, l'exégète marxiste de sobrement conclure : il y a donc trois formes principales du mariage, qui correspondent en gros aux trois stades principaux du développement de l'humanité. A l'état sauvage, le mariage par groupe ; à la barbarie, le mariage apparié ; à la civilisation, la monogamie complétée par l'adultère et la prostitution. Entre le mariage apparié et la monogamie se glissent, au stade supérieur de la barbarie, l'assujettissement des femmes esclaves aux hommes et la polygamie.

"Le mariage n'est pas le plaisir, c'est le sacrifice du plaisir, c'est l'étude de deux âmes qui pour toujours désormais auront à se contenter l'une de l'autre" nous livre Paul Claudel dans Le père humilié. Alors, avec de telles condamnations, comment voulez-vous défendre honorablement la monogamie ?

Et bien, ce qui lui rend ces lettres de noblesse, c'est justement la religion que l'on entend par ci, par là extraire des sociétés : d'abord, le premier concile de Tolède au Vème siècle pour les chrétiens, puis sous l'impulsion de Rabbenou Guershom pour les juifs, mais plus étonnamment le Coran, lui-même (la sourate 4.3). "Et si vous craignez de n'être pas justes envers les orphelins [...] Il est permis d'épouser deux, trois ou quatre, parmi les femmes qui vous plaisent, mais, si vous craignez de n'être pas équitable avec celles-ci, alors une seule, ou des esclaves que vous possédez. Cela afin de ne pas faire d'injustice (ou afin de ne pas aggraver votre charge de famille)". La polygamie est avant tout une mesure sociale. La norme dans l'islam est la monogamie. Selon le rite hanbalite, il est recommandé d'épouser une seule femme, car il y a un risque d'injustice entre les épouses dans la polygamie.

Alors, que diable, point de circonvolutions, que l'on ne tourne pas autour du pot ! Que la France affirme haut et fort, ubi (à ses propres cités) et orbi (à l'étranger), les choix de civilisation qu'elle a fait, il y a plusieurs siècles, évitant l'écueil du puritanisme et celui de l'hétaïrisme : la famille est monogame pour le bien, la stabilité et le respect des femmes et des enfants d'abord et avant tout... Et, cela justifie à lui seul la pénalisation de la polygamie, même de fait ! Cela ne nous empêchera pas d'admettre le contrevenant au statut de réfugié nous assure le Haut conseil, dans un arrêt du 7 avril 2010. Il pourra y lire Le Mariage de Figaro et Beaumarchais : "La femme la plus aventurée sent en elle une voix qui lui dit :'Sois belle si tu peux, sage si tu veux, mais sois considérée, il le faut'".

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Famille et personnes

[Jurisprudence] Les grands-parents et l'accouchement sous X (suite) : les liens du sang ne suffisent pas

Réf. : TGI Angers, 26 avril 2010 (N° Lexbase : A1255EXR)

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N0733BPT

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

Le 07 Octobre 2010

La décision du tribunal de grande instance d'Angers du 26 avril 2010 vient détruire de manière ferme et définitive l'espoir suscité, auprès des grands-parents confrontés à la naissance sous X de leur petit enfant, par la décision du 8 octobre 2009, rendue par le juge des référés de cette même juridiction (1). Ce dernier avait en effet admis que les parents d'une femme ayant accouché sous X pouvaient demander qu'une expertise biologique soit ordonnée afin d'établir leur lien avec l'enfant, dans le but de contester l'arrêté admettant ce dernier en qualité de pupille de l'Etat. Dans cette affaire, les grands-parents biologiques avaient été invités par leur fille à se rendre à la maternité et à voir le nouveau né. L'action des grands-parents se fondait sur l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5365DKW) qui prévoit un recours contre l'arrêté d'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat, subordonné à différentes conditions de délai et de fond. Le tribunal de grande instance d'Angers statuant au fond procède à un examen précis et rigoureux de ces différentes conditions, qui aboutit à un recadrage bienvenu sur une question particulièrement sensible. S'il admet avec certaines réserves la recevabilité de l'action des grands-parents (I), il se montre beaucoup plus sévère quant à l'appréciation du lien les unissant à l'enfant, fermant ainsi la voie à ce qui aurait pu constituer une brèche dans le processus de l'accouchement sous X (II). I - La recevabilité limitée de l'action des grands-parents

Indifférence de la notification pour le calcul du délai de prescription. L'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles inscrit le recours contre l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat dans un délai de trente jours. Depuis le début de la procédure, la question se posait de savoir si les grands-parents sont encore recevables à agir alors que leur action en contestation de l'arrêté du 14 août 2009 n'a été introduite que le 6 janvier 2010. Sur ce point, le juge des référés avait considéré que "le recours contre l'arrêté (2) n'est pas manifestement irrecevable, pour n'avoir pas été introduit dans le délai d'un mois dès lors qu'il n'est pas douteux que ce délai ne peut commencer à courir que du jour de la notification dudit arrêté et qu'il est contant, pour n'être pas contesté, qu'il ne la pas été aux époux O.". Très favorable aux grands-parents, ce raisonnement n'en comportait pas moins un risque pour l'enfant puisqu'il permettait la remise en cause permanente de l'arrêté, et donc de toute la procédure d'adoption qui pourrait s'en suivre (3). C'est d'ailleurs pour cette raison que le tribunal de grande instance statuant au fond écarte le raisonnement du juge des référés, en précisant qu'en vertu de l'article 488 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6602H7N), son ordonnance "n'a pas au principal l'autorité de la chose jugée". Selon les juges angevins "l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles est un texte d'exception imposant d'assurer une sécurité juridique en limitant le délai du recours contre l'arrêté alors que l'enfant admis en qualité de pupille de l'Etat est un enfant adoptable. Retenir la notification comme point de départ du délai du recours est d'autant moins conforme à la sécurité juridique recherchée que les titulaires de l'action ne sont pas déterminés avec précision. Il doit donc être considéré que le délai de 30 jours est un délai préfix". Cette solution paraît beaucoup plus conforme à l'intérêt de l'enfant et s'inscrit dans une tendance législative et jurisprudentielle, interne comme européenne, tendant à encadrer strictement les recours et rétractations en matière d'abandon d'enfant afin de permettre le plus rapidement possible l'intégration de l'enfant dans une famille de substitution (4). Le tribunal de grande instance précise, en outre, que le délai de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles court à compter de l'arrêté définitif et non à compter de l'arrêté provisoire. Cette solution -qui va à l'encontre de la réponse généralement apportée à cette question par l'administration- permet une meilleure protection des droits des familles et doit donc être approuvée (5).

Interruption du délai par la demande d'expertise. Le tribunal de grande instance admet cependant qu'un délai préfix est susceptible d'interruption et considère, en s'appuyant sur l'article 2241 du Code civil (N° Lexbase : L7181IA9), que peut recevoir cette qualification la demande d'expertise formulée par les grands-parents biologiques le 12 août 2009, soit quelques jours avant que ne soit rendu l'arrêté définitif d'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat. En conséquence, le point de départ du délai pour agir était reporté au jour de l'exécution de la mesure d'expertise c'est-à-dire à la date de remise du rapport, le 24 décembre 2009. La requête du 6 janvier 2010 s'inscrivait donc bien dans le délai imposé par l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles. Sa recevabilité n'en était pas moins contestable faute de satisfaire la condition essentielle relative à la qualité pour agir.

II - L'insuffisance du lien

L'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles ouvre l'action en contestation de l'arrêté d'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'Etat aux "alliés de l'enfant ou toute personne justifiant d'un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait, et qui demandent à en assumer la charge". Faute de lien juridique avec leur petite-fille biologique, les demandeurs devaient établir l'existence d'un lien avec elle, ce qu'ils pensaient faire au moyen d'une expertise génétique prouvant que l'enfant était bien leur petite-fille biologique.

Irrecevabilité de l'expertise génétique. Dans sa décision du 26 avril 2010, le tribunal de grande instance d'Angers fait preuve d'une rigueur bienvenue à propos de la recevabilité de la preuve apportée par les grands-parents. L'expertise qui a été réalisée, à leur demande, est, en effet, incontestablement une identification par empreintes génétiques. Or, le recours à cette identification est formellement limité par l'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L8778G8M) "aux actions tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation soit à l'obtention ou la suppression de subsides". Il est donc logique, au regard de la loi, que le tribunal considère que l'expertise génétique était irrecevable comme preuve du lien permettant la contestation de l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat. On peut toutefois se féliciter que le tribunal ne s'arrête pas à cette irrecevabilité et poursuive son raisonnement quant à la question de savoir si le lien biologique pouvait fonder la qualité pour agir des grands-parents par le sang.

Insuffisance du lien biologique. Le juge des référés avait considéré au regard de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles que "s'il est manifeste que la preuve du lien avec l'enfant [...] n'implique pas celle d'un lien biologique de parenté ou d'un lien juridique de filiation avec lui, elle n'interdit pas celle d'un lien biologique dont il appartiendra à la juridiction saisie d'apprécier le bien fondé et la pertinence dans l'optique de la contestation de l'admission en qualité de pupille". Autrement dit, ce n'était pas au juge des référés de décider avant tout procès si l'existence d'un lien biologique suffit à fonder la qualité pour agir en contestation de l'arrêté d'admission mais au juge du fond. Ce dernier n'élude pas la question à laquelle il répond très clairement par la négative : "en tout état de cause, le seul lien biologique n'aurait pu être suffisant au sens de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles, étant relevé l'absence de tout autre lien des époux Y avec l'enfant que Madame Y a aperçu une seule fois au service néonatale de la maternité". S'inspirant de la jurisprudence européenne, qui, en principe, conjugue pour établir l'existence d'une vie familiale, parenté et effectivité (6), le tribunal interprète la notion de lien au sens d'une relation effective, et sans doute affective.

Volonté de la mère. Le tribunal de grande instance tient, en outre, compte de l'attitude de la mère dont il rappelle "la volonté déterminée et réitérée [...] que l'enfant dont elle a accouché sous X soit admise comme pupille de l'Etat et adoptée". Par sa démarche, la mère de l'enfant signifiait clairement qu'elle ne souhaitait pas que ses parents prennent celui-ci en charge. L'accouchement anonyme entraîne, non seulement, une rupture des liens entre l'enfant et sa mère, mais également avec la famille de celle-ci, et ce serait remettre en cause l'essence même de ce processus que d'admettre que le seul lien biologique entre l'enfant et ses ascendants puisse permettre la contestation de son statut d'enfant adoptable (7). La qualité de grands-parents est, en réalité, subordonnée à la volonté de la mère. Le pouvoir ainsi reconnu à la mère de l'enfant emporte certes des conséquences particulièrement douloureuses pour les grands-parents, d'autant que ceux-ci se voient privés de tout lien avec leur petite-fille biologique (cf. infra). On peut toutefois penser que la mère reste la mieux placée pour décider quel doit être l'avenir de l'enfant qu'elle abandonne, et pour considérer qu'il vaut mieux qu'il soit intégré dans une nouvelle famille plutôt que d'être pris en charge par ses grands-parents par le sang.

L'irrecevabilité de la demande de droit de visite. La demande subsidiaire de droit de visite des grands-parents était fondée sur l'article L. 224-8, alinéa 3, du Code de l'action sociale et des familles qui prévoit l'octroi d'un tel droit, dans l'intérêt de l'enfant en cas de rejet du recours contre l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat. Mais, le tribunal de grande instance d'Angers considère, assez logiquement, que l'irrecevabilité du recours, faute de qualité pour agir, entraîne l'irrecevabilité de la demande de droit de visite, qu'elle n'examine donc pas au fond. Cette interprétation restrictive du texte évite au tribunal de répondre à la question de savoir si l'intérêt de l'enfant était de conserver des liens avec des grands-parents par le sang, écartés de sa vie par sa propre mère.

Intérêt de l'enfant. Cette question pourrait toutefois être posée au juge aux affaires familiales, sur le fondement de l'article 371-4, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L8335HWM) qui permet à un tiers -que sont juridiquement les grands-parents biologiques- d'obtenir un droit de visite si celui-ci est conforme à l'intérêt de l'enfant. Ce texte a, d'ailleurs, été, par le passé (8), utilisé par des "ex-grands-parents", dont le petit-fils avait fait l'objet d'une adoption plénière ayant rompu tout lien juridique avec eux (9). La situation de l'espèce commentée est, néanmoins, différente dans la mesure où les grands-parents biologiques n'ont jamais entretenu de relations avec l'enfant. Il faudra alors se demander si le maintien de ces liens, par hypothèse limités, est conforme à l'intérêt de l'enfant et s'il ne vaut pas mieux rompre toute relation, pour faciliter l'intégration de l'enfant dans sa famille adoptive. En ce sens, la Cour de cassation a admis que des juges du fond puissent rejeter le droit de visite réclamé par des grands-parents subsidiairement à leur contestation -rejetée- de l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'état, au motif qu'il serait de nature à gêner le processus d'adoption de l'enfant (10). L'enfant pourra toujours, s'il le souhaite, retrouver ses grands-parents. Ceux-ci peuvent en effet faire une déclaration au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP), pour que, le cas échéant, l'enfant puisse les contacter s'il recherche ses origines (11).


(1) TGI Angers, 8 octobre 2009, n° 09/00568 (N° Lexbase : A5217EM8), et nos obs., Grands-parents malgré tout : première étape réussie !, Lexbase Hebdo n° 371 du 12 novembre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N3728BMZ).
(2) Qui au moment de la décision du juge des référés n'était même pas encore introduit.
(3) Nos obs. préc., sous TGI Angers, juge des référés, 8 octobre 2009.
(4) CEDH, 10 janvier 2008, Req. 35991/04, Kearns c/ France (N° Lexbase : A2492D3P), et nos obs., Le consentement de la femme qui accouche sous X doit être libre et éclairé, Lexbase Hebdo n° 297 du 17 mars 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4397BEL), dans lequel la Cour approuve l'argument du Gouvernement français selon lequel la brièveté du délai de rétraction de la mère ayant accouché sous X permet à l'enfant de bénéficier rapidement de relations affectives stables au sein d'une nouvelle famille et de s'inscrire dans une filiation.
(5) A. Ton Nu Lan, Le délai de recours contre l'arrêté d'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'Etat, RJPF, février 2004, p. 6.
(6) F. Sudre et alii, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF 2009, p. 522.
(7) Le même raisonnement est beaucoup plus difficilement admissible à propos des conséquences de l'accouchement sous X pour le père de l'enfant, qui constitue une question tout à fait différente.
(8) Avant que les lois du 8 janvier 1993 (loi n° 93-22 N° Lexbase : L8449G8G) et du 5 juillet 1996 (loi n° 96-604 N° Lexbase : L1121G8Z) n'excluent cette forme d'adoption lorsque l'enfant a une filiation établie à l'égard du parent qui n'est pas le conjoint de l'adoptant.
(9) Cass. civ. 1, 5 mai 1986, n° 84-16.901, Foucard c/ Mme Diette (N° Lexbase : A4819AAQ), Bull. civ. I, n° 112, D., 1986. 496, note J. Massip, Rép. Defrénois, 1986, art. 33792, n° 78, obs. J. Massip, RTDCiv, 1986, 737, obs. J. Rubellin-Devichi ; Cass. civ. 1, 21 juillet 1987, n° 85-15.521, Mme X c/ Epoux Y (N° Lexbase : A1262AH9), Bull. civ. I, n° 235, D., 1987, IR 191, Gaz. Pal., 1988. 1. 326, note J. Massip, Rép. Defrénois, 1988, art. 34186, n° 8, obs. J. Massip, RTDCiv, 1988. 319, obs. J. Rubellin-Devichi, Rev. dr. enf. fam., 1989-2, p. 29, obs. J. Rubellin-Devichi.
(10) Cass. civ. 1, 3 juillet 1996, n° 94-16.864, M. Gilbert Neuhauser et autres c/ Préfet de la région Bourgogne et de la Côte-d'Or, pris en sa qualité de tuteur de l'enfant Aymeric, Nicolas Neuhauser et autres, inédit (N° Lexbase : A9257CLG).
(11) C. act. soc. fam., art. L. 147-3 (N° Lexbase : L5432DKE).

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Pénal

[Questions à...] "LOPPSI 2" et lutte contre la cybercriminalité - Questions à Myriam Quéméner, Magistrat, Parquet général de la cour d'appel de Versailles

Réf. : Projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, adopté par l'Assemblée nationale le 16 février 2010

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N0675BPP

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par Vincent Téchené, rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale

Le 07 Octobre 2010

Alors que la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (loi n° 2002-1094 N° Lexbase : L6285A4K dite "LOPPSI 1") du 29 août 2002 est venue à échéance fin 2007, Michelle Alliot-Marie, alors ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités territoriales a déposé le 27 mai 2009, un projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite "LOPPSI 2", conformément aux objectifs que lui avait fixés le Président de la République dans sa lettre de mission. Le texte a essentiellement pour objectif de renforcer les outils permettant de lutter contre les nouvelles formes de la délinquance : cybercriminalité, pornographie enfantine, criminalité organisée et nouvelles formes de délinquance violente et collective, notamment à l'occasion des manifestations sportives. Adopté en première lecture le 16 février dernier par l'Assemblée nationale qui y a apporté quelques modifications, l'examen du projet de loi par la Haute assemblée a été repoussé et devrait être inscrit à l'ordre du jour à la session extraordinaire de septembre. Cette décision fait suite à l'hostilité d'une partie de l'opinion et, notamment, du monde judiciaire, à l'égard de ce projet phare du quinquennat de Nicolas Sarkozy en matière de sécurité et de justice. En effet, nombreux sont ceux qui se sont émus de certaines dispositions qui porteraient en germe une atteinte aux libertés individuelles. Cette levée de boucliers s'est particulièrement concentrée sur les aspects visant à lutter contre la cybercriminalité, sûrement, aussi, parce que les détracteurs du projet de loi trouvent un large écho chez les acteurs de l'internet et bénéficient donc à l'évidence d'un large espace de diffusion de leurs arguments. Pour faire le point sur les principales mesures contenues dans le projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure et sur leurs conséquences, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré l'une des grandes spécialistes françaises de la lutte contre la cybercriminalité, co-auteur avec Joël Ferry d'un ouvrage de référence en la matière (1), Myriam Quéméner, Magistrat, Parquet général de la cour d'appel de Versailles, qui a accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : Quelles sont les principales mesures contenues dans le projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure qui visent à lutter contre la cybercriminalité ?

Myriam Quéméner : En matière de cybercriminalité, la "LOPPSI 2" contient des mesures de deux natures :
- des dispositions de droit matériel avec notamment la création de nouvelles infractions comme l'usurpation d'identité en ligne ou d'aggravation des peines encourues telles que prévues pour un certain nombre de délits de contrefaçon lorsqu'ils sont commis via un réseau de communication au public en ligne ;
- et des dispositions de droit processuel dont la mesure phare est indéniablement la captation des données.

A côté de ces aspectes répressifs, souvent mis en avant par les détracteurs du projet de loi, le texte contient, il ne faut pas l'oublier, un volet préventif dans lequel l'on peut ranger le blocage des sites pédo-pornographiques.

A l'évidence, le projet de loi a pour objet de renforcer l'arsenal juridique de lutte contre la cybercriminalité. Ce renforcement n'est pas "nouveau" ; il s'inscrit dans un mouvement amorcé depuis le début des années 2000 avec la loi du 15 novembre 2001, relative à la sécurité quotidienne (loi n° 2001-1062 N° Lexbase : L7960AUD). Depuis, les dispositifs de lutte contre cette délinquance ont été consolidés par les lois du 18 mars 2003, pour la sécurité intérieure (loi n° 2003-239 N° Lexbase : L9731A9B), du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (loi n° 2004-204 N° Lexbase : L1768DP8), du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique (loi n° 2004-575 N° Lexbase : L2600DZC) et du 9 juillet 2004, relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle (loi n° 2004-669 N° Lexbase : L9189D7H). Le dispositif prévu par la "LOPPSI 2" s'intègre, par ailleurs, dans la suite de divers plans d'actions, la lutte contre la cybercriminalité constituant l'un des six chantiers prioritaires engagés en 2002 dans le cadre de l'amélioration de la sécurité des Français qui a donné lieu au rapport de Thierry Breton, intitulé "Chantier sur la lutte contre la cybercriminalité".
En fait, depuis 2000-2001, on assiste à une adaptation du droit pénal et de la procédure pénale à la cybercriminalité, adaptation indispensable, tout le monde en conviendra. Tout cela démontre une prise de conscience politique de la nécessité d'agir sur ce terrain, propice au développement de la délinquance car appréhender les comportements délictueux sur internet se heurte à plusieurs contraintes : l'anonymat, la volatilité des informations et le caractère transnational des comportements délictueux. Ce dernier élément est d'ailleurs une véritable source de complexité procédurale.

A côté de ces aspects purement juridiques, le projet de loi comporte des dispositions visant au renforcement des moyens techniques de lutte contre la cybercriminalité, à la fois pour les services spécialisés et pour leur traitement judiciaire. Cet aspect est fondamental : la lutte juridique contre la cybercriminalité n'a de sens que si d'importants moyens sont mis à sa disposition, que ce soit pour les services de police et de gendarmerie ou pour ceux de la Justice. C'est aujourd'hui ce qui fait le plus défaut.

Lexbase : Concernant les sites pédo-pornographiques, le projet de loi vise à compléter le cadre existant par un dispositif de filtrage au niveau des fournisseurs d'accès. Que pensez-vous de cette disposition ? Approuvez-vous l'introduction par un amendement parlementaire de la validation par l'autorité judiciaire de la liste noire des sites que les fournisseurs d'accès devront bloquer?

Myriam Quéméner : Il existe déjà des systèmes de filtrage dans des pays européens, ces derniers ayant effectué des études d'impact plutôt en faveur de leur mise en place. S'agissant de la pédo-pornographie, il faut bien avoir à l'esprit que la pédophilie via internet tend à devenir un contentieux de masse, le net favorisant, hélas, même dans bien des cas le passage à l'acte. La cybercriminalité, c'est la délinquance d'avenir ; les délinquants l'ont compris, les pouvoirs publics doivent en prendre la juste mesure.

Lorsque les images pédo-pornographiques sont hébergées en France, la législation actuelle permet au juge civil d'imposer à l'hébergeur la suppression du contenu ou la fermeture du site. Néanmoins, des difficultés surgissent lorsque l'hébergeur est étranger, ce qui est majoritairement le cas. Dès lors qu'il n'est pas possible d'imposer la fermeture d'un site illicite à la source, une solution consiste à bloquer l'accès aux pages litigieuses grâce à l'intervention des fournisseurs d'accès à internet (FAI) qui devront empêcher l'accès des utilisateurs d'internet aux contenus illicites.

Le texte prévoit, en outre, l'établissement par Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC), d'une "liste noire" de noms de domaines ou d'adresses IP dont les FAI devront bloquer l'accès sans délai. L'OCLCTIC, compétent non seulement pour les infractions spécifiques à la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, mais aussi les infractions dont la commission est facilitée ou liée à l'utilisation de ces technologies, est un service de la Police nationale. Il est alors apparu nécessaire aux députés d'introduire un accord préalable de l'autorité judiciaire à la notification par l'autorité administrative de ladite liste. Si j'approuve l'adoption de cet amendement en ce qu'il assure le respect des libertés individuelles dont le juge judiciaire est le garant et évite finalement une censure par le Conseil de constitutionnel, à l'instar de ce qui s'est passé sur le volet répressif d'"Hadopi", encore faut-il que les moyens financiers et matériels soient mis à la disposition des magistrats et de l'ensemble du personnel judiciaire pour qu'ils puissent accomplir leur mission. En témoigne, une fois encore, le manque criant de moyens des Parquets pour assurer une lutte efficace contre le téléchargement illégal tel que la loi "Hadopi" a su l'organiser.

Enfin, si le filtrage au niveau des fournisseurs d'accès est une bonne chose, on en conviendra, cela est insuffisant car les pédophiles utilisent beaucoup les forums de discussion, les réseaux sociaux, etc.. Le dispositif de filtrage n'est d'ailleurs pas la seule disposition de la "LOPPSI 2" en matière de lutte contre la pornographie enfantine via internet puisque la sanction des infractions en matière de pédo-pornographique est alourdie lorsque elle a été réalisée via un réseau de communications électroniques (cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amendes portées à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende).

Lexbase : L'article 2 du projet "LOPPSI" vise à lutter contre l'usurpation d'identité sur internet. La rédaction actuelle du texte est-elle selon vous satisfaisante ? Ne pensez-vous pas qu'il existe un risque véritable d'atteinte à la liberté d'expression des internautes français ?

Myriam Quéméner : Rappelons, tout d'abord, que cette disposition prévue par le texte n'est pas une surprise. En effet, la ministre de la Justice, Michelle Alliot-Marie avait annoncé, lors du Forum international sur la cybercriminalité, qui s'est tenu à Lille en mars 2009, la création d'un délit d'usurpation d'identité sur internet.
Alors que le texte d'origine prévoyait un délit d'utilisation frauduleuse réitérée de l'identité ou de données à caractère personnel de tiers sur un réseau de communications électroniques, la version adoptée par l'Assemblée nationale sanctionne le fait de faire usage, sur un réseau de communications électroniques, de l'identité d'un tiers ou de données de toute nature permettant de l'identifier, en vue de troubler la tranquillité de cette personne ou d'autrui. On remarque, tout d'abord, qu'il ne s'agirait plus d'une infraction de répétition mais bien d'une infraction instantanée. Ceci doit être salué car l'effet multiplicateur d'internet suffit à comprendre que l'utilisation unique de l'identité d'un tiers peut avoir des conséquences considérables. Les députés ont préféré ensuite le terme de "données de toute nature" à celui de "données à caractère personnel" qui pouvait apparaître trop étroit et ne pas englober tous les cas de figure.

On relèvera, par ailleurs, et cela n'est pas anodin, que cette nouvelle disposition serait intégrée au sein de la partie législative du Code pénal qui est relative aux "atteintes volontaires à l'intégrité physique ou psychique des personnes", immédiatement après l'article 222-16 (N° Lexbase : L2226AME) qui réprime les appels téléphoniques malveillants réitérés et les agressions sonores destinés à troubler la tranquillité d'autrui. L'infraction d'usurpation d'identité sur internet est dans le même esprit, elle vient sanctionner la malveillance, le trouble de la tranquillité ou encore l'atteinte à l'honneur ou à la considération. On voit bien que le résultat matériel de l'infraction importe peu. Cela vient combler un vide juridique qui existait, puisqu'elle réprime des faits qui ne pourraient pas constituer une diffamation ou un détournement de la correspondance d'autrui. Aujourd'hui, en fait, l'usurpation d'identité n'est réprimée que lorsqu'elle est utilisée comme le moyen de commettre une infraction dont le résultat pénal est déterminé. C'est notamment le cas des manoeuvres frauduleuses en vue de la remise de fonds, lorsque l'auteur de l'infraction utilise un faux nom ou une fausse qualité (C. pén., art. 434-23 N° Lexbase : L1757AMZ).

L'idée de cette nouvelle incrimination est donc de réprimer l'usurpation d'identité via un réseau de communication en tant que telle et même sans qu'il y ait un préjudice financier. Les faits démontrent la nécessité de cette nouvelle incrimination : une étude récente du Credoc a montré qu'environ 210 000 français ont été victime d'une usurpation d'identité sur internet.

