La lettre juridique n°452 du 8 septembre 2011 : Procédure pénale

[Chronique] La chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, CRDP Tours (EA 2116) et du laboratoire Wesford, et Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP Toulouse (EA 1920) - Septembre 2011

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N7525BSI

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[Chronique] La chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, CRDP Tours (EA 2116) et du laboratoire Wesford, et Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP Toulouse (EA 1920) - Septembre 2011. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4776657-chronique-la-chronique-de-procedure-penale-de-guillaume-beaussonie-maitre-de-conferences-en-droit-p
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le 08 Septembre 2011

Durant l'été, le Conseil constitutionnel a rendu plusieurs décisions en matière pénale, dont une, particulièrement marquante, relative à la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (Cons. const., décision n° 2011-635 DC, du 4 août 2011). Parallèlement, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s'est prononcée sur quelques points importants. Tout d'abord, elle a apporté des précisions sur l'appréhension de la preuve en droit pénal, en constatant et en sanctionnant une erreur qui avait conduit à une condamnation pénale injustifiée (Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-87.326, FS-P+B+I), ainsi qu'en discriminant clairement complément d'enquête et supplément d'information devant le juge de proximité (Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-83.846, F-P+B). Ensuite, confrontée à un véritable cas d'école, la Cour de cassation a pédagogiquement rappelé que la cour d'appel doit se déclarer incompétente d'office s'il s'avère à ce stade que les faits poursuivis sont de nature criminelle (Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-83.763, F-P+B). I - L'examen critique de la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs
  • Sont déclarés contraires à la Constitution différents articles de la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, d'autres y étant déclarés conformes sous réserve (Cons. const., décision n° 2011-635 DC, du 4 août 2011 N° Lexbase : A9170HWK)

Dès le titre, la loi "sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs" (1) s'annonce comme un texte bariolé : quoi de commun, en effet, entre les problèmes posés par l'essor de la participation citoyenne à la justice pénale et ceux générés par une nouvelle réforme de la manière de juger les mineurs ? Le législateur a même profité de l'occasion pour abroger l'article 131-36-1 du Code pénal (N° Lexbase : L0409DZ8) (2), ce qui n'a absolument pas heurté le Conseil constitutionnel pour qui un lien existe entre cette abrogation et "les dispositions relatives à la motivation des décisions en matière criminelle ainsi qu'avec celles relatives à l'assignation à résidence avec surveillance électronique qui figuraient dans le projet de loi initialement déposé".

A l'exception de ce qui précède, les deux grands volets annoncés structurent cependant les critiques formulées à l'encontre de la loi, que le Conseil constitutionnel examine dans une décision inhabituellement longue et technique. Sans entrer dans les détails, il convient d'en dire quelques mots.

En ce qui concerne, d'abord, la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, rappelons que la loi prévoit que des citoyens peuvent désormais être appelés comme assesseurs à compléter le tribunal correctionnel, la chambre des appels correctionnels, le tribunal de l'application des peines et la chambre de l'application des peines de la cour d'appel. Le critère de leur intervention réside classiquement dans la gravité de l'infraction poursuivie, mais cette gravité prend alors la forme, comme cela devient de plus en plus habituel (3), d'un attachement à certains intérêts protégés par la loi pénale -en l'occurrence la personne et l'environnement-, plutôt que d'une stricte soumission envers la hiérarchie des peines. Plus prosaïquement, cela signifie qu'il est nécessaire de se référer à une liste d'incriminations pour savoir quand les citoyens seront invités à participer au jugement des délits. A noter que cette partie de la réforme est expérimentale : elle sera mise en place dans les cours d'appel de Toulouse et de Dijon dès le 1er janvier 2012, étendue à dix cours d'appel au plus durant une période de deux ans, avant de subir une évaluation qui déterminera sa pérennité ou, au contraire, sa fugacité. Cette atteinte au principe d'égalité a été constitutionnalisée pour des raisons évidentes, tenant à son utilité en légistique. L'article 37-1 de la Constitution de 1958 (N° Lexbase : L5155IBK) la conditionne toutefois à l'existence d'une limitation dans l'objet et dans la durée de l'expérimentation, ce qui est bien le cas en l'occurrence.

