Lexbase Social n°521 du 28 mars 2013 : Contrat de travail

[Jurisprudence] L'affirmation du caractère d'ordre public du principe selon lequel la renonciation à la clause de non-concurrence doit intervenir en même temps que la dispense de préavis

Réf. : Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-21.150, FS-P+B (N° Lexbase : A9661I9P)

Lecture: 10 min

N6329BTL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] L'affirmation du caractère d'ordre public du principe selon lequel la renonciation à la clause de non-concurrence doit intervenir en même temps que la dispense de préavis. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8047691-jurisprudence-laffirmation-du-caractere-dordre-public-du-principe-selon-lequel-la-renonciation-a-la-
Copier

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 28 Mars 2013

Même si l'essentiel du régime des clauses de non-concurrence a été réaménagé par la Cour de cassation après le "tsunami" intervenu en 2002, la Cour de cassation continue, par petites touches, d'ajuster les règles applicables. Dans un nouvel arrêt en date du 13 mars 2013, la Haute juridiction confirme le principe selon lequel la renonciation au bénéfice de clause de non-concurrence du salarié dispensé de préavis doit avoir lieu au moment du départ effectif du salarié de l'entreprise, ce que l'on savait déjà (I), mais lui confère une portée inédite puisque la règle apparaît désormais comme étant d'ordre public, ce qui met en échec les délais conventionnels ou contractuels de renonciation dès lors que le salarié est dispensé de l'exécution de son préavis (II).
Résumé

L'employeur qui dispense le salarié de l'exécution de son préavis doit, s'il entend renoncer à l'exécution de la clause de non-concurrence, le faire au plus tard à la date du départ effectif de l'intéressé de l'entreprise, nonobstant toutes stipulations ou dispositions contraires.

I - La renonciation à la clause de non-concurrence des salariés dispensés de préavis

Cadre juridique général. L'employeur, qui doit verser au salarié tenu par une obligation de non-concurrence, une contrepartie financière, peut être autorisé par l'accord collectif ou la clause du contrat de travail à renoncer à la clause.

Dans la plupart des hypothèses, la faculté de renonciation est enfermée dans un délai. Lorsque la rupture émane de l'employeur (licenciement, rupture de la période d'essai), le délai de renonciation part de la date d'émission de la lettre de rupture (1). Lorsqu'elle émane du salarié (démission ou prise d'acte), le délai part du jour où l'employeur a eu connaissance de la décision prise par le salarié, c'est-à-dire en pratique du jour de réception de la lettre de rupture (2). S'agissant du dernier jour pour renoncer, il convient de prendre en considération la date d'expédition de la lettre de renonciation qui définit le moment où l'employeur a pris sa décision, et ce même si le salarié reçoit cette lettre après l'expiration du délai de renonciation (3). Le délai imparti se décompte par ailleurs de manière calendaire et ne peut être prorogé en raison de dimanches ou de jours fériés (4).

En l'absence de délai, la jurisprudence a évolué en 2010 ; avant cette date, la Cour de cassation exigeait que la renonciation intervienne dans un "délai raisonnable" ; désormais, elle doit être notifiée au salarié au moment de la rupture (5).

Sort du salarié dispensé de son préavis. Reste à déterminer à quel moment précis part le délai imparti lorsque le salarié a été dispensé de l'exécution du préavis qu'il doit à l'employeur, qu'il s'agisse d'ailleurs du préavis de licenciement ou de démission.

La Cour de cassation a eu l'occasion d'affirmer que "dans le cas où le salarié est dispensé d'exécuter son préavis, la clause de non-concurrence le lie dès son départ effectif de l'entreprise", c'est-à-dire sans attendre la fin juridique des relations contractuelles, ce qui démontre pleinement que c'est moins le moment où le travail prend fin que celui où le salarié recouvre effectivement sa liberté professionnelle qui compte, ce qui est logique s'agissant d'une clause qui vise précisément à empêcher le salarié de se livrer à une activité professionnelle qui pourrait nuire aux intérêts de son ancien employeur (6).