A ce niveau, j'émets néanmoins un doute : il s'agit a priori d'une infraction difficile à manier. Il convient en premier lieu de définir la notion d'identité numérique : est-ce le pseudonyme ? L'identifiant numérique, tel que l'adresse IP ? La jurisprudence ou des circulaires devront apporter les éclaircissements nécessaires.
En outre, se pose aussi la question de savoir si dans de nombreuses circonstances cette nouvelle incrimination ne va pas se télescoper avec la diffamation. Si ce n'est pas la même chose, on retrouve les mêmes notions d'atteinte à la considération ou à l'honneur. Cette question n'est pas sans conséquence car en déposant plainte du chef d'usurpation d'identité, la victime peut contourner la courte prescription de trois mois prévue en cas de diffamation. Cela traduit une inflation législative certaine notamment en matière pénale. L'arsenal juridique existant est très peu utilisé par les magistrats : beaucoup d'infractions existent mais finalement ce sont toujours les mêmes qualifications qui sont retenues.

Enfin, concernant votre question sur l'atteinte à la liberté d'expression, beaucoup d'articles ont été écrits qui font part d'une certaine inquiétude en la matière. Je ne partage pas cet avis. Rappelons que le droit pénal est d'application stricte et que l'intervention du juge garantit tout risque à une telle atteinte.

Lexbase : L'aggravation des peines encourues pour un certain nombre de délits de contrefaçon lorsqu'ils sont commis via un réseau de communication au public en ligne est-elle selon vous indispensable ?

Myriam Quéméner : L'augmentation exponentielle de l'écoulement d'articles contrefaits via le net est un constat que tout le monde fait. Celle-ci est d'ailleurs parallèle à la croissance considérable de l'e-commerce. Mais, je pose la question : l'intervention législative est-elle toujours la meilleure ? Pas nécessairement et en la matière certainement pas. Des accords de coordination ont été scellés entre certains e-commerçants et les services de lutte contre la contrefaçon, au premier rang desquels on retrouve bien sûr l'administration des Douanes. C'est peut-être cela la solution ou, en tout cas, il s'agit là d'une réponse plutôt efficace et intéressante face au phénomène de contrefaçon. La coordination privé/public doit être développée par la mise en place de systèmes de veille chez les e-commerçants et de facto la transmission de leurs constatations aux autorités compétentes en la matière.

Alors créer une circonstance aggravante, pourquoi pas ! Mais aujourd'hui, au risque de me répéter, 70 infractions permettent de réprimer des infractions liées à la contrefaçon et très peu sont utilisées. L'e-commerce est une source importante du développement de l'économique numérique, il ne s'agirait pas de le diaboliser.

Lexbase : La création de la possibilité de recourir à la captation à distance de données informatiques dans les affaires de criminalité organisée est-elle selon vous suffisamment garantie ? Ne risque-t-elle pas de s'apparenter à une sorte de perquisition informatique à distance ?

Myriam Quéméner : Rappelons que cette disposition correspond à un mouvement amorcé en 2000 visant à renforcer les moyens mis à la disposition des services d'enquête comme les réquisitions informatiques ou les "cyberpatrouilles". D'abord, une fois encore, il ne faut pas éluder le fait que cette perquisition à distance se fera sous le contrôle d'un juge, encore qu'il faille déterminer de quel juge il s'agit puisque le projet de loi mentionne le juge d'instruction, alors que, comme chacun le sait, il est voué à disparaître avec la réforme de la procédure pénale.
Par ailleurs, les pétitions qui ont circulé et ont été signées contre cette disposition de la "LOPPSI 2" semblent oublier que cette captation à distance n'est prévue que pour des infractions caractérisées soit par la commission d'actes en bande organisée (meurtres, tortures et actes de barbarie, enlèvement et séquestration, etc.), soit par la particulière gravité des faits (terrorisme, proxénétisme, trafic de stupéfiants, etc.). Or la criminalité organisée est déjà dérogatoire du droit commun puisque les enquêteurs et les autorités judiciaires doivent disposer de moyens d'enquête et de contrainte adaptés à la nature des faits. En outre, la mesure de captation de données informatiques ne pourra être ordonnée que dans le cadre d'une instruction et lorsque les nécessités de l'information l'exigent. On le voit, tout cela est très restrictif et très encadré. Les soucis dont certains se sont fait l'échos m'apparaissent bien excessifs au regard de la réalité du texte !

En conclusion, je souhaite rappeler que, si l'ensemble des mesures prévues par le texte semble plutôt aller dans le sens d'une lutte efficace de la cybercriminalité, cette efficacité ne sera optimale que si les moyens financiers sont au rendez-vous : il va y avoir plus de procédures et il va falloir renforcer la formation des magistrats dans ce domaine, prévoir la mise en place de magistrats référents spécialisés en cybercriminalité au sein des Parquets notamment. C'est à cette unique condition que les dispositions en matière de cybercriminalité contenues dans la "LOPPSI 2" trouveront tout leur sens et c'est un rendez-vous à ne pas manquer !


(1) M. Quéméner, J. Ferry, Cybercriminalité - Défi mondial, Economica, 2ème éd., 2009. Myriam Quéméner a aussi publié : Cybermenaces, entreprises et internautes, Economica, 2008.

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Avocats

[Questions à...] Formation commune des professionnels du droit : les propositions du CNB - Questions à Jean-François Leca, Président délégué de la commission Formation du CNB et ancien Bâtonnier d'Aix-en-Provence

Lecture: 5 min

N0746BPC

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 08 Octobre 2014

L'idée de la création d'une Ecole des hautes études pratiques du Droit était avancée dès 1998 par Maître Varaut, dans son rapport sur l'élaboration d'un Code des professions judiciaires et juridiques. Elle a été reprise l'année dernière par la Commission "Darrois". Partant du double constat que l'enseignement universitaire n'était pas suffisamment axé sur une perspective professionnelle et que les juristes ne partageaient que très peu le sentiment d'appartenance à une communauté, celle-ci, dans son "rapport sur les professions du droit" remis au Président de la République en mars 2009, préconise de créer des "écoles de professionnels du droit assurant à l'issue des études universitaires la formation commune aux principaux métiers du droit, et constituant avec une scolarité de douze mois un passage obligé entre les Universités et les stages professionnels organisés par les écoles d'application".
La commission Formation du Conseil national des barreaux (CNB) s'était, alors, donnée comme priorité de proposer un dispositif général cohérent (1). Depuis son assemblée générale tenue les 9 et 10 avril 2010, c'est désormais chose faite, ainsi que nous l'apprend Jean-François Leca, Président délégué de la commission Formation du CNB et ancien Bâtonnier d'Aix-en-Provence.

Lexbase : Le CNB a arrêté sa position sur la formation commune des professionnels du droit. Quelle est-elle ?

Jean-François Leca : Nous proposons une formation d'une durée d'une année au sein de l'école commune des professionnels du droit, à savoir, six mois d'enseignements (environ 300 heures de formation, outre un temps de préparation aux concours et examen) et six mois de stage auprès de professionnels du droit (deux stages de trois mois ou trois stages de deux mois au choix), qui pourront se faire à l'étranger.

Cette formation serait imposée aux avocats, magistrats, notaires, huissiers, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, greffiers des tribunaux de commerce, mandataires et administrateurs judiciaires, préalablement à l'accès aux concours et examens des écoles d'application (qui seraient maintenues). Pour les avocats, c'est à l'issue de cette année que serait passé le CAPA.

Nous n'avons pas souhaité détailler le contenu de cette formation, qui doit, à notre sens, être déterminé entre les différents acteurs (universités et professionnels). Pour autant, nous savons que les "matières transversales" (déontologie, pratique contractuelle, procédures, langues, etc.) sont nombreuses. Certaines d'entre elles devraient nécessairement préparer les étudiants aux concours et examens des écoles de professionnalisation.

Ce programme (identique dans toutes les écoles de formation commune) pourrait être proposé par la Haute autorité des professionnels du droit et serait validé par les ministères de la Justice et de l'Enseignement supérieur. Il devrait être exclusivement pratique et dispensé par tous les professionnels du droit -associés, bien entendu, aux universitaires-. Un tronc commun serait suivi par tous les élèves et des options seraient prévues selon leurs projets professionnels.

La création d'une telle formation impliquerait un réaménagement des enseignements dispensés dans le cadre de la formation initiale (sujet sur lequel nous travaillons actuellement en parallèle) (2). Pour compenser l'allongement d'une année au sein des écoles des professionnels du droit, la formation au sein des écoles d'avocats existantes, verrait sa durée réduite afin de ne pas allonger l'accès à l'exercice professionnel. Il faut, tout de même préciser, que 80 % des étudiants passent les examens ou concours après un Master 2.

La question se posait de savoir à quel niveau placer cette formation commune aux professionnels du droit : Master 1 juridique ou assimilé -IEP Paris- ou Master 2.

Il nous a semblé pertinent d'opter pour la première option, dès lors que l'examen d'entrée à ces écoles serait exigeant. Il pourrait s'agir d'un examen ou de l'obtention d'une mention ou d'une certaine moyenne par exemple. Notre projet est soumis à la concertation de la profession. Nous envisageons, également, pour les titulaires de Master 2 (ou plus) juridiques ou assimilés de les soumettre, pour l'accès aux écoles des professionnels, à un entretien assuré par les professionnels du droit.

Si ce diplôme n'est pas une "condition d'entrée", nous préconisons, en revanche, que la formation commune soit obligatoirement validée par un Master 2.

Enfin, nous recommandons une gestion partenariale et, concernant la gouvernance, une direction composée, majoritairement par des professionnels (par exemple des institutions représentatives des différentes professions), et par des universitaires. Il nous semblerait opportun qu'un ou deux représentants de la société civile (chefs d'entreprise, président d'associations nationales, de syndicats, etc.) siègent également.

Lexbase : Comment financer cette formation ?

Jean-François Leca : Cette formation devrait, pour assurer un maillage suffisant du territoire, être dispensée par au moins onze écoles.

Le financement de ces écoles pourrait être de plusieurs ordres :

- les droits d'inscription modulés selon les revenus et affectés à la formation ;

- la taxe d'apprentissage ;

- la part de financement de l'Etat ;

- la part de financement des différentes professions ;

- et l'utilisation de fondations.

Si les professionnels du droit contribuaient au financement, cette contribution ne pourrait, bien entendu, n'être que limitée compte tenu, notamment pour notre profession, des coûts qu'elle aura encore à supporter pour la formation complémentaire à dispenser après le CAPA. Il est évident qu'en réalité, la qualité de la formation sera fonction de l'importance de l'engagement de l'Etat. Ce n'est qu'avec son concours que nous pourrons réaliser un dispositif utile et efficace.

Lexbase : Vos propositions sont-elles en phase avec celles formulées dans le rapport "Teyssié" remis au Garde des Sceaux et au ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche par Bernard Teyssié, président du Conseil national du droit (CND) ?

Jean-François Leca : Le CND envisage que la durée de la formation soit de dix-huit mois en tout, décomposés comme suit :

- la seconde année de Master ;

- et un "dispositif de six mois de formation post-Master" d'environ 175 heures.

L'obtention du Master 2 (dont le contenu ne varierait pas) serait, donc, une condition sine qua non pour suivre la formation commune, qui, elle, ne serait finalement dispensée que sur six mois. Nous proposons, pour notre part, une durée deux fois supérieure, car elle nous apparaît constituer un minimum pour acquérir une réelle pratique professionnelle et tendre vers un renforcement de cette "culture commune".

Le CND envisage, en outre, que cette formation, sanctionnée par un diplôme universitaire, ne soit pas un préalable obligatoire pour accéder aux écoles des professionnels, bien qu'elle constituerait un avantage dont il serait tenu compte. Il recommande, enfin, de constituer les écoles de formation commune (au nombre de quinze) à partir des actuels Instituts d'études judiciaires.

Le CNB désapprouve que les écoles des professionnels du droit ne soient accessibles qu'après l'obtention du Master 2. La formation théorique de base est acquise à l'issue du Master 1, ce qui explique, notamment, que nos centres de formation soient ouverts dès ce stade.

Ensuite, nous n'avons pas retenu le niveau du Master 2, car les étudiants ne sont, généralement, pas fixés sur leur orientation professionnelle en Master 1. Or, les écoles communes à créer auraient justement pour ambition de renforcer la connaissance des professionnels du droit et de l'exercice de leur profession respective. Elles permettraient aux étudiants d'avoir une idée plus concrète et de mieux arrêter leur choix, évitant, ainsi, des erreurs de parcours.

En réalité, les universités craignent un désintérêt de la part des étudiants pour le Master 2 (3). La proposition du CND vise, en fait, à gommer ce risque. Les Master 2 seront toujours légitimes et indispensables pour une grande partie des domaines d'exercice ou pour répondre aux besoins professionnels d'un certain nombre de cabinets, mais il ne nous a pas paru souhaitable d'en faire une exigence.

Enfin, nous ne comprendrions pas l'intérêt d'instituer des écoles communes aux différentes professions réglementées du droit, si, finalement elles n'étaient pas obligatoires pour accéder aux centres et écoles de professionnalisation respectives.

Lexbase : Les propositions du CNB sont très proches des préconisations du rapport "Darrois", non ?

Jean-François Leca : L'essentiel de nos propositions est, effectivement, en droite ligne avec les préconisations du rapport "Darrois". La commission qui l'a rédigé a, notamment, considéré, tout comme nous, que les écoles communes devraient être ouvertes aux titulaires d'un Master 1 et requises pour accéder, ensuite, à chacune des professions concernées.

Lexbase : Quelles sont les prochaines étapes ?

Jean-François Leca : Le rapport "Teyssié" et notre rapport ont récemment été remis à la Chancellerie et au ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Nous attendons maintenant leurs décisions.


(1) Lire La Formation des avocats à l'aube de la réforme - Questions à Jean-François Leca, Président délégué de la commission Formation du CNB et ancien Bâtonnier d'Aix-en-Provence, Lexbase Hebdo n° 22 du 11 mars 2010 - édition professions (N° Lexbase : N4804BNA).
(2) Le CNB entend se prononcer sur le sujet au cours de son assemblée du mois de juin prochain.
(3) Lire La réponse de "la première université de droit" face à la concurrence des écoles privées  - Questions à Louis Vogel, Président de l'Université Paris II - Panthéon-Assas, Lexbase Hebdo n° 13 du 7 janvier 2010 - éditions professions (N° Lexbase : N9370BMY).

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Licenciement

[Le point sur...] La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2009 à la lumière du Rapport de la Cour de cassation : licenciement

Réf. : Rapport 2009 de la Cour de cassation

Lecture: 16 min

N0776BPG

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Le 07 Octobre 2010

Remis officiellement au Garde des Sceaux le 29 mars 2010, la Cour de cassation rendait public, le 15 avril, son traditionnel Rapport annuel. Outre les non moins classiques suggestions de modifications législatives ou réglementaires, l'analyse des principaux arrêts et avis rendus au cours de l'année écoulée dans toutes les branches du droit, le Rapport des juges du Quai de l'Horloge met, cette année, l'accent sur les personnes vulnérables (droits de l'enfant, majeurs protégés, maintien en rétention des étrangers, protection des particuliers surendettés, accès à la justice des personnes aux ressources insuffisantes...), autour d'une étude réalisée par des magistrats de la Cour de cassation sur le thème, oeuvre collective orchestrée par le Professeur Xavier Lagarde. Concernant plus spécifiquement le droit du travail, le Rapport s'intéresse ainsi à l'accès à l'emploi des personnes vulnérables en raison de l'âge ou de l'état de santé et au maintien dans l'emploi des salariés âgés et malades, inaptes ou handicapés, avant de s'attarder sur les régimes juridiques du contrat de travail intégrant à des degrés divers des facteurs de précarité et ceux qui comportent des éléments qui atténuent ou neutralisent ces facteurs de précarité ; pour terminer, enfin, sur les salariés protégés (vulnérabilité des salariés qui demandent la mise en place d'élections professionnelles et des salariés candidats à des fonctions représentatives ; vulnérabilité des salariés qui exercent un mandat représentatif) et sur les contours de la vulnérabilité du stagiaire en entreprise. Le Rapport présente également, pour l'année 2009, l'activité de la Cour de cassation et des juridictions et commissions instituées auprès d'elle.
A la suite de cette récente diffusion, Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose, cette semaine, un numéro spécial consacré au Rapport 2009 des juges du Quai de l'Horloge et vous invite à retrouver les commentaires des éclairages apportés par la Haute juridiction sur les arrêts ayant marqué le droit social l'année dernière. Une série de plusieurs articles vous est donc proposée, rédigés par notre collège d'auteurs, Christophe Radé, Christophe Willmann, Gilles Auzero et Sébastien Tournaux, balayant la jurisprudence sociale, tant en matière de relations individuelles de travail, qu'en matière de relations collectives de travail ou, encore, de Sécurité sociale.
  • Salariés protégés

- Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 06-46.364, M. Jean-Pierre Ottaviani, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3379EC7)

En cas d'annulation d'une décision autorisant le licenciement d'un délégué du personnel ou d'un membre du comité d'entreprise, celui-ci est réintégré dans son mandat si l'institution n'a pas été renouvelée ; dans le cas contraire, il bénéficie, pendant une durée de six mois à compter du jour où il retrouve sa place dans l'entreprise, de la procédure prévue aux articles L. 425-1, alinéa 2, phrase 1 (N° Lexbase : L0054HDD), et L. 436-1, alinéa 2, phrase 1 (N° Lexbase : L0044HDY) du Code du travail, recodifiés sous les articles L. 2411-5 (N° Lexbase : L0150H9G) et L. 2411-8 (N° Lexbase : L0153H9K) du même code. Cette protection doit, également, bénéficier au salarié protégé dont l'autorisation de transfert a été annulée.

Par application de l'article L. 2414-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3906IBB), le transfert d'un salarié investi d'un mandat de représentant du personnel, compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. Curieusement, le Code du travail n'organise pas les conséquences de l'annulation d'une décision administrative autorisant le transfert d'un salarié protégé.

Dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rapporté, un salarié, dont le transfert avait été autorisé par une décision du ministre du Travail, ensuite annulée par le tribunal administratif, avait été réintégré dans son entreprise d'origine puis licencié un mois après sans autorisation préalable de l'inspecteur du travail. Les institutions ayant été renouvelées avant sa réintégration, l'intéressé avait perdu l'ensemble de ses mandats électifs. La cour d'appel avait refusé de lui appliquer la protection spéciale de six mois prévue en cas d'annulation d'une autorisation administrative de licenciement au motif qu'aucun texte n'institue une telle mesure.

Cette décision a été censurée par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui, après avoir rappelé qu'en cas d'annulation d'une décision autorisant le licenciement d'un délégué du personnel ou d'un membre du comité d'entreprise, celui-ci est réintégré dans son mandat si l'institution n'a pas été renouvelée et que, dans le cas contraire, il bénéficie pendant une durée de six mois, à compter du jour où il retrouve sa place dans l'entreprise du statut protecteur, a décidé que cette protection doit également bénéficier au salarié protégé dont l'autorisation de transfert a été annulée.

Appelé à combler un regrettable vide législatif, la Cour de cassation a, à juste titre, fait application d'un texte qui, pour concerner une autre situation, n'en est pas moins fort proche de celle qui était en cause dans l'affaire considérée.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

- Cass. soc., 2 décembre 2009, 2 arrêts, n° 08-42.037, Société Federal express corporation c/ M. Karim Benmabrouk, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3493EP3) et n° 08-43.466, Société Mory Team c/ M. Daniel Chevereau, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3515EPU) (1)

Pourvoi n° 08-42.037 : les dispositions relatives au licenciement des salariés investis de fonctions représentatives instituent au profit de ces salariés, et dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit à l'employeur de rompre le contrat de travail sans respecter le dispositif destiné à garantir cette protection. Il en résulte qu'en cas de retrait de l'habilitation administrative nécessaire à l'exercice de ses fonctions, l'employeur est tenu non seulement de conserver le salarié dans l'entreprise, mais encore de le rémunérer jusqu'à l'obtention de l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail.

Pourvoi n° 08-43.466 : les dispositions relatives au licenciement des salariés investis de fonctions représentatives instituent au profit de ces salariés, et dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit à l'employeur de rompre le contrat de travail sans respecter le dispositif destiné à garantir cette protection. Il en résulte qu'en cas de suspension du permis de conduire nécessaire à l'exercice de ses fonctions, l'employeur est tenu, non seulement de conserver le salarié dans l'entreprise, mais aussi de le rémunérer jusqu'à l'obtention de l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail.

Chacun sait, depuis les fameux arrêts "Perrier" de 1974 (2), que les salariés investis de fonctions représentatives bénéficient, dans leur intérêt et dans celui de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit à l'employeur de rompre le contrat de travail sans respecter le dispositif destiné à garantir cette protection. Dans les deux arrêts rapportés la Cour de cassation a tiré, une nouvelle fois, les conséquences de cette solution de principe, considérant qu'en cas de retrait de l'habilitation administrative ou de suspension du permis de conduire nécessaire à l'exercice de ses fonctions, l'employeur est tenu, non seulement de conserver le salarié dans l'entreprise, mais aussi de le rémunérer jusqu'à l'obtention de l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail.

Ainsi que le confirme le Rapport, la Cour de cassation a ainsi fait le choix de faire prévaloir le statut du salarié protégé, qui est investi d'une mission qu'il exerce dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs : "tant que le contrat de travail de ce salarié n'a pas été rompu selon le dispositif mis en place pour garantir la protection de son statut, l'employeur doit le conserver dans l'entreprise et continuer à lui payer son salaire, car l'en priver porterait atteinte à l'exercice même de son mandat".

On admettra qu'une telle solution n'est pas de nature à satisfaire les employeurs tenus de rémunérer un salarié qui ne peut plus exécuter ses obligations contractuelles. Sans doute peut-on penser que, pour la Cour de cassation, le retrait de l'autorisation administrative ou la suspension du permis de conduire nécessaire à l'exercice des fonctions constitue un motif légitime de licenciement et que la situation en cause ne peut qu'être provisoire, dans l'attente de la décision de l'inspecteur du travail. Mais, il reste à savoir quelle sera la position adoptée par le Conseil d'Etat dans une telle hypothèse.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Formalités de licenciement

- Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-41.788, M. Christophe Cuignet, FS-P+B+R sur le premier moyen (N° Lexbase : A6458EC8)

L'avis au délégué du personnel ou au président de la commission nationale de conciliation, mis à la charge de l'employeur par l'article 9.3 de la Convention collective nationale des personnels de formation de l'enseignement agricole privé , constitue une garantie de fond dont la méconnaissance prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Quelle est la portée des formalités prévues par une convention collective ou un règlement intérieur avant tout licenciement disciplinaire ? Quelles sanctions sont encourues en cas de violation, par l'employeur, de son l'obligation de respecter ces formalités ?

L'avis au délégué du personnel ou au président de la commission nationale de conciliation, mis à la charge de l'employeur par l'article 9.3 de la Convention collective nationale des personnels de formation de l'enseignement agricole privé, en cas de faute grave ou lourde susceptible d'entraîner le licenciement, constitue pour le salarié une garantie de fond dont la méconnaissance prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, un salarié a été engagé le 2 septembre 1999 en qualité d'enseignant par une association. Il a fait l'objet d'un avertissement le 23 juillet 2003, puis a été licencié pour faute grave le 8 septembre 2003. Contestant, notamment, le bien fondé de son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes. Par un arrêt rendu le 13 février 2007, la cour d'appel d'Amiens a estimé que le licenciement était bien fondé sur une faute grave, car le non-respect des dispositions conventionnelles (article 9.3 de la Convention collective nationale des personnels de formation de l'enseignement agricole privé du 4 novembre 1993 (3)) n'est pas de nature à affecter la légitimité de la rupture, mais justifie que soit allouée au salarié une indemnité pour irrégularité de la procédure (CA Amiens, 5ème ch., sect. A, 13 février 2007, n° 06/01782, Monsieur Christophe-Jean-Claude Cuignet N° Lexbase : A6198EIE). Au contraire, pour la Cour de cassation (arrêt rapporté), l'avis au délégué du personnel ou au président de la commission nationale de conciliation, mis à la charge de l'employeur par l'article 9.3 de la convention collective, constitue une garantie de fond dont la méconnaissance prive le licenciement de cause réelle et sérieuse. Cette solution est conforme à la jurisprudence déjà adoptée par la Cour de cassation (4).

Dans une espèce soumise à la Cour de cassation en 2005 (Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.376, FS-P+B N° Lexbase : A8543DIA), la question portait sur l'article 66 de la Convention collective nationale de l'inspection d'assurances, selon lequel, en cas de licenciement pour faute ou insuffisance professionnelle d'un inspecteur confirmé dans ses fonctions qui a demandé la réunion du conseil, un représentant de l'employeur doit établir un procès-verbal qui relate, notamment, les faits reprochés à l'inspecteur et consigne l'avis de chacun des membres ayant participé à la réunion du conseil, ledit procès-verbal devant être transmis au salarié.

Le salarié a été engagé le 1er avril 1994 et licencié le 30 avril 1999 pour insuffisance de résultats et insuffisance de recrutement. Pour débouter le salarié de ses demandes, la cour d'appel a constaté que le salarié n'a pas reçu le procès-verbal de la réunion du conseil établi conformément à la convention collective nationale de l'inspection d'assurances. Les juges du fond ont, néanmoins, estimé que les droits de la défense n'ont pas été méconnus et que le salarié ne pouvait faire état d'aucun préjudice lié à cette irrégularité. Au contraire, la Cour de cassation relève que le procès-verbal de réunion du conseil n'a pas été établi conformément au texte précité ce dont il résultait que l'avis de chacun des membres du conseil n'a pas été porté à sa connaissance. Or, la consultation de l'organisme chargé en vertu d'une convention collective de donner son avis sur un licenciement envisagé par l'employeur constitue une garantie de fond. Le licenciement prononcé sans que le conseil ait été consulté et ait rendu son avis selon une procédure conforme à cette convention n'a pas de cause réelle et sérieuse.

Cette jurisprudence est cohérente avec des solutions retenues dans des domaines voisins, notamment en matière de licenciement pour motif économique. La Cour de cassation a décidé, dans l'affaire "Moulinex", que la méconnaissance par l'employeur de dispositions conventionnelles qui étendent le périmètre de reclassement et prévoient une procédure destinée à favoriser un reclassement à l'extérieur de l'entreprise, avant tout licenciement, constitue un manquement à l'obligation de reclassement préalable au licenciement et prive celui ci de cause réelle et sérieuse (5). En conséquence, doit être sanctionné l'employeur n'ayant pas saisi les commissions territoriales de l'emploi ou les organisations professionnelles préalablement au licenciement des salariés, conformément aux dispositions de l'accord national du 12 juin 1987 sur les problèmes généraux de l'emploi dans la métallurgie. L'employeur est tenu de respecter cet accord national sur l'emploi dans la métallurgie, dont l'article 28 lui impose, lorsqu'il envisage de prononcer des licenciements pour motif économique, de rechercher les possibilités de reclassement à l'extérieur de l'entreprise, en faisant appel à la commission territoriale de l'emploi.

