La lettre juridique n°917 du 22 septembre 2022

La lettre juridique - Édition n°917

Avocats/Déontologie

[Brèves] Incompatibilité de la qualité de mandataire judiciaire avec la profession d'avocat : conformité à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2022-1008 QPC, du 5 août 2022 N° Lexbase : A60938DZ

Lecture: 3 min

N2452BZT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/88283358-edition-n-917-du-22092022#article-482452
Copier

par Marie Le Guerroué

Le 22 Septembre 2022

► Le premier alinéa de l'article L. 812-8 du Code de commerce, qui prévoit que la qualité de mandataire judiciaire est incompatible avec l'exercice de toute autre profession, est conforme à la Constitution.

QPC. La question prioritaire de constitutionnalité portait sur le premier alinéa de l'article L. 812-8 du Code de commerce (Cass. QPC, 9 juin 2022, n° 22-40.008, FS-D N° Lexbase : A265477G ; lire déjà, M. Le Guerroué, Le Conseil constitutionnel se prononcera sur l’interdiction pour un mandataire judiciaire d'exercer la profession d'avocat, Lexbase Avocats, juillet 2022 N° Lexbase : N1928BZG). Ces dispositions prévoient que la qualité de mandataire judiciaire inscrit sur la liste nationale établie à cet effet est incompatible avec l'exercice de toute autre profession. Il en résulte que les mandataires judiciaires ne peuvent exercer la profession d'avocat, à la différence des administrateurs judiciaires qui, en vertu de l'article L. 811-10 du même Code N° Lexbase : L2725LBK, ne peuvent exercer aucune autre profession à l'exception de celle d'avocat. Le requérant en faisait le reproche devant le Conseil constitutionnel. Ces dispositions institueraient ainsi, selon lui, une différence de traitement injustifiée entre les mandataires judiciaires et les administrateurs judiciaires dès lors que leurs conditions d'exercice et d'organisation seraient similaires. Elles porteraient, en outre, une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, au motif que d'autres mesures moins restrictives permettraient de lutter contre les risques de conflits d'intérêts.

Réponse du Conseil constitutionnel. En application de l'article L. 812-1 N° Lexbase : L2074KGW du même Code, les mandataires judiciaires sont chargés de représenter les créanciers du débiteur en difficulté ou d'intervenir en qualité de liquidateur dans le cadre des procédures collectives. Une telle profession est distincte de celle d'administrateur judiciaire chargé, en application de l'article L. 811-1 N° Lexbase : L2073KGU du même Code, d'administrer les biens d'autrui ou d'exercer des fonctions d'assistance ou de surveillance dans leur gestion et qui représente, à ce titre, les intérêts du débiteur dans le cadre d'une procédure collective. Ainsi, au regard de l'objet de la loi, qui est de définir le régime d'incompatibilités d'une profession pour assurer son indépendance, l'entière disponibilité du professionnel et prévenir les conflits d'intérêts, le législateur a pu, selon le Conseil constitutionnel, prévoir pour les mandataires judiciaires des règles différentes de celles applicables aux administrateurs judiciaires. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l'objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.

Conformité. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté d'entreprendre ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, selonn les Sages, être déclarées conformes à la Constitution.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les incompatibilités afférentes à l'exercice de la profession d'avocatLes incompatibilités généralesin La profession d’avocat, (dir. H. Bornstein), Lexbase N° Lexbase : E33163RA.

 

newsid:482452

Bancaire

[Jurisprudence] TEG erroné : rappel des obligations du banquier et sanctions applicables

Réf. : Cass. civ. 1, 7 septembre 2022, n° 21-16.646, F-B N° Lexbase : A18868HC

Lecture: 8 min

N2613BZS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/88283358-edition-n-917-du-22092022#article-482613
Copier

par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences HDR, Université de Strasbourg

Le 21 Septembre 2022

Mots-clés : taux effectif global (TEG) • coût de l’assurance • TEG erroné • sanction • substitution du taux légal • déchéance du droit aux intérêts    

La banque doit s’informer auprès du souscripteur du coût de l’assurance avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entre impérativement.

Par ailleurs, la demande en annulation d’une stipulation d’intérêts avec substitution du taux légal tend aux mêmes fins que celle en déchéance du droit aux intérêts dès lors qu’elles visent à priver le prêteur de son droit à des intérêts conventionnels. Il est donc possible pour l’emprunteur de demander en appel la seconde sanction, alors que devant les premiers juges il avait demandé la première.


 

Le taux effectif global (TEG) reflète le « coût réel » du crédit. Il comprend nécessairement les intérêts conventionnels, auxquels s’ajoute l’ensemble des frais dont la dépense est rendue nécessaire pour l’obtention du crédit, du moment que ceux-ci sont déterminables au jour de l’offre.

Il est cependant bien connu que, depuis plusieurs années, la première chambre civile de la Cour de cassation se montre particulièrement rigoureuse à l’égard des actions menées par les clients pour des manquements liés au taux effectif global, et notamment son caractère erroné. Les magistrats refusent ainsi, depuis 2014, toute action en justice si la différence (c’est-à-dire l’écart) entre le taux annoncé et le taux réel est inférieure à une décimale [1].

Pour autant, toutes les décisions rendues en la matière ne sont pas hostiles à l’emprunteur. L’arrêt rendu le 7 septembre 2022 par cette même première chambre civile en témoigne.

En l’espèce, par acte sous seing privé du 9 juin 2009, la société Caisse d’épargne de Bourgogne-Franche-Comté (la banque) avait consenti à la SCI Mermoz (la SCI) un prêt immobilier remboursable en deux cent quarante mensualités et au taux effectif global (TEG) de 4,70 % l’an.

Or, soutenant que ce taux était irrégulier en raison de l’absence de prise en compte des cotisations d’une assurance décès-invalidité à laquelle la banque avait subordonné l’octroi du prêt, la SCI avait assigné celle-ci en nullité de la stipulation d’intérêts et en substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel. Toutefois, en appel, elle avait demandé la déchéance du droit aux intérêts de la banque.

Deux observations s’imposent ici. D’une part, il est acquis de longue date que les frais liés à une assurance jugée obligatoire par le banquier pour pouvoir bénéficier du crédit doivent nécessairement être pris en compte pour le calcul du TEG. Cette solution s’impose de la même façon lorsqu’il s’agit des frais de souscription d’une assurance décès-invalidité [2].

D’autre part, la substitution de sanction demandée n’est pas plus surprenante. Par plusieurs arrêts remarqués, la Cour de cassation a indiqué que la seule sanction applicable au TEG erroné, quelle que soit la nature du crédit, était la déchéance du droit aux intérêts modulable par le juge [3]. Cette solution revient ainsi à appliquer de façon rétroactive la règle issue de l’ordonnance n° 2019-740, du 17 juillet 2019, relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du TEG N° Lexbase : L1483LRD [4].

En l’occurrence, la cour d’appel de Dijon s’était prononcée par un arrêt du 11 février 2021 [5] donnant objectivement raison à l’établissement de crédit.

La SCI avait alors formé un pourvoi en cassation contre ce dernier. La banque, pour sa part, avait formé un pourvoi incident.

En premier lieu, cette dernière faisait grief à l’arrêt d’avoir déclaré la SCI recevable, alors qu'à peine d’irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer la compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait, « sauf si ces nouvelles prétentions tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, ou qu'elles en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément ». Dès lors, pour le prêteur, en déclarant ici la SCI recevable, la cour d’appel aurait violé les articles 564 N° Lexbase : L0394IGP, 565 N° Lexbase : L6718H7X et 566 N° Lexbase : L7234LEN du Code de procédure civile.

La Cour de cassation ne se montre cependant pas sensible à ce moyen.

Celle-ci rappelle que selon l’article 564 du Code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer la compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Elle ajoute qu’aux termes de l’article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent. Or, pour la Haute juridiction, « la demande en annulation d'une stipulation d'intérêts avec substitution du taux légal tend aux mêmes fins que celle en déchéance du droit aux intérêts dès lors qu'elles visent à priver le prêteur de son droit à des intérêts conventionnels ». Le moyen, qui soutenait le contraire, n'est donc pas jugé fondé.

Cette solution emporte notre conviction. Ici, la substitution d’une sanction par l’autre tend, objectivement, aux mêmes fins. Ces deux sanctions sont d’ailleurs quasi-similaires lorsque, pour la déchéance du droit aux intérêts, le juge décide de la prononcer de façon pleine et entière (situation cependant peu vraisemblable aujourd’hui).

En second lieu, la SCI faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Dijon d’avoir rejeté ses demandes, alors qu'il appartient à la banque, qui subordonne l’octroi d’un crédit immobilier à la souscription d’une assurance, de s'informer auprès du souscripteur du coût de celle-ci avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entre impérativement. Dès lors, en reprochant à l’emprunteur de ne pas avoir rapporté la preuve qu’à la date de l'édition de l'offre de prêt, la banque avait connaissance du montant de la cotisation d'assurance invalidité-décès et en se retranchant derrière la circonstance que l’attestation d’assurance et le courrier de l’assureur adressés postérieurement à l'édition de l’offre en question ne donnaient aucune précision quant au coût de l'assurance invalidité-décès, « quand il incombait à l'établissement prêteur de s'enquérir de ce coût avant de déterminer le taux effectif global », la cour d'appel aurait violé, selon la SCI, les articles L. 312-8 N° Lexbase : L1354K7B et L. 313-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L3398KZY, dans leur rédaction alors applicable.

La Haute juridiction donne ici raison à ce moyen et casse la décision des juges du fond.

Elle considère en effet qu’il résulte de l’ancien article L. 313-1 du Code de la consommation, que, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels, « mais que le taux effectif global d'un prêt immobilier ne comprend pas les frais liés aux garanties qui assortissent le prêt, lorsque leur montant ne peut être connu avant la conclusion du contrat ».

Or, pour dire que le coût de l’assurance décès-invalidité n’avait pas à être inclus dans le calcul du taux effectif global, les magistrats dijonnais avaient retenu que la SCI ne rapportait pas la preuve qu'à la date de l'acte de prêt, la banque avait connaissance du montant de la cotisation d'assurance invalidité décès, que celle-ci avait produit une attestation d'assurance de prêt établie le 12 juin 2009 par l'assureur et une lettre adressée le 16 juin 2009 à la banque par l'assureur, lesquelles ne donnaient aucune précision sur le montant des primes d'assurance et que le coût de cette assurance ne pouvait être indiqué avec précision antérieurement à la signature du prêt.

Dès lors, en se déterminant ainsi, « sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la banque s’était informée auprès du souscripteur du coût de l'assurance avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entrait impérativement », la cour d'appel n’avait pas donné de base légale à sa décision.

Ici encore, la solution nous paraît convaincante. En effet, à plusieurs reprises [6], la Haute juridiction a pu déclarer que c’est au prêteur qu’il revient de démontrer que les frais concernés, non pris en compte dans le calcul du TEG, n’étaient pas déterminables au jour de la conclusion du prêt.

Une précision notable nous est donc donnée ici. Concernant les frais d’assurance, il est attendu de la banque qu’elle s’informe auprès du souscripteur à propos du montant en question. À défaut de démontrer qu’elle a agi de la sorte, elle ne pourra pas alléguer que le coût de cette assurance ne pouvait être indiqué avec précision antérieurement à la signature du prêt. Dit autrement, la banque se doit d’être active dans sa recherche. Voilà une précision bienvenue à une époque où il est de plus en plus facile d’aller cherche son assurance-emprunteur ailleurs !

 

[1] V. par ex., Cass. civ. 1, 1er octobre 2014, n° 13-22.778, F-D N° Lexbase : A7984MXY Cass. civ. 1, 26 novembre 2014, n° 13-23.033, F-D N° Lexbase : A5275M47 – Cass. civ. 1, 9 avril 2015, n° 14-14.216, F-D N° Lexbase : A5196NGK – Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n° 15-24.607, FS-P+B N° Lexbase : A5583TAZ – Cass. com., 18 mai 2017, n° 16-11.147, F-P+B+I N° Lexbase : A2749WD8.

[2] V. par ex., Cass. civ. 1, 31 janvier 2018, n° 16-22.945, F-D N° Lexbase : A4830XCU – Cass. civ. 1, 27 mars 2019, n° 17-28.791, F-D N° Lexbase : A7270Y7E – Cass. civ. 1, 30 mars 2022, n° 20-18.861, F-D N° Lexbase : A07197SG ou ceux d’une assurance-incendie (v. par ex., Cass. civ. 1, 13 novembre 2008, n° 07-17.737, F-P+B N° Lexbase : A2325EBQ – Cass. civ. 1, 11 décembre 2019, n° 18-23.142, F-D N° Lexbase : A1548Z8T – CA Colmar, 30 mars 2022, n° 19/05190 N° Lexbase : A46167SR).

[3] Cass. civ. 1, 10 juin 2020, n° 18-24.287, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A54113NG, D., 2020, p. 1441, note J.-D. Pellier ; G. Biardeaud, Lexbase Affaires, juin 2020, n° 640 N° Lexbase : N3804BYK ; Gaz. Pal., 28 juillet 2020, n° 28, p. 23, note J. Lasserre Capdeville ; AJ Contrat, août-septembre 2020, n° 8/9, p 387, obs. F. Géranguer ; LEDB, juillet 2020, n° 113g7, p. 5, obs. J. Lasserre Capdeville ; RDI, 2020, p. 448, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ Contrat, 2020, p. 387, obs. F. Guéranger ; RTD com., 2020, p. 693 ; obs. D. Legeais ; Banque et droit, septembre-octobre 2020, n° 193, p. 28, obs. Th. Bonneau ; RD banc. fin., septembre-octobre 2020, comm. 100, obs. N. Mathey ; Gaz. Pal., 20 octobre 2020, n° 36, p. 51, note A. Gouëzel – Cass. com., 24 mars 2021, deux arrêts, n° 19-14.307 et n° 19-14.404, FS-P [N° Lexbase : A66854MK, JCP E, 2021, n° 25, 1325, note J. Lasserre Capdeville ; LEDB, mai 2021, p. 2, obs. S. Piédelièvre ; J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, avril 2021, n° 671 N° Lexbase : N7061BY8 – Cass. com., 19 mai 2021, n° 19-18.605 F-D N° Lexbase : A80894SE.

[4]  J. Lasserre Capdeville, Nouvel encadrement légal des sanctions civiles applicables en matière de taux effectif global, Lexbase Affaires, septembre 2019, n° 604 N° Lexbase : N0196BYW.

[5] CA Dijon, 11 février 2021, n° 18/01578 N° Lexbase : A55534GR.