Dès lors, l'ensemble des règles qui ont vocation à s'appliquer dès la rupture du contrat (c'est-à-dire dès la rupture des relations de travail, serait-il plus exact d'affirmer) doivent s'appliquer dès que le salarié a été effectivement libéré de ses obligations professionnelles par la dispense de préavis (7), doivent s'appliquer effectivement, qu'il s'agisse de l'obligation de non-concurrence, du droit à la contrepartie financière (8) ou, comme c'était ici le cas, du droit pour l'employeur de renoncer au bénéfice de la clause (9).

Confirmation en l'espèce de la solution en cas de dispense de préavis. C'est ce que confirme très justement la Cour de cassation, dans ce nouvel arrêt (10), en indiquant "qu'en cas de rupture du contrat de travail avec dispense d'exécution du préavis par le salarié, la date à partir de laquelle celui-ci est tenu de respecter l'obligation de non-concurrence, la date d'exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité sont celles du départ effectif de l'entreprise" (11).

L'affaire. Le contrat de travail de cet ingénieur stipulait que l'employeur pouvait le libérer de sa clause de non-concurrence "soit à tout moment au cours de l'exécution du contrat soit à l'occasion de sa cessation, sous réserve dans ce dernier cas de notifier sa décision par lettre recommandée". L'intéressé avait démissionné le 12 novembre 2008, la fin de son préavis devant intervenir le 12 février 2009. L'employeur avait accepté que le salarié quitte l'entreprise le 23 janvier 2009 et, par courrier du 6 février 2009 adressé le 9 février suivant, il l'avait libéré de sa clause.

Le salarié avait alors saisi la juridiction prud'homale d'un certain nombre de demandes, et singulièrement d'une demande de versement de la contrepartie financière à la clause car il considérait la renonciation comme tardive, et avait obtenu gain de cause devant la juridiction d'appel qui avait considéré que la renonciation n'était pas intervenue dans un délai raisonnable après la notification de la rupture du contrat de travail (12).

Procédant par substitution de motif, l'arrêt est confirmé, la Haute juridiction considérant que "l'employeur qui dispense le salarié de l'exécution de son préavis doit, s'il entend renoncer à l'exécution de la clause de non-concurrence, le faire au plus tard à la date du départ effectif de l'intéressé de l'entreprise".

II - L'obligation d'ordre public de renoncer à la clause au moment de la dispense de préavis

L'affirmation du caractère d'ordre public. Tout en reprenant la solution classique faisant partir la clause, et ses effets, de la date de dispense du préavis, la Cour de cassation ajoute toutefois une précision inédite et indique que cette solution prévaut "nonobstant stipulations ou dispositions contraires".

Cette justification est d'ailleurs substituée, après avis donné aux parties, à celle qui avait été retenue par la juridiction d'appel qui avait, comme la juridiction prud'homale d'ailleurs, statué par rapport au caractère raisonnable du délai de renonciation, et dont on sait qu'il a été abandonné en 2010 dans l'arrêt "Société Dyneff" (13).

L'affirmation nouvelle indique clairement le caractère d'ordre public de la règle ainsi posée, et est justifiée par le droit du salarié de ne pas être "laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler". On se rappellera d'ailleurs que c'est pour cette même raison que la Haute juridiction avait considéré comme inopposable au salarié la clause laissant à l'employeur une faculté indéterminée de renonciation à la clause pendant toute la période de non-concurrence (14).

L'employeur ne peut donc pas se prévaloir d'un délai de renonciation contractuel ou conventionnel pour exercer son droit une fois le salarié libéré de son obligation de préavis, car dans cette hypothèse il doit prendre position avant que ce dernier ne recouvre effectivement sa liberté d'action.

En revanche, lorsque le salarié sera tenu d'exécuter son préavis, l'employeur pourra valablement se fonder sur l'existence d'un délai de réflexion, contractuel ou conventionnel, pour prendre sa décision, puisque par hypothèse le salarié est toujours à son service.

