Jurisprudence : CJCE, 23-03-2000, aff. C-373/97, Dionysios Diamantis c/ Elliniko Dimosio et Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE)

CJCE, 23-03-2000, aff. C-373/97, Dionysios Diamantis c/ Elliniko Dimosio et Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE)

A0548AW9

Référence

CJCE, 23-03-2000, aff. C-373/97, Dionysios Diamantis c/ Elliniko Dimosio et Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1007116-cjce-23032000-aff-c37397-dionysios-diamantis-c-elliniko-dimosio-et-organismos-oikonomikis-anasygkrot
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Cour de justice des Communautés européennes

23 mars 2000

Affaire n°C-373/97

Dionysios Diamantis
c/
Elliniko Dimosio et Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE)



61997J0373

Arrêt de la Cour (sixième chambre)
du 23 mars 2000.

Dionysios Diamantis contre Elliniko Dimosio et Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE).

Demande de décision préjudicielle: Polymeles Protodikeio Athinon - Grèce.

Droit des sociétés - Deuxième directive 77/91/CEE - Société anonyme éprouvant des difficultés financières - Augmentation du capital social par voie administrative - Exercice abusif d'un droit découlant d'une disposition communautaire.

Affaire C-373/97.

Recueil de Jurisprudence

Edition française 2000 page I-1705

1 Droit communautaire - Exercice abusif d'un droit découlant d'une disposition communautaire - Règle nationale prohibant l'abus de droit - Application par les juridictions nationales

2 Libre circulation des personnes - Liberté d'établissement - Sociétés - Directive 77/91 - Modification du capital d'une société anonyme - Réglementation nationale prévoyant l'augmentation par voie administrative du capital social d'une société anonyme en difficultés financières - Paralysie des droits découlant de la directive par le recours à une règle nationale prohibant l'abus de droit

(Directive du Conseil 77/91, art. 25, § 1)

1 Les justiciables ne sauraient abusivement ou frauduleusement se prévaloir des normes communautaires. Par conséquent, le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que les juridictions nationales appliquent une disposition de droit national qui leur permet d'apprécier si un droit découlant d'une disposition communautaire est exercé de manière abusive. Cependant, la mise en oeuvre d'une telle règle nationale ne peut pas porter atteinte au plein effet et à l'application uniforme des dispositions communautaires dans les États membres.

(voir points 33-34, 44 et disp.)

2 Il ne saurait être imputé à un actionnaire se prévalant de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive 77/91 en matière de droit des sociétés un exercice abusif du droit découlant de cette disposition au motif qu'il est un actionnaire minoritaire, qu'il a bénéficié de l'assainissement de la société assujettie à un régime d'assainissement, qu'il n'a pas fait usage de son droit préférentiel, qu'il figurait parmi les actionnaires ayant demandé la soumission de la société au régime applicable aux sociétés en difficultés graves ou qu'il a laissé s'écouler un certain temps avant d'intenter son action. Le droit communautaire, toutefois, ne s'oppose pas à ce que les juridictions nationales appliquent une disposition de droit interne, qui leur permet d'apprécier si un droit découlant d'une disposition communautaire est exercé de manière abusive, si un actionnaire a choisi, parmi les voies de recours disponibles pour remédier à une situation intervenue en violation de la directive, celle qui cause un préjudice tellement grave aux intérêts légitimes d'autrui qu'elle s'avère manifestement disproportionnée.

(voir points 36-37, 43-44 et disp.)