[6] Cass. civ., 1, 14 octobre 2015, n° 14-24.582, F-D N° Lexbase : A5915NTA – Cass. civ. 1, 10 novembre 2021, n° 20-14.382, F-D N° Lexbase : A74217BH.

newsid:482613

Comité social et économique

[Brèves] Réunion du CSE : possibilité de modifier l’ordre du jour en début de réunion à l’unanimité des membres présents

Réf. : Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 21-83.914, F-B N° Lexbase : A99508HY

Lecture: 2 min

N2606BZK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/88283358-edition-n-917-du-22092022#article-482606
Copier

par Charlotte Moronval

Le 12 Octobre 2022

► Une modification de l’ordre du jour, adoptée à l’unanimité des membres présents en début d’une réunion du comité social et économique central, peut valablement autoriser le comité à voter une délibération autorisant son secrétaire à agir en justice pour délit d’entrave.

Faits et procédure. Le comité social et économique central fait citer devant le tribunal correctionnel une société pour délit d’entrave.

Le tribunal correctionnel rejette les exceptions de nullité de la citation et d'irrecevabilité de la constitution de partie civile du comité et déclare la société coupable des faits reprochés. La société relève appel de cette décision.

Pour écarter l'exception d'irrecevabilité de la constitution de partie civile du comité, prise de l'irrégularité de la délibération autorisant le secrétaire du comité à agir en justice du chef d'entrave, la cour d’appel relève notamment qu'il résulte des pièces produites que, lors de la réunion du comité, son secrétaire est intervenu en début de séance pour solliciter l'ajout d'un point à l'ordre du jour relatif au vote d'un mandat pour ester en justice pour entrave.

La société forme un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre criminelle rejette le pourvoi.

En effet, d’après les juges, le délai de huit jours au moins avant la séance, dans lequel l'ordre du jour du comité social et économique est communiqué à ses membres, est édicté dans l'intérêt de ceux-ci afin de leur permettre d'examiner les questions à l'ordre du jour et d'y réfléchir.

Or, il résulte du procès-verbal du comité, dont la Cour de cassation a le contrôle, que la modification de l'ordre du jour a été adoptée à l'unanimité des membres présents, de sorte que ces derniers ont accepté, sans objection, de discuter de la question du mandat, manifestant ainsi avoir été avisés en temps utile.

Pour aller plus loin :

  • à noter : l’arrêt concernait un comité central d'entreprise mais est transposable au comité social et économique central.
  • v. ÉTUDE : Le comité social et économique, L'ordre du jour des réunions du comité social et économique, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E1997GA9.

newsid:482606

Concurrence

[Brèves] Confirmation de l’abus de position dominante de Google sur Android

Réf. : Trib. UE, 14 septembre 2022, aff. T-604/18 N° Lexbase : A99838H9

Lecture: 4 min

N2579BZK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/88283358-edition-n-917-du-22092022#article-482579
Copier

par Vincent Téchené

Le 21 Septembre 2022

► Le Tribunal de l’Union européenne a confirmé, le 14 septembre 2022, dans une large mesure la décision de la Commission selon laquelle Google a imposé des restrictions illégales aux fabricants d’appareils mobiles Android et aux opérateurs de réseaux mobiles, afin de consolider la position dominante de son moteur de recherche ;

Afin de mieux tenir compte de la gravité et de la durée de l’infraction, le Tribunal estime toutefois approprié d’infliger à Google une amende d’un montant de 4,125 milliards d’euros au terme d’un raisonnement qui diffère sur certains points de celui de la Commission

Fais et procédure. Différentes plaintes adressées à la Commission au sujet de certaines pratiques commerciales de Google dans l’internet mobile ont conduit celle-ci à ouvrir, le 15 avril 2015, une procédure à l’encontre de Google concernant Android. Par décision du 18 juillet 2018, la Commission a sanctionné Google pour avoir abusé de sa position dominante, en imposant des restrictions contractuelles anticoncurrentielles aux fabricants d’appareils mobiles ainsi qu’aux opérateurs de réseaux mobiles, pour certaines depuis le 1er janvier 2011. En conséquence, la Commission a alors infligé à Google une amende de près de 4,343 milliards d’euros, soit l’amende la plus importante jamais infligée en Europe par une autorité de concurrence.

Google a donc introduit un recours contre cette décision devant le Tribunal de l’UE.

Décision. Premièrement, le Tribunal rejette le moyen tiré de l’appréciation erronée du caractère abusif des conditions de préinstallation dans son ensemble. Il valide donc le raisonnement de la Commission qui a conclu à leur caractère abusif en distinguant, d’une part, le groupement des applications Google Search et Play Store du groupement du navigateur Chrome et des applications et en considérant, d’autre part, que ces groupements avaient restreint la concurrence au cours de la période infractionnelle, sans que Google ait pu faire valoir l’existence d’aucune justification objective.

Deuxièmement, en ce qui concerne l’appréciation de la condition de préinstallation unique incluse dans les accords de partage des revenus par portefeuille, le Tribunal retient, tout d’abord, que la Commission était fondée à considérer les accords litigieux comme constitutifs d’accords d’exclusivité, dans la mesure où les paiements prévus étaient subordonnés à l’absence de préinstallation de services de recherche générale concurrents sur le portefeuille de produits concernés. Toutefois, il constate que tel qu’il a été conduit par la Commission, le test AEC ne saurait corroborer le constat d’un abus résultant en eux-mêmes des accords de partage des revenus par portefeuille, de sorte que le Tribunal accueille le moyen correspondant.

Troisièmement, en ce qui concerne l’appréciation des restrictions insérées dans les accords antifragmentation, selon le Tribunal, au vu des éléments retenus, propres à établir l’entrave au développement et à la commercialisation de produits concurrents sur le marché des systèmes d’exploitation sous licence, la Commission a pu considérer, que la pratique en cause avait conduit au renforcement de la position dominante de Google sur le marché des services de recherche générale, tout en constituant un frein à l’innovation, dans la mesure où elle avait limité la diversité des offres accessibles aux utilisateurs.

Le Tribunal rejette également le moyen tiré de la violation des droits de la défense, par lequel Google entendait faire constater, d’une part, une violation de son droit d’accès au dossier et, d’autre part, une méconnaissance de son droit d’être entendue.

Enfin, appelé à procéder, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, à une appréciation autonome du montant de l’amende, le Tribunal précise, au préalable, que, si la décision attaquée doit, ainsi, être partiellement annulée, en tant qu’elle considère que les accords de partage des revenus par portefeuille sont en eux-mêmes abusifs, cette annulation partielle n’affecte pas pour autant la validité globale du constat d’infraction effectué, dans la décision attaquée, en considération des effets d’éviction résultant des autres pratiques abusives mises en œuvre par Google au cours de la période infractionnelle. Par une appréciation propre de l’ensemble des circonstances relatives à la sanction, le Tribunal juge qu’il convient de réformer la décision attaquée, en considérant que le montant de l’amende à infliger à Google pour l’infraction commise est de 4,125 milliards d’euros.

newsid:482579

Contrats et obligations

[Brèves] Pouvoir des juges du fond en présence d’une transaction ayant force exécutoire

Réf. : Cass. civ. 1, 14 septembre 2022, n° 17-15.388, FS-B N° Lexbase : A99638HH

Lecture: 2 min

N2664BZP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/88283358-edition-n-917-du-22092022#article-482664
Copier

par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 21 Septembre 2022

La validité d’une transaction ayant force exécutoire par l’effet d’une décision du président du tribunal de grande instance (CPC, anc. art. 1441-4) peut être contestée devant les juges du fond.

Faits et procédure. En l’espèce un protocole transactionnel avait été conclu, dans lequel l’une des parties s’engageait à rembourser un compte courant d’associé, alors que l’autre partie s’engageait, une fois ce remboursement effectué, à céder des droits sociaux à l’autre moyennant le prix d’un euro. Or, la partie au protocole qui s’était engagée à rembourser le compte courant avait organisé son insolvabilité en donnant à ses enfants et conjoint ses biens immobiliers. Alors qu’une action visait à faire déclarer la donation inopposable au cocontractant, la partie ayant procédé à cette donation invoquait la nullité de la transaction faute de concessions réciproques (pour la sanction v. par exemple Cass. civ. 1, 9 juillet 2003, n° 01-11.963, FS-P N° Lexbase : A1004C93).

Le fait pour le président du tribunal de grande instance d’avoir donné force exécutoire à la transaction sur le fondement de l’ancien article 1441-4 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6405H7D (rappr. dorénavant CPC, art. 1541 N° Lexbase : L6772LEK) exclut-il le contrôle par les juges du fond de la validité de la transaction ? Les juges du fond l’avaient admis (CA Versailles, 8 juin 2021, n° 21/00632 N° Lexbase : A31914UQ).

Solution. L’arrêt est cassé au visa des articles (i) 2052 du Code civil N° Lexbase : L2297ABP, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1547, du 18 novembre 2016 N° Lexbase : L1605LB3 (« les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort. Elles ne peuvent être attaquées pour cause d'erreur de droit, ni pour cause de lésion »), et (ii) 1441-4 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 98-1231, du 28 décembre 1998 N° Lexbase : L2924AI7 (« le président du tribunal de grande instance, saisi sur requête par une partie à la transaction, confère force exécutoire à l'acte qui lui est présenté »). La première chambre civile précise qu’« il résulte de ces textes que, lorsque le président du tribunal de grande instance statue sur une demande tendant à conférer force exécutoire à une transaction, son contrôle ne porte que sur la nature de la convention qui lui est soumise et sur sa conformité à l'ordre public et aux bonnes mœurs et n'exclut pas celui opéré par le juge du fond saisi d'une contestation de la validité de la transaction ». Ainsi, le fait que la transaction ait force exécutoire n’exclut pas le contrôle des juges du fond quant à la validité de la convention.

newsid:482664

Environnement

[Brèves] Appréciation d’une « raison impérative d’intérêt public majeur » dans le cas d’éoliennes offshore

Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 29 juillet 2022, n° 443420, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A23818DK

Lecture: 2 min

N2650BZ8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/88283358-edition-n-917-du-22092022#article-482650
Copier

par Yann Le Foll

Le 23 Septembre 2022

► Pour l'application de l'article L. 411-2 du Code de l'environnement N° Lexbase : L5047L8G (octroi d'une dérogation pour un projet d'aménagement ou de construction), le juge de cassation laisse à l'appréciation souveraine des juges du fond, sous réserve de dénaturation, le point de savoir si est satisfaite la condition tenant à ce que le projet (l’implantation d’éoliennes offshore) ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Rappel. Un projet de travaux, d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leur habitat ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

Est ainsi justifiée la construction d’un parc éolien hors espaces classés et protégés dès lors qu’il permettra de fournir en énergies renouvelables 50 000 personnes et dès lors que les installations seront situées à une distance raisonnable des habitations (CE, 5°-6° ch. réunies, 15 avril 2021, n° 430497 N° Lexbase : A55254PC, n° 430498 N° Lexbase : A55264PD, n° 430500 N° Lexbase : A55274PE).

Position CAA. La cour administrative d'appel (CAA Nantes, 3 juillet 2020, n° 19NT01512  N° Lexbase : A86097ZU), après avoir souverainement constaté que le projet permettra de répondre aux objectifs de développement de la production électrique à partir de l'énergie éolienne en mer en permettant la couverture de 8 % de la consommation électrique de la région Pays de la Loire, a retenu que le projet contribue de manière déterminante à l'atteinte des objectifs nationaux visant à porter la part des énergies renouvelables à 32 % de la consommation finale brute d'énergie en 2030.

Elle a ensuite rappelé les objectifs de développement de la production électrique à partir des énergies éoliennes et marines, en termes de puissance totale installée, à 25 000 MW au 31 décembre 2020, dont 19 000 MW à partir de l'énergie éolienne à terre et 6 000 MW à partir de l'énergie éolienne en mer et des autres énergies marines, conformément aux objectifs de la loi n° 2015-992, du 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte N° Lexbase : L2619KG4.

Décision CE. En jugeant que ce projet de parc éolien répond ainsi, nonobstant son caractère privé, à une raison impérative d'intérêt public majeur, la cour administrative d'appel a exactement qualifié les faits de l'espèce.

newsid:482650

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Montant du revenu fiscal de référence pour l’année 2021 pour l’accès à l’aide exceptionnelle au bénéfice des journalistes pigistes

Réf. : Arrêté du 7 septembre 2022, pris en application des articles 2 et 4 du décret n° 2021-1175 du 10 septembre 2021, instituant une aide exceptionnelle au bénéfice des journalistes pigistes ayant subi une diminution d'activité à raison de la crise de la Covid-19 N° Lexbase : L1740ME8

Lecture: 3 min

N2627BZC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/88283358-edition-n-917-du-22092022#article-482627
Copier

par Marie-Claire Sgarra

Le 27 Septembre 2022

L’arrêté du 7 septembre 2022, publié au Journal officiel du 10 septembre 2022, institue le montant du revenu fiscal de référence pour l’année 2021 pour l’accès à l’aide exceptionnelle au bénéfice des journalistes pigistes.

Le montant du revenu fiscal de référence perçu au titre de l'année 2021 est fixé à 80 000 euros.

Rappel : Le décret n° 2021-1175, du 10 septembre 2021 N° Lexbase : L8771L7Y, a institué une aide d'une durée de deux ans au bénéfice des journalistes pigistes dont les revenus de pige ont diminué entre l'année 2019 et les années 2020 (aide versée en 2021) et 2021 (aide versée en 2022).

Conditions d'éligibilité

Sont éligibles à l'aide les journalistes pigistes qui remplissent les conditions suivantes :

  • avoir bénéficié au minimum de cinq bulletins mensuels de pige au cours de l'année 2019 ;
  • avoir perçu en 2019 un montant annuel des revenus bruts de pige supérieur ou égal à 3 000 euros ;
  • avoir subi une diminution des revenus de pige annuels entre l'année 2019 et l'année au titre de laquelle l'aide est versée ;
  • avoir, au titre des revenus de l'année au titre de laquelle l'aide est versée, un revenu fiscal de référence inférieur à celui des revenus de l'année 2019 et ne dépassant pas un montant fixé par arrêté.

Sont exclus du bénéfice de l'aide les journalistes pigistes :

  • ayant, durant l'année au titre de laquelle l'aide est versée, exercé toute activité lucrative, salariée ou indépendante, à temps complet ;
  • ayant fait valoir leurs droits à la retraite en 2019 ou au cours de l'année au titre de laquelle l'aide est versée, avec prise d'effets au cours de l'une de ces années.

Modalités de calcul de l’aide

Le montant de l'aide attribuée à chaque bénéficiaire est calculé par application d'un taux à une assiette. L'assiette est égale à la différence entre les revenus de pige annuels nets perçus par le bénéficiaire en 2019 et les revenus de pige annuels nets perçus l'année au titre de laquelle l'aide est versée. Elle est diminuée des éventuels revenus de remplacement perçus au titre d'un événement intervenu au cours de l'année concernée : allocations de chômage, indemnités d'activité partielle et d'activité partielle de longue durée, indemnités journalières et allocations versées par les organismes de Sécurité sociale.

Gestion de l’aide

Le décret prévoit que la gestion de l’aide est confiée à un opérateur avec lequel le ministre chargé de la Communication conclut une convention.

