Jurisprudence : Décision n°98-403 DC du 29-07-1998

Décision n°98-403 DC du 29-07-1998

A8749ACZ

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CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision n°98-403 DC du 29-07-1998


Publié au Journal officiel du 31 juillet 1998, p. 11710
Rec. p. 276

Loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 9 juillet 1998, par MM Jean-Louis Debré, José Rossi, Philippe Séguin, Patrick Devedjian, Jean-Claude Abrioux, Bernard Accoyer, Mme Michèle-Alliot-Marie, MM René André, André Angot, Philippe Auberger, Jean Auclair, Mme Martine Aurillac, MM Jean Bardet, Jean Besson, Michel Bouvard, Philippe Briand, Christian Cabal, Gilles Carrez, Mme Nicole Catala, MM Richard Cazenave, Henry Chabert, Jean-Paul Charié, Jean-Marc Chavanne, François Cornut-Gentille, Charles Cova, Henri Cuq, Lucien Degauchy, Arthur Dehaine, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Yves Deniaud, Eric Doligé, Jean-Michel Dubernard, Jean-Pierre Dupont, Nicolas Dupont-Aignan, Christian Estrosi, Pierre Frogier, Robert Galley, René Galy-Dejean, Henri de Gastines, Hervé Gaymard, Jacques Godfrain, Jean-Claude Guibal, François Guillaume, Gérard Hamel, Michel Hunault, Christian Jacob, Didier Julia, Robert Lamy, Pierre Lasbordes, Pierre Lellouche, Jacques Limouzy, Lionnel Luca, Thierry Mariani, Alain Marleix, Gilbert Meyer, Jean-Claude Mignon, Renaud Muselier, Jacques Myard, Patrick Ollier, Mme Françoise de Panafieu, MM Dominique Perben, Etienne Pinte, Serge Poignant, Bernard Pons, Robert Poujade, Didier Quentin, André Schneider, Bernard Schreiner, Frantz Taittinger, Georges Tron, Jean Ueberschlag, Léon Vachet, Roland Vuillaume, Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, MM François d'Aubert, Dominique Bussereau, Pierre Cardo, Laurent Dominati, Nicolas Forissier, Gilbert Gantier, Claude Gatignol, Claude Goasguen, François Goulard, Philippe Houillon, Marc Laffineur, Pierre Lequiller, Alain Madelin, Alain Moyne-Bressand, Bernard Perrut, Jean Proriol, Jean Roatta, Guy Teissier, Mme Marie-Thérèse Boisseau, MM Charles de Courson, Claude Gaillard et Arthur Paecht, le 10 juillet 1998, par M Francis Delattre, le 15 juillet 1998, par M Jean-Claude Lenoir, le 16 juillet 1998, par Mme Sylvia Bassot et M Charles Ehrmann, le 17 juillet 1998, par M Jean Rigaud, le 21 juillet 1998, par MM Roland Blum et Jean-François Mattei, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution de la conformité à celle-ci de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;

Vu l'ordonnance n° 45-2394 du 11 octobre 1945 instituant des mesures exceptionnelles et temporaires en vue de remédier à la crise du logement ;

Vu le code civil ;

Vu le code de la construction et de l'habitation ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de procédure civile (ancien) ;

Vu le code rural ;

Vu la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 modifiée tendant à améliorer les rapports locatifs ;

Vu la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Considérant que les auteurs de la saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les articles 51, 52, 107, 119 et 152 de la loi déférée ;

Sur les normes de constitutionnalité applicables au contrôle des articles 51, 52 et 107 :
Considérant, d'une part, qu'aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 :
" La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement " ;
qu'aux termes du onzième alinéa de ce Préambule, la nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence " ;

Considérant qu'il ressort également du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ;

Considérant qu'il résulte de ces principes que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ;

Considérant, d'autre part, que l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 proclame :
" Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression " ;
que l'article 17 de la même Déclaration proclame également :
" La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment et sous la condition d'une juste et préalable indemnité " ;

Considérant, en outre, qu'aux termes du seizième alinéa de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux " du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales " ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, s'il appartient au législateur de mettre en uvre l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent, et s'il lui est loisible, à cette fin, d'apporter au droit de propriété les limitations qu'il estime nécessaires, c'est à la condition que celles-ci n'aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés ;
que doit aussi être sauvegardée la liberté individuelle ;

Considérant que l'égalité devant la loi est une exigence de valeur constitutionnelle ;
qu'en particulier, aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen :
" Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés " ;
que, cependant, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
que, si le principe énoncé à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'interdit pas au législateur de faire supporter à certaines catégories de personnes des charges particulières en vue, notamment, d'améliorer, les conditions de vie d'autres catégories de personnes, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;

Considérant, enfin, qu'aux termes du sixième alinéa de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant " l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature " ;
qu'il appartient au législateur, lorsqu'il établit une imposition, d'en déterminer librement l'assiette, sous la réserve des principes et des règles de valeur constitutionnelle ;
qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels ;

Sur l'article 51 :
Considérant que l'article 51 insère dans le code général des impôts un article 232 qui comporte huit paragraphes ;