Parallèlement à l'apparition de ces jurés correctionnels, des jurés criminels vont disparaître, six jurés seulement siégeant à la cour d'assises en premier ressort, et neuf en appel. Cela va sans doute renforcer l'influence des magistrats professionnels, dont l'intime et éclairée conviction se diluera moins, désormais, dans celles des membres du jury. Le paradoxe est d'ailleurs saisissant, d'une réforme qui professionnalise la justice criminelle, tout en annonçant un essor de la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale. Une preuve supplémentaire de ce phénomène est l'instauration de l'obligation de motiver les arrêts rendus par les cours d'assises (4), obligation cependant adaptée à la composition échevinale de la juridiction et renforcée lorsqu'il s'agit de condamner l'accusé.

Le Conseil constitutionnel perçoit les jurés à l'instar des juges de proximité (5) : ils peuvent participer à la fonction juridictionnelle, même lorsqu'il s'agit de prononcer des mesures privatives de liberté, à condition que cela soit temporaire et dans une part limitée, que les magistrats professionnels restent majoritaires au sein de la juridiction, et que l'on s'assure de l'indépendance et de la capacité des jurés. Toutefois, sur ce dernier point, les jurés se particularisent : le Conseil constitutionnel considère qu'il n'est pas nécessaire d'assurer leur indépendance par un statut particulier, le caractère très éphémère de leur fonction ainsi que leur tirage au sort et la possibilité de les récuser ayant sans doute été déterminants. Se fondant sur l'article 6 de la Déclaration de 1789 in fine (N° Lexbase : L1370A9M) (6), le Conseil inverse également la question de la capacité : ce n'est en quelque sorte pas au juré d'être apte à comprendre le droit, mais au droit de se rendre accessible au juré. C'est pourquoi l'on ne peut concevoir que les assesseurs citoyens se prononcent sur des infractions trop techniques, par exemple l'infraction d'usurpation d'identité et celles qui sont définies par le Code de l'environnement. Le Conseil constitutionnel invalide donc la loi qui prévoyait que celles-ci pourraient être appréciées par le biais de la nouvelle procédure. Dans la même optique, il faut selon lui s'assurer "que la nature des questions de droit ou de fait sur lesquelles les citoyens assesseurs sont appelés à statuer, ainsi que les procédures selon lesquelles ils statuent, soient définies de manière à ce qu'ils soient mis à même de former un jugement éclairé sur les matières soumises à leur appréciation".

En matière d'application des peines, matière hautement technique, le Conseil constitutionnel précise que le rôle des assesseurs citoyens doit se limiter à apprécier des questions de fond simples, les questions procédurales devant être laissées aux professionnels de ce droit. Il s'agit quand même de participer à la décision de réduire -ou pas- une période de sûreté, de procéder à une libération conditionnelle lorsque la peine privative de liberté est d'une durée supérieure à cinq ans et, dans ce cas, d'ordonner que la peine s'exécutera sous le régime de la semi-liberté, et de placer une personne sous surveillance électronique, lorsque ces mesures sont déterminées à titre probatoire préalablement à une libération conditionnelle. On comprend l'effet escompté : le peuple sera sans doute moins clément que le juge d'application des peines. Gageons que la surpopulation carcérale dispose encore d'un bel avenir dans le pays des droits de l'Homme.

Le Conseil constitutionnel, incité par les requérants, place ensuite la question de la motivation des arrêts rendus par les cours d'assises dans le giron de la lutte contre l'arbitraire. Bien qu'il s'agisse là d'une évidence (7) que le Conseil n'a jamais vraiment contestée, le raisonnement étonne si l'on se souvient que, dans une décision récente, ce même Conseil n'avait pas apprécié que l'absence d'une telle motivation soit contraire à la Constitution (8). En revanche, faisant montre à cet égard d'une certaine cohérence, les juges constitutionnels abandonnent leur exigence d'une décision prise, en la matière, à la majorité absolue des jurés, puisqu'il s'agissait, à l'époque, de garantir ce qui ne l'était pas en raison du défaut de motivation des arrêts. Celle-ci étant désormais imposée, la règle de majorité n'implique plus de distinguer selon la qualité des juges, magistrats ou citoyens, et reste, sans doute par saine considération envers la présomption d'innocence, une règle de majorité renforcée.