Dans l'affaire C-373/97,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Polymeles Protodikeio Athinon (Grèce) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Dionysios Diamantis

Elliniko Dimosio,

Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE),

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 25 et 29 de la deuxième directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l'article 58 deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (JO 1977, L 26, p. 1), et sur l'exercice abusif d'un droit découlant de ces dispositions,

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. R. Schintgen, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, P. J. G. Kapteyn (rapporteur), G. Hirsch, H. Ragnemalm et V. Skouris, juges,

avocat général: M. A. Saggio,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

- pour M. Diamantis, par Me S. Andronikos, avocat au barreau d'Athènes,

- pour le gouvernement hellénique, par MM. P. Mylonopoulos, conseiller juridique adjoint au service juridique spécial - section de droit européen communautaire du ministère des Affaires étrangères, et V. Kyriazopoulos, mandataire judiciaire auprès du Conseil juridique de l'État, en qualité d'agents,

- pour l'Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE), par Mes I. Soufleros et S. Felios, avocats au barreau d'Athènes,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. D. Gouloussis, conseiller juridique, et Mme M. Patakia, membre du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de M. Diamantis, du gouvernement hellénique, de l'Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE) et de la Commission à l'audience du 16 septembre 1999,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 28 octobre 1999,

rend le présent

Arrêt

1 Par ordonnance du 24 juin 1997, parvenue à la Cour le 31 octobre suivant, le Polymeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance d'Athènes) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 25 et 29 de la deuxième directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l'article 58 deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (JO 1977, L 26, p. 1, ci-après la "deuxième directive"), et sur l'exercice abusif d'un droit découlant de ces dispositions.

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant M. Diamantis à l'Elliniko Dimosio (État hellénique) et à l'Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (organisme pour la restructuration des entreprises, ci-après l'"OAE").

Cadre juridique

Droit communautaire

3 Aux termes de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive:

"Toute augmentation du capital doit être décidée par l'assemblée générale. Cette décision ainsi que la réalisation de l'augmentation du capital souscrit font l'objet d'une publicité effectuée selon les modes prévus par la législation de chaque État membre conformément à l'article 3 de la directive 68/151/CEE."

4 L'article 29, paragraphe 1, de la deuxième directive dispose que, lors de toute augmentation du capital souscrit par apports en numéraire, les actions doivent être offertes par préférence aux actionnaires, proportionnellement à la partie du capital représentée par leurs actions.

5 Il convient de relever que la deuxième directive ne prévoit aucune sanction en cas de violation de l'une de ses dispositions. En outre, elle n'impose pas aux États membres d'introduire de telles sanctions dans la réglementation qu'ils doivent mettre en oeuvre.

Droit national

6 La loi n° 1386/1983, du 5 août 1983 (FEK A'107/8.8.1983, p. 14), s'applique aux sociétés qui éprouvent de graves difficultés et a institué l'OAE, dont l'objet est de contribuer au développement économique et social du pays (article 2, paragraphe 2). À cette fin, l'OAE peut, notamment, reprendre l'administration et la gestion courante d'entreprises en cours d'assainissement ou nationalisées, prendre des participations dans le capital d'entreprises, accorder des prêts et émettre ou contracter certains prêts, acquérir des obligations, ainsi que transférer des actions en particulier aux travailleurs ou à leurs organisations représentatives, aux collectivités locales ou à d'autres personnes morales de droit public, aux institutions de bienfaisance, aux organisations sociales ou aux particuliers (article 2, paragraphe 3).

7 Selon l'article 5, paragraphe 1, de la loi n° 1386/1983, le ministre de l'Économie nationale peut décider de soumettre au régime de cette loi les entreprises qui connaissent des difficultés financières graves.

8 Selon l'article 7 de ladite loi, le ministre compétent peut décider de transférer à l'OAE l'administration de l'entreprise soumise au régime de cette loi, d'aménager ses dettes afin d'assurer sa viabilité par l'augmentation forcée du capital au moyen de nouveaux apports ou de la capitalisation des dettes existantes, ou encore par la restructuration de celles-ci, ou de procéder à la liquidation de l'entreprise conformément à l'article 9.

