La lettre juridique n°163 du 14 avril 2005 : Procédures fiscales

[Jurisprudence] Fraude fiscale : une procédure à suivre à la lettre !

Réf. : Cass. crim., 9 mars 2005, n° 04-81.460, Koralewski Jean-Rémy c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, F-P+F (N° Lexbase : A4601DHU)

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par S. D.

le 07 Octobre 2010


Un arrêt en date du 9 mars 2005, rendu par la Cour de cassation, illustre parfaitement les difficultés rencontrées par les juges du fond lorsqu'il s'agit, pour eux, de se prononcer sur un délit de fraude fiscale. En l'espèce, un contribuable, actionnaire majoritaire d'une société, avait commis des délits de fraude fiscale et d'omission de passation d'écritures dans les documents comptables de cette société. Si les moyens soulevés devant la Cour de cassation, se bornant à remette en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que les éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis, en revanche, ils permettent, toutefois, d'analyser quelques points essentiels du régime du délit de fraude fiscale.

1. La caractérisation des éléments matériel et intentionnel de l'infraction de fraude fiscale

Le premier moyen soulevé par le requérant reprochait à la cour d'appel de Bordeaux d'avoir omis de distinguer les différents chefs de poursuites, et, partant de n'avoir pas caractérisé les éléments matériel et intentionnel de chaque infraction.

Aux termes des dispositions de l'article 1741 du CGI , le délit de fraude fiscale consiste dans le fait de se soustraire frauduleusement ou de tenter de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts régis par le CGI. La preuve du caractère intentionnel de cette infraction est expressément exigée par l'article L. 227 du LPF (N° Lexbase : L8326AE4). Toutefois, et conformément au principe général de droit pénal selon lequel tout accusé est présumé innocent, il appartient aux parties poursuivantes, à savoir au ministère public et à l'administration fiscale, de rapporter la preuve de la participation personnelle du prévenu et du caractère intentionnel de ses agissements. A cette fin, ils disposent de tous les modes de preuve susceptibles de former l'intime conviction du juge, le principal étant d'établir que l'auteur a agi volontairement ou sciemment (Cass. crim., 10 janvier 1994, n° 93-80.599, Morel Jean-Pierre c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3641AZU).

Les personnes punissables de ce délit sont, bien évidemment, les auteurs principaux de la fraude qui, pour les personnes physiques, sont les contribuables eux-mêmes et, dans le cas des personnes morales, les dirigeants de droit (Cass. crim., 13 mars 1997, n° 96-81.081, Thirion Edgard N° Lexbase : A1132ACW) ou de fait ayant commis l'infraction, mais aussi leurs complices, c'est-à-dire les personnes qui se sont sciemment associés à l'infraction par provocation, instruction, fourniture de moyens, aide ou assistance .

Il est à noter que la Cour de cassation s'est souvent prononcée pour une responsabilité "quasi-automatique" des dirigeants de sociétés (Cass. crim., 14 novembre 1994, n° 93-81.294, Reumaux Emmanuel c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2581AZM). Pourtant, dans une décision en date de 1982, elle avait jugé que la responsabilité du chef d'entreprise ne pouvait être déduite de la seule qualité de dirigeant légal, alors que le prévenu alléguait qu'il n'avait jamais exercé effectivement les fonctions de gérant (Cass. crim., 21 juin 1982, n° 81-93586, Santini c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, publié au bulletin, Cassation partielle N° Lexbase : A4313CIL). En l'espèce, le requérant reprochait aux juges d'appel d'avoir considéré que la qualité d'actionnaire majoritaire ou de "fondé de pouvoir" suffisait à caractériser une quelconque gestion de fait.

Quant au délit d'omission d'écritures ou de passation d'écritures inexactes ou fictives prévu à l'article 1743-1° du CGI , il constitue une infraction distincte du délit de fraude fiscale, lorsqu'il est poursuivi principalement. En conséquence, ce délit est caractérisé, dès lors que se trouvent réunis ses éléments constitutifs propres, sans qu'il soit nécessaire que son auteur ait poursuivi la réalisation d'une fraude fiscale. Autrement dit, seule doit être établie l'intention du prévenu d'omettre de passer des écritures ou passé ou fait passer, des écritures inexactes ou fictives (Cass. crim., 28 novembre 1994, n° 93-85865, Ivars Jean-Michel c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, publié au bulletin, Rejet N° Lexbase : A3890CKB).

