La lettre juridique n°452 du 8 septembre 2011

La lettre juridique - Édition n°452

Éditorial

Entre pitchoune et Peachoum* : la justice des mineurs peine à donner espoir

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N7507BST

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Comme en écho au traumatisme des violences urbaines de l'automne 2005, ayant attenté à l'assurance sécuritaire d'un ministre de l'Intérieur bientôt Président, la loi n° 2011-939 du 10 août 2011, s'attache, certes, à renforcer la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale -sous couvert d'une motivation de tous les arrêts-, mais également, et c'est sans doute là le plus grand mal, à réformer, aux entournures, la justice des mineurs. Revisiter l'ordonnance de 1945 est, on le sait, l'un des voeux politiques les plus arlésiens qui soit ; et, le mistigri de "l'enfance délinquante" aura produit un dernier opus estival, prononçant, un peu plus encore, le divorce entre les générations, opus que certains jugeront électoraliste.

9 200 voitures brûlées, 3 000 interpellations, 56 policiers blessés et 4 morts, pour les seules émeutes de 2005, "la justice sociale se fonde sur l'espoir, sur l'exaltation d'un pays, non sur les pantoufles" disait un Général Président ayant essuyé les plâtres d'un printemps plutôt agité. Pourtant, c'est droit dans leurs charentaises, que les Sages du Palais-Royal ont frappé de censure les seules dispositions relatives à la comparution directe du mineur au tribunal sans instruction préparatoire ; à l'assignation à résidence avec surveillance électronique d'un mineur de 13 à 16 ans ; et, au cumul par un même juge des enfants des compétences d'instruction et de jugement d'une même affaire. D'autres mesures phares du texte, décriées par les professionnels du droit et de la justice, ont, elles, pu connaître les honneurs d'une publication au Journal officiel, sans pour autant garantir l'espoir d'une justice sociale à une génération en marge de la socialisation et de la société de consommation.

La loi instaure, désormais, le dossier unique de personnalité, qui retrace l'ensemble des éléments relatifs à la personnalité d'un mineur recueillis au cours des enquêtes dont il fait l'objet, y compris dans le ressort de juridictions différentes ; ce dossier est placé sous le contrôle du procureur de la République et du juge des enfants qui connaissent habituellement de la situation de ce mineur. Alpha et oméga du traitement judiciaire de l'enfant délinquant, d'aucuns craignent, dès lors, une justice appréciant plus volontiers le contenu d'un dossier que la personnalité in concreto du mineur poursuivi. Une abstractivité de la justice pénale plus attachée au curriculum vitae délictuel de l'enfant qu'au droit à la faute, à la réinsertion et à l'oubli.

Par ailleurs, la loi fait comparaitre les enfants de 16 ans récidivistes devant un tribunal correctionnel pour mineurs qui, s'il n'est pas une juridiction spécialisée, ne doit pas moins être "saisi selon des procédures appropriées à la recherche du relèvement éducatif et moral des mineurs", comme le soulignent les Sages de la rue de Montpensier. La phase d'instruction avec le juge des enfants est donc préservée ! Mais, l'ambivalence est, bien entendu, de mise. Les "principes essentiels" commandent à ce que les mineurs ne soient pas jugés selon les mêmes modalités que les majeurs, mais n'obligent pas des juridictions ad hoc ; seulement des procédures respectueuses du particularisme du mineur délinquant. C'est donc une application a minima que concède la loi nouvelle aux récidivistes de 16 ans, revenant, ainsi, sur le principe général séculaire des tribunaux pour enfants. La mise en place de ce tribunal correctionnel pour mineurs tente d'assimiler, pour beaucoup, la justice pénale des mineurs à celle des majeurs en excluant les assesseurs spécialisés. La convocation directe d'un mineur de plus de seize ans poursuivi pour un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ou d'un mineur de plus de treize ans poursuivi pour un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement, par un officier de police judiciaire, devant le tribunal pour enfants sans instruction préparatoire, témoigne de cette regrettable assimilation procédurale.

La loi élargit, enfin, les possibilités de placer les mineurs délinquants en centre éducatif fermé ou de convertir leur peine en travail d'intérêt général ; une mesure qui n'aurait pas déplu au comte d'Argout, fier de ses contrats d'apprentissages à destinations des enfants délinquants, pour peu que l'institution ne se transforme pas en Petite Roquette, du nom de cette prison parisienne du milieu du XIXème siècle, à destination des mineurs de sept ans, délinquants et vagabonds ou relevant de la correction paternelle.

D'où l'on se rend bien compte, une nouvelle fois, que la puissance et l'ordre publics ont maille à partir avec cette jeunesse adolescente, plus particulièrement âgée de 16 ans et plus, dont le discernement semble être un postulat, alors que rien ne conforte l'idée d'une maturité accrue des générations actuelles par rapport à celles ayant vécu rien de moins que la Seconde guerre mondiale. Aussi, si une refonte de l'ordonnance de 1945 est nécessaire, il n'est pas certain que le sens de l'Histoire donne raison aux politiques répressives d'aujourd'hui. Sans niaiser la jeunesse de notre temps, à la lumière de son onirisme consumériste, de son "adulescence" attardée et des cohortes de "Tanguy" volontaires ou contraints, il n'est pas certain qu'une refonte de l'ordonnance de 1945 ne doive pas revenir sur cet axiomatique discernement de l'enfant de 16 ans, comme sur celle du majeur de 18 ans, d'ailleurs, pour convenir d'une excuse de minorité plus élargie encore qu'auparavant.

L'on sait que le mineur âgé de moins de 10 ans et sans discernement est toujours irresponsable pénalement ; que le mineur âgé de moins de 13 ans et doté de discernement encourt l'infliction de mesures éducatives ; que le mineur âgé de 13 à 16 ans bénéficie d'une cause légale d'atténuation de la responsabilité et n'encourt que la moitié de la peine de droit commun ; enfin, que le mineur âgé de 16 à 18 ans bénéficie toujours de l'excuse de minorité, mais que celle-ci peut être écartée en principe en cas de seconde récidive de certains crimes et délits limitativement énumérés.

Les frontières de la minorité pénale datent, peu ou prou, de 1912, et gagneraient peut-être à être revues et corrigées suivant des critères moins empiriques, plus pragmatiques. Mais, il est certain que l'abaissement de la majorité civile en 1974 a relevé les prétentions à la maturité et au discernement des plus jeunes, alors que rien ne permettait véritablement d'y souscrire, exceptées, sans doute, les illusions de 1968.

Gavroche troublait l'ordre public en invoquant les mânes de Voltaire et de Rousseau, pour mieux marteler ses espoirs de Liberté. Et, les Apaches du Paris de la Belle Epoque, laissés pour compte de la Révolution industrielle, arpentaient Ménilmuche, Belleville, Bastoche et la Mouff', dans l'espoir de grappiller quelques piécettes, pour subvenir à leurs besoins et échapper aux bagnes d'enfants et autres "colonies agricoles"... "Tu cesseras de craindre en cessant d'espérer. La crainte et l'espoir qui paraissent inconciliables sont pourtant étroitement unies" commandait Sénèque. Si la crainte est au rendez-vous des jeunes délinquants, où est l'espoir ? Que cette crainte puisse être, dès lors, efficace au service de la sécurité de tous...

* Jonathan Jeremiah Peachum, directeur de la société "L'ami du mendiant", dans L'Opéra de quat'sous de Bertolt Brecht

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Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Septembre 2011

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N7580BSK

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Le 08 Septembre 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au premier plan de cette chronique, on revient sur la question du point de départ de la prescription de l'action en restitution des sommes après renonciation à un contrat d'assurance vie, avec un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 7 juillet 2011 (Cass. civ. 2, 7 juillet 2011, n° 10-20.857, F-P+B). Les auteurs examinent ensuite les limites aux droits du créancier nanti d'un contrat assurance vie à travers un arrêt de la Chambre commerciale du 12 juillet 2011 (Cass. com., 12 juillet 2011, n° 10-16.873, F-P+B). Cette chronique s'achève, enfin, sur un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour suprême du 6 juillet 2011, rappelant les conditions de réparation des désordres évolutifs dans le cadre de la garantie décennale (Cass. civ. 3, 6 juillet 2011, n° 10-17.965, FS-P+B).
  • Point de départ de la prescription de l'action en restitution des sommes après renonciation à un contrat d'assurance vie (Cass. civ. 2, 7 juillet 2011, n° 10-20.857, F-P+B N° Lexbase : A9681HU4)

Il y a trois mois, nous indiquions que "décidément l'article L. 132-5-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L9839HE7) fait couler beaucoup d'encre", à propos d'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 18 mai 2011 (1). Nous faisions allusion aux nombreuses décisions concernant ce texte, depuis l'arrêt du 7 mars 2006 (2), sans savoir que, dès cette rentrée, le premier commentaire porterait de nouveau sur cette disposition qui suscite tant de tentatives d'emploi par les avocats. Car ces derniers n'hésitent pas à user, voire abuser, d'une règle dont les termes comme la mise en oeuvre appellent les plus vives réserves, fussent-elles en faveur du cocontractant, assureur, -car il faut savoir reconnaître les exagérations lorsqu'elles sont patentes, sans compter les atteintes aux principes de droit des obligations en général, auquel le droit des assurances, fût-il de plus en plus autonome, ne saurait se soustraire.

Rappelons donc juste -pour qui découvrirait à la fois le droit des assurances et cette revue- le libellé de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances suivant la version actuelle issue de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 (N° Lexbase : L5277HDS) : "Toute personne qui a signé une proposition ou un contrat d'assurance sur la vie ou un contrat de capitalisation a la faculté d'y renoncer par lettre recommandée avec demande d'avis de réception [...]. La renonciation entraîne la restitution par l'entreprise d'assurance ou de capitalisation de l'intégralité des sommes versées par le contractant, dans le délai maximal de trente jours calendaires révolus à compter de la réception de la lettre recommandée".

Plusieurs de ces aspects ont donné lieu à une jurisprudence nourrie. Toutefois, l'intérêt de cet arrêt réside dans un autre sujet précis traité : la prescription applicable en cas de renonciation, par le souscripteur d'une assurance vie à cette dernière. En effet, dans ces circonstances, le jeu de la renonciation mise en oeuvre signifie que l'assureur restitue les sommes déjà versées. La question concrète consistait à déterminer si celles-ci "dérivent" du contrat d'assurance, au sens de l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP), alors que l'effet principal de la mise en oeuvre de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances consiste dans la possibilité de replacer le souscripteur dans la situation où il n'aurait jamais contracté.

En l'espèce donc, un homme avait souscrit un contrat d'assurance vie en 2000. Pour alimenter celui-ci en versant des primes, il avait emprunté une somme d'argent à une banque. A titre de garantie, il avait dû accepter de nantir son contrat d'assurance à ce même établissement bancaire. A une date inconnue, le souscripteur, en respectant les formes, c'est-à-dire en adressant une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, a déclaré renoncer à ce contrat, comme l'y autorise l'article L. 132-5-1 du Code des assurances sous réserve de certaines conditions. Celles-ci ne devant pas être réunies, notamment parce que l'assureur n'avait sans doute pas procédé aux formalités d'information lui incombant, ce professionnel refuse de faire droit à la demande de son assuré.

Ce dernier assigne alors cet assureur et la banque est mise en cause. Le professionnel de l'assurance ne contestait pas que s'appliquait la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances lorsqu'une action dérive du contrat d'assurance comme en l'espèce. Néanmoins, il estimait que devait être prise en considération -pour calculer le délai- le point de départ prévu par l'article L. 132-5-1 du Code des assurances au coeur du litige de manière indubitable, c'est-à-dire au jour de la souscription du contrat d'assurance. Or, le tribunal saisi avait rejeté l'argument, comme le fit la cour d'appel. Et la Cour de cassation s'inscrit dans cette perspective en décidant que la date devant être prise en considération s'entend du jour du refus de restitution des fonds par l'assureur, figurant sur le contrat auquel le souscripteur et assuré a renoncé.

Notre Haute juridiction prend aussi le soin de commencer par confirmer que ce type d'action relève de l'article L. 114-1 du Code des assurances, en ce qu'elle dérive bien du contrat d'assurance, selon la formule consacrée de ce texte, aussi vague et imprécise soit-elle au grand dam, notamment, de nos magistrats. La solution apparaissait plutôt s'imposer. Sans doute aurait-il été permis de prétendre que l'action en renonciation à un contrat avait pour conséquence que ce dernier n'existât plus ; par conséquent, l'action ne pouvait en dériver. Outre que le pourvoi n'avait pas tenté de raisonner ainsi, il demeurait difficile de soutenir l'inexistante totale du contrat puisque la demande de restitution des fonds versés supposait, à l'évidence, son existence, ne serait-ce qu'un court laps de temps, pour que les primes aient pu être versées, sans compter d'éventuelles opérations de gestion comme des arbitrages notamment.

En revanche, la Cour de cassation n'applique pas le point de départ prévu par l'article L. 114-1 du Code des assurances, c'est-à-dire le jour de la souscription du contrat d'assurance. Il ne faut pas nier que l'argument du pourvoi, développé par l'assureur, ne manquait pas d'une certaine pertinence. Car, a priori, de deux choses l'une : ou bien, l'action dérive du contrat d'assurance et l'article L. 114-1 du Code des assurances s'applique dans son intégralité, ou bien ce texte ne s'applique pas. Or, la présente décision constitue une sorte de mixage ou mélange, tant de ce texte que de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances. Et, si ce dernier doit être pris en considération, pourquoi ne pas le faire dans son intégralité, pour ne retenir que le fond de cette disposition et non davantage ?

Néanmoins, la solution admise par la Cour de cassation appelle plutôt l'approbation. Admettre l'application stricte de l'article L. 114-1 du Code des assurances aurait pour conséquence d'inciter l'assureur à laisser traîner ou effectuer des promesses de règlements qu'il ne tiendrait pas, pour obtenir une prescription salvatrice pour lui et choquante pour le souscripteur. Car, il faut savoir respecter la logique du droit à renonciation, même si cet argument ne saurait réduire les critiques que son existence même et sa mise en oeuvre pratique engendrent. Un texte accordant un droit à renonciation suppose la remise des choses en l'état antérieur selon la formule classique et éclairante du droit commun.

Comme elle décide de faire application, en droit des assurances de dommages, en cas de vérification du retard dans la déclaration du sinistre par l'assuré, que du jour à compter duquel il en a eu connaissance, c'est-à-dire parfois des semaines ou des mois après la survenance de l'événement dommageable, c'est la date de l'événement à l'origine de l'action qui constitue, ici, le point de départ. La solution n'est donc pas tout à fait originale ou innovante. Le classicisme aurait ses vertus.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen

  • Les limites aux droits du créancier nanti d'un contrat assurance vie (Cass. com., 12 juillet 2011, n° 10-16.873, F-P+B N° Lexbase : A0385HW8)

La souplesse de fonctionnement de certains contrats d'assurance vie et les diverses possibilités qui sont désormais offertes au souscripteur, souvent assuré -rachats partiels, demandes d'avances, arbitrages et autres opérations de gestion-, invitent sans doute les diverses personnes détenant un droit quelconque à vouloir y procéder aussi. Si l'on ajoute qu'un contrat d'assurance peut faire l'objet d'un nantissement, du moins à hauteur de la provision mathématique qu'il comprend, dans les contrats d'assurance concernés, il s'avère aisé de deviner les combinaisons de gestion et d'administration auxquels les esprits les plus malins et fins peuvent songer. Le créancier nanti ne pouvait manquer d'être tenté de connaître les limites de ce qu'il peut ou non effectuer.