Le taux est fixé, au titre de l'année 2021, comme suit :


Revenu fiscal de référence de l'année 2021


Taux de compensation


De 0 à 9 999 euros


80 %


De 10 000 à 19 999 euros


70 %


De 20 000 à 29 999 euros


60 %


De 30 000 à 39 999 euros


50 %


De 40 000 à 59 999 euros


30 %


De 60 000 à 79 999 euros


10 %


À partir de 80 000 euros


0

 


Le taux mentionné est modulé en fonction du nombre de parts compensant le foyer fiscal du demandeur en 2021 comme suit :


Nombre de parts


Coefficient multiplicateur


De 1 part à 2 parts


1


De 2,25 parts à 2,75 parts


1,5


À partir de 3 parts


2

 

Cette modulation ne peut aboutir à une compensation supérieure à 100 % de la perte de piges.

 

newsid:482627

Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] Holding animatrice à l’épreuve des faits : la cour d’appel de Paris passe au crible la réalité de l’animation

Réf. : CA Paris, 5 septembre 2022, n° 21/08463 N° Lexbase : A54168H3

Lecture: 10 min

N2618BZY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/88283358-edition-n-917-du-22092022#article-482618
Copier

par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

Le 08 Décembre 2022

Mots-clés : holding animatrice • animation • patrimoine • sociétés • entreprises

1.- La cour d’appel de Paris vient de rendre ce 5 septembre 2022, un arrêt intéressant sur la notion de holding animatrice.

Sans pour autant être révolutionnaire concernant la caractérisation du rôle d’animation de la société holding, celui-ci met en exergue les éléments susceptibles de justifier celle-ci, à l’aune des justificatifs apportés par le contribuable.


 

2.- La cour d’appel de Paris rappelle un point simple, qui en réalité ne l’est pas toujours, notamment pour les contribuables, le rôle de holding animatrice doit être prouvé et étayé par des éléments justificatifs concordants. C’est la méthode du faisceau d’indices qui est ainsi mis en œuvre.

3.- Outre les autres aspects de cet arrêt concernant la procédure, nous nous concentrerons ici sur les éléments de preuve que le contribuable a tenté d’apporter afin de justifier du rôle d’animation de la société holding. Sans plus de suspens, vous l’aurez compris, les choses ne se finissent pas très bien pour l’associé.

4.-Dans le cadre de cette affaire, une personne physique a apporté des sommes d’argent dans le cadre d’augmentation de capital réalisé au sein de la société Finaréa Demeter. Le 15 juin 2009, celui-ci a apporté 20 000 euros. Il a apporté le même montant dans le cadre d’une seconde opération d’augmentation de capital le 26 mai 2010.

Cette personne a bénéficié de l’article 885-0 V bis du Code général des impôts N° Lexbase : L1404IZZ. La société holding Finaréa Demeter avait délivré deux attestations en date du 31 juillet 2009 et du 2 juin 2010 certifiant du rôle d’animation de la société holding.

5.- Pour rappel, ce dispositif permettait de bénéficier d’une réduction d’impôt de solidarité sur la fortune en cas de souscription au capital de PME. L’application de ce dispositif nécessite de remplir plusieurs conditions, dont l’une portant sur l’activité de la société.

Au moment des faits, le montant de la réduction d’impôt était égal à 75 % des versements, étant précisé que le montant de l’avantage fiscal ne pouvait pas dépasser 50 000 euros.

6.- L’article 885-0 V bis du Code général des impôts disposait à l’époque des faits : « Exercer exclusivement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l'exclusion des activités de gestion de patrimoine mobilier définie à l'article 885 O quater, notamment celles des organismes de placement en valeurs mobilières, et des activités de gestion ou de location d'immeubles. Cette condition n'est pas exigée pour les entreprises solidaires au sens de l'article L. 443-3-2 du Code du travail qui exercent une activité de gestion immobilière à vocation sociale ».

7.- Il n’était pas fait référence à la notion de holding animatrice au sein de la lettre du texte. C’est la doctrine administrative [1] qui prévoyait une telle possibilité. Il convient d’avoir à l’esprit que la réduction d’impôt IR-PME [2], qui a survécu à la suppression de l’ISF et son remplacement par l’IFI, procède par renvoi à l’article 885-0 V bis du Code général des impôts.

La doctrine précisait ainsi: « Toutefois, pour l'application de ce dispositif, il convient d'assimiler les sociétés holding animatrices de leur groupe à des sociétés ayant une activité opérationnelle, si toutes les autres conditions prévues pour l'octroi de ce régime de faveur sont par ailleurs satisfaites. Sont des sociétés holding animatrices les sociétés qui, outre la gestion d'un portefeuille de participations : - participent activement à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales ; - et rendent le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers ».

8.- Cette société holding avait été constituée le 7 avril 2009. Elle a investi par voie d’augmentation de capital dans deux sociétés :

  • la société ISP Procom, le 22 décembre 2009 pour 34 % de son capital ;
  • la société NYS, le 15 mars 2010 pour 45 % de son capital.

9.- Le 10 décembre 2012, l’administration fiscale a adressé à cette personne physique une proposition de rectification afin de remettre en cause l’application de l’article 885-0 V bis du Code général des impôts, au motif qu’il ne s’agissait pas d’une holding animatrice de son groupe.

10.- L’affaire est portée devant le tribunal judiciaire de Paris qui donne raison à l’administration fiscale le 29 janvier 2021.

Puis l’affaire arrive devant la cour d’appel de Paris. Il s’ensuit une analyse méticuleuse de chaque élément factuel ayant vocation à caractériser l’animation.

11.- Le contribuable mettait en avant plusieurs éléments afin de justifier le rôle d’animation de la société holding :

  • aucune décision stratégique des filiales ne peut être prise par les filiales sans l’accord de la société holding ;
  • tout soutien au développement d’une filiale est conditionné au respect du cadre imposé ;
  • la société holding a imposé un modèle de statuts types en contrepartie de sa participation ;
  • la société holding a imposé la transformation en SAS des sociétés filles ;
  • un contrat d’animation a été conclu, celui-ci détaillant les prestations fournies en contrepartie d’une rémunération ;

12.- La cour d’appel de Paris analyse l’ensemble de ces points. Elle relève que l’attestation du 31 juillet 2009 a été délivrée avant la prise de participation de la société holding au sein de la société ISP Procom. En outre, le contrat d’animation n’est pas daté.

Le rapport de gestion ne précise pas le rôle de pilotage de la société holding. Celui-ci se contente d’indiquer que l’investissement réalisé par la société holding au sein de la société ISP Procom avait pour but de permettre à cette dernière de financer sa stratégie d’implantation nationale.

13.- La problématique était similaire pour la société NYS. En effet, le pacte d’actionnaire conclu entre la société holding et les autres associés n’apporte aucun élément justifiant l’animation. Le procès-verbal du conseil de surveillance faisait état d’une simple « participation » et « de pourparlers avec les actionnaires ».

14.- La cour d’appel de Paris relève également que le contrat d’animation n’est pas étayé de manière concrète.

Par ailleurs, si les procès-verbaux des comités de direction et de surveillance des sociétés filles révèlent la présence des membres de la société holding, ceux-ci ne révèlent pas d’initiatives de pilotage propres à ces participants.

Enfin le droit de véto inséré dans un pacte d’actionnaire ne permet pas, pour la juridiction du fond, de justifier de la mise en place d’une stratégie, « mais institue un droit d’opposition aux actions développées par d’autres ».

15.- La cour d’appel de Paris aboutit ainsi à la conclusion que la société holding n’est pas animatrice de son groupe.

Cet arrêt a l’intérêt d’apporter un regard très pratique sur les éléments susceptibles de justifier du rôle d’animation de la société holding. Il est d’autant plus intéressant pour le praticien qui sera tenter d’en trouver une application pratique sur d’autres terrains de jeux : pacte Dutreil transmission (CGI, art. 787 B N° Lexbase : L7418MD4), abattement renforcé pour les plus-values privées sur cession de titres, exonération des biens professionnels ou mécanisme d’exemption pour l’IFI….

16.- Si l’on doit s’essayer à tenter de commenter cet arrêt, il convient de relever que la cour d’appel de Paris s’inscrit dans le positionnement classique de la jurisprudence [3].

On rappellera avant toute chose que la charge de la preuve c’est-à-dire la démonstration du rôle d’animation appartient au contribuable qui s’en prévaut. Ce point doit amener à une véritable réflexion, ainsi qu’à la constitution d’un dossier permettant de justifier et d’étayer cette qualification.

17.- La présence des dirigeants de la société holding au sein des sociétés filles n’est pas un élément suffisant [4]. C’est exactement ce que rappelle indirectement la Cour d’appel de Paris, en relevant la présence des dirigeants de la holding Finaréa au comité de direction ou au conseil de surveillance des sociétés filles. Il est donc nécessaire de prouver que ceux-ci influent véritablement sur le fonctionnement des filles. Les procès-verbaux de ces différentes instances peuvent permettre d’apporter des éléments concrets. Ils doivent traduire le fait que ceux-ci sont moteurs, et impulsent certaines décisions des filles. Ce qui signifie qu’il convient d’être prudent au regard de la rédaction des procès-verbaux de ces instances. Des rédactions du type « les associés de la société holding ont participé à… » sans aller au-delà en termes de précisions devraient ainsi être écartées. Cela vaut aussi pour les rapports de gestion.

18.- Si l’existence de la convention d’animation est intéressante, celle-ci doit être appuyée de véritables réalisations effectuées par la société holding [5]. Là encore, la cour d’appel de Paris s’inscrit dans le positionnement classique de la jurisprudence. Cela implique que la holding dispose des moyens matériels et humains permettant d’effectuer les prestations. Il peut donc être opportun selon la typologie de prestations rendues, que la société holding dispose d’un personnel qualifié, comme des comptables ou des personnes capables de gérer l’aspect RH par exemple.

Il faudra consigner les actions en conservant les traces de mails, les rapports, études, et les factures émises (même si cela va de soi),….Tout en prenant garde au risque lié à la remise en cause des managements fees.

19.- L’autre élément intéressant concerne la chronologie des opérations. En effet, on ne nait pas holding animatrice, on le devient. Cet élément qui a pu faire débat au vu de la rédaction de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 mars 2020 [6] semble ici remis en avant par la cour d’appel de Paris. Cette dernière procède indirectement à la même analyse, en relevant que la société holding a été constituée le 7 avril 2009, et la première prise de participation du contribuable est intervenue le 15 juin 2009, alors que la première augmentation de capital à laquelle a participé la société holding est intervenue le 22 décembre 2009.

La méthode du faisceau d’indices amène ainsi à constater qu’au moment de la constitution de la société holding, et lors du premier investissement du contribuable, matériellement, la société holding n’était pas en capacité d’animer un groupe, faute de sociétés filles.

20.- On le constate une nouvelle fois au regard de cet arrêt casuistique rendu par la cour d’appel de Paris, la caractérisation de la holding animatrice doit amener à une vigilance particulière.

En synthèse, il est impératif de vérifier que les rapports de gestion, les mails, la convention d’animation, les procès-verbaux, les factures permettent de justifier de l’effectivité du rôle d’animateur de la société holding. Il pourrait également être opportun de laisser la société holding fonctionner durant quelques mois avant toute application de mécanismes fiscaux liés à la qualification de holding animatrice.

 

[1] BOI-7-S-3-08 n° 26 du 11 avril 2008 [en ligne]. https://bofip-archives.impots.gouv.fr/bofip/21725-AIDA.html/identifiant=-20080411

[2] CGI, art. 199 terdecies-0 A N° Lexbase : L2450L7U.

[3] Cass. com., 8 octobre 2013, n° 12-20.432, F-D N° Lexbase : A6788KMD.

[4] Cass. com., 19 novembre 1991, n° 89-19.474 N° Lexbase : A3987ABB.

[5] CAA Paris, 6 novembre 2019, n° 18PA02628 N° Lexbase : A4632ZY9 ; CE 23 mars 2020 n° 437227, décision de non-admission.

[6] Cass. com, 18 mars 2020, n° 17-31-233, F-D N° Lexbase : A49123K7 ; CA de Dijon, 24 octobre 2017, n° 16/00993 N° Lexbase : A6577WWI ; Pacte Dutreil : la maîtrise des engagements collectifs de conservation à la lumière de la nouvelle doctrine administrative, P. Cenac et C. Peyroux, JFA ASSOCIES, octobre 2021.

newsid:482618

Institutions

[Focus] La recevabilité financière des amendements parlementaires, une question institutionnelle majeure

Lecture: 26 min

N2594BZ4

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/88283358-edition-n-917-du-22092022#article-482594
Copier

par Jean Pierre Camby, Professeur Associé, Université de Paris Saclay

Le 22 Septembre 2022

Mots clés : amendements • Assemblée nationale • réglement • commissions parlementaires • Constitution

Le 11 juillet 2022, la présidente de l’Assemblée nationale a statué, comme le texte du règlement lui en donne le pouvoir, sur une question de recevabilité financière des amendements. L’originalité tient au fait que sa décision désavoue sur le fond celle du président de la commission des finances. La remise en cause, par celui-ci, de l’exercice de sa propre compétence institutionnelle, forgée par la pratique et par les exigences d’un contrôle interne systématique, risque de porter atteinte à la crédibilité de l’application impartiale de la prohibition des initiatives parlementaires coûteuses, autant qu’à la règle constitutionnelle qui l’établit, inchangée depuis 1958. Or, la procédure interne aux assemblées, qui sanctionne le caractère absolu de l’irrecevabilité financière des initiatives coûteuses est la garantie de l’impartialité des décisions. Loin d’être cantonnée au droit parlementaire, la question met en cause la logique des institutions.


 

En 1958, est introduite dans la Constitution, avec le parlementarisme rationalisé [1], une disposition qui a pour objet et pour effet de réduire sensiblement l’initiative parlementaire. L’article 40 de la Constitution N° Lexbase : L1301A93 fait figure d’originalité, par le caractère radical de la prohibition qu’il établit, par la simplicité des principes qu’il énonce, par sa stabilité dans le texte de la Constitution, et par ce qu’il demeure un des rares mécanismes constitutionnels dont la mise en application incombe au Parlement [2]. Ce sont les assemblées, sous le contrôle second du Conseil constitutionnel, qui appliquent concrètement le droit de la recevabilité financière. Cette situation originale découle des exigences procédurales posées par le Conseil constitutionnel, qui exige que soit mise en place une procédure de contrôle systématique au dépôt des initiatives [3]. En 1959, l’article 98, alinéa 6, du règlement de l’Assemblée nationale confie le soin de décider à la présidence, mais « en cas de doute » [4] il ouvre la faculté de consulter le président de la commission des finances. Le premier rapport parlementaire établi sur le sujet [5] observe que le président de séance prononce la recevabilité lorsque celle-ci est évidente mais qu’il « ne décide presque jamais l’irrecevabilité sans consultation préalable ». La pratique a conduit à supprimer le mot « presque » pour garder l’affirmation principale : « dans la pratique tous les amendements litigieux sont transmis au président de la Commission des finances » [6].

