La lettre juridique n°205 du 9 mars 2006

La lettre juridique - Édition n°205

Éditorial

De la prime pour l'emploi à la trappe... à l'inefficacité

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N5485AKD

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Pour actionner les ressorts de l'économie, de la croissance et de l'emploi, le Gouvernement a coutume de lever l'impôt suivant les trames d'un ordre public de direction dont le but est souvent légitime et lisible, mais dont les modalités sont souvent opaques et complexes. La dépense fiscale est donc l'arme régalienne par excellence, si l'on omet la redistribution sociale, chère à l'Etat Providence. Problème : cette dépense fiscale n'est pas empreinte d'une efficacité certaine. C'est du moins ce qu'a conclu en 2003, le XXIème rapport du feu Conseil des impôts (devenu depuis lors le Conseil des prélèvements obligatoires) ; ce rapport mettait en avant le recours à des techniques variées (exonérations, déductions et abattements, réductions ou crédits d'impôts, etc.), qui, parfois, se succédaient. Ainsi, un mécanisme d'exonération pouvait avoir laissé la place à une déduction, puis à une réduction d'impôt. Le Conseil faisait, également, état de la nécessité de procéder à des travaux d'évaluation avant la mise en place des dispositifs ainsi qu'après leurs premières années d'application. C'est dans cette même logique de transparence et d'efficacité que la Cour des comptes s'est penchée sur le mécanisme de la prime pour l'emploi. Ce dernier a été créé par l'article unique de la loi n° 2001-458 du 30 mai 2001. Il constitue un droit à récupération fiscale, destiné à diminuer la charge des prélèvements obligatoires pesant sur les personnes les plus modestes et exerçant une activité professionnelle salariée ou non salariée, suivant la technique du crédit d'impôt, de manière à inciter au retour à l'emploi ou au maintien dans l'emploi. Concrètement, il a pour but d'inciter le retour à l'emploi des chômeurs en éliminant les "trappes à inactivité" correspondant aux situations dans lesquelles les inactifs n'ont financièrement pas intérêt à accepter un travail peu rémunéré. Toutefois, force est de constater que malgré le versement d'un complément de rémunération (loi de finances rectificative pour 2001) et un doublement de la prime (loi de finances pour 2002), les effets escomptés sont, à la lecture du rapport de la Cour des comptes, plus que mitigés. La Cour dresse un bilan très critique qui amène à une réflexion sur la pertinence et la portée du mécanisme proprement fiscal d'intéressement que constitue la prime pour l'emploi. L'efficacité du dispositif apparaît limitée au regard de chacun de ses deux objectifs : la prime semble n'avoir qu'un faible impact sur l'offre de travail et l'emploi et n'améliore que marginalement le revenu disponible des bénéficiaires. Dans ce contexte, l'avenir de la prime pour l'emploi est-il compromis ? Lors de sa conférence de presse du 4 mai 2004, le ministre de l'Economie et des Finances de l'époque, Nicolas Sarkozy, avait annoncé que toutes les "niches fiscales" seraient évaluées ; les avantages fiscaux, quels qu'ils soient, seraient, dès lors, limités à une durée de cinq ans et leur efficacité systématiquement mesurée. Ceux déclarés "inutiles ou injustes" seraient, soit supprimés, soit réformés et le gain en résultant serait recyclé dans des baisses de taux d'imposition. Le ministre tirait ainsi là tous les enseignements du XXIème rapport du Conseil des impôts. A l'approche de 2007, pareille sévérité avec la prime pour l'emploi est-elle envisageable, même en s'appuyant sur le rapport 2005 de la Cour des comptes ? Afin de faire le point sur les griefs émis par la Cour, à l'encontre de la prime pour l'emploi, les éditions juridiques Lexbase vous invitent à lire le commentaire de Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Haute Alsace, Prime pour l'emploi : un bilan sévère de la Cour des comptes.

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Social général

[Jurisprudence] La responsabilité des associations de services aux personnes

Réf. : Cass. soc., 28 février 2006, n° 03-44.781, Association AIMV, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2160DNC)

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N5318AK8

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Le 07 Octobre 2010

Dans un arrêt récent, commenté dans ces mêmes colonnes, la Cour de cassation rappelait que "les associations qui assurent le placement de travailleurs auprès des personnes physiques employeurs et accomplissent pour le compte de ces personnes des formalités administratives et des déclarations sociales et fiscales liées à l'emploi de ces travailleurs, ne remplissent qu'un rôle de mandataire, les personnes physiques étant les seuls employeurs des travailleurs" (Cass. soc., 23 novembre 2005, n° 04-45.328, Association Comité d'aide des personnes à domicile (Capad), Service Mandataire c/ Mme Monique Gilles, épouse Landurain, F-P+B N° Lexbase : A7590DLP) (1). Cette solution, parfaitement justifiée, doit cependant être bien comprise. Tout d'abord, elle n'exclut nullement l'éventualité d'un transfert de la qualité d'employeur à l'association qui ne se contenterait pas d'exercer son seul rôle de mandataire. Ensuite, et quand bien même l'association se cantonnerait à ce rôle, elle peut toujours voir sa responsabilité engagée pour les fautes qu'elle viendrait à commettre dans l'exercice de son mandat. Cette dernière situation trouve une parfaite illustration dans un arrêt rendu le 28 février dernier par la Chambre sociale de la Cour de cassation.
Décision

Cass. soc., 28 février 2006, n° 03-44.781, Association AIMV, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2160DNC)

Rejet (CA Lyon, 9 mai 2003)

Textes concernés : C. trav., art. L. 129-1 (N° Lexbase : L7734HB3) ; C. trav., art. L. 511-1 (N° Lexbase : L1723GZT).

Mots-clefs : association de services à la personne ; mandat ; appel en garantie de l'association par l'employeur ; responsabilité de l'association.

Lien bases :

Apport de l'arrêt

Lorsqu'un organisme se substitue habituellement aux obligations légales de l'employeur, il peut être mis en cause aux côtés de celui-ci en cas de litige entre l'employeur et ses salariés. Par suite, lorsqu'une association de services à la personne établit les fiches de paie d'une salariée, il doit être considéré qu'elle s'est régulièrement substituée à l'employeur pour l'accomplissement de cette obligation légale, de sorte qu'elle peut être appelée en garantie devant la juridiction saisie du litige opposant l'employeur à sa salariée au sujet de sa rémunération.

Faits

Mme X a été engagée le 20 novembre 1990 en qualité de garde au domicile de Geneviève Z, par l'intermédiaire de l'association AIMV qui était chargée du recrutement, de l'établissement des bulletins de paie et de l'accomplissement de diverses formalités administratives inhérentes à l'emploi. La salariée ayant saisi la juridiction prud'homale pour obtenir le paiement d'astreintes et d'heures complémentaires, l'employeur a appelé l'association en la cause pour être garanti de toute condamnation éventuellement prononcée à son encontre.

L'association reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à garantir pour moitié la condamnation de Geneviève Z au paiement d'un rappel de salaire. Elle fait notamment valoir, au soutien de son pourvoi, que la compétence des juridictions prud'homales est limitée aux différends pouvant s'élever entre employeurs et salariés et qu'elle n'est ni le représentant des employeurs, ni un organisme se substituant aux obligations légales de l'employeur au sens de l'article L. 511-1, alinéa 2, du Code du travail, en sorte qu'elle ne pouvait être appelée en cause par Mme Z.

L'association argue également qu'aux termes de la convention conclue entre elle et Mme Z, les seules obligations de l'association consistent à exécuter l'ensemble des travaux administratifs relatifs à la paye de la garde à domicile et effectuer les démarches administratives inhérentes à cet emploi. En outre, il était stipulé que la personne physique s'engage expressément à respecter toutes ses obligations légales et conventionnelles d'employeur.

La convention des parties ne comportait donc pas d'engagement de l'association quant au respect de ces obligations. Cette dernière ne garantissait pas que la rémunération versée à la salariée serait en conformité exacte avec la réglementation compte tenu des heures de travail réellement effectuées et elle n'avait pas, en tous cas, d'obligation de résultat. Par conséquent, en décidant cependant que l'AIMV avait manqué à son obligation de conseil, la cour d'appel a violé les articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1984 (N° Lexbase : L2207ABD) du Code civil.

Solution

1. Rejet

2. "Mais attendu, d'abord, que, selon l'article L. 511-1, alinéa 2, du Code du travail lorsqu'un organisme se substitue habituellement aux obligations légales de l'employeur, il peut être mis en cause aux côtés de celui-ci en cas de litige entre l'employeur et ses salariés ; qu'en constatant que l'association établissait les fiches de paie de la salariée, la cour d'appel a fait ressortir qu'elle s'était régulièrement substituée à l'employeur pour l'accomplissement de cette obligation légale, de sorte qu'elle pouvait être appelée en garantie devant la juridiction saisie du litige opposant l'employeur à sa salariée au sujet de sa rémunération".

3. "Et attendu, ensuite, que la cour d'appel qui a relevé que l'association établissait des fiches de paie sans tenir compte du fait que le nombre d'heures de travail déclarées par les parties impliquait le calcul d'heures supplémentaires, a pu décider qu'elle avait ainsi manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de Geneviève Z".

Commentaire

1. Le rôle des associations de service aux personnes

  • Pluralité des rapports contractuels

Les associations de service aux personnes participent, au même titre que les groupements d'employeurs (C. trav., art. L. 127-1 et suiv. N° Lexbase : L7689HBE) ou les associations intermédiaires (C. trav., art. L. 322-4-16-3 N° Lexbase : L6153ACU), à l'activité de prêt de main-d'oeuvre à but non lucratif. Plus précisément, et pour reprendre les termes de l'alinéa 1er de l'article L. 129-1 du Code du travail qui les régit, ces associations consacrent exclusivement leur activité "à des services aux personnes physiques à leur domicile ainsi qu'à des services favorisant le maintien à leur domicile des personnes âgées, handicapées ou dépendantes" (2).

A cette fin, les associations en question peuvent intervenir de deux façons :

- par le placement de travailleurs auprès de personnes physiques employeurs ainsi que, pour le compte de ces dernières, par l'accomplissement des formalités administratives et des déclarations sociales et fiscales liées à l'emploi de ces travailleurs (C. trav., art. L. 129-1, I, 1°) ;
- par l'embauche de travailleurs pour les mettre, à titre onéreux, à la disposition de personnes physiques (C. trav., art. L. 129-1, I, 2°) (3).

Ces deux situations ont évidemment en commun de déboucher sur une relation triangulaire : association de placement, particulier, salarié. Toutefois, elles se différencient fondamentalement par le fait que, dans la première hypothèse, c'est le particulier qui est juridiquement l'employeur, tandis que dans la seconde, c'est l'association. Aussi, doit-on considérer que, lorsque le particulier est l'employeur, les relations pouvant exister entre lui et l'association s'établissent sur la base d'un contrat de mandat, au moins à compter de l'embauche (4). Il en ira ainsi lorsque, en application de l'article L. 129-1, I, 1°, l'association accomplit, pour le compte de l'employeur, les formalités administratives et les déclarations sociales et fiscales liées à l'emploi des travailleurs.

Il s'agira plus précisément d'établir, comme en l'espèce, les bulletins de paie ou encore de demander et de renseigner les formulaires d'immatriculation de l'employeur et du salarié auprès de la Sécurité sociale, etc.

  • Distinction des rapports contractuels

C'est précisément cette dernière hypothèse, et l'affaire qui nous intéresse l'illustre parfaitement, qui suscite le plus de difficultés par le risque de confusion qu'elle est susceptible d'engendrer dans les rapports contractuels. A priori toutefois, le fait que l'association se borne à accomplir les actes juridiques précités pour le compte du particulier ne permet pas d'engager la responsabilité de l'association à l'égard des salariés qu'elle s'est contentée de placer.

C'est ce qui ressort d'un arrêt déjà ancien, par lequel la Cour de cassation a censuré un jugement qui, pour condamner solidairement des personnes âgées et une association d'aide à ces mêmes personnes au paiement de diverses sommes dues à des gardes, s'était borné à relever que les contrats de travail avaient été matériellement établis par l'association, alors que celle-ci avait fait valoir dans ses conclusions que son rôle s'était limité à l'accomplissement de certaines tâches administratives pour le compte des employeurs (Cass. soc., 2 juin 1993, n° 90-40.275, Association départementale d'aide aux personnes âgées ou handicapées de Haute-Marne c/ M. Bel et autres N° Lexbase : A6372ABM).

Ainsi que le souligne à juste titre l'Avocat général, Jacques Duplat, dans ses conclusions précitées, "cette jurisprudence, juridiquement incontestable, est socialement opportune à l'égard d'associations à but non lucratif qui fournissent souvent une aide bénévole limitée, selon les prévisions de la loi, à quelques tâches administratives et qui n'auraient pas les moyens de se porter garantes des sommes dues aux salariés par les employeurs".

Cela étant, on aurait tort de croire que l'association jouit, en la matière, d'une totale impunité. Au contraire, et conformément au droit commun du mandat, l'association devra répondre de ses fautes, que ce soit à l'égard du mandant ou du salarié. En outre, et en allant plus avant, l'association pourra, dans certaines hypothèses, être qualifiée d'employeur en lieu et place du particulier. De là, la nécessité pour cette dernière de strictement se cantonner à son rôle de mandataire.

2. La nécessité pour l'association de se cantonner à son rôle de mandataire

  • La mauvaise exécution du mandat

On sait que le mandataire est susceptible d'engager sa responsabilité de manière différente envers le mandant et envers les tiers avec lesquels il traite (pour plus de détails sur la question, v. par ex., Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, Defrénois, 2004, spéc., §. 567). Ainsi que l'affirme l'article 1992, alinéa 1er, du Code civil, le mandataire est responsable envers le mandant du dommage causé par sa faute et sa responsabilité est contractuelle. A l'égard des tiers, le mandataire est responsable des délits ou quasi-délits (C. civ., art. 1382 N° Lexbase : L1488ABQ et 1383 N° Lexbase : L1489ABR) qu'il commet dans l'exécution de sa mission (5).

Appliquées à la situation qui nous intéresse, ces brèves remarques conduisent à affirmer que la responsabilité de l'association ne peut être éventuellement recherchée à l'égard du tiers salarié que sur la base de la responsabilité du mandataire à l'égard des tiers (v., en ce sens, J. Duplat, concl. préc., p. 108 et la jsp. citée). La Cour de cassation a ainsi pu casser, en visant notamment les articles 1984 et 1382 du Code civil, un jugement d'un conseil de prud'hommes pour n'avoir pas examiné si l'association n'avait pas commis de faute en tant que mandataire, ce qui aurait conduit à engager sa responsabilité vis-à-vis des tiers (6) (Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 97-44.718, Mme Laurent c/ Association Assistance et solidarité, publié N° Lexbase : A9325AHT).