La possibilité d'une motivation différée à trois jours des arrêts concernés n'est pas non plus, selon le Conseil constitutionnel, contraire à la Constitution, en ce sens qu'elle obéit aux mêmes exigences que celles qui sont relatives à la motivation immédiate : le magistrat chargé de la rédiger doit y énoncer les principaux éléments à charge qui ont convaincu la cour d'assises, et la feuille où ceux-ci sont expressément consignés doit être signée par le premier juré.

En ce qui concerne, ensuite, le jugement des mineurs, la loi prévoit notamment la possibilité d'assigner à résidence avec surveillance électronique les mineurs de treize à dix-huit ans. Elle autorise également le procureur de la République, dans certains cas, à faire convoquer directement par un officier de police judiciaire, devant le tribunal pour enfants et sans instruction préparatoire, un mineur de plus de seize ans et, concernant celui qui aurait été mis en examen par le juge des enfants ou par le juge d'instruction pour des faits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement commis en état de récidive légale, oblige à saisir "le tribunal correctionnel des mineurs", nouvelle juridiction composée de trois magistrats du tribunal de grande instance ou de l'un d'entre eux accompagné de deux assesseurs citoyens, et présidée par le juge des enfants. La loi permet, enfin, au procureur de la République de requérir une césure du procès pénal et, à cette fin, de faire convoquer ou comparaître directement un mineur devant le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel des mineurs malgré le caractère insuffisant des éléments d'information sur la personnalité du mineur. La juridiction de jugement est alors tenue d'ajourner le prononcé de la mesure, de la sanction ou de la peine, notamment pour permettre que des investigations supplémentaires sur la personnalité du mineur soient réalisées.

Sur ces questions très particulières, le Conseil constitutionnel rappelle surtout l'existence d'un important principe fondamental reconnu par les lois de la République : celui de "l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge", alliée à "la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées" (9).

De ce principe, tout aussi fortement proclamé que sa portée est affaiblie au fur et à mesure des réformes et des décisions du Conseil constitutionnel, il ne résulte pas une impossibilité de mettre en oeuvre la responsabilité pénale des mineurs, de même que toutes les mesures de contrainte que celle-ci suppose. Tout doit alors simplement, encore plus que pour les majeurs, être affaire de proportion.

Précisément, l'assignation à résidence avec surveillance électronique des mineurs de treize à seize ans a beau être une restriction de liberté plus douce que le contrôle judiciaire et la détention provisoire, elle n'en garde pas moins cette nature particulièrement rigoureuse, qui la rend inconcevable lorsque la détention provisoire elle-même n'a pas été envisagée. En conséquence, le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution la possibilité, instaurée par la loi, de mettre en oeuvre cette alternative au contrôle judiciaire lorsque le mineur en cause a moins de seize ans.

De même, la création du "tribunal correctionnel des mineurs", reprise d'une proposition du rapport "Varinard" (10), ne s'avère pas en soi, selon le Conseil constitutionnel, conforme à la Constitution, en ce sens que, d'une part, il s'agit d'une juridiction insuffisamment spécialisée, sa composition ne laissant de place qu'à un seul magistrat spécialiste -le juge des enfants- sur les trois amenés à y siéger. De plus, les procédures autorisant la saisine de ce tribunal à la suite de la loi examinée ne paraissent pas toutes adaptées aux mineurs, ce qui n'est cependant de nature à poser un problème que parce que la juridiction n'est pas spécialisée.

En effet, selon le Conseil constitutionnel, il faut pour le mineur mis en cause pénalement, soit un juge spécialisé, soit une procédure adaptée, le mieux étant que ces deux éléments se conjuguent. Or, les nouvelles procédures créées par la loi litigieuse, sur lesquelles le Conseil a également eu à se prononcer, nous allons le voir, n'apparaissent pas comme présentant ce caractère d'adaptation au mineur. En revanche, lorsque le tribunal correctionnel des mineurs se trouve saisi selon une procédure adaptée à ce dernier, bref après l'intervention d'un juge d'instruction ou d'un juge des enfants en faisant office, il semble que, malgré la composition du tribunal, il n'y ait alors pas lieu de considérer que le procès du mineur est contraire à la Constitution.

D'autre part, le Conseil constitutionnel, reprenant une décision récente, par laquelle il avait jugé que le cumul des fonctions d'instruction et de présidence du tribunal pour enfants, par le juge des enfants, méconnaissait les exigences constitutionnelles (11), a considéré en l'espèce que le problème était le même concernant la présidence, par ce même juge, du "tribunal correctionnel des mineurs".