L'apport de l'arrêt de la Chambre commerciale, en date du 12 juillet 2011, si, de prime abord, il n'apparaît pas si considérable, à bien y réfléchir, il offre le mérite d'indiquer, avec précision, une partie de ces limites lorsque le droit bancaire des opérations boursières joue à entrelacer ses mécanismes à ceux du droit des contrats d'assurance vie. Ainsi, une femme conclut une convention dite de "compte-titres et de transmission d'ordre" avec une société boursière, agissant en qualité d'établissement "négociateur-teneur de comptes", ainsi qu'avec une société financière, prise en qualité de transmetteur-récepteur d'ordres. Par ailleurs, cette personne donne procuration générale d'effectuer toutes opérations de bourse sur ces comptes, à un membre de sa famille : son père, situation fréquente de la vie pratique surtout lorsqu'un individu travaille et ne s'estime pas assez compétent pour "boursicoter", alors que l'un de ses proches dispose de temps et de connaissances au moins prétendues.

Après diverses opérations initiées sur le service de règlement différé, l'établissement négociateur-teneur de comptes s'est sans doute inquiété de la nature et de l'origine des fonds employés. Par conséquent, il adopte une attitude prudente et justifiée en demandant la reconstitution de la couverture et en procédant à la liquidation partielle de position, avant que les comptes ne soient clôturés. En termes plus simples, les établissements financiers avaient refusé de considérer les contrats d'assurance vie nanti, comme des instruments financiers pouvant faire l'objet de placements boursiers et donc de fluctuations. C'est ce refus que leur cocontractant originaire contestait en leur demandant des dommages-intérêts. Cette femme tentait donc de démontrer que le contrat d'assurance vie nanti s'entend d'un instrument financier. Toutefois, la Cour de cassation ne partage son point de vue et prend le soin de procéder à une longue explication.

Selon notre Haute juridiction : "Le créancier nanti d'un contrat d'assurance-vie n'est que détenteur, avec seul pouvoir de garde et de conservation, sans acquérir le droit d'user ni d'administrer la chose". Il a donc une obligation de restitution lors du paiement de sa créance. Et elle ajoute encore que "la gestion des valeurs mobilières, support du contrat, est effectuée par l'assureur" et que "les prestataires habilités ne peuvent effectuer la valorisation quotidienne de ces titres pour la couverture des ordres passés". Elle approuve donc l'arrêt d'appel d'avoir décidé que le nantissement du contrat d'assurance n'est pas compatible avec les règles de la couverture. Par conséquent, le refus, par la société de gestion financière ne constituait pas une faute pouvant lui être reprochée.

On le sait, d'une manière générale, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s'inscrit dans l'esprit des règles énoncées par la deuxième chambre civile remplaçant, depuis bientôt huit ans, la première. Un exemple fut fourni avec l'approbation, par la présente chambre, des fondements juridiques retenus par les chambres civilistes quant aux assurances de groupe. La surprise n'est donc pas totale.

Au-delà de ce constat, l'arrêt a le mérite de ne laisser place à aucune ambiguïté sur la solution, n'hésitant pas à insister pour ne pas prêter le flanc à des interprétations notamment doctrinales divergentes. Qu'il soit permis de s'en féliciter tant se multiplient les possibilités de confusion entre le domaine financier, boursier et le droit des assurances.

Car, si les contrats d'assurance vie permettent de réaliser des placements productifs d'intérêts, le nantissement sur la créance ne signifie pas que les règles ordinaires de fonctionnement et de gestion de ces contrats échappent aux parties à l'origine de la formation du contrat d'assurance. Même nanti, les pouvoirs d'administration du contrat d'assurance vie demeurent aux mains du souscripteur, comme en témoigne, de manières certes indirecte, l'article L. 132-10, alinéa 2, (N° Lexbase : L4411H9A) et suivants du Code des assurances, issu de la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007 (N° Lexbase : L5472H33). Car, si la réforme a eu pour objet de ne plus rendre impossible, pour le souscripteur, toute opération sur le contrat d'assurance vie, après l'acceptation, par le tiers bénéficiaire, de la désignation faite à son profit, elle entérine, tacitement, la règle selon laquelle c'est le souscripteur qui dispose du droit de nantir ou non son contrat.

Cependant, en acceptant de nantir son contrat, le souscripteur offre en garantie, une certaine valeur, précise et déterminée, au moment de la passation de l'acte, ce qui explique que l'alinéa 1 de l'article L. 132-10 du Code des assurances commence par décrire les formalités nécessaires à la validité de ce nantissement. Cette valeur ne saurait donc subir la moindre diminution, en raison de placements par le créancier nanti. L'opération de nantissement ne se compare donc pas à celle, prévue par l'article L. 132-10 in fine du Code des assurances, lequel autorise le créancier nanti à provoquer le rachat. Il faut comprendre que cette faculté s'ouvre en cas de non réalisation, par le souscripteur, de ses obligations envers son créancier. Pour autant, elle ne saurait s'exercer de manière discrétionnaire et non justifié, c'est-à-dire au-delà du montant de la créance certaine, liquide et exigible.

Sans doute le nantissement du contrat d'assurance vie montre-t-il là ses limites, pourtant prévisibles. Par conséquent, un créancier pourra préférer disposer d'une autre sûreté, réduisant donc l'attrait pour ce type de garantie. Le contrat d'assurance vie, en dépit d'une réelle souplesse, ne constitue pas le produit financier miracle. Il ne faut pas exclure que cette prise de conscience vienne accentuer le début de bouderie que les clients commencent à manifester depuis le début de cette année civile, avant même les fluctuations des marchés boursiers de ce dernier trimestre. Néanmoins, la raison incite à raisonner de manière rigoureuse et respectueuse du droit des assurances. Possibilités ne s'entend pas de permissivité.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen

  • Rappel d'une condition essentielle de réparation des désordres évolutifs dans le cadre de la garantie décennale : avoir dénoncé les désordres initiaux dans le délai décennal ! (Cass. civ. 3, 6 juillet 2011, n° 10-17.965, FS-P+B N° Lexbase : A9567HUU)

Cet arrêt estival de la troisième chambre civile de la Cour de cassation constitue un bel exemple des difficultés que peut poser la réparation de désordres supposés évolutifs.

Arrêt de censure pour manque de base légale, c'est une invitation à la rigueur des juges du fond qui, comme la cour d'appel de Bourges en l'espèce, sont prêts à accueillir la réparation de désordres évolutifs sans relever la réunion au cas d'espèce de toutes les conditions traditionnellement exigées.

La problématique est clairement énoncée par la doctrine : "doit-on réparer des dommages qui surviennent postérieurement à l'expiration du délai de garantie décennale du constructeur, mais qui découlent de désordres antérieurs dont le caractère décennal a été reconnu et qui ont évolué dans le temps dans le sens d'une aggravation ?" (3).

Un arrêt de la troisième chambre civile du 18 janvier 2006 (4) rappelle, après d'autres (5), les conditions requises pour qu'un dommage évolutif soit couvert :

"Mais attendu que de nouveaux désordres constatés au-delà de l'expiration du délai décennal qui est un délai d'épreuve, ne peuvent être réparés au titre de l'article 1792 du Code civil que s'ils trouvent leur siège dans l'ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et dont la réparation a été demandée en justice avant l'expiration de ce délai".

Trois conditions cumulatives sont ainsi exigées :

- que les désordres initiaux aient été dénoncés judiciairement (on peut ajouter ou reconnu par l'assureur) dans le délai décennal ;

- que les désordres d'origine aient bien eu la gravité de la nature de ceux exigés pour relever de l'article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ) ;

- et que les nouveaux désordres apparus postérieurement au délai de dix ans présentent une identité de "siège" avec les désordres initiaux, dont ils constituent une aggravation.

Dans l'espèce jugée par la Haute juridiction le 6 juillet 2011, ces conditions étaient-elles réunies ?

La lecture de l'arrêt (et des moyens annexés) permet de saisir la chronologie des événements.

Après que les maîtres de l'ouvrage ont réceptionné la construction de leur maison sans réserve le 28 février 1990, des fissures sont apparues. Ils ont adressé à leur assureur dommages-ouvrage une première déclaration de sinistre le 11 septembre 1998, puis une deuxième le 18 septembre 1999.

Suivant les conclusions du technicien par lui missionné, l'assureur refusait de prendre en charge le sinistre considérant qu'il s'agissait de désordres esthétiques non susceptibles d'engager la responsabilité des constructeurs sur le fondement de l'article 1792 du Code civil.

Les assurés ne contestaient pas ce refus de garantie et ne saisirent pas les tribunaux pour faire constater l'existence de désordres décennaux. Cette passivité sera lourde de conséquence.

Plusieurs années après le terme du délai décennal, les fissures se sont aggravées. Les maîtres de l'ouvrage ont saisi leur assureur de protection juridique, lequel a missionné un expert. Son rapport, rendu le 10 septembre 2007, conclut à la qualification de désordres évolutifs nés de l'aggravation des désordres initiaux de 1998.

Cette expertise venant prendre le contre-pied de celle initialement diligentée par l'assureur dommages-ouvrage, les assurés ont procédé, le 15 septembre 2006, à une nouvelle déclaration de sinistre puis ont assigné leur assureur dommages-ouvrage en référé-expertise par acte du 13 mars 2008. Le rapport de l'expert judiciaire rejoint les conclusions de celui de 2007.

La cour d'appel de Bourges a considéré que les assurés pouvaient valablement agir dès lors qu'ils n'avaient été informés de la réalité et de la gravité des dommages que par l'expertise de 2007, dont les conclusions ont été confirmées par l'expert judiciaire désigné dans le cadre du référé-expertise.

Pour écarter toute forclusion, les juges du fond avaient pris soin de motiver leur décision comme suit : "l'assureur dommages ouvrage peut être tenu de garantir des dommages déclarés plus de 10 ans après la réception lorsqu'il s'agit de dommages survenus pendant la période décennale mais dont l'assuré n'a eu connaissance qu'après l'expiration de ce délai, à condition toutefois que ce dernier agisse contre l'assureur dans le délai de deux ans, à compter de la connaissance de l'événement pouvant entraîner la garantie, imparti par l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP)". Les assurés/maîtres de l'ouvrage, qui n'avaient eu connaissance de la nature décennale des désordres initiaux que par l'expertise de 2007, ont assigné en référé l'assureur le 13 mars 2008, respectant ainsi le délai biennal prévu à l'article L. 114-1.

Que cette action soit recevable, soit. Est-ce pour autant que la garantie au titre de dommages évolutifs devait jouer au motif que de nouvelles expertises viendraient légitimer la passivité initiale de l'assuré qui n'avait pas judiciairement contesté l'inexistence de désordres décennaux en 1998 ?

L'assureur, s'en tenant aux critères jurisprudentiels traditionnels, a fondé son moyen sur le fait que le désordre survenu après l'expiration du délai de garantie décennale ne peut être pris en charge qu'à la condition qu'il constitue une évolution d'un désordre répondant aux conditions énoncées par l'article 1792 du Code civil et dénoncé dans ce même délai ; en revanche, le désordre survenu pendant la période de garantie décennale, mais qui n'a compromis la solidité de l'ouvrage ou ne l'a rendu impropre à sa destination qu'après l'expiration du délai décennal, ne peut donner lieu à garantie.

L'assureur excipait du non-respect des conditions cumulatives exigées par la jurisprudence pour réparer les désordres évolutifs. En effet, aucun désordre de la gravité exigée par l'article 1792 n'avait été judiciairement dénoncé ou reconnu par l'assureur (au contraire, ce dernier avait à l'époque et soutenait encore dans cette procédure qu'il ne s'agissait que de désordres esthétiques).

L'argument a fait mouche et provoqué la cassation pour manque de base légale. Les juges du fond ne pouvaient décider de la mise en oeuvre de la garantie décennale "sans relever qu'un désordre compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination avait été dénoncé dans le délai de la garantie décennale".

On l'aura compris, les juges du fond s'étaient accommodés de cette exigence car, au vu de l'expertise judiciaire, ils avaient acquis la conviction que l'assureur avait trompé l'assuré en 1998, en refusant sa garantie.

Mais il leur fallait alors engager la responsabilité de droit commun de l'assureur sur le fondement du dol ou à admettre qu'il engage se responsabilité contractuelle pour avoir communiqué à l'assuré une expertise erronée, qui a induit en erreur les assurés et les a empêchés de dénoncer judiciairement dans le délai décennal un désordre de la nature de ceux de l'article 1792 du Code civil...

Cette responsabilité n'a d'ailleurs rien d'évidente si l'assureur peut justifier s'en être remis à l'expert, de sorte que seule la responsabilité de ce dernier devrait être engagée. On sait toutefois la jurisprudence encline à mettre en place une forme de responsabilité du fait d'autrui en cette matière. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 24 mai 2006 (6) avait marqué les esprits en retenant la responsabilité de l'assureur, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), pour "avoir proposé à l'acceptation de son assuré, non professionnel, un rapport d'expertise défectueux conduisant à un préfinancement imparfait". Cette ligne jurisprudentielle a été confirmée par un arrêt rendu par la même formation, en date du 11 février 2009 (7), qui tient l'assureur responsable pour avoir "mandaté son expert [...] qui avait rendu un rapport très succinct et dubitatif".

Cela devrait valoir, a fortiori, pour l'assureur qui oppose à son assuré un refus de garantie sur la foi d'un rapport d'expertise défectueux, qui qualifie de simple désordre esthétique ce qui constituait un désordre affectant la solidité de l'ouvrage.

La cour d'appel de renvoi pourrait trouver là de plus solides appuis pour indemniser les assurés victimes, plutôt que de chercher à dévier de la ligne jurisprudentielle classique en matière de désordres évolutifs.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) Cass. civ. 1, 18 mai 2011, n° 10-23.114, F-P+B+I (N° Lexbase : A2607HSD).
(2) Cass. civ. 2, 7 mars 2006, n° 05-12.338, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4391DNX), Bull. civ. II, n° 63 ; RGDA, 2006, p. 481, note J. Kullmann ; RCA, 2006, comm., 208, note G.. Courtieu ; JCP éd. G, 2006, I, 135, n° 10 et s., obs. L. Mayaux.
(3) J. Bigot et M. Périer, Risques et assurances construction, L'argus de l'assurance, 2007, p. 88.
(4) Cass. civ. 3, 18 janvier 2006, n° 04-17.400, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3805DMU), Bull. civ. II, 2006, n° 17, p. 14.
(5) Voir déjà : Cass. civ. 3, 8 octobre 2003, n° 01-17.868, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7162C97), Bull. civ. III, 2003, n° 170, p. 150 ; et Cass. civ. 3, 4 novembre 2004, n° 03-13.414, FS-P+B (N° Lexbase : A7683DDW), Bull. civ. III, 2004, n° 187, p. 169.
(6) Cass. civ. 3, 24 mai 2006, n° 05-11.708, FS-P+B (N° Lexbase : A7564DPT), Bull. civ. III, 2006, n° 133, p. 110.
(7) Cass. civ. 3, 11 février 2009, n° 07-21.761 (N° Lexbase : A1247EDK), Bull. civ. III, 2009, n° 33.

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Délégation du barreau de Grenoble auprès du barreau de Tunisie : rencontre avec Abderrazak Kilani, Bâtonnier de l'Ordre national des avocats de Tunisie, et Jean-Luc Médina, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Grenoble

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par Fabien Waechter, Président

Le 08 Septembre 2011

Du 1er au 4 septembre 2011, le barreau de Grenoble a eu l'honneur d'être accueilli par le conseil de l'Ordre de Tunisie pour une rencontre inter-barreaux exceptionnelle. Fer de lance du Printemps arabe, la Tunisie, portée par ses avocats, a mis en oeuvre un processus inexorable de démocratisation et de liberté. A la tête du mouvement les avocats et leur représentant le Bâtonnier Abderrazak Kilani, élu en juin 2010. Lexbase Hebdo - édition professions vous propose cette semaine une interview croisée de celui qui vient de réformer la profession avec le décret-loi du 20 août 2011, et de celui qui l'a toujours soutenu, le Bâtonnier Jean-Luc Médina. Retour sur une rencontre intense. Lexbase : Après une période trouble et l'apparition d'une nouvelle démocratie, a été publié au Journal officiel un décret-loi du 20 août 2011, portant organisation de la profession. Comment a été insufflée cette réforme ?