En l'espèce, la salariée aurait donc pu agir contre l'association sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ou encore contre celle-ci et, dans le même temps, contre le particulier employeur. Toutefois, la salariée avait uniquement actionné son employeur, qui avait alors appelé l'association en la cause, pour être garanti de toute condamnation éventuellement prononcée à son encontre.

A juste titre, selon la Cour de cassation qui fait, ici, application de l'article L. 511-1, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L1723GZT) selon lequel lorsqu'un organisme se substitue habituellement aux obligations légales de l'employeur, il peut être mis en cause aux côtés de celui-ci en cas de litige entre l'employeur et ses salariés. Or, en constatant que l'association établissait les fiches de paie de la salariée, la cour d'appel a fait ressortir qu'elle s'était régulièrement substituée à l'employeur pour l'accomplissement de cette obligation légale, de sorte qu'elle pouvait être appelée en garantie devant la juridiction saisie du litige opposant l'employeur à sa salariée au sujet de sa rémunération.

Cela étant admis, il restait encore à démontrer que l'association avait manqué à ses obligations contractuelles à l'égard du particulier employeur. Approuvant à nouveau les juges d'appel, la Cour de cassation se borne ici à relever que l'association établissait des fiches de paie sans tenir compte du fait que le nombre d'heures de travail déclarées par les parties impliquait le calcul d'heures supplémentaires, ce qui suffisait à caractériser un tel manquement. On admettra que, ce faisant, les juges du fond et, après eux, la Cour de cassation ne se sont guère montrés exigeants pour caractériser la faute du mandataire, alors même que l'article 1992, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2215ABN) commande d'apprécier sans sévérité la responsabilité de celui qui rend un service gratuit (7).

En tout état de cause, cette décision laisse clairement entendre aux associations de services aux personnes qu'elles doivent redoubler de vigilance lorsqu'elles accomplissement pour le compte de ces dernières des actes juridiques tels que l'établissement de bulletins de salaire.

  • Le dépassement de l'objet du mandat

Quoi que le problème ne se posait pas en l'espèce, il importe d'évoquer brièvement la question du dépassement par une association de services aux personnes de l'objet de son mandat. Si un tel dépassement est susceptible d'entraîner des conséquences au regard des règles gouvernant le contrat spécial en cause, il est surtout de nature à conduire à un déplacement de la qualité d'employeur. Il ne peut en aller ainsi que dans l'hypothèse où l'association s'est contentée, au moins dans un premier temps, de placer le salarié sans l'embaucher. Hypothèse qui renvoie, rappelons-le, aux dispositions de l'article L. 129-1, I, 1° du Code du travail.

Or, et sans qu'il soit besoin de s'étendre sur le sujet, il se peut très bien que l'association devienne l'unique employeur du salarié dès lors qu'elle exerce continûment la totalité des prérogatives de l'employeur. Il s'agit ni plus ni moins ici que d'un cas classique de requalification, les juges dépassant la situation créée en apparence pour restituer aux faits leur exacte qualification. Un arrêt rendu le 20 janvier 2000 par la Chambre sociale offre une intéressante illustration d'une telle requalification (Cass. soc., 20 janvier 2000, n° 98-13.216, Association Alpes-Maritimes présence et aide à domicile (AMPAD) c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes-Maritimes, inédit N° Lexbase : A2629BWB).

Pour aller à l'essentiel, il importe de relever que tout va dépendre de la situation de fait et, bien entendu, de l'attitude de l'association. Ainsi, les démarches administratives, comptables ou réglementaires qu'effectuent les associations de services aux personnes ne leur confèrent pas la qualité d'employeur, dès lors qu'elles ont eu lieu "dans le cadre de leur activité humanitaire d'aide et de soutien aux personnes dépendantes" (Cass. soc., 10 décembre 2002, n° 99-43.041, FS-P N° Lexbase : A4482A4R) (8).

En d'autres termes, et ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation dans l'arrêt que nous évoquions en préambule, l'association qui se borne à remplir un rôle de mandataire en accomplissant pour le compte de particuliers employeurs des formalités administratives et des déclarations sociales et fiscales liées à l'emploi des travailleurs placés auprès d'eux, ne sauraient elle-même être qualifiée d'employeur (Cass. soc., 23 novembre 2005, préc.). Une solution équilibrée et juste, qui démontre qu'en la matière tout est question de mesure.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Adde le commentaire de Christophe Willmann, Service à la personne : les associations n'ont pas la qualité d'employeur, Lexbase Hebdo n° 194 du 14 décembre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N2017AKW).
(2) Cet alinéa résulte d'une ordonnance du 24 juin 2004 (ordonnance n° 2004-602 relative à la simplification du droit dans les domaines du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle N° Lexbase : L5050DZ3) qui a quelque peu élargi cette définition.
(3) Le caractère onéreux de la prestation ne doit pas laisser à penser que le prêt de main-d'oeuvre se fait à but lucratif dans cette hypothèse. Il s'agit simplement d'obtenir le remboursement des salaires versés et, éventuellement, celui des frais engagés.
(4) Certains évoquent, également, le mandat pour les relations antérieures à l'embauche, c'est-à-dire lors des opérations de recrutement. Or, il ne s'agit pas là d'actes juridiques. Aussi serait-il plus correct de parler de "courtage" (v., en ce sens, J. Duplat, concl. ss. Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 97-44.718, Mme Laurent c/ Association Assistance et solidarité, publié N° Lexbase : A9325AHT, RJS 2/01, p. 105).
(5) Ainsi que le précise MM. Malaurie, Aynès et Gautier, "A l'égard des tiers, le mandataire n'engage sa responsabilité contractuelle qu'exceptionnellement, car la représentation établit un lien direct entre le tiers et le mandant. Ce n'est qu'en cas de représentation imparfaite -le mandataire ayant traité en son propre nom- qu'il engagerait sa responsabilité contractuelle envers les tiers, sauf son recours contre le mandant" (ouvrage préc., p. 357, in fine).
(6) En l'espèce, il s'agissait de se prononcer sur la responsabilité d'une association de services aux personnes ayant, en qualité de mandataire, mis une personne au service d'un particulier au poste de garde-malade. Celle-ci, victime d'un accident du travail au cours de cette mise à disposition, avait engagé une action à l'encontre de l'association pour obtenir le paiement d'indemnités pour licenciement abusif. Le conseil de prud'hommes avait alors rejeté cette demande comme irrecevable dès lors que l'association n'était pas employeur mais seulement mandataire, et qu'elle n'avait donc pas compétence pour intervenir dans un litige entre particulier employeur et travailleur.
(7) Il est vrai que l'association n'a été condamnée à garantir que pour moitié la condamnation du particulier au paiement d'un rappel de salaire.
(8) Ainsi que le relève à juste titre un commentateur anonyme de cet arrêt, "par cette expression, qui ne figure pas dans la loi, la Chambre sociale de la Cour de cassation a entendu tenir compte de la situation particulière des associations qui, venant en aide à des personnes particulièrement démunies, sont souvent amenées à accomplir de leur propre initiative certaines formalités au lieu et place d'un employeur que son état de santé rend défaillant. La qualité d'employeur ne pourra, dans ce cas, leur être opposée" (RJS 2/03, n° 265).

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Social général

[Le point sur...] Prime pour l'emploi : un bilan sévère de la Cour des comptes

Réf. : Rapport de la Cour des comptes concernant la prime pour l'emploi

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N5429AKB

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Le 07 Octobre 2010

La question des "trappes à l'inactivité" est bien connue des économistes et moins des juristes (1). Elle se définit comme la crainte que l'incitation à reprendre un travail, pour le bénéficiaire d'un des minima sociaux, soit trop faible. L'individu doit arbitrer de façon rationnelle entre travail et loisir. Si le revenu procuré par les minima sociaux est trop important par rapport au salaire auquel il pourrait prétendre, il se trouve pris dans une "trappe", un piège, qui le condamne à l'inactivité. Les instruments destinés à lutter contre l'effet désincitatif d'un retour à l'emploi, désignés par les économistes sous l'expression "mécanismes d'intéressement", sont de différentes natures : elles portent sur les aides au logement, les dégrèvements de taxe d'habitation, le barème de l'impôt sur le revenu pour les contribuables modestes et la possibilité de cumuler temporairement un minimum social et des revenus d'activité. La création de la prime pour l'emploi a constitué une étape supplémentaire dans cette démarche globale de correction des trappes à inactivité. Mis en place par la loi du 30 mai 2001 (loi n° 2001-458 du 30 mai 2001, portant création d'une prime pour l'emploi N° Lexbase : L1118ATL), le dispositif fiscal fonctionne comme un crédit d'impôt en faveur des contribuables qui ont exercé une activité professionnelle dont la rémunération est comprise (pour un célibataire sans enfant) entre 0,3 et 1,4 Smic à temps plein. Il a deux objectifs : renforcer les incitations financières à la reprise d'activité et distribuer du pouvoir d'achat aux salariés à bas revenus. La Cour des comptes, dans son rapport 2005, dresse un bilan très critique qui amène à une réflexion sur la pertinence et la portée d'un mécanisme proprement fiscal d'intéressement. L'efficacité du dispositif apparaît limitée au regard de chacun de ses deux objectifs : la prime semble n'avoir qu'un faible impact sur l'offre de travail et l'emploi et n'améliore que marginalement le revenu disponible des bénéficiaires.

1. Les dispositifs d'incitation au retour à l'emploi destinés aux bénéficiaires de minima sociaux

Le public visé des mécanismes d'incitation au retour à l'emploi est a priori celui des bénéficiaires de minima sociaux. Sont considérés comme minima sociaux le minimum invalidité, le revenu minimum d'insertion, l'allocation aux adultes handicapés, l'allocation de parent isolé, l'allocation parentale à temps plein et le complément de cessation d'activité à taux plein de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). Ce schéma n'est pas toujours d'application stricte : certains mécanismes dits d'"intéressement" ont un champ d'application beaucoup plus large (ex. : prime pour l'emploi).

1.1. Mesures sociales d'"intéressement"

Parmi les différents mécanismes d'intéressement, l'attention doit être portée sur le plus récent, issu d'un décret du 29 août 2005 (décret n° 2005-1054 créant une prime exceptionnelle de retour à l'emploi en faveur de certains bénéficiaires de minima sociaux N° Lexbase : L8541HBX). Formule monétaire d'incitation au retour à l'emploi, la prime de retour à l'emploi est de 1 000 euros à la charge de l'Etat. Sont visés les bénéficiaires des minima sociaux (supra). Mais, le bénéficiaire de l'allocation d'insertion (C. trav., art. L. 351-9 N° Lexbase : L0306HGG) n'est pas visé par le décret n° 2005-1054 du 29 août 2005, alors qu'il relève du régime de solidarité, comme le bénéficiaire de l'allocation de solidarité spécifique, et qu'il est tout autant chômeur à la recherche d'un emploi.

Le décret n° 2005-1054 exige du bénéficiaire d'un des minima sociaux d'être inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi pendant une durée minimale de 12 mois au cours de la période comprise entre le 1er mars 2004 et le 1er septembre 2005, de créer ou de reprendre une entreprise ou bien de conclure un contrat de travail avec un employeur relevant du secteur privé ou du secteur public, entre le 1er septembre 2005 et le 31 décembre 2006.

1.2. Mesures fiscales d'"intéressement"

La prime pour l'emploi prend la forme d'un crédit d'impôt sur le revenu, représentant une dépense fiscale, estimée à 2,7 milliards d'euros en 2005, qui se matérialise dans certains cas par des versements nets des services fiscaux. En 2004, 8,8 millions de foyers fiscaux, soit un sur quatre, ont bénéficié de la prime pour l'emploi, soit un montant moyen de 280 euros par foyer bénéficiaire.

Pour les foyers imposables, la prime vient en déduction de l'impôt dû. Si le montant de ce dernier est inférieur à celui de la prime, la différence est payée par virement ou chèque du Trésor public. Pour les foyers non imposables, l'intégralité de la prime est payée par virement ou chèque du Trésor public.

Le revenu fiscal de référence du foyer doit être inférieur à un seuil fixé à 12 383 euros pour une personne seule pour la prime pour l'emploi attribuée en 2005 à raison des revenus déclarés en 2004 ; à 12 606 euros pour un revenu fiscal de référence de l'année 2005 ; à 25 211 euros pour les personnes mariées soumises à une imposition commune ou liées par un Pacs.

Ces montants sont majorés de 3 483 euros pour chaque demi-part supplémentaire ou, en cas de garde alternée, de 1 741,50 euros pour chaque quart de part supplémentaire. Le montant des revenus d'activité de chaque personne du foyer fiscal pour l'année 2005 doit être supérieur à 3 570 euros et ne pas dépasser 16 659 euros pour les célibataires, veufs, veuves ou divorcé(e)s et si la personne n'élève pas seule ses enfants, ou bien si elle mariée ou liée par un Pacs et que le revenu de chaque conjoint ou partenaire excède 3 570 euros, ou si la personne à charge du foyer fiscal exerce une activité professionnelle.

Il doit être supérieur à 3 570 euros et ne pas dépasser 25 376 euros si la personne est mariée ou liée par un Pacs et qu'un seul des conjoints ou partenaires occupe un emploi lui procurant plus de 3 570 euros, ou si la personne est célibataire, veuf, veuve ou divorcé(e) et élève seule un ou plusieurs enfants à charge.

Au moins un des membres du foyer doit exercer une activité professionnelle, à temps plein ou à temps partiel. Il doit percevoir, à ce titre, des revenus d'un montant compris, dans le dispositif initial, entre 0,3 et 1,4 Smic (soit entre 3 507 euros et 16 364 euros pour la prime pour l'emploi attribuée en 2005 à raison des revenus 2004).

Le Conseil constitutionnel avait censuré le mécanisme de "ristourne dégressive" de CSG et de CRDS, prévu par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2001 (Cons. const., décision n° 2000-437 DC, du 19 décembre 2000, loi de financement de la Sécurité sociale pour 2001 N° Lexbase : A1162AIU), au motif qu'il n'était pas conforme au principe d'égalité des contribuables devant l'impôt. La solution retenue a consisté à le convertir en droit à récupération fiscale sur l'impôt sur le revenu.

La prime pour l'emploi a pour premier objectif d'encourager la reprise ou la poursuite d'une activité professionnelle. L'affirmation de cet objectif résulte d'une réflexion sur les problèmes d'incitation au travail, engagée en France à la fin des années 1990 dans un contexte où la reprise économique ne s'est pas immédiatement traduite par une diminution significative du taux de chômage. Cette réflexion a conduit à mettre en exergue certains des effets pervers du système français de prélèvements et de transferts, en particulier l'existence de "trappes à inactivité".

Le second objectif redistributif de la prime pour l'emploi a résulté, à la fois, d'une réflexion économique et d'un élément de contexte : l'émergence, à partir du milieu des années 1990, de la problématique des "travailleurs pauvres" et la baisse de l'impôt sur le revenu engagée en 2000 : l'attribution via la prime pour l'emploi d'un supplément de rémunération à des foyers majoritairement non imposables a constitué la contrepartie d'une mesure qui, par définition, ne bénéficiait qu'aux foyers imposables.