9 En vertu de l'article 8, paragraphe 8, de la même loi, pendant l'administration provisoire, l'OAE peut décider d'augmenter le capital social de la société par dérogation aux dispositions en vigueur en matière de sociétés anonymes, qui prévoient la compétence exclusive de l'assemblée générale des actionnaires. L'augmentation doit être approuvée par le ministre compétent. Les anciens actionnaires conservent toutefois un droit préférentiel qu'ils peuvent exercer dans le délai fixé dans la décision d'approbation ministérielle.

10 Le 7 mars 1989, c'est-à-dire postérieurement aux faits au principal, mais antérieurement à l'ordonnance de renvoi, la Commission a intenté une procédure en manquement sur le fondement de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE) pour violation par la République hellénique des obligations qui lui incombaient en vertu de la deuxième directive. Le 10 mars 1990, le Parlement hellénique a adopté la loi n° 1882/1990 (FEK A'43/23.3.1990). Depuis lors, même pendant l'administration provisoire d'une société en vertu de la loi n° 1386/1983, toute modification de son capital doit être décidée par l'assemblée générale des actionnaires.

11 Tout comme la deuxième directive elle-même, la loi n° 1882/1990 ne prévoit aucune sanction spécifique en cas de violation de l'une de ses dispositions, de sorte que les sanctions ordinaires de droit privé pourraient trouver à s'appliquer.

12 Toutefois, la loi n° 2685/1999, du 11 janvier 1999 (FEK A'35/18.2.1999), qui est entrée en vigueur à la date de sa publication, prévoit une seule voie de recours en cas d'augmentation du capital qui aurait été décidée en contravention avec les dispositions de la deuxième directive, et en particulier avec son article 25, paragraphe 1, à savoir le droit à indemnisation pleine et entière pour le préjudice subi à la suite d'une telle augmentation. Aux termes de l'article 28, paragraphe 2, de ladite loi, l'action en indemnisation est dirigée exclusivement contre l'État hellénique, et non contre la société concernée.

13 Enfin, il convient de mentionner l'article 281 du code civil, aux termes duquel "l'exercice d'un droit est prohibé, s'il excède manifestement les limites imposées par la bonne foi ou les bonnes moeurs ou par la finalité sociale ou économique dudit droit".

Les faits et le litige au principal

14 M. Diamantis était actionnaire de la société anonyme Plastika Kavalas AE (ci-après "Plastika Kavalas") et détenait 1 000 parts d'une valeur de 1 000 GRD chacune du capital social initial s'élevant à 87 000 000 GRD et réparti en 87 000 parts (soit 1,15 %).

15 Au début des années 80, cette société, fondée en 1973, a dû faire face à de graves problèmes financiers. En septembre 1982, les activités de son usine ont été suspendues et en 1983, en raison de son surendettement, elle se trouvait proche de la faillite. Le 24 août 1983, 32 actionnaires de Plastika Kavalas ont sollicité la soumission de celle-ci au régime prévu par la loi n° 1386/1983. Cette demande a été réitérée le 20 décembre 1983.

16 À la suite de cette demande, et après avoir constaté la situation très difficile dans laquelle se trouvait Plastika Kavalas, la commission consultative prévue à l'article 11 de la loi n° 1386/1983 a émis, le 22 décembre 1983, un avis recommandant de soumettre ladite société au régime de liquidation spéciale prévu aux articles 7 et 9 de ladite loi.

17 Ce régime aurait eu pour conséquence la liquidation immédiate des actifs de Plastika Kavalas et le paiement de ses dettes, comme ce fut le cas pour une série d'entreprises en difficulté et surendettées.

18 Nonobstant l'avis ainsi motivé de liquidation, le ministre de l'Économie nationale a décidé, par décision n° 212, du 3 février 1984 (FEK B'60/8.2.1984), de soumettre Plastika Kavalas au régime d'administration provisoire par l'OAE, prévu à l'article 7 de la loi n° 1386/1983. Ce régime a été maintenu jusqu'au début du mois de janvier de l'année 1987.