Abderrazak Kilani : La modification de la loi est une demande des avocats ; l'ancienne loi datait de 1989 à une époque où il n'y avait que 1 200 avocats. Or, aujourd'hui, nous sommes plus de 8 000. Et les avocats n'ont jamais cessé de réclamer, à travers leur institution, la modification de cette loi. Et, lorsque j'ai été élu il y a un peu plus d'un an, j'avais annoncé mon engagement pour oeuvrer dans le sens du changement de cette loi et effectivement je me suis attelé, avec un comité scientifique qui relève de notre barreau, à mettre en oeuvre ce projet. Nous avons travaillé pendant presque six mois et fin décembre le texte était prêt ! Il a été présenté au ministère de la Justice et au Gouvernement et quelques négociations ont eu lieu puisque certaines dispositions initiales n'arrangeaient ni les experts comptables, ni les notaires, ni les conseils fiscaux et ni les magistrats ! Nous avons négocié et en fin de compte nous sommes arrivés à une formule définitive pour que le décret-loi soit promulgué.

Lexbase : Quelle est la philosophie de ce texte ?

Abderrazak Kilani : La philosophie de la loi c'est de faire revenir l'avocat à sa véritable place ; l'ancienne loi édictait que l'avocat était un auxiliaire de la justice, or nous estimons que nous sommes plus que cela. A cet égard, l'article 1er de la loi nouvelle énonce que l'avocat est un associé dans l'instauration de la Justice. Et c'est une nouveauté extraordinaire. Le rôle joué par les avocats, avant et pendant la Révolution, dans la défense des libertés, dans la défense des droits de l'Homme, dans la dénonciation de la torture et de toutes les dérives de l'ancien régime, a légitimé le fait de demander que la définition de la profession mette en avant ce que nous sommes : les défenseurs des droits humains et des libertés.

Lexbase : Vous avez lancé, depuis la chute de l'ancien régime, une lutte contre la corruption. Comment allez-vous mettre en oeuvre ce chantier ?

Abderrazak Kilani : L'autre philosophie de la loi nouvelle était d'assainir le milieu judiciaire et d'écarter tout intrus du système. Nous avons proposé au Gouvernement que la représentation des justiciables soit exclusivement effectuée par l'avocat, aussi bien devant les juridictions judiciaires, qu'administratives, ou encore disciplinaires. C'est une excellente chose car cela va permettre de moraliser le système judiciaire. Nous avons aussi demandé à ce que l'avocat soit le seul compétent pour donner des consultations juridiques. En effet, nous avons pu constater ces dernières années une prolifération de certains cabinets qui prétendent donner ce type de conseils avec des compétences douteuses et sans aucune garantie. L'avocat, lui, présente une garantie de par sa déontologie. Aujourd'hui l'avocat est donc le seul compétent pour donner une consultation juridique. Le problème de la corruption se pose aujourd'hui pour tous les secteurs d'activités, y compris le barreau. Et la population réclame un assainissement de toutes les activités professionnelles. La Révolution en fait c'est ça. En tant que premier représentant de notre barreau je me suis engagé à assainir le corps des avocats. Et celui des magistrats doit l'être également. Il est donc important de mener une action très sérieuse sur ce volet puisque nous avons beaucoup souffert du système instauré sous l'ancien régime ; l'ancien président utilisant la Justice et les magistrats pour régler ses comptes avec ses adversaires politiques, d'une part, et éventuellement enrichir son entourage, d'autre part.

Lexbase : Que pouvons-nous retirer, en France, de cet exemple démocratique, révolution pour le droit, par le droit et pour la justice ?

Jean-Luc Médina : La première valeur des avocats, c'est la confraternité, la solidarité au-delà de toutes les frontières. Le barreau tunisien a été martyrisé pendant des années et il a eu besoin du soutien moral du barreau français. Et je crois qu'il l'a obtenu. Des Bâtonniers se sont déplacés, des présidents de syndicats aussi pour soutenir le Bâtonnier et pour soutenir aussi des confrères qui étaient incarcérés. Et puis il s'est passé une Révolution extraordinaire avec à sa tête des avocats. Et aujourd'hui, si notre délégation grenobloise, importante délégation grenobloise d'ailleurs, est ici présente c'est que nous avons beaucoup à apprendre de ce qui s'est passé. Un souffle de la Révolution c'est quelque chose qui n'arrive pas souvent dans l'Histoire.

Et lorsque on voit ce que le barreau a obtenu, par son décret-loi, pour la profession d'avocat sur la définition même de ce qu'est un avocat, alors même que nous, avocats, en France, sommes toujours auxiliaire de justice, nous ne pouvons qu'être admiratifs. Les avocats tunisiens ont eu besoin de nous pendant un certain nombre d'années mais maintenant c'est nous qui allons avoir besoin d'eux puisqu'ils sont arrivés dans un processus démocratique accéléré. Nous avons donc beaucoup à apprendre de ce barreau.

Lexbase : Le champ d'activité des avocats français s'est développé il y a peu avec la création de l'acte contresigné d'avocat. Quelles sont les nouvelles activités que les avocats tunisiens peuvent exercer ?

Abderrazak Kilani : Nous n'avons pas obtenu l'acte d'avocat, mais un élargissement de notre champ d'intervention sans exclusivité. Par exemple, l'avocat peut être agent sportif, agent de la propriété intellectuelle, agent fiduciaire. Il peut être aussi agent artistique. Autre élément très important, c'est que les avocats tunisiens ont l'exclusivité pour la rédaction des statuts de société. Dès lors que le capital est constitué par un apport en nature ou en fonds de commerce seul l'avocat peut rédiger l'acte de société. En revanche, pour l'acte d'avocat, nous avons cédé sous la pression des notaires parce qu'il fallait négocier et que l'on ne peut pas tout avoir à la fois !

Lexbase : Une amitié historique lie le barreau de Grenoble avec la Tunisie. Comment se traduit-elle dans la construction du droit et les échanges juridiques ?

Jean-Luc Médina : Nous avons une Convention nationale qui a été signée en 2008 avec le Conseil national des barreaux et le barreau de Tunisie et c'est dans ce cadre là que l'action du barreau de Grenoble s'inscrit. J'ai des liens particuliers avec la Tunisie ; j'ai été à l'origine de la signature de la Convention nationale à l'époque où Paul-Albert Iweins était le président du CNB ; il m'appartient donc de nourrir cette convention. Nous avons un enjeu très important pour demain : arriver à mettre en place des programmes de formation d'un barreau vers l'autre. Nous ne pouvons nous contenter d'affirmer que, par des décrets, nous avons élargi notre champ d'activité ; il faut savoir exercer pleinement ces nouvelles compétences. L'enjeu fondamental est donc la formation.

C'est pourquoi l'un des premiers gestes a été d'ouvrir notre bibliothèque électronique Lexbase au barreau de Tunisie. C'est très symbolique. Cela montre qu'il va falloir travailler ensemble pour que les avocats soient les plus compétents et les plus à mêmes de répondre aux défis de demain.

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Communautaire

[Doctrine] Chronique de droit communautaire - Septembre 2011

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N7340BSN

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 03 Novembre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous invite à lire, cette semaine, la chronique de droit communautaire de Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV, qui fait le point sur trois décisions récentes des juridictions européennes. Tout d'abord, dans une affaire où était en cause une réglementation relative aux opérations d'urbanisme, la Cour de justice de l'Union européenne s'est, une nouvelle fois, prononcée sur le champ d'application du droit des marchés publics et, plus spécialement, sur la notion de marchés de travaux publics (CJUE, 26 mai 2011, aff. C-306/08). En matière d'aides d'Etat, dans un pourvoi, la Cour de justice a été confrontée à une affaire assez délicate dans laquelle s'étaient conjuguées l'inertie de la Commission et l'inertie de l'Etat espagnol, créant une situation dans laquelle la sécurité juridique pouvait être mise à mal. Dans la mesure où les aides n'avaient pas fait l'objet d'une notification, la Cour s'est montrée tout à fait stricte à l'égard des autorités nationales (CJUE, 9 juin 2011, aff. C 465/09 P à C-470/09 P). Enfin, le Tribunal de première instance de l'Union européenne a dû se prononcer sur l'application des règles relatives à la communication des documents détenus par les institutions dans le contexte du droit des aides d'Etat et, plus spécifiquement, des compensations de service public (TPIUE, 24 mai 2011, aff. jointes T-109/05 et T-444/05).

Dans cette affaire, la Cour de justice a refusé de retenir une conception trop extensive du champ d'application de la Directive (CE) 2004/18 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU) (A), et n'a pas jugé utile de se prononcer sur certaines autres questions qui pouvaient se présenter (B).

A - Dans la région autonome de Valence, l'aménagement urbain repose sur un dispositif dénommé "plan d'action intégré" (PAI) dont le but est d'aménager deux ou plusieurs parcelles en vue de les transformer en terrains viabilisés en les rattachant au réseau de services existant. La procédure peut être lancée par les pouvoirs publics eux-mêmes ou à la demande d'une personne privée. La proposition de PAI fait l'objet d'une publicité, notamment au Journal officiel de l'Union européenne, et d'une procédure d'enquête publique. Après la présentation des offres par les différents "urbanisateurs", la municipalité approuve alors l'une des propositions en se fondant sur des considérations d'ordre technique et financier. L'administration et l'"urbanisateur" concluent ensuite une convention. Pour la Commission européenne, ce contrat constituait un marché public de travaux au sens de la Directive (CE) 2004/18, et l'attribution ne pouvait donc s'opérer uniquement après des seules mesures de publicité et de mise en concurrence.

La Cour de justice rappelle, tout d'abord, que, selon l'article 1er, paragraphe 2 b) de la Directive, les marchés de travaux "sont des marchés publics ayant pour objet soit l'exécution, soit conjointement la conception et l'exécution de travaux relatifs à une des activités mentionnées à l'annexe I [de la Directive] ou d'un ouvrage, soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur. Un ouvrage' est le résultat d'un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique". Elle ajoute, également, que le dixième considérant de la Directive précise que "les marchés publics de services, notamment dans le domaine des services de gestion de propriétés, peuvent, dans certains cas, inclure des travaux. Toutefois, ces travaux, pour autant qu'ils sont accessoires et ne constituent, donc, qu'une conséquence éventuelle ou un complément à l'objet principal du contrat, ne peuvent justifier la classification du contrat comme marché public de travaux". La Cour de justice estime donc, conformément à sa jurisprudence (1), que, dans la mesure où "un contrat contient à la fois des éléments ayant trait à un marché public de travaux, ainsi que des éléments ayant trait à un autre type de marché, c'est l'objet principal du contrat qui détermine quel corps de règles de l'Union relatives à des marchés publics trouve en principe à s'appliquer" (2).

Selon la Commission, l'objet principal des PAI est bien la réalisation de travaux qui consistent en la viabilisation des parcelles. Mais, pour la Cour, la Commission ne rapporte pas la preuve que tel est bien l'objet principal du contrat car ceux-ci, outre les opérations de viabilisation, relève des services puisqu'il s'agit, notamment, d'élaborer un plan de développement et de gérer le projet de remembrement correspondant, d'obtenir, au profit de l'administration et à titre gratuit, des terrains destinés au domaine public et au patrimoine foncier public de la collectivité. La Cour de justice a, toutefois, refusé d'examiner si ces marchés pouvaient être considérés comme des marchés de services.

B - La Cour de justice considère que la Commission n'avait soulevé que des moyens relatifs à la qualification des PAI comme marchés de travaux. En effet, dans la mesure où les PAI existaient avant l'entrée en vigueur de la Directive (CE) 2004/18, la Commission avait estimé qu'il y avait, également, violation de la Directive (CE) 93/37 du Conseil du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (N° Lexbase : L7740AU9), mais n'avait pas, du moins dans son recours, évoqué une violation de la Directive (CE) 92/50 du Conseil du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de service (N° Lexbase : L7532AUI).

En outre, le principal point de débat devant la Cour de justice a été la question de savoir s'il s'agissait bien de contrats onéreux. L'économie de moyens a certainement prévalu car, dans la mesure où il ne s'agissait pas de marchés portant sur des travaux, peu importait, finalement, que ces contrats soient ou non onéreux. Il est, d'ailleurs, intéressant de souligner que, dans cette affaire, après les conclusions de l'Avocat général qui avaient discuté cet aspect de manière très précise, la Commission avait demandé une réouverture de la procédure orale, conformément à l'article 61 de son règlement de procédure. La Cour a, toutefois, estimé qu'elle disposait de tous les éléments nécessaires pour pouvoir se prononcer et n'a pas jugé utile de rouvrir la procédure. Dans la mesure où les parties n'ont pas la possibilité de déposer des observations en réponse aux conclusions de l'Avocat général, cet arrêt pose donc, une nouvelle fois, la compatibilité de la procédure devant la Cour de justice avec les exigences de l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), tel qu'il est interprété par la Cour européenne des droits de l'Homme (3).

  • Aides non notifiées et lenteur de la procédure devant la Commission (CJUE, 9 juin 2011, aff. C 465/09 P à C-470/09 P N° Lexbase : A4251HTM)

Dans la présente affaire, la Commission ayant tardé à engager la procédure formelle d'examen de l'article 108, paragraphe 2, TFUE (N° Lexbase : L2405IPR), il en résultait un certain nombre de difficultés suscitées à la fois par l'inaction de la Commission et des autorités espagnoles. La Cour de justice s'est montrée ferme à l'égard des aides qui n'ont pas fait l'objet d'une notification à la Commission, conformément à l'article 108, paragraphe 3, TFUE. Elle a refusé de considérer que l'autorisation d'une aide pouvait se faire au moyen d'une décision implicite (A). Elle estime, également, que des lignes directrices peuvent s'appliquer à des aides non notifiées mises en oeuvre par une décision antérieure des autorités nationales (B). Enfin, elle affirme que, même dans de telles circonstances, l'Etat et ses collectivités intra-étatiques ne peuvent pas se prévaloir du principe de la confiance légitime (C).

A - Après une plainte déposée en 1994 par certaines fédérations d'entreprises, la Commission avait attendu que soit déposée une nouvelle plainte en 2000 avant de décider d'ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 88, paragraphe 2, TCE (devenu article 108, paragraphe 2, TFUE) au sujet des régimes fiscaux litigieux. Pour les requérants, de l'inaction initiale de la Commission était née une décision implicite consistant à rejeter la plainte ce qui équivalait à une autorisation tacite de l'aide. Le Tribunal avait rejeté ce moyen en estimant que l'article 1er, b), ii) du Règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article 93 du Traité CE (N° Lexbase : L4215AUN) (4), impose qu'une aide ne peut être autorisée que par une décision explicite. Dans l'argumentation des requérants, deux problèmes en réalité distincts étaient confondus : la décision de rejet de la plainte et la décision d'autorisation de l'aide. Or, quand bien même la première plainte aurait été explicitement rejetée par la Commission (ce qui n'avait ici rien d'évident), cette décision ne valait pas pour autant autorisation de l'aide.

De manière tout à fait logique, la Cour de justice rappelle, en effet, que "l'article 88, paragraphe 3, TCE prévoit que la Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Celle-ci procède, alors, à un premier examen des aides projetées. Si, au terme de cet examen, elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87 TCE, elle ouvre la procédure d'examen contradictoire prévue au paragraphe 2 de cet article 88. Dans une telle hypothèse, la dernière phrase du paragraphe 3 du même article interdit à l'Etat membre intéressé de mettre à exécution les mesures projetées avant que la procédure n'ait abouti à une décision finale" (5). Or, en l'espèce, les dispositifs fiscaux litigieux n'avaient fait l'objet d'aucune notification par le Royaume d'Espagne à la Commission et n'auraient donc pas dû être mis en application. En l'absence de notification, l'aide est en toute hypothèse illicite, même si le rejet d'une plainte pourrait conduire à estimer qu'elle est, par ailleurs, compatible avec le marché commun.