Par voie de conséquence, le Conseil a ensuite posé l’exigence d’un nécessaire « préalable ». L’irrecevabilité doit avoir été contestée, au stade parlementaire, pour qu’il puisse en être saisi [7]. L’exigence de ce « préalable » parlementaire s’est appuyée sur les travaux d’élaboration de la Constitution [8] : rien n'est prévu quant à la compétence du Conseil constitutionnel, contrairement à l’autre irrecevabilité constitutionnelle de fond, qui concerne le partage des domaines de la loi et du règlement, à l’article 41. Aussi le Conseil a-t-il pu se reconnaître compétent en jugeant des seules décisions contestées, en valorisant la procédure interne aux assemblées. La procédure fait ainsi du Conseil constitutionnel un juge d’appel de la recevabilité financière, parce qu’il existe un juge de première instance, interne aux assemblées.

Jamais à ce jour, le Conseil constitutionnel n’a annulé une décision portant sur la recevabilité financière. Une telle annulation rendrait la procédure actuelle, aujourd’hui incontestée, sujette à caution.

Le maintien de cette autonomie décisionnelle impose donc la complète impartialité des décisions. Si celle-ci venait à être prise en défaut, le système risquerait fort d’être remis en cause.

On pourrait objecter que le sujet est technique : le droit parlementaire, en dehors de quelques affaires médiatisées, peine à trouver écho auprès du grand public, ou du moins intéressait il peu avant le 19 juin dernier. Et pourtant la question posée, pour l’instant interne à l’Assemblée, se répercute sur l’équilibre des institutions. 

L’histoire constitutionnelle montre que lorsque les assemblées détiennent une compétence de nature juridictionnelle, mais qu’elles l’exercent de façon arbitraire ou aléatoire, cette compétence finit par leur échapper. Tel fut le cas s’agissant des validations d’élections législatives. Depuis 1789, et de manière constante, il incombait à chaque assemblée de statuer sur l’élection de ses membres dans le cadre de la « vérification des pouvoirs », sur laquelle s’est progressivement greffé le contentieux électoral des élections législatives. Les assemblées étaient ainsi juges de l’élection de leurs propres membres, même si le point de savoir s’il s’agissait d’une conséquence de la souveraineté parlementaire ou d’une véritable fonction juridictionnelle était débattu [9]. Lors du contentieux ayant suivi l’élection du 2 janvier 1956, furent invalidés 11 députés poujadistes, mais le même motif ne fut pas retenu s’agissant d’autres députés.  Aussi, pour faire cesser le « scandale des invalidations partisanes » [10], comme n’hésita pas à le qualifier Michel Debré, cette compétence, échappa en 1958 aux assemblées pour incomber au Conseil constitutionnel.

Un même dessaisissement, ou un désaveu des décisions rendues, pourrait se produire si la procédure de contrôle des irrecevabilités financières lors du dépôt des amendements n’était pas gérée par le président de la commission des finances selon une approche juridictionnelle, cohérente et constante : respect des textes, impartialité, recours aux précédents, explicitation des changements de décision, interprétation favorable au demandeur, etc.  Aucun « trou dans la raquette » ne peut être toléré, sinon la partie est définitivement perdue. Or, le risque d’une application sélective du texte existe depuis l’élection de M. Coquerel. Certains membres du groupe auquel il appartient n’ont-ils pas fortement manifesté leur opposition à la procédure [11] ; plus généralement le groupe de la France insoumise fait de la critique des institutions un de ses thèmes de bataille.

Le président de la commission des finances est appelé à être le « censeur » de ses collègues, position inconfortable, d’autant que, depuis 2007, il appartient à l’opposition. Si l’on admet pas que la fonction de juge de la recevabilité financière des amendements est inhérente au mandat de président de la commission des finances, indissociable de celui-ci et qu’elle doit être exercée sans états d’âme, il lui serait difficile, voire politiquement intenable, d’appliquer systématiquement un texte auquel son groupe est profondément opposé. Il n’est pas possible de choisir, à la carte, d’exercer certaines des missions institutionnellement confiées par le mandat, comme les contrôles sur pièces et sur place ou le choix des sujets d’enquête de la Cour des comptes, et d’en refuser d’autres. Il n'est pas exigé d’un juge qu’il adhère à la règle qu’il doit appliquer, mais bien qu’il remplisse son office.

L’un des derniers bastions intacts du parlementarisme rationalisé, mais aussi de l’autonomie parlementaire, résistera-t-il à la configuration issue des élections des 12 et 19 juin dernier ? La réponse à cette question constitue un test « grandeur nature » de la solidité des logiques institutionnelles face à la composition inédite de l’Assemblée nationale sous la XVIème législature.

I. L’objet du dispositif : une prohibition absolue en matière de dépense publique, une obligation de compensation des diminutions de recettes

L’article 40 de la Constitution de 1958 interdit toute initiative parlementaire coûteuse, irrecevable lorsqu’elle qu’elle crée ou augmente « une charge publique » ou qu’elle diminue « les ressources publiques ». Comme dans bien des cas en droit parlementaire, le dispositif repose sur des précédents. Il trouve son origine dans la résolution dite « Berthelot » adoptée par la Chambre des députés en 1900 [12], puis dans l’article 17 de la Constitution du 27 octobre 1946, qui avait interdit, lors des discussions budgétaires, les créations ou les augmentations de dépenses, et enfin dans la loi dite des « maxima », appliquée à partir de 1949 et reprise par le décret du 19 juin 1956. Les initiatives coûteuses ou réductrices de recettes devaient être compensées par des recettes équivalentes. Mais l’application de ces principes fut hésitante et limitée.

En 1958, le dispositif est triplement renforcé : il ne permet plus les compensations de dépenses (augmentation et diminution corrélatives), crée une interdiction spécifique aux recettes, et rend l’application à tous les textes indiscutable. C’est dire que le texte de l’article 40 est un aboutissement.

L’emploi du singulier en ce qui concerne toute dépense crée une interdiction drastique et parfaitement voulue [13]: il n’est pas possible de compenser la création ou l’aggravation d’une charge ni par la diminution proposée d’une autre dépense publique, ni par une recette nouvelle qui financerait cette augmentation.  L’emploi du pluriel s’agissant des recettes – principalement fiscales – aboutit à protéger leur volume global d’ensemble, c’est-à-dire à permettre des compensations entre recettes. La restriction du droit d’amendement parlementaire est substantielle, pour ne pas dire violente.

Dès le début de la Vème République, et de façon constante, le champ de l’article 40 a été entendu largement par le Conseil constitutionnel, qui a jugé le 20 janvier 1961 qu’il couvrait l’administration de l’Etat et les dépenses de la sécurité sociale et des collectivités territoriales. Au fur et à mesure de l’extension de l’intervention de l’Etat et du domaine de la loi, ce champ s’est étendu [14].

C’est cette rigueur, autant que le caractère universel et automatique de l’irrecevabilité financière qui en font donc un mécanisme original.

Si cette règle paraît technique, il faut surtout y voir une restriction très forte à l’initiative parlementaire : il n’est pas possible de contourner la prohibition posée en matière de dépenses et il est obligatoire d’assortir toute initiative diminuant un impôt d’un gage qui augmente corrélativement une recette pour compenser cette diminution.

En matière de dépenses, il n’existe donc que bien peu d’échappatoires tant le texte est strict, comme il ressort des décisions du président de la commission des finances [15]. La jurisprudence interne aux assemblées n’a évolué dans un sens libéral que pour accepter des amendements demandant des rapports sur des mesures coûteuses, alors que leur auteur souhaite évidemment la mesure elle-même. 

Validant la pratique parlementaire, le Conseil constitutionnel a par ailleurs admis, le 9 novembre 1999 (décision n° 99-419 DC N° Lexbase : A8783ACB) que de simples charges de gestion puissent être proposées, quand elles se traduisent par un simple alourdissement de tâches administratives et non par la nécessité de recrutement de fonctionnaires. Il a aussi admis que dans le cadre des discussions budgétaires la charge soit assimilée à l’unité de vote (article 47 de la loi organique sur les lois de finances et LO 111-7-1,IV  du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L9839MBZ) : missions ou objectifs de dépenses, et non à chaque élément débattu (programmes ou sous objectifs) : le droit d’amendement parlementaire permet donc des transferts de charge internes à une unité de dépenses, dès lors que le déficit n’est pas aggravé.

En ce qui concerne les diminutions d’impôts d’Etat [16], un gage est presque systématiquement utilisé : la majoration des droits sur les tabacs visés aux articles 575 N° Lexbase : L3745MAX et 575 A ancien N° Lexbase : L8692L4P du CGI, désormais codifiés au «  chapitre IV du titre Ier du livre III du Code des impositions sur les biens et services » . S’agissant de compenser les pertes de recettes affectées au collectivités territoriales, c’est la majoration de la dotation globale de fonctionnement, qui est un prélèvement sur recettes et non une dépense, qui sert fréquemment de gage, à son tour compensée par le même gage d’Etat. Initialement, la question de la crédibilité du gage se posait, mais l’informatisation du dépôt des amendements fait que ces gages sont désormais automatiquement utilisés.

Si l’étau a été quelque peu desserré pour les débats budgétaires puisque la possibilité d’ amender des crédits a été reconnue en 2001, les prohibitions y sont étendues par des règles spécifiques d’irrecevabilité posées par les dispositions organiques, dont certaines s’appliquent également au Gouvernement : domaine de la loi de finances, affectations de recettes, prohibition des amendements qui ne respectent pas la sincérité budgétaire (LO art. 32, 1er août 2001) ce qui aboutissait par exemple à l’irrecevabilité des  réductions « indicatives » de crédits, qui visent en fait à mettre l’accent sur leur insuffisance, mais cette irrecevabilité a été abandonnée. Les cavaliers budgétaires, dispositions étrangères aux lois de finances — ou sociaux pour les lois de financement — sont également prohibés par les lois organiques. Le Conseil constitutionnel, même d’office, sanctionne ces dispositions avec une exigence supplémentaire en matière de lois de financement de la sécurité sociale, où sont prohibés les amendements qui n’ont pas d'effet ou ont un effet trop indirect sur les dépenses ou les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. La chasse aux cavaliers est devenue un classique du contrôle de ces textes par le Conseil constitutionnel.

L’objet même de l’article 40, et de ces dispositions complémentaires, est fondamental et de portée générale : il s’agit de protéger le niveau des ressources publiques, donc de laisser exclusivement au Gouvernement la possibilité d’augmenter les déficits publics et de faire radicalement obstacle à toute mesure coûteuse, même si elle ne dégrade pas le déficit. Rouage crucial du « parlementarisme rationalisé »,  il préserve les droits de l’exécutif dans toute discussion législative, quel que soit le sujet abordé. C’est la seule irrecevabilité qui présente un caractère « absolu » (Cons. const., décision n° 78-94 DC 14 juin 1978 N° Lexbase : A7971AC9), ce qui revient à dire d’application constante.

S’il peut s’avérer utile, à l’occasion, pour lutter contre l’obstruction [17], le dispositif sert principalement à protéger le gouvernement, seul maître des équilibres financiers. La statistique, au moment où rien ne paraît pouvoir endiguer le flot d’amendements déposés, est trompeuse [18] : la barrière est en principe infranchissable. Elle doit donc être dissuasive.  

II. L’effet du dispositif : une irrecevabilité au dépôt

Si la portée de l’article 40 est certaine, et découle de la lettre même de la Constitution, cette dernière n’établit cependant aucune procédure, contrairement à celle qui régit le partage loi règlement au cours des débats, à l’article 41. Dans l’avant-projet de Constitution, était envisagée la même procédure pour les deux irrecevabilités, mais le texte final ne prévoit aucune procédure pour appliquer l’article 40 [19]. La charge de sa mise en œuvre est donc revenue à chacune des assemblées. Sur une base pourtant incertaine s’est construite une procédure originale et systématique de contrôle, confiée, après souvent quelques hésitations initiales, au président de la commission des finances. Dès 1920, d’ailleurs, l’article 86 du règlement de la Chambre prévoit cette compétence [20] . Mais l’histoire n’est pas le seul argument.

Le renvoi à une seule autorité parlementaire s’est vite trouvé conforté par le fait que le Conseil constitutionnel a exigé que les assemblées mettent en place un contrôle systématique exercé par les instances parlementaires lors du dépôt de l’amendement ou de la proposition de loi. Cette obligation, formulée dès 1978 [21], a encore été rappelée en 2009 [22].

Cette exigence a été, dès l’origine et pendant longtemps faiblement suivie au Sénat. Tacitement, l’article 24 du règlement de la chambre haute permettait que l’on attende que le gouvernement soulève, par exception d’irrecevabilité, l’article 40. Dans le silence du règlement, cette pratique plus souple au Sénat, était difficilement admise par les députés qui se voyaient appliquer en interne une rigueur systématique que leurs collègues sénateurs parvenaient à ignorer [23]. Pourtant, le Conseil constitutionnel a un temps admis que le contrôle ne soit pas, comme à l’Assemblée, systématique [24]. Cette application différenciée fragilisait l’ensemble de la procédure. Le Conseil constitutionnel, comme l’a relevé alors un commentaire particulièrement autorisé, a donc réaffirmé la rigueur initiale d’une irrecevabilité absolue, c’est à dire absolument contrôlée lors du dépôt de l’initiative au sein des assemblées [25] ; le Sénat s’y est parfaitement plié [26]. L’unification de la procédure entre les deux chambres milite donc pour son respect : c’est pour mettre fin aux divergences et dans le sens de la rigueur de son application que la procédure a été réaffirmée comme identique dans les deux assemblées [27].   

Désormais celle-ci s’impose à tout parlementaire, selon la nature de l’initiative.

Pour les propositions de loi, dont la discussion est incertaine l’appréciation relève, lors du dépôt, d’une délégation du Bureau. Il incombe ensuite au gouvernement de faire appliquer cet article : le contrôle est à double détente. Le renvoi est systématique conformément à l’exigence posée en 1978, mais le contrôle de fond qui en résulte est très souple lors du dépôt de la proposition [28], où la pratique « bienveillante » consiste à ce stade à admettre, contrairement à la lettre de l’article 40, les charges gagées [29]. Si la proposition de loi est inscrite à l’ordre du jour, le contrôle des amendements s’applique, mais la base de départ est le texte débattu, qui, on le voit, n’est pas nécessairement purgé de l’irrecevabilité [30]. Il incombe alors au Gouvernement, ou à tout acteur du débat, soit au stade de la commission [31], soit de la séance, de soulever l’irrecevabilité, ce qui n’est pas rare [32]. Mais si tel n’est pas le cas, notamment par ce que le gouvernement omet de faire respecter le dispositif, un texte d’origine parlementaire coûteux pourra donc être adopté [33]. Certes, le contrôle des amendements s’applique, mais la base de départ est le texte de la commission, qui, on le voit, n’est pas nécessairement purgé de l’irrecevabilité [34].       