19 Le 28 mai 1986, au cours de cette administration provisoire, l'OAE a décidé d'augmenter le capital de Plastika Kavalas d'un montant de 177 000 000 GRD, par le biais de l'émission de 1 770 000 nouvelles actions d'une valeur nominale de 100 GRD. Ainsi, le capital social a été porté à 264 000 000 GRD. Cette décision a été approuvée par le ministre de l'Industrie par décision n° 155, du 6 juin 1986 (FEK B'414/11.6.1986).

20 Les anciens actionnaires n'ayant pas exercé leur droit d'option dans le délai de 45 jours prévu à compter de la publication de ladite décision ministérielle, la totalité des nouvelles actions a été mise à la disposition de l'OAE, qui, de ce fait, possédait 67 % environ du capital social de Plastika Kavalas.

21 Le 11 décembre 1986, par décision de l'assemblée générale des actionnaires dans laquelle la majorité était détenue par l'OAE, le capital social a été réduit au minimum obligatoire autorisé par la loi, qui est de 5 000 000 GRD. Cette réduction était motivée par le caractère négatif de la situation nette de Plastika Kavalas et s'est opérée par l'annulation de la totalité des anciennes actions et par l'émission de 5 000 actions nouvelles, d'une valeur nominale de 1 000 GRD chacune, qui ont été réparties entre les actionnaires de la société jusqu'à ladite date, en proportion de leur participation au capital social. Cette décision de l'assemblée générale a été approuvée par le préfet de Kavala par décision n° 882, du 4 mars 1987 (FEK 262/19.3.1987).

22 Par décision n° 14, du 9 janvier 1987, le ministre adjoint de l'Industrie, de l'Énergie et de la Technologie (FEK B'25/16.1.1987) a approuvé une nouvelle augmentation du capital social. Cette augmentation s'élevait à la somme de 1 262 200 000 GRD et résultait, d'une part, d'une conversion forcée de dettes s'élevant à la somme de 972 000 000 GRD et, d'autre part, d'un apport en numéraire de l'OAE d'un montant de 290 000 000 GRD, destiné à désintéresser les créanciers.

23 À la suite de ces modifications, le capital social de Plastika Kavalas s'est élevé à la somme de 1 267 200 000 GRD, réparti en 1 267 200 actions. Depuis lors, et pendant plus de quatre ans, Plastika Kavalas a fonctionné normalement. En vertu de la décision ministérielle n° 14, les dispositions de la loi n° 1386/1983 ont cessé de s'appliquer. L'administration et le fonctionnement de Plastika Kavalas ont désormais été régis par les décisions de l'assemblée générale des actionnaires et de son conseil d'administration.

24 En 1991, la majorité des actions de Plastika Kavalas ont été cédées à la société Plastika Makedonias AE, au prix de 860 000 000 GRD. Enfin, en février 1994, Plastika Kavalas a été intégrée dans le groupe Petzetakis.

25 Le 22 février 1991, M. Diamantis a introduit un recours auprès de la juridiction de renvoi afin que soit constatée l'invalidité des modifications du capital social (deux augmentations et une réduction) au motif qu'elles étaient contraires à l'article 25 de la deuxième directive. Le gouvernement hellénique et l'OAE ont soulevé une exception tirée de l'abus de droit commis par M. Diamantis et ont conclu au rejet du recours.

26 Dans son ordonnance, la juridiction de renvoi a rappelé en premier lieu la jurisprudence antérieure de la Cour sur l'effet direct de l'article 25 de la deuxième directive (arrêts du 30 mai 1991, Karella et Karellas, C-19/90 et C-20/90, Rec. p. I-2691, et du 24 mars 1992, Syndesmos Melon tis Eleftheras Evangelikis Ekklisias e.a., C-381/89, Rec. p. I-2111), pour conclure qu'il ressortait de cette jurisprudence que les articles 8 et 10 de la loi n° 1386/1983 étaient contraires aux dispositions de la deuxième directive.