B - Les requérants reprochaient, ensuite, à la Commission d'avoir appliqué les lignes directrices concernant les aides d'Etat à finalité régionale (6) publiées en 1998 à des aides qui avaient été mises en place antérieurement. La Cour de justice rappelle la nature juridique des lignes directrices qui est comparable à celle des directives du droit administratif français : il s'agit de "mesures d'ordre interne adoptées par l'administration, [qui] ne sauraient être qualifiées de règles de droit, [et qui] énoncent, toutefois, une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont cette dernière ne peut s'écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d'égalité de traitement" (7).

Surtout, les lignes directrices en question avaient parfaitement déterminé leurs effets dans le temps. Pour les aides déjà notifiées à la Commission, elles ne sont pas applicables. En revanche, elles sont d'application immédiate à l'égard des aides régionales qui n'ont pas été notifiées et qui ont été exécutées. Les dispositifs fiscaux en cause constituaient des situations en cours, il n'y avait donc pas violation, par la Commission, du principe de non-rétroactivité. Pour la Cour de justice, il n'y a pas non plus violation du principe de sécurité juridique, car il lui semble que l'application efficace des règles de l'Union exige que la Commission puisse à tout moment adapter son appréciation aux besoins de sa politique en matière d'aides d'Etat. Dès lors, elle en conclut qu'"un Etat membre n'ayant pas notifié un régime d'aides à la Commission ne saurait raisonnablement s'attendre à ce que ce régime soit apprécié au regard des règles applicables au moment de son adoption" (8).

C - La principale difficulté de cette affaire relevait du principe de la confiance légitime. En effet, la première plainte avait été déposée en 1994, et ce n'est qu'en novembre 2000 que la Commission avait ouvert la procédure formelle d'examen de l'article 88, paragraphe 2, TCE. De manière très classique, la Cour de justice rappelle qu'"un Etat membre, dont les autorités ont octroyé une aide en violation des règles de procédure prévues à l'article 88 TCE, ne saurait, en principe, invoquer la confiance légitime des bénéficiaires pour se soustraire à l'obligation de prendre les mesures nécessaires en vue de l'exécution d'une décision de la Commission lui ordonnant de récupérer l'aide. Admettre une telle possibilité reviendrait, en effet, à priver les dispositions des articles 87 CE et 88 CE de tout effet utile, dans la mesure où les autorités nationales pourraient, ainsi, se fonder sur leur propre comportement illégal pour mettre en échec l'efficacité des décisions prises par la Commission en vertu de ces dispositions" (9). A fortiori, un Etat membre ou ses collectivités intra-étatiques ne peuvent pas, non plus, invoquer le principe de la confiance légitime.

En l'espèce, il est vrai que la procédure avait été particulièrement longue, mais la Cour ne manque pas de rappeler que le Royaume d'Espagne n'a pas répondu à certaines demandes d'information présentées par la Commission. Certes, cette dernière n'a procédé à aucune relance, mais, dès qu'elle a appris en 2000 qu'une entreprise avait été bénéficiaire de l'aide, elle a entamé sans tarder une procédure. Dès lors, la lenteur de son action entre 1994 et 2000 ne peut constituer une violation du principe de la confiance légitime.

  • Aides d'Etat et droit d'accès aux documents administratifs (TPIUE, 24 mai 2011, aff. jointes T-109/05 et T-444/05 N° Lexbase : A4390HSE)

A l'origine de cette affaire se trouvait une décision de la Commission (2005/163) relative à des aides d'Etat versées par l'Italie à des compagnies maritimes dans le cadre de compensation de service public. A la demande de l'Italie, la Commission avait, dans la version publiée de sa décision, supprimé certains passages relatifs aux éléments de coût des sociétés bénéficiaires. Des entreprises concurrentes s'étaient alors adressées à la Commission pour obtenir non seulement le texte intégral de cette décision, mais, également, les données ayant permis de calculer le surcoût lié aux obligations de service public. Elles s'étaient vu opposer une décision de refus et elles ont donc formé un recours en annulation devant le Tribunal de première instance de l'Union européenne, qui s'est, notamment, prononcé sur l'obligation de motivation qui pesait sur la Commission (A), et sur le bien-fondé de la décision de refus elle-même (B). Les entreprises avaient, également, demandé communication des documents contenant des renseignements et des données transmis par les autorités italiennes pour justifier les différents surcoûts supportés annuellement par les sociétés bénéficiaires dans l'exécution de leurs obligations de service public. Elles s'étaient, une nouvelle fois, vu opposer un refus. Le Tribunal va donc être amené à statuer sur la communicabilité de documents étatiques détenus par la Commission (C).

A - Les requérants reprochaient, tout d'abord, à la Commission d'avoir insuffisamment motivé sa décision de refus de communiquer les documents administratifs demandés. La Cour de justice rappelle classiquement, en premier lieu, que "la motivation exigée par l'article 253 TCE [repris à l'article 296, paragraphe 2 TFUE (N° Lexbase : L2613IPH)] doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences dudit article doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte, ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée" (10). S'agissant d'un refus de communication d'un document administratif, la question de la motivation est relativement délicate car, par sa motivation, l'institution doit expliquer en quoi le refus entre bien dans le champ d'application des exceptions prévues par le Règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001, relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (N° Lexbase : L5285DLC) (11), sans pour autant divulguer d'informations confidentielles.

Dans sa décision de refus, la Commission avait affirmé que la divulgation des données chiffrées pourrait nuire aux intérêts commerciaux des entreprises concernées et constituer un avantage pour d'autres entreprises. Ces données étaient donc couvertes par le secret des affaires. Selon le Tribunal, il n'y a donc pas violation de l'obligation de motivation. Toutefois, les requérants n'avaient pas simplement demandé communication des éléments occultés de la décision 2005/163, mais, également, les données permettant de calculer les surcoûts liés aux obligations de service public des bénéficiaires de l'aide. Or, ce refus n'avait pas fait l'objet d'une motivation spécifique. Le Tribunal en conclut donc qu'"en l'absence d'indication des raisons pour lesquelles la divulgation des documents contenant lesdites données serait effectivement susceptible de porter atteinte à un aspect quelconque de la protection des intérêts commerciaux, la requérante n'a pas été en mesure de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre ses droits et le Tribunal est lui-même, par conséquent, dans l'impossibilité d'apprécier les raisons pour lesquelles les documents dont l'accès a été refusé relèveraient d'une des exceptions tirées de l'article 4 du Règlement (CE) n° 1049/2001" (12). La première décision de refus, en ce qu'elle concerne le refus de communication des données permettant le calcul des compensations de service public, est donc annulée par le Tribunal.

B - Le Tribunal s'est, ensuite, prononcé sur les éléments de légalité interne des décisions de refus. Il admet que les documents demandés relèvent bien du secret des affaires et donc de l'exception relative à la protection des intérêts commerciaux. En effet, les données chiffrées non communiquées correspondent à la répartition des coûts et des recettes des entreprises bénéficiaires.

Il convient, ensuite, d'examiner si la Commission s'est bien livrée à un examen in concreto du contenu des documents pour savoir s'il y a un risque d'atteinte aux intérêts commerciaux. Le Tribunal rappelle que la jurisprudence la Cour de justice permet aux institutions, pour examiner une demande de communication d'un document administratif, de se fonder sur des présomptions s'appliquant à des catégories de documents (13). Mais le Tribunal estime qu'il ne peut être présumé que la divulgation des éléments de surcoûts liés aux obligations de service public ainsi que de tous les documents ayant permis d'obtenir ces données chiffrées porterait atteinte à la protection des intérêts commerciaux. Surtout, il souligne implicitement une contradiction de la Commission puisqu'il rappelle que, dans sa communication C (2003) 4582 du 1er décembre 2003 sur le secret professionnel dans les décisions en matière d'aides d'Etat, elle a estimé que les informations relatives à l'organisation et aux coûts des services publics ne seront normalement pas considérées comme constituant des informations confidentielles (14). Pour le Tribunal, dans la mesure où la Commission a relevé les données relatives à la répartition des coûts pour chacune des entreprises bénéficiaires et a estimé que ces données pouvaient nuire à leurs intérêts commerciaux, elle a bien procédé à un examen in concreto de la communicabilité de ces informations.

Enfin, le Tribunal examine si la Commission pouvait bien refuser cette communication. Il note que les informations données relèvent de la comptabilité des entreprises. Dès lors, il s'agit d'informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel qui s'impose à la Commission. Le Tribunal rappelle que cette exception est explicitement prévue par l'article 287 TCE (devenu article 339 TFUE N° Lexbase : L2661IPA). Toutefois, le caractère confidentiel "nécessite, ainsi, une mise en balance des intérêts légitimes qui s'opposent à sa divulgation et de l'intérêt général, qui veut que les activités des institutions se déroulent dans le plus grand respect du principe d'ouverture" (15). De manière toutefois assez surprenante, la Cour de justice ne procède pas, ensuite, à la balance de ces intérêts ; elle se contente de répéter que "les données en cause, ainsi que les documents dont elles sont tirées, qui correspondent aux comptes d'exploitation tels qu'analysés par une société d'audit, relèvent des secrets d'affaires de la société concernée" (16). Cette affirmation est corroborée par la communication de la Commission sur le secret professionnel dans les décisions en matière d'aides d'Etat qui, en ce domaine, pose pourtant en principe la communication des informations.

C - Le Tribunal devait, dans un dernier temps, examiner la communicabilité des documents transmis par la République italienne à la Commission et qui étaient relatifs aux données utilisées par l'administration nationale pour calculer les compensations de service public des entreprises bénéficiaires des aides. Le débat portait sur l'article 4, paragraphe 5, du Règlement 1049/2001 qui dispose qu'"un Etat membre peut demander à une institution de ne pas divulguer un document émanant de cet Etat sans l'accord préalable de celui-ci". Le Tribunal rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle cette disposition ne peut être interprétée comme permettant à un Etat membre de disposer d'un droit de veto général, inconditionnel et discrétionnaire pour s'opposer, sans avoir à motiver sa décision, à la divulgation de tout document détenu par une institution de l'Union (17). En effet, pour la Cour de justice, "l'exercice du pouvoir dont cette disposition investit l'Etat membre concerné se trouve encadré par les exceptions matérielles qu'énumèrent les paragraphes 1 à 3 de ce même article, l'Etat membre se voyant, à cet égard, simplement reconnaître un pouvoir de participation à la décision communautaire. Dans cette perspective, l'accord préalable de l'Etat membre auquel se réfère ledit paragraphe 5 s'apparente, ainsi, non pas à un droit de veto discrétionnaire, mais à une forme d'avis conforme quant à l'absence de motifs d'exception tirés des paragraphes 1 à 3" (18).

Les choses ne s'en trouvent pas en pratique simplifiées car cela signifie, alors, que la communicabilité est appréciée conjointement par l'Etat membre concerné et par l'institution auprès de laquelle a été présentée la demande. Au terme de ce dialogue, régi par le principe de coopération loyale, si l'Etat membre refuse que soient communiqués les documents, il est obligé de motiver son refus au regard des exceptions prévues par le Règlement (CE) n° 1049/2001. S'il ne procède pas à cette motivation, c'est à l'institution de l'Union de procéder, elle-même, à cette appréciation. En cas de refus, celui-ci doit, évidemment, être motivé au regard de ces mêmes exceptions. En l'espèce, la Commission n'avait motivé son refus de communication qu'au regard de l'opposition formulée par la République italienne. La seconde décision de refus opposée par la Commission est donc, également, annulée.

Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) CJCE, 18 janvier 2007, aff. C-220/05 (N° Lexbase : A5723DT7).
(2) Point n° 90.
(3) CEDH, 7 juin 2001, Req. 39594/98 (N° Lexbase : A2964AUC).
(4) JO 1999, n° L 083.
(5) Point n° 92.
(6) JO C 74, p. 9.
(7) Point n° 120.
(8) Point n° 127.
(9) Point n° 150.
(10) Point n° 81.
(11) JO 2001, n° L 145, p. 43.
(12) Point n° 91.
(13) CJUE, 29 juin 2010, aff. C-139/07 P (N° Lexbase : A3895E3N).
(14) JO C 297, p. 6.
(15) Point n° 140.
(16) Point n° 141.
(17) CJCE, 18 décembre 2007, aff. C-64/05 P (N° Lexbase : A1130D3A).
(18) Point n° 76.

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Impôts locaux

[Chronique] Chronique de fiscalité locale - Septembre 2011

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N7543BS8

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 08 Septembre 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en fiscalité locale réalisée par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne. Malgré la suppression de la taxe professionnelle (TP), depuis le 1er janvier 2010, le contentieux relatif à cette imposition n'est pas dépourvu d'intérêt, notamment parce que l'imposition venue se substituer à la TP, la contribution économique territoriale (CET), reprend certains éléments de feue la TP. Ainsi, en matière d'exonération, les auteurs et compositeurs continuent à en bénéficier. Dès lors, la détermination du champ d'application de cette exonération, valable pour la TP, peut être transposée à la cotisation foncière des entreprises (CFE), composante de la CET. La première décision commentée dans cette chronique de rentrée présente donc un intérêt tant pour la TP que pour l'imposition venue la remplacer. Dans le même temps, elle soulève l'intéressante question de la combinaison des articles 14 et de l'article 1er du premier Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales en matière fiscale (CE 9° et 10° s-s-r., 28 juillet 2011, n° 315028, mentionné aux tables du recueil Lebon). La deuxième espèce permet d'aborder le principe général des droits de la défense, plus particulièrement dans le cadre de la TP. Cependant, l'application de ce principe ne concerne pas uniquement cette imposition, mais plus largement les impôts directs locaux (CE 9° et 10° s-s-r., 28 juillet 2011, n° 320787, inédit au recueil Lebon). Enfin, la dernière décision est relative à des impositions à propos desquelles la jurisprudence est peu abondante : la taxe locale d'équipement et les diverses taxes d'urbanisme (CE 9° et 10° s-s-r., 28 juillet 2011, n° 316269, mentionné aux tables du recueil Lebon). I - N'est pas contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) l'exclusion des activités de doublage et de sous-titrage de films de l'exonération de taxe professionnelle (TP) réservée aux auteurs (CE 9° et 10° s-s-r., 28 juillet 2011, n° 315028, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8265HWZ)

Bien que le litige en cause soit relatif à la TP qui a disparu depuis le 1er janvier 2010, cette décision conserve tout son intérêt car il concerne une exonération qui est aussi applicable dans le cadre de l'un des éléments composant la contribution économique territoriale (CET) : la cotisation foncière des entreprises (CFE). Il s'agit de déterminer le champ d'application de l'exonération prévue au 3° de l'article 1460 du CGI (N° Lexbase : L0817IPX). Cette disposition exonère de TP et, depuis le 1er janvier 2010, de CET, notamment "les auteurs et compositeurs". Reste à savoir comment est définie cette catégorie au regard de la TP. Plus précisément, le problème évoqué dans cette affaire est relatif au travail de traduction en vue de doubler et de sous-titrer des oeuvres audiovisuelles. Peut-on considérer que le traducteur, dans cette espèce, est un "auteur" et qu'il est donc, en tant que tel, exonéré de TP ? (1) Dans l'hypothèse où la réponse du juge serait négative, le contribuable se fonde sur l'application combinée des articles 14 (N° Lexbase : L4747AQU) et de l'article 1er du premier Protocole additionnel (N° Lexbase : L1625AZ9) de la CESDH afin de voir reconnaître l'existence d'une discrimination injustifiée (2).

La contribuable, auteur du pourvoi devant le Conseil d'Etat, est traductrice en vue du doublage et du sous-titrage d'oeuvres audiovisuelles. Cette activité nécessite une écriture préalable des dialogues qui doivent être adaptés et traduits en français. A ce titre, elle a été imposée à la TP pour l'année 1998. Elle a contesté cette imposition. Le tribunal administratif de Paris, dans un jugement du 30 mai 2006, a rejeté sa demande de décharge. Cette solution a été confirmée par la cour administrative d'appel de Paris, dans un arrêt rendu le 11 février 2008 (CAA Paris, 5ème ch., 11 février 2008, n° 06PA02768, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5540D7C).