2. L'efficacité douteuse de la prime pour l'emploi

Pour la Cour des comptes, la prime pour l'emploi présente trois principaux défauts qui interrogent sur son efficacité incitative et redistributive : le dispositif est peu ciblé ; les montants unitaires distribués sont faibles ; enfin, la prime pour l'emploi manque de visibilité tant pour ses bénéficiaires effectifs que pour ses bénéficiaires potentiels. Au total, la prime pour l'emploi ne semble avoir qu'un impact limité sur l'offre de travail et l'emploi.

Ce bilan critique s'inscrit dans la ligne de travaux précédents, pour lesquels la prime pour l'emploi n'introduit aucun bonus à la reprise d'activité à temps très partiel, puisqu'il faut travailler un tiers de l'année au Smic horaire pour en bénéficier et qu'elle n'entraîne une augmentation du revenu disponible que si l'individu travaille plus de 51 heures par mois. Selon l'OFCE (2), cet instrument s'avère donc assez faiblement ciblé sur les travailleurs les plus modestes, car ceux-ci connaissent fréquemment des parcours d'emploi marqués par le temps partiel ou discontinu tout au long de l'année.

2.1. Un faible effet incitatif

La prime pour l'emploi ne suffit pas à rendre vraiment rémunératrice, dans certains cas, la reprise d'une activité. La Cour des comptes déplore que le dispositif souffre d'un manque de visibilité.

  • Un gain financier limité

Le supplément de revenu résultant du passage de l'inactivité à l'emploi reste, dans certaines configurations, peu incitatif. Pour un célibataire sans enfant, le gain financier que procure le passage du RMI à un emploi à mi-temps rémunéré au Smic horaire passe, grâce à la prime pour l'emploi, de + 47 euros à + 79 euros.

Ce gain est donc sensiblement majoré par la prime pour l'emploi (+ 68 %), mais reste limité en valeur absolue. La transition du RMI vers un emploi au Smic à temps plein est, en revanche, plus rémunératrice (+ 374 euros par mois, dont 44 euros grâce à la prime pour l'emploi).

Pour un couple marié avec deux enfants, le gain financier que procure la reprise, par l'un des conjoints RMistes, d'un emploi à mi-temps rémunéré au Smic horaire passe, grâce à la prime pour l'emploi, de 0 à + 44 euros par mois. Dans ce cas également, le surplus est limité en valeur absolue. Mais, le gain financier induit par la transition du RMI vers un emploi au Smic à temps plein est plus élevé (+ 228 euros par mois, dont 55 euros grâce à la prime pour l'emploi).

  • Un mécanisme complexe

La Cour des comptes relève que la complexité du mode de calcul de la prime pour l'emploi et de ses conditions d'attribution et de versement a pour conséquence qu'un bénéficiaire sur quatre de la prime pour l'emploi, une année donnée, n'est pas en mesure de déterminer si, au vu de son comportement d'activité, il en bénéficiera encore l'année suivante. Ce manque de prévisibilité affecte de la même façon les personnes qui reprennent pour la première fois une activité : en effet, elles ignorent si elle leur ouvrira droit à la prime.

2.2. Un impact très incertain sur l'offre de travail et l'emploi

  • Un impact très faible sur l'offre de travail

En augmentant le gain financier procuré par l'emploi, la prime pour l'emploi cherche à stimuler l'offre de travail des bénéficiaires de minima sociaux et des travailleurs faiblement rémunérés. Mais, la Cour des comptes relève que la prime peut exercer deux types d'effets économiques qui jouent en sens contraire sur les comportements d'activité : un effet de substitution, selon lequel la hausse de la rémunération du travail rend celui-ci plus attractif que l'inactivité (impact positif sur l'offre de travail des individus) ; un effet de revenu, selon lequel l'augmentation du pouvoir d'achat de chaque heure travaillée permet aux individus, à revenu constant, de travailler moins (impact négatif sur l'offre de travail des individus).

La prime pour l'emploi peut, par ailleurs, décourager l'activité du second travailleur dans les couples biactifs, en raison de la contrainte du plafond de revenus global, calculé au niveau du foyer. La Cour des comptes admet qu'il n'existe pas, à ce stade, de mesure de l'impact réel de la prime sur l'offre de travail. Les seuls éléments chiffrés disponibles sont issus de simulations économétriques dites "ex-ante". Ces simulations montrent que l'impact de la prime pour l'emploi sur l'offre de travail est positif mais faible (de + 0,2 à + 0,4 % selon les études). Les enquêtes réalisées auprès des ménages corroborent leurs conclusions : ainsi, en juin 2003, dans leurs réponses à l'enquête de l'Insee, 3 % seulement des ménages interrogés ont indiqué être incités par la prime pour l'emploi à reprendre une activité, 4 % seulement à travailler davantage et 31 % à continuer à travailler.

  • Un effet très incertain sur l'emploi

L'effet sur l'emploi paraît, pour la Cour des comptes, encore plus incertain. En cas d'insuffisance d'emplois disponibles, une progression de l'offre de travail des individus ne suffit pas à stimuler l'emploi ; au contraire, elle tend même à augmenter le taux de chômage, au moins à court terme. L'efficacité de la prime pour l'emploi sur l'emploi reste tributaire du contexte économique général.

Les évaluations disponibles montrent que la prime pour l'emploi n'a qu'un impact très faible sur l'emploi. Selon les travaux menés par des économistes (3) et repris à son compte par la Cour des comptes, la prime pour l'emploi ne permettrait qu'une hausse du taux d'emploi de 0,2 points (de 47,3 à 47,5 %) pour les femmes et de 0,3 points (de 84,6 à 84,9 %) pour les hommes. La Cour des comptes en conclut que compte tenu du coût budgétaire du dispositif (2,7 Mds d'euros), son rapport coût/efficacité paraît faible.

2.3. Un effet redistributif limité

Malgré la hausse des montants unitaires distribués depuis 2001, la prime pour l'emploi ne représente, en 2004, que 1,2 % en moyenne du revenu initial des ménages bénéficiaires. La modicité des montants unitaires distribués est la conséquence directe du faible ciblage du dispositif : près d'un quart des foyers fiscaux français ont bénéficié de la prime pour l'emploi en 2004 (8,8 millions).

L'examen d'un panel de 500 000 déclarations de revenus relatives à l'année 2001 montre que les effets de la prime pour l'emploi se diffusent en haut dans l'échelle des revenus : près de 30 % des foyers bénéficiaires sont situés dans la moitié supérieure de la distribution des revenus et bénéficient d'environ 20 % des montants versés. A l'inverse, le premier décile de la distribution des revenus ne regroupe que 3,3 % des bénéficiaires de la prime pour l'emploi, pour 3,2 % des montants versés. Ce résultat s'explique par le fait que la prime pour l'emploi ne bénéficiant qu'aux seules personnes occupant un emploi (avec, en outre, un montant minimal de rémunération de 0,3 Smic), par construction, les plus démunis ne font pas partie du public cible. Au total, la Cour des comptes relève que 84,5 % des bénéficiaires de la prime pour l'emploi ne sont pas en situation de pauvreté.

Le rapport de la Cour des comptes, très critique donc sur la prime à l'emploi, ne doit pourtant pas être surestimé, au regard de sa portée et du sens même de ses réserves. Celles-ci ont été émises, depuis quelques années, par des travaux menés essentiellement par les économistes et les statisticiens (4), dans la mesure où les politiques d'intéressement font débat. La transposition, dans un schéma français, d'une politique anglo-saxonne (voir le mot d'ordre "to make work pay") d'incitation au retour à l'emploi des populations éloignées du marché du travail, se heurte à des difficultés qui ne sont pas qu'institutionnelles et juridiques, mais aussi sociales, historiques, culturelles (place du travail dans la société, organisation de la garde des enfants, place du temps partiel, travail des femmes, contraintes familiales...).

Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Haute Alsace


(1) V. Létard, Rapport d'information n° 334, 2004-2005, fait au nom de la commission des affaires sociales, Sénat, 11 mai 2005 ; Rapport de la commission "Famille, vulnérabilité, pauvreté" présidée par M. Hirsch, avril 2005 ; C. Willmann, Assurance chômage et placement : la difficile consécration du "soft workfare", JCP éd. S, 29 novembre 2005, étude p. 1368.
(2) E. Stancanelli et H. Sterdyniak, Un bilan des études sur la prime pour l'emploi, Revue de l'OFCE, janvier 2004.
(3) P. Choné, Une analyse de la participation des couples à la force de travail, Revue économique, novembre 2002.
(4) D. Anne et Y. L'Horty, Transferts sociaux locaux et retour à l'emploi, Economie et Statistique n° 357-358, 2002 ; J.-M. Belorgey, Minima sociaux, revenus d'activité, précarité, Commissariat général du plan, mai 2000 ; Y. Benarrosh, Les trappes à inactivité revisitées, Travail et Emploi, n° 95, juillet 2003 ; Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts, Minima sociaux : entre protection et insertion, La Documentation française, 1997 ; Accès à l'emploi et protection sociale, La Documentation française, 2001, spec. p. 9 et p. 84 ; F. Dubet, A. Veretout, Une "réduction" de la rationalité de l'acteur. Pourquoi sortir du RMI ?, Revue française de Sociologie, n° 3, juillet-septembre 2001 ; D. Guillemot, P. Petour, H. Zajdela, Trappe à chômage ou trappe à pauvreté : quel est le sort des allocataires du RMI ?, Revue économique, 2002 n° 6, pp. 1235-1252 ; M. Gurgand et D. Margolis, RMI et revenus du travail : une évaluation des gains financiers à l'emploi, Economie et Statistiques n° 346-347, 2001, p. 103.

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Abus de droit et TVA (1ère partie)

Réf. : CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc c/ Commissioners of Customs & Excise (N° Lexbase : A0045DNY)

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N5453AK8

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

Le 07 Octobre 2010

La déduction de la TVA ayant grevé le prix de revient des biens et services commercialisés suppose la taxation de ces derniers (sixième Directive-TVA, art. 17 § 2, a N° Lexbase : L9279AU9). Aussi, l'exonération de TVA interdit-elle de récupérer la TVA d'amont. Ce nécessaire lien direct entre la TVA d'aval et la TVA d'amont (CJCE, 6 avril 1994, aff. C-4/94, BLP Group plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 21 N° Lexbase : A2996AUI, DF 1995, n° 20, comm. 1091 et n° 38, comm. 1779) ne peut que stimuler l'imagination des praticiens afin de créer les apparences d'une affectation de dépenses à des opérations imposables. Ils y étaient d'autant plus encouragés, jusqu'au 20 février 2006, que la Cour de Luxembourg n'avait pas encore révélé l'existence d'un principe communautaire d'interprétation interdisant de faire un usage abusif du droit communautaire (cf. Abus de droit et TVA (2de partie) N° Lexbase : N5994AK9). Le Royaume-Uni, pays dont le droit fiscal ne sanctionne que la fraude fiscale et non l'optimisation fiscale est naturellement très prisé par les spécialistes des montages. Les affaires "Optigen Ltd", "Fulcrum Electronics Ltd" et "Bond House Systems Ltd" à propos desquelles la CJCE vient de décider le maintien du droit à déduction malgré la fraude de type "carrousel" d'un cocontractant le démontrent (CJCE, 12 janvier 2006, aff. C-354/03, Optigen Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A3277DMC, adde, Yolande Sérandour, Maintien du droit à déduction de la TVA en cas de fraude de type carrousel d'un autre opérateur, Lexbase Hebdo n° 203 du 23 février 2006 - édition fiscale N° Lexbase : N4717AKW). L'affaire "Halifax" en diffère en ce que l'assujetti concerné n'était pas la victime de la fraude mais l'auteur. Halifax est un établissement bancaire dont la grande majorité des prestations est exonérée de la TVA. Au moment des faits, Halifax pouvait récupérer moins de 5 % de la TVA acquittée en amont. Ayant besoin de locaux sur 4 sites différents dont 3 en Grande Bretagne, Halifax a mis au point un montage très compliqué destiné à récupérer la TVA devant grever les travaux de construction et frais d'études ou de suivi. Pour atteindre le but fixé, il fallait faire en sorte que les dépenses à engager soient celles d'entreprises réalisant des opérations ouvrant droit à déduction, des affaires taxables et non celles de la banque Halifax, exonérée de TVA.

Le montage utilisait 3 filiales à 100 % à objet immobilier. A l'aide de contrats de prêts, de construction, de bail, de cession de bail et de sous-location, Halifax était parvenue, par filiales et contrats intercalés, à créer les conditions d'ouverture et d'exercice du droit à déduction. Les frais de construction étaient apparemment engagés par des filiales soumises à la TVA. Cette apparence permettait de récupérer totalement la TVA ayant grevé les nouveaux locaux. La complexité du montage ne masquait pas néanmoins la véritable identité du maître d'ouvrage et preneur des travaux de constructions : Halifax. Le point 29 de l'arrêt commenté précise que "la juridiction de renvoi souligne que des accords ont pu être passés par étapes avec les constructeurs indépendants et que ceux portés à sa connaissance étaient accompagnés d'accords séparés auxquels Halifax était partie. Ces accords séparés garantiraient à Halifax, notamment, l'exécution des tâches et obligations par le constructeur indépendant concerné". Trop de précautions tuent la précaution.

L'administration fiscale britannique a refusé la déduction de TVA demandée aux motifs, d'une part, qu'une opération effectuée dans le seul but d'éluder la TVA n'est en soi ni une livraison ou une prestation ni une mesure prise dans le cadre de la poursuite d'une activité économique et, d'autre part, que le principe général du droit communautaire impose de prévenir l'abus de droit et, en conséquence de ne tenir aucun compte des opérations exécutées dans le seul but d'éluder la TVA afin d'appliquer les dispositions de la sixième Directive-TVA à la nature réelle des opérations en cause.

La juridiction britannique saisie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJCE les questions préjudicielles suivantes :

"1) a) Dans les circonstances pertinentes, des opérations
i) effectuées par chaque participant dans la seule intention d'obtenir un avantage fiscal et
ii) dépourvues d'objectif économique autonome
sont-elles, aux fins de la TVA, des livraisons ou des prestations effectuées par les participants, ou à leur profit, dans le cadre de leurs activités économiques ?
b) Dans les circonstances pertinentes, quels sont les éléments dont il convient de tenir compte pour déterminer les destinataires des livraisons ou prestations effectuées par les constructeurs indépendants ?
2) La théorie de l'abus de droit, telle qu'élaborée par la Cour, amène-t-elle à débouter les parties requérantes de leurs demandes de récupération ou de remise de la taxe payée en amont découlant de la mise en oeuvre des opérations pertinentes ?"

