La lettre juridique n°452 du 8 septembre 2011 : Communautaire

[Doctrine] Chronique de droit communautaire - Septembre 2011

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 03 Novembre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous invite à lire, cette semaine, la chronique de droit communautaire de Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV, qui fait le point sur trois décisions récentes des juridictions européennes. Tout d'abord, dans une affaire où était en cause une réglementation relative aux opérations d'urbanisme, la Cour de justice de l'Union européenne s'est, une nouvelle fois, prononcée sur le champ d'application du droit des marchés publics et, plus spécialement, sur la notion de marchés de travaux publics (CJUE, 26 mai 2011, aff. C-306/08). En matière d'aides d'Etat, dans un pourvoi, la Cour de justice a été confrontée à une affaire assez délicate dans laquelle s'étaient conjuguées l'inertie de la Commission et l'inertie de l'Etat espagnol, créant une situation dans laquelle la sécurité juridique pouvait être mise à mal. Dans la mesure où les aides n'avaient pas fait l'objet d'une notification, la Cour s'est montrée tout à fait stricte à l'égard des autorités nationales (CJUE, 9 juin 2011, aff. C 465/09 P à C-470/09 P). Enfin, le Tribunal de première instance de l'Union européenne a dû se prononcer sur l'application des règles relatives à la communication des documents détenus par les institutions dans le contexte du droit des aides d'Etat et, plus spécifiquement, des compensations de service public (TPIUE, 24 mai 2011, aff. jointes T-109/05 et T-444/05).

Dans cette affaire, la Cour de justice a refusé de retenir une conception trop extensive du champ d'application de la Directive (CE) 2004/18 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU) (A), et n'a pas jugé utile de se prononcer sur certaines autres questions qui pouvaient se présenter (B).

A - Dans la région autonome de Valence, l'aménagement urbain repose sur un dispositif dénommé "plan d'action intégré" (PAI) dont le but est d'aménager deux ou plusieurs parcelles en vue de les transformer en terrains viabilisés en les rattachant au réseau de services existant. La procédure peut être lancée par les pouvoirs publics eux-mêmes ou à la demande d'une personne privée. La proposition de PAI fait l'objet d'une publicité, notamment au Journal officiel de l'Union européenne, et d'une procédure d'enquête publique. Après la présentation des offres par les différents "urbanisateurs", la municipalité approuve alors l'une des propositions en se fondant sur des considérations d'ordre technique et financier. L'administration et l'"urbanisateur" concluent ensuite une convention. Pour la Commission européenne, ce contrat constituait un marché public de travaux au sens de la Directive (CE) 2004/18, et l'attribution ne pouvait donc s'opérer uniquement après des seules mesures de publicité et de mise en concurrence.

La Cour de justice rappelle, tout d'abord, que, selon l'article 1er, paragraphe 2 b) de la Directive, les marchés de travaux "sont des marchés publics ayant pour objet soit l'exécution, soit conjointement la conception et l'exécution de travaux relatifs à une des activités mentionnées à l'annexe I [de la Directive] ou d'un ouvrage, soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur. Un ouvrage' est le résultat d'un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique". Elle ajoute, également, que le dixième considérant de la Directive précise que "les marchés publics de services, notamment dans le domaine des services de gestion de propriétés, peuvent, dans certains cas, inclure des travaux. Toutefois, ces travaux, pour autant qu'ils sont accessoires et ne constituent, donc, qu'une conséquence éventuelle ou un complément à l'objet principal du contrat, ne peuvent justifier la classification du contrat comme marché public de travaux". La Cour de justice estime donc, conformément à sa jurisprudence (1), que, dans la mesure où "un contrat contient à la fois des éléments ayant trait à un marché public de travaux, ainsi que des éléments ayant trait à un autre type de marché, c'est l'objet principal du contrat qui détermine quel corps de règles de l'Union relatives à des marchés publics trouve en principe à s'appliquer" (2).

Selon la Commission, l'objet principal des PAI est bien la réalisation de travaux qui consistent en la viabilisation des parcelles. Mais, pour la Cour, la Commission ne rapporte pas la preuve que tel est bien l'objet principal du contrat car ceux-ci, outre les opérations de viabilisation, relève des services puisqu'il s'agit, notamment, d'élaborer un plan de développement et de gérer le projet de remembrement correspondant, d'obtenir, au profit de l'administration et à titre gratuit, des terrains destinés au domaine public et au patrimoine foncier public de la collectivité. La Cour de justice a, toutefois, refusé d'examiner si ces marchés pouvaient être considérés comme des marchés de services.