Selon une jurisprudence bien établie de la Haute assemblée (1), le 3° de l'article1460 du CGI, qui exonère les auteurs de TP, ne vise que les auteurs d'oeuvres écrites, et non l'ensemble des auteurs d'oeuvre de l'esprit visées par l'article 3 de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété intellectuelle, actuellement codifié sous l'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3372ADA). L'absence de définition similaire entre la loi fiscale applicable en matière de TP et la loi relative à la propriété intellectuelle trouve son fondement par le fait qu'à l'origine l'article 1460 du CGI se référait à l'article 29 de l'ordonnance du 19 octobre 1945 (2). Or, ce texte antérieur à la loi du 11 mars 1957 mettait en oeuvre une définition traditionnelle de la notion d'"auteur" restreinte à celle d'auteur d'oeuvres écrites. Ainsi, cette exonération n'est pas applicable à un photographe publicitaire (3), ni à un auteur de logiciels (4). De même pour un cinéaste conférencier qui utilise ses propres ouvrages en tant que support pour ses conférences (5). La décision commentée s'inscrit dans le prolongement de cette jurisprudence qui interprète de manière stricte la notion d'oeuvres en ne comprenant que celle qui est écrite et "destinée à être publiée". Enfin, le fait que le contribuable soit affilié au régime de sécurité sociale des auteurs n'a pas d'incidence. Son statut au point de vue social n'entraîne pas de conséquences sur le plan fiscal.

Selon l'article 14 de la CESDH, "la jouissance des droits et libertés reconnus par la présente Convention, doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation". En matière fiscale, cette disposition est invocable au regard des derniers termes "toute autre situation". Cependant, cet article ne peut être invoqué de manière indépendante. En effet, il faut que la discrimination soit relative à un droit ou une liberté dont la garantie est inscrite dans la CESDH. Il faut noter que la cour administrative d'appel de Paris n'avait pas accueilli le moyen relatif à l'article 14 de la CESDH, au motif que la contribuable n'avait pas précisé le droit ou la liberté inscrit dans la Convention invoquée. Cependant, le Conseil d'Etat a considéré que les juges d'appel avaient dénaturé les écritures de la demanderesse qui avait bien invoqué l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention.

Par ailleurs, le Conseil d'Etat a précisé, dans un avis d'Assemblée en date du 12 avril 2005 (6), que les dispositions combinées des articles 14 et de l'article 1er du premier protocole additionnel de la CESDH ne peuvent être utilement invoquées que pour soutenir que la loi fiscale serait à l'origine de discriminations injustifiées entre contribuables. En revanche, elles ne peuvent être invoquées dans le cadre des rapports entre le contribuable et la puissance publique.

La Haute Assemblée avait déjà admis le caractère opérant de la combinaison des articles 14 et de l'article 1er du premier Protocole additionnel de la CESDH, notamment dans une décision du 10 août 2005 (7), puis dans une autre du 10 février 2006 (8). Elle a ainsi posé comme principe "qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 [...], que si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi" (9).

Néanmoins, le Conseil d'Etat n'a appliqué que très rarement de manière positive cette combinaison des articles de la CESDH. La présente décision en est un nouvel exemple. Si le Conseil d'Etat accueille le moyen tiré de la possible discrimination entre contribuables due à une disposition fiscale, en revanche il existe très peu de cas dans lesquels il a admis la réalité de cette discrimination. En l'espèce, les juges ont considéré que la différence de traitement entre les auteurs d'oeuvres écrites et ceux d'oeuvres audiovisuelles était justifiée, car le législateur "avait entendu encourager plus particulièrement" les premiers par rapport aux seconds.

Toutefois, comme il a été dit précédemment, la définition "d'oeuvres de l'esprit", inscrite à l'article L. 122-12 du Code de propriété intellectuelle, qui est plus large que celle retenue par le CGI et qui ne comprend que les oeuvres écrites applicables en matière de TP, n'a pas pu influencer le choix du législateur car l'article 1460 du CGI a repris des dispositions relatives à la patente datant de 1945. Ainsi, cette définition ne pouvait pas être inspirée par la loi du 11 mars 1957. Cependant, cette décision reste dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure, qui considère que seules les oeuvres écrites peuvent être exonérées de TP, et aujourd'hui de CET.

II - Lorsque l'administration redresse les bases d'imposition à la taxe professionnelle, en raison de l'inexactitude d'une déclaration, elle doit permettre au contribuable de présenter ses observations (CE 9° et 10° s-s-r., 28 juillet 2011, n° 320787, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8285HWR)

Cette décision relative à la TP s'inscrit dans le cadre plus large de la procédure applicable aux impositions directes perçues au profit des collectivités locales. Aux termes de l'article L. 56 du LPF (N° Lexbase : L0638IH7), les impôts directs locaux sont placés hors du champ d'application de la procédure contradictoire de rectification définie par les articles L. 55 (N° Lexbase : L5685IEB) et suivants du LPF. Cette disposition s'applique alors même que la TP est un impôt déclaratif, à la différence des autres impositions directes (taxe sur les propriétés bâties et non bâties et taxe d'habitation), dont l'assiette est fixée annuellement d'après des éléments ou des tarifs fixés par l'administration elle-même.

Les faits de la décision sont simples. Une société, aux droits desquels vient une autre société, a pour activité la fabrication de produits phytosanitaires pour l'agriculture. Cette dernière a repris les moyens d'exploitation d'un établissement d'une ultime société. Eu égard à ces éléments, la deuxième société a considéré qu'il s'agissait d'une cessation d'activité suivie de la création d'un nouvel établissement. En fonction de cette analyse, elle a souscrit, le 6 janvier 2000, une déclaration provisoire de TP en indiquant seulement les éléments exploités au 1er janvier 2000, sans mentionner la consistance des biens passibles de la taxe foncière situés sur la même commune. Néanmoins, l'administration a imposé la société à la TP par application de l'article 1518 B du CGI (N° Lexbase : L2932IGP). Elle a pris en compte, en plus des éléments déclarés spontanément, la valeur locative des biens soumis à la taxe foncière pour un montant égal à 80 % de leur valeur locative avant cession.

Précédemment, le tribunal administratif de Marseille, dans un jugement en date du 29 août 2005, avait complètement déchargé le redevable des cotisations de TP auxquelles elle avait été assujettie au titre des années 2000 et 2001. L'administration fiscale a fait appel de cette décision. La cour administrative d'appel de Marseille, par un arrêt du 4 septembre 2008 (CAA Marseille, 3ème ch., 4 septembre 2008, n° 05MA02575, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4193EBW), a confirmé partiellement la décision du tribunal administratif. En effet, dans sa réclamation préalable, la société n'avait pas demandé une décharge totale et avait estimé qu'elle restait redevable de la taxe à charge 87 046 euros redevable pour l'année 2000 et 604 755 euros pour 2001. En conséquence, le tribunal administratif ne pouvait prononcer une décharge totale. Cependant, sur la question de droit principale, relative à la régularité d'imposition, la cour administrative d'appel avait une position analogue à celle du tribunal administratif.

En effet, le problème de droit posé par cette affaire est relatif à l'application du principe général des droits de la défense. Le contribuable considérait qu'il n'avait pas été mis en mesure de présenter ses observations à propos de la cotisation supplémentaire de TP mise à sa charge car établie sur des bases qu'il n'avait pas déclarées. Ce principe est une création jurisprudentielle. Consacré par une décision du 5 mai 1944 (10), il est commun à l'ensemble des procédures administratives et non spécifique au domaine de la procédure fiscale. Il implique "qu'une mesure individuelle d'une certaine gravité, reposant sur l'appréciation d'une situation personnelle ou sur des éléments de faits qui ne sont pas exempts d'incertitude, ne peut être prise par l'administration sans entendre au préalable la personne qui est susceptible d'être lésé dans ses intérêts moraux ou matériels" (11).

Il a été appliqué dans le cadre d'une procédure d'imposition, en vue de la résolution d'un litige intéressant les quotas laitiers (12), puis par un arrêt du 5 juin 2002 (13), qui a considéré que lorsqu'un prélèvement fiscal, comme la TP, est assis sur la base d'éléments qui doivent être déclarés par le contribuable, l'administration ne peut établir, à la charge de ce dernier, des droits excédant le montant de ceux qui résulteraient des éléments qu'il a déclaré. En l'espèce, l'administration avait établi une imposition supplémentaire à la charge de la société redevable de la TP en se fondant sur la valeur locative des biens passibles de taxe foncière, or cette évaluation est effectuée par l'administration. Cependant, cet élément ne peut permettre à l'administration de ne pas respecter le principe général des droits de la défense, car les biens doivent faire l'objet d'une déclaration.

On peut rapprocher de cette décision celle commentée dans une chronique précédente (lire nos observations, note sous CE 8° et 3° s-s-r., 27 avril 2011, n° 325650 et n° 325651, mentionnés aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4330HP3, Lexbase Hebdo n° 443 du 8 juin 2011 - édition fiscale N° Lexbase : N4214BSU), relative à la TFPB. Aux termes de cette décision, le Conseil d'Etat avait estimé que l'administration n'était pas tenue au respect du principe général des droits de la défense, dans le cas où l'imposition avait été modifiée sans que, pour autant, les éléments déclarés soient remis en cause (14). Ainsi, les juges du Palais-Royal circonscrivent de manière très nette l'application de ce principe général en matière fiscale aux seuls éléments qui doivent être déclarés.

III - Le Conseil d'Etat rappelle les conditions d'assujettissement d'une construction à la taxe locale d'équipement et aux taxes d'urbanisme (CE 9° et 10° s-s-r., 28 juillet 2011, n° 316269, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8268HW7)

La taxe locale d'équipement (TLE), la taxe perçue au profit des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement, ainsi que la taxe départementale des espaces naturels sensibles sont mises à la charge du contribuable en raison de la délivrance d'un permis de construire. Le 3 février 2003, la société requérante a obtenu un permis de construire afin de transformer une maison de retraite en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) (15). A la suite de l'obtention de cette autorisation de construire, la Direction départementale de l'équipement (DDE) des Hauts-de-Seine a imposé la société à la TLE et à deux autres taxes d'urbanisme, par un avis d'imposition en date du 10 juillet 2003.

L'assiette de la TLE est constituée par la valeur de l'ensemble immobilier comprenant à la fois les terrains nécessaires à la construction ainsi que les bâtiments, objets de l'autorisation de construire. Cette valeur est déterminée de manière forfaitaire en appliquant à la surface de plancher développée hors oeuvre (SHON), une valeur au mètre carré qui est variable selon les immeubles. Ces différentes catégories d'immeuble sont au nombre de 9 et décrites au I de l'article 1585 D du CGI (N° Lexbase : L3228IGN).

En l'espèce, la DDE avait calculé la TLE en se fondant sur la 9ème catégorie. Le contribuable a demandé, à titre principal, à être déchargé de la totalité de ces impositions ou, à titre subsidiaire, que la construction prévue ne soit pas classée dans la 9ème, mais la 4ème catégorie. Dans un jugement en date du 1er mars 2007, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande, tant à titre principal que subsidiaire.

Le Conseil d'Etat est venu infirmer la décision des juges du fond au motif qu'ils n'avaient pas recherché si les personnes résidant au sein de l'EHPAD n'avaient pas besoin, outre les logements d'habitation, de locaux annexes (locaux médicaux et services communs). En effet, la 9ème catégorie est résiduelle, car elle comprend les "autres constructions soumises à la réglementation des permis de construire". En revanche la 4ème catégorie -moins imposée que la 9ème- prend en compte les locaux d'habitation et leurs annexes. Cependant, le Conseil d'Etat n'a pas fondé sa décision sur l'article 1585 D du CGI, mais sur le II de l'article 1585 C du même code (N° Lexbase : L0227IKM), aux termes duquel le conseil municipal peut renoncer, dans certains cas, en tout ou partie, à percevoir la TLE.


(1) CE 9° et 8° s-s-r., 14 février 1996, n° 140299, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7607AN3), DF, 1996, n° 12, comm. 369.
(2) CE, 14 février 1996, n° 140299, op. cit., Concl. P. Martin.
(3) CAA Nantes, 3ème ch., 28 décembre 2000, n° 97NT02516, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5200AYA), DF, 2001, comm. 1161.
(4) CAA Bordeaux, 3ème ch., 30 mai 2000, n° 97BX01475, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0253AXN), RJF, 2000, n° 1091.
(5) CAA Paris, 25 mars 2004, n° 01PA03041, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2406DC4), RJF, 2004, n° 999.
(6) CE Assemblée, 12 avril 2002, n° 239693, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6303AY4), DF, 2002, n° 26, comm. 555, concl. F. Séners, Note Boutémy et Meier.
(7) CE 9° et 10° s-s-r., 10 août 2005, n° 259741, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3775DKZ), RJF, 2005, n° 1305 ; BDCF, 11/2005, n° 141, concl. L. Vallée ; DF, 2006, n° 51, p. 2179, note M. Collet.
(8) CE 3° et 8° s-s-r., 10 février 2006, n° 270255, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1428AYK), RJF, 2006, n° 601 ; DF, 2007, n° 11, comm. 289, concl. P. Collin.
(9) Cité par J. Lamarque, O. Négrin et L. Ayrault, Droit fiscal Général, Litec, 2009, p. 196.
(10) CE Section, 5 mai 1944, n° 69751, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3591B77), Rec. CE, p. 133 et CE Assemblée, 26 novembre 1945, n° 77726, Aramu, Rec. CE, p. 213.
(11) Concl. Genevois sur CE Section, 9 mai 1980, n° 10404, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7234AIR), AJDA, 1980, p. 482.
(12) CE Section, 7 décembre 2001, n° 206145, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7731AXS), DF, 2002, n° 15, comm. 332 ; RJF 2/02, n° 180 ; Chronique J. Maïa, RJF, 4/02, p. 287 ; Concl. F. Séners, BDCF, 2/02.
(13) CE 9° et 10° s-s-r., 5 juin 2002, n° 219840, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8663AYI), DF, 2002, n° 41.
(14) CE 8° et 3° s-s-r., 27 avril 2011, n° 325650 (N° Lexbase : A4329HPZ) et n° 325651 (N° Lexbase : A4330HP3), mentionnés au recueil Lebon.
(15) Pour un problème de droit différent mais relatif à un EHPAD, cf. nos obs., note sous CE, 9 juillet 2010, n° 308976, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9272E7K), Lexbase Hebdo n° 414 du 27 octobre 2010 - édition fiscale (N° Lexbase : N4372BQY).

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Procédure

[Jurisprudence] Limites de l'immunité de juridiction des personnels des ambassades

Réf. : CEDH, 29 juin 2011, req. 34869/05 (N° Lexbase : A5497HU7)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 08 Septembre 2011

Dans le cadre des relations internationales, les Etats comme les organisations non gouvernementales (1) bénéficient d'importants privilèges juridiques au titre desquels figure en bonne place une immunité de juridiction qui leur permet d'éviter de se soumettre aux juridictions de l'Etat qui les accueille. Ces immunités de juridiction doivent cependant être conciliées, dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, avec le droit d'accès de tout citoyen à un tribunal garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). C'est à cette conciliation que se livre la Cour européenne des droits de l'Homme dans un arrêt de Grand chambre rendu le 29 juin 2011 (2). Elle juge, ainsi, qu'en matière de licenciement d'un salarié comptable d'une ambassade, les règles de droit international ne permettent pas aux juridictions de l'Etat d'accueil de se déclarer incompétentes lorsque le salarié n'est pas un personnel diplomatique ou consulaire et qu'il n'assume pas de fonctions liées à la puissance publique de l'Etat qui l'emploie (I). Cette décision, conforme à une tendance dessinée depuis quelques années par la Cour de cassation, marque un reflux des immunités de juridictions en droit du travail (II).
Résumé

La règle de l'immunité de juridiction ne s'applique pas aux contrats de travail conclus entre un Etat et le personnel de ses missions diplomatiques à l'étranger, sauf dans un nombre limité de situations dont la présente affaire ne relève pas. En effet, le requérant, qui n'était ni agent diplomatique ou consulaire du Koweït ni ressortissant de cet Etat, ne relevait d'aucune des exceptions énumérées dans la Convention sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens de l'Assemblée générale des Nations Unies en 2004. En outre, le requérant n'a pas été engagé pour s'acquitter de fonctions particulières dans l'exercice de la puissance publique, et il n'est aucunement établi qu'il existait un risque quelconque d'interférence avec les intérêts de l'Etat du Koweït en matière de sécurité. Les dispositions de la Convention de 2004 s'appliquent aux personnels des missions diplomatiques établis en France quand bien même l'Etat français ne l'aurait pas ratifiée.

