Lexbase Social n°528 du 23 mai 2013 : Contrat de travail

[Jurisprudence] L'employeur peut libérer le salarié de son obligation de non-concurrence dans la lettre de licenciement

Réf. : Cass. soc., 24 avril 2013, n° 11-26.007, FS-P+B (N° Lexbase : A6757KCA)

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N7101BT8

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 23 Mai 2013

La clause de non-concurrence, destinée à protéger les intérêts de l'entreprise, porte atteinte à la liberté professionnelle du salarié, et donc à sa capacité de gains. C'est pourquoi ce dernier, lorsqu'il quitte l'entreprise, doit être fixé sur l'étendue de sa liberté professionnelle pour se mettre rapidement et utilement à la recherche d'un nouvel emploi. Il faut, par conséquent, encourager l'employeur à renoncer à cette clause, lorsqu'il en a le pouvoir, et c'est en ce sens que la Cour de cassation vient de statuer, dans un arrêt en date du 24 avril 2013, où la Haute juridiction lui permet de renoncer à la clause dans la lettre de licenciement (I), ce qui semble parfaitement opportun (II).
Résumé

La renonciation de l'employeur à la clause de non-concurrence dans la lettre de rupture permet au salarié de connaître immédiatement l'étendue de sa liberté de travailler et répond ainsi à la finalité de la clause.

I - Une solution inédite

Contexte juridique. La conclusion par le salarié d'une clause de non-concurrence détermine indiscutablement son comportement vis-à-vis de son employeur car cette restriction à la liberté professionnelle peut l'inciter à demeurer dans l'entreprise plus longtemps qu'il ne l'aurait voulu, ou à se contenter des emplois disponibles compatibles avec l'étendue de ses obligations. C'est aussi pour cette raison que la renonciation à la clause de non-concurrence doit être stipulée dès les origines pour que le salarié intègre cette possibilité dans ses spéculations professionnelles.

L'accord collectif ne peut laisser à l'employeur la faculté d'y renoncer à tout moment, jusqu'au terme de l'obligation de non-concurrence, la Haute juridiction ayant considéré que "le salarié [ne peut] être laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler" (1). Cette renonciation doit donc, à défaut de délai partant de la date à laquelle le salarié est effectivement libéré de ses obligations (2), intervenir "au moment" de la rupture (3).

Lorsque la convention collective applicable, ou la clause contractuelle, fixent un délai de renonciation, l'employeur est bien entendu tenu de le respecter, conformément aux dispositions de l'accord applicable.

Une question se pose alors au regard de ces dispositions conventionnelles : lorsque l'accord laisse à l'employeur un certain délai pour renoncer à compter de la notification du licenciement, ce dernier peut-il inscrire cette renonciation dans la lettre de licenciement ?

Intérêt de la décision. C'est tout l'intérêt de cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 24 avril 2013, qui permet, et c'est heureux, à l'employeur de faire d'une pierre, deux coups, et de libérer le salarié de ses obligations à l'occasion de la notification de son licenciement.

Les faits. Une salariée avait été engagée en 1980 en qualité de secrétaire commerciale et par la suite promue comme négociatrice, son contrat de travail comportant par ailleurs une clause de non-concurrence. Elle fut licenciée le 5 janvier 2009 par une lettre de licenciement contenant la renonciation de l'employeur au bénéfice de cette clause.

La cour d'appel de Bordeaux avait considéré que, par application des dispositions de la Convention collective nationale de l'immobilier (N° Lexbase : X0640AEG), imposant de renoncer à la clause dans les 15 jours suivant l'envoi de la lettre de licenciement, l'employeur ne pouvait pas renoncer dans la lettre de licenciement.

La solution. C'est cet arrêt qui se trouve ici cassé pour violation des articles L. 1221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0767H9B) et 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), la Haute juridiction considérant que "la renonciation de l'employeur à la clause de non-concurrence dans la lettre de rupture permettait à la salariée de connaître immédiatement l'étendue de sa liberté de travailler et répondait ainsi à la finalité de la clause autorisant l'employeur à libérer le salarié de son obligation".

Cette solution nous semble parfaitement justifiée, tant au regard des dispositions conventionnelles applicables qu'au regard des principes guidant l'interprétation du juge, et rappelés dans la décision.

II - Une solution justifiée

Une solution justifiée au regard des dispositions conventionnelles applicables. Il s'agissait ici de faire application des dispositions de l'article 9 de l'avenant n° 31 du 15 juin 2006 relatif au nouveau statut de négociateur immobilier (CC 2006/40) et qui correspondait aux dernières fonctions exercées par la salariée.