2. Le respect du principe de l'indépendance de la procédure pénale et de la procédure administrative

Le second moyen invoqué était afférent au principe d'indépendance des instances fiscales et pénales. Selon celui-ci, la cour d'appel avait refusé, au cas d'espèce, d'examiner les pièces et les documents fournis par le prévenu pour démontrer l'existence d'une comptabilité régulière et l'absence d'obligation de déclarer tel ou tel revenu, au motif que ces éléments n'auraient pas été produits au cours de l'instance fiscale. Or, s'il est vrai qu'il n'appartient pas au juge pénal de faire le calcul de l'impôt (il peut néanmoins, apprécier, dans certains cas, si le prévenu à la qualité d'assujetti au regard de la TVA ou bien la qualité de résident français, voir pour exemple, Cass. crim., 29 mars 1989, n° 87-81891, Rey Pierre c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, publié au bulletin, rejet N° Lexbase : A4201CKS), il doit principalement veiller à relever l'élément intentionnel constitutif du délit (Cass. crim., 29 mars 1989, n° 87-81891, Rey Pierre c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, précité). Il convient, donc, aux juridictions judiciaires, de vérifier l'existence des délits reprochés, en faisant porter leur examen sur l'intégralité des pièces et éléments recueillis au cours de la procédure, aussi bien durant sa phase fiscale que pénale.

3. Les conséquences de l'entrée en vigueur des dispositions visant la contrainte judiciaire au 1er janvier 2005

Enfin, concernant la contrainte par corps, élément notable de la procédure et point non contesté par le requérant, il convient de noter que la cour d'appel de Bordeaux a bien appliqué la législation en vigueur au moment du prononcé de sa décision. En effet, l'article L. 272 du LPF (N° Lexbase : L3930AL7) prévoyait l'application des dispositions du titre VI du livre V du Code de procédure pénale relatives à la contrainte par corps à l'encontre des personnes condamnées, à titre d'auteurs principaux ou de complices, du chef de fraude fiscale ou bien d'omission de passation d'écriture. Cette contrainte n'était pas une peine, mais une voie d'exécution, consistant, selon les termes mêmes de la doctrine fiscale, en l'incarcération d'une personne afin de l'obliger à payer une somme qu'elle devait au Trésor public en exécution d'une condamnation pénale (circulaire AP 98-03 GA3 du 19 mars 1998).

Toutefois, cette disposition ayant été jugée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) non conforme à l'article 7 de Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4797AQQ), au motif qu'une telle sanction revêtait le caractère d'une peine, laquelle ne pouvait être ordonnée que par un juge (CEDH, 8 juin 1995, req. 11/1994/458/539, Jamil c/ France N° Lexbase : A6664AWQ), la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8) l'a remplacé par la contrainte judiciaire.

Contrairement à la contrainte par corps, ce n'est qu'en cas d'inexécution volontaire de condamnations à des amendes fiscales ou douanières, que le juge de l'application des peines, et non plus le procureur de la République, peut ordonner une contrainte judiciaire consistant en un emprisonnement, dont la durée est fixée par ce magistrat dans la limite d'un maximum fixé par l'article 750 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5713DYA). Par ailleurs, il convient de souligner, qu'en application des dispositions de l'article 752 du même code (N° Lexbase : L5715DYC), la contrainte judiciaire ne peut être prononcée contre les condamnés qui, par tout moyen, justifient de leur insolvabilité (pour davantage d'informations relatives au régime de la contrainte judiciaire, lire Jean-Marc Priol, Réformation de la contrainte par corps par son remplacement par la contrainte judiciaire : histoire d'une mutation, Lexbase Hebdo n° 130, du 21 juillet 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N2397ABE).

Enfin, la loi du 9 mars 2004 a remarquablement bien aménagé les conséquences de l'entrée en vigueur de la contrainte judiciaire fixée au 1er janvier 2005. En effet, aux termes de son article 207, les affaires pendantes à cette date devant les juridictions nationales doivent être transférées devant les chambres de l'application des peines des cours d'appel compétentes. C'est, d'ailleurs, pourquoi la Haute assemblée a censuré, en l'espèce, la décision de la cour d'appel de Bordeaux, au motif que celle-ci n'avait pas acquis force de chose jugée avant le 1er janvier 2005. En revanche, les contraintes par corps en cours à cette date doivent s'exécuter jusqu'à leur terme au grand dam des contribuables, déjà, condamnés.

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