Commentaire

I - Le principe de l'exclusion des immunités de juridictions dans les relations de travail internationales

  • Immunités de juridictions et droit du travail

Dans le cadre des relations internationales, les immunités de juridiction sont pour l'essentiel encadrées par la Convention sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens de l'Assemblée générale des Nations Unies de 2004 (3).

L'article 11 de cette Convention, relatif aux relations de travail, dispose qu'"à moins que les Etats concernés n'en conviennent autrement, un Etat ne peut invoquer l'immunité de juridiction devant un tribunal d'un autre Etat, compétent en l'espèce, dans une procédure se rapportant à un contrat de travail entre l'Etat et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre Etat". En principe donc, il n'est pas possible d'invoquer l'immunité de juridiction des Etats dans le cadre d'un litige né d'une relation de travail. Cette disposition repose, probablement, sur la volonté des signataires de la Convention de ne pas priver les salariés de ces Etats d'un droit d'accès à un tribunal (4).

La Convention prévoit néanmoins un certain nombre d'exceptions, pour certaines générales, pour d'autres spécifiques aux relations de travail. Au titre des premières, l'article 3 de la Convention prévoit par exemple que sont maintenus les privilèges de juridiction "en ce qui concerne l'exercice des fonctions [...] de ses missions diplomatiques, de ses postes consulaires, de ses missions spéciales, de ses missions auprès des organisations internationales, ou de ses délégations dans les organes des organisations internationales ou aux conférences internationales". En droit du travail, plus spécifiquement, l'article 11 § 2 rétablit l'immunité lorsque "l'employé a été engagé pour s'acquitter de fonctions particulières dans l'exercice de la puissance publique", que le salarié est "agent diplomatique" ou "fonctionnaire consulaire" ou, encore, si "cette action risque d'interférer avec les intérêts de l'Etat en matière de sécurité".

  • Position de la Cour de cassation

Quelle attitude le juge français adopte-t-il face à ces immunités de juridiction ? Sa position est malaisée, principalement parce que la France n'a pas encore ratifié la Convention de 2004 (5). Pour autant, la Cour de cassation adopte une position proche de celle de la Convention puisqu'elle ne permet le bénéfice de l'immunité que lorsque l'acte litigieux constitue un acte de puissance publique ou a été accompli dans l'exercice d'un service public (6), vérifiant ainsi que l'acte participe ou non à l'exercice de la souveraineté de l'Etat étranger (7).

L'immunité est, par exemple, exclue dans le cas d'un litige concernant l'employé d'une ambassade n'exerçant aucune responsabilité particulière dans l'exercice du service public diplomatique (8). Au contraire, en cas de fermeture d'une délégation consulaire, l'Etat bénéficie de l'immunité de juridiction quant à l'appréciation des motifs de la décision de fermeture, mais le juge français conserve le pouvoir de vérifier la réalité de la fermeture et de statuer sur les conséquences du licenciement motivé par celle-ci (9). Quoiqu'il en soit, l'appréciation du bénéfice de l'immunité relève du pouvoir souverain des juges du fond (10).

  • L'espèce

Un salarié français avait été engagé par l'ambassade du Koweït à Paris en qualité de comptable puis de chef comptable par contrat de travail à durée indéterminée. Licencié pour motif économique en mars 2000, le salarié saisit le conseil de prud'hommes qui fit droit à sa demande. Insatisfait des indemnités servies par le premier juge, il interjeta appel. Bien mal lui pris puisque la cour d'appel de Paris rejeta ses prétentions en arguant de l'irrecevabilité de son action en raison de l'immunité de juridiction dont bénéficiait l'Etat koweïtien. La Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le salarié qui, ainsi, épuisa les voies de recours internes (11).

Le salarié choisit alors de se tourner vers la Cour européenne des droits de l'Homme, estimant avoir été privé de son droit d'accès à un tribunal impartial tiré de l'article 6 § 1 de la CESDH en raison de l'application de l'immunité de juridiction de l'Etat koweïtien.

La Grand chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme fait droit à la demande du salarié et condamne la France pour violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Dans un premier temps, la Cour apprécie l'applicabilité de l'article 6 § 1 et juge qu'aucune des exceptions tenant au statut de fonctionnaire d'un Etat membre de la Convention ne pouvait être utilement avancée pour en écarter l'application (12). Dans un second temps, la Cour confronte l'immunité de juridiction accordée par le juge français au droit effectif au procès (13), estimant qu'il lui revient de "vérifier que les limitations mises en oeuvre ne restreignent pas l'accès offert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même". La Cour remarque que si "l'immunité des Etats, consacrée par le droit international, vise à favoriser les bonnes relations entre Etats par le respect de la souveraineté d'un autre Etat", "l'immunité absolue des Etats a subi depuis de nombreuses années une érosion certaine".

Les juges de Strasbourg poursuivent en remarquant que l'article 11 de la Convention des Nations Unies de 2004, relatif aux contrats de travail, "a introduit une exception importante en matière d'immunité des Etats, le principe étant que la règle de l'immunité ne s'applique pas aux contrats de travail conclus entre un Etat et le personnel de ses missions diplomatiques à l'étranger, sauf exceptions limitativement énumérées au paragraphe 2 de l'article 11". Enfin, pour justifier l'application à la France d'une disposition de la Convention de 2004 qui n'a pas été ratifiée par notre pays, la Cour relève "qu'il est bien établi en droit international que, même non ratifiée, une disposition d'un traité peut avoir force contraignante, en plus des obligations créées pour les parties contractantes, si elle reflète le droit international coutumier", à condition tout de même que l'Etat en cause ne se soit pas opposé à la Convention, ce qui n'est pas le cas puisque la Convention a été signée par la France.

La Cour conclut en disposant que "le requérant, qui n'était ni agent diplomatique ou consulaire du Koweït ni ressortissant de cet Etat, ne relevait d'aucune des exceptions énumérées à l'article 11 de la Convention de 2004" et qu'il n'a "pas été engagé pour s'acquitter de fonctions particulières dans l'exercice de la puissance publique" quoiqu'il assumait des responsabilités supplémentaires à celles prévues par son contrat de travail.

II - La tendance générale au recul des immunités de juridiction dans les relations de travail

  • Le refoulement des immunités de juridiction sous l'influence de la Cour européenne des droits de l'Homme

Cette décision confirme le reflux des immunités de juridiction accordées aux Etats comme aux organisations internationales dans les relations de travail. Outre que cette tendance avait déjà été amorcée par la Cour de cassation française comme par la Cour européenne des droits de l'Homme (14), plusieurs signes montrent la volonté de la cour de juguler autant que possible ces atteintes au droit au procès équitable.

Ainsi en va-t-il, notamment, de l'application au nom du droit coutumier international d'une convention non ratifiée par l'Etat défendeur. Si cette pratique n'est pas nouvelle (15) et qu'elle est conforme à la volonté de l'Etat français de ratifier la Convention (16), elle n'en reste pas moins exceptionnelle et significative d'une volonté de la Cour européenne des droits e l'Homme d'écarter autant que possible les immunités de juridictions d'une manière générale et, en l'espèce, en droit du travail. De la même manière, la Cour interprète de manière stricte l'exception prévue par la Convention relative aux fonctions particulières dans l'exercice de la puissance publique. En effet, malgré les responsabilités particulières attribuées au chef comptable d'une ambassade, fonctions qui, on peut le supposer, s'approchent des finances de l'Etat employeur et, ainsi, intéresse de près ou de loin ses fonctions régaliennes, la Cour adopte une interprétation stricte de l'exception prévue par l'article 11 § 2 de la Convention de 2004 (17).

Quoiqu'il en soit, cette position, nous l'avons vu, est conforme à celle adoptée par la Cour de cassation. Comment, dans ces conditions, est-on parvenu à ce que ce salarié soit contraint de saisir la Cour de Strasbourg ?

  • Le contrôle inapproprié de la Cour de cassation

Deux raisons permettent d'expliquer, sans le justifier pour autant, le fait que le salarié ait été contraint de saisir la Cour européenne des droits de l'Homme pour obtenir gain de cause.

La première tient à la qualité de la motivation des arrêts de la Cour de cassation. L'imperatoria brevitas à laquelle notre Haute juridiction s'est toujours astreinte a parfois des avantages, comme celui par exemple de faciliter la lecture de ses décisions. Elle a cependant l'inconvénient de ne pas relever de manière exhaustive les moyens des parties ou le raisonnement juridique ayant mené à la décision (18). Cet inconvénient détone naturellement avec la tendance de la Cour européenne des droits de l'Homme, au contraire, à motiver longuement ses décisions, à permettre l'énoncé d'opinions dissidentes ou à user d'obiter dicta. Ainsi, la Cour relève le défaut de "motivation pertinente et suffisante" de nos juridictions, défaut qui ne permet pas d'apprécier si les responsabilités supplémentaires assumées par le salarié concernent des fonctions liées à la puissance publique de l'Etat employeur.

Il est cependant peu probable que la Cour européenne des droits de l'Homme, aujourd'hui plus qu'hier, parvienne à influer sur le volume de la motivation des décisions de la Cour de cassation. Une autre mesure, en revanche, pourrait plus facilement être adoptée afin que la saisine de la Cour européenne des droits de l'Homme ne soit plus nécessaire sur un point pour lequel, rappelons-le, les deux juridictions sont en accord.

En effet, comme nous le relevions, la Cour de cassation juge, en matière d'immunités de juridiction, que l'appréciation de l'application de l'immunité relève du pouvoir souverain des juges du fond. Dit autrement, la Cour n'exerce pas de contrôle sur la qualification opérée par les juges du fond. Or, c'est la Cour de cassation elle-même qui décide des points de droit soumis à son contrôle et de ceux relevant du pouvoir souverain des juges du fond. En reprenant le contrôle sur la qualification des immunités, la Cour de cassation pourrait à l'avenir éviter d'inutiles condamnations devant la Cour européenne des droits de l'Homme.


(1) Pour une illustration à propos de la Banque africaine de développement, voir Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.157, FS-P+B (N° Lexbase : A4827DTX) et nos obs., Les privilèges juridiques des organisations internationales refoulés par le juge français, Lexbase Hebdo n° 245 du 25 janvier 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N8070A9R).
(2) V. également le communiqué de presse de la Cour européenne des droits de l'Homme.
(3) Cette convention codifie le droit international coutumier en la matière.
(4) C'est en tous les cas sur ce fondement que s'était appuyée la Chambre sociale de la Cour de cassation pour écarter l'immunité de juridiction des organisations non gouvernementales, le droit d'accès à un tribunal relevant à ses yeux de l'ordre public international, v. Cass. soc., 25 janvier 2005, n° 04-41.012, FS-P+B (N° Lexbase : A3089DGI), RGDIP, 2006, pp. 217-231, note N. Haupais ; JDI, 2005, pp. 1143-1165, note L. Corbion.
(5) La ratification est imminente, v. Loi n° 2011-734 du 28 juin 2011, autorisant la ratification de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens (N° Lexbase : L6496IQN).
(6) Cass. civ. 1, 25 février 1969, n° 67-10.243, Bull. civ. I, n °86.
(7) Cass. mixte, 20 juin 2003, n° 00-45.629, P (N° Lexbase : A8752C8N).
(8) Pour un concierge, v. Cass. civ. 1, 11 février 1997, n° 94-41.871 (N° Lexbase : A0194AC8) ; une infirmière, Cass. soc., 10 novembre 1998, n° 96-41.534, publié (N° Lexbase : A9665CG3) ; une employée de bureau au consulat, v. Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 03-45.973, F-D (N° Lexbase : A9883DLM).
(9) Cass. soc., 31 mars 2009, n° 07-45.618, FS-P+B (N° Lexbase : A5170EE9).
(10) Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 98-46.214 (N° Lexbase : A2120AWG).
(11) L'arrêt de la Cour de cassation semble malheureusement ne pas avoir été diffusé. V. cependant les considérants 28 à 34 de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme.
(12) Outre que le salarié en question n'était pas fonctionnaire, situation qui permet de faire exception aux règles de l'article 6 § 1 lorsque l'intérêt de l'Etat est en jeu (v. CEDH, 19 avril 2007, req. 63235/00 N° Lexbase : A9491DU3), il était salarié de l'Etat koweïtien et non de l'Etat français qui lui opposait l'irrecevabilité de sa demande.
(13) Comme elle l'a déjà fait par le passé, v., not., CEDH, 21 novembre 2001, req. 35763/9 (N° Lexbase : A3083AXH) et, surtout, CEDH, 23 mars 2010, req. 15869/02 (N° Lexbase : A8390ETW).
(14) Cf. supra.
(15) CEDH, 23 mars 2010, préc., spéc. § 66.
(16) La procédure de ratification est engagée depuis juillet 2009.
(17) On pourra cependant rétorquer, à raison, que par principe, les exceptions sont d'interprétation stricte, ce qui rend l'argumentation de la Cour moins surprenante.
(18) A. Tunc, A. Touffait, Pour une motivation plus explicite des décisions de justice, notamment de celles de la Cour de cassation, RTDCiv., 1974, p. 487.

Décision

CEDH, 29 juin 2011, req. 34869/05 (N° Lexbase : A5497HU7)

Condamnation de l'Etat français.

Textes cités : CESDH, art. 6 § 1 (N° Lexbase : L7558AIR)

Mots-clés : droit effectif d'accès à un tribunal. Immunités de juridiction, licenciement.

Liens base : (N° Lexbase : E3738ETM)

newsid:427548

Procédure pénale

[Chronique] La chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, CRDP Tours (EA 2116) et du laboratoire Wesford, et Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP Toulouse (EA 1920) - Septembre 2011

Lecture: 20 min

N7525BSI

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Le 08 Septembre 2011

Durant l'été, le Conseil constitutionnel a rendu plusieurs décisions en matière pénale, dont une, particulièrement marquante, relative à la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (Cons. const., décision n° 2011-635 DC, du 4 août 2011). Parallèlement, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s'est prononcée sur quelques points importants. Tout d'abord, elle a apporté des précisions sur l'appréhension de la preuve en droit pénal, en constatant et en sanctionnant une erreur qui avait conduit à une condamnation pénale injustifiée (Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-87.326, FS-P+B+I), ainsi qu'en discriminant clairement complément d'enquête et supplément d'information devant le juge de proximité (Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-83.846, F-P+B). Ensuite, confrontée à un véritable cas d'école, la Cour de cassation a pédagogiquement rappelé que la cour d'appel doit se déclarer incompétente d'office s'il s'avère à ce stade que les faits poursuivis sont de nature criminelle (Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-83.763, F-P+B). I - L'examen critique de la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs
  • Sont déclarés contraires à la Constitution différents articles de la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, d'autres y étant déclarés conformes sous réserve (Cons. const., décision n° 2011-635 DC, du 4 août 2011 N° Lexbase : A9170HWK)

Dès le titre, la loi "sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs" (1) s'annonce comme un texte bariolé : quoi de commun, en effet, entre les problèmes posés par l'essor de la participation citoyenne à la justice pénale et ceux générés par une nouvelle réforme de la manière de juger les mineurs ? Le législateur a même profité de l'occasion pour abroger l'article 131-36-1 du Code pénal (N° Lexbase : L0409DZ8) (2), ce qui n'a absolument pas heurté le Conseil constitutionnel pour qui un lien existe entre cette abrogation et "les dispositions relatives à la motivation des décisions en matière criminelle ainsi qu'avec celles relatives à l'assignation à résidence avec surveillance électronique qui figuraient dans le projet de loi initialement déposé".