B - La Cour de justice considère que la Commission n'avait soulevé que des moyens relatifs à la qualification des PAI comme marchés de travaux. En effet, dans la mesure où les PAI existaient avant l'entrée en vigueur de la Directive (CE) 2004/18, la Commission avait estimé qu'il y avait, également, violation de la Directive (CE) 93/37 du Conseil du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (N° Lexbase : L7740AU9), mais n'avait pas, du moins dans son recours, évoqué une violation de la Directive (CE) 92/50 du Conseil du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de service (N° Lexbase : L7532AUI).

En outre, le principal point de débat devant la Cour de justice a été la question de savoir s'il s'agissait bien de contrats onéreux. L'économie de moyens a certainement prévalu car, dans la mesure où il ne s'agissait pas de marchés portant sur des travaux, peu importait, finalement, que ces contrats soient ou non onéreux. Il est, d'ailleurs, intéressant de souligner que, dans cette affaire, après les conclusions de l'Avocat général qui avaient discuté cet aspect de manière très précise, la Commission avait demandé une réouverture de la procédure orale, conformément à l'article 61 de son règlement de procédure. La Cour a, toutefois, estimé qu'elle disposait de tous les éléments nécessaires pour pouvoir se prononcer et n'a pas jugé utile de rouvrir la procédure. Dans la mesure où les parties n'ont pas la possibilité de déposer des observations en réponse aux conclusions de l'Avocat général, cet arrêt pose donc, une nouvelle fois, la compatibilité de la procédure devant la Cour de justice avec les exigences de l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), tel qu'il est interprété par la Cour européenne des droits de l'Homme (3).

  • Aides non notifiées et lenteur de la procédure devant la Commission (CJUE, 9 juin 2011, aff. C 465/09 P à C-470/09 P N° Lexbase : A4251HTM)

Dans la présente affaire, la Commission ayant tardé à engager la procédure formelle d'examen de l'article 108, paragraphe 2, TFUE (N° Lexbase : L2405IPR), il en résultait un certain nombre de difficultés suscitées à la fois par l'inaction de la Commission et des autorités espagnoles. La Cour de justice s'est montrée ferme à l'égard des aides qui n'ont pas fait l'objet d'une notification à la Commission, conformément à l'article 108, paragraphe 3, TFUE. Elle a refusé de considérer que l'autorisation d'une aide pouvait se faire au moyen d'une décision implicite (A). Elle estime, également, que des lignes directrices peuvent s'appliquer à des aides non notifiées mises en oeuvre par une décision antérieure des autorités nationales (B). Enfin, elle affirme que, même dans de telles circonstances, l'Etat et ses collectivités intra-étatiques ne peuvent pas se prévaloir du principe de la confiance légitime (C).

A - Après une plainte déposée en 1994 par certaines fédérations d'entreprises, la Commission avait attendu que soit déposée une nouvelle plainte en 2000 avant de décider d'ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 88, paragraphe 2, TCE (devenu article 108, paragraphe 2, TFUE) au sujet des régimes fiscaux litigieux. Pour les requérants, de l'inaction initiale de la Commission était née une décision implicite consistant à rejeter la plainte ce qui équivalait à une autorisation tacite de l'aide. Le Tribunal avait rejeté ce moyen en estimant que l'article 1er, b), ii) du Règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article 93 du Traité CE (N° Lexbase : L4215AUN) (4), impose qu'une aide ne peut être autorisée que par une décision explicite. Dans l'argumentation des requérants, deux problèmes en réalité distincts étaient confondus : la décision de rejet de la plainte et la décision d'autorisation de l'aide. Or, quand bien même la première plainte aurait été explicitement rejetée par la Commission (ce qui n'avait ici rien d'évident), cette décision ne valait pas pour autant autorisation de l'aide.

