La lettre juridique n°163 du 14 avril 2005 : Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Les conséquences procédurales de la reconnaissance d'une "base fixe" en France

Réf. : CE 9° et 10° s-s., 30 mars 2005, n° 230053, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. Vilatte (N° Lexbase : A4313DH9)

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par F. G. D. B.

le 07 Octobre 2010

Le 30 mars 2005, le Conseil d'Etat apportait une nouvelle illustration de l'appréciation de la notion de "base fixe" inscrite au sein de la plupart des conventions fiscales internationales et confirmait, en outre, l'application aux non-résidents de la procédure d'évaluation d'office. En effet, le Haut conseil rejette le pourvoi d'un contribuable résidant en Grande-Bretagne, en précisant, d'une part, "qu'un local parisien [...] effectivement utilisé pour recevoir des clients [...] doit [...] être regardé comme une base fixe au sens des stipulations de la convention fiscale franco-britannique" ; et ce, d'autant plus, que ce non-résident détient "un compte bancaire domicilié à cette adresse sur lequel était versée une partie de ses honoraires provenant de son activité en France". D'autre part, les Hauts magistrats confirment une solution, déjà implicitement admise par les juges du fonds, selon laquelle "la procédure [d'évaluation d'office], s'applique indistinctement à l'ensemble des contribuables qui doivent, en vertu des textes en vigueur, acquitter une imposition en France, qu'ils soient résidents ou non-résidents régis par les stipulations d'une convention fiscale bilatérale". Ce faisant, le Conseil d'Etat , en appliquant, au cas d'espèce, le concept "flou" de "base fixe" précise à nouveau les obligations déclaratives attachées à l'exercice d'une activité non-commerciale en France par un non-résident (1). Par ailleurs, il fixe les contours des obligations de l'administration avant la mise en oeuvre de la procédure de rectification d'office d'un non-résident (2).

1. Une nouvelle illustration jurisprudentielle de la notion conventionnelle de "base fixe"

La "base fixe" est le critère d'imposition des activités non-commerciales le plus répandu au sein du corpus des conventions fiscales bilatérales auxquelles la France est partie. Pour cause, c'est le modèle OCDE qui, en 1959, introduit ce concept afin de le distinguer de celui, plus connu, "d'établissement stable", aujourd'hui, associé aux revenus industriels et commerciaux. Toutefois, une fois cette distinction opérée, il restait à déterminer ce qui caractérisait intrinsèquement une "base fixe". Le commentaire n° 4 du Comité des affaires fiscales de l'OCDE précise, ainsi, qu'il s'agit d'un "centre d'activités présentant certains caractères de fixité et de permanence". Dans le même sens, l'administration fiscale française tend à rapprocher cette notion de celle "d'installation professionnelle permanente" mentionnée à l'article 182 B du CGI afférent à la retenue à la source : ainsi, sous réserve des dispositions des conventions internationales, les bénéfices non commerciaux versés pour une activité déployée en France sont imposables en France lorsqu'ils sont rattachables à une installation professionnelle permanente en France ou lorsque le débiteur de ces produits y exerce une activité (Doc. adm. 4 H 1413, du 1er mars 1995, n° 53). Mais, la documentation administrative demeure, parfois, ambiguë sur ce concept en précisant, par ailleurs, que, pour les personnes exerçant une activité non salariée, il convient de rechercher si elles ont en France un point d'attache fixe, un établissement stable ou une exploitation et si la majeure partie de leurs profits s'y rattache (Doc. adm. 5 B 1121, du 1er septembre 1999, n° 13). En conséquence, la définition de la "base fixe" demeure assez "floue" et s'apprécie volontiers à l'orée de la jurisprudence (Guy Gest et Gilbert Tixier, Droit fiscal international, PUF, 2ème éd., p. 235).

Dans l'espèce ici rapportée, un contribuable exerçait sa profession d'avocat en Angleterre et en France. Toutefois, ayant le siège de son activité professionnelle en Grande-Bretagne, il était considéré comme résident fiscal de ce pays, même s'il disposait, par ailleurs, pendant les exercices concernés et pour les besoins de ses relations professionnelles avec des clients français, d'un bureau situé dans le ressort du centre des impôts de Paris Ouest. Enfin, il détenait un compte bancaire domicilié à cette adresse, sur lequel était versée une partie de ses honoraires provenant de son activité exercée en France. Aussi, à la lumière de la définition esquissée précédemment et de la jurisprudence déjà publiée sur cette notion, le Haut conseil a jugé que ce local parisien était effectivement utilisé pour recevoir les clients et constituait, ainsi, une base fixe d'imposition en France des revenus français de l'activité d'avocat.