Pour les amendements, qui, eux, ont vocation immédiate à être débattus, la recevabilité fait l’objet d’un contrôle systématique. Celui-ci est le fait du président de la Commission des finances et s’exerce à trois niveaux. L’article 86, alinéa 4, du règlement de l’Assemblée prévoit que chaque président de commission peut déclarer l’irrecevabilité sur les amendements soumis à celle-ci. Cette phase est devenue systématique dans les deux assemblées, depuis que la procédure a été modifiée par la révision constitutionnelle de 2008 (loi n° 2008-103 du 4 février 2008, modifiant le titre XV de la Constitution N° Lexbase : L7923H3T) : le texte débattu est celui issu des travaux de la commission saisie au fond. Ceci conduit chaque président de commission à appliquer l’irrecevabilité financière. Le fait que la discussion ordinaire s’engage désormais sur le texte issu des travaux de la commission – à l’exception par exemple des lois de finances et de financement –  a donc créé une nouvelle difficulté d’application. Jusque-là il incombait en pratique au président de la Commission des finances d’apprécier la recevabilité des amendements avant la séance publique, ou en amont pour les textes relevant de la Commission des finances. Désormais cette phase de filtre avant la discussion devient insuffisante, puisque le texte débattu est susceptible de comporter des initiatives coûteuses par adoption d’amendements en commission. Sans que le texte – qui fait référence à l’« avis » du président de la Commission des finances n’ait à être substantiellement modifié, la possibilité pour chaque président de commission compétente d’appliquer lui-même l’irrecevabilité, qui demeure rare, est maintenue, mais surtout est ouverte la faculté de renvoyer à cet « avis » les initiatives que ce dernier estime douteuses. C’est cette pratique qui s’est imposée au nom de l’unification des décisions [35].

Celle-ci découle du contrôle avant discussion en séance. Au moment de leur dépôt, il revient, selon le texte, au président de l’Assemblée (art. 89, al. 3) [36] de refuser ceux des amendements qui sont contraires à l’article 40 et aux dispositions des lois organiques relatives aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Si le texte ne prévoit qu’un pouvoir d’avis du président de la commission des finances « en cas de doute », c’est ici encore la pratique qui s’impose : le renvoi de tout amendement financier est systématique et les décisions du « juge de la recevabilité » sont définitives. L’article 45 du règlement du Sénat est plus explicite en ce qui concerne cette compétence : « Le président de la commission des finances contrôle la recevabilité, au regard de l'article 40 de la Constitution et de la loi organique relative aux lois de finances, des amendements déposés en vue de la séance publique…. La commission des finances est compétente pour contrôler la recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution et de la loi organique relative aux lois de finances des modifications apportées par les commissions aux textes dont elles ont été saisies » [37].

Par construction les décisions de recevabilité rendues sur le même amendement au stade de la commission et de la séance doivent être identiques. Tel n’a pourtant pas été le cas à l’Assemblée lors du débat du projet de loi ayant abouti à la loi n° 2022-1089 du 30 juillet 2022, mettant fin aux régimes d'exception créés pour lutter contre l'épidémie liée à la covid-19 N° Lexbase : L5682MDS. Les mêmes amendements, émanant des mêmes auteurs, qui prévoyaient la réintégration de personnels non vaccinés ont été déclarés irrecevables en commission, recevables en séance.   

Le troisième filtre est en effet la séance publique, puisque le Gouvernement, tout député ou tout sénateur, peut soulever l’irrecevabilité d’une disposition. C’est alors le président de séance qui tranche, après « avis » du président de la Commission des finances. Ce cas est rarissime, conduisant parfois à des incidents de séance [38] .

Ainsi fragmentée, à l’Assemblée, entre toutes les commissions pour son déclenchement, mais unifiée dans son processus décisionnel au profit du seul président de la Commission des finances, la procédure d’examen de la recevabilité des amendements a toujours en pratique fait appel aux décisions du président de la Commission des finances, même si à l’Assemblée est ménagée la possibilité pour la présidence ou le rapporteur général d’ intervenir lors de cette troisième phase. Il fallait rappeler ces règles désormais clairement établies, pour montrer en quoi une divergence de décision est improbable.

C’est pourtant précisément ce qui s’est produit à l’Assemblée le 11 juillet 2022, où confrontée à une discordance du contrôle de la recevabilité financière, la présidente a repris la main, comme le règlement lui en donne la possibilité.

III. La conséquence

L’application de l’article 40 fait fréquemment l’objet de débats dans les hémicycles. Mais jamais ces débats n’ont conduit à mettre en cause l’impartialité ou l’absence de cohérence des décisions du président de la commission. Au contraire, cette cohérence est assurée par le fait que les procédures aboutissent toujours au même décideur parlementaire.

Jusqu’ici la double casquette, institutionnelle et politique, du président de la commission des finances n’avait pas posé de problèmes, parce que son rôle juridictionnel était pleinement assumé par le titulaire de la fonction, qu’il appartienne à la majorité, comme ce fut le cas avant 2007, ou à l’opposition comme c’est souvent le cas depuis lors. Mais le début de la Législature marque de façon flagrante la contradiction entre les prises de position politique du groupe LFI et la mission institutionnelle qui échoit à l’un de ses membres.

La confrontation entre la conjoncture politique et la place de l’article 40 dans l’arsenal protecteur du gouvernement et dans l’autonomie parlementaire expliquent donc que le désaccord se soit cristallisé, dès le début de la législature, sur cette question. M. Coquerel a soutenu que les amendements en cause, relatifs à la réintégration et au paiement de personnels de santé suspendus  étaient constitutifs d’une charge de gestion [39], ce qui, en toute hypothèse, ne justifie pas deux positions contradictoires sur les mêmes amendements. 

En outre, l’argument serait soutenable si la charge de gestion ne faisait pas l’objet d’une définition précise [40] : elle ne couvre qu’un « aménagement limité des missions » incombant aux services publics [41] et non une charge certaine comme c’est le cas d’amendements réintégrant des personnes dans la fonction publique dont les traitements et l’ancienneté seraient rétablis -c’est l’objet de l’initiative – et donc il s’agit incontestablement d’une charge par rapport au droit existant, en application duquel ils ne sont pas payés. L’article 40 ne permet pas d’apprécier l’opportunité ou la légalité de l’initiative, mais seulement son coût.

M. Coquerel a protesté sur le fait que la présidente lui avait ravi sa compétence en indiquant qu’il s’était assuré de l’absence de précédents, argument lui aussi peu convaincant. C’est la différence entre deux décisions qui ne peuvent qu’être qu’identiques (sauf erreur, intention du Gouvernement au moment du débat, etc.) qui a justifié que le président de la commission des lois, stade auquel l’irrecevabilité avait été opposée, rappelle lors des débats la décision initiale qu’il a appliquée, puis l’exercice de sa compétence par la présidente au stade de la séance. C’est la carence du contrôle qui a provoqué ce dessaisissement.

Cet incident pourrait paraître anodin, « on en a vu d’autres ». Mis en perspective, il constitue au contraire une brèche inédite dans la procédure qui s’est patiemment construite au profit d’un contrôle unifié et interne pour donner toute leur portée aux irrecevabilités financières.

On peut naturellement critiquer le fond de la prohibition « absolue » et la trouver excessivement sévère : l’article 40 fait figure de couperet.

Les textes les plus durement frappés concernent le droit social, les revenus minimums, comme ici les régimes indemnitaires de la fonction publique ou encore, même si le thème est moins mobilisateur aujourd’hui, les anciens combattants.

Mais si cette construction progressive a abouti, dans le texte en 1958, dans la procédure en 2005, à unifier les décisions, c’est bien qu’elle correspond à une nécessité, plus actuelle que jamais dans l’état de nos finances publiques, d’encadrer le travail parlementaire, afin de ne pas remettre en cause des équilibres fiscaux ou financiers qui doivent rester de la compétence gouvernementale. Quant à la procédure, elle doit garantir au parlementaire qu’il n’y a pas de modulation, a fortiori pas de « censure politique » par application différenciée ou aléatoire du contrôle selon l’opportunité de l’amendement ou son auteur [42].  

Moyen de lutter contre la démagogie – il est aisé de proposer des réductions d’impôt et des augmentations de dépenses- le barrage est effectivement efficace parce que son contrôle s’effectue à la source. Porter atteinte à ce contrôle risque de le voir échapper à l’autonomie parlementaire, pour un résultat plus brutal encore : si le gouvernement devait, comme c’est le cas pour les propositions de loi, être le seul censeur, l’application serait bien vite différenciée entre les initiatives qui lui conviennent et … les autres, c’est-à-dire entre celles de la majorité, déjà filtrées en amont sur le fond, et celles de l’opposition. Confié à un membre de l’opposition, il n’est pas pour autant un outil aux mains de l’opposition.

Il faut même ajouter, au moment où le Gouvernement exprime la volonté de limiter ses initiatives législatives au profit de celles de sa majorité que l’article 40 peut être un obstacle à ces tentatives d’avancer derrière ses troupes et non en les dirigeant. Le dispositif impose en effet que seul le Gouvernement détienne la clef financière des réformes, et fait donc obstacle à ce qu’il apparaisse seulement comme soutien à une initiative dont il est en réalité l’auteur. Il arrive même que le gouvernement dépose un amendement coûteux, suscitant des amendements parlementaires similaires, puis le retire au profit de la discussion de ces derniers, qui apparaissent alors comme la seule source de l’initiative.  

Les tentatives de modification ou de suppression, y compris par ceux qui ont eu la charge d’ appliquer le contrôle de recevabilité [43] ou d’aménagement du texte, fort nombreuses, ont toutes échoué [44].

Tant que l’article 40 existe, lui porter atteinte par application aléatoire, contestable et contestée aboutira à voir retirer sa compétence systématique au président de la Commission des finances. Cette perte de compétence, possible à textes inchangés, ne fera que rendre plus pesante la prohibition édictée par cet article pour les élus de la Nation. L’autonomie parlementaire et l’égalité entre les acteurs du jeu parlementaire auraient tout à y perdre.

On peut contester la logique et la rigueur qui inspirent ce dispositif, comme on peut contester le parlementarisme rationalisé. Mais il est difficile d’en enrayer l’application sans aboutir à fausser le débat parlementaire et la logique des institutions.

Comme dans les jeux à somme négative, tout le monde serait alors perdant*. 


[1] V J.-F. de Bujadoux, Rationalisations du parlementarisme en France, thèse, Paris II, 2 décembre 2019, multig.

[2] Voir doc. AN, dont Charbonnel, AN n° 2064, 19 novembre 1971, Barrot n° 1273, 25 mai 1994, Méhaignerie, n° 3246, 5 juillet 2006, Cahuzac, n° 4392, 21 février 2012, Carrez, n° 4546, 22 février 2017, Woerth, n° 5106  23 février 2022, et doc. Sénat, dont Marini, n° 263, 7 janvier 2014 ; O. Gariazzo, L'article 40 in Luchaire, Conac et Prétot, La Constitution de la République française, 3ème édition 2009, p. 1009 ; X. Roques, Les irrecevabilités financières, RFDC, 1996 , n° 16 1009 ; L’initiative financière des députés français, information constitutionnelle et parlementaire, n° 189, septembre 2005.

[3] Après quelques hésitations initiales (v. Ch. Roig, L’évolution du Parlement en 1959, étude sur le Parlement de la Ve République, PUF, 1965, p. 87), le contrôle est devenu dès l’origine automatique s’agissant des amendements.

[4] L’expression subsiste dans l’article 89, alinéa 6, du règlement de l’Assemblée.

[5] J. Charbonnel, op. cit., p.9.

[6] Idem, p.9.

[7]  Cons. const., décisions n° 82-77 DC du 20 juillet 1977 N° Lexbase : A7956ACN, n° 93-329 DC du 13 janvier 1994 N° Lexbase : A8296ACA, n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002 N° Lexbase : A2081DIW. À défaut, il refuse de statuer :  décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012 N° Lexbase : A4218IRN.

[8] B. Genevois, La jurisprudence du Conseil constitutionnel, STH, n° 98, 1988 : « n'est pas irréprochable d'un strict point de vue juridique » ; J.P. Lebreton, Conseil constitutionnel et initiative financière, RA, 1978 : « n'emporte pas la conviction ». Cet auteur rappelle que le comité consultatif obtint la suppression du contrôle par le Conseil constitutionnel, initialement prévue par les rédacteurs (travaux du comité, p. 101). Ceci justifie la position prudente du Conseil en l'espèce. Cette jurisprudence a été étendue aux lois de financement de la Sécurité sociale (Cons. const., décision n° 96-384 DC du 19 décembre 1996 N° Lexbase : A8347AC7).

[9] M. Waline (Éléments d’une théorie de la juridiction constitutionnelle en droit français, RD publ., 1928. 441) voit dans la vérification des pouvoirs l’exercice d’une fonction juridictionnelle qui n’est pas nécessairement déclenchée par un recours : aucune règle nouvelle n’est créée, la question ne peut être tranchée qu’en droit, sans intervention d’aucune considération politique, elle crée une situation irrévocable. On retrouve ces mêmes critères dans le contrôle parlementaire de la recevabilité financière  

[10] Le 18 février 1937, la Chambre valide l’élection d’un candidat inéligible, définitivement condamné pour vol , et de nombreux exemples historiques demeurent célèbres : Murat, Garibaldi, Benjamin Constant etc..

[11] V. F. Ruffin qui dénonce une « censure politique » et la réponse d’E. Woerth, alors  président de la commission des finances, AN, 13 oct. 2020.

[12] Qui limitait au budget l’ impossibilité d’augmenter les traitements indemnités ou pensions ou d’en étendre le champ.

[13] Voir les propos de M Devaux (Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, Documentation française, 1991 , tome III, p. 139 : « le texte que vous avez là empêche les opérations compensées , à tout le moins dans le domaine des dépenses .. par conséquent il atteint vraiment l’initiative  parlementaire des dépenses . Par contre il laisse c’est admissible la possibilité d’une proposition compensée en matière de ressources » . Le rédacteur plaide ensuite pour une acception large des charges incluses dans le champ de cet article, qui sera retenue par le Conseil constitutionnel en 1961.

[14] Par exemple aux autorités administratives indépendantes (P. Méhaignerie, op. cit., p. 19). Mais des matières comme le  financement de la formation professionnelle sont exclus de ce champ (J. Barrot, op cit, p . 27)  ou y entrent en fonction de leur source (E. Woerth., op. cit., p. 45)

[15] A titre d’exemple E . Woerth : « s’il n’est pas possible de proposer par amendement parlementaire de remplacer une flotte entière de voitures par des voitures électriques, ce qui reviendrait à un remplacement de tout le stock, il est possible par la voie d’un amendement parlementaire de prévoir qu’à l’occasion du renouvellement de la flotte les voitures nouvellement acquises seront électriques. Le raisonnement retenu est le suivant : l’auteur de l’amendement se place sur le terrain d’une sujétion existante – assurer le renouvellement régulier du matériel, sans accélérer ce rythme de replacement –, pas sur le terrain d’une dépense supplémentaire, » commission des finances, compte rendu n° 45, 23 février 2022.