Une précision nouvelle. Cette solution est incontestablement nouvelle. Jusqu'à présent, l'obligation de renoncer au bénéfice de la clause au moment de la dispense de préavis ne valait qu'en l'absence de délai fixé pour renoncer à la clause (15) ; lorsqu'un accord collectif, ou le contrat de travail, prévoyait un tel délai, celui-ci s'appliquait et commençait à courir à compter de la notification de la rupture (à l'initiative de l'employeur) ou de la réception de la rupture (à l'initiative du salarié) (16).

Désormais, et même si un délai de renonciation a été fixé, il ne s'appliquera pas dès lors que l'employeur décide de dispenser le salarié de son préavis (soit dans la lettre de licenciement, soit dans la lettre de dispense de préavis adressée au salarié en réponse à sa lettre de démission, ou de prise d'acte avec offre de préavis).

Une solution équilibrée. Cette nouvelle règle, qui distingue selon que le salarié est ou non libéré de son préavis, nous semble équilibrée.

L'obligation qui est faite à l'employeur de libérer le salarié de ses obligations au moment où il le dispense de son préavis, nous semble justifiée car le salarié qui sait ne plus devoir de préavis (qu'il s'agisse d'ailleurs d'un licenciement ou d'une démission) et qui va donc chercher immédiatement un nouvel emploi doit savoir de quelle marge de liberté professionnelle il dispose, et il ne saurait demeurer, même pendant quelques jours, dans l'expectative, car pendant ce délai il ne peut en réalité pas accepter d'emploi susceptible d'entrer dans le champ d'une éventuelle interdiction de concurrence qui n'aurait pas été levée.

Une portée problématique. Reste que l'application concrète de cette règle nouvelle va faire difficulté.

En premier lieu, mais la remarque vaut plus généralement pour tous les revirements de jurisprudence, l'application de la solution nouvelle à des faits antérieurs est extrêmement problématique, et on ne pourra que regretter de nouveau l'absence de toute réflexion de la Cour sur la portée temporelle de sa décision et sur les moyens éventuellement envisagés pour en atténuer les effets dans le temps.

En second lieu, et cette remarque prolonge la précédente, les employeurs qui n'ont pas le nez collé sur le Bulletin (ou qui ne sont pas abonnés à Lexbase !) vont certainement continuer à se croire autorisés à se fonder sur le délai conventionnel ou contractuel de renonciation, y compris en cas de dispense de préavis, alors que par hypothèse leur renonciation sera tardive, et donc inefficace, dès lors qu'ils n'exercent pas ce droit en même temps qu'ils dispensent le salarié de préavis.

Les partenaires sociaux qui ne l'avaient pas encore fait auront donc tout intérêt à réviser leurs conventions pour "respecter" la nouvelle règle ; mais pour ce qui est des contrats en cours, les choses seront certainement bien plus compliquées à mettre en oeuvre, ne serait-ce que parce que les salariés seront en droit de refuser la modification de la clause.