En réponse, la Cour dit pour droit que :

"1) Des opérations telles que celles en cause au principal constituent des livraisons de biens ou des prestations de services et une activité économique au sens de l'article 2, point 1, de l'article 4, § 1 et 2, de l'article 5, § 1, et de l'article 6, § 1, de la sixième Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la Directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, dès lors qu'elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels sont fondées lesdites notions, même lorsqu'elles sont effectuées dans le seul but d'obtenir un avantage fiscal, sans autre objectif économique.

2) La sixième Directive doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose au droit de l'assujetti de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont lorsque les opérations fondant ce droit sont constitutives d'une pratique abusive.

La constatation de l'existence d'une pratique abusive exige, d'une part, que les opérations en cause, malgré l'application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième Directive et de la législation nationale transposant cette directive, aient pour résultat l'obtention d'un avantage fiscal dont l'octroi serait contraire à l'objectif de ces dispositions. D'autre part, il doit également résulter d'un ensemble d'éléments objectifs que les opérations en cause ont pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal.

3) Lorsque l'existence d'une pratique abusive a été constatée, les opérations impliquées doivent être redéfinies de manière à rétablir la situation telle qu'elle aurait existé en l'absence des opérations constitutives de cette pratique abusive".

L'abus de droit n'exclut pas du champ d'application de la TVA mais exclut du droit à déduction de la TVA.

1. L'abus de droit n'exclut pas du champ d'application de la TVA

1.1. Les textes

La CJCE rappelle que la sixième Directive-TVA établit un système commun de TVA fondé, notamment, sur une définition uniforme des opérations taxables (§ 48 ; CJCE, 26 juin 2003, aff. C-305/01, Finanzamt Gross-Gerau c/ MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring GmbH, § 38 N° Lexbase : A0199C9A, RJF 10/03, n° 1193 et 11/03, Point de vue de Ph. Tournès, p. 850 ; obs. Y. Sérandour, L'Année fiscale 2004, p. 231). La sixième Directive-TVA, "Code européen de la TVA" selon le professeur M. Cozian (Précis de fiscalité des entreprises, Litec, 29ème éd., n° 1204), s'intitule "sixième Directive en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur la valeur ajoutée : assiette uniforme". Comme à l'égard de toute Directive mais tout particulièrement en matière de TVA, chaque Etat membre doit veiller à sa transposition fidèle. La définition interne des opérations dans le champ d'application de la TVA et les règles internes de déduction de la TVA ayant grevé les prix de revient doivent respecter les termes et notions utilisés par la sixième Directive-TVA, tels qu'interprétés par la CJCE. Comme toute jurisprudence, celle de la CJCE s'intègre à la règle communautaire interprétée, laquelle est supérieure à la règle interne.

La primauté du droit communautaire d'origine et du droit communautaire dérivé, dont les Directives, procède de la supériorité des traités, y compris communautaires, sur le droit interne. Tous les systèmes juridiques des Etats membres de l'Union européenne reconnaissent cette supériorité. En France, cette hiérarchie résulte de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9R). Par traités internationaux, les Etats membres de l'Union européenne ont abandonné une partie de leur souveraineté en vue de créer un nouvel ordre juridique propre intégré aux systèmes internes. Il en résulte une autonomie du droit communautaire renforcée par la compétence exclusive de la CJCE pour l'interpréter . Une telle hiérarchie des sources et compétences permet d'éviter une mise en oeuvre différenciée des règles communautaires et d'assurer l'existence d'un réel marché unique.

1.2. La jurisprudence

Ainsi qu'en atteste la jurisprudence récente, sur tout le territoire de l'Union européenne, les notions suivantes sont pareillement définies : livraison d'un bien (CJCE, 21 avril 2005, aff. C-25/03, Finanzamt Bergisch Gladbach c/ HE, § 63 N° Lexbase : A9457DHQ, DF 2005, n° 46, comm. 735 ; RJF 8-9/05, n° 986), livraison de biens à titre onéreux (en cas de vol : CJCE, 14 juillet 2005, aff. C-435/03, British American Tobacco International Ltd c/ Belgische Staat N° Lexbase : A1686DKN, RJF 11/05, n° 1336), véhicule (CJCE, 3 mars 2005, aff. C-428/02, Fonden Marselisborg Lystbådehavn, § 42 N° Lexbase : A1775DH9, DF 2005, n° 24, comm. 477), location de biens immeubles (CJCE, 3 mars 2005, aff. C-428/02, Fonden Marselisborg Lystbådehavn, § 28, précité ; CJCE, 16 janvier 2003, aff. C-315/00, Rudolf Maierhofer c/ Finanzamt Augsburg-Land, § 25 N° Lexbase : A7026A4Y ; DF 2003, n° 12, comm. 238 ; CJCE, 8 mai 2003, aff. C-269/00, Wolfgang Seeling c/ Finanzamt Starnberg, § 46 N° Lexbase : A9186B4Y, DF 2003, n° 46, comm. 806 ; CJCE, 12 juin 2003, aff. C-275/01, Sinclair Collis Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 22, précité ; obs. Y. Sérandour, in L'Année fiscale 2004, p. 224 et s.), livraison à soi-même (CJCE, 20 janvier 2005, aff. C-412/03, Hotel Scandic Gåsabäck AB c/ Riksskatteverket N° Lexbase : A3119DGM, DF 2005, n° 23, comm. 463 ; RJF 4/05, n° 417), prestation de services (à propos des logiciels : CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-41/04, Levob Verzekeringen BV c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A0986DL4, RJF 1/06, n° 112), qualité d'assujetti (CJCE, 21 octobre 2004, aff. C-8/03, Banque Bruxelles Lambert SA (BBL) c/ Etat belge, § 37 N° Lexbase : A6245DDN, DF 2004, n° 51, comm. 908, note M. Guichard et W. Stemmer ; CJCE, 3 mars 2005, aff. C-32/03, I/S Fini H c/ Skatteministeriet N° Lexbase : A1773DH7, DF 2005, n° 25, comm. 487 ; RJF 5/05, n° 519), exonération des paris, loteries et autres jeux de hasard ou d'argent (CJCE, 17 février 2005, aff. C-453/02, Finanzamt Gladbeck N° Lexbase : A7506DG4, DF 2005, n° 12, comm. 315, note T. Georgopoulos ; RJF 5/05, n° 440), organisme à caractère social (CJCE, 26 mai 2005, aff. C-498/03, Kingscrest Associates Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A3971DIW, DF 2005, n° 38, p. 1417 ; RJF 8-9/05, n° 984), escale en dehors de la Communauté (CJCE, 15 septembre 2005, aff. C-58/04, Antje Köhler c/ Finanzamt Düsseldorf-Nord N° Lexbase : A4381DKH, RJF 12/05, n° 1495), etc.

La CJCE affirme régulièrement que "l'assujettissement à la TVA d'une opération déterminée ou son exonération ne sauraient dépendre de sa qualification en droit national" (CJCE, 11 janvier 2001, aff. C-76/99, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 26, précité ; CJCE, 16 janvier 2003, aff. C-315/00, Rudolf Maierhofer c/ Finanzamt Augsburg-Land, § 26 ; CJCE, 26 mai 2005, aff. C-498/03, Kingscrest Associates Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 25, précité). Elle entend maintenir cette approche autonome en rappelant que la notion de transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire caractérisant une livraison imposable s'entend du "transfert d'un bien corporel par une partie qui habilite l'autre partie à disposer en fait de ce bien comme si elle en était le propriétaire" (§ 41 ; CJCE, 8 février 1990, aff. C-320/88, Staatssecretaris van Financiën c/ Shipping and Forwarding Enterprise Safe BV, § 7 N° Lexbase : A7357AHX, RJF 4/90, n° 504 ; CJCE, 4 octobre 1995, aff. C-291/92, Finanzamt Uelzen c/ Dieter Armbrecht, § 7 N° Lexbase : A7278AHZ, RJF 12 /95, n° 1447 ; CJCE, 21 avril 2005, aff. C-25/03, Finanzamt Bergisch Gladbach c/ HE, § 64, précité). Elle persiste à définir la notion de prestation de services comme toute opération ne constituant pas une livraison (sixième Directive-TVA, art. 6 § 1 ; arrêt "Halifax", § 52 ; prestation de services agricoles : CJCE, 26 mai 2005, aff. C-43/04, Finanzamt Arnsberg c/ Stadt Sundern, § 24 N° Lexbase : A3968DIS, RJF 8-9/05, n° 987).

Cette jurisprudence communautaire illustre l'attachement du juge communautaire à une définition uniforme des termes et notions utilisés par la sixième Directive-TVA et la mise en oeuvre de la proposition de Saleilles "au-delà du Code, mais par le Code". Toute approche interne s'éloignant de la sixième Directive-TVA est vouée à l'échec. En l'espèce, l'administration fiscale britannique déniait l'existence même de livraisons ou services réalisés dans le cadre d'une activité économique aux motifs que les contrats en cause ne visaient qu'à éluder la TVA. Or, la sixième Directive-TVA ne définit nullement l'opération imposable par le but ou le résultat recherché. Seule importe l'existence de livraisons de biens ou de prestations de services réalisées moyennant une véritable contrepartie et en tant qu'opérateur habituel. La réalisation d'un bénéfice ou d'une perte importe peu. Il suffit d'un échange à titre onéreux (CJCE, 20 janvier 2005, aff. C-412/03, Hotel Scandic Gåsabäck AB c/ Riksskatteverket, précité). Il n'existe aucune obligation juridique d'exercer une activité de manière à maximiser les recettes fiscales. Tout entrepreneur normalement prudent et avisé minimise ses coûts, notamment en choisissant la voie la moins imposée (CJCE, 6 avril 1995, aff. C-4/94, BLP Group plc c/ Commissioners of Customs & Excise, précité, § 22 ; CJCE, 9 octobre 2001, aff. C-108/99, Commissioners of Customs & Excise c/ Cantor Fitzgerald International, § 33 N° Lexbase : A4483AWX, RJF 1/02, n° 124 ; CJCE, 29 avril 2004, aff. C-487/01 et 7/02, Gemeente Leusden c/ Staatssecretaris van Financiën, § 79 N° Lexbase : A9952DB9, RJF 7/04, n° 835).

La recherche d'un avantage fiscal frauduleux par la réalisation de véritables échanges économiques importe d'autant moins quant à la qualification des opérations dans le champ que selon l'article 4 § 1 de la sixième Directive-TVA, l'assujetti est quiconque exerçant, de façon indépendante, une activité économique, quels qu'en soient les buts et les résultats. Elle doit être considérée en elle-même (§ 55 ; CJCE, 12 janvier 2006, aff. C-354/03, Optigen Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, précité, § 43 ; CJCE, 14 février 1985, aff. C-268/83, D.A. Rompelman et E.A. Rompelman-Van Deelen c/ Minister van Financiën, § 19 N° Lexbase : A8121AUC ; CJCE, 26 mars 1987, aff. C-235/85, Commission des Communautés européennes c/ Royaume des Pays-Bas, § 8 N° Lexbase : A8003AUX ; CJCE, 12 septembre 2000, aff. C-260/98, Commission des Communautés européennes c/ République hellénique, § 26 N° Lexbase : A9273AHW ; CJCE, 27 novembre 2003, aff. C-497/01, Zita Mode s Sàrl c/ Administration de l'enregistrement et des domaines, § 38 N° Lexbase : A2992DA3, RJF 02/04, n° 211). Une interprétation contraire autoriserait l'administration fiscale à vérifier les intentions des assujettis, les exposant au risque d'appréciation subjective et différente d'un Etat membre à un autre. Le principe de sécurité juridique s'y oppose, ainsi que l'objectif d'harmonisation de la sixième Directive-TVA (§ 57 ; CJCE, 6 avril 1995, aff. C-4/94, BLP Group plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 24 N° Lexbase : A9796AUD). Seule l'inexistence des opérations pourraient être opposée. Tel serait le cas si un assujetti produisait de fausses déclarations de chiffre d'affaires ou des fausses factures (§ 59).

Cette analyse objective des opérations dans le champ d'application de la TVA interdit également aux assujettis de se prévaloir de leur propre turpitude. Si l'intention constituait un critère de qualification des opérations dans le champ, il pourrait être tentant d'échapper à la TVA en opposant la recherche d'un avantage fiscal frauduleux. Toutefois, si un tel but n'affecte pas l'exigibilité de la TVA, il peut en revanche justifier la négation d'un droit à déduction.

Pour la 2de partie de cette article, lire (N° Lexbase : N5994AK9)

newsid:85453

Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Abus de droit et TVA (2de partie)

Réf. : CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc c/ Commissioners of Customs & Excise (N° Lexbase : A0045DNY)

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N5994AK9

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

Le 07 Octobre 2010

La déduction de la TVA ayant grevé le prix de revient des biens et services commercialisés suppose la taxation de ces derniers (sixième Directive-TVA, art. 17 § 2, a N° Lexbase : L9279AU9). Aussi, l'exonération de TVA interdit-elle de récupérer la TVA d'amont. Ce nécessaire lien direct entre la TVA d'aval et la TVA d'amont (CJCE, 6 avril 1994, aff. C-4/94, BLP Group plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 21 N° Lexbase : A2996AUI, DF 1995, n° 20, comm. 1091 et n° 38, comm. 1779) ne peut que stimuler l'imagination des praticiens afin de créer les apparences d'une affectation de dépenses à des opérations imposables. Ils y étaient d'autant plus encouragés, jusqu'au 20 février 2006, que la Cour de Luxembourg n'avait pas encore révélé l'existence d'un principe communautaire d'interprétation interdisant de faire un usage abusif du droit communautaire (cf. Abus de droit et TVA (1ère partie) N° Lexbase : N5453AK8).
2. L'abus de droit exclut du droit à déduction de la TVA

2.1. L'affirmation d'un principe communautaire

Halifax soutenait que le droit communautaire de la TVA ne comportait aucunement une théorie d'abus de droit permettant à un Etat membre de rejeter des demandes de récupération ou de déduction de la TVA acquittée en amont. Le Royaume-Uni, la France, l'Irlande et la Commission argumentaient en sens inverse. Certes, avant l'arrêt "Halifax", la CJCE n'avait pas réellement affirmé l'existence d'un principe communautaire d'interprétation interdisant de faire un usage abusif des règles communautaires de TVA. Pourtant, elle avait déjà admis l'usage abusif du droit communautaire.