[16] L’Assemblée dispose depuis 2020 d’un outil de simulation « leximpact » pour mesurer l’impact des amendements. V. J. N. Barrot, Les progrès de l’évaluation des politiques publiques au Parlement, colloque Changer de culture normative, JCP, 18 janv. 2021, p. 39.

[17] 17 777 sont déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, en 2006, toujours à l’Assemblée nationale, sur la loi relative à l’énergie qui avait donné lieu au dépôt de 137 600 amendements.

[18] 7 % des amendements enregistrés sont déclarés irrecevables (Méhaignerie, op cit, p . 11) pour la XIVème législature 8 000 sont déclarés irrecevables pour 46 000 renvoyés, et  sur environ 200 000 amendements déposés au cours de la XVème législature, 27 000 ont subi le même sort (28 % des renvois, 13% des amendements déposés) (v. Woerth, op cit).

[19] V note 8. Certains auteurs ont pu conclure que le Conseil constitutionnel n’était pas compétent : L. Philip, Sirey, 1961, J  p. 164.  

[20] « Si la réalité de la réduction ou de la suppression de la recette de l’établissement d’une dépense ou de son augmentation est affirmée au nom de la commission des finances par son président…. La disjonction et le renvoi ne peuvent être contestés ».

[21] 14 juin 1978 : « le respect de l'article 40 de la Constitution exige qu'il soit procédé à un examen systématique de la recevabilité, au regard de cet article, des propositions de loi formulées par les sénateurs, et cela antérieurement à l'annonce par le président de leur dépôt et donc avant qu'elles ne puissent être imprimées, distribuées et renvoyées en commission, afin que soit annoncé le dépôt des seules propositions qui, à l'issue de cet examen, n'auront pas été déclarées irrecevables ».

[22] Cons. const., décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009 N° Lexbase : A4085EI7 : « chaque assemblée doit avoir mis en œuvre un contrôle de recevabilité effectif et systématique au moment du dépôt des amendements y compris auprès de la commission saisie au fond ; (…) les dispositions qui permettent à la commission saisie au fond de se réunir « pour examiner les amendements du rapporteur ainsi que les amendements déposés au plus tard l’avant-veille de cette réunion » après avoir permis leur dépôt et leur mise en distribution, sans exiger un examen préalable de recevabilité, sont contraires à la Constitution ». 

[23] Voir sur la question des concours financiers des collectivités locales aux établissements d’enseignement privés, des décisions successives contraires au Sénat : rép. min., 6 août 1986, p. 3370, 7 mai 1991, p. 894, 13 juin 1991, p. 1642, alors que l'article 40 est opposé, systématiquement, à l'Assemblée nationale dès lors qu’une charge est aggravée (voir la décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994 N° Lexbase : A8296ACA à propos de la réformation de la loi « Falloux »).

[24] Cons. const., décision n° 96-381 DC du 13 octobre 2005 N° Lexbase : A8335ACP.  

[25] Cons. const., décision n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005 N° Lexbase : A1640DKX, v. J.-E. Schoettl, Le forfait-jours des salariés non cadres devant le Conseil constitutionnel, LPA, 11-14 novembre 2005, n° 225-226, p. 7-13 ; Cons. const., décision n° 2005-526 DC du 13 octobre 2005 N° Lexbase : A8270DKI.

[26] Règlement du Sénat, art. 45, voir rapport de J. Arthuis, n° 401, 2008.

[27] Le Sénat a choisi , depuis 2015 d’effectuer également un contrôle du respect du domaine législatif ; v. E. Tavernier, Le Sénat et les irrecevabilités de l’ article 41 et de l’article 45, Mélanges Herin, mare et martin, 2020, p. 215.

[28] Deux propositions déclarées irrecevables à l’Assemblée entre 1988 et 1993, pour 1 654 propositions enregistrées, mais bien peu étaient alors inscrites à l’ordre du jour. Depuis 1995, et plus encore 2008, l’ordre du jour ménage des initiatives parlementaires impliquant la discussion de propositions de loi. 

[29] J. Cahuzac, op cit., p. 21.

[30] Il peut l’être au stade du débat en commission , puisque le débat s’engage sur le texte adopté par celle-ci : Cons. const., décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994 N° Lexbase : A8296ACA.  

[31] Voir par exemple doc AN n° 1251 8 décembre 1998, qui cite plusieurs cas où la commission laisse le débat se dérouler, contrairement au cas d’espèce portant sur les retraites ou débats ; An, 27 novembre 2001 p.8561 : proposition de loi n° 3370, tendant à ouvrir le droit à la retraite à taux plein pour les salariés ayant cotisé quarante annuités avant d'atteindre l'âge de 60 ans.

[32] Voir D. Migaud, débats AN, 28 sept. 2009.

[33] Ce fut le cas pour la proposition de loi sur les langues régionales, dont ne subsiste principalement, après la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-818 DC du 20 mai 2021 N° Lexbase : A44904S4, qu’un seul dispositif essentiel portant sur la participation financière des communes, qui aurait dû tomber sous le coup de l’article 40.

[34] Il peut l’être au stade du débat en commission, puisque le débat s’engage sur le texte adopté par celle-ci : Cons. const., 13 janvier 1994.

[35] V E. Woerth, op cit. : chaque président conserve son autonomie , mais en cas  de doute le renvoi et systématique , et l’avis systématiquement suivi.

[36] « La recevabilité des amendements déposés sur le bureau de l’Assemblée est appréciée par le président. Leur dépôt est refusé s’il apparaît que leur adoption aurait les conséquences prévues par l’article 40 de la Constitution. En cas de doute, le président décide après avoir consulté le président ou le rapporteur général de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire ou un membre de son bureau désigné à cet effet ; à défaut d’avis, le président peut saisir le Bureau de l’Assemblée ».

[37] Il attribue une compétence identique au président de la commission des affaires sociales pour les lois de financement.

[38] AN, 24 juillet 2007, 2e séance, pour une charge de gestion.

[39] Débats AN, 11 juillet 2022 : « M. Éric Coquerel,  C’est une charge de gestion, parce que ce personnel est suspendu, il n’était pas licencié. (M. Philippe Vigier fait des signes de dénégation.) M. Éric Woerth. Bien sûr que non ! M. Éric Coquerel, président de la commission des finances. Pour preuve : si ce personnel (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et GDR-NUPES) décide d’être vacciné demain, il peut être réintégré. Cela signifie que cette charge de personnel existait. (Mêmes mouvements.)

Deuxièmement, cela concerne un nombre infime de personnes – c’est la ministre de la Santé elle-même qui l’a dit l’autre jour – puisque cela correspond à 0,53 % de la masse salariale. ». Ces deux arguments ne paraissent pas pertinents : les décisions sont prises par rapport au droit existant – soit des paies non versées – et la  modicité d’une charge n’est pas un moyen de s’exonérer de l’article.

[40] Cons. const., 9 novembre 1999, préc : « Les députés auteurs de la première saisine soutiennent que la proposition de loi était également irrecevable en raison de ses effets sur les charges publiques ; qu'ils font valoir que l'exigence d'un enregistrement du pacte civil de solidarité faisait peser 'sur les autorités chargées d'assurer à la fois cet enregistrement et la gestion des divers droits qui s'y rattachent' une aggravation de charges directe et certaine … Considérant que l'augmentation des dépenses pouvant résulter, pour les services compétents, des tâches de gestion imposées par la proposition de loi n'était ni directe, ni certaine ; qu'en conséquence, c'est à bon droit que la proposition de loi n'a pas été déclarée irrecevable en raison de son incidence sur les charges publiques ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la loi n'a pas été adoptée en méconnaissance de l'article 40 de la Constitution ». Pour d’autres exemples, déclarant irrecevables la mise en place de bases de données informatiques, l’organisation généralisée de débats publics, une filière d’enseignement des langues régionales, v. G. Carrez, op cit. p. 92.

[41] J. Barrot, op cit., 90.

[42] Le Règlement de l’Assemblée prévoit, depuis 2014, que l’auteur de l’amendement peut demander une explication écrite de l’irrecevabilité.

[43] V. D. Migaud D. et J. Arthuis, Le Monde, 17 mai 2008 ; J.-F. Kerléo, RFDC, 2014, p. 507.

[44] Certains militent même pour l’extension du dispositif au Gouvernement : A. Baudu, Les amendements budgétaires en France, Politeia, n° 39, 2020 p. 213.

*L’auteur tient à remercier les relecteurs, mais les propos n’engagent que lui.

newsid:482594

Licenciement

[Jurisprudence] Absence d’obligation d’information du salarié de son droit de demander des précisions sur les motifs du licenciement

Réf. : Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-22.220, FS-B N° Lexbase : A859378R

Lecture: 11 min

N2602BZE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/88283358-edition-n-917-du-22092022#article-482602
Copier

par Alexandre Barège, Maître de conférences à l’Université de Lille, membre du LEREDS (CRDP), Avocat au Barreau de Lille

Le 21 Septembre 2022

Mots clés : lettre de licenciement • motivation • notification • demande de précisions

Il résulte de l'article L. 1235-2 du Code du travail N° Lexbase : L1316LTW, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN et de l'article R. 1232-13 N° Lexbase : L6228LH7 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017 N° Lexbase : L6195LHW, qu'aucune disposition n'impose à l'employeur d'informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés.


L’employeur est-il débiteur d’une obligation d’informer le salarié licencié de son droit de demander des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement ? C’est à cette question que répond pour la première fois la Chambre sociale de la Cour de cassation dans son arrêt du 29 juin 2022. En l’espèce, une salariée a été licenciée pour faute grave pour avoir adopté un comportement et tenu des propos déplacés à l’égard de quatre collaborateurs de nature à mettre en péril leur santé psychique et à dégrader leurs conditions de travail. La salariée a saisi le conseil de prud’hommes en soutenant que la lettre de licenciement n’était pas suffisamment motivée de sorte que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle a en outre formulé une demande indemnitaire en faisant valoir que l’employeur ne l’avait pas informée de la possibilité de demander des précisions sur les motifs de la rupture. Les juges du fond l’ayant déboutée de ses demandes, la salariée a formé un pourvoi en cassation. Pour le rejeter, la Chambre sociale de la Cour de cassation retient « qu’aucune disposition n’impose à l’employeur d’informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés ». Elle considère ensuite que le motif de licenciement était précis et matériellement vérifiable de sorte que la lettre de licenciement répondait à l’exigence légale de motivation. Par cet arrêt, la Chambre sociale de la Cour de cassation ne conteste pas que le salarié dispose d’un droit de demander des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement (I.). Elle précise toutefois que l’employeur n’est pas débiteur d’une obligation d’informer le salarié de ce droit (II.). Une incertitude que le pouvoir règlementaire lui-même avait créée est ainsi levée.

I. Le droit de demander des précisions

Les règles relatives à l’information du salarié sur les motifs du licenciement ont régulièrement évolué depuis l’instauration de la cause réelle et sérieuse par la loi n° 73-680 du 13 juillet 1973 [1]. L’article 24 de cette loi disposait que « l’employeur est tenu, à la demande écrite du salarié, d’énoncer la ou les causes réelles et sérieuses du licenciement ». Le salarié disposait alors d’un délai de 10 jours à compter de la date à laquelle il avait quitté effectivement son emploi pour demander l’énonciation de la ou des causes réelles et sérieuses du licenciement, à charge pour l’employeur de lui répondre dans les 10 jours après la présentation de la lettre du salarié [2].

Dans son arrêt « Janousek » du 25 octobre 1976, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait retenu que l’employeur avait l’obligation légale de porter à la connaissance du salarié les causes réelles et sérieuses du licenciement si celui-ci en avait fait la demande dans les délais impartis. Faute pour l’employeur d’apporter les précisions requises, il était réputé, de manière irréfragable, ne pas avoir de cause réelle et sérieuse [3].

Par la suite, avec la loi n° 86-1320 du 30 décembre 1986, le législateur a imposé que l’employeur énonce le ou les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement [4]. Les juges ont alors considéré que l’énonciation de motifs imprécis, et à plus forte raison l’absence d’énonciation de motifs, rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse [5].

Soucieux de sécuriser les employeurs, et notamment les employeurs individuels ou les petites entreprises qui n’ont pas toujours les moyens d’être conseillés, le législateur a instauré un dispositif permettant de préciser les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. Désormais, l’article L. 1235-2 du Code du travail N° Lexbase : L1316LTW, dans sa version modifiée par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN, prévoit que « les motifs énoncés dans la lettre de licenciement […] peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l’employeur, soit à son initiative, soit à la demande du salarié ». Il est ensuite prévu que « la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement ». Sans aucun doute possible, il existe donc un droit d’apporter des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. L’employeur peut prendre l’initiative de cette précision sans avoir reçu de demande préalable du salarié. Le salarié qui estime ne pas être suffisamment informé sur les raisons de la rupture de son contrat de travail peut également demander des précisions. Le texte est néanmoins clair : il s’agit de préciser « les motifs énoncés dans la lettre de licenciement » et non pas d’apporter pour la première fois les motifs du licenciement ou d’ajouter un nouveau motif. En effet, pour qu’un licenciement ait une cause réelle et sérieuse, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur [6].

La précision sur les motifs n’est pas l’énonciation des motifs qui doit quant à elle exister dès l’origine, ni l’insertion d’un nouveau motif qui n’était pas présent dans la lettre de notification [7]. En termes de conséquence, il y a d’ailleurs une différence notable : l’absence d’énonciation des motifs du licenciement rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre simplement droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire [8]. Telle est du moins la solution à retenir « à défaut pour le salarié d’avoir formé auprès de l’employeur une demande » de précision. Le Code du travail reste toutefois silencieux dans l’hypothèse où le salarié demande des précisions et n’obtient pas de réponse. Dans une telle situation, on peut se demander si l’imprécision du motif du licenciement rend celui-ci sans cause réelle et sérieuse ou s’il ouvre simplement droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire. L’article L. 1235-2 du Code du travail prévoit que l’indemnité ne pouvant excéder un mois de salaire s’applique en l’absence de demande de précision. On peut alors penser que si le salarié formule une demande de précision et qu’il reste sans réponse, l’imprécision de la lettre de licenciement doit conduire à l’absence de cause réelle et sérieuse. Dans son questions-réponses sur la rupture du contrat de travail, du mois de juillet 2020, le ministère du Travail indique d’ailleurs que : « si vous êtes employeur, vous avez intérêt à préciser votre lettre de licenciement si vous vous rendez compte après son envoi qu’il manque un ou plusieurs éléments essentiels à sa motivation. Vous avez également intérêt à préciser la lettre initiale si le salarié en fait la demande afin de limiter le risque d’annulation ou de condamnation à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de contentieux » [9].