Christophe Willmann, Professeur à l'université de Rouen et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit de la Sécurité sociale"

  • Licenciement pour motif économique/Reclassement

- Cass. soc., 4 mars 2009, n° 07-42.381, Société PB et M, venant aux droits de la société Pinault Bois et Matériaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6328EDQ) (6)

La cour d'appel qui a constaté que les éléments produits par l'employeur, limités aux entreprises situées sur le territoire français, ne permettaient pas de déterminer l'étendue du secteur d'activité du groupe dont relevait la société, a pu en déduire que la réalité des difficultés économiques invoquées n'était pas établie.

L'employeur, se bornant à solliciter de ses salariés qu'ils précisent, dans un questionnaire renseigné avant toute recherche et sans qu'ils aient été préalablement instruits des possibilités de reclassement susceptibles de leur être proposées, leurs voeux de mobilité géographique en fonction desquels il avait, ensuite, limité ses recherches et propositions de reclassement, ne satisfait pas à son obligation de reclassement.

Pour la Cour de cassation, si les éléments produits par un employeur sont limités aux entreprises situées sur le territoire français, le juge n'est pas en position de déterminer l'étendue du secteur d'activité du groupe dont relevait un employeur. Dès lors, la réalité des difficultés économiques invoquées n'était pas établie. De plus, ne satisfait pas à son obligation de reclassement l'employeur qui se borne à solliciter de ses salariés qu'ils précisent, dans un questionnaire renseigné avant toute recherche et sans qu'ils aient été préalablement instruits des possibilités de reclassement susceptibles de leur être proposées, leurs voeux de mobilité géographique en fonction desquels il avait ensuite limité ses recherches et propositions de reclassement.

En l'espèce, des salariés ont été licenciés pour motif économique en janvier 2004 et mars 2004. La cour d'appel de Bourges a décidé que les licenciements de certains de salariés étaient sans cause réelle et sérieuse (CA Bourges, 16 mars 2007, n° 06/00607 N° Lexbase : A2132EK8). La société n'a pas donné de cause réelle et sérieuse aux licenciements économiques qu'elle a prononcés parce qu'elle n'a pas fourni d'information permettant d'apprécier le périmètre du secteur d'activité du groupe et la situation économique et financière de ce secteur, interdisant au juge de pouvoir valablement apprécier le motif économique du licenciement. L'employeur invoquait que le secteur d'activité du groupe servant de cadre d'appréciation des difficultés économiques ne regroupe que les entreprises du groupe qui ont la même activité dominante et interviennent sur le même marché. L'activité de "sciage de bois de chêne" constitue un secteur d'activité différent de celui du "négoce de bois et matériaux de construction". Mais pour la Cour de cassation, les éléments produits par l'employeur, limités aux entreprises situées sur le territoire français, ne permettaient pas de déterminer l'étendue du secteur d'activité du groupe dont relevait la société. La réalité des difficultés économiques invoquées n'était pas établie.

Bref, pour apprécier la réalité des difficultés économiques d'une entreprise, dans l'hypothèse très précise des entreprises appartenant à un groupe international, le juge prend en compte le secteur d'activité de l'établissement/entreprise appartenant à une entreprise/groupe, de manière à comparer des éléments comparables ; le cadre d'appréciation se fait non pas au seul plan national, mais intègre la situation des autres entreprises du groupe relevant du même secteur d'activité, y compris implantées à l'étranger. En l'espèce, le juge ne peut limiter l'appréciation des difficultés économique de l'entreprise dont les établissements sont implantés en France, dès lors que le secteur négoce et matériaux de construction connaissait une progression, avec d'importantes filiales aux Etats-Unis et en Angleterre.

De plus, la cour d'appel a constaté qu'une salariée avait ajouté aux quatre limites géographiques de mobilité professionnelle la mention "Cher uniquement" (département du Cher). La recherche de reclassement de celle ci n'a pas été loyalement menée par l'employeur parce qu'il ne l'a pas invitée à modifier ses souhaits géographiques au fur et à mesure des recherches de reclassement. Le pourvoi formé par l'employeur est rejeté par la Cour de cassation. L'employeur est tenu, avant tout licenciement économique, de rechercher toutes les possibilités de reclassement existant dans le groupe dont il relève, parmi les entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettant d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, et de proposer ensuite aux salariés dont le licenciement est envisagé tous les emplois disponibles de la même catégorie ou, à défaut, d'une catégorie inférieure. L'employeur ne peut limiter ses recherches de reclassement et ses offres en fonction de la volonté de ses salariés, exprimés à sa demande et par avance, en dehors de toute proposition concrète.

Christophe Willmann, Professeur à l'université de Rouen et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit de la Sécurité sociale"

  • Harcèlement

- Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, M. Bennasser Boulmane, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH) (7)

Le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39) (8), a institué, sous prescription du droit communautaire, une disposition protégeant le salarié amené à dénoncer des faits de discrimination. En revanche, aucune mesure similaire n'avait été adoptée s'agissant du salarié dénonçant des faits de harcèlement moral.

Par le biais d'un moyen relevé d'office par les juges, la Chambre sociale déduit des articles L. 1152-2 (N° Lexbase : L0726H9R) et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T) du Code du travail que le licenciement d'un salarié qui a relaté des faits de harcèlement moral doit être annulé, "sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis". Elle en conclue que "le grief tiré de la relation des agissements de harcèlement moral par le salarié, dont la mauvaise foi n'était pas alléguée, emporte, à lui seul, la nullité de plein droit du licenciement".

Le Rapport annuel reprend cette décision en la replaçant dans le contexte du droit communautaire comme du droit interne dont la tendance générale est à la protection du "droit d'expression des salariés, lorsque celui-ci est exercé aux dépens d'autres salariés ou de supérieurs hiérarchiques, mais pour la défense d'un intérêt public" (9).

Le Rapport relève également que "l'immunité ainsi accordée au salarié constitue un élément important dans la lutte contre le harcèlement moral au travail, puisqu'il facilite sa prise en compte dans les meilleurs délais, permet à l'employeur informé de vérifier si les faits portés à sa connaissance constituent ou non un harcèlement moral, ou, s'ils ne sont pas fondés, s'ils traduisent ou non un élément de souffrance du salarié tel que, par exemple, le stress" (10). L'attention de la Chambre sociale à l'égard de la prévention du harcèlement moral ne s'est depuis lors pas démentie comme en témoignent certaines décisions pour le moins radicales à ce sujet (11).

Si le Rapport appuie sur le fait que l'immunité accordée au salarié ne lui bénéficie qu'à la condition qu'il soit de bonne foi, laquelle est de principe présumée (12), il demeure silencieux sur la justification de la sanction qui réside dans la nullité du licenciement. En effet, "sur un terrain purement juridique, l'interprétation faite par la Cour de cassation des dispositions de l'article L. 1152-2 du Code du travail ne convainc pas. La nullité du licenciement suppose, en effet, que le salarié ait bien relaté ou dénoncé des faits de harcèlement. Or, dès lors que ces faits ne sont pas avérés, une condition d'application du texte ferait défaut et la nullité ne saurait être encourue" (13). D'utiles explications auraient pu être apportées à ce sujet.

Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Modification dans la situation juridique de l'employeur/Reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif

- Cass. soc., 30 septembre 2009, n° 08-40.846, Mme Valérie Biasotto, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5963ELG) (14)

La cause particulière de rupture du contrat de travail prévue par l'article L. 1224-3 du Code du travail (N° Lexbase : L6255IEE) ne relève pas des dispositions de ce code applicables aux licenciements pour motif économique.

Si le licenciement d'un salarié qui refuse un contrat de droit public doit être prononcé dans les conditions prévues par le Code du travail, le refus de changer de statut opposé par le salarié repris constitue à lui seul une cause de licenciement.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation considère que le licenciement consécutif au refus opposé par un salarié dont le contrat est repris par une personne publique dans le cadre de l'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail repose sur un motif autonome qui écarte l'application du régime du licenciement pour motif économique.

La Cour de cassation justifie dans le Rapport la mise à l'écart de la qualification de "motif économique", non sans suggérer que pareille qualification aurait pu être envisagée. Selon elle, "le nouvel article L. 1233-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1100H9M) paraît l'exclure, puisqu'il ne déclare les dispositions du chapitre sur les licenciements économiques applicables qu'aux seules entreprises publiques et aux établissements publics industriels et commerciaux. Mais les textes en vigueur avant la recodification ne revêtaient pas une portée aussi générale et si l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi était écartée (L. 321-2 N° Lexbase : L0048HD7 et L. 321-4-1 N° Lexbase : L8926G7Q), il n'était pas évident que le motif de rupture, non inhérent à la personne du salarié, échappe à la qualification de motif économique et au régime qui en découle".

Selon le Rapport, la solution finalement retenue se justifie par le fait qu'"il ne parait, en effet, pas raisonnable de subordonner le licenciement d'un salarié qui refuse de changer de statut à une recherche de reclassement que ce refus rend impossible, alors que la loi impose en ce cas à l'employeur de mettre fin au contrat de travail en cours, créant ainsi une véritable obligation de licencier à la charge de la personne publique".

Nous avions reproché, à l'époque, à la décision de ne pas indiquer si le licenciement du salarié serait par ailleurs justifié par une cause réelle et sérieuse. Le rapport ne revient pas sur la question, ce qui est logique puisque tel n'était pas l'objet de l'arrêt ; on se souviendra, toutefois, que l'affirmation du caractère justifié de ce licenciement interviendra quelques semaines plus tard (Cass. soc., 2 déc. 2009, n° 07-45.304, FS-P+B N° Lexbase : A3387EP7).

Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale


(1) Lire nos obs., Salariés investis de fonctions représentatives : le statut protecteur prime sur le contrat !, Lexbase Hebdo n° 376 du 17 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7058BMD).
(2) Cass. soc., 2 juillet 1974, n° 73-11.263, Syndicat CFDT c/ Société Perrier SA (N° Lexbase : A7656CEB) ; Cass. mixte, 21 juin 1974, n° 71-91.225, Castagne, Clavel, Daumas, Delon, Dame Grasset, Martinez, Dame Maurin c/ Epry (N° Lexbase : A6851AGT), Dr. soc., 1974, p. 454, avec les concl. de Touffait.
(3) Selon lequel, "en cas de faute grave ou lourde susceptible d'entraîner le licenciement, l'employeur en avise le délégué du personnel dans les délais les plus brefs. A défaut, il avise le président en exercice de la commission nationale de conciliation prévu à l'article 32. Le salarié concerné peut saisir sous huitaine cette commission qui se réunit à la diligence du président. Celui-ci peut faire procéder à une enquête par un ou plusieurs membres de la commission nationale de conciliation".
(4) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.376, M. Michel Berthelot c/ société Gan Prévoyance, FS-P+B (N° Lexbase : A8543DIA), Bull. civ. V, n° 221 ; Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-41.532, Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Guadeloupe (CRCAMG), FS-P+B (N° Lexbase : A4076EA9).
(5) Cass. soc., 28 mai 2008, n° 06-46.009, FS-P+B (N° Lexbase : A7828D8G) et lire nos obs., La Cour de cassation renforce l'obligation de reclassement externe, même conventionnelle, Lexbase Hebdo n° 309 du 19 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3636BGR).
(6) Lire nos obs., Le licenciement pour motif économique, sous haute surveillance judiciaire, Lexbase Hebdo n° 343 du 27 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9911BIW).
(7) Lire les obs. de Ch. Radé, Nullité du licenciement du salarié qui se trompe de bonne foi en dénonçant des faits non avérés de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 343 du 27 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9827BIS).
(8) Lire les obs. de Ch. Radé, La nouvelle approche des discriminations en droit du travail, Lexbase Hebdo n° 309 du 19 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3609BGR).
(9) Reprenant en cela une analyse du Professeur J. Savatier, Dr. soc., 2008, p. 125.
(10) Accord national interprofessionnel sur le stress au travail du 2 juillet 2008, JCP éd. S, 2008, 1515. L'Ani sur le stress au travail a été étendu par arrêté du 23 avril 2009 (N° Lexbase : L1970IEP), publié au Journal officiel du 6 mai 2009.
(11) Cass. soc., 3 février 2010, 2 arrêts, n° 08-40.144, Mme Valérie Vigoureux, dite Collette, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6060ERU) et n° 08-44.019, Mme Christine Margotin, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6087ERU) et nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 383 du 19 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2358BNN).
(12) V., déjà, Cass. soc., 30 mai 2007, n° 05-18.755, Mme Martine Dechaux, F-D (N° Lexbase : A5100DWS) ; Cass. soc., 2 avril 2008, n° 06-42.714, Société Azur autos, F-D (N° Lexbase : A7668D77).
(13) Lire les obs. de Ch. Radé, Nullité du licenciement du salarié qui se trompe de bonne foi en dénonçant des faits non avérés de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 343 du 27 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9827BIS).
(14) Lire nos obs., Transfert d'une entreprise au profit d'une personne publique et licenciement des salariés, Lexbase Hebdo n° 367 du 15 octobre 2009 - édition sociale ([LXB=N0887B]).

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Environnement - Bulletin d'actualités n° 3

[Textes] Bulletin droit de l'environnement du Cabinet Savin Martinet Associés : actualités "Produits biocides : autorisation transitoire de mise sur le marché"

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N0736BPX

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Le 04 Janvier 2011

L'article 9 de la loi n° 2008-757 du 1er août 2008, relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement (N° Lexbase : L7342IA8), a institué en droit français la procédure d'autorisation transitoire de mise sur le marché des produits biocides. Le décret n° 2009-1685 du 30 décembre 2009, relatif aux autorisations transitoires de mise sur le marché de certains produits biocides et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement (N° Lexbase : L1841IGB) et le décret n° 2009-1690 du même jour relatif à la couverture des dépenses relatives aux autorisations transitoires de mise sur le marché de certains produits biocides (N° Lexbase : L1846IGH) sont venus préciser les modalités d'application de cette nouvelle procédure d'autorisation. Après un rappel général de la réglementation applicable en matière de produits biocides (I), nous exposerons les principales dispositions des deux décrets susmentionnés (II). I - Rappel général de la réglementation applicable en matière de produits biocides

En droit communautaire, la mise sur le marché des produits biocides est réglementée par la Directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 concernant la mise sur le marché des produits biocides (N° Lexbase : L9950AU3). Les précisions quant à son champ d'application (I.1) ainsi que la procédure d'autorisation de mise sur le marché qu'elle instaure (I.2) ont fait l'objet de mesures de transposition aux articles L. 522-1 (N° Lexbase : L7600IGL) à L. 522-19 et R. 522-1 (N° Lexbase : L0897H3M) à R.522-46 du Code de l'environnement.

I.1 Champ d'application

La Directive 98/8/CE précitée réglemente la mise sur le marché (I.1.3) des substances dites actives (I.1.1) contenues dans les produits biocides (I.1.2), en les soumettant à une procédure d'autorisation obligatoire.

I.1.1 Définition des "substances actives"

Par substance active, on entend toute "substance chimique ou micro-organisme, y compris un virus ou un champignon, exerçant une action générale ou spécifique sur un ou contre les organismes nuisibles" (C. envir., art. L. 522-1, IV).

Toute une série de substances est exclue du champ d'application de la présente définition (et de celle rapportée au I.1.2). Il s'agit :

- des substances et préparations destinées à l'utilisateur final, exclusivement utilisées comme médicaments à usage humain ou vétérinaire, produits cosmétiques, denrées alimentaires ou aliments pour animaux ;
- des substances actives et produits biocides utilisés exclusivement comme substances actives de produits phytopharmaceutiques et comme produits phytopharmaceutiques ;
- des substances actives et produits biocides utilisés exclusivement comme composants de dispositifs médicaux ;
- des catégories de substances actives et produits biocides soumises à d'autres procédures que celles prévues par la législation sur les biocides et qui prennent en compte les risques encourus par l'homme et l'environnement ;
- et des substances radioactives qui contiennent un ou plusieurs radionucléides dont l'activité ou la concentration ne peut être négligée pour des raisons de radioprotection.

A ce titre, ces substances ne sont pas visées par les conditions de mise sur le marché définies à l'article L. 522-1, V, du Code de l'environnement.

I.1.2 Définition des "produits biocides"

Un produit biocide est une substance active ou une préparation contenant une ou plusieurs substances actives et visant à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, à en prévenir l'action ou les combattre de toute autre façon, par une action chimique ou biologique.

Il existe 23 classes de biocides, elles-mêmes réparties en quatre grands groupes que sont :

- les désinfectants et produits généraux ;
- les produits de protection ;
- les produits antiparasitaires ;
- et les autres produits biocides recouvrant les produits protégeant les denrées alimentaires et aliments pour animaux, les produits antisalissures et ceux utilisés pour l'embaumement, la taxidermie et la vermine.

I.1.3 La notion de mise sur le marché

La mise sur le marché comprend toutes les opérations (i) de cession à titre onéreux ou gratuit d'une substance active ou d'un produit biocide, (ii) d'importation d'une substance active ou d'un produit biocide en provenance d'un Etat non membre de l'Union européenne (UE), exception faite d'une substance en transit et (iii) le stockage d'une substance active ou d'un produit biocide si ce stockage n'est pas suivi d'une expédition hors le territoire douanier de l'UE.

I.2 L'obligation d'obtenir une autorisation de mise sur le marché

La réglementation applicable en matière de produits biocides prévoit un régime d'autorisation que l'on peut qualifier de "général" (I.2.1) et d'autres régimes de type dérogatoire (I.2.2).

I.2.1 Le régime général

Un produit biocide ne peut être mis sur le marché que s'il a fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivré par le ministre de l'Environnement, après évaluation de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET) et l'avis de la Commission des produits chimiques et biocides (C. envir., art. R. 522-14 N° Lexbase : L0910H34).

Pour cela, il doit remplir plusieurs conditions :

- la substance active qu'il contient doit figurer sur l'une des trois listes communautaires reprises dans les annexes I, IA et IB de la Directive 98/8/CE précitée ;
- la nature et la quantité de substance active qu'il contient doivent pourvoir être déterminées ;
- et les propriétés physiques et chimiques du produit doivent permettre d'assurer une utilisation, un stockage et un transport adéquat.

Le contenu de la demande d'autorisation est défini par l'article R. 522-15 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L0911H37). Elle comprend :

- un dossier concernant le produit biocide ou un document dénommé "lettre d'accès", par lequel le ou les propriétaires de données pertinentes protégées autorisent l'utilisation de ces données par le ministre chargé de l'Environnement dans le cadre de la procédure d'autorisation de mise sur le marché d'un produit biocide ;
- et pour chaque substance active biocide contenue dans le produit biocide, une lettre d'accès ou un dossier.

Après cet examen formel, le dossier est transmis à l'AFSSET pour procéder à son évaluation. Enfin, le ministre chargé de l'Environnement se prononce sur la demande. Le ministre a 12 mois pour statuer à compter de la date à partir de laquelle le dossier est jugé suffisant (C. envir., art. R. 522-18 N° Lexbase : L0914H3A).

Pour les produits biocides à usage exclusivement professionnel, l'accord préalable du ministère du Travail, en plus des obligations du régime général, est nécessaire.

I.2.2 Les régimes d'autorisation de type dérogatoire

La législation applicable en matière de mise sur le marché des produits biocides prévoit des procédures d'autorisation simplifiées dans les cas où le produit biocide :

- présente de faibles risques car contenant une substance active inscrite sur la liste I A de la Directive 98/8/CE ou ;
- est déjà autorisé dans un autre Etat membre ;
- correspond à une formulation-cadre d'un produit déjà autorisé.

Pour la mise sur le marché d'un produit biocide ou d'une substance active exclusivement destinée à des expériences ou essais à des fins de recherche ou de développement, une procédure d'autorisation dérogatoire à celle du régime général est prévue.

En outre, il est possible d'obtenir une autorisation provisoire de mise sur le marché du produit biocide même si celui-ci ne contient pas une substance active figurant sur l'une des trois listes annexées à la Directive 98/8/CE précitée. Cette autorisation est délivrée par le ministre de l'Environnement pour une durée de trois ans prorogeable, sous conditions, d'un an. L'usage du produit biocide ainsi autorisé doit être limité et contrôlé.

La loi du 1er août 2008 précitée instaure un nouveau régime spécial, dit d'autorisation transitoire dont les modalités d'application ont été arrêtées par deux décrets du 30 décembre 2009.

II - L'autorisation transitoire de mise sur le marche des produits biocides

Après avoir décrit l'objectif de l'autorisation transitoire de mise sur le marché (II.1), nous exposerons son champ d'application (II.2) et la procédure d'obtention de la dite autorisation (II.3).

II.1 L'objectif de l'autorisation transitoire de mise sur le marché

L'autorisation transitoire de mise sur le marché a pour but d'élargir le champ d'application actuel de la réglementation sur les biocides. De nouveaux produits biocides jusqu'ici exemptés vont dans un premier temps être soumis à la procédure d'autorisation transitoire en attendant leur inscription en annexe de la Directive 98/8/CE précitée. Ainsi, par la procédure d'autorisation provisoire de mise sur le marché, le nombre de produits biocides échappant à toute contrainte réglementaire est potentiellement plus limité.

II.2 Le champ d'application de l'autorisation transitoire

L'article 9 de la loi du 1er août 2008 et le décret n° 2009-1685 du 30 décembre 2009 délimitent le champ d'application de l'autorisation transitoire en ce qui concerne les produits biocides visés (II.2.1) et les demandeurs soumis aux prescriptions (II.2.2)

II.2.1 Les produits biocides visés

Dans tous les cas, la demande ne peut porter que sur un produit biocide qui n'est pas déjà soumis au régime général d'autorisation de mise sur le marché précité. En outre, le produit biocide doit :

- être destiné à l'assainissement et au traitement antiparasitaire des locaux, matériels, véhicules, emplacements et dépendances utilisés en des cas visés par l'article 9 I 1 a), b) ou c) de la loi du 1er août 2008 précitée ;
- contenir une substance active pour le type d'usage revendiqué, sur les listes mentionnées à l'annexe II du Règlement (CE) n° 1451/2007 (N° Lexbase : L4840H3N) de la Commission, du 4 décembre 2007, concernant la seconde phase du programme de travail de dix ans visé à l'article 16, paragraphe 2, de la Directive 98/8/CE du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits biocides ;
- être dépourvu de substances actives qui fassent l'objet d'une décision de non inscription sur les listes annexées à la Directive 98/8/CE précitée ;
- être suffisamment efficace dans des conditions normales d'utilisation ;
- respecter les conditions d'étiquetage des produits biocides prévues à l'article L. 522-14 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L8917AS3) ;
- et, s'il s'agit d'un produit rodenticides, contenir une teneur minimale en amérisant.

II.2.2 Les demandeurs concernés

En premier lieu, le demandeur (i) ne peut être que le responsable de la première mise sur le marché ou son mandataire et doit nécessairement (ii) posséder un bureau permanent dans un Etat membre de l'Union européenne.

En second lieu, le demandeur ou plus généralement toute personne qui exerce l'activité d'application à titre professionnel des produits biocides éligibles à la procédure d'autorisation transitoire et qui utilise les dits produits biocides doit avoir au sein de son entreprise au moins une personne qualifiée afin d'assurer l'encadrement de dix personnes au plus. Si cette personne exerce seule, elle se doit d'être qualifiée.

Le demandeur qui contreviendrait à cette obligation serait puni d'une peine d'amende prévue pour les contraventions de cinquième classe. La récidive serait réprimée conformément aux articles 132-11 (N° Lexbase : L2087AMA) et 132-15 (N° Lexbase : L1951AM9) du Code pénal.

En l'espèce, on entend par personne qualifiée, une personne titulaire :

- de diplômes, de titres homologués, d'attestations de formation qui seront définis par arrêté du ministre chargé de l'Environnement ou ;
- d'un certificat délivré par l'autorité administrative conformément à l'article R. 254-4 du Code rural (N° Lexbase : L0375IHD) valide à la date de publication du présent décret.

II.3 La procédure d'autorisation transitoire de mise sur le marché

La personne qui met sur le marché des produits biocides entrant dans le champ d'application des décrets du 30 décembre 2009 est dans l'obligation de se soumettre à une procédure particulière pour se voir délivrer une autorisation transitoire de mise sur le marché (II.3.1). Son obtention n'exonère pas le demandeur de toute obligation ultérieure (II.3.2).

II.3.1 La délivrance de l'autorisation de mise sur le marché

Les dossiers de demande d'autorisation sont adressés à l'AFSSET. Il doit y être fait mention d'une description détaillée et complète des études effectuées, des méthodes utilisées ou d'une référence bibliographique de ces méthodes. Le contenu exact de ce dossier sera déterminé par un arrêté du ministre chargé de l'environnement en attente de publication.

En outre, la demande s'accompagne du versement d'une somme au profit de l'AFSSET qui est censée couvrir les dépenses résultant des opérations de conservation, d'examen, d'exploitation, d'expertise voire des essais de vérification menées dans le cadre de l'expertise. Là aussi, le montant et les modalités de perception n'ont pas encore été arrêtés et le seront par arrêté.

Dans un délai de six mois à compter de la réception de la demande, sauf exception, l'AFSSET donne son avis au ministre chargé de l'Environnement. Passé ce délai, l'avis est réputé favorable. Dans cet intervalle, l'AFSSET est susceptible de demander des renseignements complémentaires jugés nécessaires à l'instruction de la demande.

La décision finale du ministère prise dans un délai de deux mois à compter de la réception de l'avis de l'AFSSET ou à défaut, à l'expiration du délai imparti à cette dernière pour statuer, est notifiée au demandeur et à l'AFSSET. Elle peut être accompagnée de conditions d'utilisation stricte prises dans l'intérêt de la santé publique et de l'environnement. Dans tous les cas, une fois délivrée, l'autorisation transitoire de mise sur le marché est valable jusqu'à ce que le produit biocide soit soumis au régime général d'autorisation.

Le fait de mettre sur le marché un produit biocide, sans autorisation transitoire de mise sur le marché alors que celle-ci était requise, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

II.3.2 Les obligations ultérieures du demandeur

L'autorisation transitoire dont bénéficie un tel produit doit faire l'objet d'une nouvelle demande d'autorisation transitoire dès lors qu'a été modifié :

- l'usage du produit ;
- sa composition ;
- sa classification, son conditionnement ou son étiquetage ;
- sa dénomination commerciale ;
- ses conditions d'emploi prévues par l'octroi initial de l'autorisation transitoire ;
- la marque lors de la mise sur le marché du produit lorsque celui-ci bénéficie d'une autorisation transitoire détenue par une autre personne ;
- un élément notable du dossier de demande d'autorisation transitoire.

Pour toute autre modification apportée au produit susceptible d'entraîner une modification notable des éléments du dossier initial, le détenteur de l'autorisation transitoire de mise sur le marché doit les porter à la connaissance du ministre chargé de l'Environnement. Ce dernier est susceptible d'exiger une nouvelle demande d'autorisation.

Enfin, toute évolution des connaissances scientifiques et techniques en lien avec la protection de la santé et de l'environnement peut engendrer, sur l'initiative du détenteur de l'autorisation transitoire ou du ministre chargé de l'Environnement, des modifications dans les conditions d'emploi et d'usage définies dans l'autorisation initiale de mise sur le marché d'un produit initial.