A l'inverse, la possibilité pour le procureur de la République, lorsqu'un mineur a antérieurement été poursuivi en application de l'ordonnance du 2 février 1945, de le faire convoquer directement par un officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants, sans instruction préparatoire, lorsqu'il a plus de seize ans et qu'il est poursuivi pour un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement, ou lorsqu'il a plus de treize ans et qu'il est poursuivi pour un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement, n'est pas contraire à la Constitution. Pour les juges constitutionnels, ces dispositions tiennent compte de l'âge du mineur, de la gravité des faits qui lui sont reprochés et de ses antécédents, ce qui conduit d'autant moins à un déséquilibre avec la nécessaire protection de l'ordre public que ladite procédure ne peut être mise en oeuvre qu'à la condition que des investigations sur les faits ne soient pas nécessaires et qu'à celle que des investigations sur la personnalité du mineur aient été accomplies au cours des douze mois précédant la convocation, le mineur étant au surplus assisté par un avocat et ses représentants légaux étant convoqués.

Le Conseil constitutionnel agrée de la sorte la consécration d'une autre recommandation de la commission "Varinard", qu'il avait pourtant censurée dans une précédente décision, concernant la "LOPPSI" (12). Il est vrai que les conditions pour recourir à cette convocation sont, désormais, un peu plus restrictives qu'alors : sont exclus de la nouvelle procédure les mineurs primo-délinquants ; ceux d'au moins treize et d'au moins seize ans n'y sont soumis que pour des infractions graves ; surtout, il est imposé que des informations aient préalablement pu être recueillies sur le mineur.

De même, selon le Conseil constitutionnel, l'obligation faite au juge des enfants ou au juge d'instruction de saisir la juridiction de jugement ne méconnaît pas le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice pénale des mineurs, car ce dispositif n'est applicable qu'aux mineurs de plus de seize ans qui ont été mis en examen par le juge des enfants ou le juge d'instruction pour des faits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement et commis en état de récidive légale.

Tel est le cas également de la possibilité, pour le procureur de la République, de requérir une césure du procès pénal -que le rapport "Varinard" préconisait également- et de faire convoquer ou comparaître directement un mineur devant le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel des mineurs, malgré le caractère insuffisant des éléments d'information sur la personnalité du mineur. Dans un pareil cas, en effet, la juridiction de jugement doit ajourner le prononcé de la mesure, de la sanction ou de la peine, notamment pour permettre que des investigations supplémentaires sur la personnalité du mineur soient réalisées. Pour le Conseil constitutionnel, il semble que la connaissance du mineur ne constitue que la condition de l'adaptation de la sanction qui sera prononcée, par celle de l'appréciation de sa culpabilité.

Au final, tout cela ne va pas sans paradoxe : alors que le Conseil constitutionnel considère que les nouvelles procédures mises en place par la loi litigieuse ne sont pas vraiment adaptées aux mineurs, il les perçoit comme conformes à la Constitution parce qu'elles n'assurent pas de déséquilibre entre cette nécessaire adaptation et la prévention tout aussi nécessaire des atteintes à l'ordre public.

Ce qui apparaît certain est que la digue a cédé pour le mineur de plus de seize ans. Il est à ce point conçu comme un majeur, désormais, que le simple fait qu'une procédure lui soit exclusivement applicable semble suffire au Conseil constitutionnel pour affirmer que celle-ci n'est pas, malgré sa similarité avec le traitement pénal des majeurs, disproportionnée et, partant, inconstitutionnelle.

Guillaume Beaussonie, MCF en droit privé, CRDP Tours (EA 2116), Laboratoire Wesford

II - La révision d'une condamnation pénale définitive

  • Annulation sans renvoi d'une condamnation pénale définitive en cas de condamnations inconciliables, les pièces de la seconde procédure établissant la preuve de l'innocence du premier condamné (Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-87.326, FS-P+B+I N° Lexbase : A3312HWL)

La révision d'une décision pénale définitive, fondée sur les articles 622 (N° Lexbase : L3995AZY) et suivants du Code de procédure pénale, s'inscrit dans la volonté de réparer une erreur sur la preuve, seule une révélation portant sur la preuve autorisant à y recourir. L'erreur visée par ce mécanisme, qui ne peut porter que sur la culpabilité elle-même (13), a donc abouti à une erreur judiciaire, c'est-à-dire à une erreur d'appréciation commise par une juridiction de jugement sur la culpabilité d'une personne poursuivie, la décision étant devenue définitive.