A l'exception de ce qui précède, les deux grands volets annoncés structurent cependant les critiques formulées à l'encontre de la loi, que le Conseil constitutionnel examine dans une décision inhabituellement longue et technique. Sans entrer dans les détails, il convient d'en dire quelques mots.

En ce qui concerne, d'abord, la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, rappelons que la loi prévoit que des citoyens peuvent désormais être appelés comme assesseurs à compléter le tribunal correctionnel, la chambre des appels correctionnels, le tribunal de l'application des peines et la chambre de l'application des peines de la cour d'appel. Le critère de leur intervention réside classiquement dans la gravité de l'infraction poursuivie, mais cette gravité prend alors la forme, comme cela devient de plus en plus habituel (3), d'un attachement à certains intérêts protégés par la loi pénale -en l'occurrence la personne et l'environnement-, plutôt que d'une stricte soumission envers la hiérarchie des peines. Plus prosaïquement, cela signifie qu'il est nécessaire de se référer à une liste d'incriminations pour savoir quand les citoyens seront invités à participer au jugement des délits. A noter que cette partie de la réforme est expérimentale : elle sera mise en place dans les cours d'appel de Toulouse et de Dijon dès le 1er janvier 2012, étendue à dix cours d'appel au plus durant une période de deux ans, avant de subir une évaluation qui déterminera sa pérennité ou, au contraire, sa fugacité. Cette atteinte au principe d'égalité a été constitutionnalisée pour des raisons évidentes, tenant à son utilité en légistique. L'article 37-1 de la Constitution de 1958 (N° Lexbase : L5155IBK) la conditionne toutefois à l'existence d'une limitation dans l'objet et dans la durée de l'expérimentation, ce qui est bien le cas en l'occurrence.

Parallèlement à l'apparition de ces jurés correctionnels, des jurés criminels vont disparaître, six jurés seulement siégeant à la cour d'assises en premier ressort, et neuf en appel. Cela va sans doute renforcer l'influence des magistrats professionnels, dont l'intime et éclairée conviction se diluera moins, désormais, dans celles des membres du jury. Le paradoxe est d'ailleurs saisissant, d'une réforme qui professionnalise la justice criminelle, tout en annonçant un essor de la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale. Une preuve supplémentaire de ce phénomène est l'instauration de l'obligation de motiver les arrêts rendus par les cours d'assises (4), obligation cependant adaptée à la composition échevinale de la juridiction et renforcée lorsqu'il s'agit de condamner l'accusé.

Le Conseil constitutionnel perçoit les jurés à l'instar des juges de proximité (5) : ils peuvent participer à la fonction juridictionnelle, même lorsqu'il s'agit de prononcer des mesures privatives de liberté, à condition que cela soit temporaire et dans une part limitée, que les magistrats professionnels restent majoritaires au sein de la juridiction, et que l'on s'assure de l'indépendance et de la capacité des jurés. Toutefois, sur ce dernier point, les jurés se particularisent : le Conseil constitutionnel considère qu'il n'est pas nécessaire d'assurer leur indépendance par un statut particulier, le caractère très éphémère de leur fonction ainsi que leur tirage au sort et la possibilité de les récuser ayant sans doute été déterminants. Se fondant sur l'article 6 de la Déclaration de 1789 in fine (N° Lexbase : L1370A9M) (6), le Conseil inverse également la question de la capacité : ce n'est en quelque sorte pas au juré d'être apte à comprendre le droit, mais au droit de se rendre accessible au juré. C'est pourquoi l'on ne peut concevoir que les assesseurs citoyens se prononcent sur des infractions trop techniques, par exemple l'infraction d'usurpation d'identité et celles qui sont définies par le Code de l'environnement. Le Conseil constitutionnel invalide donc la loi qui prévoyait que celles-ci pourraient être appréciées par le biais de la nouvelle procédure. Dans la même optique, il faut selon lui s'assurer "que la nature des questions de droit ou de fait sur lesquelles les citoyens assesseurs sont appelés à statuer, ainsi que les procédures selon lesquelles ils statuent, soient définies de manière à ce qu'ils soient mis à même de former un jugement éclairé sur les matières soumises à leur appréciation".

En matière d'application des peines, matière hautement technique, le Conseil constitutionnel précise que le rôle des assesseurs citoyens doit se limiter à apprécier des questions de fond simples, les questions procédurales devant être laissées aux professionnels de ce droit. Il s'agit quand même de participer à la décision de réduire -ou pas- une période de sûreté, de procéder à une libération conditionnelle lorsque la peine privative de liberté est d'une durée supérieure à cinq ans et, dans ce cas, d'ordonner que la peine s'exécutera sous le régime de la semi-liberté, et de placer une personne sous surveillance électronique, lorsque ces mesures sont déterminées à titre probatoire préalablement à une libération conditionnelle. On comprend l'effet escompté : le peuple sera sans doute moins clément que le juge d'application des peines. Gageons que la surpopulation carcérale dispose encore d'un bel avenir dans le pays des droits de l'Homme.

Le Conseil constitutionnel, incité par les requérants, place ensuite la question de la motivation des arrêts rendus par les cours d'assises dans le giron de la lutte contre l'arbitraire. Bien qu'il s'agisse là d'une évidence (7) que le Conseil n'a jamais vraiment contestée, le raisonnement étonne si l'on se souvient que, dans une décision récente, ce même Conseil n'avait pas apprécié que l'absence d'une telle motivation soit contraire à la Constitution (8). En revanche, faisant montre à cet égard d'une certaine cohérence, les juges constitutionnels abandonnent leur exigence d'une décision prise, en la matière, à la majorité absolue des jurés, puisqu'il s'agissait, à l'époque, de garantir ce qui ne l'était pas en raison du défaut de motivation des arrêts. Celle-ci étant désormais imposée, la règle de majorité n'implique plus de distinguer selon la qualité des juges, magistrats ou citoyens, et reste, sans doute par saine considération envers la présomption d'innocence, une règle de majorité renforcée.

La possibilité d'une motivation différée à trois jours des arrêts concernés n'est pas non plus, selon le Conseil constitutionnel, contraire à la Constitution, en ce sens qu'elle obéit aux mêmes exigences que celles qui sont relatives à la motivation immédiate : le magistrat chargé de la rédiger doit y énoncer les principaux éléments à charge qui ont convaincu la cour d'assises, et la feuille où ceux-ci sont expressément consignés doit être signée par le premier juré.

En ce qui concerne, ensuite, le jugement des mineurs, la loi prévoit notamment la possibilité d'assigner à résidence avec surveillance électronique les mineurs de treize à dix-huit ans. Elle autorise également le procureur de la République, dans certains cas, à faire convoquer directement par un officier de police judiciaire, devant le tribunal pour enfants et sans instruction préparatoire, un mineur de plus de seize ans et, concernant celui qui aurait été mis en examen par le juge des enfants ou par le juge d'instruction pour des faits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement commis en état de récidive légale, oblige à saisir "le tribunal correctionnel des mineurs", nouvelle juridiction composée de trois magistrats du tribunal de grande instance ou de l'un d'entre eux accompagné de deux assesseurs citoyens, et présidée par le juge des enfants. La loi permet, enfin, au procureur de la République de requérir une césure du procès pénal et, à cette fin, de faire convoquer ou comparaître directement un mineur devant le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel des mineurs malgré le caractère insuffisant des éléments d'information sur la personnalité du mineur. La juridiction de jugement est alors tenue d'ajourner le prononcé de la mesure, de la sanction ou de la peine, notamment pour permettre que des investigations supplémentaires sur la personnalité du mineur soient réalisées.

Sur ces questions très particulières, le Conseil constitutionnel rappelle surtout l'existence d'un important principe fondamental reconnu par les lois de la République : celui de "l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge", alliée à "la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées" (9).

De ce principe, tout aussi fortement proclamé que sa portée est affaiblie au fur et à mesure des réformes et des décisions du Conseil constitutionnel, il ne résulte pas une impossibilité de mettre en oeuvre la responsabilité pénale des mineurs, de même que toutes les mesures de contrainte que celle-ci suppose. Tout doit alors simplement, encore plus que pour les majeurs, être affaire de proportion.

Précisément, l'assignation à résidence avec surveillance électronique des mineurs de treize à seize ans a beau être une restriction de liberté plus douce que le contrôle judiciaire et la détention provisoire, elle n'en garde pas moins cette nature particulièrement rigoureuse, qui la rend inconcevable lorsque la détention provisoire elle-même n'a pas été envisagée. En conséquence, le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution la possibilité, instaurée par la loi, de mettre en oeuvre cette alternative au contrôle judiciaire lorsque le mineur en cause a moins de seize ans.

De même, la création du "tribunal correctionnel des mineurs", reprise d'une proposition du rapport "Varinard" (10), ne s'avère pas en soi, selon le Conseil constitutionnel, conforme à la Constitution, en ce sens que, d'une part, il s'agit d'une juridiction insuffisamment spécialisée, sa composition ne laissant de place qu'à un seul magistrat spécialiste -le juge des enfants- sur les trois amenés à y siéger. De plus, les procédures autorisant la saisine de ce tribunal à la suite de la loi examinée ne paraissent pas toutes adaptées aux mineurs, ce qui n'est cependant de nature à poser un problème que parce que la juridiction n'est pas spécialisée.

En effet, selon le Conseil constitutionnel, il faut pour le mineur mis en cause pénalement, soit un juge spécialisé, soit une procédure adaptée, le mieux étant que ces deux éléments se conjuguent. Or, les nouvelles procédures créées par la loi litigieuse, sur lesquelles le Conseil a également eu à se prononcer, nous allons le voir, n'apparaissent pas comme présentant ce caractère d'adaptation au mineur. En revanche, lorsque le tribunal correctionnel des mineurs se trouve saisi selon une procédure adaptée à ce dernier, bref après l'intervention d'un juge d'instruction ou d'un juge des enfants en faisant office, il semble que, malgré la composition du tribunal, il n'y ait alors pas lieu de considérer que le procès du mineur est contraire à la Constitution.

D'autre part, le Conseil constitutionnel, reprenant une décision récente, par laquelle il avait jugé que le cumul des fonctions d'instruction et de présidence du tribunal pour enfants, par le juge des enfants, méconnaissait les exigences constitutionnelles (11), a considéré en l'espèce que le problème était le même concernant la présidence, par ce même juge, du "tribunal correctionnel des mineurs".

A l'inverse, la possibilité pour le procureur de la République, lorsqu'un mineur a antérieurement été poursuivi en application de l'ordonnance du 2 février 1945, de le faire convoquer directement par un officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants, sans instruction préparatoire, lorsqu'il a plus de seize ans et qu'il est poursuivi pour un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement, ou lorsqu'il a plus de treize ans et qu'il est poursuivi pour un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement, n'est pas contraire à la Constitution. Pour les juges constitutionnels, ces dispositions tiennent compte de l'âge du mineur, de la gravité des faits qui lui sont reprochés et de ses antécédents, ce qui conduit d'autant moins à un déséquilibre avec la nécessaire protection de l'ordre public que ladite procédure ne peut être mise en oeuvre qu'à la condition que des investigations sur les faits ne soient pas nécessaires et qu'à celle que des investigations sur la personnalité du mineur aient été accomplies au cours des douze mois précédant la convocation, le mineur étant au surplus assisté par un avocat et ses représentants légaux étant convoqués.

Le Conseil constitutionnel agrée de la sorte la consécration d'une autre recommandation de la commission "Varinard", qu'il avait pourtant censurée dans une précédente décision, concernant la "LOPPSI" (12). Il est vrai que les conditions pour recourir à cette convocation sont, désormais, un peu plus restrictives qu'alors : sont exclus de la nouvelle procédure les mineurs primo-délinquants ; ceux d'au moins treize et d'au moins seize ans n'y sont soumis que pour des infractions graves ; surtout, il est imposé que des informations aient préalablement pu être recueillies sur le mineur.

De même, selon le Conseil constitutionnel, l'obligation faite au juge des enfants ou au juge d'instruction de saisir la juridiction de jugement ne méconnaît pas le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice pénale des mineurs, car ce dispositif n'est applicable qu'aux mineurs de plus de seize ans qui ont été mis en examen par le juge des enfants ou le juge d'instruction pour des faits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement et commis en état de récidive légale.

Tel est le cas également de la possibilité, pour le procureur de la République, de requérir une césure du procès pénal -que le rapport "Varinard" préconisait également- et de faire convoquer ou comparaître directement un mineur devant le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel des mineurs, malgré le caractère insuffisant des éléments d'information sur la personnalité du mineur. Dans un pareil cas, en effet, la juridiction de jugement doit ajourner le prononcé de la mesure, de la sanction ou de la peine, notamment pour permettre que des investigations supplémentaires sur la personnalité du mineur soient réalisées. Pour le Conseil constitutionnel, il semble que la connaissance du mineur ne constitue que la condition de l'adaptation de la sanction qui sera prononcée, par celle de l'appréciation de sa culpabilité.

Au final, tout cela ne va pas sans paradoxe : alors que le Conseil constitutionnel considère que les nouvelles procédures mises en place par la loi litigieuse ne sont pas vraiment adaptées aux mineurs, il les perçoit comme conformes à la Constitution parce qu'elles n'assurent pas de déséquilibre entre cette nécessaire adaptation et la prévention tout aussi nécessaire des atteintes à l'ordre public.

Ce qui apparaît certain est que la digue a cédé pour le mineur de plus de seize ans. Il est à ce point conçu comme un majeur, désormais, que le simple fait qu'une procédure lui soit exclusivement applicable semble suffire au Conseil constitutionnel pour affirmer que celle-ci n'est pas, malgré sa similarité avec le traitement pénal des majeurs, disproportionnée et, partant, inconstitutionnelle.

Guillaume Beaussonie, MCF en droit privé, CRDP Tours (EA 2116), Laboratoire Wesford

II - La révision d'une condamnation pénale définitive

  • Annulation sans renvoi d'une condamnation pénale définitive en cas de condamnations inconciliables, les pièces de la seconde procédure établissant la preuve de l'innocence du premier condamné (Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-87.326, FS-P+B+I N° Lexbase : A3312HWL)

La révision d'une décision pénale définitive, fondée sur les articles 622 (N° Lexbase : L3995AZY) et suivants du Code de procédure pénale, s'inscrit dans la volonté de réparer une erreur sur la preuve, seule une révélation portant sur la preuve autorisant à y recourir. L'erreur visée par ce mécanisme, qui ne peut porter que sur la culpabilité elle-même (13), a donc abouti à une erreur judiciaire, c'est-à-dire à une erreur d'appréciation commise par une juridiction de jugement sur la culpabilité d'une personne poursuivie, la décision étant devenue définitive.

La procédure de révision est, "par elle-même, une voie de recours absolument exceptionnelle, admise dans un intérêt supérieur d'équité et d'humanité et permettant d'accorder, d'une part, à celui qui a été la victime innocente d'une erreur judiciaire une réparation morale et matérielle et, d'autre part, d'assurer la bonne administration de la justice en rendant libre l'exercice régulier de la répression contre le véritable coupable" (14). Elle vise à rétablir l'innocence d'une personne dont la culpabilité a été déclarée à tort par une juridiction, l'inverse, c'est-à-dire l'établissement de la culpabilité d'une personne relaxée ou acquittée par erreur, étant interdit sur ce fondement (15). Remise en cause de l'autorité de la chose jugée, qui ne se justifie plus dès lors que la décision litigieuse a perdu son caractère incontestable (16), la révision est fortement encadrée par le Code de procédure pénale.