Ainsi, le 11 octobre 1977, le juge communautaire affirmait que la politique agricole commune en matière de montants compensatoires "ne saurait en aucun cas être étendue jusqu'à couvrir des pratiques abusives d'opérateurs économiques" (CJCE, 11 novembre 1977, aff. C-125/76, Entreprise Peter Cremer c/ Bundesanstalt für landwirtschaftliche Marktordnung, quest. préj., § 21 N° Lexbase : A7139AUX ; CJCE, 27 octobre 1981, aff. C-250 /80, Anklagemyndigheden c/ Hans Ulrich Schumacher, Peter Hans Gerth, Johannes Heinrich Gothmann et Alfred C. Töpfer, quest. préj., § 16 et 18 N° Lexbase : A6148AUA ; CJCE, 3 mars 1993, aff. C-8/92, General Milk Products GmbH c/ Hauptzollamt Hamburg-Jonas, § 21 N° Lexbase : A9533AUM). Le 7 février 1979, à propos d'un droit à formation professionnelle, il considérait que les libertés fondamentales de libre circulation des personnes et de liberté d'établissement ne devaient pas permettre aux ressortissants d'un Etat membre de "se soustraire abusivement à l'emprise de leur législation nationale" (CJCE, 7 février 1979, aff. C-115/78, J. Knoors c/ Secrétaire d'Etat aux affaires économiques, quest. préj., § 25 N° Lexbase : A5737AUZ ; CJCE, 3 octobre 1990, aff. C-61/89, Procédure pénale c/ Marc Gaston Bouchoucha, § 14 N° Lexbase : A9485AUT ; CJCE, 7 juillet 1992, aff. C-370/90, The Queen c/ Immigration Appeal Tribunal et Surinder Singh, ex parte Secretary of State for Home Department, § 24 N° Lexbase : A9785AUX). De même, la protection sociale ne saurait résulter d'un comportement abusif ou frauduleux (CJCE, 2 mai 1996, aff. C-206/94, Brennet AG c/ Vittorio Paletta, § 24 N° Lexbase : A9986AUE).

Les contours de l'abus de droit communautaire apparaissent en 1998 lorsque, à propos de l'augmentation du capital d'une société décidée par une administration, la CJCE exclut l'utilisation du droit communautaire dans le but d'obtenir des avantages illégitimes et manifestement étrangers à l'objectif poursuivi par la disposition en cause (CJCE, 12 mai 1998, aff. C-367/96, Alexandros Kefalas e.a. c/ Elliniko Dimosio (Etat hellénique) et Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE), § 28 N° Lexbase : A0439AW8). Dans une affaire similaire, la Cour réitère ce premier critère de l'abus de droit communautaire, le détournement de la règle, le 23 mars 2000 (CJCE, 23 mars 2000, aff. C-373/97, Dionysios Diamantis c/ Elliniko Dimosio et Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE), § 33 N° Lexbase : A0548AW9). Elle esquisse le second le 14 décembre 2000, en matière de restitution de taxes, en évoquant la volonté d'obtenir un avantage résultant de la réglementation communautaire (CJCE, 14 décembre 2000, aff. C-110 /99, Emsland-Stärke GmbH c/ Hauptzollamt Hamburg-Jonas, § 53 N° Lexbase : A1844AW9). Entre temps, le juge communautaire avait admis qu'"un Etat membre est en droit de prendre des mesures destinées à empêcher que, à la faveur des facilités créées en vertu du traité, certains de ses ressortissants ne tentent de se soustraire abusivement à l'emprise de leur législation nationale et que ne sauraient être acquis par un comportement abusif ou frauduleux" (CJCE, 9 mars 1999, aff. C-212/97, Centros Ltd c/ Erhvervs -og Selskabsstyrelsen, § 24 N° Lexbase : A7324AHQ ; CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-167/01, Kamer van Koophandel en Fabrieken voor Amsterdam c/ Inspire Art Ltd, § 136 N° Lexbase : A6924C9C), particulièrement en cas de recherche d'avantages fiscaux, en l'espèce un report d'imposition de plus-values (CJCE, 21 novembre 2002, aff. C-436/00, X c / Riksskatteverket, § 41 et 45 N° Lexbase : A0406A78).

La diversité du champ d'application de l'abus de droit communautaire ne permettait guère de douter de son extension à la TVA. Si l'arrêt "Fini H" précité attirait particulièrement l'attention par la reconnaissance du droit à déduction de la TVA malgré la cessation d'activité, il avait moins focalisé l'attention sur l'extension à la TVA de la prohibition des pratiques abusives. Par référence à la jurisprudence relative au droit des sociétés, la CJCE y affirmait, sommairement mais fermement "que les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes communautaires" (CJCE, 3 mars 2005, aff. C-32/03, I/S Fini H c/ Skatteministeriet, précité, § 32). L'arrêt "Halifax " réitère plus solennellement cette position en y consacrant un paragraphe 70, court et sans ambiguïté : "ce principe d'interdiction de pratiques abusives s'applique également au domaine de la TVA". En cela, la CJCE adopte une conception plus souple qu'en droit français puisque ce dernier s'appuie sur un texte protecteur des redevables par l'information préalable et la possibilité de saisir le comité consultatif des abus de droit (M. Cozian, Précis de fiscalité des entreprises, préc., n° 2 500 et s.).

La CJCE se veut également protectrice des redevables. En effet, afin d'assurer la sécurité juridique des assujettis et de leur permettre d'évaluer les conséquences financières de leurs choix fiscaux (§ 72), l'assujetti ayant "le droit de choisir la structure de son activité de manière à limiter sa dette fiscale" (§ 73), la CJCE définit la pratique abusive. D'une part, il faut que "les opérations en cause, malgré l'application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième Directive et de la législation nationale transposant cette directive, aient pour résultat l'obtention d'un avantage fiscal dont l'octroi serait contraire à l'objectif poursuivi par ces dispositions" ( §74). D'autre part, "il doit également résulter d'un ensemble d'éléments objectifs que le but essentiel des opérations en cause est l'obtention d'un avantage fiscal" car "l'interdiction de pratiques abusives n'est pas pertinente lorsque les opérations en cause sont susceptibles d'avoir une justification autre que la simple obtention d'avantages fiscaux" (§ 75). Le droit invoqué doit découler d'activités économiques pour lesquelles il n'existe objectivement aucune autre justification que de créer le droit revendiqué. L'apparente vérité juridique doit servir un mensonge économique et fiscal.

L'administration fiscale devra, sous le contrôle du juge, d'abord établir un détournement de la règle communautaire de TVA. Cela suppose d'identifier la règle pertinente puis d'en dire la fonction. S'agissant du droit à déduction de la TVA, le principe de neutralité signifie que toute dépense directement affectée aux opérations taxables ouvre droit à déduction de la TVA d'amont (sixième Directive-TVA, art. 17 § 2 ; arrêt "BLP Group", précité, § 21) ; cela, quels que soient les buts ou les résultats des activités du redevable (§ 78 ; CJCE, 14 février 1985, aff. C-268/83, D.A. Rompelman et E.A. Rompelman-Van Deelen c/ Minister van Financiën, précité, § 19 ; CJCE, 15 janvier 1998, aff. C-37/95, Belgische Staat c/ Ghent Coal Terminal NV, § 15 N° Lexbase : A9657AU9, RJF 1998, n° 359 ; CJCE, 21 mars 2000, aff. C-110/98, Gabalfrisa SL e.a. c/ Agencia Estatal de Administración Tributaria (AEAT), § 44 N° Lexbase : A1997AIS, RJF 6/00, n° 872 ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-98/98, Commissioners of Customs and Excise c/ Midland Bank plc, § 19 N° Lexbase : A2016AII, RJF 9-10/00, n° 1187 ; CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, Abbey National plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 24 N° Lexbase : A1648AWX, DF 2002, n° 13, comm. 278 ; CJCE, 27 novembre 2003, aff. C-497/01, Zita Modes Sàrl c/ Administration de l'enregistrement et des domaines, précité, § 38 ; CJCE, 12 janvier 2006, aff. C-354/03, Optigen Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, précité, § 43). Inversement, l'absence de réalisation d'opérations imposables, notamment en cas d'exonération, comme en l'espèce, n'autorise pas à récupérer la TVA d'amont. Au point 80 de l'arrêt "Halifax", la CJCE souligne que "permettre à des assujettis de déduire la totalité de la TVA payée en amont alors que, dans le cadre de leurs transactions commerciales normales, aucune opération conforme aux dispositions du régime des déductions de la sixième Directive ou de la législation nationale le transposant ne leur aurait permis de déduire ladite TVA, ou ne leur aurait permis d'en déduire qu'une partie, serait contraire au principe de neutralité fiscale et, partant, contraire à l'objectif dudit régime".

A supposer le détournement de la règle de TVA établi, il restera une seconde preuve à rapporter : des opérations ayant pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal. Sous le contrôle du juge, l'administration fiscale devra établir "le contenu et la signification réels des opérations en cause", en prenant en considération, notamment, "le caractère purement artificiel de ces opérations ainsi que les liens de nature juridique, économique et/ou personnelle entre les opérateurs impliqués dans le plan de réduction de la charge fiscale" (§ 81 ; arrêt "Emsland-Stärke", précité, § 58). L'interdiction des pratiques abusives, en tant que principe d'interprétation, n'est pas invocable lorsque l'activité économique exercée est susceptible d'avoir une justification autre que la simple obtention d'avantages fiscaux.

L'arrêt "Emsland-Stärke" auquel se réfère la CJCE avait été précédé d'un arrêt permettant déjà de sanctionner "les montages purement artificiels dont le seul but serait de contourner la loi fiscale" (CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96, Imperial Chemical Industries plc (ICI) c/ Kenneth Hall Colmer (Her Majesty' s Inspector of Taxes) N° Lexbase : A0410AW4, DF 1998, n° 48, chron. P. Dibout, p. 1475). Quoiqu'elle s'en défende en exigeant une appréciation objective des faits, la CJCE permet de balayer la multiplication des truchements de personnes et de circulation des biens ou service en cause, comme dans l'espèce, afin de révéler l'intention réelle de l'assujetti.

2.2. La portée de l'affirmation d'un principe communautaire

Quel que soit le montage, simulation et fraude ne sauraient résister à cette recherche du "contenu et la signification réels des opérations en cause". La distinction française entre mensonge juridique et mensonge économique importe peu (sur la notion d'abus de droit fustigé par l'art. L. 64 du LPF N° Lexbase : L5565G4U, M. Cozian, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, Litec, 4ème éd., doc. 1 à 5 ; F. Deboissy, La simulation en droit fiscal, LGDJ, 1997 ; G. Goulard, L'abus de droit à la lumière du droit communautaire, A propos de l'arrêt CE, 18 mai 2005, SA Sagal [CE, 3° et 8° s-s., 18 mai 2005, n° 267087, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Sagal N° Lexbase : A3517DI4], DF 2005, n° 44-45, p. 1715 et comm. 726 ; L. Olléon, L'être, le paraître et l'abus de droit, RJF 4/03, p. 303). Observons également qu'en matière de TVA, l'administration fiscale ne pourra prétendre sanctionner un abus de droit sans le dire et respecter la procédure prévue par l'article L. 64 du LPF. La cour administrative d'appel de Lyon a justement refusé l'abus de droit rampant le 13 juillet 2005 (CAA Lyon, 2ème, 13 juillet 2005, n° 99LY02844, SA Igol Centre Etablissement Gallois c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3499DKS, adde, Y. Sérandour, Cadeau, réduction de prix et TVA, Lexbase Hebdo n° 184 du 6 octobre 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N9092AIL. Sur l'abus de droit rampant : J. Turot, RJF 8-9/89, p. 458 ; M. Cozian, Précis de fiscalité des entreprises, op. cit, n° 2511).

Comparée au droit français, la notion communautaire de l'abus de droit apparaît à la fois restrictive et extensive. Restrictive en ce qu'elle suppose deux éléments constitutifs : détournement de la règle de droit pertinente et but essentiellement fiscal. Si notre droit interne ne vise que la simulation et la fraude, il n'exige pas aussi nettement cette double preuve. En revanche, lorsque le juge de Luxembourg se contente d'un but essentiellement fiscal, il adopte une conception extensive car l'abus de droit français, notamment par fraude se caractérise par le but exclusivement fiscal. Cette différence sera vraisemblablement source de litiges. Comment en effet identifier un but essentiellement fiscal ? L'affaire jugée par la cour administrative d'appel de Lyon le 13 juillet 2005 illustre cette difficulté. Une société avait, à plusieurs reprises, facturé, en plus de ses produits habituels, des biens de nature totalement différente dont le prix apparaissait sensiblement équivalent à des avoirs émis concomitamment. L'administration fiscale y voyait une utilisation de la réduction de prix en vue de contourner l'exclusion du droit à déduction de la TVA sur les cadeaux. Elle a été déboutée pour avoir omis de respecter la procédure prévue par l'article L. 64 du LPF.

L'arrêt "Halifax" aurait-il apporté un soutien à l'administration fiscale ? Utiliser le droit de commercer et celui d'accorder une réduction de prix pour échapper à une exclusion du droit à déduction de la TVA et réaliser une libéralité constitue certainement un détournement des règles de TVA. Pourtant, le but essentiellement fiscal fait défaut. En effet, les parties ont d'abord entendu réaliser un véritable échange économique, dans le cadre de leurs relations d'affaires habituelles. L'artifice ne porte que sur une faible part de l'opération. Il n'y a donc aucun montage purement artificiel. De plus, le but essentiel de cette optimisation grossière est économique et stratégique : récompenser les clients et les inciter à renouveler leurs commandes. Compte tenu de la réalité des échanges économiques suscitant la réduction et sa proportion, le détournement apparaît mineur. La solution "Halifax" serait disproportionnée et contraire à l'article 27 de la sixième Directive-TVA dans la mesure où elle conduirait à déroger à l'article 11 A § 3 de la sixième Directive-TVA relatif aux réductions de prix et à l'article 17 § 2 posant le droit à déduction de la TVA grevant les dépenses affectées aux opérations taxées. Ledit article 27 prévoit que "1. Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout Etat membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale. 2. L'Etat membre qui souhaite introduire des mesures visées au paragraphe 1 en saisit la Commission et lui fournit toutes les données utiles d'appréciation". Le juge communautaire rappelle régulièrement ce texte aux Etats membres (CJCE, 21 septembre 1988, aff. C -50/87, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 22 N° Lexbase : A7265AHK, DF 1988, comm. 2305, RJF 11/88, n° 1255 ; CJCE, 11 juillet 1991, aff. C -97/90, Hansgeorg Lennartz c/ Finanzamt München III, § 35 N° Lexbase : A7275AHW, DF 1992, comm. 45, RJF 1991, 1325 ; CJCE, 20 janvier 2005, aff. C-412/03, Hotel Scandic Gåsabäck AB c/ Riksskatteverket, précité, § 26).