De manière tout à fait logique, la Cour de justice rappelle, en effet, que "l'article 88, paragraphe 3, TCE prévoit que la Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Celle-ci procède, alors, à un premier examen des aides projetées. Si, au terme de cet examen, elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87 TCE, elle ouvre la procédure d'examen contradictoire prévue au paragraphe 2 de cet article 88. Dans une telle hypothèse, la dernière phrase du paragraphe 3 du même article interdit à l'Etat membre intéressé de mettre à exécution les mesures projetées avant que la procédure n'ait abouti à une décision finale" (5). Or, en l'espèce, les dispositifs fiscaux litigieux n'avaient fait l'objet d'aucune notification par le Royaume d'Espagne à la Commission et n'auraient donc pas dû être mis en application. En l'absence de notification, l'aide est en toute hypothèse illicite, même si le rejet d'une plainte pourrait conduire à estimer qu'elle est, par ailleurs, compatible avec le marché commun.

B - Les requérants reprochaient, ensuite, à la Commission d'avoir appliqué les lignes directrices concernant les aides d'Etat à finalité régionale (6) publiées en 1998 à des aides qui avaient été mises en place antérieurement. La Cour de justice rappelle la nature juridique des lignes directrices qui est comparable à celle des directives du droit administratif français : il s'agit de "mesures d'ordre interne adoptées par l'administration, [qui] ne sauraient être qualifiées de règles de droit, [et qui] énoncent, toutefois, une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont cette dernière ne peut s'écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d'égalité de traitement" (7).

Surtout, les lignes directrices en question avaient parfaitement déterminé leurs effets dans le temps. Pour les aides déjà notifiées à la Commission, elles ne sont pas applicables. En revanche, elles sont d'application immédiate à l'égard des aides régionales qui n'ont pas été notifiées et qui ont été exécutées. Les dispositifs fiscaux en cause constituaient des situations en cours, il n'y avait donc pas violation, par la Commission, du principe de non-rétroactivité. Pour la Cour de justice, il n'y a pas non plus violation du principe de sécurité juridique, car il lui semble que l'application efficace des règles de l'Union exige que la Commission puisse à tout moment adapter son appréciation aux besoins de sa politique en matière d'aides d'Etat. Dès lors, elle en conclut qu'"un Etat membre n'ayant pas notifié un régime d'aides à la Commission ne saurait raisonnablement s'attendre à ce que ce régime soit apprécié au regard des règles applicables au moment de son adoption" (8).

C - La principale difficulté de cette affaire relevait du principe de la confiance légitime. En effet, la première plainte avait été déposée en 1994, et ce n'est qu'en novembre 2000 que la Commission avait ouvert la procédure formelle d'examen de l'article 88, paragraphe 2, TCE. De manière très classique, la Cour de justice rappelle qu'"un Etat membre, dont les autorités ont octroyé une aide en violation des règles de procédure prévues à l'article 88 TCE, ne saurait, en principe, invoquer la confiance légitime des bénéficiaires pour se soustraire à l'obligation de prendre les mesures nécessaires en vue de l'exécution d'une décision de la Commission lui ordonnant de récupérer l'aide. Admettre une telle possibilité reviendrait, en effet, à priver les dispositions des articles 87 CE et 88 CE de tout effet utile, dans la mesure où les autorités nationales pourraient, ainsi, se fonder sur leur propre comportement illégal pour mettre en échec l'efficacité des décisions prises par la Commission en vertu de ces dispositions" (9). A fortiori, un Etat membre ou ses collectivités intra-étatiques ne peuvent pas, non plus, invoquer le principe de la confiance légitime.

En l'espèce, il est vrai que la procédure avait été particulièrement longue, mais la Cour ne manque pas de rappeler que le Royaume d'Espagne n'a pas répondu à certaines demandes d'information présentées par la Commission. Certes, cette dernière n'a procédé à aucune relance, mais, dès qu'elle a appris en 2000 qu'une entreprise avait été bénéficiaire de l'aide, elle a entamé sans tarder une procédure. Dès lors, la lenteur de son action entre 1994 et 2000 ne peut constituer une violation du principe de la confiance légitime.

  • Aides d'Etat et droit d'accès aux documents administratifs (TPIUE, 24 mai 2011, aff. jointes T-109/05 et T-444/05 N° Lexbase : A4390HSE)