La procédure de révision est, "par elle-même, une voie de recours absolument exceptionnelle, admise dans un intérêt supérieur d'équité et d'humanité et permettant d'accorder, d'une part, à celui qui a été la victime innocente d'une erreur judiciaire une réparation morale et matérielle et, d'autre part, d'assurer la bonne administration de la justice en rendant libre l'exercice régulier de la répression contre le véritable coupable" (14). Elle vise à rétablir l'innocence d'une personne dont la culpabilité a été déclarée à tort par une juridiction, l'inverse, c'est-à-dire l'établissement de la culpabilité d'une personne relaxée ou acquittée par erreur, étant interdit sur ce fondement (15). Remise en cause de l'autorité de la chose jugée, qui ne se justifie plus dès lors que la décision litigieuse a perdu son caractère incontestable (16), la révision est fortement encadrée par le Code de procédure pénale.

En l'espèce, un homme est condamné le 29 mai 2007 par la cour d'appel d'Angers pour des faits d'agression sexuelle, de vol et d'escroquerie. La victime l'a formellement identifié et, double manque de chance pour lui, non seulement l'homme ressemble fortement au portrait-robot dressé mais il a aussi vécu, autrefois, dans le quartier de l'agression. Relaxé en première instance, il est condamné en appel. Un an plus tard, une instruction est ouverte à l'encontre d'un autre homme qui reconnaît les faits pour lesquels le premier a déjà été condamné et qui fournit des explications circonstanciées. A son tour reconnu par la victime, il est alors, lui aussi, condamné définitivement pour ces faits.

C'est le deuxième des quatre cas de révision, ouvert en cas de condamnations inconciliables, qui a permis au premier condamné de solliciter la révision de sa condamnation. Ce cas, prévu par l'article 622, 2° du Code de procédure pénale, n'est pas susceptible de générer de fréquentes révisions, puisqu'il autorise celles-ci lorsque, "après une condamnation pour crime ou délit, un nouvel arrêt ou jugement a condamné pour le même fait un autre accusé ou prévenu et que, les deux condamnations ne pouvant se concilier, leur contradiction est la preuve de l'innocence de l'un ou de l'autre condamné" (17). Bref, deux personnes -ou plus- se sont vues condamner pour les mêmes faits alors que ces derniers ne pouvaient avoir été commis que par l'une ou par l'autre. Quelques exemples jurisprudentiels existent, comme celui d'un individu condamné pour vol, refus d'obtempérer et violences légères malgré ses dénégations et qui a pu demander l'annulation de sa condamnation après la condamnation des deux véritables auteurs des faits, qui les avaient reconnus et les avaient commis seuls (18).

La présente affaire en est une nouvelle illustration. En l'espèce, la Cour de cassation siégeant comme cour de révision, a décidé le 20 juillet 2011 d'annuler sans renvoi la condamnation de l'homme initialement condamné pour les faits d'agression sexuelle, de vol et d'escroquerie, les pièces de la seconde procédure établissant la preuve de son innocence.

Le recours en révision est-il un mécanisme suffisant pour réparer les erreurs sur la preuve ? Les annulations par la Cour de révision sont peu fréquentes eu égard au nombre de recours déposés devant la Commission de révision (19). On peut regretter l'inégalité dans les degrés de la suspicion d'erreur requise pour entrer dans l'un des quatre cas de révision. En effet, dans le premier cas, la loi impose des indices suffisants, soit une vraisemblance d'innocence. Dans le deuxième, elle exige une certitude, puisque la contradiction entre les décisions de culpabilité doit être la preuve de l'innocence de l'un des condamnés. Le troisième cas ne précise rien, se contentant d'une condamnation pour faux témoignage, quel qu'ait été le rôle de ce dernier mode de preuve dans la procédure litigieuse. Enfin, le quatrième cas requiert un doute, donc une simple possibilité d'innocence. Or, "cette gradation, peu logique, devrait céder en faveur du simple doute, dans chaque cas, par la force d'attraction du quatrième qui, en réalité, englobe les trois autres" (20). Néanmoins, les trois premiers cas d'ouverture correspondent à des hypothèses d'erreur précises et le degré de suspicion attendu est simplement en correspondance avec l'hypothèse concernée. De toute façon, la force d'attraction du quatrième cas, évoquée par certains auteurs (21), gomme les éventuels désagréments liés à ces divergences. Cette force d'attraction constitue d'ailleurs l'une des plus grandes vertus du système de révision. En effet, grâce à sa généralité, il semble pouvoir englober toutes les hypothèses pertinentes qui pourraient permettre de mettre en évidence une erreur judiciaire. Précisons, en outre, que l'une des autres qualités de la procédure de révision est de prévoir le droit à réparation intégrale du préjudice causé par l'erreur (22), conformément aux exigences de l'article 3 du protocole n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