Un deuxième argument invite à respecter la procédure de notification susmentionnée. En l'absence de montage non essentiellement destiné à éluder la TVA, les principes communautaires de sécurité juridique et de confiance légitime doivent permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l'étendue de leurs obligations (§ 72 ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-396/98, Grundstückgemeinschaft Schlossstrasse GbR c/ Finanzamt Paderborn, § 44 N° Lexbase : A1801AWM, RJF 11/00, n° 1393 ; CJCE, 29 avril 2004, aff. C -487/01, Gemeente Leusden c/ Staatssecretaris van Financiën, précité, § 58, 65 et 69 ; CJCE, 29 avril 2004, aff. C-17/01, Finanzamt Sulinge c/ Walter Sudholz N° Lexbase : A9948DB3, RJF 7/04, n° 832). Une remise en cause non encadrée des droits nés de la sixième Directive-TVA au prétexte d'un abus non essentiellement tourné vers l'obtention d'un avantage fiscal comporte un risque d'appréciation subjective par l'administration fiscale et le juge interne.

Enfin, le droit de choisir la voie la moins imposée lorsque plusieurs solutions s'offrent (§ 73) constitue un troisième argument en faveur du respect de l'article 27. Dans la mesure où un redevable de la TVA peut choisir de récompenser la fidélité par l'octroi d'une réduction de prix ou la remise d'un cadeau de faible valeur, voies admises par les articles 11 A § 3 a et 5 § 7 de la sixième Directive-TVA, lui interdire ce choix suppose un fondement de même valeur. Encore faut-il que soit admise l'existence d'un choix en cas de cadeau d'importance. Si le montant exclut le choix susmentionné, il reste à se demander si l'autre serait entre la réduction de prix et le droit de facturer un bien différent de ceux habituellement vendus avec réduction de prix déterminée en fonction du prix global.

Cette illustration, à partir d'un cas classique d'optimisation des règles de TVA, des difficultés inhérentes au deuxième critère de définition des pratiques abusives laisse présager de futurs litiges. L'administration fiscale devra d'autant plus apprécier l'opportunité d'invoquer l'abus de droit communautaire que sa démonstration oblige à replacer les parties dans la situation dans laquelle elles se trouvaient avant les opérations litigieuses (§ 94 et s). Le redressement ne doit atteindre que les auteurs des pratiques abusives et seulement dans la mesure exacte de l'avantage fiscal illicitement obtenu. La CJCE réitère la solution "Optigen" en écartant toute appréhension globale de la chaîne économique concernée. Il n'y a pas d'abus de droit par contamination.

Cette approche analytique de l'abus de droit amène à s'interroger quant à l'éventuelle extension de cette jurisprudence communautaire à la fiscalité directe. La fiscalité directe communautaire ayant inspiré l'interprétation de la sixième Directive-TVA pour révéler le principe d'interdiction de pratiques abusives, le phénomène inverse pourrait se produire en vue de préciser, comme en matière de TVA les critères de l'abus du droit communautaire des impôts directs. Si la CJCE devait ainsi évoluer et si le Conseil d'Etat a véritablement voulu, avec l'arrêt "Sagal", s'aligner sur la CJCE (G. Goulard, art. précité, n° 25), il devra exiger de l'administration qu'elle désigne très précisément les auteurs de l'abus de droit et qu'elle caractérise l'abus par les deux critères posés par le juge communautaire. L'affirmation devra suivre la démonstration et non en tenir lieu.

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Fiscal général

[Textes] Les mesures fiscales de la loi d'orientation agricole pour 2006

Réf. : Loi d'orientation agricole, n° 2006-11, du 5 janvier 2006 (N° Lexbase : L6672HET)

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par Karim Sid Ahmed, Docteur en droit

Le 07 Octobre 2010

Le projet de loi d'orientation agricole pour 2006 a été adopté le 22 décembre 2005 par le Parlement et publiée au Journal Officiel du 6 janvier 2006. Les nombreuses dispositions contenues dans le texte ont pour finalité de consolider la compétitivité de l'agriculture et du secteur agroalimentaire français et de favoriser leur adaptation dans un contexte renouvelé par la réforme de la politique agricole commune (PAC) et les négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). C'est dans cette perspective que le Gouvernement avait installé, le 20 septembre 2004, la Commission nationale d'orientation (CNO) chargée d'accompagner le débat national "Agriculture, territoires et société" lancé en préambule à la préparation du projet de loi. Au rayon fiscal, on dénombre un certain nombre de mesures comme une disposition tendant à améliorer le régime fiscal des exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) (art. 9) (1), ainsi que la mise en place d'une réduction d'impôt en vue d'inciter les exploitants à céder leur exploitation à un jeune dans le cadre d'un contrat de cession comportant un différé de paiement (art. 16) (2). Ou encore l'instauration d'un crédit d'impôt "remplacement", qui permet aux exploitants astreints à ne pas quitter leurs exploitations de prendre des congés en se faisant remplacer par du personnel qualifié (art. 25) (3). 1. L'amélioration du régime fiscal des EARL

L'article L. 324-1 du Code rural (N° Lexbase : L3553G9H) définit les conditions de constitution d'une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) et dispose qu'"une ou plusieurs personnes physiques peuvent instituer une société civile dénommée 'exploitation agricole à responsabilité limitée', régie par les dispositions des chapitres Ier et II du titre IX du livre III du Code civil, à l'exception de l'article 1844-5 (N° Lexbase : L2025ABM). Les associés ne supportent les pertes qu'à concurrence de leurs apports. Lorsque l'exploitation agricole à responsabilité limitée est constituée par une seule personne, celle-ci est dénommée 'associé unique'. L'associé unique exerce les pouvoirs dévolus à l'assemblée des associés".

L'article L. 324-2 du même code (N° Lexbase : L3554G9I) précise l'objet des EARL, à savoir l'exercice d'activités réputées agricoles au sens de l'article L. 311-1 (N° Lexbase : L5250HCG) et dispose qu'elles ne peuvent réunir plus de dix associés.

Il faut rappeler que les EARL familiales ont été créées pour adapter la législation des sociétés de capitaux à la situation particulière des exploitations agricoles. En effet, par dérogation au régime des sociétés de capitaux, les EARL de famille peuvent être soumises au régime de l'impôt sur le revenu. Mais, lorsque le lien de famille justifiant la création d'une telle société disparaît (à la suite d'un décès ou d'un retrait), ces sociétés retournent automatiquement au régime de droit commun des sociétés de capitaux, c'est-à-dire au régime de l'impôt sur les sociétés, ce qui peut s'avérer pénalisant.

La loi d'orientation agricole vise, donc, à faire évoluer le régime fiscal applicable aux exploitations à responsabilité limitée pour permettre à chacun des associés, même si ceux-ci n'ont pas de lien de parenté, de conserver le régime d'imposition des bénéfices agricoles. Ce qui permettra la constitution de sociétés de personnes, composées d'associés apparentés ou non, exploitants ou non, avec maintien du régime des sociétés de personnes. Il n'y aura, donc, plus de passage obligatoire à l'impôt sur les sociétés. Sous l'ancien régime juridique, seule une EARL composée de membres d'une même famille était soumise au régime d'imposition des bénéfices agricoles qui comporte de nombreux avantages (dotation pour investissement, déduction pour aléas, moyenne triennale, évaluation des stocks à rotation lente, etc.). Cette restriction était dommageable dans un certain nombre de cas où, par exemple, à la cessation de l'activité du père, le fils trouvait un associé sans aucun lien de parenté, ce qui avait pour conséquence l'assujettissement à l'IS de l'EARL.

Ce nouveau régime va stabiliser fiscalement l'EARL, qui sera certaine de rester soumise au régime des bénéfices agricoles même en cas de changement d'associés.

Le régime d'imposition des plus-values dans le cadre sociétaire a, également, été modifié (art. 12). Les conditions d'exonération des plus-values réalisées par les sociétés civiles agricoles seront appréciées, désormais, au niveau des associés exploitants, et non plus de la société elle-même. Ainsi, est complété l'article 70 du CGI en prévoyant que pour l'application de l'article 151 septies du CGI relatif aux conditions d'exonération des plus-values, celles réalisées par une société civile agricole ou un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) non soumis à l'impôt sur les sociétés, dont tous les associés participent effectivement et régulièrement à l'activité de la société ou du groupement par leur travail personnel, sont imposables au nom de chaque associé selon les règles prévues pour les exploitants individuels en tenant compte de sa quote-part dans les recettes totales de la société ou du groupement.

Par conséquent, la quote-part de plus-values revenant à chaque associé exploitant sera exonérée de la taxation, dès lors que sa quote-part dans les recettes de la société, éventuellement augmentée de ses recettes personnelles, est inférieure à 250 000 euros (CGI, art. 151 septies).

Enfin, la cotisation de solidarité que devaient payer les associés non exploitants est supprimée (art. 20).

2. La réduction d'impôt sur le revenu en vue d'inciter les exploitants à céder leur exploitation à un jeune dans le cadre d'un contrat de cession comportant un différé de paiement

Il est, désormais, prévu que "les contribuables domiciliés fiscalement en France [...] bénéficient d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des intérêts perçus au titre du différé de paiement qu'ils accordent à un jeune agriculteur, éligible à la dotation d'installation ou aux prêts à moyen terme spéciaux dans les conditions définies par le Code rural, dans le cadre de la vente de l'ensemble des éléments de l'actif affectés à l'exercice d'une activité agricole, d'une branche complète d'activité ou de l'intégralité des parts d'un groupement ou d'une société agricole dans laquelle ils exercent" (art. 16 ; CGI, art. 199 vicies A).

La réduction d'impôt s'applique lorsque quatre conditions cumulatives sont remplies. Ces conditions sont les suivantes :

  • l'existence d'un contrat de vente passé en la forme authentique, à savoir sous forme notariée ;
  • le paiement d'au moins la moitié du prix de cession à la date de conclusion du contrat et celui du solde du prix de cession au cours d'une période comprise entre la huitième et la douzième années qui suit la date de la vente ;
  • le paiement du prix en numéraire ;
  • la rémunération du différé de paiement en fonction d'un taux d'intérêt arrêté à la date de conclusion du contrat dans la limite du taux de l'échéance constante à dix ans. Ce taux correspond au rendement actuariel d'une obligation du Trésor public fictive dont la durée serait de dix ans et correspond, donc, à la reconstitution de ce que serait le taux d'intérêt auquel emprunte l'Etat pour une période de dix ans.

Cette possibilité de réduction d'impôt pour l'exploitant cédant son exploitation à un jeune agriculteur, dans le cadre d'un contrat de vente progressive, constitue un nouvel instrument fiscal favorisant l'installation des jeunes agriculteurs.

3. Le crédit d'impôt au titre des dépenses de remplacement des personnes indispensables au fonctionnement d'une exploitation agricole

Les bénéficiaires du crédit d'impôt sont les contribuables, personnes physiques, fiscalement domiciliés en France, qui exercent une activité dont les revenus sont imposés dans la catégorie des bénéfices agricoles. Le bénéfice du crédit d'impôt est subordonné à la condition que l'activité exercée requière la présence du contribuable sur l'exploitation chaque jour de l'année et que son remplacement ne fasse pas l'objet d'une prise en charge au titre d'une autre législation (art. 25 ; CGI, art. 200 undecies).

Ce même article précise la nature des dépenses au titre desquelles peut être instauré le crédit d'impôt : il s'agit des dépenses de personnel mentionnées au 1° du 1 de l'article 39 du CGI , engagées à raison de leur remplacement pour congé entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2009. Le bénéfice du crédit d'impôt est, donc, limité dans le temps, mais a vocation à être étendu en fonction du succès de la mesure.

Enfin, il est prévu que le crédit d'impôt est accordé, sous les mêmes conditions et à proportion des droits qu'ils détiennent, aux associés personnes physiques non salariés de sociétés ou de groupements, au sein desquels ils exercent effectivement et régulièrement une activité agricole qui requiert leur présence sur l'exploitation chaque jour de l'année sous réserve que leur remplacement ne soit pas assuré par une personne ayant la qualité d'associé de la société ou du groupement. Il s'agit de s'assurer que les associés bénéficiant de ce crédit d'impôt participent bien, à titre professionnel, aux activités des sociétés ou groupements concernés.

Seuls les exploitants imposés à titre personnel sur le revenu de leur activité, associé d'une société ou d'un groupement au sein desquels ils exercent une activité agricole sont, donc, concernés, ce qui exclut les exploitations gérées sous une forme sociétaire non fiscalement transparente.

Le II de l'article 200 undecies du CGI définit les modalités de calcul du crédit d'impôt et précise qu'il serait égal à 50 % des dépenses de personnel engagées, à raison du remplacement pour congé des exploitants bénéficiaires et effectivement supportées, dans la limite annuelle de 14 jours de remplacement pour congé.

En outre, le même paragraphe dispose que, pour ce calcul, le coût d'une journée de remplacement est plafonné à 42 fois le taux horaire du minimum garanti mentionné à l'article L. 141-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5741ACM). Au total, le crédit d'impôt, ainsi, instauré sera, donc, plafonné à un montant annuel 914,34 euros. Enfin, il est précisé que ce crédit d'impôt est accordé au titre de l'année au cours de laquelle les dépenses ont été engagées.

Le III de l'article 200 undecies, précité, du CGI précise que le crédit d'impôt est imputé sur l'impôt sur le revenu après imputation des réductions d'impôt mentionnées aux articles 199 quater à 200 bis du CGI, des crédits d'impôt et des prélèvements ou retenues non libératoires. Si ce crédit d'impôt excède l'impôt dû, l'excédent est restitué.


Ces trois mesures visent à donner aux agriculteurs une plus grande liberté au plan fiscal aussi bien au niveau de la pérennité des EARL que de leur transmission. En cela, elles répondent aux critiques formulées depuis des années par le monde agricole sur la trop grande rigidité du modèle juridique et fiscal qui leur était applicable. On peut regretter, néanmoins, sur un plan purement juridique que ces dispositions n'aient pas été plutôt incluses dans la loi de finances pour 2006. Les cavaliers "budgétaires" ayant pour fâcheuse conséquence de rendre délicate la mesure du coût pour le contribuable des différentes réformes fiscales adoptées.

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Bancaire

[Jurisprudence] Forclusion : convention tacite de découvert sur convention expresse ne vaut

Réf. : Cass. civ. 1., 21 février 2006, n° 04-15.229, Dorbes c/ Banque Courtois, FS-P+B (N° Lexbase : A1769DNT).

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N5468AKQ

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Le 07 Octobre 2010

On pouvait penser que tout avait été dit sur le point de départ du délai de forclusion. En tout cas, qu'il ne fallait plus s'attendre à de grands arrêts en la matière. C'est pourtant par un arrêt de principe que la première chambre civile de la cour de cassation vient de censurer, dans sa décision du 21 février 2006 (1), les juges du fond qui n'avaient pas fait courir correctement le délai biennal de forclusion de l'action du prêteur.