L'autorisation transitoire de mise sur le marché des produits biocides est censée limiter le nombre de produits biocides qui échappaient jusqu'ici aux prescriptions du régime général d'autorisation fondée sur une liste évolutive de substances actives qu'ils contiennent. Cette nouvelle procédure d'autorisation permet ainsi de pallier les défaillances actuelles de la réglementation sur les produits biocides en matière de risques sanitaires et environnementaux.

Savin Martinet Associés - www.smaparis.com - Cabinet d'avocats-conseils

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Impôts locaux

[Chronique] Chronique de fiscalité locale - Mai 2010

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 24 Janvier 2011

Comme précisé lors de la chronique précédente, il s'avère que la taxe professionnelle même si elle a été supprimée depuis le 1er janvier 2010 reste l'objet d'un contentieux important et que certaines questions soumises au juge étaient encore inédites. C'est notamment le cas dans une décision rendue le 29 avril 2009 par le tribunal administratif de Paris à propos d'une question relative à la territorialité de la taxe professionnelle dans le cadre d'un partnership (TA Paris, 29 avril 2009, n° 0714730, mentionné aux tables du recueil Lebon). De même s'agissant de la taxe annuelle sur les logements vacants, imposition mise en oeuvre depuis le 1er janvier 1999, une autre décision du tribunal administratif de Paris en date du 27 mai 2009 vient apporter d'utiles précisions sur la notion de vacance indépendante de la volonté du propriétaire de l'appartement (TA Paris, 27 mai 2009, n° 0418341, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, une décision du Conseil d'Etat relative à l'évaluation des locaux commerciaux en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties, objet d'une importante jurisprudence, vient éclaircir les conditions de l'administration de la preuve en la matière (CE, 12 mars 2010, n° 306458, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Le régime de la preuve en matière de détermination de la valeur locative de locaux commerciaux en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties (CE, 12 mars 2010, n° 306458, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1599ETE)

Cette décision vient s'ajouter à une jurisprudence très fournie en matière de détermination de la valeur locative cadastrale des locaux commerciaux par application de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HTM). L'abondance de la jurisprudence relative à cette disposition n'est pas tant due à sa complexité qu'à l'inaction du législateur (1). Aux termes de ce dispositif, il est prévu que la valeur locative doit être évaluée par principe en référence au loyer (CGI, art. 1498, 1°), de manière subsidiaire par comparaison (CGI, art. 1498, 2°), ou encore à défaut par voie d'appréciation directe (CGI, art. 1498, 3°).

Cependant, le législateur s'est abstenu de toute révision générale des valeurs locatives cadastrales depuis 1970 (2). De ce fait, le principe de l'évaluation par référence au loyer qui était la règle est devenu rarement appliqué et la méthode d'évaluation par comparaison s'est généralisée (3). La décision, objet du présent commentaire, est relative à l'application de la méthode comparative. En l'espèce, la SARL Agora Cinémas, propriétaire d'un immeuble à usage de cinéma exploité à Bordeaux, avait formé un pourvoi en cassation en vue d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en date du 12 avril 2007 (4) qui n'avait pas accueilli sa demande de réduire ses cotisations de TFPB au titre des années 2000, 2001, 2002, 2003 et 2004. Le pourvoi formé par le contribuable portait, d'une part, sur le choix de la méthode d'évaluation (1) et, d'autre part, sur la détermination de la valeur locative (2).

1 - Le contribuable soutenait, par application de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L4634ICM), qu'il aurait fallu appliquer la méthode d'évaluation "par référence à un élément spécifique" définie dans la documentation administrative de base 6 C-234 du 15 décembre 1988. Le Conseil d'Etat ne l'a pas suivi conformément à une jurisprudence antérieure (5), car la doctrine invoquée ne donne aucune interprétation formelle de la loi. En conséquence, le tribunal administratif avait écarté, car considéré comme non-fondé, le recours à la méthode d'évaluation par référence à un élément spécifique. Dans le même temps, le contribuable avait aussi critiqué le jugement du tribunal administratif au motif que ne lui avaient pas été communiqués certains éléments utiles à l'application de la méthode d'évaluation "par référence à un élément spécifique". Cependant, si cette méthode n'avait pas été retenue par le juge, ce dernier ne méconnaissait aucun principe (principe d'égalité entre les contribuables, principe d'égalité des armes entre l'administration et le contribuable, principe du contradictoire, principe de confiance légitime et principe de sécurité juridique) en ne répondant pas à cette demande du contribuable. Dès lors que la Haute juridiction n'accueillait pas le pourvoi sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L4634ICM) et par conséquent ne jugeait pas que le tribunal administratif aurait dû appliquer la méthode d'évaluation "par référence à un élément spécifique", nécessairement la demande relative à la communication des éléments quant à l'application de ladite méthode n'était pas fondée.

2 - S'agissant de la méthode comparative, le point le plus important mis en lumière par cet arrêt est relatif à l'administration de la preuve. En matière d'impôts non déclaratifs, notamment les impôts locaux, s'applique le régime de la preuve objective selon lequel le juge tranche le litige au regard des résultats de l'instruction, sans que l'une ou l'autre partie ne soit désignée a priori comme supportant la charge de la preuve (6). En l'espèce, la SARL Agora Cinémas soutenait que l'administration aurait dû rapporter la preuve que la méthode comparative avait été correctement appliquée. A cette fin, l'administration avait indiqué que la valeur locative de comparaison avait été consignée dans un procès-verbal des locaux commerciaux de la commune de Bordeaux et que cette valeur correspondait au loyer réel de l'immeuble à la date de référence. Or, la société Agora Cinémas n'avait pas remis en cause les éléments fournis par l'administration. Le Conseil d'Etat en déduit que le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit, ni méconnu son office.

En matière de choix des locaux-types en vue d'une évaluation par comparaison, le juge forge sa conviction en fonction des éléments de l'instruction. Cette décision vient compléter les conditions du recours à des termes de comparaison proposés par le contribuable. Notamment, le juge ne peut pas rejeter la demande du contribuable pour la seule raison que ce dernier ne produit pas d'exemples de locaux types similaires et il doit examiner obligatoirement le bien-fondé de la contestation du local retenu par l'administration (7). En l'espèce, si face aux éléments apportés par l'administration fiscale, l'autre partie ne les remet pas en cause, elle ne peut, par la suite, soutenir que le jugement est entaché d'erreur de droit ou que le juge n'a pas rempli son office. Même si la charge de la preuve n'incombe pas au contribuable, car nous sommes dans le régime de la preuve objective, il n'en reste pas moins que le contribuable ne peut s'abstenir de n'apporter aucun élément, ni même, en l'espèce, de critiquer les éléments apportés par l'administration.

  • Une nouvelle précision sur la notion de vacance indépendante de la volonté du propriétaire en matière de taxe annuelle sur les logements vacants (TA Paris, 27 mai 2009, n° 0418341, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1968ERC)

La taxe sur les logements vacants a été créée par l'article 51 de la loi d'orientation, relative à la lutte contre les exclusions (loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 N° Lexbase : L9130AGA), codifiée sous l'article 232 CGI (N° Lexbase : L2831HZU). Cette taxe frappe les logements vacants situés dans les communes appartenant à des zones d'urbanisation de plus de 200 000 habitants dans lesquelles il existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements. La liste des communes a été fixée par le décret n° 98-1249 du 29 décembre 1998. Le produit net de cette taxe est versé à l'agence nationale de l'habitat. L'objectif de la taxe est d'inciter les propriétaires à mettre en location des logements susceptibles d'être loués (8).

Cependant, le Conseil constitutionnel n'a déclaré ce dispositif conforme à la Constitution que sous réserve du respect de certaines conditions relatives, notamment, à la vacance des logements, "ladite taxation ne [pouvait] frapper que des logements habitables, vacants et dont la vacance tient à la seule volonté de leur détenteur" (9). La décision commentée est, à notre connaissance, une solution inédite quant à la définition de la condition de "vacance indépendante de la volonté du contribuable".

En l'espèce, le demandeur était propriétaire en indivision d'un appartement. L'administration avait mis à sa charge la taxe sur les logements vacants pour les années 2001 à 2002. Le tribunal administratif de Paris, dans une décision en date du 27 mai 2009, a déchargé ce contribuable de ces cotisations de taxe sur les logements vacants. Il a jugé que l'appartement donnant lieu aux contributions, objet des cotisations litigieuses, était en état d'indivision de par l'impossibilité des différents propriétaires indivisaires de trouver un accord sur la manière de disposer de ce bien. En conséquence, la vacance du bien ne dépendait pas uniquement de la volonté d'un des seuls indivisaires. En effet, aux termes de l'article 815-3 du Code civil (N° Lexbase : L9932HN8), les actes d'administration et de disposition ne peuvent se réaliser qu'avec le consentement de tous les indivisaires.

Le Conseil constitutionnel avait explicitement déterminé deux hypothèses dans lesquelles la vacance du logement ne résultait pas de la volonté du détenteur du bien. D'une part, il s'agissait de la vacance due au mauvais état du logement auquel il ne peut être remédié sans travaux financés par le propriétaire ; d'autre part, il s'agissait de la vacance d'un logement "en bon état liée à la l'absence de demande suffisante sur le marché". En l'espèce, il ne s'agissait d'aucune des hypothèses évoquées par le Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, la notion de vacance indépendante de la volonté du contribuable existe dans le cadre d'autres impositions, notamment, en matière de taxe foncière aux termes de l'article 1389 du CGI (N° Lexbase : L9892HLX). Cependant même si la terminologie est similaire, le Conseil d'Etat (10) a jugé qu'il fallait apprécier différemment la notion de vacance indépendante de la volonté du contribuable car ces impositions n'obéissent pas à la même finalité. La finalité de la taxe sur les logements vacants a pour but d'inciter les détenteurs de ces logements à les louer alors que la TFPB s'applique du seul fait de la détention d'une propriété. Il en résulte, selon le rapporteur public P. Collin, que cette taxe "a pour objet et pour effet d'accroître le coût d'opportunité de la vacance. [...] La nature spécifique de ce prélèvement commande, à l'inverse de la logique fiscale habituelle [...] une lecture stricte de son champ d'application et une interprétation extensive des exonérations" (11).

Dès lors, la décision du tribunal administratif de Paris se situe dans l'esprit de l'analyse du commissaire du Gouvernement confirmée par la décision du Conseil d'Etat. Le fait que des propriétaires indivisaires ne parviennent pas à s'entendre n'est pas un effet de la volonté d'un des seuls indivisaires, les juges de première instance ont donc considéré que cette situation correspondait à une exonération en matière de taxe sur les logements vacants, exonération interprétée de manière extensive.

En cas de recours contre le jugement commenté, il sera de la compétence de la cour administrative d'appel. En effet, le Conseil d'Etat (12) a jugé qu'étant donné que le produit de la taxe sur les logements vacants est affecté à un établissement public de l'Etat (l'agence nationale pour l'habitat, antérieurement au 1er janvier 2007, il s'agissait de l'agence nationale pour l'amélioration de l'habitat), cette imposition ne pouvait pas être considérée comme un impôt local au sens du 5° de l'article R. 222-13 du CJA (N° Lexbase : L5677ICA). Et ce, alors même qu'aux termes du VII de l'article 232 du CGI, il est énoncé que "le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions de la taxe sont régis comme en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties".

  • Territorialité en matière de taxe professionnelle dans le cadre d'un partnership (TA Paris, 29 avril 2009, n° 0714730, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8986ERA)

L'espèce commentée est relative à l'imposition ou non à la taxe professionnelle de membre de partnership exerçant leur activité à l'étranger. Pour rappel, les groupements de professions libérales mentionnés à l'article 1476 du CGI (N° Lexbase : L2879IGQ) prennent généralement la forme de partnership. Ce type d'entité est une forme de relations contractuelles créée entre des personnes qui font des affaires ensemble en vue de réaliser des bénéfices. On peut comparer le partnership à la société en participation. Il existe deux sortes de partnership. D'une part, le partnership à responsabilité non limitée qui n'est pas doté de personnalité morale, souvent utilisé en vue de réguler les relations de personnes qui exercent une activité en commun sans pour autant avoir constitué une société. D'autre part, le limited liability partnership dont les membres ont une responsabilité limitée bien que, dans le même temps, la structure de leur firme soit organisée comme un partnership.

Le demandeur est associé au sein d'un cabinet d'avocats organisé sous la forme d'un partnership de droit américain. Ce cabinet a été assujetti à la taxe professionnelle pour l'année 2006. Aux termes de l'article 1476 du CGI, antérieurement à sa modification entrée en vigueur le 1er janvier 2008 (13), "les sociétés civiles professionnelles, les sociétés civiles de moyens et les groupements réunissant des membres de professions libérales, l'imposition est établie au nom de chacun des membres. Toutefois, ces dispositions ne s'appliquent pas aux sociétés civiles professionnelles, à compter de l'année qui suit celle où elles sont, pour la première fois, assujetties à l'impôt sur les sociétés".

L'administration avait, donc, considéré que Monsieur S., en tant qu'associé, était imposable à la taxe professionnelle au titre de l'année 2006. Ce dernier a demandé la décharge de cette cotisation au motif que, non seulement il n'était pas résident en France, mais que, par ailleurs, il n'exerçait pas en France d'activité, et qu'en conséquence il ne pouvait être soumis à la taxe professionnelle. Le tribunal administratif de Paris a accueilli sa demande. Selon les juges de première instance, l'activité soumise à la taxe n'est pas celle du groupement, mais celle de chacun de ses membres imposable à titre individuel en raison d'une assiette distincte. Dès lors, si l'associé en question n'exerçait pas son activité en France, il n'était pas imposable au titre de cette activité à la taxe professionnelle.

Depuis le 1er janvier 2008, l'article 1476 du CGI a été modifié. Les termes suivants ont été ajoutés : "Lorsqu'un ou plusieurs membres de ces sociétés civiles professionnelles, de ces sociétés civiles de moyens ou de ces groupements n'exercent pas leur activité en France, l'imposition est établie au nom de chacun des membres exerçant une activité en France. La totalité des bases est répartie entre les membres exerçant une activité professionnelle en France dans le rapport existant pour chacun d'entre eux entre le montant de leurs droits respectifs dans la société civile ou le groupement et le montant total des droits détenus par ces mêmes membres".

L'administration fiscale, dans son instruction du 15 septembre 2008 (BOI 6 E-4-08 N° Lexbase : X4027AEU) énonçait que, sous l'empire de l'article 1476, avant sa modification, "chaque membre d'une société ou d'un groupement visé au deuxième alinéa de l'article 1476 du CGI, quel que soit le lieu d'exercice de sa propre activité et sa situation au regard de l'IR ou de l'IS, est redevable de la TP sur une base incluant une fraction des éléments imposables se rapportant à l'activité réalisée en France par le groupement et qui correspond à ses droits dans ce dernier".

A notre connaissance, la solution dégagée dans l'affaire commentée, relative à la territorialité de la taxe professionnelle dans le cadre de l'application de l'article 1476 du CGI antérieurement à sa modification entrée en vigueur le 1er janvier 2008, est inédite. Elle vient contredire la position de l'administration sur ce point. S'agissant de la territorialité de la taxe, on ne peut noter que le silence du législateur. Dès lors, pour analyser cette décision, il est nécessaire d'en revenir aux principes généraux. A noter que, dans sa documentation de base (6 E-122), l'administration en faisait application puisque, selon elle, "la taxe professionnelle est due par les personnes qui exercent une activité professionnelle en France. Les redevables qui exercent une partie de leur activité en dehors du territoire national ne sont passibles de la TP que pour leurs activités exercées en France". A fortiori, si le redevable n'exerce aucune activité en France, il n'est pas imposable au titre de la taxe professionnelle, même s'il relève d'un groupement de professions libérales doté ou non de la personnalité morale. Chacun des membres est imposable individuellement et au titre du groupement. Ainsi, selon le tribunal, ce qui prime n'est pas le fait que le groupement soit situé en France, mais que le membre dudit groupement n'exerce pas son activité sur le territoire français.

Depuis l'entrée en vigueur de la modification de l'article 1476 du CGI, les précisions apportées répondent précisément à la question qui était posée au tribunal administratif de Paris dans cette affaire. Désormais, aux termes de la loi, il est clairement indiqué que, lorsqu'un ou plusieurs membres d'une société civile professionnelle, d'une société civile de moyens ou d'un groupement n'exercent pas leur activité en France, l'imposition est établie au nom des seuls membres qui exercent une activité professionnelle en France. L'instruction du 15 septembre 2008 relative à cette modification s'applique aussi aux partnerships.


(1) En ce sens : O. Fouquet, Taxes foncières : terra incognita ?, RA, 2007, n° 355, pp. 41-42 ; Y. Bénard, Valeur locative des locaux commerciaux : les limites du système, RJF, 2/06, pp. 99-106.
(2) O. Fouquet, op. cit.
(3) Y. Bénard, op. cit., p. 100.
(4) Pour rappel, par application des articles R. 222-13, 5° (N° Lexbase : L5677ICA) et R. 811-1 (N° Lexbase : L8777IBP) du CJA, en matière d'impôts locaux, la voie de l'appel n'est pas ouverte.
(5) Pour exemple : CE, 25 novembre 2005, n° 260266, Société Natiocrédibail (N° Lexbase : A8205DLH).
(6) C. de La Mardière, La preuve en droit fiscal, Lexis Nexis, Litec, 2010, 327 pages, § 458.
(7) CE, 5 mai 2006, n° 272706 (N° Lexbase : A2376DPP).
(8) Cons. const., décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, § 16 (N° Lexbase : A8749ACZ).
(9) Cons. const., op. cit., § 16 (N° Lexbase : A8749ACZ).
(10) CE, 13 avril 2005, n° 265562, (N° Lexbase : A8478DHH).
(11) Conclusions sur CE, 13 avril 2005, n° 265562, M. Amirkhanian, DF, 2005, n° 52, comm. 847.
(12) CE, 6 mars 2006, n° 263504 (N° Lexbase : A4851DNY).
(13) Modification intervenue par l'article 48 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 (N° Lexbase : L5490H3Q).

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Rel. collectives de travail

[Le point sur...] La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2009 à la lumière du Rapport de la Cour de cassation : relations collectives de travail

Réf. : Rapport 2009 de la Cour de cassation

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N0778BPI

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Le 07 Octobre 2010

Remis officiellement au Garde des Sceaux le 29 mars 2010, la Cour de cassation rendait public, le 15 avril, son traditionnel Rapport annuel. Outre les non moins classiques suggestions de modifications législatives ou réglementaires, l'analyse des principaux arrêts et avis rendus au cours de l'année écoulée dans toutes les branches du droit, le Rapport des juges du Quai de l'Horloge met, cette année, l'accent sur les personnes vulnérables (droits de l'enfant, majeurs protégés, maintien en rétention des étrangers, protection des particuliers surendettés, accès à la justice des personnes aux ressources insuffisantes...), autour d'une étude réalisée par des magistrats de la Cour de cassation sur le thème, oeuvre collective orchestrée par le Professeur Xavier Lagarde. Concernant plus spécifiquement le droit du travail, le Rapport s'intéresse ainsi à l'accès à l'emploi des personnes vulnérables en raison de l'âge ou de l'état de santé et au maintien dans l'emploi des salariés âgés et malades, inaptes ou handicapés, avant de s'attarder sur les régimes juridiques du contrat de travail intégrant à des degrés divers des facteurs de précarité et ceux qui comportent des éléments qui atténuent ou neutralisent ces facteurs de précarité ; pour terminer, enfin, sur les salariés protégés (vulnérabilité des salariés qui demandent la mise en place d'élections professionnelles et des salariés candidats à des fonctions représentatives ; vulnérabilité des salariés qui exercent un mandat représentatif) et sur les contours de la vulnérabilité du stagiaire en entreprise. Le Rapport présente également, pour l'année 2009, l'activité de la Cour de cassation et des juridictions et commissions instituées auprès d'elle.
A la suite de cette récente diffusion, Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose, cette semaine, un numéro spécial consacré au Rapport 2009 et vous invite à retrouver les commentaires des éclairages apportés par la Haute juridiction sur les arrêts ayant marqué le droit social l'année dernière. Une série de plusieurs articles vous est donc proposée, rédigés par notre collège d'auteurs, Christophe Radé, Christophe Willmann, Gilles Auzero et Sébastien Tournaux, balayant la jurisprudence sociale, tant en matière de relations individuelles de travail, qu'en matière de relations collectives de travail ou, encore, de Sécurité sociale.
  • Représentation du personnel

- Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-17.692, Syndicat des producteurs du miel de France (SPMF), FS-P+B+R (N° Lexbase : A3401ECX) (1)

Selon l'article 2 de la Convention n° 87 de l'OIT, ratifiée par la France, et relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit de constituer des organisations de leur choix. Selon l'article 5 du même texte, ces organisations ont le droit de former d'autres groupements.

C'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que l'article L. 411-2 (N° Lexbase : L6304ACH), devenu l'article L. 2131-2 (N° Lexbase : L2110H9Z) du Code du travail, qui suppose l'existence d'activités rémunérées à l'exclusion des activités désintéressées ou philanthropiques, ne distingue pas selon que ces activités sont exercées à titre exclusif, accessoire ou occasionnel, ni selon que les revenus qui en sont tirés constituent un revenu principal ou accessoire, de sorte que peuvent constituer un syndicat les producteurs de miel et que doit être considéré comme tel tout apiculteur qui commercialise ses produits.

Il était demandé à la Cour de cassation, dans cette affaire, de se prononcer sur les personnes susceptibles de constituer entre elles un syndicat. Cela peut évidemment surprendre plus de cent ans après l'adoption de la loi "Waldeck-Rousseau". Cela se comprend, toutefois, mieux si l'on a égard au fait que n'étaient pas en cause en l'espèce des salariés, mais des apiculteurs qui entendaient constituer entre eux un syndicat des producteurs de miel. Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, si l'article L. 2131-2 du Code du travail suppose l'existence d'activités rémunérées à l'exclusion des activités désintéressées ou philanthropiques, il ne distingue pas selon que ces activités sont exercées à titre exclusif, accessoire ou occasionnel, ni selon que les revenus qui en sont tirés constituent un revenu principal ou accessoire, de sorte que peuvent constituer un syndicat les producteurs de miel et que doit être considéré comme tel tout apiculteur qui commercialise ses produits.

Ainsi qu'il est relevé dans le Rapport, cet arrêt définit, pour la première fois, les titulaires de la liberté syndicale. On s'accordera avec ce même Rapport pour considérer que "la solution présente un intérêt relatif pour les organisations d'employeurs car le Code du travail ne lie pas leurs prérogatives à la qualité de syndicat. En pratique, ces organisations sont d'ailleurs, dans leur grande majorité, constituées sous forme d'associations". On s'étonnera, en revanche, plus de l'affirmation selon laquelle, "l'intérêt de cette solution est beaucoup plus grand pour les organisations de travailleurs salariés, puisque le Code du travail réserve les droits qu'il instaure à leur profit aux seuls groupements qui revêtent la forme de syndicats ou d'organisations syndicales". On n'avait jamais douté que des salariés puissent constituer des syndicats, dès lors que, par définition, leur activité n'est pas désintéressée ou philanthropique. En réalité, la solution est surtout importante pour les personnes qui, sans être employeurs ou salariés, souhaitent constituer un syndicat.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

- Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 08-60.452, Société Logidis comptoirs modernes, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6533ECX)

Le périmètre de désignation des délégués syndicaux précédemment reconnu par une décision de justice ne peut être remis en cause qu'au vu d'éléments nouveaux.

La question à laquelle la Cour de cassation devait répondre dans cette affaire était de savoir si, lorsqu'un tribunal a statué sur la définition du périmètre de mise en place des institutions représentatives du personnel dans le cadre d'un litige opposant l'employeur à un syndicat, il doit être tenu compte de cette décision dans des litiges pouvant survenir ultérieurement avec d'autres syndicats.

La Chambre sociale a répondu par l'affirmative, en affirmant que "le périmètre de désignation des délégués syndicaux précédemment reconnu par une décision de justice ne peut être remis en cause qu'au vu d'éléments nouveaux". Pour le dire autrement et en reprenant les termes du Rapport, "en présence d'une décision judiciaire ayant fixé le périmètre de désignation d'une institution représentative du personnel dans une entreprise, une autre décision judiciaire ne peut fixer un périmètre différent, pour la même institution représentative, que si des évolutions intervenues depuis la dernière décision justifient une modification du périmètre".

Ce même Rapport souligne que le fait que des litiges ultérieurs puissent concerner un autre syndicat que celui qui avait été à l'origine de la précédente décision n'a aucune importance. En effet, s'agissant de la définition du périmètre de représentation, les autres syndicats représentatifs sont parties intéressées puisque la désignation critiquée par l'employeur leur est opposable à compter de son affichage. Ils peuvent donc la contester. S'ils n'ont pas été convoqués à la première instance, ils ont la possibilité de se prévaloir de cette omission devant la Cour de cassation pour voir annuler la décision.

On approuvera sans réserves cette solution qui, comme il est dit à juste titre dans le Rapport, vise à éviter que les conditions de la représentation du personnel dans l'entreprise puisse varier constamment au gré des saisines judiciaires et d'appréciations éventuellement différentes portées sur une même institution. Cette dernière précision est importante puisqu'elle circonscrit la solution au fait que soient en cause des institutions identiques.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

- Cass. soc., 30 septembre 2009, n° 07-20.525, Comité central d'entreprise de la Serca, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5779ELM) (2)

La régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable, par l'employeur, de l'obligation de consulter le comité d'entreprise sur l'évolution annuelle des emplois et des qualifications, prévue par l'article L. 2323-56 du Code du travail (N° Lexbase : L1881IEE), ni de celle d'engager, tous les trois ans, une négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, imposée par l'article L. 2242-15 du même code (N° Lexbase : L2393H9I).
Aucun
quorum n'étant fixé pour l'adoption d'une résolution, d'une décision ou d'un avis du comité d'entreprise, la délibération prise par un seul des membres du comité à la suite du départ des autres membres est régulière.

Cet arrêt a apporté deux réponses importantes à des questions relatives à la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique.

La première de ces réponses était pour le moins attendue. Il s'agissait de savoir si la régularité de la procédure de consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique est subordonnée au respect préalable de l'obligation triennale de négocier sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences prévue par l'article L. 2242-15 du Code du travail, ainsi que de l'obligation de consulter tous les ans le comité d'entreprise sur l'évolution annuelle des emplois et des qualifications prévues par l'article L. 2323-56 du même code. L'arrêt rapporté précise que ces obligations ne sont pas le préalable nécessaire de l'engagement de la procédure de consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique. On ne peut qu'approuver cette solution que nous avions, avec d'autres, appelée de nos voeux (3).

Ainsi que le précise le Rapport de la Cour de cassation, "la solution se fonde sur la périodicité de ces obligations, mais surtout sur leur objet propre. La gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences a pour objet la projection à moyen et long terme des évolutions souhaitées ou prévisibles de l'emploi dans l'entreprise et la mise en oeuvre des mesures nécessaires pour accompagner cette évolution. Elles portent donc sur des prévisions. Le licenciement économique, pour sa part, repose sur une décision de l'employeur dans un contexte donné qui peut résulter de modification du marché ou d'évènements imprévus. Les mesures de reclassement destinées à limiter le nombre des licenciements ont aussi leur propre finalité, limiter le nombre des licenciements, même si les mesures de gestion prévisionnelle de emplois et d'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois sont de nature à les faciliter".