La procédure de révision prévue par le Code de procédure pénale apparaît donc apte à satisfaire son objectif. Elle va au-delà de la procédure de révision organisée par le Code de procédure civile (23) où le pourvoi en révision n'est autorisé qu'à la condition que l'une des parties ait volontairement trompé le juge, une telle exigence ne s'imposant que dans certains cas d'ouverture à révision au pénal. Il est aisé d'en déduire que la vérité importe davantage que la stabilité des décisions de justice au pénal, alors que cette dernière cède plus difficilement devant la vérité au civil.

Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920)

III - L'attribution limitée du pouvoir de décider d'un supplément d'information

  • Des investigations complémentaires décidées à l'audience constituent un supplément d'information auquel seul le juge de proximité peut procéder (Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-83.846, F-P+B N° Lexbase : A3311HWK)

A la demande des parties ou d'office, un tribunal peut s'estimer insuffisamment éclairé pour juger un dossier et considérer qu'un supplément d'information est nécessaire. Cette possibilité existe devant les différentes juridictions de jugement, selon des modalités assez proches (24), la cour ou le tribunal appréciant souverainement l'utilité de la mesure (25). D'ailleurs, à peine d'une contradiction ou d'une insuffisance de motifs, la juridiction ne peut énoncer que la mesure complémentaire était nécessaire, et trancher sans l'avoir ordonnée (26).

Devant le tribunal de police et le juge de proximité, c'est l'article 538 du Code de procédure pénale qui énonce que "s'il y a lieu à supplément d'information, il y est procédé par le juge du tribunal de police ou par le juge de proximité [...]". Ainsi, à la différence de la procédure suivie en un tel cas devant la Cour d'assises et devant le tribunal correctionnel, où il est alors en principe procédé aux investigations par commission rogatoire, devant les juridictions contraventionnelles, ce sont les magistrats concernés qui doivent procéder eux-mêmes aux investigations.

En l'espèce, le prévenu renvoyé devant le juge de proximité pour inobservation, par conducteur, de l'arrêt absolu imposé par un panneau "stop", contestait l'existence du carrefour où il était supposé avoir commis l'infraction. Le ministère public avait sollicité le renvoi de l'affaire à une audience ultérieure afin de procéder aux vérifications nécessaires. A l'audience de renvoi, il avait produit les investigations complémentaires, que ni le premier juge, ni la juridiction d'appel, n'avaient accepté d'annuler, sanction sollicitée par le prévenu.

Quel était le statut de ces éléments de preuve complémentaires ? Le parquet avait-il le droit de les diligenter à ce stade de la procédure, puis de les produire à l'audience ?

Selon les tenants de la régularité de la procédure, il s'agissait d'un simple complément d'enquête, l'arrêt d'appel jugeant que le ministère public n'avait pas été dessaisi de la procédure par la signature du mandement de citation ni par la délivrance de cet acte au prévenu, ce qui impliquait la légalité des investigations ainsi réalisées. En revanche, selon le prévenu, il s'agissait d'un supplément d'information, auquel seul le juge de proximité lui-même pouvait procéder en vertu de l'article 538 précité.

C'est précisément pour cette seconde interprétation que se prononce la Chambre criminelle par l'arrêt en date du 20 juillet 2011.

La qualification de "complément d'enquête" présentait l'avantage de libérer les actes concernés du cadre légal contraignant, et de sauver la procédure. Néanmoins, dans la mesure où une disposition expresse règlemente l'hypothèse d'investigations supplémentaires au stade de l'audience, il était conforme au principe de légalité d'appliquer celle-là, par préférence à une mesure non règlementée. Hormis celle-ci, qui cependant se suffit, on peut trouver d'autres explications à la solution retenue par la Cour de cassation.