En l'espèce, une banque consent une première ouverture de crédit par découvert en compte à un client, d'un montant déterminé et à échéance du 28 novembre 1998, puis une seconde ouverture de crédit, à échéance du 15 décembre 1998. Le client défaillant est vainement mis en demeure de payer le 27 mars 2000, et son compte est clôturé. La banque l'assigne alors en paiement, mais dans un premier temps devant une juridiction qui constate, le 7 août 2001, son incompétence au profit du tribunal d'instance. Une nouvelle procédure est subséquemment engagée devant cette dernière juridiction, et la banque est accueillie. Pour les juges du fond, le point de départ du délai de forclusion se situe nécessairement à la date d'exigibilité de l'obligation qui lui a donné naissance, ce qui est conforme à la jurisprudence (2). Mais ils viennent ajouter que, s'agissant d'un découvert en compte, cela correspond à la date de la résiliation de la convention d'ouverture de crédit, et donc à la date de la mise en demeure, soit le 27 mars 2000, ce que censure la première chambre civile dans un arrêt rendu sous la forme d'un arrêt de principe.

Au visa de l'article L. 311-37 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6496AB9), cet arrêt énonce en effet, en chapeau, le principe selon lequel : "l'existence d'une convention tacite de découvert étant incompatible avec la conclusion préalable d'une convention expresse de découvert d'un montant déterminé sur un même compte, le défaut de remboursement au terme convenu, manifeste la défaillance de l'emprunteur et constitue le point de départ du délai biennal de forclusion".

Traditionnellement, la jurisprudence décide que le délai court à compter de l'incident qui caractérise la défaillance de l'emprunteur. C'est ainsi que l'Assemblée plénière, à propos d'une ouverture de crédit reconstituable et assortie d'une obligation de remboursement à échéances convenues, a pu décider de faire courir le délai à compter de la première échéance impayée non régularisée (3), et non plus à compter de la date à laquelle prend fin l'ouverture de crédit (4). Mais cette solution ne se conçoit que pour autant que l'incident intervient avant la fin de l'ouverture du concours. Sinon, c'est cette dernière date qui fait courir le délai biennal. Sauf, bien sûr, lorsque les échéances impayées ont fait l'objet d'un réaménagement ou d'un rééchelonnement, où le point de départ du délai de forclusion est alors cette fois "le premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement ou rééchelonnement" (5).

S'agissant des découverts en compte, le régime est sensiblement différent. Le délai court "à compter de la date à laquelle le solde débiteur devient exigible [et] en l'absence de terme [...], pour les découverts consentis tacitement avant l'entrée en vigueur [...] de la loi du 31 décembre 1989 (6), le délai court à compter de la résiliation de la convention d'ouverture de crédit à l'initiative de l'une des parties" (7).

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt rapporté, il était assez tentant pour le prêteur de se prévaloir d'un découvert tacite, postérieurement au terme de l'ouverture de crédit convenue, pour reculer le point de départ du délai à la date de la clôture du compte. Une telle construction supposait toutefois une cohabitation des conventions expresse et tacite. En l'espèce, que l'une puisse succéder à l'autre. Mais en érigeant en principe l'incompatibilité d'une convention tacite avec la conclusion préalable d'une convention expresse de découvert, la première chambre civile écarte définitivement un tel argument. La convention tacite étant incompatible, elle est inexistante. La convention expresse est, conséquemment, seule susceptible d'être prise en compte, et ce n'est pas la date de sa résiliation, mais celle à laquelle le solde débiteur est devenu exigible qui fait courir le délai. Or, comme le relève la première chambre civile, "le découvert consenti était devenu exigible le 15 décembre 1998, soit plus de deux ans avant la saisine de la juridiction compétente" ; la forclusion devait donc produire son empire. Cette conséquence est alors assez classique. C'est, en effet, la date de l'assignation qui permet d'apprécier si l'action a été engagée dans le délai (8). Et cette action n'est valablement formée que si la juridiction compétente, saisie de la demande du prêteur par le jugement du TGI renvoyant les parties devant le tribunal d'instance, intervient à une date antérieure à l'expiration du délai de 2 ans (9), puisque la date de saisine du tribunal compétent se situe au jour du jugement d'incompétence et de renvoi, quand un tribunal se déclare incompétent et renvoie l'affaire devant un autre (10).

Aucune cohabitation n'étant possible, désormais de deux choses l'une : ou bien la convention est une convention expresse, dont l'exigibilité faisant courir le délai de forclusion est le terme -ou avant cela, le cas échéant, le premier incident de paiement-; ou bien la convention est une convention tacite, et c'est, cette fois, la résiliation à l'initiative de l'une quelconque des parties qui matérialise le point de départ du délai. Cette nouvelle incompatibilité de principe est sans doute dure pour le prêteur. Celui-ci n'est cependant pas sans solution, ce qui devrait être de nature à induire de nouveaux comportements.

Le prêteur pourrait tirer parti du fait que l'incompatibilité nouvelle ne concerne que certaines conventions. Celles-ci doivent, en effet, remplir cumulativement plusieurs conditions : la convention expresse doit être "préalable" et "d'un montant déterminé", d'une part, et les deux conventions supposées doivent porter sur le "même compte", d'autre part. Il est donc permis de penser que si l'une des conditions venait à faire défaut, l'incompatibilité devrait tomber. Une convention tacite suivie d'une convention expresse ne serait ainsi pas incompatible. Pour éviter que le défaut de remboursement au "terme convenu" ne serve de point de départ au délai de forclusion, il peut également ne pas convenir de terme. Mais le prêteur devrait aussi veiller à ne pas se placer dans le champ de l'incompatibilité lorsque les difficultés sont avérées. En pratique, s'il souhaite laisser quelque temps à son débiteur qui éprouve des difficultés à l'échéance, il doit soit ouvrir un nouveau compte, soit conclure une nouvelle convention expresse. Il a, en outre, comme on l'a vu, la possibilité de convenir expressément avec lui un aménagement ou rééchelonnement.

La leçon que le prêteur doit retirer de l'arrêt du 21 février 2006 est, une nouvelle fois, de rester actif à l'échéance. Ne rien faire est ici encore l'assurance de perdre à brève échéance tous ses droits. Comme on a déjà pu l'énoncer dans ces mêmes colonnes, sa trop grande tolérance lui fera sinon encourir la forclusion (11).

Richard Routier
Maître de conférences à l'Université du sud Toulon-Var


(1) Cass. civ. 1., 21 février 2006, n° 04-15.229, Dorbes c/ Banque Courtois, FS-P+B (N° Lexbase : A1769DNT).
(2) Cass. civ. 1, 9 décembre 1986, n° 85-11.263, Sofinco La Hénin c/ Epoux Praver (N° Lexbase : A6341AA4), Bull. civ. I n° 293 ; D. 1988, p. 84, note G. Paire ; Gaz. Pal., 16 avril 1987, n° 106, note M. Mayer et R. Pinon ; JCP éd. G 1987, II 20862, note E.-M. Bey.
(3) Ass. Plén., 6 juin 2003, n° 01-12.453, Cetelem, P (N° Lexbase : A9491C7N), Bull. A. P. n° 6 p. 15 ; Defrénois 2003, n° 37810, p. 1179, note E. Savaux ; M. Guilé, Revirement concernant le point de départ du délai de forclusion en matière de découvert en compte reconstituable, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N8029AAM) ; JCP éd. E 2004, p. 33, note I. Fadlallah.
(4) Cass. civ. 1, 9 mars 1999, n° 96-12.053, Société Cetelem c/ Bauer (N° Lexbase : A8641AHI), Bull. civ. I, n° 85 p. 57 ; Gaz. Pal. 20 novembre 1999, n° 324, p. 26, note O.-M. Boudou et A. Claude ; Cass. civ. 1, 4 février 2003, n° 00-14.251, Cofidis c/ Prouteau (N° Lexbase : A9183A4U), Bull. civ. I, n° 41, p. 33.
(5) C. consom., art. L. 311-37, al. 2.
(6) Loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989, art. 19-I (N° Lexbase : L2053A4S) [modifiant L. du 10 janv. 1978, art. 5, al. 2 devenu C. consom., art. L. 311-9 N° Lexbase : L6734ABZ].
(7) Cass. avis, 9 octobre 1992, Bull. civ. avis n° 1, D. 1992, IR p. 258 ; JCP éd. G 1993, II 22024, note A.-M. Morgan de Rivery-Guillaud, et éd. E 1993, I 207, note D. Martin ; Cass. civ. 1, 30 mars 1994, n° 92-17.048, CRCAM de la Mayenne c/ Bourdin (N° Lexbase : A2271AC4), Bull. civ. I n° 126 ; D. 1994 IR p. 101 ; JCP éd. G 1995, II 22405, note P. Gramaize ; Cass. civ. 1, 17 mars 1998, n° 96-15.567, Banque nationale de Paris c/ Epoux Petra (N° Lexbase : A2271AC4), Bull. civ. I n° 118 ; Cass. civ. 1, 1er juin 1999, n° 97-19.119, Banque nationale de Paris c/ Janneau (N° Lexbase : A7418A4I), Bull. civ. I n° 186 ; RTD com. 2000, p. 162, obs. B. Bouloc.
(8) Bull. inf. C. cass., 1er novembre 1992, p. 26 ; CA Paris, 3 février 1998, 8ème ch., sect. A, Schwoerer c/ BNP, Banque et droit, mai-juin 1998, p. 37, obs. J.-L. Guillot.
(9) Cass. civ. 1, 17 mars 1993, n° 90-17.984, Agati c/ Crédit Lyonnais (N° Lexbase : A5396AHC), Bull. civ. I n° 118.
(10) CA Versailles, 1ère ch., 11 décembre 1998, n° 99-283, Société Slibailautos c/ Colcanap, Bull. inf. C. cass. 1999, n° 1384.
(11) R. Routier, note Cass. civ. 1, 30 mars 2005, n° 02-13.765, Société Cofinoga c/ Mme Christine Fumanal, FS-P+B (N° Lexbase : A4445DH4), Tolérance du prêteur : gare à la forclusion !, Lexbase Hebdo n° 165 du 28 avril 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N3558AIM).

newsid:85468

Fiscal général

[Manifestations à venir] L'actualité fiscale jurisprudentielle

Lecture: 1 min

N5317AK7

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Le 07 Octobre 2010

Le Master Droit Fiscal des Affaires de Rennes 1 et l'Association des étudiants et enseignants fiscalistes de Rennes 1 organisent, le vendredi 10 mars 2006, un colloque ayant pour thème "l'actualité fiscale jurisprudentielle".
  • Programme :

13 h 30 - Accueil des participants

13 h 55 - Allocution de bienvenue de M. Daniel Gadbin, Doyen de la Faculté de droit et de science politique de Rennes

14 h 05 - Président de séance, propos introductifs, M. Raphaël Coin, Directeur fiscal de la société Général Electric

14 h 20 - Actualité de la taxation des plus-values sur cession de droits sociaux, M. Henri Hovasse, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Fondateur du Master 2 professionnel Gestion du patrimoine

14 h 50 - Le droit de contredire l'administration fiscale, M. Ludovic Ayrault, Professeur à la faculté de droit de Clermont-Ferrand

15 h 20 - La réforme de l'article 212 impulsée par la jurisprudence, M. Philippe Thiria, Directeur fiscal de la société Unilever

15 h 50 - Débats et pause

16 h 20 - L'influence de la CJCE sur la fiscalité directe interne, M. Jacques Malherbe, Professeur à l'Université Catholique de Louvain, Avocat au Barreau de Bruxelles

16 h 50 - Abus de droit et TVA, Mme Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master 2 professionnel Droit fiscal des affaires

Colloque validé au titre des heures de formation continue des avocats : décision à caractère normatif du CNB du 15 avril 2005

  • Date et lieu :

Vendredi 10 mars 2006
Faculté de Droit de Rennes 1 (Amphi 1), 9 rue Jean Macé - 35042 Rennes

  • Droits d'inscription :

46 euros

  • Renseignements

Tél. : 02 23 23 77 58
patricia.courtiaud@univ-rennes1.fr

newsid:85317

Entreprises en difficulté

[Focus] L'articulation du droit des régimes matrimoniaux et du droit des entreprises en difficulté en cas de liquidation judiciaire d'un artisan

Réf. : Cass. com., 4 octobre 2005, n° 04-12.610, Mme Nadia Barbier, épouse Truchard c/ M. Bernard Delibes, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A7117DKS)

Lecture: 7 min

N5323AKD

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Le 07 Octobre 2010

L'affrontement du droit des régimes matrimoniaux et du droit des entreprises en difficulté tourne quasiment toujours à l'avantage de ce dernier. Il en va particulièrement ainsi quand le débiteur soumis à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est uni à son conjoint par les liens du régime communautaire. Ce constat s'explique par le rigorisme et les exigences de ce droit qui génèrent une incompatibilité avec les autres branches du droit civil, notamment, celle des régimes matrimoniaux. En effet, le droit matrimonial confère aux créanciers du conjoint in bonis un droit de poursuite à la fois sur ses biens personnels et sur les biens communs (1). En revanche, les procédures collectives instaurent un arrêt des poursuites individuelles de ces créanciers sur les biens communs (2), ainsi que des créanciers du débiteur sur tous les biens propres et communs. Le droit commercial l'emporte effectivement sur le droit civil, encore faut-il que les créanciers du conjoint non débiteur aient déclaré leur créance au passif de l'époux en difficulté, faute de quoi, ils ne pourraient réaliser leurs droits sur le prix des biens visés (3). En outre, tandis que le droit des régimes matrimoniaux confère à chaque époux le pouvoir d'administrer seul les biens communs et d'en disposer, sauf à répondre des fautes de gestion commises par lui (4), le droit des entreprises en difficulté prescrit le dessaisissement de plein droit du débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens par le jugement qui ouvre la liquidation judiciaire à son encontre.

Reste à s'interroger sur l'incidence de cette règle restrictive des pouvoirs d'une personne mariée confrontée à une procédure collective sur la gestion concurrente des biens communs par les époux (5). Plus précisément, l'affectation du pouvoir de gestion des biens communs par l'époux débiteur, désormais dévolu au liquidateur judiciaire, touche-t-elle celui du conjoint in bonis ? Telle est la question à laquelle la Chambre commerciale doit répondre dans l'espèce rapportée dont l'importance justifie la publication conjointe dans le Bulletin civil des arrêts de la Cour de cassation et dans le Rapport annuel de cette juridiction. Néanmoins, si la réponse à cette interrogation éveille l'intérêt des civilistes et des "commercialistes", elle risque de les heurter, tout particulièrement les premiers.

I - Les données du litige se cristallisent autour d'un artisan successivement mis en redressement et en liquidation judiciaire les 14 mars et 21 novembre 2000. Ultérieurement, le 30 janvier 2002, son épouse commune en biens a consenti à une société par acte sous seing privé, un bail précaire d'une année sur un bâtiment et un terrain communs. L'année suivante, le 4 mars 2003, le liquidateur judiciaire a obtenu la nullité dudit bail et l'expulsion de la société, tant devant le tribunal de commerce de la procédure collective auprès de qui il a agi avec succès, que devant la cour d'appel qui a rejeté l'action de l'appelante.