Pour ce qui concerne les délais applicables à la demande de précision, les règles sont fixées par l’article R. 1232-13 du Code du travail N° Lexbase : L6228LH7, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017 N° Lexbase : L6195LHW :  le salarié dispose d’un délai de 15 jours suivant la notification du licenciement pour demander à l’employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. L’employeur dispose quant à lui d’un délai de 15 jours après la réception de la demande du salarié pour apporter des précisions s’il le souhaite. Apporter des précisions est donc une faculté. L’employeur peut manifestement décider de ne pas répondre au salarié, au risque d’être condamné en cas d’imprécision de la lettre de licenciement. S’il prend l’initiative de la précision, il peut le faire dans un délai de 15 jours suivant la notification du licenciement. Si l’employeur a indéniablement le droit d’apporter des précisions et le salarié d’en demander, il n’existe aucune obligation d’information du salarié sur l’existence de ce droit.

II. L’absence d’obligation d’information

Dans l’arrêt commenté, après avoir rappelé les dispositions légales et réglementaires évoquées précédemment, la Chambre sociale de la Cour de cassation prend position pour la première fois sur le caractère facultatif ou obligatoire de l’information du salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés. La réponse de la Haute juridiction ne laisse planer aucun doute sur la solution : « aucune disposition n’impose à l’employeur d’informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés ». Il est vrai que les dispositions légales et réglementaires relatives à la précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement ne prévoient aucunement cette obligation d’information. Il n’y avait donc pas de raison d’ajouter une obligation d’information à la charge de l’employeur alors même que les textes ne la prévoient pas. Pour autant, la solution n’était pas nécessairement si évidente que cela.

Il faut se souvenir que pour sécuriser les relations de travail, le législateur a souhaité instaurer des modèles de lettre de licenciement que les employeurs peuvent utiliser, sans que cela ne soit impératif. Ainsi, l’article L. 1232-6 du Code du travail N° Lexbase : L1447LKS, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN, prévoyait qu’« un décret en conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article et fixe les modèles que l’employeur peut utiliser pour procéder à la notification du licenciement ». Ces modèles de lettre de licenciement mis à la disposition des employeurs figurent en annexe du décret n° 2017-1820 du 29 décembre 2017 N° Lexbase : L8038LH8. Le dernier alinéa de l’article L. 1232-6 du Code du travail N° Lexbase : L1447LKS précisait ensuite que « les modèles rappellent en outre les droits et obligations de chaque partie ». Or, chacun d’eux se termine par le même paragraphe : « vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous avons la faculté d'y donner suite dans un délai de quinze jours après réception de votre demande, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous pouvons également, le cas échéant et dans les mêmes formes, prendre l'initiative d'apporter des précisions à ces motifs dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement ». Certes, la possibilité pour le salarié de demander des précisions est un droit du salarié. Tel n’est évidemment pas le cas de la possibilité pour l’employeur de préciser les motifs du licenciement de sa propre initiative. On peut alors se demander si cette mention finale des modèles de lettre ne renvoie pas à une obligation de l’employeur : celle d’informer le salarié de son droit de demander des précisions sur les motifs de la lettre de licenciement et de l’informer que l’employeur lui-même peut apporter des précisions.

Le législateur semble avoir pris conscience des incertitudes générées par le dernier alinéa de l’article L. 1232-6 du Code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, puisque la loi de ratification du 29 mars 2018 l’a purement et simplement supprimé [10]. Pour les licenciements notifiés postérieurement au 18 décembre 2017 [11] jusqu’au 1er avril 2018 (date d’entrée en vigueur de la loi du 29 mars 2018), le doute était alors permis : ne fallait-il pas considérer que l’information du salarié sur la possibilité d’obtenir des précisions était une obligation pour l’employeur ? Dans l’arrêt commenté, le licenciement avait justement été notifié le 2 février 2018. La Cour de cassation lève toute ambiguïté et adopte une solution conforme à celle retenue par le ministère du Travail dans le questions-réponses sur la rupture du contrat de travail. À la question « l’ensemble des mentions contenues dans ces modèles (de lettres de licenciement) doit-il obligatoirement figurer dans une lettre de licenciement ? », la réponse suivante est apportée : « ces modèles rappellent les droits et obligations de chacune des parties. Plusieurs mentions ont ainsi un rôle informatif et ne sont pas obligatoires. Il en est ainsi de la procédure de précision des motifs qui ne doit pas impérativement apparaître dans une lettre de licenciement. En revanche, les mentions relatives au motif du licenciement sont des mentions obligatoires sur lesquelles le juge se fondera pour apprécier la validité du licenciement, en cas de contentieux » [12].

Les conséquences pratiques de l’arrêt commenté ne seront probablement pas nulles. Les employeurs avaient souvent pris le parti de conclure les lettres de licenciement par une formule similaire à celle reprise dans les modèles de lettre proposés par le décret du 29 décembre 2017. Cette formule permettait aux salariés licenciés d’être pleinement informés de leurs droits. Dans le prolongement de l’arrêt commenté, on peut penser que la majorité des employeurs qui reprenaient la formule d’information dans les lettres de licenciement ne le feront plus à l’avenir. En conséquence, même si « nul n’est censé ignorer la loi », il est probable que bon nombre de salariés n’exerceront pas ce droit faute d’en connaître l’existence. En cas d’imprécision de la lettre de licenciement, cette absence de demande de précision du salarié sera alors salvatrice pour l’employeur qui échappera à une condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et s’exposera simplement à une condamnation à une indemnité d’un montant maximum d’un mois de salaire.


[1] Loi n° 73-680 du 13 juillet 1973, modifiant le Code du travail en ce qui concerne la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée N° Lexbase : L3576H3T.

[2] Décret n° 73-808 du 10 août 1973, fixant les modalités d'application du paragraphe 1 bis du chapitre II du titre II du livre Ier du Code du travail, relatif à la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée, art. 3.

[3] Cass. soc., 20 octobre 1976, n° 75-40.659, publié N° Lexbase : A1120CKP.

[4] Loi n° 86-1320 du 30 décembre 1986, relative aux procédures de licenciement, art. 3 N° Lexbase : L6184LER.

[5] Ass. plén., 27 novembre 1998, n° 96-44.358 N° Lexbase : A3017AGT, Cah. soc., janvier 1999, p. 3 ; Droit social, 1999, p. 13, concl. L. Joinet ; Cass. soc., 23 mai 2000, n° 98-40.633 N° Lexbase : A6679AHT ; Cass. soc., 27 juin 2018, n° 16-20.898, FS-P+B N° Lexbase : A5673XUN, Bull. civ. V, n° 121 ; Ch. Radé, De la précision du motif visé dans la lettre de licenciement, Lexbase Social, juillet 2018, n° 749 N° Lexbase : N4944BXE.

[6] C. trav., art. L. 1232-6 N° Lexbase : L1447LKS, L. 1233-16 N° Lexbase : L1445LKQ et L. 1233-42 N° Lexbase : L1443LKN.

[7] V. en ce sens, Min. Travail, Questions-réponses sur la rupture du contrat de travail, juillet 2020, p. 7 [en ligne].

[8] C. trav., art. L. 1235-2 N° Lexbase : L1316LTW.

[9] Min. Travail, Questions-réponses sur la rupture du contrat de travail, juillet 2020, préc., p. 7. V. égal., A. Fabre, Répertoire de droit du travail, Contrat de travail à durée indéterminée : rupture - licenciement - droit commun, avril 2020, § 260.

[10] Loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017, d'habilitation à prendre par ordonnance les mesures pour le renforcement du dialogue social N° Lexbase : L9253LIK, art. 11.

[11] Date d’entrée en vigueur du décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017, relatif à la procédure de précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement N° Lexbase : L6195LHW.

[12] Min. Travail, Questions-réponses sur la rupture du contrat de travail, juillet 2020, préc., p. 5.

newsid:482602

Sociologie

[Éditorial] Du droit pénal à la justice pénale : de l’importance des lumières sociologiques

Lecture: 6 min

N2639BZR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/88283358-edition-n-917-du-22092022#article-482639
Copier

par le Dr Nicolas Catelan, Directeur scientifique de la revue Lexbase Pénal, Maitre de conférences à l’Université Paris Cité, Centre de droit des affaires et de gestion (CEDAG – EA 1516)

Le 19 Décembre 2022

Invisible droit. L’étude du crime et la recherche sur le droit de punir en France esquissent une œuvre baroque. Comme le relève Madame Ricordeau, la France est un des rares pays où la criminologie n’est pas perçue comme une discipline académique autonome. De là découle sans doute une sensation d’incomplétude chez les pénalistes, à tout le moins quand leur diplôme a été obtenu au sein d’une faculté de droit. S’il est possible d’analyser juridiquement la réaction à la commission d’une infraction, nombre de questions pourtant fondamentales restent de notre côté sans réponse : quelle est la cause efficiente du crime ? Telle réponse publique est-elle à même de résoudre le problème posé par tel type de délinquance ? Pourquoi tel système punitif l’a emporté sur un autre ? Comment l’activité judiciaire des tribunaux est-elle perçue par nos concitoyens ? Faut-il avoir confiance dans l’activité judiciaire ? Comment les femmes sont-elles traitées par la justice pénale ? Peut-on abolir la justice pénale ? Pourquoi la prison demeure-t-elle le maître-étalon de la répression ?

Le juriste est souvent fort dépourvu au moment de contextualiser sociologiquement le cas qui lui est soumis, qu’il défende un prévenu ou un accusé, qu’il le poursuive, le juge ou statue sur l’exécution de sa peine. Le sens de son activité peut aisément lui échapper tant le fait social de la délinquance et son traitement dépassent évidemment sa pratique, l’expérience subjective ne pouvant ici se substituer parfaitement à une connaissance granulaire et globale de la chaine pénale et de ses ressorts. On le sait, sans le travail scientifique, l’expérience risque d’être une lumière qui n’éclaire que celui qui la porte. Elle ne saurait, par la seule force du discours et du témoignage, se confondre avec l’institution décrite. L’expérience brute et la pratique personnelle ne font pas la praxis nonobstant la puissance narrative d’un praticien piégé par l’illusion biographique [1] et bercé par les présupposés de l’acteur rationnel. Cela est également vrai lorsqu’on interroge les citoyens sur leur perception de la justice pénale, l’article rédigé par Virginie Gautron et Cécile Vigour en atteste.

L’expérience personnelle contribue certes à la praxis mais ne peut y être assimilée. Pas plus que la psychologisation des acteurs ne peut contribuer à une connaissance parfaite de la structure répressive, une audience ne construit pas une récurrence. La justice est le produit de mécanismes inconscients et intégrés par ses acteurs, produit dans lequel les expériences passées ont un poids démesuré [2]. Aussi devrions-nous fixer la focale sur les structures inconscientes de la justice de nature à objectiver la pratique du droit. Chaque acteur (de la justice) agit en effet avec le sens pratique acquis par habitus lors de sa socialisation primaire, et ce, dans un champ (professionnel) qui possède ses propres habitus aptes à ordonner les pratiques. Ce n’est qu’en étudiant ce double phénomène que la justice pénale apparaîtra enfin dans son objectivité. Sinon comment comprendre et expliquer le faible recours au droit par les détenus comme le constate M. Corentin Durand ?

Justice révélée. L’étudiant en droit est ainsi régulièrement décontenancé lorsqu’il est pour la première fois confronté à ce que l’on appelle communément la pratique, se rendant compte qu’il existe un monde entre le discours universitaire et ce que les praticiens accomplissent au quotidien. Tout observateur constate qu’il existe un décalage entre le droit pénal (qui résulte de la loi, de la jurisprudence de la Cour de cassation et du discours doctrinal) et la justice pénale (accomplie par la police, les magistrats, les avocats et le SPIP). Ce décalage n’est pas une fatalité du juridisme. Un véritable champ de recherches permet d’en éclairer les logiques, qu’il s’appelle criminologie (au sens large) ou encore sociologie de la justice pénale. Et nombreux sont les chercheurs à avoir jeté un pont entre le droit et sa praxis [3]. L’accès à ce savoir sur la justice pénale est d’ailleurs primordial en ce qu’il permet aux citoyens de comprendre son fonctionnement. Cela est indéniablement essentiel au fonctionnement démocratique de nos institutions. On se souvient comment le Gouvernement avait cru, lors des États généraux de la justice, pouvoir prendre le pouls de l’opinion avec des questions particulièrement biaisées et partiales. La sociologie apporte des réponses beaucoup plus précises et nuancées avec une méthode infiniment plus scientifique. Aussi est-elle en mesure de nous apprendre beaucoup sur la justice pénale.

Qu’on ne s’y trompe pas, le dossier auquel ont accepté de participer Gwenola Ricordeau, Virginie Gautron, Cécile Vigour, Corentin Durand et Julien Larrègue, n’est pas le fruit d’une interrogation purement abstraite. Il s’agit de donner aux praticiens de la justice pénale des outils et des clés pour déchiffrer ce qu’ils peuvent constater, ressentir voire pressentir au quotidien. L’enjeu concret consiste à relier recherches fondamentale et empirique afin de comprendre la distorsion entre le discours sur le droit d’une part et la justice telle qu’elle se donne à voir d’autre part. Et seule la sociologie pénale est à même de livrer des leçons réflexives sur des normes et des pratiques qui font système car l’histoire du châtiment n’est pas que la chronologie des lois et l’annale des décisions de justice. L’histoire du châtiment est évidemment pleine de bruit et de fureur.

Ombre et lumière. La justice pénale ne naît pas davantage de l’application d’une loi (générale, impersonnelle et absolue) à des cas (particuliers, personnels et relatifs). La justice pénale naît des guerres du quotidien, avec des anti-héros qui disparaissent dans la nuit d’une audience prolongée. La justice pénale prend sa source dans un flux de poursuites qui emporte dans le vacarme d’une porte qui se referme les combattants fatigués d’une lutte chaque jour répétée. La justice pénale embrase puis obscurcit des terres ravagées où succombent des coupables déjà oubliés. Elle est faite de normes, de pratiques et de discours. Aussi est-il important de s’intéresser à ce que disent les sciences sociales de la justice pénale, fait social total [4] qui a toujours été bien plus qu’un simple phénomène juridique.

 

[1] P. Bourdieu, L'illusion biographique, in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, juin 1986, n° 62/63, pp. 69 à 72 [en ligne].

[2] V. P. Bourdieu, Le sens pratique, éd. de Minuit, coll. Le sens commun, 1980, chap. 3, p. 87 et s.

[3] V. par ex. L. Wacquant, Les prisons de la misère, Raisons d’agir, 2011. Récemment v. M. Agator, État de l’art - La corruption vue par les sciences humaines et sociales, AFA, Mission de recherche Droit et justice, 2021 [en ligne].