27 Dès lors, la juridiction de renvoi a jugé que le recours était fondé en droit, mais a également considéré que l'exception tirée de l'exercice abusif du droit de recours prévu à l'article 281 du code civil était fondée en droit et en fait.

28 Les circonstances de fait à la base de ladite exception étaient les suivantes:

- M. Diamantis ainsi que 32 autres actionnaires ont demandé que Plastika Kavalas soit soumise au régime de la loi n° 1386/1983,

- en raison de la mauvaise situation financière de Plastika Kavalas, le demandeur au principal n'a jamais voulu l'augmentation du capital social, en sorte qu'il n'a pas non plus fait usage du droit préférentiel qui lui avait été accordé lors de la première augmentation,

- Plastika Kavalas a été assainie grâce à la capitalisation de ses dettes et au désintéressement de ses créanciers, ce qui a entraîné des conséquences substantielles et irréversibles au niveau de la répartition de son capital du point de vue des actions étant donné l'écoulement respectif de cinq années et de quatre années à compter des augmentations susmentionnées et de la réduction du capital intervenue entre-temps.

29 La juridiction de renvoi a dès lors reconnu que l'article 281 du code civil pouvait également être appliqué pour s'opposer à des droits résultant du droit communautaire lorsque ceux-ci étaient exercés de manière abusive au sens de ladite disposition. Cependant, eu égard à la position adoptée par la Cour dans l'arrêt du 12 mars 1996, Pafitis e.a. (C-441/93, Rec. p. I-1347, points 68 à 70), sur la même exception soulevée en vertu de l'article 281 du code civil, ladite juridiction a estimé se trouver en présence d'un problème d'interprétation des dispositions des articles 25, paragraphe 1, et 29, paragraphe 1, de la deuxième directive au regard de l'exception d'abus de droit.

30 C'est dans ces conditions que le Polymeles Protodikeio Athinon a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Dans les circonstances de fait décrites et exposées dans les motifs de la présente ordonnance, convient-il de se poser la question de l'application, tant sur le plan formel que matériel, de l'article 281 du code civil hellénique pour ce qui concerne l'exercice abusif de son droit par le demandeur dans le cadre des articles 25, paragraphe 1, et 29, paragraphe 1, de la deuxième directive?

2) Si la Cour considère que l'exception précitée est fondée tant en droit qu'en fait, quel est l'effet de celle-ci sur la validité des décisions ministérielles concernant l'augmentation et la réduction du capital de la société en cause, dont le demandeur est actionnaire, et, par voie de conséquence, qu'en est-il de la compatibilité des dispositions des articles 8, paragraphe 8, et 10, paragraphe 1, de la loi n° 1386/1983 avec le droit communautaire, au vu du fait que, sans référence à l'article 281 du code civil hellénique, il a, comme indiqué ci-dessus, été jugé que ces dispositions sont contraires au régime institué par la directive 77/91/CEE?"

Sur la première question

31 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si, eu égard aux circonstances du litige au principal, une disposition nationale qui sanctionne l'exercice abusif d'un droit peut valablement être invoquée pour s'opposer à une action en invalidité d'actes sociaux, introduite par un actionnaire pour violation d'un droit conféré par l'article 25 de la deuxième directive.

32 À titre liminaire, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé, dans l'arrêt du 12 mai 1998, Kefalas e.a. (C-367/96, Rec. p. I-2843, point 28), que l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive a pour objectif de garantir aux actionnaires qu'une décision d'augmenter le capital social et, par conséquent, d'affecter les proportions des parts des actionnaires ne soit prise sans leur participation à l'exercice du pouvoir décisionnel de la société. Selon la jurisprudence, cet objectif serait sérieusement compromis si les États membres pouvaient déroger aux dispositions de la deuxième directive, en maintenant en vigueur des réglementations, même qualifiées de spéciales ou exceptionnelles, qui permettent de décider, par voie de mesure administrative et en dehors de toute décision de l'assemblée générale des actionnaires, une augmentation du capital social (arrêt Karella et Karellas, précité, point 26).