Cela étant, le Rapport laisse dans l'ombre une interrogation. Ainsi que cela y est précisé, l'arrêt en cause était relatif à une procédure de licenciement pour motif économique engagée avant l'expiration de la période triennale prescrite par la loi du 15 janvier 2005 (N° Lexbase : L6384G49) pour négocier sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. On peut par suite se demander si la solution sera identique lorsque, postérieurement à cette période, un comité d'entreprise est saisi d'un projet de licenciement économique alors qu'aucune négociation de cette sorte n'est intervenue. On peut le penser car on persiste à considérer que ce fait ne peut avoir de conséquence sur la validité de la procédure d'information/consultation du comité. En revanche, il y a sans doute là un élément important de discussion quant à la validité des licenciements pour motif économique.

La seconde réponse apportée par l'arrêt à trait à la régularité de la délibération du comité d'entreprise lorsqu'un seul membre du comité est présent au moment de l'adoption d'un avis après le départ, en cours de réunion, des autres membres du comité. L'article L. 2325-18 (N° Lexbase : L9824H8D) dispose que les résolutions des membres du comité sont prises à la majorité des membres présents. Dans la mesure où la loi ne prévoit aucun quorum pour que le comité puisse délibérer valablement, l'arrêt décide que la majorité s'entend de la majorité des membres présents en séance, ce dont il résulte que la délibération prise par un seul membre est régulière. La Cour de cassation prend soin d'affirmer cette règle, tant à propos des résolutions du comité que de ses décisions ou avis.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

- Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 08-16.260, Société Carrefour hypermarchés, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7446EN4) (4)

Les comités d'établissement ont les mêmes attributions que les comités d'entreprise dans la limite des pouvoirs confiés au chef d'établissement. La mise en place d'un comité d'établissement suppose que cet établissement dispose d'une autonomie suffisante en matière de gestion du personnel et de conduite de l'activité économique de l'établissement. Par conséquent, le droit du comité central d'entreprise de se faire assister d'un expert-comptable ne prive pas le comité d'établissement d'être lui aussi assisté pour l'analyse des documents comptables.

Alors que d'âpres divergences doctrinales et jurisprudentielles rendaient bien délicate la détermination des pouvoirs du comité d'établissement au sujet de leurs attributions économiques, l'arrêt du 18 novembre 2009 sous examen avait stabilisé la délimitation de ces pouvoirs.

En effet, par cet arrêt, la Chambre sociale avait précisé "qu'aux termes de l'article L. 2327-15 du Code du travail (N° Lexbase : L9909H8I), les comités d'établissement ont les mêmes attributions que les comités d'entreprise dans la limite des pouvoirs confiés au chef d'établissement ; que la mise en place d'un tel comité suppose que cet établissement dispose d'une autonomie suffisante en matière de gestion du personnel et de conduite de l'activité économique de l'établissement". Il découlait de ces affirmations que le comité d'établissement pouvait avoir recours à un expert comptable pour l'aider à l'expertise de ces comptes annuels.

Le Rapport annuel identifie deux apports essentiels de cette jurisprudence.

D'abord, l'arrêt mettrait un terme aux hésitations quant aux pouvoirs du comité d'établissement. Partant du principe que l'identification d'un établissement distinct implique, au regard de la jurisprudence du Conseil d'Etat (5), la présence à la tête de cet établissement d'un dirigeant disposant d'une autonomie suffisante, la Cour de cassation en déduit que le comité d'établissement a nécessairement la faculté d'examiner les comptes annuels et de se faire assister d'un expert comptable, à l'exception du cas où la délégation de pouvoir du chef d'établissement exclurait formellement une telle autonomie.

Cette appréciation paraît entièrement conforme à la position habituellement adoptée par le juge judiciaire lorsqu'est en cause une décision administrative voire, si celle-ci a fait l'objet d'un recours, d'une décision du juge administratif. En effet, dans cette situation, le juge judiciaire s'abstient, au nom du principe de séparation des ordres judiciaire et administratif, d'interférer avec les solutions adoptées par l'Administration (6). La solution a, cependant, comme nous le remarquions à l'occasion du commentaire de l'arrêt, de ne pouvoir masquer certaines situations fictives dans lesquelles la présomption d'autonomie attachée à la reconnaissance d'un établissement distinct est totalement factice.

Ensuite, l'arrêt apporterait pour le rapport une nouvelle précision quant aux pouvoirs de l'expert comptable mandaté pour analyser les comptes de l'établissement. En l'espèce le comité d'établissement avait confié pour mission à l'expert non seulement l'examen des éléments comptables de l'établissement, mais également l'analyse de la situation économique de l'établissement par rapport à l'ensemble de l'entreprise et aux autres établissements de l'entreprise, mission validée par la chambre sociale. Cependant, comme cela est d'ailleurs remarqué par le rapport (7), il ne s'agit là en aucun cas d'une innovation puisque la chambre sociale avait déjà, par le passé, soigneusement délimité le rôle de l'expert comptable en la matière (8).

Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Elections professionnelles

- Cass. soc., 17 juin 2009, n° 08-60.438, Société Cegelec Nord et Est, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3155EIP)

Sauf accord collectif, un même CHSCT ne peut regrouper des salariés dépendant de plusieurs établissements dotés chacun d'un comité d'établissement, en sorte que seuls les salariés de l'établissement concerné peuvent être désignés au sein du CHSCT de cet établissement et que le collège désignatif ne peut être constitué que des membres élus de ce même établissement.

Cet arrêt est l'occasion, pour la Chambre sociale, de clarifier la question du périmètre d'implantation de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

En application de l'article L. 4611-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1720H9L), un CHSCT "est constitué dans tout établissement de cinquante salariés et plus". Ainsi qu'il est rappelé dans le Rapport, afin de tenir compte de la spécificité des attributions de cet institution représentative du personnel et de la nécessité que cet organe de représentation puisse être directement en lien avec les catégories d'activité pour lesquelles son intervention serait utile, la Chambre sociale a admis qu'un CHSCT puisse ne couvrir qu'un secteur d'activité au sein de l'établissement (Cass. soc., 30 mai 2001, n° 99-60.474, Société Sita Ile-de-France c/ Syndicat Force ouvrière Sita Ile-de-France N° Lexbase : A5670AT8, Bull. civ. V, n° 192). Il en résulte que plusieurs CHSCT peuvent coexister au sein d'un même établissement. Bien que le rapport n'en fasse pas état, cela ne paraît légalement envisageable que dans les établissements (ou entreprises unitaires) occupant au moins 500 salariés (C. trav., art. L. 4613-4 N° Lexbase : L1786H9Z).

La Chambre sociale a, par la suite, précisé la solution de principe précitée, soulignant, notamment, que la mise en place de plusieurs CHSCT, par secteurs d'activité, pouvait intervenir soit à l'intérieur des établissements dotés d'un comité d'établissement, soit, à défaut, à l'intérieur de l'entreprise (Cass. soc., 29 janv. 2003, n° 01-60.802, Société Macdonald's France Restaurants c/ Comité d'entreprise de la SARL Mac Donald's N° Lexbase : A8237A4T).

Dans l'espèce ayant conduit à l'arrêt rapporté, des salariés rattachés à deux établissements différents suite à une décision administrative, exerçaient leur activité sur un même site géographique. La question posée à la Cour de cassation était de savoir si l'existence d'un secteur d'activité recouvrant plusieurs établissements, ou même l'existence d'un lieu de travail commun, pouvait justifier la mise en place d'un CHSCT pour l'ensemble des salariés travaillant sur le site. Les juges du fond avaient considéré que tel était le cas, jugeant que le site géographique était un établissement distinct au sens du CHSCT.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation, qui décide que le CHSCT "est institué en application de l'article L. 4611-1 du Code du travail dans le cadre d'établissement et le cas échéant par secteurs d'activité au sein de l'établissement". La solution doit être pleinement approuvée, ne serait-ce qu'au regard des dispositions de l'article L. 4611-1, qui trace de manière précise le périmètre de mise en place du CHSCT en le délimitant à l'établissement et à lui seul. En outre, le jugement du tribunal d'instance ne pouvait être admis dans la mesure où il revenait à contredire la décision de l'autorité administrative qui, conformément à la loi, avait déterminé les établissements distincts. Celle-ci était peut être contestable, mais il aurait fallu pour cela en saisir la juridiction administrative.

Au final, et cela est expressément affirmé dans le Rapport, un même CHSCT ne peut regrouper des salariés dépendant de plusieurs établissements dotés chacun d'un comité d'établissement. Cela étant, et ainsi qu'il était déjà souligné dans l'arrêt en cause, il pourra en aller différemment si un accord collectif le prévoit.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ)/Interprétation

- Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-60.599, Société Véolia transport Bordeaux, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7068EIM) (9) et Cass. soc., 4 novembre 2009, n° 09-60.075, Hôpital européen La Roseraie, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8197EMK)

Pourvoi n° 08-60.599 : la régularité de la désignation d'un représentant de section syndicale ne nécessite pas que le syndicat à l'origine de la désignation remplisse les critères fixés par les articles L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN) et L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) du Code du travail relatifs à la représentativité. Il suffit qu'il réunisse, à la date de la désignation, les conditions fixées par les articles L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW) et L. 2142-1-1 (N° Lexbase : L3765IB3) dudit code.

L'article L. 2142-1 du Code du travail exige, pour la constitution de la section syndicale, la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise.

Pourvoi n° 09-60.075 : l'article L. 2142-1 du Code du travail, qui autorise la constitution d'une section syndicale par des syndicats, qu'ils soient représentatifs ou non, n'exige, pour cette constitution, que la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise, peu important les effectifs de celle-ci.

Le 8 juillet 2009, la Cour de cassation a rendu quatre arrêts relatifs à certaines difficultés d'interprétation nées de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008. Au même titre que les autres, l'arrêt rendu sous le pourvoi n° 08-60.599 a apporté plusieurs précisions fondamentales.

Il ressort, tout d'abord, de cette décision que, si une personne entend contester le respect par un syndicat du nouveau critère de respect des valeurs républicaines, il lui appartient de démontrer en quoi l'organisation syndicale ne remplit pas ce critère. Ainsi qu'il est relevé dans le rapport, "à défaut, ou si aucune contestation particulière n'est élevée sur ce point par une partie, le juge n'a pas à vérifier que l'organisation syndicale répond à cette condition, qui est intrinsèque à son existence même". Au regard de cette affirmation, le même régime probatoire doit être appliqué lorsqu'est en cause l'indépendance du syndicat. Il n'en demeure pas moins que, pour le reste, c'est au syndicat dont la représentativité est contestée qu'il appartient de l'établir.

Il faut, ensuite, rappeler que, consécutivement à la réforme apportée par la loi du 20 août 2008, la désignation d'un délégué syndical ou d'un représentant de la section syndicale n'est possible que si le syndicat mandant a constitué une section syndicale. De même, la loi exige désormais, pour la constitution d'une section syndicale, la présence de "plusieurs" adhérents dans l'entreprise ou l'établissement. La Cour de cassation précise, dans l'arrêt rapporté, que cette pluralité d'adhérents doit s'entendre de "deux adhérents au moins" et que la condition d'existence d'une section syndicale doit être remplie au jour de la désignation du représentant ou du délégué. Ainsi que le rappelle le rapport, "comme avant l'entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, la création de la section syndicale peut donc être concomitante à cette désignation". Bien que cela ne soit pas rappelé dans le rapport, la Cour de cassation a dû souligner dans cette même décision, et ce malgré la clarté des textes sur ce point, que la régularité de la désignation d'un représentant de section syndicale ne nécessite pas que le syndicat à l'origine de la désignation remplisse les critères fixés par les articles L. 2121-1 et L. 2122-1 du Code du travail relatifs à la représentativité. On ajoutera que la loi ne laisse pas de place au doute : seul un syndicat qui n'est pas représentatif est en droit de désigner un représentant de la section syndicale.

Dans un arrêt postérieur, rendu le 4 novembre 2009, la Chambre sociale est venue compléter la solution qu'elle avait retenue dans la décision évoquée précédemment, en affirmant que "l'article L. 2142-1 du Code du travail, qui autorise la constitution d'une section syndicale par des syndicats, qu'ils soient représentatifs ou non, n'exige, pour cette constitution, que la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise, peu important les effectifs de celle-ci". Le fondement de cette solution nous est donné par le rapport en ces termes : "la nécessité d'avoir au moins deux adhérents pour constituer une section syndicale est une condition qui permet de s'assurer, comme la condition de spécialité, que le syndicat a vocation à venir s'implanter dans l'entreprise. Mais elle est sans rapport avec la représentativité du syndicat dans l'entreprise, puisque la constitution d'une section syndicale est justement ouverte expressément aux syndicats qui ne le sont pas. Par conséquent, il ne saurait être prétendu que le nombre d'adhérents nécessaire à la création de la section syndicale doit être proportionnel au nombre de salariés employés par l'entreprise : le rapport entre les effectifs et les adhésions n'entre en compte que dans la question de la représentativité syndicale".

Cette solution, qui doit être pleinement approuvée, pouvait aisément s'inférer de la loi et de l'interprétation qu'en avait donnée la Cour de cassation dans l'arrêt précité du 8 juillet 2009. Le fait que la Chambre sociale ait tout de même dû prendre position témoigne, à notre sens, du fait que la loi du 20 août 2008 a démultiplié les hypothèses de contentieux en matière de représentation du personnel.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Droit syndical

- Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.015, Syndicat Solidaires G4S, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7070EIP) (10)

Les nouvelles dispositions de l'article L. 2324-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3724IBK), applicables à compter du 22 août 2008, donnent le droit à chaque organisation syndicale ayant des élus, sans autre condition, de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'établissement.

Rendu avec une salve d'arrêts faisant tous application de la loi du 20 août 2008 (11), l'arrêt "Syndicat Solidaires" sous examen venait trancher la question des conditions nouvelles de désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise.

Le syndicat Solidaires avait notifié à quatre sociétés, constitutives d'une unité économique et sociale, la désignation d'un représentant syndical dans un comité d'établissement. Contestant cette désignation, les sociétés saisirent le juge d'instance qui l'annula au motif que le syndicat Solidaires n'était pas représentatif au sein de l'établissement concerné au sens des critères fixés par l'article L. 2121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3727IBN). Cependant, depuis la loi du 20 août 2008, la représentativité ne figure plus au nombre des critères exigés pour la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise. Le nouvel article L. 2324-2 du même code exige seulement, désormais, que le syndicat dispose d'élus au comité d'entreprise pour pouvoir y désigner un représentant syndical.

La Chambre sociale jugeait donc, dans cette affaire, que "les nouvelles dispositions de l'article L. 2324-2 du Code du travail [...] donnent le droit à chaque organisation syndicale ayant des élus, sans autre condition, de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'établissement".

Le Rapport de la Cour de cassation apporte une analyse extrêmement intéressante sur cette affaire en ce qu'elle met en plein jour le raisonnement adopté par la Chambre sociale pour parvenir à ce résultat. Le Rapport s'interroge, d'abord, sur la disparition de la condition de représentativité : "la condition de représentativité en effet ne figure pas dans le texte adopté le 20 août 2008, alors qu'il apparaissait dans le projet de loi. Oubli du législateur ? Volonté délibérée de ce dernier ? Condition nécessairement sous-entendue ?".

Face à cette lacune, la Chambre sociale part à la recherche des intentions du législateur. confrontée au silence des travaux parlementaires comme du compte rendu de la commission mixte paritaire intervenue dans le débat, la Chambre sociale se range à une interprétation littérale du texte et en conclut que la condition de représentativité a disparu.

Si, répétons-le, la présentation de ce cheminement de pensée est extrêmement précieux pour mieux comprendre le fonctionnement de notre Haute juridiction, qu'il nous soit néanmoins permis de formuler deux observations.

D'abord, s'il est tout à l'honneur de la Chambre sociale de faire ressurgir des principes d'interprétation de la loi parfois un peu considérés comme obsolètes et désuets, tels que la recherche de l'intention du législateur, on peut cependant lui reprocher de ne pas avoir fait application des règles d'interprétation non moins classiques tirées des adages Interpretatio cessat in claris ou Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus. En effet, la lettre de l'article L. 2324-2 du Code du travail étant tout à fait limpide, était-il nécessaire de rechercher dans l'esprit du texte pour découvrir l'interprétation qu'il convenait d'en donner ?

Ensuite, on peut remarquer que, si la Chambre sociale s'attache à l'esprit du texte en recherchant la volonté du législateur, elle aurait pu, faute de volonté clairement exprimée, utiliser d'autres méthodes d'interprétation telles que, notamment, l'interprétation téléologique. En effet, chaque loi doit être interprétée par rapport à sa fonction sociale du moment, être interprétée par référence aux finalités de la règle invoquée. Or, il est permis de penser que l'attribution de pouvoirs supplémentaires aux syndicats représentatifs (section syndicale, représentant de la section syndicale, possibilité de désigner des représentants au comité d'entreprise, etc.) constitue une contrepartie à la plus grande difficulté que ces syndicats rencontreront pour démontrer leur représentativité. L'esprit du texte, alors, aurait permis d'en rejoindre la lettre.

Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV


(1) Lire nos obs., Qu'est-ce qu'un syndicat professionnel ?, Lexbase Hebdo n° 335 du 29 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3659BID).
(2) Lire nos obs., La régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable de l'employeur de ses obligations en matière de GPEC, Lexbase Hebdo n° 367 du 15 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0835BMU).
(3) Lire nos obs., GPEC et licenciement économique : la position de la cour d'appel de Paris, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6192BAL). V. aussi, P.-H. Antonmattéi, GPEC et licenciement pour motif économique : le temps des confusions judiciaires, Dr. soc., 2007, p. 289.
(4) Lire nos obs., Le comité d'établissement peut avoir recours à un expert-comptable pour l'analyse des comptes, Lexbase Hebdo n° 374 du 4 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5820BMI).
(5) CE, 21 novembre 1986, n° 51807, Syndicat national CGC des établissements de l'association pour la formation professionnelle des adultes, publié (N° Lexbase : A4835AMZ).
(6) V., par exemple, en matière d'autorisation administrative de licenciement ou de transfert conventionnel d'un salarié protégé Cass. soc., 3 mars 2010, n° 08-42.526, M. François Brucelle, FS-P+B (N° Lexbase : A6514ES3) et les obs. de Ch. Willmann, Contestation du licenciement d'un salarié adhérent d'une convention AS-FNE, Lexbase Hebdo n° 387 du 19 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6015BN4) ; Cass. soc., 3 mars 2010, 2 arrêts, n° 08-41.600, Société Collectes valorisation énergie déchets (Coved), FS-P+B+R (N° Lexbase : A6512ESY) et n° 08-40.895, M. Thierry Fortune, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6509ESU) et nos obs., Le rôle de l'inspection du travail redéfini en matière de transfert conventionnel du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 387 du 19 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N5911BNA).
(7) De manière un peu contradictoire, le rapport énonce que "l'arrêt rapporté retient ici une solution classique fondée sur l'article L. 2325-36 du Code du travail".
(8) Cass. soc., 29 septembre 2009, 2 arrêts, n° 08-15.035, Société Snecma services, F-P+B (N° Lexbase : A5831ELK) et n° 08-17.023, Société Forclum Ile-de-France, F-P+B (N° Lexbase : A5853ELD) et nos obs., La mission des experts désignés par les comités en cas de restructuration, Lexbase Hebdo n° 367 du 15 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0849BME) ; Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-12.754, Société Impress métal packaging Imp, FS-P (N° Lexbase : A3342D7W) et nos obs., L'expert-comptable du comité d'entreprise détermine seul les documents nécessaires à l'exercice de sa mission, Lexbase Hebdo n° 297 du 20 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4433BEW).
(9) Lire nos obs., Les conditions de désignation du représentant de la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1139BLR).
(10) Lire nos obs., La désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise par des organisations non représentatives, Lexbase Hebdo n° 360 du 24 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1145BLY).
(11) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) et voir notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 317 du 10 septembre 2008 - édition sociale.

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Droit des étrangers

[Jurisprudence] Chronique de droit des étrangers - Mai 2010

Lecture: 15 min

N0669BPH

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de droit des étrangers, rédigée par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, un arrêt du 7 avril 2010 dans lequel le Conseil d'Etat considère qu'un demandeur d'asile politique ayant commis un "meurtre d'honneur" dans son pays d'origine lorsqu'il était mineur peut se voir accorder cet asile politique eu égard à sa situation particulière au moment des faits qui l'exposait aux pressions de toute nature de son entourage et qui excluait toute action délibérée de sa part. Le deuxième arrêt, rendu le 16 avril 2010, rappelle que, si la venue en France de ressortissants étrangers a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité consulaire peut toujours refuser leur visa d'entrée en se fondant sur des motifs d'ordre public. L'épouse d'un étranger en situation de polygamie peut, ainsi, voir son visa au titre du regroupement familial refusé en ce sens sauf si sa venue ne conduit pas effectivement l'étranger à vivre en France en situation de polygamie. Dans les deux derniers arrêts, rendus le 7 avril 2010, la section du Conseil d'Etat procède, s'agissant des étrangers malades, à un revirement de jurisprudence en reconnaissant que, dans l'appréciation de la nature et de la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale en cas de retour dans le pays d'origine ou de renvoi, un étranger malade peut se prévaloir du fait que, même si des possibilités de traitement existent en théorie, il ne pourrait en bénéficier effectivement compte tenu de son inaccessibilité socio-économique ou de circonstances exceptionnelles liées à sa situation personnelle.
  • Asile politique accordé à un demandeur ayant participé à un "meurtre d'honneur" dans son pays d'origine lorsqu'il était mineur (CE 9° et 10° s-s-r., 7 avril 2010, n° 319840, M. Hassan Ahmed, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5670EUK)

Si le droit d'asile trouve sa source dans les traditions les plus anciennes de l'humanité, il a toujours été conçu comme excluant de son bénéfice ceux qui avaient commis un crime. En ce sens, l'article 1er, F, de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 (N° Lexbase : L6810BHP) exclut de son champ d'application des personnes dont il existe des raisons sérieuses de penser, même en établissant des persécutions, qu'elles se sont rendues coupables d'un certain nombre de comportements jugés incompatibles avec le statut de réfugié politique. Parmi ceux-ci, le fait d'avoir commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil est l'une des clauses d'exclusion prévues par la Convention de Genève. Il est rare que cette disposition soit appliquée, mais il est encore plus rare que, pour un crime avéré, celui-ci ne soit pas considéré comme une cause d'exclusion.

Il ressort des faits de l'espèce que M. X, de nationalité irakienne, a demandé à bénéficier de l'asile politique en se prévalant, d'une part, de son militantisme au sein du parti politique dénommé "PKK", qu'il a quitté et qui le recherche, et, d'autre part, de sa participation à un "meurtre d'honneur" s'inscrivant dans un conflit entre familles qui l'expose à des risques de vengeance, sans qu'il puisse, à aucun de ses deux titres, se prévaloir de la protection des autorités irakiennes. Plus précisément, il résulte des déclarations de l'intéressé qu'il avait participé, alors qu'il était âgé de 15 ans et muni d'une arme, à la recherche d'un membre d'une famille envers laquelle la sienne entretenait donc ce "conflit d'honneur", et qu'il était présent lors de l'assassinat du membre de cette famille par son propre frère qui a, depuis, été condamné à la prison à perpétuité pour ce crime. Il est, ensuite, établi, qu'après ces faits, il a rejoint le PKK au sein duquel il a eu diverses activités durant huit ans et qu'il a quitté l'Irak pour échapper aux conditions de vie très difficiles que son appartenance à ce parti lui imposait. Si l'OFPRA a reconnu que le demandeur s'exposait, en cas de retour en Irak, à être recherché par le PKK en raison de son abandon du parti et que sa sécurité dans le nord de l'Irak ne pouvait être assurée par les autorités irakiennes, la commission de recours des réfugiés lui a, néanmoins, refusé le bénéfice de la protection conventionnelle en raison de sa participation au crime précédemment décrit. Elle a considéré que, même si l'individu pouvait avoir agi sous la contrainte, sa minorité à l'époque des faits ne l'exonérait pas de sa responsabilité. C'est cette décision que conteste M. X en se pourvoyant en cassation (1).

Pour le Conseil d'Etat, il est d'abord acquis que la cause d'exclusion s'applique à l'auteur comme au complice d'un crime grave de droit commun qui, sans commettre lui-même les actes criminels, a participé à leur préparation et a assisté à leur exécution sans chercher, à aucun moment, à les prévenir ou à s'en dissocier. Pour autant, la Haute cour relève une contradiction dans le raisonnement de la commission de recours des réfugiés, et estime que celle-ci a commis une erreur de droit en estimant qu'il y avait, en l'espèce, responsabilité entière de l'individu sans rechercher si, d'une part, la contrainte familiale avait pu réduire son libre arbitre et si, d'autre part, sa minorité avait pu le rendre plus accessible à cette contrainte. Tout en réglant l'affaire au fond, les juges suprêmes estiment que les circonstances de l'espèce ne font pas apparaître de raisons sérieuses de penser que le demandeur s'est personnellement rendu coupable, ni qu'il peut être regardé comme complice de ce crime grave eu égard au fait de sa situation particulière au moment des faits qui l'exposait aux pressions de toute nature de son entourage, et qui excluait toute action délibérée de sa part. En conséquence, un tel motif ne peut servir, en l'espèce, de cause à l'exclusion du statut de réfugié (2).

Le Conseil d'Etat applique rarement la clause d'exclusion relative à la commission d'un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil (3). Elle vise essentiellement à éviter que le refuge constitue le biais par lequel l'auteur d'un crime pourrait quitter son pays à la seule fin d'échapper aux poursuites judiciaires de droit commun auxquelles il s'expose en raison de son acte (4). Par "crime de droit commun" au sens de la Convention, il y a lieu d'entendre toute infraction qui n'est pas commise à l'occasion de la lutte de l'intéressé contre les autorités responsables des persécutions dont l'intéressé est, ou a été victime, sans qu'il y ait lieu, d'ailleurs, de donner au mot "crime" le sens précis qui lui prête le droit interne français.

La disposition a, par exemple, été appliquée, au titre de la responsabilité morale, au membre fondateur d'un mouvement terroriste dès lors qu'il a participé à la prise de décision ayant conduit à des crimes graves de droit commun, sans que ses activités diplomatiques et sa participation à des négociations l'aient conduit à se désolidariser des buts et des moyens employés par ce mouvement (5). Il en a été, de même, pour un pourvoyeur de fonds qui a assuré, en toute connaissance de cause, le financement logistique d'individus qui se sont eux-mêmes rendus coupables de crimes graves de droit commun (6).

A l'inverse, même si les exemples sont encore plus rares, le juge n'applique pas la clause d'exclusion lorsqu'il y a rupture avec un mouvement terroriste (7), ou lorsque le demandeur est en situation de particulière vulnérabilité et de contrainte (8). La Cour nationale du droit d'asile a, par exemple, pu juger que l'engagement du requérant dans un gang de 2001 à 2003 ne pouvait conduire à l'exclure du bénéfice de l'asile compte tenu de son âge, des évènements particulièrement traumatisants vécus, et de sa situation de vulnérabilité à cette époque (9). C'est en ce sens qu'a jugé en l'espèce le Conseil d'Etat, opérant, ainsi, un équilibre entre les garanties nées du droit des réfugiés et les exigences de police. La Commission de recours des réfugiés, en excluant, par principe, le mineur auteur d'un "meurtre d'honneur" dans son pays d'origine, rompt cet équilibre.