Le troisième alinéa de cet article dispose que "dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la rupture du contrat par l'employeur ou le salarié, l'employeur peut néanmoins par lettre recommandée avec accusé de réception : - renoncer à l'application de la clause de non-concurrence, en portant sa décision par écrit à la connaissance du salarié. Ce dernier, dans ce cas, ne peut prétendre à aucune contrepartie pécuniaire ; - ou décider de réduire la durée de l'interdiction. L'indemnité due au salarié sera alors réduite dans les mêmes proportions. La lettre recommandée avec accusé de réception notifiant la décision de l'employeur de renoncer à la clause de non-concurrence ou de la réduire doit être présentée au salarié avant l'expiration du délai de quinze jours susmentionnés".

La rédaction pouvait sembler induire deux actes distincts, l'un notifiant le licenciement, l'autre renonçant à la clause.

Mais en réfléchissant un peu, on ne voit pas ce qui interdirait à l'employeur de renoncer à la clause dans la lettre de licenciement, les deux actes étant soumis au même formalisme (lettre recommandée avec accusé de réception) et la renonciation réalisée en même temps que la notification libérant le salarié au plus tôt de ses obligations, sans préjudice pour lui.

Une solution fondée sur le principe de prévisibilité. Par ailleurs, et c'est d'ailleurs le message qu'a voulu faire passer la Cour de cassation, "la renonciation de l'employeur à la clause de non-concurrence dans la lettre de rupture permettait à la salariée de connaître immédiatement l'étendue de sa liberté de travailler et répondait ainsi à la finalité de la clause", ce qui est là encore indiscutable.

Pour la Cour de cassation, la solution est donc dictée par le désir de permettre au salarié de "connaître immédiatement l'étendue de sa liberté de travailler". La solution est ainsi fondée sur le principe de prévisibilité, qui constitue l'une des composantes de la sécurité juridique, le salarié devant savoir s'il doit chercher un emploi compatible avec sa clause, ou si, retrouvant sa liberté, il peut y compris contacter avec un concurrent (à condition bien entendu de ne pas se livrer par la suite à des actes de concurrence déloyale).

Une solution justifiable par le rétablissement du principe de liberté professionnelle. On observera que la Cour ne fonde donc pas directement la solution sur la notion de liberté professionnelle, alors qu'il nous semble que c'est bien de cela dont il s'agit ici.

Le principe est bien, en effet, celui de la liberté professionnelle du salarié, garantie sur le plan constitutionnel, à laquelle la clause de non-concurrence porte atteinte de manière exorbitante, selon des conditions strictes et à condition que la perte de gains consécutive à la réduction de la liberté professionnelle soit compensée financièrement. Dès lors, tout doit être fait pour que le salarié recouvre sa liberté professionnelle le plus rapidement possible, et l'exception que constitue la clause doit s'interpréter restrictivement.

Il nous semble même qu'à ce titre l'employeur devrait être autorisé à libérer, en toutes hypothèses, le salarié de son obligation, sans qu'une disposition en ce sens ne soit exigée, à moins que l'accord collectif ou la clause conclue par les partie n'aient exclu cette faculté expressément, c'est-à-dire n'aient garantie au salarié le droit à une sorte de salaire d'inactivité après la rupture de son contrat de travail. Mais on sait que tel n'est pas la position actuelle de la Cour de cassation, ce qu'on peut regretter...


(1) Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.626, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6837E4Y), v. nos obs., Heurs et malheurs de la faculté de renonciation à la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 406 du 2 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0341BQP) ; Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 08-45.341, F-D (N° Lexbase : A2159GA9) ; Cass. soc., 10 avril 2013, n° 12-12.717, F-D (N° Lexbase : A0801KCN).
(2) C'est-à-dire, lorsqu'il est dispensé de l'exécution de son préavis, dès son départ effectif de l'entreprise, sans qu'il soit possible d'attendre l'expiration du préavis marquant la fin juridique du contrat de travail : Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-21.150, FS-P+B (N° Lexbase : A9661I9P), v. nos obs., L'affirmation du caractère d'ordre public du principe selon lequel la renonciation à la clause de non-concurrence doit intervenir en même temps que la dispense de préavis, Lexbase Hebdo n° 521 du 28 mars 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6329BTL).
(3) Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.626, FS-P+B+R, préc..

Décision

Cass. soc., 24 avril 2013, n° 11-26.007, FS-P+B (N° Lexbase : A6757KCA)

Cassation partielle sans renvoi, CA Bordeaux, 8 septembre 2011, n° 10/04792 (N° Lexbase : A6784HXK)

Texte visé : C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B) et C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots-clés : clause de non-concurrence, renonciation, formalisme

Liens base : (N° Lexbase : E8734ESB)

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