33 Toutefois, les justiciables ne sauraient abusivement ou frauduleusement se prévaloir des normes communautaires (voir arrêt Kefalas e.a., précité, point 20, et jurisprudence citée). Tel serait le cas si l'actionnaire se prévalant de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive intentait une action dans le but d'obtenir, au détriment de la société, des avantages illégitimes et manifestement étrangers à l'objectif de ladite disposition (arrêt Kefalas e.a., précité, point 28).

34 Les juridictions nationales peuvent dès lors, en se fondant sur des éléments objectifs, tenir compte du comportement abusif de l'intéressé pour lui refuser, le cas échéant, le bénéfice de la disposition de droit communautaire invoquée. À cet égard, elles doivent cependant prendre en considération les objectifs poursuivis par la disposition en cause (arrêt du 2 mai 1996, Paletta, C-206/94, Rec. p. I-2357, point 25). La mise en oeuvre d'une règle nationale telle que l'article 281 du code civil ne saurait dès lors porter atteinte au plein effet et à l'application uniforme des dispositions communautaires dans les États membres (arrêt Pafitis e.a., précité, point 68).

35 C'est à la juridiction de renvoi qu'il incombe de déterminer si, dans l'affaire dont elle est saisie, l'application de l'article 281 du code civil est compatible avec cette exigence. Toutefois, la Cour est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation qui peuvent lui permettre d'apprécier cette compatibilité.

36 À cet égard, il ressort des arrêts précités Pafitis e.a., point 70, et Kefalas e.a., point 29, qu'un actionnaire se prévalant de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive ne peut pas être censé abuser de son droit au seul motif qu'il est un actionnaire minoritaire d'une société assujettie à un régime d'assainissement ou qu'il a bénéficié de l'assainissement de la société ou qu'il n'a pas fait usage de son droit préférentiel. De la même manière, le fait que le demandeur au principal ait sollicité la soumission de Plastika Kavalas au régime de la loi n° 1386/1983 ne saurait être qualifié d'abus de droit.

37 Ainsi que l'a rappelé M. l'avocat général au point 29 de ses conclusions, l'assujettissement d'une société au régime prévu par ladite loi offre un large éventail de solutions quant au sort de la société, de sorte que demander l'application de cette même loi ne saurait être assimilé à approuver que le pouvoir de prendre des décisions en matière d'augmentation du capital soit transféré à un organisme extérieur à l'assemblée générale. Dès lors, il ne saurait être imputé à un actionnaire se prévalant de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive un exercice abusif du droit découlant de cette disposition au motif qu'il figurait parmi les actionnaires ayant demandé la soumission de la société au régime de la loi n° 1386/1983.

38 Ensuite, il importe de déterminer si le droit communautaire fait obstacle à ce que la juridiction de renvoi vérifie si, en choisissant d'introduire une action en constatation de l'invalidité des modifications du capital, après l'écoulement respectif de cinq années et de quatre années, le demandeur au principal poursuivait le but d'obtenir, au détriment de Plastika Kavalas, des avantages illégitimes et manifestement étrangers à l'objectif de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive, rendant ainsi l'exercice du droit découlant de ladite disposition abusive.

39 À cet égard, il convient de constater que le fait d'avoir intenté une action, même après un certain laps de temps, dans le délai de prescription prévu pour de telles actions par le droit national ne saurait, en tant que tel, être qualifié d'indice sérieux et suffisant d'abus de droit.

40 Toutefois, il ressort de l'ordonnance de renvoi que, s'il était fait droit à l'action intentée par le demandeur au principal tendant à faire constater l'invalidité des modifications du capital social de Plastika Kavalas pendant le régime d'administration provisoire, plusieurs événements intervenus au cours de cette période pourraient être remis en cause, notamment des achats, des ventes, des exécutions forcées, des acquisitions d'activités et la fusion de Plastika Kavalas avec une autre société. En outre, il est incontestable que l'invalidité de ces modifications affecterait inévitablement les droits des tiers de bonne foi.