En effet, le parquet n'est supposé saisir la juridiction de jugement qu'une fois le dossier en état d'être jugé, l'espèce révélant que, finalement, tel n'était peut-être pas le cas. Une fois le dossier transmis à la juridiction de jugement, il ne lui appartient plus de revenir sur cette décision au motif qu'il réalise que la preuve est insuffisamment rapportée.

En outre et surtout, la loi prévoit, dans l'hypothèse du supplément d'information, l'application de plusieurs dispositions dont le rôle est de protéger les droits de la défense. Ainsi, l'article 538 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8173G7T) renvoie aux articles 114 (N° Lexbase : L8632HWM), 119 (N° Lexbase : L5537DYQ), 120 (N° Lexbase : L0932DY8) et 121 (N° Lexbase : L3471AZL), qui organisent les droits de la défense du suspect et l'organisation du contradictoire en cas d'interrogatoire ou de confrontation. Même si, en l'espèce, aucune de ces mesures probatoires n'était nécessaire, la qualification de "complément d'enquête" choisie au détriment de celle de "supplément d'information" aurait eu pour effet d'éluder ces mesures protectrices si elles avaient pu trouver application. Or, si au stade de l'enquête de police, le suspect est particulièrement mal loti en terme de droits, une fois la procédure renvoyée devant la juridiction de jugement, il dispose enfin de prérogatives réelles en tant que partie à la procédure.

La procédure suivie en l'espèce ne pouvait qu'être censurée.

Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920)

IV - Le rappel de la valeur des règles de compétence

  • Aurait dû se déclarer incompétente d'office une cour d'appel, car les faits poursuivis étaient de nature criminelle (Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-83.763, F-P+B N° Lexbase : A3313HWM)

Le cas est simple : alors qu'un individu est poursuivi pour des faits de nature criminelle, en l'occurrence un faux commis dans une écriture publique par un officier de l'état civil, c'est devant le tribunal correctionnel qu'il est directement cité par le procureur de la République, puis condamné. Saisie à son tour, la cour d'appel se contente de confirmer la décision de première instance, sans constater un problème de compétence que nul ne soulève alors.

Ce n'est donc que devant la Cour de cassation que la question de la compétence est mise en avant par le prévenu (en réalité accusé), la cour rappelant solennellement que les règles de compétence ont un caractère d'ordre public, nul ne pouvant ainsi y déroger. Pour cette raison, il n'est pas nécessaire qu'un requérant mette lui même la question dans la cause, toute juridiction pénale étant tenue de constater d'elle-même son éventuelle incompétence.

En creux, c'est la pratique de la correctionnalisation judiciaire qui est ici condamnée par la Cour de cassation, seul le législateur ayant le pouvoir d'autoriser qu'un crime soit jugé sous une qualification délictuelle et, conséquemment, par une juridiction correctionnelle (27).

Guillaume Beaussonie, MCF en droit privé, CRDP Tours (EA 2116), Laboratoire Wesford