On notera que le juge administratif avait, déjà, reconnu la qualification de "base fixe" à un domicile professionnel dans les locaux de la Chambre française de commerce et d'industrie en Algérie, incluant la mise à disposition d'un bureau avec secrétariat et usage de la ligne téléphonique pour un agent commercial (CAA Marseille, 3ème ch., 16 mars 2003, n° 99MA00858, M. ou Mme Nicolas Kloranis c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A8268DAH) ; à un local parisien, où étaient entreposés le matériel et l'équipement nécessaires à l'activité de styliste-conseil (CE Contentieux, 1er octobre 2001, n° 214463, Mme de Solages c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4413AWD) ; ou plus généralement, à un local jouant un rôle déterminant pour la réalisation des opérations génératrices des revenus imposables (CAA Lyon, 4ème ch., 6 avril 1993, n° 92LY00029, Giudice c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Mentionné dans les tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A9318BET). C'est sur la base de cette définition large de la "base fixe" que les juges de Paris ont conclu à l'existence d'une telle base située en France, en constatant que la plupart des factures et des correspondances professionnelles d'un contribuable étaient établies à Paris, à destination d'entreprises situées en majorité en France, et qu'en outre, le règlement de la quasi-totalité de ses honoraires avait été effectué sur ses comptes bancaires français (CAA Paris, 2ème ch., 1er mars 2001, n° 96PA02923, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. Bernard Lacroix N° Lexbase : A7268BHN). Entre centre des intérêts professionnels, des intérêts économiques, établissements stables, point fixe et installation professionnelle permanente, le juge apprécie au cas par cas la notion de "base fixe".

Reconnaissant l'existence d'une base fixe en France, le Conseil d'Etat, au travers de l'arrêt du 30 mars dernier, poursuit son raisonnement et applique au non-résident les dispositions de l'article 40 A de l'annexe III au CGI et non celle de l'article 01 de l'annexe IV du même code . Ainsi, tout non-résident qu'il soit, un contribuable qui dispose d'une base fixe en France pour exercer une activité non commerciale, indépendante ou libérale doit, sur la base de l'article 170 du CGI (N° Lexbase : L9310G7X), comme les résidents français, déclarer les revenus ainsi perçus au centre des impôts, dont dépend le lieu d'exercice de cette activité et non "rue d'Uzès", où se situe le centre des impôts des non-résidents.

Aussi, dès lors que les obligations déclaratives associées à l'exercice d'une activité d'avocat, d'architecte, d'agent commercial, de styliste ou de géomètre... bref, d'une activité indépendante ou libérale (à l'exclusion des professionnels du spectacle et des sportifs - CAA Paris, 5ème ch., 19 avril 2004, n° 00PA02248, M. Charles Aznavour c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1026DEQ), par le truchement d'une base fixe en France, sont identiques à celles exercées par un résident français, on comprend que le juge administratif entende appliquer aux contribuables non-résidents, mais imposables en France à raison de certains revenus non-commerciaux, l'ensemble des dispositions relatives au contrôle fiscal, au nombre desquelles figure la procédure d'évaluation d'office.

2. L'application aux non-résidents de la procédure de rectification d'office

Le deuxième enseignement de l'arrêt ici rapporté ne fait que confirmer une position, somme toute logique, et déjà implicitement admise par les juges du fonds (CAA Paris, 3e ch., 27 février 1996, n° 92PA00540, Uhlrich c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Mentionné dans les tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A0056AXD ; CAA Marseille, 3ème ch., 28 février 2002, n° 98MA01045, M. Alain Corellou c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4638AZS), à savoir que la procédure prévue à l'article L. 73 du LPF (N° Lexbase : L1388DP4) s'applique indistinctement à l'ensemble des contribuables qui doivent, en vertu des textes en vigueur, acquitter une imposition en France, qu'ils soient résidents ou non-résidents. Par conséquent, les dispositions du 2° de l'article L. 73 ne méconnaissent pas le principe général de non-discrimination entre résidents des divers Etats membres de l'Union européenne figurant à l'article 12 du Traité CE .

Rappelons qu'au cas particulier, malgré plusieurs mises en demeure, le contribuable n'avait déposé, dans le délai légal, aucune des déclarations relatives aux revenus tirés de l'activité qu'il avait exercée à partir de la base fixe, dont il disposait en France. Dès lors, l'administration était fondée à mettre en oeuvre à son encontre la procédure d'imposition d'office.

C'est sur la constatation de ce défaut déclaratif que le contribuable a fait l'objet d'une procédure d'office et non sur l'hypothèse d'une opposition au contrôle fiscale ou sur celle d'un défaut de désignation d'un représentant en France, comme le laisse supposer les moyens avancés par le contribuable.

Sur ce dernier point, l'arrêt précise que "la circonstance que les mises en demeure de l'administration fiscale lui auraient été adressées en France et non pas en Angleterre n'est pas de nature à remettre en cause leur régularité, dès lors qu'il résulte [que le contribuable non-résident] doit être regardé comme ayant disposé d'une base fixe en France". En outre, il résulte des termes mêmes de l'article 164 D du CGI que l'administration n'était pas tenue de demander au contribuable non-résident la désignation d'un représentant en France, celle-ci ne demeurant qu'une possibilité offerte à l'administration. Toutefois, en raison de l'intérêt pratique de cette mesure, la doctrine administrative recommande à ces agents, d'inviter, dans tous les cas, les intéressés à procéder à la désignation d'un représentant en France (Doc. adm. 5 B 7125, du 1er juillet 1997). Mais, cette recommandation ne peut dépasser le terme même de la loi qui ne rend pas obligatoire cette désignation. On comprend, dès lors, la frustration du contribuable non-résident qui voyait bien la procédure de rectification orchestrée à son encontre annulée pour défaut de respect des modalités d'envoi des mises en demeures à l'adresse d'un représentant, qui aurait dû être désigné sur demande de l'administration, comme ce fut le cas dans une des affaires précédemment citées (CAA Marseille, 3ème ch., 28 février 2002, n° 98MA01045, M. Alain Corellou c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie).

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