La lettre juridique n°452 du 8 septembre 2011 : Éditorial

Entre pitchoune et Peachoum* : la justice des mineurs peine à donner espoir

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N7507BST

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Comme en écho au traumatisme des violences urbaines de l'automne 2005, ayant attenté à l'assurance sécuritaire d'un ministre de l'Intérieur bientôt Président, la loi n° 2011-939 du 10 août 2011, s'attache, certes, à renforcer la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale -sous couvert d'une motivation de tous les arrêts-, mais également, et c'est sans doute là le plus grand mal, à réformer, aux entournures, la justice des mineurs. Revisiter l'ordonnance de 1945 est, on le sait, l'un des voeux politiques les plus arlésiens qui soit ; et, le mistigri de "l'enfance délinquante" aura produit un dernier opus estival, prononçant, un peu plus encore, le divorce entre les générations, opus que certains jugeront électoraliste.

9 200 voitures brûlées, 3 000 interpellations, 56 policiers blessés et 4 morts, pour les seules émeutes de 2005, "la justice sociale se fonde sur l'espoir, sur l'exaltation d'un pays, non sur les pantoufles" disait un Général Président ayant essuyé les plâtres d'un printemps plutôt agité. Pourtant, c'est droit dans leurs charentaises, que les Sages du Palais-Royal ont frappé de censure les seules dispositions relatives à la comparution directe du mineur au tribunal sans instruction préparatoire ; à l'assignation à résidence avec surveillance électronique d'un mineur de 13 à 16 ans ; et, au cumul par un même juge des enfants des compétences d'instruction et de jugement d'une même affaire. D'autres mesures phares du texte, décriées par les professionnels du droit et de la justice, ont, elles, pu connaître les honneurs d'une publication au Journal officiel, sans pour autant garantir l'espoir d'une justice sociale à une génération en marge de la socialisation et de la société de consommation.

La loi instaure, désormais, le dossier unique de personnalité, qui retrace l'ensemble des éléments relatifs à la personnalité d'un mineur recueillis au cours des enquêtes dont il fait l'objet, y compris dans le ressort de juridictions différentes ; ce dossier est placé sous le contrôle du procureur de la République et du juge des enfants qui connaissent habituellement de la situation de ce mineur. Alpha et oméga du traitement judiciaire de l'enfant délinquant, d'aucuns craignent, dès lors, une justice appréciant plus volontiers le contenu d'un dossier que la personnalité in concreto du mineur poursuivi. Une abstractivité de la justice pénale plus attachée au curriculum vitae délictuel de l'enfant qu'au droit à la faute, à la réinsertion et à l'oubli.

Par ailleurs, la loi fait comparaitre les enfants de 16 ans récidivistes devant un tribunal correctionnel pour mineurs qui, s'il n'est pas une juridiction spécialisée, ne doit pas moins être "saisi selon des procédures appropriées à la recherche du relèvement éducatif et moral des mineurs", comme le soulignent les Sages de la rue de Montpensier. La phase d'instruction avec le juge des enfants est donc préservée ! Mais, l'ambivalence est, bien entendu, de mise. Les "principes essentiels" commandent à ce que les mineurs ne soient pas jugés selon les mêmes modalités que les majeurs, mais n'obligent pas des juridictions ad hoc ; seulement des procédures respectueuses du particularisme du mineur délinquant. C'est donc une application a minima que concède la loi nouvelle aux récidivistes de 16 ans, revenant, ainsi, sur le principe général séculaire des tribunaux pour enfants. La mise en place de ce tribunal correctionnel pour mineurs tente d'assimiler, pour beaucoup, la justice pénale des mineurs à celle des majeurs en excluant les assesseurs spécialisés. La convocation directe d'un mineur de plus de seize ans poursuivi pour un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ou d'un mineur de plus de treize ans poursuivi pour un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement, par un officier de police judiciaire, devant le tribunal pour enfants sans instruction préparatoire, témoigne de cette regrettable assimilation procédurale.

La loi élargit, enfin, les possibilités de placer les mineurs délinquants en centre éducatif fermé ou de convertir leur peine en travail d'intérêt général ; une mesure qui n'aurait pas déplu au comte d'Argout, fier de ses contrats d'apprentissages à destinations des enfants délinquants, pour peu que l'institution ne se transforme pas en Petite Roquette, du nom de cette prison parisienne du milieu du XIXème siècle, à destination des mineurs de sept ans, délinquants et vagabonds ou relevant de la correction paternelle.

D'où l'on se rend bien compte, une nouvelle fois, que la puissance et l'ordre publics ont maille à partir avec cette jeunesse adolescente, plus particulièrement âgée de 16 ans et plus, dont le discernement semble être un postulat, alors que rien ne conforte l'idée d'une maturité accrue des générations actuelles par rapport à celles ayant vécu rien de moins que la Seconde guerre mondiale. Aussi, si une refonte de l'ordonnance de 1945 est nécessaire, il n'est pas certain que le sens de l'Histoire donne raison aux politiques répressives d'aujourd'hui. Sans niaiser la jeunesse de notre temps, à la lumière de son onirisme consumériste, de son "adulescence" attardée et des cohortes de "Tanguy" volontaires ou contraints, il n'est pas certain qu'une refonte de l'ordonnance de 1945 ne doive pas revenir sur cet axiomatique discernement de l'enfant de 16 ans, comme sur celle du majeur de 18 ans, d'ailleurs, pour convenir d'une excuse de minorité plus élargie encore qu'auparavant.

L'on sait que le mineur âgé de moins de 10 ans et sans discernement est toujours irresponsable pénalement ; que le mineur âgé de moins de 13 ans et doté de discernement encourt l'infliction de mesures éducatives ; que le mineur âgé de 13 à 16 ans bénéficie d'une cause légale d'atténuation de la responsabilité et n'encourt que la moitié de la peine de droit commun ; enfin, que le mineur âgé de 16 à 18 ans bénéficie toujours de l'excuse de minorité, mais que celle-ci peut être écartée en principe en cas de seconde récidive de certains crimes et délits limitativement énumérés.

Les frontières de la minorité pénale datent, peu ou prou, de 1912, et gagneraient peut-être à être revues et corrigées suivant des critères moins empiriques, plus pragmatiques. Mais, il est certain que l'abaissement de la majorité civile en 1974 a relevé les prétentions à la maturité et au discernement des plus jeunes, alors que rien ne permettait véritablement d'y souscrire, exceptées, sans doute, les illusions de 1968.

Gavroche troublait l'ordre public en invoquant les mânes de Voltaire et de Rousseau, pour mieux marteler ses espoirs de Liberté. Et, les Apaches du Paris de la Belle Epoque, laissés pour compte de la Révolution industrielle, arpentaient Ménilmuche, Belleville, Bastoche et la Mouff', dans l'espoir de grappiller quelques piécettes, pour subvenir à leurs besoins et échapper aux bagnes d'enfants et autres "colonies agricoles"... "Tu cesseras de craindre en cessant d'espérer. La crainte et l'espoir qui paraissent inconciliables sont pourtant étroitement unies" commandait Sénèque. Si la crainte est au rendez-vous des jeunes délinquants, où est l'espoir ? Que cette crainte puisse être, dès lors, efficace au service de la sécurité de tous...

* Jonathan Jeremiah Peachum, directeur de la société "L'ami du mendiant", dans L'Opéra de quat'sous de Bertolt Brecht

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