(1) Loi n° 2011-939, du 10 août 2011 (N° Lexbase : L9731IQH).
(2) Cet article prévoyait que le placement sous surveillance électronique mobile devait être ordonné, soit par une décision spécialement motivée du tribunal correctionnel, soit, s'agissant de la cour d'assises, dans des conditions de majorité qualifiée.
(3) Voir, par exemple, notre étude : Les regroupements de contentieux fondés sur la gravité du contentieux : terrorisme et criminalité organisée, in La spécialisation des juges, coll. IFR Toulouse, PUSS, LGDJ, à paraître en 2011.
(4) Voir, à cet égard, les observations de Madeleine Sanchez : Chronique de procédure pénale - juillet 2011, Lexbase Hebdo n? 450 du 28 juillet 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7203BSL).
(5) Voir Cons. const., décision n° 2003-466 DC, du 20 février 2003, cons. n° 4 (N° Lexbase : A0567A77) ; Cons. const., décision n° 2004-510 DC du 20 janvier 2005, cons. n° 16 à 18 (N° Lexbase : A1146DGK). En réalité, les prémisses de cette doctrine ont été déterminées dès 1992, à propos des conseillers et des avocats généraux à la Cour de cassation en service extraordinaire : voir Cons. const., décision n° 92-305 DC, du 21 février 1992 (N° Lexbase : A8260ACW).
(6) "Tous les Citoyens étant égaux [aux yeux de la Loi] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents".
(7) V. plus haut, note n° 4.
(8) Cons. const., décision n° 2011-113/115 QPC, du 1er avril 2011 (N° Lexbase : A1897HM9).
(9) Voir Cons. const., décision n° 2002-461 DC, du 29 août 2002 (N° Lexbase : A2314AZQ) ; décision n° 2003-467 DC, du 13 mars 2003 (N° Lexbase : A4715A7R) ; décision n° 2004-492 DC, du 2 mars 2004 (N° Lexbase : A3770DBA) ; décision n° 2007-553 DC, du 3 mars 2007 (N° Lexbase : A4243DUP) ; décision n° 2007-554 DC, du 9 août 2007 (N° Lexbase : A6394DX4) ; décision n° 2011-625 DC, du 10 mars 2011 (N° Lexbase : A2186G9T).
(10) Voir Adapter la justice pénale des mineurs, entre modifications raisonnables et innovations fondamentales : 70 propositions, Rapport de la commission présidée par M. André Varinard, remis au Garde des Sceaux le 3 décembre 2008, La documentation française, 2009.
(11) Cons. const., décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011 (N° Lexbase : A9354HUY).
(12) Cons. const., décision n° 2011-625 DC, du 10 mars 2011, cons. n° 34 (N° Lexbase : A2186G9T).
(13) Par exemple, l'erreur sur le choix de la peine, qui apparaîtrait avec la découverte de faits nouveaux, est indifférente.
(14) Cass. crim., 22 janvier 1898, DP, 1900, I, 142 (2ème esp.). Voir aussi Cass. crim., 31 avril 1909, Bull. crim., n° 416, DP, 1912, I, 79 ; Cass. crim., 31 juillet 1913, Bull. crim., n° 381, DP, 1915, I, 134.
(15) Certains pays européens admettent, dans une certaine mesure, la révision in defavorem, comme l'Autriche, l'Allemagne et plus récemment l'Angleterre, qui font alors référence non pas au "recours en révision", mais à la "réouverture du procès" ou à l'"appel sur charges nouvelles".
(16) Dans ce sens, voir notre thèse, Contribution à l'étude de la preuve pénale, Toulouse I - Capitole, 2010, n° 405 et s..
(17) C. proc. pén., art. 622, 2°.
(18) Cass. crim., 5 novembre 1987, n° 87-80.662 (N° Lexbase : A2482CGZ), Bull. crim., n° 392. La première condamnation, erronée, a été annulée sans renvoi, la prescription de l'action publique empêchant la réouverture des débats.
(19) Pour des données statistiques, voir H. Angevin, Demandes en révision, J.-Cl. Procédure pénale, art. 622 à 626, Fasc. 20, n° 15 et n° 16.
(20) P. Conte et P. Maistre du Chambon, Procédure pénale, coll. U, A. Colin, 2002 (4ème éd.), n° 657.
(21) Voir la référence précédente.
(22) C. proc. pén., art. 626, al. 1er (N° Lexbase : L4000AZ8).
(23) C. proc. pén., art. 595 (N° Lexbase : L3979AZE).
(24) C. proc. pén., art. 283 (N° Lexbase : L3675AZ7), devant la cour d'assises ; C. proc. pén., art. 463 (N° Lexbase : L9942IQB), devant le tribunal correctionnel ; et C. proc. pén., art. 538 (N° Lexbase : L8173G7T), devant le tribunal de police et le juge de proximité.
(25) Voir, par exemple, Cass. crim., 22 mars 1960, D., 1960, juris. p. 689 ; Cass. crim., 9 février 1961, Bull. crim., n° 86.
(26) Cass. crim., 17 juillet 1973, n° 72-92.221 (N° Lexbase : A8852CHC), Bull. crim., n° 332 ; Cass. crim., 19 juin 1979, Bull. crim., n° 215 ; Cass. crim., 28 mars 2007, n° 06-80.227, inédit (N° Lexbase : A4839HXI).
(27) Ce cas de figure existe : voir C. proc. pén., art. 469, al. 4 (N° Lexbase : L3713IGM).

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