  • Un visa peut être refusé au titre du regroupement familial à l'épouse d'un étranger en situation de polygamie dans son pays d'origine, sauf si sa venue ne conduit pas effectivement l'étranger à vivre de la sorte en France (CE 1° et 6° s-s-r., 16 avril 2010, n° 318726, M. Dieng, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0159EWS)

On l'a vu récemment dans l'affaire de l'époux de cette femme verbalisée pour avoir conduit un véhicule en voile intégral, la polygamie suscite actuellement des passions en lien avec le débat qui a agité la France sur "l'identité nationale", et avec la volonté de procéder à une interdiction législative absolue du voile intégral dans les espaces publics, malgré les doutes qu'elle suscite sur sa conformité à la CESDH, voire à la Constitution. L'interdiction de la polygamie est en France un principe d'ordre public dont la violation est sanctionnée par l'annulation du mariage irrégulier et constitue un délit prévu et réprimé par l'article 433-20 du Code pénal (N° Lexbase : L2336AMH), le Conseil d'Etat veillant, pour sa part, à faire respecter ce principe par l'administration, tout particulièrement en matière de délivrance de visas dans le cadre du regroupement familial pour les conjoints et enfants d'étrangers.

Il ressort des faits de l'espèce que M. X a contracté deux mariages au Sénégal sous le régime de la polygamie. De ces deux mariages sont nés quatre enfants, respectivement un fils pour le premier mariage, et deux fils et une fille pour le second. La venue en France de la première épouse et des quatre enfants a été autorisée au titre du regroupement familial mais le consul général de France à Dakar a refusé de leur délivrer les visas d'entrée et de long séjour en France à ce titre. La Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a, par la décision attaquée, confirmé le refus de visa qui leur a été opposé au motif que le requérant était polygame et qu'il ne pouvait, de ce fait, bénéficier des dispositions relatives au regroupement familial.

Pour le Conseil d'Etat, la commission a entaché sa décision d'une erreur de droit en se fondant sur la seule circonstance que le requérant était polygame pour refuser le visa, la délivrance du visa ne pouvant légalement être refusée pour la venue d'un conjoint que lorsqu'elle conduirait l'étranger à vivre en France en situation de polygamie. Le visa ne peut, ainsi, être refusé à la première conjointe et à ses enfants ayant bénéficié d'une autorisation de regroupement familial. En revanche, l'administration est fondée, le cas échéant, à opposer un refus de visa à la seconde conjointe et, par voie de conséquence, aux enfants de cette autre conjointe, sauf si cette dernière est décédée ou déchue de ses droits parentaux.

Le regroupement familial constitue, aujourd'hui encore, la source la plus importante de l'immigration régulière en France mais les conditions en ont été progressivement rendues plus difficiles. La Cour européenne des droits de l'Homme rappelle, tout d'abord, que les Etats conservent le droit de contrôler l'entrée des non-nationaux sur leur sol et l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR) ne saurait s'interpréter comme comportant, pour un Etat, l'obligation générale de respecter le choix, par des couples mariés, de leur résidence commune et de permettre le regroupement familial sur leur territoire (10). Le Conseil d'Etat avait considéré, à l'origine, qu'en matière de polygamie, il convenait d'appliquer la loi personnelle de l'étranger, et que si celle-ci admettait la polygamie, il n'était pas possible de faire obstacle à une demande de regroupement familial pour les différents conjoints (11). L'article L. 411-7 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5760G44) prévoit, désormais, que lorsqu'un étranger polygame réside en France avec un premier conjoint, le regroupement familial ne peut être accordé à un autre conjoint sauf si cet autre conjoint est décédé ou déchu de ses droits parentaux, ses enfants ne pouvant pas non plus en bénéficier (12).

En ce sens, la polygamie reste un obstacle à la prise en compte du droit à une vie familiale normale et l'interprétation du juge est assez stricte. Ne peut s'en prévaloir, par exemple, une ressortissante marocaine, mariée avec un compatriote avec lequel elle a un enfant, dès lors que son mari est resté marié avec sa première épouse, et alors même qu'il en est séparé (13). De même, les dispositions qui interdisent la délivrance ou prévoient le retrait de titres de séjour aux étrangers vivant en état de polygamie et à leurs conjoints (14) n'établissent pas de distinction entre le "premier conjoint" d'un étranger polygame et les autres. Si l'article L. 411-7 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, précité, impose, à propos de la procédure de regroupement familial, le refus ou le retrait des titres de séjour sollicités ou obtenus par un autre conjoint que "le premier", ainsi que le retrait du titre détenu par le ressortissant étranger à l'origine de la procédure, sans mentionner d'éventuelles mesures concernant le premier conjoint, il ne prévoit, au bénéfice de celui-ci, aucune obligation pour l'administration de délivrer ou de renouveler des titres. Commet donc une erreur de droit le juge des référés qui retient que le moyen tiré de ce qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne permettait au préfet de refuser le renouvellement du titre de séjour détenu par le premier conjoint d'un ressortissant étranger polygame, au motif de la polygamie de ce dernier était de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse de refus de renouvellement d'une carte de séjour temporaire (15).

Pour autant, le juge veille à ce que les principes relatifs au regroupement familial ne soient pas contournés par la généralisation des refus de visa. Si le bénéfice du droit au regroupement familial n'exclut pas son titulaire de l'obligation d'obtention du visa pour entrer en France (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 211-1 N° Lexbase : L5819G4B), le visa ne peut être refusé que pour des motifs d'ordre public. La polygamie est une situation au nombre des motifs d'ordre public susceptibles d'être pris en considération, mais encore faut-il que la venue de l'une des épouses soit en mesure de créer une situation de polygamie sur le territoire français. S'il est prouvé que le mari réside seul en France, il n'y a pas de situation contraire à l'ordre public.

  • La prise en compte, en matière d'éloignement et de refus de titre de séjour, des possibilités socio-économiques d'accès effectif aux soins dans le pays de renvoi ou de circonstances exceptionnelles liées à la situation personnelle de l'intéressé (CE Contentieux, 7 avril 2010, deux arrêts, Ministre de l'Intérieur, publiés au recueil Lebon, n° 301640 N° Lexbase : A5643EUK et n° 316625 N° Lexbase : A5665EUD)

Lors de l'examen de la situation d'un étranger malade quant au bénéfice de la protection contre l'éloignement, le Conseil d'Etat a toujours vérifié s'il existait des structures médicales de nature à permettre à l'étranger de recevoir un traitement approprié dans son pays d'origine, mais il ne s'est jamais préoccupé de la question de savoir s'il pourra, une fois sur place, concrètement en bénéficier, tant sur le plan financier que géographique. C'est en ce sens qu'il fait évoluer sa jurisprudence dans les décisions d'espèce, tant en matière d'éloignement qu'en matière de refus de séjour, la solution à retenir dans le premier cas emportant celle qui doit prévaloir dans le second cas.

Dans la première espèce (n° 301640), un ressortissant tunisien, M. X, a fait l'objet d'une décision de reconduite prononcée à la suite de son maintien sur le territoire consécutivement à un refus de séjour. Le juge de la reconduite à la frontière du tribunal administratif de Paris a annulé la mesure d'éloignement. La cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête en appel du préfet de police en relevant, notamment, que le requérant a pu "utilement soutenir que, faute de disposer de revenus en Tunisie, il ne pourrait pas bénéficier effectivement des soins, particulièrement coûteux, qui lui sont nécessaires" (16).

Dans la seconde affaire (n° 316625), Mme Y, de nationalité ivoirienne, a été admise provisoirement au séjour après avis favorable du médecin-chef alors qu'elle souffrait d'un diabète insulinodépendant mais, consulté à nouveau sur l'état de santé de l'intéressée, le même médecin a estimé que cette dernière pouvait bénéficier d'un traitement approprié en Côte d'Ivoire, même si elle nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. La cour administrative d'appel de Paris a estimé que le refus de séjour devait être annulé, eu égard au fait qu'en l'absence de protection sociale en Côte d'Ivoire, la requérante ne pourrait pas bénéficier effectivement du traitement médical approprié dans son pays d'origine en raison de son coût particulièrement élevé et de l'absence de revenus de l'intéressée, âgée de 62 ans et sans qualification professionnelle (17).

Sur les pourvois des ministres de l'Intérieur et de l'Immigration, le Conseil d'Etat estime, dans la première espèce, que la décision de la cour administrative d'appel n'était pas entachée d'une erreur de droit, jugeant que le requérant pouvait utilement invoquer, à l'encontre de l'arrêté de reconduite, le moyen tiré de ce qu'il ne disposait pas des ressources suffisantes pour bénéficier effectivement en Tunisie des soins nécessaires. S'agissant de la seconde espèce, il confirme la décision de la cour en se fondant sur la circonstance que l'intéressée n'est pas en mesure, compte tenu du coût global du traitement et de la faiblesse de ses ressources en Côte d'Ivoire, de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays (18).

Avant les deux décisions précitées, le Conseil d'Etat, s'agissant du respect de la condition tenant au bénéfice d'un traitement approprié dans le pays d'origine, vérifiait l'offre de soins disponible dans le pays de renvoi, et en aucun cas la disponibilité financière de l'étranger renvoyé. Il a, ainsi, pu constater l'existence de structures médicales au Maroc permettant de traiter le diabète (19) ou, en sens contraire, relever l'impossibilité, pour un étranger atteint d'une grave insuffisance rénale chronique de bénéficier, au Maroc, d'une opération de transplantation rénale (20). Le juge a pu, également, tenir compte de la situation sanitaire prévalant dans le pays d'origine pour voir si les médicaments nécessaires au traitement étaient disponibles dans le pays d'origine (21), ou si les stocks de médicaments des pharmacies permettaient une prise en charge satisfaisante de la maladie (22).

Mais le Conseil d'Etat a aussi pu clairement préciser, de manière assez rigoureuse et en sens contraire, que la circonstance que le requérant serait originaire d'une région éloignée des structures médicales appropriées, et qu'il aurait des difficultés financières à assumer la charge d'un traitement de sa maladie dans son pays d'origine était sans incidence sur l'appréciation de l'existence de soins appropriés dans ce pays (23). Son raisonnement étant identique concernant les difficultés de traitement que l'intéressé pouvait rencontrer du fait de son isolement géographique et le coût financier du traitement, ceux-ci étant sans effet sur la légalité de la décision (24), ou concernant la modicité des ressources de l'étranger et des éventuelles difficultés de prise en charge des dépenses médicales dans le pays, celles-ci étant sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué (25), voire, encore, concernant le fait que le régime de Sécurité sociale en vigueur dans le pays de renvoi ne prévoyait pas la prise en charge des examens prescrits en raison de la situation de crise du pays (26).

A la décharge du Conseil d'Etat, il fallait, néanmoins, relever que la Cour européenne des droits de l'Homme n'était pas plus protectrice en la matière, estimant que, même si l'éloignement de l'étranger aboutissait à une dégradation importante de sa situation et, notamment, à une réduction significative de son espérance de vie, ces circonstances n'étaient pas suffisantes pour révéler une violation de l'article 3 de la CESDH (N° Lexbase : L4764AQI). La Cour avait, ainsi, considéré qu'alors même que le traitement dont avait besoin la requérante n'était disponible dans le pays de renvoi qu'à un prix très élevé, et qu'il n'existait, en particulier, aucun financement public, pas de soins infirmiers de base ou de Sécurité sociale, l'éloignement de l'intéressé ne constituait pas une violation de la Convention (27).

En jugeant de la sorte, la Cour a pu se prononcer à l'encontre du caractère absolu de l'article 3 de la CESDH et de la nature même des droits garantis par la Convention, préférant les limiter en vertu de facteurs politiques tels que les contraintes budgétaires (28). Le revirement de jurisprudence du Conseil d'Etat est, à cet égard, d'autant plus important qu'il voit, ainsi, le Conseil et le droit français devenir plus protecteur que le droit européen des droits de l'Homme, montrant à quel point a été étendu et approfondi le contrôle de la légalité des mesures concernant les étrangers. Le Conseil d'Etat, comme il a pu déjà être souligné, ne se bornant pas à faire preuve de "discipline juridictionnelle" vis-à-vis de la Cour européenne et n'hésitant pas à aller au-delà des standards européens contrairement aux idées reçues.

En abandonnant le refus de contrôler l'effectivité de l'accès au traitement approprié, la Haute juridiction administrative a franchi un grand pas justifié par la logique même du dispositif de protection. Comme le note le Rapporteur public, Mattias Guyomar, dans ses conclusions sous les arrêts d'espèce, la protection "serait factice si l'administration puis, le cas échéant, le juge, s'en tenaient, pour apprécier si l'état de santé de l'étranger implique ou non qu'il reste en France, à l'offre de soins existante dans le pays de renvoi sans prendre en compte la faculté d'y accéder concrètement". Reste à espérer, comme ont pu le souligner les juges européens, que cette façon de caractériser les droits garantis des étrangers en France ne fasse peser une charge trop lourde sur le pays en ouvrant trop loin "les vannes de l'immigration médicale" (29), tout en faisant de la France "l'infirmerie du monde" (30).

Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz


(1) Le requérant conteste, également, une seconde décision par laquelle la Cour nationale du droit d'asile lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire, défini à l'article L. 712-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5911G4P). La protection subsidiaire, lorsqu'elle est accordée, ne conduit pas à l'octroi du statut de réfugié. En conséquence, elle permet seulement à son bénéficiaire de se voir délivrer un titre de séjour "vie privée et familiale" d'une durée d'un an alors que le réfugié se voit délivrer une carte de résident d'une durée de dix ans.
(2) Le statut de réfugié étant accordé, par voie de conséquence, la décision de la Cour nationale du droit d'asile octroyant la protection subsidiaire devient sans objet.
(3) L'on peut, néanmoins, citer certains cas marquants de rejet du statut de réfugié sur ce fondement comme celui de Jean-Claude Duvalier qui avait couvert de son autorité les graves violations des droits de l'Homme commises en Haïti pendant la période où il exerçait les fonctions de Président de la République (CE, 31 juillet 1992, n° 81963, Duvalier N° Lexbase : A7571ART), ou celui, plus récent, de la veuve du président rwandais Juvénal Habyarimana pour avoir été suspectée de complicité de génocide en jouant un rôle central au sein du premier cercle du pouvoir rwandais et en prenant part, à ce titre, à la préparation et à la planification du génocide (CE, 16 octobre 2009, n° 311793, Mme Agathe Kanziga, veuve Habyarimana N° Lexbase : A2341EMN).
(4) Cf. CE, Ass., 18 avril 1980, n° 13915, M. Mac Nair Melvin (N° Lexbase : A7501AIN). Il s'agit ici d'un refus d'octroi de la qualité de réfugié à un citoyen américain qui s'était rendu coupable d'un détournement d'avion, la circonstance que ce détournement avait un caractère politique ne saurait impliquer que les poursuites auxquelles ce crime expose ses auteurs soient constitutives d'une persécution du fait d'opinions politiques au sens des stipulations de la Convention de Genève.
(5) CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2005, n° 254882, Altun (N° Lexbase : A4973DLR).
(6) CNDA, 9 janvier 2003, n° 406014, Awobajo, Rapport annuel du Conseil d'Etat, 2003, p. 168-174.
(7) Cf., CNDA, 13 septembre 2005, n° 509227, T., où la clause d'exclusion ne s'applique pas à une ressortissante sri-lankaise qui s'est désolidarisée des Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul.
(8) Cf., CNDA, 28 janvier 2005, n° 448119, C., où la clause d'exclusion n'a pas été appliquée en raison d'un enrôlement de force en Sierra Léone.
(9) CNDA, 15 janvier 2009, n° 594649, R..
(10) CEDH, 21 décembre 2001, Req. 31465/96, Sen c/ Pays-Bas (N° Lexbase : A9035AXW), RFDA, 2002, p. 1103, AJDA, 2002, p. 505.
(11) CE, Ass., 11 juillet 1980, n° 16596, Ministre de l'Intérieur c/ Montcho (N° Lexbase : A8094AIM), Rec. CE, p. 315.
(12) Il est, ainsi, prévu que l'étranger et son conjoint doivent présenter la copie intégrale de leur acte de naissance, afin de mettre à même l'administration, en cas de mariages antérieurs, de vérifier qu'une situation de polygamie n'est pas susceptible d'être créée sur le territoire français. Lorsque l'étranger demandeur du regroupement familial est ressortissant d'un Etat reconnaissant la polygamie, il doit remplir une déclaration sur l'honneur certifiant que le regroupement familial ne créera pas une situation de polygamie et fournira, s'il y a lieu, le (ou les) acte(s) de divorce le concernant, ainsi que son conjoint afin de contrôler que la dissolution des liens matrimoniaux a été effective.
(13) CAA Bordeaux, 5ème ch., 4 juin 2007, n° 05BX02403, Mme Mina Ouchene, épouse Asrar (N° Lexbase : A8602DXU).
(14) En particulier les articles L. 313-11 (N° Lexbase : L6388IGP) et L. 314-5 (N° Lexbase : L1269HPP) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en ce qui concerne respectivement la carte de séjour temporaire et la carte de résident.
(15) CE 2° et 7° s-s-r., 2 oct. 2006, n° 288582, Ministre de l'Intérieur c/ Mme Kanoute, épouse Touré (N° Lexbase : A6895DRS).
(16) Si la cour a admis le caractère opérant du moyen, elle l'a, néanmoins, écarté sur le fond en estimant qu'il existe, dans ce pays, un dispositif assurant la prise en charge des soins pour les démunis et que le requérant ne faisait état d'aucune circonstance exceptionnelle tirée des particularités de sa situation personnelle qui l'empêcherait d'en bénéficier (CAA Paris, 15 décembre 2006, n° 06PA00482, Préfet de Police c/ M. Jahnoun N° Lexbase : A4384DTK).
(17) CAA Paris, 3 avril 2008, n° 07PA04394, Mme Diallo épouse Kallet Bialy (N° Lexbase : A4859D8H).
(18) A noter que le Conseil profite des cas d'espèce pour déterminer, d'une part, le mode de partage de la charge de la preuve en la matière, qui repose en partie sur les épaules de l'étranger qui doit prendre l'initiative d'alléguer l'inaccessibilité du traitement ou des éléments de sa situation personnelle, quitte à devoir lever le secret médical à l'égard des agents préfectoraux et, d'autre part, les critères pouvant être pris en compte par le préfet pour réaliser son appréciation, sous le contrôle du juge.
(19) CE, 31 janvier 2000, Préfet d'Ille et Vilaine c/ Farzouz (N° Lexbase : A1215B9U), Rec. CE, Tables, p. 1041.
(20) CE 2° et 7° s-s-r., 30 avril 2004, n° 252135, Préfet de Police c/ Aich (N° Lexbase : A0274DC7), Rec. CE, Tables, p. 725.
(21) CAA Paris, 2 décembre 2008, n° 08PA01692, Préfet de Police (N° Lexbase : A1286EXW).
(22) CAA Paris, 2 décembre 2008, n° 08PA02263, M. Shahin Miah (N° Lexbase : A1287EXX).
(23) CE 2° et 7° s-s-r., 13 février 2008, n° 297518, Ministre de l'Intérieur c/ M. Ben Jilani Antir (N° Lexbase : A9143D4E).
(24) CAA Lyon, 2ème ch., 27 mai 2009, n° 08LY01375, Mme Djida Hocini (N° Lexbase : A1787EKE).
(25) CE, 28 septembre 2005, n° 258262, Préfet de police c/ Mme Ngami (N° Lexbase : A6052DKD).
(26) CE, 28 décembre 2005, n° 275880, Préfet de Police c/ Gnali (N° Lexbase : A1976DM7).
(27) CEDH, 27 mai 2008, Req. 26565/05, N. c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A7403D8P), RTD, 2009, p. 261, note J. Laferrière ; voir, dans le même sens, CEDH, 15 novembre 2001, Req. 47531/99, Karagoz c/ Turquie (N° Lexbase : A1275EXI), ou encore CEDH, 29 juin 2004, Req. 7702/04, Salkic c/ Suède (N° Lexbase : A1276EXK).
(28) Cf. l'opinion dissidente des juges Tulkens, Bonello et Speilmann sous CEDH, 27 mai 2008, Req. 26565/05, N. c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A7403D8P), où la Cour a eu peur qu'une solution différente ouvre "les vannes de l'immigration médicale et risque [...] de faire de l'Europe l'infirmerie du monde" (§ 8).
(29) Comme le souligne le rapporteur, en termes statistiques, les effets de cette évolution devraient être limités compte tenu des effectifs susceptibles d'être concernés.
(30) Cf. note 28.

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Rel. individuelles de travail

[Le point sur...] La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2009 à la lumière du Rapport de la Cour de cassation : relations individuelles de travail

Réf. : Rapport 2009 de la Cour de cassation

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N0781BPM

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Le 07 Octobre 2010

Remis officiellement au Garde des Sceaux le 29 mars 2010, la Cour de cassation rendait public, le 15 avril, son traditionnel Rapport annuel. Outre les non moins classiques suggestions de modifications législatives ou réglementaires, l'analyse des principaux arrêts et avis rendus au cours de l'année écoulée dans toutes les branches du droit, le Rapport des juges du Quai de l'Horloge met, cette année, l'accent sur les personnes vulnérables (droits de l'enfant, majeurs protégés, maintien en rétention des étrangers, protection des particuliers surendettés, accès à la justice des personnes aux ressources insuffisantes...), autour d'une étude réalisée par des magistrats de la Cour de cassation sur le thème, oeuvre collective orchestrée par le Professeur Xavier Lagarde. Concernant plus spécifiquement le droit du travail, le Rapport s'intéresse ainsi à l'accès à l'emploi des personnes vulnérables en raison de l'âge ou de l'état de santé et au maintien dans l'emploi des salariés âgés et malades, inaptes ou handicapés, avant de s'attarder sur les régimes juridiques du contrat de travail intégrant à des degrés divers des facteurs de précarité et ceux qui comportent des éléments qui atténuent ou neutralisent ces facteurs de précarité ; pour terminer, enfin, sur les salariés protégés (vulnérabilité des salariés qui demandent la mise en place d'élections professionnelles et des salariés candidats à des fonctions représentatives ; vulnérabilité des salariés qui exercent un mandat représentatif) et sur les contours de la vulnérabilité du stagiaire en entreprise. Le Rapport présente également, pour l'année 2009, l'activité de la Cour de cassation et des juridictions et commissions instituées auprès d'elle.
A la suite de cette récente diffusion, Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose, cette semaine, un numéro spécial consacré au Rapport 2009 et vous invite à retrouver les commentaires des éclairages apportés par la Haute juridiction sur les arrêts ayant marqué le droit social l'année dernière. Une série de plusieurs articles vous est donc proposée, rédigés par notre collège d'auteurs, Christophe Radé, Christophe Willmann, Gilles Auzero et Sébastien Tournaux, balayant la jurisprudence sociale, tant en matière de relations individuelles de travail, qu'en matière de relations collectives de travail ou, encore, de Sécurité sociale.
  • Restriction aux libertés individuelles/Domicile personnel du salarié

- Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-43.282, Association Sauvegarde 71, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3513EC4) (1)

Si l'usage fait par le salarié de son domicile relève de sa vie privée, des restrictions sont susceptibles de lui être apportées par l'employeur, à condition qu'elles soient justifiées par la nature du travail à accomplir et qu'elles soient proportionnées au but recherché.

Le juge ne peut annuler la sanction disciplinaire infligée à un salarié qui enfreint la clause d'un règlement intérieur faisant interdiction aux salariés de recevoir à leur domicile des mineurs placés dans l'établissement au sein duquel ils travaillent, dès lors que, s'agissant d'un établissement spécialisé dans l'accueil des mineurs en difficulté, l'interdiction faite aux membres du personnel éducatif de recevoir à leur domicile des mineurs placés dans l'établissement est une sujétion professionnelle pouvant figurer dans le règlement intérieur et que cette restriction à la liberté du salarié, justifiée par la nature du travail à accomplir et proportionnée au but recherché, est légitime.

Dès lors qu'un acte juridique ou qu'un comportement de l'employeur porte atteinte à un droit ou à une liberté individuelle ou collective d'un salarié, l'employeur doit justifier de la nécessité de cette atteinte et de son caractère proportionné au but recherché.

Dans cette affaire, ce double principe était appliqué à la clause du règlement intérieur d'une association gérant un foyer pour jeunes en difficultés, qui interdisait aux éducateurs de recevoir à leur domicile les pensionnaires de l'établissement, et sur la base de laquelle un salarié avait été sanctionné disciplinairement pour avoir enfreint le règlement.

La validation de ces dispositions s'imposait logiquement compte tenu des risques, tant pour les jeunes que pour les éducateurs, d'une confusion des genres entre les sphères professionnelles et personnelles.

Le Rapport annuel fournit de manière très opportune des éléments pour anticiper sur d'autres applications de cette jurisprudence, puisqu'il est indiqué que "d'autres cas de figure peuvent être envisagés, ainsi :
- de l'accès aux logements de fonctions situés dans des enceintes sécurisées ;
- du travail à domicile, où l'accomplissement de la tâche peut obliger à des conditions particulières d'espace, d'installation d'équipements, de puissance électrique, de propreté, d'aération, de confidentialité, etc. ;
- du télétravail, où l'usage du poste informatique peut être limité au seul salarié et prohibé pour les autres occupants, avec une connexion sécurisée".

Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

  • Droits et obligations des parties au contrat de travail

- Cass. soc., 11 février 2009, n° 07-42.068, M. Mohamed Boughezal, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1262ED4) (2)

L'employeur ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, ouvrir les sacs appartenant aux salariés pour en vérifier le contenu qu'avec leur accord et à la condition de les avoir avertis de leur droit de s'y opposer et d'exiger la présence d'un témoin.

Dans cette affaire, était en cause un salarié soupçonné de vol qui reprochait à son employeur d'avoir fait procéder à la fouille de ses effets personnels à la fin de sa journée de travail. Constatant que le salarié avait bien soustrait des biens de l'entreprise, l'employeur prononça un licenciement pour faute grave. Alors que les juges du fond avaient validé ce raisonnement, la Chambre sociale de la Cour de cassation cassa l'arrêt d'appel au visa des articles 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) et L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P). Après avoir rappelé la règle issue de l'article L. 1121-1 du Code du travail, la Cour jugea que l'employeur "ne peut, ainsi, sauf circonstances exceptionnelles, ouvrir les sacs appartenant aux salariés pour en vérifier le contenu qu'avec leur accord et à la condition de les avoir avertis de leur droit de s'y opposer et d'exiger la présence d'un témoin".

Le Rapport de la Cour de cassation reprend cet arrêt et l'analyse comme ajoutant "une condition supplémentaire à sa jurisprudence qui exigeait que la fouille du sac à main ait été faite avec l'autorisation du salarié concerné". L'ajout de cette condition est justifié par le rapport par analogie avec la jurisprudence administrative qui exige qu'une telle condition soit remplie pour que l'administration puisse procéder à la fouille des effets personnels d'un agent public (3).