A l'origine de cette affaire se trouvait une décision de la Commission (2005/163) relative à des aides d'Etat versées par l'Italie à des compagnies maritimes dans le cadre de compensation de service public. A la demande de l'Italie, la Commission avait, dans la version publiée de sa décision, supprimé certains passages relatifs aux éléments de coût des sociétés bénéficiaires. Des entreprises concurrentes s'étaient alors adressées à la Commission pour obtenir non seulement le texte intégral de cette décision, mais, également, les données ayant permis de calculer le surcoût lié aux obligations de service public. Elles s'étaient vu opposer une décision de refus et elles ont donc formé un recours en annulation devant le Tribunal de première instance de l'Union européenne, qui s'est, notamment, prononcé sur l'obligation de motivation qui pesait sur la Commission (A), et sur le bien-fondé de la décision de refus elle-même (B). Les entreprises avaient, également, demandé communication des documents contenant des renseignements et des données transmis par les autorités italiennes pour justifier les différents surcoûts supportés annuellement par les sociétés bénéficiaires dans l'exécution de leurs obligations de service public. Elles s'étaient, une nouvelle fois, vu opposer un refus. Le Tribunal va donc être amené à statuer sur la communicabilité de documents étatiques détenus par la Commission (C).

A - Les requérants reprochaient, tout d'abord, à la Commission d'avoir insuffisamment motivé sa décision de refus de communiquer les documents administratifs demandés. La Cour de justice rappelle classiquement, en premier lieu, que "la motivation exigée par l'article 253 TCE [repris à l'article 296, paragraphe 2 TFUE (N° Lexbase : L2613IPH)] doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences dudit article doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte, ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée" (10). S'agissant d'un refus de communication d'un document administratif, la question de la motivation est relativement délicate car, par sa motivation, l'institution doit expliquer en quoi le refus entre bien dans le champ d'application des exceptions prévues par le Règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001, relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (N° Lexbase : L5285DLC) (11), sans pour autant divulguer d'informations confidentielles.

Dans sa décision de refus, la Commission avait affirmé que la divulgation des données chiffrées pourrait nuire aux intérêts commerciaux des entreprises concernées et constituer un avantage pour d'autres entreprises. Ces données étaient donc couvertes par le secret des affaires. Selon le Tribunal, il n'y a donc pas violation de l'obligation de motivation. Toutefois, les requérants n'avaient pas simplement demandé communication des éléments occultés de la décision 2005/163, mais, également, les données permettant de calculer les surcoûts liés aux obligations de service public des bénéficiaires de l'aide. Or, ce refus n'avait pas fait l'objet d'une motivation spécifique. Le Tribunal en conclut donc qu'"en l'absence d'indication des raisons pour lesquelles la divulgation des documents contenant lesdites données serait effectivement susceptible de porter atteinte à un aspect quelconque de la protection des intérêts commerciaux, la requérante n'a pas été en mesure de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre ses droits et le Tribunal est lui-même, par conséquent, dans l'impossibilité d'apprécier les raisons pour lesquelles les documents dont l'accès a été refusé relèveraient d'une des exceptions tirées de l'article 4 du Règlement (CE) n° 1049/2001" (12). La première décision de refus, en ce qu'elle concerne le refus de communication des données permettant le calcul des compensations de service public, est donc annulée par le Tribunal.

B - Le Tribunal s'est, ensuite, prononcé sur les éléments de légalité interne des décisions de refus. Il admet que les documents demandés relèvent bien du secret des affaires et donc de l'exception relative à la protection des intérêts commerciaux. En effet, les données chiffrées non communiquées correspondent à la répartition des coûts et des recettes des entreprises bénéficiaires.

Il convient, ensuite, d'examiner si la Commission s'est bien livrée à un examen in concreto du contenu des documents pour savoir s'il y a un risque d'atteinte aux intérêts commerciaux. Le Tribunal rappelle que la jurisprudence la Cour de justice permet aux institutions, pour examiner une demande de communication d'un document administratif, de se fonder sur des présomptions s'appliquant à des catégories de documents (13). Mais le Tribunal estime qu'il ne peut être présumé que la divulgation des éléments de surcoûts liés aux obligations de service public ainsi que de tous les documents ayant permis d'obtenir ces données chiffrées porterait atteinte à la protection des intérêts commerciaux. Surtout, il souligne implicitement une contradiction de la Commission puisqu'il rappelle que, dans sa communication C (2003) 4582 du 1er décembre 2003 sur le secret professionnel dans les décisions en matière d'aides d'Etat, elle a estimé que les informations relatives à l'organisation et aux coûts des services publics ne seront normalement pas considérées comme constituant des informations confidentielles (14). Pour le Tribunal, dans la mesure où la Commission a relevé les données relatives à la répartition des coûts pour chacune des entreprises bénéficiaires et a estimé que ces données pouvaient nuire à leurs intérêts commerciaux, elle a bien procédé à un examen in concreto de la communicabilité de ces informations.