En l'espèce, un homme est condamné le 29 mai 2007 par la cour d'appel d'Angers pour des faits d'agression sexuelle, de vol et d'escroquerie. La victime l'a formellement identifié et, double manque de chance pour lui, non seulement l'homme ressemble fortement au portrait-robot dressé mais il a aussi vécu, autrefois, dans le quartier de l'agression. Relaxé en première instance, il est condamné en appel. Un an plus tard, une instruction est ouverte à l'encontre d'un autre homme qui reconnaît les faits pour lesquels le premier a déjà été condamné et qui fournit des explications circonstanciées. A son tour reconnu par la victime, il est alors, lui aussi, condamné définitivement pour ces faits.

C'est le deuxième des quatre cas de révision, ouvert en cas de condamnations inconciliables, qui a permis au premier condamné de solliciter la révision de sa condamnation. Ce cas, prévu par l'article 622, 2° du Code de procédure pénale, n'est pas susceptible de générer de fréquentes révisions, puisqu'il autorise celles-ci lorsque, "après une condamnation pour crime ou délit, un nouvel arrêt ou jugement a condamné pour le même fait un autre accusé ou prévenu et que, les deux condamnations ne pouvant se concilier, leur contradiction est la preuve de l'innocence de l'un ou de l'autre condamné" (17). Bref, deux personnes -ou plus- se sont vues condamner pour les mêmes faits alors que ces derniers ne pouvaient avoir été commis que par l'une ou par l'autre. Quelques exemples jurisprudentiels existent, comme celui d'un individu condamné pour vol, refus d'obtempérer et violences légères malgré ses dénégations et qui a pu demander l'annulation de sa condamnation après la condamnation des deux véritables auteurs des faits, qui les avaient reconnus et les avaient commis seuls (18).

La présente affaire en est une nouvelle illustration. En l'espèce, la Cour de cassation siégeant comme cour de révision, a décidé le 20 juillet 2011 d'annuler sans renvoi la condamnation de l'homme initialement condamné pour les faits d'agression sexuelle, de vol et d'escroquerie, les pièces de la seconde procédure établissant la preuve de son innocence.

Le recours en révision est-il un mécanisme suffisant pour réparer les erreurs sur la preuve ? Les annulations par la Cour de révision sont peu fréquentes eu égard au nombre de recours déposés devant la Commission de révision (19). On peut regretter l'inégalité dans les degrés de la suspicion d'erreur requise pour entrer dans l'un des quatre cas de révision. En effet, dans le premier cas, la loi impose des indices suffisants, soit une vraisemblance d'innocence. Dans le deuxième, elle exige une certitude, puisque la contradiction entre les décisions de culpabilité doit être la preuve de l'innocence de l'un des condamnés. Le troisième cas ne précise rien, se contentant d'une condamnation pour faux témoignage, quel qu'ait été le rôle de ce dernier mode de preuve dans la procédure litigieuse. Enfin, le quatrième cas requiert un doute, donc une simple possibilité d'innocence. Or, "cette gradation, peu logique, devrait céder en faveur du simple doute, dans chaque cas, par la force d'attraction du quatrième qui, en réalité, englobe les trois autres" (20). Néanmoins, les trois premiers cas d'ouverture correspondent à des hypothèses d'erreur précises et le degré de suspicion attendu est simplement en correspondance avec l'hypothèse concernée. De toute façon, la force d'attraction du quatrième cas, évoquée par certains auteurs (21), gomme les éventuels désagréments liés à ces divergences. Cette force d'attraction constitue d'ailleurs l'une des plus grandes vertus du système de révision. En effet, grâce à sa généralité, il semble pouvoir englober toutes les hypothèses pertinentes qui pourraient permettre de mettre en évidence une erreur judiciaire. Précisons, en outre, que l'une des autres qualités de la procédure de révision est de prévoir le droit à réparation intégrale du préjudice causé par l'erreur (22), conformément aux exigences de l'article 3 du protocole n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

La procédure de révision prévue par le Code de procédure pénale apparaît donc apte à satisfaire son objectif. Elle va au-delà de la procédure de révision organisée par le Code de procédure civile (23) où le pourvoi en révision n'est autorisé qu'à la condition que l'une des parties ait volontairement trompé le juge, une telle exigence ne s'imposant que dans certains cas d'ouverture à révision au pénal. Il est aisé d'en déduire que la vérité importe davantage que la stabilité des décisions de justice au pénal, alors que cette dernière cède plus difficilement devant la vérité au civil.

Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920)

III - L'attribution limitée du pouvoir de décider d'un supplément d'information

  • Des investigations complémentaires décidées à l'audience constituent un supplément d'information auquel seul le juge de proximité peut procéder (Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-83.846, F-P+B N° Lexbase : A3311HWK)

A la demande des parties ou d'office, un tribunal peut s'estimer insuffisamment éclairé pour juger un dossier et considérer qu'un supplément d'information est nécessaire. Cette possibilité existe devant les différentes juridictions de jugement, selon des modalités assez proches (24), la cour ou le tribunal appréciant souverainement l'utilité de la mesure (25). D'ailleurs, à peine d'une contradiction ou d'une insuffisance de motifs, la juridiction ne peut énoncer que la mesure complémentaire était nécessaire, et trancher sans l'avoir ordonnée (26).

Devant le tribunal de police et le juge de proximité, c'est l'article 538 du Code de procédure pénale qui énonce que "s'il y a lieu à supplément d'information, il y est procédé par le juge du tribunal de police ou par le juge de proximité [...]". Ainsi, à la différence de la procédure suivie en un tel cas devant la Cour d'assises et devant le tribunal correctionnel, où il est alors en principe procédé aux investigations par commission rogatoire, devant les juridictions contraventionnelles, ce sont les magistrats concernés qui doivent procéder eux-mêmes aux investigations.

En l'espèce, le prévenu renvoyé devant le juge de proximité pour inobservation, par conducteur, de l'arrêt absolu imposé par un panneau "stop", contestait l'existence du carrefour où il était supposé avoir commis l'infraction. Le ministère public avait sollicité le renvoi de l'affaire à une audience ultérieure afin de procéder aux vérifications nécessaires. A l'audience de renvoi, il avait produit les investigations complémentaires, que ni le premier juge, ni la juridiction d'appel, n'avaient accepté d'annuler, sanction sollicitée par le prévenu.

Quel était le statut de ces éléments de preuve complémentaires ? Le parquet avait-il le droit de les diligenter à ce stade de la procédure, puis de les produire à l'audience ?

Selon les tenants de la régularité de la procédure, il s'agissait d'un simple complément d'enquête, l'arrêt d'appel jugeant que le ministère public n'avait pas été dessaisi de la procédure par la signature du mandement de citation ni par la délivrance de cet acte au prévenu, ce qui impliquait la légalité des investigations ainsi réalisées. En revanche, selon le prévenu, il s'agissait d'un supplément d'information, auquel seul le juge de proximité lui-même pouvait procéder en vertu de l'article 538 précité.

C'est précisément pour cette seconde interprétation que se prononce la Chambre criminelle par l'arrêt en date du 20 juillet 2011.

La qualification de "complément d'enquête" présentait l'avantage de libérer les actes concernés du cadre légal contraignant, et de sauver la procédure. Néanmoins, dans la mesure où une disposition expresse règlemente l'hypothèse d'investigations supplémentaires au stade de l'audience, il était conforme au principe de légalité d'appliquer celle-là, par préférence à une mesure non règlementée. Hormis celle-ci, qui cependant se suffit, on peut trouver d'autres explications à la solution retenue par la Cour de cassation.

En effet, le parquet n'est supposé saisir la juridiction de jugement qu'une fois le dossier en état d'être jugé, l'espèce révélant que, finalement, tel n'était peut-être pas le cas. Une fois le dossier transmis à la juridiction de jugement, il ne lui appartient plus de revenir sur cette décision au motif qu'il réalise que la preuve est insuffisamment rapportée.

En outre et surtout, la loi prévoit, dans l'hypothèse du supplément d'information, l'application de plusieurs dispositions dont le rôle est de protéger les droits de la défense. Ainsi, l'article 538 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8173G7T) renvoie aux articles 114 (N° Lexbase : L8632HWM), 119 (N° Lexbase : L5537DYQ), 120 (N° Lexbase : L0932DY8) et 121 (N° Lexbase : L3471AZL), qui organisent les droits de la défense du suspect et l'organisation du contradictoire en cas d'interrogatoire ou de confrontation. Même si, en l'espèce, aucune de ces mesures probatoires n'était nécessaire, la qualification de "complément d'enquête" choisie au détriment de celle de "supplément d'information" aurait eu pour effet d'éluder ces mesures protectrices si elles avaient pu trouver application. Or, si au stade de l'enquête de police, le suspect est particulièrement mal loti en terme de droits, une fois la procédure renvoyée devant la juridiction de jugement, il dispose enfin de prérogatives réelles en tant que partie à la procédure.

La procédure suivie en l'espèce ne pouvait qu'être censurée.

Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920)

IV - Le rappel de la valeur des règles de compétence

  • Aurait dû se déclarer incompétente d'office une cour d'appel, car les faits poursuivis étaient de nature criminelle (Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-83.763, F-P+B N° Lexbase : A3313HWM)

Le cas est simple : alors qu'un individu est poursuivi pour des faits de nature criminelle, en l'occurrence un faux commis dans une écriture publique par un officier de l'état civil, c'est devant le tribunal correctionnel qu'il est directement cité par le procureur de la République, puis condamné. Saisie à son tour, la cour d'appel se contente de confirmer la décision de première instance, sans constater un problème de compétence que nul ne soulève alors.

Ce n'est donc que devant la Cour de cassation que la question de la compétence est mise en avant par le prévenu (en réalité accusé), la cour rappelant solennellement que les règles de compétence ont un caractère d'ordre public, nul ne pouvant ainsi y déroger. Pour cette raison, il n'est pas nécessaire qu'un requérant mette lui même la question dans la cause, toute juridiction pénale étant tenue de constater d'elle-même son éventuelle incompétence.

En creux, c'est la pratique de la correctionnalisation judiciaire qui est ici condamnée par la Cour de cassation, seul le législateur ayant le pouvoir d'autoriser qu'un crime soit jugé sous une qualification délictuelle et, conséquemment, par une juridiction correctionnelle (27).

Guillaume Beaussonie, MCF en droit privé, CRDP Tours (EA 2116), Laboratoire Wesford


(1) Loi n° 2011-939, du 10 août 2011 (N° Lexbase : L9731IQH).
(2) Cet article prévoyait que le placement sous surveillance électronique mobile devait être ordonné, soit par une décision spécialement motivée du tribunal correctionnel, soit, s'agissant de la cour d'assises, dans des conditions de majorité qualifiée.
(3) Voir, par exemple, notre étude : Les regroupements de contentieux fondés sur la gravité du contentieux : terrorisme et criminalité organisée, in La spécialisation des juges, coll. IFR Toulouse, PUSS, LGDJ, à paraître en 2011.
(4) Voir, à cet égard, les observations de Madeleine Sanchez : Chronique de procédure pénale - juillet 2011, Lexbase Hebdo n? 450 du 28 juillet 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7203BSL).
(5) Voir Cons. const., décision n° 2003-466 DC, du 20 février 2003, cons. n° 4 (N° Lexbase : A0567A77) ; Cons. const., décision n° 2004-510 DC du 20 janvier 2005, cons. n° 16 à 18 (N° Lexbase : A1146DGK). En réalité, les prémisses de cette doctrine ont été déterminées dès 1992, à propos des conseillers et des avocats généraux à la Cour de cassation en service extraordinaire : voir Cons. const., décision n° 92-305 DC, du 21 février 1992 (N° Lexbase : A8260ACW).
(6) "Tous les Citoyens étant égaux [aux yeux de la Loi] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents".
(7) V. plus haut, note n° 4.
(8) Cons. const., décision n° 2011-113/115 QPC, du 1er avril 2011 (N° Lexbase : A1897HM9).
(9) Voir Cons. const., décision n° 2002-461 DC, du 29 août 2002 (N° Lexbase : A2314AZQ) ; décision n° 2003-467 DC, du 13 mars 2003 (N° Lexbase : A4715A7R) ; décision n° 2004-492 DC, du 2 mars 2004 (N° Lexbase : A3770DBA) ; décision n° 2007-553 DC, du 3 mars 2007 (N° Lexbase : A4243DUP) ; décision n° 2007-554 DC, du 9 août 2007 (N° Lexbase : A6394DX4) ; décision n° 2011-625 DC, du 10 mars 2011 (N° Lexbase : A2186G9T).
(10) Voir Adapter la justice pénale des mineurs, entre modifications raisonnables et innovations fondamentales : 70 propositions, Rapport de la commission présidée par M. André Varinard, remis au Garde des Sceaux le 3 décembre 2008, La documentation française, 2009.
(11) Cons. const., décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011 (N° Lexbase : A9354HUY).
(12) Cons. const., décision n° 2011-625 DC, du 10 mars 2011, cons. n° 34 (N° Lexbase : A2186G9T).
(13) Par exemple, l'erreur sur le choix de la peine, qui apparaîtrait avec la découverte de faits nouveaux, est indifférente.
(14) Cass. crim., 22 janvier 1898, DP, 1900, I, 142 (2ème esp.). Voir aussi Cass. crim., 31 avril 1909, Bull. crim., n° 416, DP, 1912, I, 79 ; Cass. crim., 31 juillet 1913, Bull. crim., n° 381, DP, 1915, I, 134.
(15) Certains pays européens admettent, dans une certaine mesure, la révision in defavorem, comme l'Autriche, l'Allemagne et plus récemment l'Angleterre, qui font alors référence non pas au "recours en révision", mais à la "réouverture du procès" ou à l'"appel sur charges nouvelles".
(16) Dans ce sens, voir notre thèse, Contribution à l'étude de la preuve pénale, Toulouse I - Capitole, 2010, n° 405 et s..
(17) C. proc. pén., art. 622, 2°.
(18) Cass. crim., 5 novembre 1987, n° 87-80.662 (N° Lexbase : A2482CGZ), Bull. crim., n° 392. La première condamnation, erronée, a été annulée sans renvoi, la prescription de l'action publique empêchant la réouverture des débats.
(19) Pour des données statistiques, voir H. Angevin, Demandes en révision, J.-Cl. Procédure pénale, art. 622 à 626, Fasc. 20, n° 15 et n° 16.
(20) P. Conte et P. Maistre du Chambon, Procédure pénale, coll. U, A. Colin, 2002 (4ème éd.), n° 657.
(21) Voir la référence précédente.
(22) C. proc. pén., art. 626, al. 1er (N° Lexbase : L4000AZ8).
(23) C. proc. pén., art. 595 (N° Lexbase : L3979AZE).
(24) C. proc. pén., art. 283 (N° Lexbase : L3675AZ7), devant la cour d'assises ; C. proc. pén., art. 463 (N° Lexbase : L9942IQB), devant le tribunal correctionnel ; et C. proc. pén., art. 538 (N° Lexbase : L8173G7T), devant le tribunal de police et le juge de proximité.
(25) Voir, par exemple, Cass. crim., 22 mars 1960, D., 1960, juris. p. 689 ; Cass. crim., 9 février 1961, Bull. crim., n° 86.
(26) Cass. crim., 17 juillet 1973, n° 72-92.221 (N° Lexbase : A8852CHC), Bull. crim., n° 332 ; Cass. crim., 19 juin 1979, Bull. crim., n° 215 ; Cass. crim., 28 mars 2007, n° 06-80.227, inédit (N° Lexbase : A4839HXI).
(27) Ce cas de figure existe : voir C. proc. pén., art. 469, al. 4 (N° Lexbase : L3713IGM).

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