Répétons-le, la solution n'est pas contestable. En effet, on peut légitimement penser que le salarié ne bénéficie pas d'un véritable droit de refuser la fouille s'il n'est pas au préalable informé de la possibilité de refuser la fouille. En revanche, on peut faire observer que le Rapport n'avait peut être pas besoin d'aller chercher dans la jurisprudence administrative le fondement d'une telle solution. En effet, contrairement à ce que laisse penser le rapport, cette condition n'a pas été ajoutée par l'arrêt sous examen. Elle avait déjà été affirmée dans un arrêt qui, même s'il était demeuré inédit, prévoyait clairement l'exigence que le salarié ait été informé de son droit de refuser la fouille pour que le résultat de cette fouille puisse être utilisé au soutien d'une procédure de licenciement disciplinaire (4).

Outre cette redondance, on pourra reprocher au Rapport de demeurer silencieux sur quelques lancinantes questions suscitées par l'arrêt exposé. En effet, aucune précision n'est apportée sur la preuve de la délivrance de l'information au salarié, sur la qualité du témoin pouvant être fourni au salarié et, plus encore, sur les circonstances exceptionnelles permettant à l'employeur de passer outre l'obligation d'information qui lui est habituellement imposée. Finalement, le Rapport laisse au sujet de cet arrêt un sentiment de déception et d'inachevé.

Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Harcèlement/Harcèlement moral

- Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, M. Bennasser Boulmane, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH) (5)

Le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation précise que l'interdiction faite à l'employeur de licencier un salarié qui relate des faits de harcèlement s'applique y compris si ces faits ne sont pas établis, pour autant que le salarié est de bonne foi.

Le Rapport annuel insiste lourdement sur le fondement de cette protection et rappelle qu'elle s'insère dans un cadre plus large "qui tend à protéger le droit d'expression des salariés, lorsque celui-ci est exercé aux dépens d'autres salariés ou de supérieurs hiérarchiques, mais pour la défense d'un intérêt public. C'est ainsi que le droit communautaire prévoit une protection contre les mesures de rétorsion que pourrait prendre l'employeur en réaction à une plainte ou une action en justice visant à faire respecter le principe d'égalité de traitement (Directive 76/207/CE du 9 février 1976, art. 7 N° Lexbase : L9232AUH ; Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000, art. 9 N° Lexbase : L8030AUX ; Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, art. 11 N° Lexbase : L3822AU4), et que le législateur français a prévu la protection du salarié révélant des mauvais traitements dans les établissements sanitaires (C. act. soc. fam., art. L. 313-24 N° Lexbase : L5632HDX ; Cass. soc., 30 octobre 2007, n° 06-44.757, F-P N° Lexbase : A2462DZ9), des agissements de harcèlement sexuel (C. trav., art. L. 1153-2 N° Lexbase : L0738H99 et L. 1153-3 N° Lexbase : L0740H9B) ou des faits de corruption (C. trav., art. L. 1161-1 N° Lexbase : L0763H97)".

Le Rapport met également cette protection avec la prévention du stress et de la souffrance au travail.

Quant à la protection accordée au salarié qui se trompe de bonne foi, le Rapport souligne qu'il s'agit bien d'une application anticipée de "l'article 3 de la loi n° 2008-496, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39) (6) ", et d'une solution "adoptée expressément par le législateur en matière de dénonciation de faits de corruption (C. trav., art. L. 1161-1)".

On pourra regretter que la Cour ne livre aucune définition ni aucun critère de la bonne foi du salarié, même si cette caractérisation relève a priori du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

- Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-44.482, Mme Marie-Jeanne Tréboscen, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5748EIQ) (7)

Si, par application de l'article L. 1152-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0730H9W), l'employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge d'ordonner la modification ou la rupture du contrat de travail du salarié auquel sont imputés de tels agissements, à la demande d'autres salariés, tiers à ce contrat.

Par cet important arrêt rendu le 1er juillet 2009, la Chambre sociale précisait que, si, par application de l'article L. 1152-4 du Code du travail, l'employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge d'ordonner la modification ou la rupture du contrat de travail du salarié auquel sont imputés de tels agissements, à la demande d'autres salariés, tiers à ce contrat.

En l'espèce, deux salariés subissaient un harcèlement moral de la part de la directrice de leur établissement. Usant de la procédure de référé au fond de l'article L. 2313-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2550H9C), les salariées demandaient la réparation du préjudice subi du fait du harcèlement, mais réclamaient également que la directrice soit "écartée de ses fonctions". Toute mesure visant à écarter la directrice de ses fonctions passait donc nécessairement, au mieux par une modification de son contrat de travail, au pire par un licenciement.

La cour d'appel saisie du litige débouta les salariées de cette seconde demande et le pourvoi formé fut également rejeté par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Revenant sur cet arrêt, le Rapport appuie principalement que "c'est essentiellement sur le terrain du droit des obligations que se situe l'arrêt". Les salariées harcelées, pas plus que le juge, ne sont parties au contrat de travail de la directrice si bien qu'à défaut d'exercice d'une action oblique -si tant est que les conditions en soient réunies- personne d'autre que l'employeur n'est apte à écarter la directrice de ses fonctions.

Le Rapport ajoute un élément d'argumentation qui ne figurait pas dans l'arrêt exposé. En effet, pour la Cour de cassation, outre les exigences du droit des obligations, ce sont également les exigences de la Convention n° 158 de l'OIT qui gouvernent cette solution. Cette convention offre au salarié un droit à un recours effectif contre son licenciement. Or, si le contrat de travail de la directrice était rompu par le juge, à la demande des salariées harcelées, la directrice ne disposerait pas d'un véritable recours contre son employeur qui demeurerait étranger à la rupture du contrat.

Enfin, le Rapport comme le commentaire publié dans ces colonnes invoquent le pouvoir de direction de l'employeur, seul à même de prendre des mesures contre la directrice.

Il n'en demeure pas moins qu'un argument contraire au moins aurait pu être invoqué au soutien de la demande des salariées. En effet, la procédure de référé au fond permet au juge d'"ordonner toutes mesures propres à faire cesser" l'atteinte aux droits des personnes, à la santé des salariés, à ses libertés individuelles dans l'entreprise. Cette disposition semblait donc offrir au juge des facultés d'actions plus vastes que celles qui lui sont reconnues in fine par la Cour.

Reste que, face au désarroi des salariées victimes d'un tel harcèlement et qui peuvent demeurer dans une situation de contact quotidien avec leur tortionnaire, le Rapport souffle une proposition aux futurs plaideurs sur cette question. Le Rapport dispose, en effet, que "les salariées harcelées auraient été mieux inspirées de demander à ce qu'il soit ordonné à l'employeur de prendre toute mesure propre à faire cesser les faits de harcèlement en assortissant la décision d'une astreinte tant qu'ils n'auraient pris fin. L'employeur aurait alors eu le choix des mesures appropriées, mesures qui peuvent être variées et inclure un licenciement mais qui n'aurait pas alors été imposé par un juge à la demande d'un tiers au contrat de travail". Autrement dit, si le juge ne peut imposer à l'employeur d'adopter telle ou telle mesure spécifique, il est apte à lui imposer de prendre toute mesure utile de son choix pour faire cesser le harcèlement. En d'autres termes, la Cour de cassation fait une application renouvelée de la théorie de l'employeur seul juge, justifiée il est vrai tant par le droit des obligations que par le droit international.

Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

- Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.497, Mme Emilienne Moret, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7558ENA) (8)

Le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.

Dans cette affaire, une salariée avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail fondée sur des faits de harcèlement moral dont elle prétendait avoir été la victime. Elle avait été déboutée par les juges d'appel qui estimaient que les faits litigieux "s'inscriv[ai]ent dans l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur, tant qu'il n'[était] pas démontré par la salariée qu'ils relev[ai]ent d'une démarche gratuite, inutile et réfléchie destinée à l'atteindre et permettant de présumer l'existence d'un harcèlement".

Cassant cette décision, la Chambre sociale avait précisé que "le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel". Comme le relevait malicieusement le Professeur Ch. Radé, "le harcèlement par bêtise [est] logiquement sanctionné au même titre que la méchanceté", ce qui pouvait être jugé conforme aussi bien au texte qu'à l'intérêt des victimes de harcèlement (9).

Le Rapport analyse cette solution comme "une étape supplémentaire [du] processus de clarification" engagé par la Chambre sociale lors de la reprise en main du contrôle de la qualification de harcèlement moral (10), mais n'apporte guère d'autre élément de justification de la solution.

Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

- Cass. soc., 9 décembre 2009, n° 07-45.521, Société Qualiconsult, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4362EPA)

Ne peut s'analyser en agissements répétés constitutifs de harcèlement moral, une décision de l'employeur de rétrograder un salarié, peu important que, répondant aux protestations réitérées de celui-ci, il ait maintenu par divers actes sa décision.

Un employeur ayant rétrogradé unilatéralement une attachée commerciale dans l'emploi de secrétaire, avec baisse de la rémunération et perte des avantages liés à la fonction, avait rejeté les différentes demandes de l'intéressée et de l'inspecteur du travail tendant au retrait de cette décision. Pour considérer que le comportement de l'employeur entrait dans les prévisions du texte précité, la cour d'appel avait retenu que la persistance de l'employeur à maintenir cette mesure arbitraire en faisant état, pendant quatre mois consécutifs, de la qualification litigieuse et de la rémunération correspondante sur les bulletins de salaire, caractérisait des actes répétés de harcèlement moral ayant contribué à la dégradation de l'état de santé fragile de la salariée.

La Chambre sociale de la Cour de cassation cassait cette décision au visa de l'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P) : au vu de la définition du harcèlement moral, ne peut s'analyser en agissements répétés constitutifs de harcèlement moral, une décision de l'employeur de rétrograder un salarié, peu important que, répondant aux protestations réitérées de celui-ci, il ait maintenu par divers actes sa décision.

Analysée comme participant à la délimitation engagée par la Chambre sociale de la notion de harcèlement moral, cette définition semble néanmoins faire difficulté aux rédacteurs du Rapport annuel. En effet, si l'article L. 1152-1 du Code du travail implique l'exigence d'agissements répétés de l'employeur, cette exigence n'est pas de mise lorsque le harcèlement relève des dispositions de l'article premier, alinéa 4, de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Ce dernier texte envisage, en effet, "tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant".

Faudra-t-il, à l'avenir, exiger des agissements répétés de l'employeur ou se contenter de "tout agissement" comme le prescrit la loi du 27 mai 2008. A cette question, le Rapport n'apporte aucune réponse et laisse même percevoir la perplexité de la Chambre sociale de la Cour de cassation en énonçant qu'"il appartiendra à la Cour de cassation d'articuler les deux régimes coexistants". Nul doute qu'une réponse sera apportée en tenant scrupuleusement compte de la politique jurisprudentielle actuelle visant à lutter avec la plus grande énergie contre toute forme de harcèlement dans les entreprises !

Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Harcèlement par un autre salarié/pouvoirs du juge

- Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-44.482, Mme Marie-Jeanne Tréboscen, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5748EIQ) (11)

Si, par application de l'article L. 1152-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0730H9W), l'employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge d'ordonner la modification ou la rupture du contrat de travail du salarié auquel sont imputés de tels agissements, à la demande d'autres salariés, tiers à ce contrat.

La Cour de cassation considère, à juste titre, dans cet arrêt, que le juge n'a pas le pouvoir de s'immiscer dans les conventions passées entre salariés et employeurs pour contraindre ce dernier à licencier le salarié harceleur ("le juge n'est pas et ne doit pas être investi d'un pouvoir disciplinaire à l'encontre des salariés. S'il peut être appelé à contrôler l'usage qu'en fait l'employeur, il n'a pas le pouvoir de se substituer à ce dernier").

Dans le Rapport annuel, la Haute juridiction justifie cette solution à la fois par des arguments de procédure ("la directrice n'ayant pas été appelée en la cause, le caractère contradictoire de la procédure faisait défaut et [...] on pouvait douter de l'effectivité du recours dont l'intéressée aurait disposé en cas de licenciement, ceci en violation de la Convention n° 158 de l'OIT"), et par l'application des principes qui gouvernent le droit des obligations : "mais c'est essentiellement sur le terrain du droit des obligations que se situe l'arrêt. Il n'admet pas qu'à la demande d'un tiers qui ne se prévaut d'aucun droit à une action oblique (et un salarié pourrait-il rompre le contrat d'un autre aux lieu et place de l'employeur ?), un juge puisse ordonner, contre la volonté des parties, la modification ou la rupture d'un contrat pour le motif qu'il est mal exécuté. Les salariées harcelées auraient été mieux inspirées de demander à ce qu'il soit ordonné à l'employeur de prendre toute mesure propre à faire cesser les faits de harcèlement en assortissant la décision d'une astreinte tant qu'ils n'auraient pris fin. L'employeur aurait alors eu le choix des mesures appropriées, mesures qui peuvent être variées et inclure un licenciement mais qui n'aurait pas alors été imposé par un juge à la demande d'un tiers au contrat de travail. C'est d'ailleurs, d'une certaine façon, ce qu'avait fait le juge du fond qui, dans les limites de sa saisine, n'avait pu que renvoyer l'employeur à ses obligations tirées de l'article L. 1152-4 du Code du travail".

Reste qu'on peut toujours s'interroger sur l'efficacité de la politique jurisprudentielle menée par la Cour et sur l'effectivité de l'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l'employeur dès lors que ce dernier ne peut pas être contraint de licencier le harceleur.

Il convient, toutefois, de noter qu'en réalité, si la solution interdit au juge de contraindre l'employeur à licencier, elle n'exclut pas que cette circonstance puisse être sanctionnée autrement ; un employeur qui ne licencierait pas le coupable s'exposerait, en effet, non seulement à une prise d'acte de la rupture du contrat de travail, à ses torts (laquelle pourrait en toute hypothèse être justifiée par le harcèlement ou la discrimination, et ce même s'il a pris les mesures pour y mettre un terme : Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-44.019, FP-P+B+R N° Lexbase : A6087ERU), mais également à la mis en cause de sa responsabilité civile pour faute, voire à une qualification de faute inexcusable si la qualification d'accident du travail, ou de maladie professionnelle, venait à être retenue.

Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

  • Emploi et formation

- Cass. soc., 4 juin 2009, n° 08-41.359, M. P c/ Crédit agricole mutuel CRCAM de Paris et d'Ile-de-France, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6421EHB) (12)

Est déraisonnable, au regard de la finalité de la période d'essai et de l'exclusion des règles du licenciement durant cette période, la durée d'un an du stage prévu par la Convention collective nationale du Crédit agricole pour les agents de la classe III engagés par contrat à durée indéterminée.

Le Rapport annuel de la Cour de cassation revient rapidement sur l'arrêt rendu le 4 juin 2009 au sujet du caractère raisonnable de la durée d'une période d'essai. Dans cette affaire, la Chambre sociale avait jugé que n'est pas raisonnable "au regard de la finalité de la période d'essai et de l'exclusion des règles du licenciement durant cette période, la durée d'un an du stage prévu par la Convention collective nationale du Crédit agricole pour les agents de la classe III engagés par contrat à durée indéterminée".

Cette solution avait été adoptée au visa de la convention collective en cause mais, surtout, de la Convention n° 158 de l'OIT qui exclut "de la protection prévue par celle-ci les travailleurs effectuant une période d'essai, à condition que la durée de cette période soit fixée à l'avance et qu'elle soit raisonnable".

Le Rapport rappelle que ce n'est pas la première fois qu'une disposition de la Convention n° 158 est jugée directement applicable en droit interne et permet d'écarter l'application d'une loi ou d'une convention collective. On se souviendra, ainsi, que ses dispositions avaient été jugées directement applicables tant par la Cour de cassation elle-même (13) que par le Conseil d'Etat (14).

Si le Rapport n'apporte donc rien à l'arrêt lui-même, on peut même aller jusqu'à regretter qu'il ne se prononce pas sur la position de la Cour de cassation au regard de l'ensemble de la Convention n° 158. En effet, comme nous l'avions fait remarquer, la motivation de l'arrêt laissait penser que la Chambre sociale considérait désormais l'ensemble de la Convention n° 158 comme étant self-executing. Le rapport n'apporte aucun élément supplémentaire quant à cette interprétation. Malgré tout, les conditions pour que l'ensemble de la convention soit d'applicabilité directe demeurent réunies. En effet, ce texte comporte bien des règles à l'intention des citoyens et non seulement des Etats. En outre, les dispositions de la convention sont claires et leur normativité ne fait aucun doute. Par conséquent, nonobstant le silence du rapport, il convient de maintenir l'opinion selon laquelle, désormais, c'est bien l'ensemble de la convention qui est d'applicabilité directe.

Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Discrimination/Discrimination en raison du prénom

- Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-42.286, M. Mohamed Abdoulattuf, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1902ENR) (15)

Le fait de demander au salarié de changer son prénom de Mohamed pour celui de Laurent est de nature à constituer une discrimination à raison de son origine. La circonstance que plusieurs salariés portaient le prénom de Mohamed n'est pas de nature à caractériser l'existence d'un élément objectif susceptible de la justifier.

La Cour de cassation a considéré, dans cette affaire, qu'il pouvait sembler discriminatoire de demander à un salarié, prénommé Mohamed, de changer de prénom dans l'entreprise pour éviter des homonomies.

L'arrêt semblait pleinement justifié car l'employeur n'avait pas à appeler les salariés par leur prénom et n'avait qu'à les appeler par leur nom de famille pour éviter les confusions. C'est à cette conclusion de bon sens qu'aboutit également le Rapport annuel : "la nécessité d'éviter des confusions avec les autres salariés portant le même prénom pouvait conduire à user des noms patronymiques, de solliciter l'usage d'un second prénom, voire de proposer un surnom, mais ne pouvait justifier le changement d'un prénom comme Mohamed par celui de Laurent, le salarié prétendant qu'il lui avait été dit qu'il convenait qu'il adopte un prénom convenant 'au type de clientèle fréquentant l'établissement, en l'occurrence la bourgeoisie marseillaise'".

Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

  • Règlement intérieur, Alerte professionnelle

- Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3615EPL) (16)

Le régime simplifié d'autorisation unique défini par la Cnil, dans sa délibération du 8 décembre 2005, dispense les responsables de traitement automatisé de données à caractère personnel du régime normal de l'autorisation lorsque le traitement mis en oeuvre répond à une obligation législative ou réglementaire visant à l'établissement de procédures de contrôle interne dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption. Aussi, un dispositif d'alerte professionnelle ne peut avoir une autre finalité que celle définie à l'article 1er de la délibération de la Cnil du 8 décembre 2005, que les dispositions de l'article 3 n'ont pas pour objet de modifier.

Les mesures d'information prévues par la loi du 6 janvier 1978 (N° Lexbase : L8794AGS) reprises par la décision d'autorisation unique de la Cnil pour assurer la protection des droits des personnes concernées doivent être énoncées dans l'acte instituant la procédure d'alerte. Le dispositif d'alerte professionnelle de la société Dassault systèmes ne prévoyait aucune mesure d'information et de protection des personnes répondant aux exigences de la loi du 6 janvier 1978 et de la délibération du 8 décembre 2005 portant autorisation unique.

En 2004 et 2007, la société Dassault systèmes avait élaboré un code de conduite des affaires, définissant les règles applicables à la diffusion des informations confidentielles et des informations à usage interne dont les salariés peuvent avoir connaissance dans le cadre de leur contrat de travail. Il organisait un système d'alerte professionnelle. La version de 2007 de ce code a fait l'objet, le 30 mai 2007, d'un engagement de conformité à l'autorisation unique n° 2005 305 du 8 décembre 2005 prise en application de l'article 25-II de la loi "Informatique et liberté" du 6 janvier 1978. Estimant que son contenu portait atteinte aux libertés fondamentales des salariés et que le dispositif d'alerte n'était pas conforme à cette autorisation unique et aurait dû faire l'objet d'une autorisation en application de l'article 25-I de la loi du 6 janvier 1978, la fédération des travailleurs de la métallurgie CGT a saisi le tribunal de grande instance d'une demande d'annulation de ce code de bonne conduite.

La cour d'appel de Versailles a déclaré licites les dispositions du code de conduite des affaires version 2007 (CA Versailles, 1ère ch., sect. 1, 17 avril 2008, n° 07/08624, SA Dassault systèmes c/ Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT N° Lexbase : A3686EB7). Ce dispositif est conforme au régime simplifié d'autorisation unique défini par la Cnil (délibération du 8 décembre 2005), dispensant les responsables de traitement automatisé de données à caractère personnel du régime normal de l'autorisation lorsque le traitement mis en oeuvre répond à une obligation législative ou réglementaire visant à l'établissement de procédures de contrôle interne dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption (art. 1). De plus, dans la mesure où la déclaration du système d'alerte a été faite auprès de la Cnil, l'employeur n'était pas tenu de rappeler dans le paragraphe concerné du code de conduite les dix articles de la délibération du 8 décembre 2005 (notamment ses articles 9 et 10 concernant l'information de la personne faisant l'objet de l'alerte professionnelle et le respect des droits d'accès et de rectification).

La Cour de cassation annule l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles, sur le fondement de l'article 25 de la loi du 6 janvier 1978 et des articles 1 et 3 de la délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005 de la Cnil.

En effet, le régime simplifié d'autorisation unique défini par la Cnil (délibération du 8 déc. 2005) dispense les responsables de traitement automatisé de données à caractère personnel du régime normal de l'autorisation lorsque le traitement mis en oeuvre répond à une obligation législative ou réglementaire visant à l'établissement de procédures de contrôle interne dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption (art. 1). Aussi, un dispositif d'alerte professionnelle ne peut avoir une autre finalité que celle définie à l'article 1er de la délibération de la Cnil du 8 décembre 2005, que les dispositions de l'article 3 n'ont pas pour objet de modifier.

Enfin, les mesures d'information prévues par la loi du 6 janvier 1978 reprises par la décision d'autorisation unique de la Cnil pour assurer la protection des droits des personnes concernées doivent être énoncées dans l'acte instituant la procédure d'alerte. Le dispositif d'alerte professionnelle de la société Dassault systèmes ne prévoyait aucune mesure d'information et de protection des personnes répondant aux exigences de la loi du 6 janvier 1978 et de la délibération du 8 décembre 2005 portant autorisation unique.

Christophe Willmann, Professeur à l'université de Rouen et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit de la Sécurité sociale"

  • NTIC

- Cass. soc., 15 décembre 2009, n° 07-44.264, M. Bruno Buzon, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7092EPD) (17)

Les fichiers créés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels. N'ont pas un caractère personnel et peuvent être ouverts en l'absence du salarié des fichiers intitulés "essai divers", "essais divers B" et "essais divers restaurés".

Les correspondances adressées au président de la Chambre des notaires, à la caisse de retraite et de prévoyance et à l'Urssaf pour dénoncer le comportement de l'employeur dans la gestion de l'étude ne revêtent pas un caractère privé et peuvent être retenues au soutien d'une procédure disciplinaire.

Le salarié qui jette le discrédit sur l'étude en des termes excessifs et injurieux manque à ses obligations dans des conditions outrepassant sa liberté d'expression et qui justifient la rupture immédiate du contrat de travail.

"Cet arrêt fait la somme de la jurisprudence rendue en matière de TIC (technologies de l'information et de la communication) et de vie privée au travail ces dernières années". Cette présentation de l'arrêt rendu par la Chambre sociale le 15 décembre 2009 correspond parfaitement à l'idée de "synthèse" qui avait été présentée dans ces colonnes à l'occasion de son commentaire.

Le Rapport rappelle, d'abord, la jurisprudence de la Chambre sociale par application de laquelle les fichiers créés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, si bien que l'employeur peut y avoir accès hors de sa présence, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels (18). Il reprend, ensuite, la règle selon laquelle l'identification comme document personnel d'un fichier doit résulter de son intitulé et non de son contenu, ainsi qu'elle a déjà été amenée à le juger dans un précédent arrêt (19). Enfin, le Rapport réaffirme l'attachement de la Cour de cassation à la liberté d'expression du salarié, liberté qui ne doit, cependant, pas dégénérer en abus, ce qui est le cas lorsque le salarié tient des propos "injurieux, diffamatoires ou excessifs" (20).

Le Rapport n'aurait alors sur ce point d'autre intérêt que de faire la "synthèse de la synthèse" si la conclusion des propos de la Cour de cassation n'avait pas comporté une phrase relativement étonnante. En effet, le Rapport dispose que, "par cet arrêt, la Chambre sociale, s'inspirant de la position du législateur qui, comme le montre la terminologie prudente et équilibrée de l'article L. 1121-1 du Code du travail, a cherché à concilier la nécessaire protection des droits du salarié et les tout aussi légitimes intérêts de l'entreprise, a donc maintenu sa perception raisonnable de la question des libertés dans l'entreprise".

La lettre de l'article L. 1121-1 du Code du travail ne fait aucunement référence à l'intérêt de l'entreprise même si, il est vrai, il est parfois considéré par la doctrine que ce texte met en balance les droits et libertés fondamentales du salarié avec l'intérêt de l'entreprise. Au contraire, on peut penser que le caractère justifié par la nature des tâches à accomplir exigé par le texte se réfère autant à l'intérêt de l'entreprise qu'aux fonctions mêmes du salarié. De la même manière, le caractère proportionné au but poursuivi ne permet pas de justifier une atteinte à une liberté par la préservation de l'intérêt de l'entreprise, mais seulement de mesurer si l'atteinte portée n'est pas excessive. Dans ces conditions, il était possible de douter, jusqu'à aujourd'hui, que l'article L. 1121-1 du Code du travail comporte une véritable conciliation entre les droits et libertés fondamentaux du salarié, d'une part, et les "tout aussi légitimes intérêts de l'entreprise" (sic), d'autre part. L'interprétation jurisprudentielle rejoignant ici l'interprétation doctrinale, il conviendra de prendre acte que, désormais, l'intérêt de l'entreprise est placé au même niveau par le juge que les "droits des personnes" et les "libertés individuelles et collectives" des salariés...

Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV


(1) Lire nos obs., Le règlement intérieur peut restreindre la liberté d'usage du domicile du salarié pour protéger les pensionnaires hébergés par son employeur, Lexbase Hebdo n° 335 du 29 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3656BIA).
(2) Lire nos obs., La protection accrue du salarié contre la fouille de ses effets personnels, Lexbase Hebdo n° 339 du 27 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5751BIT).
(3) CE, 19 juin 1989, n° 78231, Latécoère (N° Lexbase : A3448AQR) ; CE, 11 juillet 1990, n° 86022, Griffine-Maréchal, publié (N° Lexbase : A5656AQK) ; CE, 26 novembre 1990, n° 96565, Vinycuir (N° Lexbase : A8597AQH).
(4) Cass. soc., 8 mars 2005, n° 02-47.123, Société Laboratoires Clarins c/ Mme Déolinda Siadkowski, F-D (N° Lexbase : A2534DHC).
(5) Lire nos obs., Nullité du licenciement du salarié qui se trompe de bonne foi en dénonçant des faits non avérés de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 343 du 26 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9827BIS).
(6) Lire nos obs., La nouvelle approche des discriminations en droit du travail, Lexbase Hebdo n° 309 du 19 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3609BGR).
(7) Lire nos obs., Les limites du pouvoir de sanction du juge en cas de harcèlement moral, Lexbase Hebdo n° 359 du 17 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0000BLL).
(8) Lire les obs. de Ch. Radé, Le harcèlement moral n'est pas nécessairement intentionnel, Lexbase Hebdo n° 375 du 11 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5940BMX).
(9) Ch. Radé, Le harcèlement moral n'est pas nécessairement intentionnel, préc..
(10) Cass. soc., 24 septembre 2008, 6 arrêts, n° 06-46.517 (N° Lexbase : A4541EAG), n° 06-45.747 (N° Lexbase : A4540EAE), n° 06-45.579 (N° Lexbase : A4539EAD), n° 06-43.504 (N° Lexbase : A4538EAC), n° 06-46.179 (N° Lexbase : A4854EAZ) et n° 06-43.529 (N° Lexbase : A4841EAK) et nos obs., Principe 'à travail égal, salaire égal', égalité de traitement, non-discrimination et harcèlement : la Cour de cassation reprend la main, Lexbase Hebdo n° 321 du 8 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3848BHY).
(11) Lire les obs. de S. Tournaux, Les limites du pouvoir de sanction du juge en cas de harcèlement moral, Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0000BLL).
(12) Lire nos obs., Un an d'essai, une durée déraisonnable, Lexbase Hebdo n° 355 19 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6555BKY.
(13) Cass. soc., 29 mars 2006, n° 04-46.499, Société Euromédia Télévision c/ M. Christophe Peter, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8311DN7) et les obs. de N. Mingant, Le droit français du délai-congé à l'épreuve de la convention internationale du travail relative au licenciement, Lexbase Hebdo n° 212 du 26 avril 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N7427AKB), RJS, 2006, p. 397, n° 561 ; Dr. soc., 2006, p. 636, avis J. Duplat ; JCP éd. S, 2006, p. 1427, note R. Vatinet ; D., 2006, p. 2228, note L. Perrin.
(14) CE Contentieux, 19 octobre 2005, n° 283471, CGT et autres ([LXB=A9977DK]), D., 2006, Jur. p. 629, note G. Borenfreund ; JCP éd. E, 2005, II, 1652, note P. Morvan ; JCP éd. S, 2005, 1317, concl. C. Devys, note R. Vatinet ; SSL, 7 janvier 2006, n° 1243, p. 5, chr. P. Rodière.
(15) Lire les obs. de Ch. Willmann, De la modification du prénom comme pratique discriminatoire, Lexbase Hebdo n° 373 du 26 novembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4725BMX).
(16) Lire nos obs., Alerte professionnelle : un code d'entreprise doit être conforme à la loi du 6 janvier 1978, Lexbase Hebdo n° 376 du 18 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7165BMC).
(17) Lire nos obs., Consultation des fichiers informatiques du salarié et liberté d'expression : synthèse, Lexbase Hebdo n° 378 du 15 janvier 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N9535BM4).
(18) Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.025, M. Jérémy Le Fur c/ Société Techni-Soft, F-P+B (N° Lexbase : A9621DRR) ; Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-47.400, M. Philippe Alazard c/ Société Jalma emploi et protection sociale (JEPS), FS-P+B (N° Lexbase : A9616DRL) et nos obs., La consultation des documents de nature professionnelle du salarié, Lexbase Hebdo n° 234 du 2 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4508ALK) ; RDT, 2006, p. 395, obs. de Quenaudon ; SSL, 2006, n° 1279, p. 10.
(19) Cass. soc., 21 octobre 2009, n° 07-43.877, Société Seit Hydr'Eau, FS-P+B (N° Lexbase : A2618EMW).
(20) Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 04-48.012, M. Joël Le Sidaner, F-D (N° Lexbase : A7740DSH).

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Procédure administrative

[Textes] La poursuite du mouvement de rénovation au sein des juridictions administratives

Réf. : Décret n° 2010-164 du 22 février 2010, relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives (N° Lexbase : L5845IGL)

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 07 Octobre 2010

La juridiction administrative change, aujourd'hui, à un rythme régulier pour répondre à un flux toujours croissant de requêtes, absorber les nouveaux contentieux nés des transformations d'un droit toujours plus prolixe (1) et, enfin, s'adapter à un droit "communautaire" que la construction européenne lui impose (2). En 2007, tous niveaux confondus (Conseil d'Etat, cours administratives d'appel, tribunaux administratifs), les juridictions administratives ont été saisies de 206 000 requêtes et ont rendu plus de 210 000 jugements. En 1997, on ne dénombrait "que" 120 000 requêtes enregistrées et 115 000 décisions. La justice administrative ne cesse, donc, d'être fortement sollicitée, et doit relever un défi complexe : rendre "à temps" ses décisions et, corrélativement, ne rien céder de la qualité de ces décisions. A cet effet, un vaste mouvement de concertation a été engagé. Des groupes de travail ont été constitués, tant au Conseil d'Etat que dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel. Ces groupes de travail ont rendu leurs rapports en juillet et en décembre 2007. A la suite de ces rapports, des orientations ont été arrêtées. Les évolutions qui n'appelaient pas de dispositions textuelles, en particulier dans la gestion de la juridiction administrative, ont été progressivement mises en place. Deux premiers textes ont vu le jour. Le décret du 6 mars 2008 (3) a eu pour principal objet de consacrer, au sein du Conseil d'Etat, la dissociation entre la fonction de conseil et la fonction de juge. Ainsi, la règle issue de la loi du 24 mai 1872 sur la réorganisation du Conseil d'Etat (4) prévoyant qu'un membre du Conseil d'Etat ne peut participer au jugement d'un recours contre un acte pris après avis du Conseil d'Etat, s'il a pris part à la délibération de cet avis, a été rétablie (CJA, art. R. 122-21-1 nouveau N° Lexbase : L6343H9S). En outre, tout justiciable peut, désormais, vérifier, par lui-même, le respect de cette règle en accédant à la liste des membres du Conseil d'Etat ayant délibéré sur l'avis rendu sur un acte qu'il attaque (CJA, art. R. 122-21-2 nouveau N° Lexbase : L6342H9R) (5). Le décret du 7 janvier 2009 (6) a, quant à lui, modifié l'appellation de "commissaire du Gouvernement" pour lui substituer celle de "rapporteur public". Cette formule est apparue la plus simple et la plus juste pour exprimer l'essence de ce magistrat particulier qui appartient à la juridiction, à l'instar des autres rapporteurs, mais qui, exposant son point de vue publiquement, ne saurait participer au délibéré (7).

C'est dans la démarche de rénovation amorcée par ces deux textes que s'inscrit le décret du 22 février 2010, relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives (8). Le décret sera complété au final par des mesures législatives qui, pour l'essentiel, porteront sur le statut et la carrière des membres du Conseil d'Etat et des magistrats administratifs. Le décret s'établit, également, dans une démarche de modernisation qui intervient à l'approche de l'entrée en vigueur d'une réforme importante pour les juridictions administratives : l'exception d'inconstitutionnalité. Le décret du 16 février 2010 précise les modalités procédurales selon lesquelles les questions prioritaires de constitutionnalité devront être présentées par les parties et examinées par le juge (9).

Le décret du 22 février 2010 modifie près de soixante articles de la partie règlementaire du Code de justice administrative et en crée plus d'une vingtaine, qui s'ajoutent aux vingt nouveaux articles consacrés à la question prioritaire de constitutionnalité. Il n'y a pas de bouleversement général des procédures mais plus une adaptation à la réalité de l'activité contentieuse des juridictions administratives. En ce sens, les ambitions du texte sont multiples, le décret prévoit de nouvelles modalités de formation de jugement élargies, permettant ainsi de juger plus souplement que sous la formule lourde d'une formation plénière certaines affaires présentant des difficultés juridiques particulières (10). Le décret apporte, ensuite, diverses modifications concernant, notamment, la mission d'inspection des juridictions administratives (11), le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (12) ou encore la gestion administrative et budgétaire des juridictions administratives (13) ou encore le statut des magistrats administratifs et des assistants de justice (14).

Mais, l'intérêt principal du décret se situe, avant tout, dans cette volonté, d'abord, d'adapter la réalité de l'activité contentieuse aux procédures applicables par une rationalisation nouvelle de la répartition des compétences (I). Il s'agit, aussi, de mettre fin au caractère imprévisible de l'instruction pour les parties et à l'absence d'efficience des mesures de clôture d'instruction par la mise en place de nouveaux instruments qui vont permettre l'enrôlement des dossiers à la date prévue (II). Enfin, le décret tend aussi à mettre fin aux sources de difficultés habituellement rencontrées à l'occasion des expertises, qu'il s'agisse de la carence de l'expert ou des parties ou des conflits pouvant surgir au cours des opérations d'investigation. La réforme améliorant, en ce sens, le contradictoire et renforçant les pouvoirs d'encadrement du juge (III).

I - Une nouvelle répartition des compétences entre Conseil d'Etat et tribunaux administratifs pour s'adapter à la réalité de l'activité contentieuse

La vocation première du Conseil d'Etat est d'être juge de cassation, la qualité de juge de droit commun en premier ressort appartient, en effet, aux tribunaux administratifs. Pour autant, le Conseil d'Etat a conservé une compétence directe en premier ressort qui n'a cessé de s'étendre depuis lors, que ce soit en considération de l'objet des litiges ou que ce soit en raison de la traduction de l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

Les affaires liées à l'objet du litige dévolues au Conseil d'Etat l'ont été initialement eu égard au caractère suffisamment important des litiges, au fait que les litiges doivent être réglés aussi rapidement que possible ou encore au fait qu'il est recommandable de les attribuer à un juge unique. Cette dévolution est classique même s'il n'y a pas toujours eu une cohérence en ce sens de la part du législateur.

Le décret amène, d'abord, en l'espèce, à changer la rédaction du 2° de l'article R. 311-1 du CJA (N° Lexbase : L5910IGY) qui réservait à la compétence directe du Conseil d'Etat les recours dirigés contre les divers "actes règlementaires des ministres" et contre les "actes des ministres qui ne peuvent être pris qu'après avis du Conseil d'Etat". Désormais, la Haute juridiction est compétente en premier et dernier ressort pour les "recours dirigés contre les actes règlementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale". Le rajout des "circulaires et instructions de portée générale" ne devrait pas apporter de changements dans la mesure où les actes règlementaires des ministres étaient largement entendus, la forme et l'édiction de l'acte règlementaire important peu. En revanche, seuls les actes règlementaires seront, dorénavant, jugés par le Conseil d'Etat, les actes non règlementaires (des ministres comme des autorités à compétence nationale) devront être contestées devant le tribunal administratif territorialement compétent.

Le décret change, également, la rédaction du 3° de l'article R. 311-1 du CJA, la compétence en premier et dernier ressort du Conseil d'Etat est restreinte aux décisions affectant le recrutement et la discipline des agents publics nommés par décret du président de la république. Les autres litiges individuels seront jugés par le tribunal dans le ressort duquel se trouve le lieu d'affectation de l'agent (CJA, art. R. 312-12 N° Lexbase : L2968ALI), ou en matière de pensions, dans celui où "se trouve le leu d'assignation du paiement de la pension" (CJA, art. R. 312-13, al. 2 N° Lexbase : L2969ALK).

Le décret revoit, enfin, la rédaction du 4° de l'article R. 311-1 du CJA dans la mesure où les organismes collégiaux à compétence nationale, dont toutes les décisions administratives relèvent de la compétence en premier et dernier ressort, sont désormais limitativement énumérés. Le pouvoir réglementaire restreint à une liste, que l'on doit supposer limitative, les autorités dont toutes les décisions, prises "au titre de leur mission de contrôle ou de régulation", relèvent du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort. L'article vise les principales autorités administratives ou autorités publiques indépendantes, pour lesquelles il n'y a pas lieu de distinguer selon que l'organe ayant pris la décision attaquée est collégial ou non. En conséquence de cette nouvelle rédaction, les décisions des jurys nationaux d'examens (15) et des jurys nationaux de concours (16) devront, par exemple, être contestées devant le tribunal administratif territorialement compétent.

Les compétences résultant de l'intérêt d'une bonne administration de la justice remédient aux anomalies ou inconvénients qui résulteraient du jeu des règles normales de compétence, et cela en donnant un juge, ou un juge unique, à certains litiges. Le décret abroge les dispositions qui donnaient compétence au Conseil d'Etat pour juger en premier et dernier ressort des "recours dirigés contre les actes dont le champ d'application s'étend au-delà du ressort d'un seul tribunal" (CJA, art. R. 311-1 5°, ancien N° Lexbase : L4207HBG) et des "litiges d'ordre administratif nés hors des territoires soumis à la juridiction d'un tribunal administratif" (CJA, art. R. 311-1 6°, ancien). Dans la première hypothèse, l'acte est souvent signé par plusieurs autorités. Dans ce cas, le nouvel alinéa de l'article R. 312-1 du CJA (N° Lexbase : L5888IG8) donne l'attribution du contentieux au tribunal dans le ressort duquel se trouve la première autorité dénommée par l'acte. Pour la seconde hypothèse, le cas principal concerne les demandes de visas d'entrée sur le territoire dont le contentieux est attribué au tribunal administratif de Nantes (CJA, art. R. 312-18, nouveau N° Lexbase : L5880IGU). Les autres litiges qui ne relèvent de la compétence d'aucun tribunal sont attribués au tribunal administratif de Paris (CJA, art. R. 312-19, nouveau N° Lexbase : L5934IGU).

II - Des instruments nouveaux dans la conduite de l'instruction pour mettre fin à son caractère imprévisible

Le décret a pour objectif de rendre la procédure d'instruction plus visible, plus prévisible voire plus efficace. Cela passe, d'abord, par une meilleure information des parties quant à la date d'audiencement d'une affaire car ni les textes, ni la jurisprudence n'instituent un régime général de détermination de la date de clôture de l'instruction. Il est prévu, à cet égard, l'instauration d'un calendrier prévisionnel d'instruction porté à la connaissance des parties. L'article R. 611-11-1 du CJA (N° Lexbase : L5948IGE) précise en ce sens que : "Lorsque l'affaire est en état d'être jugée, les parties peuvent être informées de la date ou de la période à laquelle il est envisagé de l'appeler à l'audience. Cette information précise alors la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close [...]". Deux informations sont, ainsi, délivrées aux parties : la date ou période d'enrôlement et la date de clôture de l'instruction. De la sorte, dès qu'est échue la date annoncée comme susceptible de marquer la clôture de l'instruction, celle-ci peut être prononcée à la date de l'émission de l'ordonnance ad hoc, le juge a, ainsi, la possibilité de clore l'instruction avec effet immédiat. Dans le système antérieur, la clôture de l'instruction pouvait être soit fixée par ordonnance du président de la formation de jugement notifiée aux parties quinze jours au moins avant la date de la clôture (17), soit intervenir trois jours francs avant la date de l'audience lorsqu'une ordonnance de clôture n'était pas prise (ce qui était le plus fréquent). Si ce dispositif était destiné à limiter la production de mémoire de dernière heure ou de dernière minute par des justiciables négligents, il n'empêchait toutefois pas les comportements dilatoires.

La procédure d'instruction connaît, aussi, une autre innovation importante dans l'invitation faites à l'une des parties par le président de la formation de jugement à la production d'un mémoire récapitulatif (CJA, art. R. 611-8-1 N° Lexbase : L5907IGU). En droit administratif, contrairement au droit civil (18), il n'y a pas de mémoire récapitulatif. C'est le juge administratif qui fait tout seul la synthèse des moyens et des arguments repris par les parties. Le mémoire récapitulatif est en sorte fait par le rapporteur et par le commissaire du Gouvernement. D'où l'habitude de renvoyer à ses précédentes écritures qui caractérisent les avocats spécialistes en droit administratif, mais aussi l'impossibilité de relire un mémoire sans le précédent, avec des allers et retours continuels entre les mémoires de l'adversaire et ses propres mémoires. L'objectif nouveau est de responsabiliser les parties et de permettre une mise en l'état plus rapide de l'affaire. La production d'un tel mémoire n'est pas obligatoire mais si le mémoire récapitulatif est produit, les parties devront agir avec vigilance dans la mesure où les conclusions et moyens non repris et précédemment exposés seront considérés comme abandonnés. Comme peuvent le noter certains, il est toutefois probable "qu'il ne soit pas fait un usage systématique de ce procédé eu égard aux effets qui s'y attachent" (19) ou que "ce procédé ne sera vraisemblablement utilisé que dans les affaires où les échanges de mémoires ont été nombreux et susceptibles d'avoir donné lieu à une évolution du litige" (20).

III - Le renforcement des pouvoirs d'encadrement du juge dans les procédures d'investigations juridictionnelles

Le décret modernise la procédure d'expertise tout en rapprochant la procédure de celle de l'expertise civile. Le pouvoir réglementaire entend, également, dans l'intérêt des justiciables et dans un souci de bonne administration de la justice, introduire plusieurs mesures tendant à accélérer le déroulement des procédures et à éviter les situations de blocage parfois induites par le manque de diligence des parties mises en cause.

Sans revenir sur les obligations de l'expert affirmées solennellement par le décret (21), le pouvoir réglementaire consacre la possibilité pour le juge de donner à l'expert une mission de conciliation (CJA, art. R. 621-1 N° Lexbase : L5937IGY) ce que le Code de procédure civile exclut sans ambages (C. proc. civ., art. 240 N° Lexbase : L2444ADU), mais ce qu'avait déjà autorisé le Conseil d'Etat (22). Si les parties viennent à se concilier, l'expert constate que sa mission est devenue sans objet. Son rapport doit être accompagné d'une copie du procès-verbal de conciliation signé des parties, faisant apparaître l'attribution de la charge des frais d'expertise (23). Il apparaît, d'ores et déjà, que cette disposition sera essentiellement mise en oeuvre à l'initiative du juge du fond dans le cadre des jugements avant dire droit qu'il sera amené à prononcer. Dans cette hypothèse où le juge du fond aura déjà déterminé le partage des responsabilités et où seul le chiffrage des préjudices restera à discuter, il pourra désormais être demandé à l'expert de tenter de concilier les parties. L'objectif est d'accélérer le traitement des litiges tout en déchargeant les juridictions d'un certain nombre de dossiers pour lesquels une solution amiable est envisageable.

Plusieurs dispositions du décret améliorent, aussi, la direction par le juge des opérations d'expertise même si certaines pratiques avaient déjà pu être constatées. Afin que l'ensemble de la procédure soit mieux encadrée, le décret permet, ainsi, la possibilité pour le président de la juridiction, auparavant seul chargé du contrôle de la procédure d'expertise, de déléguer ses prérogatives à un magistrat chargé des questions d'expertise et du suivi des opérations d'expertises. Ce "nouveau" magistrat pouvant notamment assister aux opérations d'expertise (24). Le président de la juridiction peut organiser une ou plusieurs audiences en vue de veiller au bon déroulement des opérations d'expertise (25). Enfin, l'intervention du juge dans le processus d'expertise est également prévue quand les parties s'abstiennent de remettre à l'expert des documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission. L'expert doit en informer le président de la juridiction, qui invite la partie récalcitrante à lui présenter des observations écrites sur cette difficulté, dont il peut d'ailleurs être question lors des audiences organisées par la juridiction. La production des documents peut ensuite être ordonnée, le cas échéant sous astreinte. Le chef de juridiction peut aussi autoriser l'expert à poursuivre ses investigations sans ces documents ou à déposer son rapport en l'état des informations dont il dispose (26).

Les dernières innovations en matière de procédure d'expertise concernent l'ouverture de la juridiction administrative aux acteurs extérieurs, selon les voeux formulés par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat (27). Il y a un désir de "décloisonnement" qui incite à prévoir la possibilité pour le juge de recourir à des amici curiae dans la procédure contentieuse, à savoir, "toute personne, dont la compétence ou les connaissances seraient de nature à l'éclairer utilement sur la solution à donner à un litige, à produire des observations d'ordre général" sur des points déterminés par la juridiction (CJA, art. R. 625-3 N° Lexbase : L5882IGX). L'avis écrit est communiqué aux parties et des observations orales peuvent, également, être présentées devant la formation de jugement et en présence des parties. Enfin quand il s'agit d'une question technique dont la réponse n'appelle aucune recherche difficile, la formation de jugement peut désigner une personne pour qu'elle lui fournisse un simple avis sur les points qu'elle détermine. Ce "consultant" communique son avis écrit aux parties sans qu'une procédure contradictoire ait été respectée (CJA, art. R. 625-2, nouveau N° Lexbase : L5967IG4). L'intérêt de l'innovation étant de permettre de régler les questions relativement simples et utiles à la résolution des litiges à l'extérieur de la juridiction.


(1) On peut citer au titre des nouveaux contentieux ceux liés, par exemple, au droit au logement opposable ou à la nouvelle question prioritaire de constitutionnalité.
(2) En 2007, près d'un tiers des décisions du Conseil d'Etat ont fait application de ce droit.
(3) Décret n° 2008-225 du 6 mars 2008, relatif à l'organisation et au fonctionnement du Conseil d'Etat (JO, 7 mars 2008, p. 4244) (N° Lexbase : L8328H3T).
(4) JO, 31 mai 1872, p. 3625.
(5) Une autre mesure a mis un terme à la représentation organique des sections administratives au sein des formations de jugement du Conseil d'Etat. Enfin, l'assemblée du contentieux qui est la formation de jugement suprême du Conseil d'Etat a été entièrement refondée de manière à ce que, si une section administrative a rendu un avis sur le texte en litige, cette section ne puisse y être représentée par aucun de ses membres.
(6) Décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009, relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions (JO, 8 janvier 2009, p. 479) (JO, 7 mars 2008, p. 4244) (N° Lexbase : L4344ICU).
(7) Le décret a, également, codifié la pratique, désormais courante, selon laquelle les parties peuvent, avant l'audience, avoir connaissance du sens de ses conclusions afin de mieux se préparer à l'audience et d'évaluer, le cas échéant, la pertinence des observations orales qu'elles pourront y développer (CJA, art. R. 711-3, nouveau N° Lexbase : L5706ICC). Enfin, plus fondamentalement, ce décret permet aux parties de reprendre la parole pour présenter de brèves observations orales après les conclusions du rapporteur public (CJA, art. R. 732-1, modifié N° Lexbase : L5738ICI).
(8) Décret n° 2010-164 du 22 février 2010, relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives (JO, 23 février 2010, p. 3325).
(9) Décret n° 2010-148 du 16 février 2010 (N° Lexbase : L5740IGP), portant application de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 (N° Lexbase : L0289IGS), relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) (JO, 18 février 2010, p. 2969). S'agissant des tribunaux administratifs, des cours administratives d'appel et du Conseil d'Etat, ce décret ajoute ainsi un nouveau chapitre au Code de justice administrative (chapitre Ier bis au titre VII du livre VII).
(10) Au Conseil d'Etat, les sous-sections de la section du contentieux peuvent désormais se regrouper par trois ou par quatre et non plus seulement par deux (CJA, art. R. 122-1, modifié N° Lexbase : L2655ALW) ; dans les cours administratives d'appel, le décret ajoute une nouvelle formation, celle des chambres réunies (CJA, art. R. 222-25, nouveau N° Lexbase : L5939IG3) aux deux déjà existantes à savoir la chambre ou la formation plénière ; dans les tribunaux administratifs, les formations collégiales peuvent dorénavant revêtir cinq formes, le décret ajoute à la formation des magistrats de la chambre et à la formation plénière, la formation des chambres réunies, qui se décompose en deux versions, et la formation élargie (CJA, art. R. 222-19-1 nouveau N° Lexbase : L5902IGP et art. R. 222-20, modifié N° Lexbase : L5940IG4).
(11) CJA, art. R. 112-1 et R. 112-1-1 (N° Lexbase : L5886IG4).
(12) CJA, art. R. 232-17 (N° Lexbase : L5958IGR) et R. 232-22 (N° Lexbase : L5946IGC).
(13) CJA, art. R. 121-11 (N° Lexbase : L5944IGA), R. 121-14 (N° Lexbase : L5921IGE) et R. 222 -11 (N° Lexbase : L5915IG8).
(14) Respectivement les articles R. 233-1 (N° Lexbase : L5887IG7), R. 235-1 (N° Lexbase : L8807G8P), R. 235-2 (N° Lexbase : L5421H9N) du CJA pour le statut des magistrats de justice et les articles R. 122-31 (N° Lexbase : L5960IGT) et R. 227-10 (N° Lexbase : L5905IGS) du CJA pour le statut des assistants de justice.
(15) Par ex. pour l'ancienne jurisprudence : CE, 27 mars 1987, n° 54802 (N° Lexbase : A3265APM), Rec. CE, p. 100.
(16) Par ex. pour l'ancienne jurisprudence : CE, sect., 30 mars 1981, n° 14733, n° 14734, n° 14752 (N° Lexbase : A0686B9B), Rec. CE, p. 173.
(17) Sous peine de ne pas être opposable aux parties : CE, 6 février 1985, n° 44637 (N° Lexbase : A3730AM4), DA, 1985, n° 158.
(18) C. pr. civ., art. 954 (N° Lexbase : L1054H4S) devant les cours d'appel et art. 753 (N° Lexbase : L6970H7B) du même code, devant les TGI où un bordereau récapitulatif est obligatoirement annexé aux conclusions des parties.
(19) Cf. B. Defoort, Le décret du 22 février 2010 : une nouvelle étape dans la réforme de la justice administrative, Gaz. Pal., 23 mars 2010, n° 82, p. 12 et s.
(20) Cf. L. Erstein, La justice administrative menée vers de nouvelles règles de compétence et de fonctionnement juste après avoir été soumise à la question prioritaire de constitutionnalité, JCP éd. A, 2010, n° 2095.
(21) Le texte affirme solennellement que, par son serment, "l'expert s'engage à accomplir sa mission avec conscience, objectivité, impartialité et diligence" (CJA, art. R. 621-3, modifié N° Lexbase : L5879IGT).
(22) CE, sect., 11 février 2005, n° 259290 (N° Lexbase : A6746DGX), Rec. CE, p. 65 ; RFDA, 2005, p. 546, concl. E. Glaser ; où le Conseil d'Etat a admis que le juge peut ordonner, même d'office, à l'occasion d'une demande de référé-expertise, à l'expert désigné par lui de concilier les parties si faire se peut.
(23) CJA, art. R. 621-7-2 (N° Lexbase : L5885IG3) à rapprocher de l'article 281 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1864H4S).
(24) CJA, art. R. 621-1-1 nouveau (N° Lexbase : L5951IGI) à rapprocher de l'article 155-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1526H4B).
(25) Peuvent être examinées, à l'exclusion de tout point touchant au fond de l'expertise, les questions liées aux délais d'exécution, aux communications de pièces, au versement d'allocations provisionnelles et au périmètre de l'expertise (CJA, art. R. 621-8-1 N° Lexbase : L5896IGH à rapprocher de l'article 168 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1559H4I).
(26) CJA, art. R. 621-7-1 (N° Lexbase : L5900IGM) à rapprocher de l'article 275 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1843H4Z).
(27) Cf. J.-M. Sauvé, Les réformes en cours au sein de la justice administrative, Conférence organisée par le Centre de recherches en droit administratif de l'Université de Paris II, 18 mai 2009, p. 16 (disponible sur le site internet du Conseil d'Etat).

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