Dans son pourvoi en cassation, la conjointe du débiteur reproche à la décision d'appel d'avoir rejeté l'exception d'incompétence du tribunal de commerce auparavant soulevée par elle au profit du tribunal d'instance. En outre, elle revendique le respect de son pouvoir de contracter seule un bail sur un immeuble commun et conteste l'aptitude du liquidateur à demander la nullité du bail.

Le premier moyen de la demanderesse au pourvoi se fonde implicitement sur le droit commun en vertu duquel le tribunal d'instance est compétent pour statuer sur les actions relatives aux baux à usage d'habitation, les baux commerciaux relevant du domaine d'intervention du tribunal de grande instance (6). A y regarder de plus près, l'intéressée fait une mauvaise application de cette règle, car elle aurait dû tout au plus invoquer la compétence du TGI, puisqu'il s'agit comme elle l'indique dans son argumentation, d'un bail portant sur "[...] un immeuble à usage commercial, artisanal ou industriel [...]" et non sur un immeuble à usage d'habitation.

Ladite règle, incontestable en temps normal, ne saurait s'appliquer dans le cadre d'une procédure collective qui constitue une situation bien particulière où des règles spécifiques prennent le pas sur les autres. En effet, si en temps ordinaire tout différend dans lequel un artisan occupe la position de défendeur relève en principe de la compétence du TGI, dès lors que le montant du litige excède dix mille euros (7), il en va différemment en matière d'entreprises en difficulté. Ainsi, le législateur dans sa volonté d'assimilation au commerçant, confère la compétence au tribunal de commerce et non à la juridiction civile de droit commun pour ouvrir la procédure collective d'un artisan (8).

Le cas spécifique de l'espèce n'échappe pas à l'application du principe de compétence de la juridiction consulaire pour statuer sur toutes les questions se rapportant à la procédure collective ouverte contre un artisan. Cet argument permet déjà de comprendre le rejet de la compétence du tribunal d'instance qu'invoque la demanderesse au pourvoi. Il ne suffit tout de même pas à l'expliciter dans le présent contexte. La justification précise émane de l'analyse du second moyen du pourvoi.

Conformément à l'article L. 622-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L7004AIA) (devenu l'article L. 641-9 N° Lexbase : L3951HBX), aussi longtemps qu'une liquidation judiciaire n'est pas clôturée, le jugement qui ouvre ou prononce celle-ci, dessaisit de plein droit à compter de sa date le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens, y compris ceux acquis quel qu'en soit le titre. En l'espèce, l'application de ce texte par les juges du fond et du droit en respecte la lettre et l'esprit. Non seulement cet article ne fait pas de distinction entre l'administration et la disposition des biens, mais encore, il n'introduit pas de différence entre les biens propres et les biens communs, puisqu'il s'agit selon ses termes de biens "acquis à quelque titre que ce soit". Du même coup, par extension, le conjoint, bien qu'in bonis, perd l'administration et la disposition des biens communs, en l'occurrence de l'immeuble litigieux donné à bail précaire et "[...] dépendant de la communauté", qui lui sont normalement dévolus par les articles 1421 et suivants du Code civil.

Le texte précité confie au liquidateur la charge d'exercer les droits et actions du débiteur ayant trait à son patrimoine, pendant toute la durée de la liquidation judiciaire. Cette mission s'exerce sur tout le patrimoine du débiteur propre et commun parmi lequel figure l'immeuble litigieux. De plus, elle est dévolue au liquidateur de la procédure collective du débiteur, par conséquent, désigné par le tribunal de commerce qui a ouvert la liquidation judiciaire (9), ce qui exclut la compétence d'une quelconque autre juridiction pour statuer sur le litige. Cette règle s'accorde avec celle selon laquelle si la procédure ouverte à l'égard d'une personne (physique ou morale) doit être étendue à une ou plusieurs autres, le tribunal initialement saisi reste compétent pour connaître l'extension de la procédure du débiteur fondée sur la confusion de leurs patrimoines ou sur la fictivité de la personne morale (10).

II - Les dispositions de l'article L. 622-9 du Code de commerce s'harmonisent avec celles de l'article 1413 du Code civil qui permettent le paiement sur les biens communs, des dettes contractées par chaque époux pour quelque cause que ce soit pendant la communauté. En revanche, elles l'emportent sur celles de l'article 1421 du Code civil qui attribue à chaque époux le pouvoir d'administrer et de disposer seul des biens communs. Pour autant, elles ne les contredisent pas vraiment car il paraît somme toute assez logique, eu égard à la solidarité entre personnes mariées, que le dessaisissement de l'époux débiteur s'étende au conjoint, quand bien même serait-il in bonis. Pour l'heure, le sort de ce conjoint semble scellé (11) ; celui-ci entraîne dans sa désillusion ses propres créanciers qui ne peuvent procéder au recouvrement de leurs créances sur les biens communs des époux dessaisis, ni y inscrire de sûreté (12). Ces créanciers se trouvent en concurrence avec ceux du débiteur soumis à la liquidation judiciaire, s'ils décident de participer à la procédure collective et d'en accepter les règles. A défaut, ils ne retrouvent leur droit d'agir qu'à la clôture des opérations de liquidation judiciaire.

Cette solution tout à fait conforme au droit des entreprises en difficulté, quoiqu'elle méconnaisse la nature et les effets du droit réel, par définition opposable erga omnes (13), s'avère tout de même contraire à l'équité. En effet, si les procédures collectives se conçoivent de nos jours comme un bénéfice pour le débiteur, elles deviennent une sanction pour son conjoint in bonis pour peu qu'ils soient mariés sous le régime de la communauté (14). Ce dernier n'a alors pour seule planche de salut, que de demander en justice la séparation des biens au motif de la mise en péril de ses intérêts (15). Pareille demande ne se révèlerait efficace que si la requête était formulée dès les prémisses de ce danger, sans attendre la mise en liquidation judiciaire de son époux. A défaut, il serait trop tard car elle n'opérerait que pour l'avenir et priverait notamment le conjoint in bonis du droit de réclamer l'attribution préférentielle d'un immeuble commun inclus dans l'actif de la procédure collective (16).

Plus radical serait de rénover l'actuel droit des régimes matrimoniaux (17) à la suite d'une intervention du législateur éventuellement bousculé par la doctrine, ou plus simplement pour un couple quelque peu averti des arcanes du droit, de convertir suffisamment tôt leur régime communautaire en un régime séparatiste. Cette mutation éviterait que la "faillite" d'un époux devienne la "faillite" du couple. A cet égard il est regrettable que la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des PME (N° Lexbase : L7582HEK) n'ait pas corrigé ce travers, alors qu'elle est censée adopter des mesures protectrices du conjoint du chef d'entreprise en renforçant son statut et en aménageant les conséquences du divorce (18).

Pour l'instant, la prééminence du droit des entreprises en difficulté sur celui des régimes matrimoniaux se justifie par le souci d'éviter toute ingérence intempestive du conjoint in bonis dans la procédure collective de l'époux débiteur. Néanmoins, une gestion concurrente des biens communs par le conjoint hors procédure et par le représentant de l'époux en liquidation judiciaire semble possible, dans la mesure où elle vise à sauver l'entreprise, en dépit de la différence des prérogatives dont ces personnes sont investies (19).

Bien qu'en l'espèce, le liquidateur judiciaire ait obtenu la nullité du bail précaire consenti par le conjoint in bonis, en principe, les actes passés en violation du dessaisissement ne sont pas nuls (20). Ils sont simplement inopposables à la procédure collective (21), le liquidateur judiciaire du débiteur ayant seul la faculté de se prévaloir de cette inopposabilité (22). Ce mandataire judiciaire peut toutefois les ratifier dans l'intérêt des créanciers qu'il représente (23). En outre, les tiers ne sauraient arguer de leur bonne foi pour faire échec à l'inopposabilité (24).

Cette règle pourrait s'appliquer au redressement judiciaire où, en période d'observation, la gestion de l'entreprise serait confiée à un administrateur et où, par conséquent, le conjoint in bonis se trouverait dépouillé de toute prérogative sur le patrimoine commun.

Toujours est-il que contrairement à nos attentes (25), la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, entrée en vigueur le 1er janvier 2006, n'a aucunement modifié la situation du conjoint in bonis, la règle du dessaisissement étant demeurée intacte.

Deen Gibirila
Professeur à l'Université des Sciences sociales de Toulouse I


(1) C. civ., art. 1413 (N° Lexbase : L1544ABS).
(2) Cass. Ass. plén., 23 décembre. 1994, n° 90-15.305, M. Leclerc, ès qualités de mandataire-liquidateur de Mme Torres c/ Union de crédit pour le bâtiment et autres (N° Lexbase : A9933AYK) : Bull. civ., Ass. plén. n° 7 ; D. 1995, jurispr. p. 145, rapp. Y. Chartier, note F. Derrida ; JCP éd. G 1995, I, 3869, n° 8, obs. Ph. Simler et II, 22401, note D. Randoux ; JCP éd. E 1995, II, 660, note Ph. Pétel ; Defrénois 1995, p. 445, obs. G. Champenois ; RTD com. 1995, p. 657, obs. A. Martin-Serf ; RJ com. 1995, p. 55, note M. Storck ; Bull. Joly 1995, p. 229, note J.-P. Sénéchal.
(3) Cass. com., 14 octobre. 1997, n° 96-12.853, Madame Owczarek c/ Caisse Régionale de Crédit Agricole du Midi (N° Lexbase : A2226ACG) : Bull. civ. IV, n° 260 ; RJDA 2/1998, n° 189 ; JCP éd. G 1998, I, 149, n° 15, obs. Ph. Delebecque et II, 10003, note B. Beignier ; D. 1998, somm. p. 134, obs. J. Revel et p. 377, obs. S. Piedelièvre.
(4) C. civ., art. 1421 (N° Lexbase : L1550ABZ).
(5) C. com., art. L. 622-9 (N° Lexbase : L7004AIA), devenu L. 641-9 (N° Lexbase : L3951HBX), avec la loi de sauvegarde des entreprises n° 2005-845 du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT).
(6) C. org. jud., art. L. 321-2-1 (N° Lexbase : L6894G7H) et L. 321-2-2 (N° Lexbase : L6889G7B).
(7) Loi n° 2005-47, 26 janvier 2005, relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance (N° Lexbase : L5285G7U) ; Cons. const., 20 janvier 2005, décision n° 2004-510 DC (N° Lexbase : A1146DGK) : JO 27 janvier. 2005, p. 1409 ; BRDA 2/2005, n° 26.
(8) C. com., art. L. 621-5, anc. (N° Lexbase : L6857AIS) et L. 621-2, nouv. (N° Lexbase : L4056HBT), pour la sauvegarde et extensible au redressement ou à la liquidation judiciaire.
(9) C. com., art. L. 622-2, al. 1er anc. (N° Lexbase : L6997AIY) et L. 641-1, II, nouv. (N° Lexbase : L4044HBE).
(10) C. com., art. L. 621-2, al. 2 (N° Lexbase : L4056HBT), L. 631-7 (N° Lexbase : L4018HBG) et L. 641-1, I, nouv. (N° Lexbase : L4044HBE).
(11) M. et P. Storck, Les biens communs dans les procédures de redressement judiciaire : Mélanges D. Huet-Weiller, p. 449, PUF, LGDJ 1994. A. Perrodet, Le conjoint du débiteur en redressement judiciaire : RTD com. 1999, p. 3. L. Griffon, L'extension de la procédure collective au conjoint du débiteur : Defrénois 2000, p. 493. M. Cabrillac, L'extension de la procédure collective du commerçant à son conjoint : Mélanges A . Honorat, p. 81, éd. Frison-Roche 2000. F.-X. Lucas, L'attraction du conjoint in bonis dans la procédure collective : LPA 24 avril 2003, p. 4.
(12) Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14.470, Mme Brigitte Wiart, veuve Durieux, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son enfant mineur Arnaud Durieux et autres c/ M. Duterage, inédit (N° Lexbase : A8326CUW) : RJDA 11/1997, n° 1401.
(13) Ph. Simler, Les interférences des régimes matrimoniaux et des procédures collectives : LPA 17 juin 1998, p. 28, spéc. p. 32. V. aussi, obs. Ph. Delebecque note sous Cass. com., 14 octoctobre. 1997, préc. note 3.
(14) A. Martin-Serf, Etre ou ne pas être dans la procédure collective : RJ com. 1996, p. 337.
(15) C. civ., art. 1443 (N° Lexbase : L1594ABN).
(16) Cass. civ. 1, 19 octobre 2004, n° 02-13.659, Mme Maryse Durand, épouse Fagot c/ M. Michel Grave, FS-P+B (N° Lexbase : A6395DD9) : Bull. civ. I, n° 231 ; Defrénois 2005, p. 990, obs. D. Gibirila.
(17) Ph. Simler, Pour un autre régime matrimonial légal : Mélanges F. Terré, p. 455, PUF, Dalloz, Litec 1999.
(18) JO 3 août 2005, p. 12639 ; BRDA 17/2005, n° 19. H. Lécuyer, Commentaire de la loi en faveur des PME : aspects de droit commun des sociétés : Dr. sociétés nov. 2005, p 14. V. aussi, E. Blary-Clément, De quelques mesures protectrices du conjoint du chef d'entreprise : RJPF janv. 2006, p. 5.
(19) H. Lécuyer, Droit patrimonial de la famille et entreprises en difficulté : les pouvoirs des époux : LPA 24 avril 2003, n° 82, p. 20, spéc. 25.
(20) V. en général, M. Falaise, La sanction de l'acte irrégulier (distinction entre nullité et inopposabilité) : LPA 27 août 1997, n° 103, p. 5.
(21) Cass. com., 26 avril. 2000, n° 97-10.335, M. Raynaud, ès qualités de liquidateur judiciaire de M. Thevenet c/ Mme Thevenet (N° Lexbase : A8677AHT) : RJDA 7-8/2000, n° 783.
(22) Cass. com., 22 janvier 2002, n° 98-22.206, M. Gérard c/ Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME), F-D (N° Lexbase : A8283AX3) : RJDA 5/2002, n° 532.
(23) Cass. com., 20 février 2001, n° 97-18.062, M. Balard c/ M. Brenac (N° Lexbase : A3268ARH) : RJDA 8-9/2001, n° 883. Cass. com. 2 juin 2004, n° 01-14.126, Société SACED c/ M. Bertrand Hepineuze, F-D (N° Lexbase : A5054DC8) : RJDA 12/2004, n° 1358.
(24) Cass. com., 22 octobre 1996 : RJDA 2/1997, n° 276.
(25) D. Gibirila, obs. s/s Cass. com., 11 février 2004, n° 01-00.430, Mme Danielle Bilois, épouse Gil c/ M. Pierre Gil, FS-P+B (N° Lexbase : A2651DBS) : Defrénois 2004, p. 1654 ; Bull. civ. IV, n° 28.

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