41 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la deuxième directive ne prévoit aucune sanction spécifique en cas de violation de ses dispositions, de sorte que les sanctions ordinaires de droit privé pouvaient trouver à s'appliquer. Lors de l'introduction de son action, le demandeur au principal avait ainsi le droit, comme il l'a fait, d'opter, parmi les voies de recours de droit interne disponibles pour faire sanctionner la violation de l'article 25 de la deuxième directive, pour une action en invalidité des modifications du capital social intervenues.

42 Il convient donc de déterminer si le droit communautaire fait obstacle à ce que la juridiction de renvoi vérifie si, compte tenu des éléments de fait et de droit survenus après les modifications du capital social, le type de réparation recherché constitue un indice sérieux et suffisant au sens précédemment indiqué, afin d'imputer à l'actionnaire un exercice abusif du droit découlant de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive.

43 En l'occurrence, il ne semble pas que l'application uniforme du droit communautaire et son plein effet serait compromis s'il était considéré qu'un actionnaire se prévalant de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive était censé abuser de son droit, au motif que, parmi les voies de recours disponibles pour remédier à une situation intervenue en violation de ladite disposition, il a choisi celle qui cause un préjudice tellement grave aux intérêts légitimes d'autrui qu'elle s'avère manifestement disproportionnée. En effet, une telle appréciation ne modifierait pas la portée de ladite disposition et n'en compromettrait pas les objectifs.

44 Il convient donc de répondre à la première question que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que les juridictions nationales appliquent une disposition de droit national qui leur permet d'apprécier si un droit découlant d'une disposition communautaire est exercé de manière abusive. Toutefois, lors de cette appréciation, il ne saurait être imputé à un actionnaire se prévalant de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive un exercice abusif du droit découlant de cette disposition au motif qu'il est un actionnaire minoritaire, qu'il a bénéficié de l'assainissement de la société assujetti à un régime d'assainissement, qu'il n'a pas fait usage de son droit préférentiel, qu'il figurait parmi les actionnaires ayant demandé la soumission de la société au régime applicable aux sociétés en difficultés graves ou qu'il a laissé s'écouler un certain temps avant d'intenter son action. En revanche, le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que lesdites juridictions appliquent la disposition de droit interne concernée si un actionnaire a choisi, parmi les voies de recours disponibles pour remédier à une situation intervenue en violation de la directive, celle qui cause un préjudice tellement grave aux intérêts légitimes d'autrui qu'elle s'avère manifestement disproportionnée.

Sur la seconde question

45 Eu égard aux considérations qui précèdent, il n'y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

46 Les frais exposés par le gouvernement hellénique ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Polymeles Protodikeio Athinon, par ordonnance du 24 juin 1997, dit pour droit:

Le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que les juridictions nationales appliquent une disposition de droit national qui leur permet d'apprécier si un droit découlant d'une disposition communautaire est exercé de manière abusive. Toutefois, lors de cette appréciation, il ne saurait être imputé à un actionnaire se prévalant de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l'article 58 deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital, un exercice abusif du droit découlant de cette disposition au motif qu'il est un actionnaire minoritaire, qu'il a bénéficié de l'assainissement de la société assujettie à un régime d'assainissement, qu'il n'a pas fait usage de son droit préférentiel, qu'il figurait parmi les actionnaires ayant demandé la soumission de la société au régime applicable aux sociétés en difficultés graves ou qu'il a laissé s'écouler un certain temps avant d'intenter son action. En revanche, le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que lesdites juridictions appliquent la disposition de droit interne concernée si un actionnaire a choisi, parmi les voies de recours disponibles pour remédier à une situation intervenue en violation de la directive, celle qui cause un préjudice tellement grave aux intérêts légitimes d'autrui qu'elle s'avère manifestement disproportionnée.

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