(1) Cass. soc., 4 mars 2003, n° 00-44.922, publié (N° Lexbase : A3707A7G).
(2) Pour la prise d'acte : Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-43.321, FS-P+B, sur le 3ème moyen (N° Lexbase : A6513DI3) ; Cass. soc., 25 mars 2010, n° 08-42.302, F-D (N° Lexbase : A1512EUK).
(3) Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-41.219, FS-P+B sur les deuxième et troisième moyens (N° Lexbase : A1667EPG) ; Cass. soc., 13 février 2013, n° 11-21.975, F-D (N° Lexbase : A4213I8K).
(4) Cass. soc., 30 mars 2011, n° 09-41.583, FS-P+B (N° Lexbase : A3892HM4).
(5) Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.626, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6837E4Y), v. nos obs., Heurs et malheurs de la faculté de renonciation à la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 406 du 2 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0341BQP) ; Cass. soc., 22 septembre 2010, préc.. La renonciation ne peut toutefois pas intervenir avant la rupture, lors de l'entretien préalable, Cass. soc., 10 février 1998, n° 94-45.279, publié (N° Lexbase : A2343ACR), Bull. civ. V n° 80.
(6) Cass. soc., 27 septembre 1989, n° 86-45.701 (N° Lexbase : A1368AAW), Bull. civ. V, n° 545.
(7) Cette solution vaut à plus forte raison lorsque c'est le contrat de travail lui-même qui fixe le point de départ des délais à la date de notification de la rupture du contrat de travail : Cass. soc., 15 mars 2006, n° 03-43.102, F-P sur le premier moyen (N° Lexbase : A6027DNK).
(8) Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-30.308, F-D (N° Lexbase : A8122IA3).
(9) Cass. soc., 3 février 1993, n° 89-44.031, inédit (N° Lexbase : A1714AAQ) : "la clause de non-concurrence liant le salarié dès le départ effectif de l'entreprise, la renonciation de l'employeur au bénéfice de cette clause devait intervenir au moment du licenciement" ; Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 95-43.456, inédit (N° Lexbase : A7570C47).
(10) De nombreuses conventions collectives prévoient d'ailleurs explicitement cette solution en cas de dispense de préavis, en supprimant le délai d'exercice et en imposant une renonciation dans l'acte de dispense. C'est le cas de l'article 4.2.4.1, alinéa 5, de la Convention collective nationale des télécommunications du 26 avril 2000, étendue par arrêté du 12 octobre 2000 (N° Lexbase : X0803AEH), aux termes duquel "la levée de la clause de non-concurrence doit être notifiée au salarié par écrit dans les 15 jours calendaires suivant la notification du licenciement ou de la démission, ou en l'absence d'exécution du préavis au jour de la rupture du contrat". Voir Cass. soc., 1er février 2011, n° 09-41.279, F-D (N° Lexbase : A3526GRZ).
(11) Pour une formule comparable : Cass. soc., 22 mai 2011, n° 09-68.762, FS-P+B (N° Lexbase : A5241HUN), Bull. civ. V, n° 160 : "en cas de licenciement du salarié avec dispense d'exécution de son préavis, la date de départ de l'obligation de non-concurrence, la date d'exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité, sont celles du départ effectif du salarié de l'entreprise".
(12) CA Rennes, 1er juillet 2011, n° 10/02363 (N° Lexbase : A7494HWH).
(13) Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.626, FS-P+B+R, préc., v. nos obs., Heurs et malheurs de la faculté de renonciation à la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 406 du 2 septembre 2010 - édition sociale, préc. ; Cass. soc., 22 septembre 2010, préc..
(14) Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 08-45.341, F-D (N° Lexbase : A2159GA9).
(15) Auparavant l'obligation de renoncer au bénéfice de la clause au moment de la dispense de préavis ne prévalait qu'en l'absence de délai laissé à l'employeur pour renoncer : Cass. soc., 27 septembre 989, préc. ; Cass. soc., 16 mai 1990, préc. ; Cass. soc., 3 février 1993, n° 89-44.031, publié (N° Lexbase : A1714AAQ).
(16) Ainsi Cass. soc., 23 février 2005, n° 02-47.029, F-D (N° Lexbase : A8630DGQ) ; Cass. soc., 6 mai 2009, n° 07-44.692, F-P+B sur le second moyen (N° Lexbase : A7499EGT), Bull. civ. V, n° 122.

Décision

Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-21.150, FS-P+B (N° Lexbase : A9661I9P)

Rejet, CA Rennes, 1er juillet 2011, n° 10/02363 (N° Lexbase : A7494HWH)

Texte concerné : C. trav., art. L. 1237-1 (N° Lexbase : L1389H9C) et C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots-clés : clause de non-concurrence, dispense de préavis, renonciation

Liens base : (N° Lexbase : E8734ESB)

newsid:436329

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.