Considérant que le I institue à compter du 1er janvier 1999 une taxe annuelle sur les logements vacants dans les communes dont la liste sera fixée par décret et qui appartiennent à des zones d'urbanisation continue de plus de deux cent mille habitants où existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements ;
que le II rend exigible le paiement de la taxe pour les logements vacants depuis au moins deux années consécutives à l'exception de ceux détenus par les organismes d'habitations à loyer modéré et les sociétés d'économie mixte et destinés à être attribués sous conditions de ressources ;
que le III détermine la personne redevable de la taxe ;
que le IV en définit l'assiette et le taux ;
que le V exclut du champ d'application de la taxe les logements dont la durée d'occupation est supérieure à trente jours consécutifs au cours de chacune des deux années de la période de référence définie au II ;
que le VI dispose que la taxe n'est pas due en cas de vacance indépendante de la volonté du contribuable ;
que le VII prévoit que le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions de la taxe sont régis comme en matière de taxe financière sur les propriétés bâties ;
que le VIII affecte le produit net de la taxe à l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat ;

Considérant que les requérants soutiennent, en premier lieu, qu'en instituant ladite taxe le législateur n'aurait pas épuisé l'intégralité de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ;
que le champ d'application de la taxe serait en effet imprécis ;
que les notions de " vacance " et de " vacance indépendante de la volonté du contribuable ", ainsi que les règles de recouvrement de la taxe, auraient dû être définies par la loi ;
qu'ils allèguent, en deuxième lieu, une méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques entre les bailleurs privés et publics et, parmi les bailleurs privés, entre les sociétés d'économie mixte de logement social et les autres propriétaires ;
qu'ils font grief, en troisième lieu, à la taxe de contrevenir au principe d'universalité budgétaire énoncé à l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;

Considérant, en premier lieu, qu'en prévoyant qu'un décret fixera la liste des communes où la taxe sera instituée le législateur a pris soin de préciser les critères qui s'imposeront au pouvoir réglementaire :
qu'en effet ces communes devront appartenir " à des zones d'urbanisation continue de plus de deux cent mille habitants où existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, au détriment des personnes à revenus modestes et des personnes défavorisées, qui se concrétise par le nombre élevé de demandeurs de logement par rapport au parc locatif et la proportion anormalement élevée de logements vacants par rapport au parc immobilier existant " ;
qu'en disposant en outre que la taxe sera " due pour chaque logement vacant depuis au moins deux années consécutives, au 1er janvier de l'année d'imposition ", mais ne le sera pas " en cas de vacance indépendante de la volonté du contribuable ", le législateur a, conformément au sixième alinéa de l'article 34 de la Consitution, fixé des règles d'assiette de la nouvelle contribution créée par la loi ;
qu'enfin, en prévoyant que " le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions de la taxe sont régis comme en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties ", il a déterminé les règles de recouvrement de ladite taxe ;
que, dès lors, les griefs tirés de ce que le législateur n'aurait pas épuisé sa compétence sont infondés ;

Considérant, en deuxième lieu, que manque en fait le moyen tiré d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques entre bailleurs publics et bailleurs privés, aucune disposition de la loi n'établissant entre eux de distinction en ce qui concerne leur assujettissement ;
que l'exonération prévue en faveur des organismes d'habitations à loyer modéré et des sociétés d'économie mixte pour les logements qu'ils détiennent et qui sont destinés à être attribués sous conditions de ressources est justifiée par la différence de situation entre, d'une part, ces organismes et sociétés et, d'autre part, les autres bailleurs publics et privés ;
qu'en effet l'affectation des logements en cause fait l'objet d'un contrôle particulier de la part des pouvoirs publics, renforcé au demeurant par les dispositions de la section 3 du chapitre II du titre Ier de la loi déférée, et que la vacance temporaire de certains de ces logements trouve son fondement dans la mise en uvre de politiques spécifiques, liées notamment à des opérations d'urbanisme ou à la recherche de la " mixité sociale des villes et des quartiers " ;
que, dès lors, le moyen invoqué doit être rejeté ;

Considérant, en troisième lieu, que l'article 51 affecte le produit net de la taxe, qui entre dans la catégorie des impositions de toute nature visées à l'article 34 de la Constitution, à l'Agence nationale d'amélioration de l'habitat, qui constitue un établissement public ;
qu'aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle n'interdit d'affecter le produit d'une imposition à un établissement public ;
que, par suite, la taxe a le caractère de ressource d'un établissement public et, comme telle, n'est pas soumise aux prescriptions de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 susvisée qui s'appliquent aux seules recettes de l'Etat ;
que le grief allégué doit, dès lors, être rejeté ;

Considérant, toutefois, que l'objet de la taxation instituée par les dispositions critiquées est d'inciter les personnes mentionnées au III de l'article 51 à mettre en location des logements susceptibles d'être loués ;
qu'il résulte des principes constitutionnels ci-dessus énoncés que la différence de traitement fiscal instaurée par cet article entre ces personnes n'est conforme à la Constitution que si les critères d'assujettissement retenus pour l'application du même article sont en rapport direct avec cet objet ;
que ladite taxation ne peut dès lors frapper que les logements habitables, vacants et dont la vacance tient à la seule volonté de leur détenteur ;

Considérant, sur le premier point, que ne sauraient être assujettis des logements qui ne pourraient être rendus habitables qu'au prix de travaux importants et dont la charge incomberait nécessairement à leur détenteur ;

Considérant, sur le deuxième point, que ne sauraient être regardés comme vacants des logements meublés affectés à l'habitation et, comme tels, assujettis, en vertu du 1° du I de l'article 1407 du code général des impôts, à la taxe d'habitation ;

Considérant, sur le troisième point, que ne sauraient être assujettis des logements dont la vacance est imputable à une cause étrangère à la volonté du bailleur, faisant obstacle à leur occupation durable, à titre onéreux ou gratuit, dans des conditions normales d'habitation, ou s'opposant à leur occupation, à titre onéreux, dans des conditions normales de rémunération du bailleur ;

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