Enfin, le Tribunal examine si la Commission pouvait bien refuser cette communication. Il note que les informations données relèvent de la comptabilité des entreprises. Dès lors, il s'agit d'informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel qui s'impose à la Commission. Le Tribunal rappelle que cette exception est explicitement prévue par l'article 287 TCE (devenu article 339 TFUE N° Lexbase : L2661IPA). Toutefois, le caractère confidentiel "nécessite, ainsi, une mise en balance des intérêts légitimes qui s'opposent à sa divulgation et de l'intérêt général, qui veut que les activités des institutions se déroulent dans le plus grand respect du principe d'ouverture" (15). De manière toutefois assez surprenante, la Cour de justice ne procède pas, ensuite, à la balance de ces intérêts ; elle se contente de répéter que "les données en cause, ainsi que les documents dont elles sont tirées, qui correspondent aux comptes d'exploitation tels qu'analysés par une société d'audit, relèvent des secrets d'affaires de la société concernée" (16). Cette affirmation est corroborée par la communication de la Commission sur le secret professionnel dans les décisions en matière d'aides d'Etat qui, en ce domaine, pose pourtant en principe la communication des informations.

C - Le Tribunal devait, dans un dernier temps, examiner la communicabilité des documents transmis par la République italienne à la Commission et qui étaient relatifs aux données utilisées par l'administration nationale pour calculer les compensations de service public des entreprises bénéficiaires des aides. Le débat portait sur l'article 4, paragraphe 5, du Règlement 1049/2001 qui dispose qu'"un Etat membre peut demander à une institution de ne pas divulguer un document émanant de cet Etat sans l'accord préalable de celui-ci". Le Tribunal rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle cette disposition ne peut être interprétée comme permettant à un Etat membre de disposer d'un droit de veto général, inconditionnel et discrétionnaire pour s'opposer, sans avoir à motiver sa décision, à la divulgation de tout document détenu par une institution de l'Union (17). En effet, pour la Cour de justice, "l'exercice du pouvoir dont cette disposition investit l'Etat membre concerné se trouve encadré par les exceptions matérielles qu'énumèrent les paragraphes 1 à 3 de ce même article, l'Etat membre se voyant, à cet égard, simplement reconnaître un pouvoir de participation à la décision communautaire. Dans cette perspective, l'accord préalable de l'Etat membre auquel se réfère ledit paragraphe 5 s'apparente, ainsi, non pas à un droit de veto discrétionnaire, mais à une forme d'avis conforme quant à l'absence de motifs d'exception tirés des paragraphes 1 à 3" (18).

Les choses ne s'en trouvent pas en pratique simplifiées car cela signifie, alors, que la communicabilité est appréciée conjointement par l'Etat membre concerné et par l'institution auprès de laquelle a été présentée la demande. Au terme de ce dialogue, régi par le principe de coopération loyale, si l'Etat membre refuse que soient communiqués les documents, il est obligé de motiver son refus au regard des exceptions prévues par le Règlement (CE) n° 1049/2001. S'il ne procède pas à cette motivation, c'est à l'institution de l'Union de procéder, elle-même, à cette appréciation. En cas de refus, celui-ci doit, évidemment, être motivé au regard de ces mêmes exceptions. En l'espèce, la Commission n'avait motivé son refus de communication qu'au regard de l'opposition formulée par la République italienne. La seconde décision de refus opposée par la Commission est donc, également, annulée.

Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) CJCE, 18 janvier 2007, aff. C-220/05 (N° Lexbase : A5723DT7).
(2) Point n° 90.
(3) CEDH, 7 juin 2001, Req. 39594/98 (N° Lexbase : A2964AUC).
(4) JO 1999, n° L 083.
(5) Point n° 92.
(6) JO C 74, p. 9.
(7) Point n° 120.
(8) Point n° 127.
(9) Point n° 150.
(10) Point n° 81.
(11) JO 2001, n° L 145, p. 43.
(12) Point n° 91.
(13) CJUE, 29 juin 2010, aff. C-139/07 P (N° Lexbase : A3895E3N).
(14) JO C 297, p. 6.
(15) Point n° 140.
(16) Point n° 141.
(17) CJCE, 18 décembre 2007, aff. C-64/05 P (N° Lexbase : A1130D3A).
(18) Point n° 76.

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