[4] On sait le concept éculé mais il demeure un puissant outil d’analyse au profit du dévoilement ici entrepris. V. Th. Wendling, Us et abus de la notion de fait social total - Turbulences critiques, Revue du MAUSS, 2010/2 (n° 36), pp. 87 à 99 [en ligne].

newsid:482639

Vente d'immeubles

[Chronique] Chronique de jurisprudence du droit de la vente immobilière (juin - août 2022)

Lecture: 26 min

N2595BZ7

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/88283358-edition-n-917-du-22092022#article-482595
Copier

par Eric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Chargé d’enseignement à l’Université Paris-Dauphine

Le 21 Septembre 2022

Mots clés : agent immobilier • loi « Hoguet » • notaire • responsabilité • vente immobilière • garantie des vices cachés • opportunité économique • défiscalisation • promesse • nullité de la vente • pollution


La revue Lexbase Droit privé vous propose de retrouver la chronique de droit de la vente immobilière, sous la plume de Maître Éric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Chargé d’enseignement à l’Université Paris-Dauphine.

Cette matière, en constante évolution compte tenu d'une jurisprudence particulièrement abondante de la Cour de cassation dans ce domaine, est appréhendée largement, puisque la chronique a vocation à traiter, outre les problématiques du contrat de vente d’immeubles stricto sensu, d’autres contentieux en lien direct avec la vente d’immeubles, celui des agents immobiliers d’une part, et celui de la responsabilité des notaires d’autre part.

Une douzaine de décisions, pour la plupart inédites au bulletin de la Cour de cassation, ont été sélectionnées par l'auteur pour cette nouvelle chronique, couvrant la période de juin à août 2022.

Pour retrouver la précédente chronique, couvrant la période d'avril à mai 2022, cliquez ici.

Sommaire

I. Agent immobilier

1. Application de la loi « Hoguet » seulement à l’activité habituelle d’entremise
Cass. civ. 1, 1er juin 2022, n° 20-17.451, F-D

2. Rendement décevant et obligation de conseil
Cass. civ. 1, 1er juin 2022, deux arrêts, n° 21-12.366 et n° 21-12.789, F-D

3. Visite pendant le mandat exclusif et négociation en direct ensuite
Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 20-19.187, F-D

4. Acquéreur au prix et commission d’agence en cas de refus du vendeur
Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 20-22.047, F-D

II. Vente immobilière

5. Garantie des vices cachés par le vendeur bricoleur
Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-21.143, FS-D

6. Responsabilité du syndicat des copropriétaires pour information erronée envoyée au notaire par le syndic
Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-16.223, F-D

7. La prescription du dol ne part que du jour de sa découverte
Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-15.726, F-D

8. Si le dernier exploitant d'une installation classée a rempli son obligation de remise en état, la dépollution induite par le changement d’usage postérieur ne lui incombe pas
Cass. civ. 3, 29 juin 2022, n° 21-17.502, FS-B

9. Assainissement individuel défectueux et garantie des vices cachés
Cass. civ. 3, 29 juin 2022, n° 16-26.751, F-D

10. Terme extinctif ou suspensif de la promesse synallagmatique de vente
Cass. civ. 3, 29 juin 022, n° 21-17.944, F-D

11. Financement obtenu hors délai et non-caducité de la promesse
Cass. civ. 3, 13 juillet 2022, n° 21-18.190, F-D

III. Responsabilité du notaire

12. Responsabilité du notaire pour ne pas avoir conseillé une condition suspensive
Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 21-12.345, F-D

13. Frais bancaires en pure perte pour une vente avortée
Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 20-20.010, F-D


I. Agent immobilier

1. Application de la loi « Hoguet » seulement à l’activité habituelle d’entremise (Cass. civ. 1, 1er juin 2022, n° 20-17.451, F-D N° Lexbase : A807074N)

L’activité de négociateur immobilier est réglementée. Son exercice sans être titulaire de la carte professionnelle, prive le négociateur de tout droit à rémunération [1].

En l’espèce, un propriétaire avait mandaté une agence pour la vente de deux biens immobiliers. La vente faite, le vendeur sollicite le remboursement des honoraires versés, au titre de l’irrespect de la loi « Hoguet ». La Cour de cassation repousse cette demande. Par interprétation littérale de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 N° Lexbase : L7536AIX, elle affirme que celle-ci s’applique seulement aux personnes physiques ou morales qui, « d'une manière habituelle », se livrent aux opérations portant sur les biens d'autrui et relatives à l'achat, la vente, l'échange, d'immeubles. La loi « Hoguet » est donc jugée inapplicable à qui n'exerce pas à titre habituel l'activité d'agent immobilier.

2. Rendement décevant et obligation de conseil (Cass. civ. 1, 1er juin 2022, deux arrêts, n° 21-12.366 N° Lexbase : A814474E et n° 21-12.789 N° Lexbase : A8327748, F-D)

L’affaire est banale. Une personne acquiert un immeuble en l’état futur d’achèvement, dans le cadre d’une opération de défiscalisation. Quelques années après, le locataire exploitant est placé en liquidation judiciaire.

L’investisseur déçu reproche alors à l’intermédiaire un manquement à son obligation de conseil. La plaquette de présentation vantait, en effet, « la qualité et l'expérience des participants ». L’acquéreur prétend ne pas avoir eu une information claire, sincère et complète sur l'expérience du gestionnaire, de nature à le renseigner sur la viabilité de son investissement. La plaquette évoquait également un rendement attendu de 5 %. Là encore, l’acquéreur reproche au professionnel de ne pas préciser de façon claire et explicite les aléas quant à l'obtention d'un tel taux de rendement.

En l’espèce, se retranchant derrière l’appréciation des juges du fond, la Cour de cassation considère que l’intermédiaire n’a pas manqué à son devoir de conseil. Elle note ainsi que tous les documents présentant les caractéristiques essentielles du bien immobilier avaient été fournis, que l'acquéreur avait été informé que le bénéfice de la défiscalisation était soumis à la condition d'occupation effective de l'appartement, que, si les mentions de la plaquette de présentation de la résidence étaient laudatives, elles ne garantissaient pas un rendement de 5 % et constituaient au mieux un objectif espéré en l'état d'une opération commerciale comportant par nature une part de risques et que, lors de la signature du contrat de réservation, aucun élément ne laissait présager la déconfiture de l’exploitant.

La solution s’inscrit dans le contexte de la jurisprudence récente, qui exclut la responsabilité de principe du professionnel ayant participé à la vente, dans l’hypothèse d’un investissement décevant [2]. Sur le plan économique, ce professionnel, en l'absence d'élément de nature à l’alerter sur des difficultés à venir, n’a pas un devoir de vérifier la faisabilité et les risques de l'opération [3].

3. Visite pendant le mandat exclusif et négociation en direct ensuite (Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 20-19.187, F-D N° Lexbase : A727377I)

Des propriétaires confient à une agence un mandat exclusif de vente portant sur leur maison d'habitation, conclu pour une durée minimum de trois mois, reconductible une année sauf dénonciation avec préavis de quinze jours. Le mandant s'interdisait, pendant la durée du mandat, de négocier soit par lui-même soit par un autre intermédiaire la vente du bien et s'engageait à diriger sur le mandataire toutes les demandes qui lui seraient adressées personnellement. Une clause pénale stipulait, qu'en cas de non-respect par le mandant de ses obligations, il serait dû une indemnité compensatrice forfaitaire égale au montant de la rémunération.

Les propriétaires font visiter le bien à un amateur, et en informent l’agence. Une fois le mandat résilié, ils concluent une vente avec l’amateur en question. L’agence les assigne en paiement de la clause pénale.

La Cour de cassation note que les vendeurs ont eux-mêmes fait visiter le bien, à une époque où le mandat exclusif de vente n'avait pas encore été dénoncé, et que la personne intéressée avait formé une offre d'achat. Aussi, la juridiction considère que les propriétaires ont commis une faute en négociant ensuite la vente en violation de la clause d'exclusivité – nonobstant l'information délivrée à l’agence quant à l’existence de cette offre. La solution réitère une règle acquise : alors même que le mandat exclusif de vendre donné par le propriétaire d'un immeuble à un agent immobilier est expiré, l'intermédiaire peut prétendre à des dommages-intérêts dès lors que sont établies les manœuvres ayant conduit à l'évincer de la vente réalisée par le propriétaire seul [4].

4. Acquéreur au prix et commission d’agence en cas de refus du vendeur (Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 20-22.047, F-D N° Lexbase : A730977T)

Un mandat exclusif de vente d'un appartement est conclu. Ensuite, l'agent immobilier informe le propriétaire qu'il a trouvé un acquéreur au prix stipulé au mandat. Après mise en demeure, le propriétaire répond qu’il ne souhaite plus vendre.

La Cour de cassation rappelle sa jurisprudence antérieure, selon laquelle le mandat de l’agent immobilier n’est qu’un contrat d’entremise, qui ne donne pas pouvoir pour conclure la vente, sauf clause expresse [5]. Mais la question se déporte ensuite sur la portée de la clause, usuelle en pratique, selon laquelle « le mandant s'engage à signer, au prix, charges et conditions convenues, toute promesse de vente ou compromis avec tout acquéreur présenté par le mandataire » et qui prévoit une indemnisation de l’agence en cas contraire. À ce propos, les juges visent l’article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 (dite loi « Hoguet ») N° Lexbase : L7536AIX, selon lequel, aucun bien, effet, valeur, somme d'argent, représentatif de commissions, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d'entremise quelconque, n'est dû au mandataire immobilier ou ne peut être exigé ou accepté par lui avant qu'une des opérations qui y sont visées ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l'engagement des parties. En conséquence de quoi, il est décidé que l’agent immobilier ne peut se prévaloir du jeu de la clause de pénale pour refus du vendeur, car la vente n’a pas été conclue. Il est toutefois fait réserve de l’hypothèse où le mandant a conclu l'opération en privant le mandataire de la rémunération à laquelle il aurait pu légitimement prétendre.

II. Vente immobilière

5. Garantie des vices cachés par le vendeur bricoleur (Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-21.143, FS-D N° Lexbase : A717977Z)

L’espèce est classique : un entrepreneur en maçonnerie acquiert une ancienne ferme, dans laquelle il effectue des travaux de rénovation pour la transformer en maison d'habitation, en conservant les pignons en pierre, mais en reconstruisant les murs de façade, en édifiant un mur de refend et en transformant les sols du rez-de-chaussée. L’acquéreur de la maison après travaux se plaint de graves désordres, et agit en garantie contre l’entrepreneur ayant vendu sa maison après rénovation.

Rappelons que l’article 1641 du Code civil N° Lexbase : L1743AB8 pose le principe de la garantie des vices cachés par le vendeur. Ce texte est toutefois supplétif, et il est possible de stipuler une absence de garantie, si le vendeur n’est pas de mauvaise foi, et s’il n’est pas un professionnel de l’immobilier.

Le vendeur se défend en arguant que sa profession d'entrepreneur en maçonnerie n'impliquait pas la possession des connaissances techniques lui permettant, quand il avait fait les travaux de rénovation, d'anticiper un vice du sol. La Cour de cassation lui répond que, ayant réalisé lui-même les travaux de réhabilitation, il devait être assimilé à un vendeur professionnel réputé connaître les vices affectant l'immeuble, y compris le sol. En cela, elle confirme sa jurisprudence antérieure, selon laquelle le vendeur d'un immeuble qui s'est comporté en maître d'œuvre pour la réalisation de travaux dans son immeuble doit être assimilé au vendeur professionnel [6].

6. Responsabilité du syndicat des copropriétaires pour information erronée envoyée au notaire par le syndic (Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-16.223, F-D N° Lexbase : A7345778)

Dans cette affaire, un syndic de copropriété avait avisé la mairie de l'infestation par des termites des parties communes de l'immeuble. En réponse, la mairie lui avait demandé de faire un diagnostic des structures de l'immeuble en la tenant informée. Dans le même temps, pour la rédaction de l’acte de vente de lots au sein de cette copropriété, le notaire avait envoyé le questionnaire d’usage. Dans sa réponse au notaire, le syndic s'était abstenu de toute information sur ce qu'il savait de la présence de termites dans l'immeuble. Plus encore, dans le formulaire en retour, au paragraphe sur l'état parasitaire des parties communes et sur les termites, le syndic avait répondu : « situation de l'immeuble : non concerné ». L’acquéreur agit évidemment en responsabilité lorsqu’il découvre, après la vente, l’étendue du problème.

La jurisprudence a déjà statué sur la responsabilité du syndic transmettant des informations erronées au notaire à l’occasion de la vente de lots [7]. Mais la question d’espèce est celle de la responsabilité du syndicat des copropriétaires. La loi n’envisage explicitement sa responsabilité que pour les dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers ayant leur origine dans les parties communes (Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, art. 14 N° Lexbase : L5536AG7). Cela n’a pas empêché la jurisprudence d’affirmer une responsabilité du syndicat selon le droit commun, notamment au titre des choses dont on a la garde [8].

Dans le contexte d’appels de charges erronés, en faveur de certains copropriétaires et au détriment d’autres, la Cour de cassation a jugé que la mise en œuvre de la responsabilité délictuelle du syndic de copropriété ne nécessite pas la mise en cause du syndicat des copropriétaires [9]. Et, en l’espèce, le syndicat se défendait d’avoir commis une faute, la question des termites n’ayant pas été mise à l’ordre du jour de son assemblée générale. En réponse, la Cour de cassation vise deux textes. D’une part, l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9, principe de la responsabilité délictuelle pour faute. D’autre part, l’article 1998 du Code civil N° Lexbase : L2221ABU, sur l’engagement du mandant par son mandataire, lorsque ce dernier a agi dans la limite de ses pouvoirs. De la combinaison de ces textes, la juridiction déduit que le syndicat des copropriétaires est responsable à l’égard des copropriétaires ou des tiers des fautes commises par le syndic, son mandataire, dans l’exercice de ses missions. En cela, elle réaffirme une solution antérieure, affirmée à propos de l’incendie consécutif à des travaux mal exécutés sur les parties communes [10].

7. La prescription du dol ne part que du jour de sa découverte (Cass. civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-15.726, F-D N° Lexbase : A717577U)

L’espèce, comme souvent, concerne un investisseur immobilier déçu, dans le cadre d’une opération de défiscalisation. Celui-ci estime avoir surpayé son achat, et tente d’obtenir la nullité de la vente, pour dol. Il lui est rétorqué que plus de dix ans ont passé, et qu’il avait eu tout le loisir, s’il avait eu un doute sur la justesse de son prix, de solliciter une expertise. À l’objection, il répond que ce n’est que lorsqu’il a sollicité une estimation, dix ans après, qu’il a réalisé sa méprise. Les juges du fond estiment l’action prescrite, plus de cinq ans étant écoulés depuis la vente. La Cour de cassation vient pourtant censurer cette solution, estimant que la prescription ne court qu’à compter de l’expertise. Elle confirme, ce faisant, sa jurisprudence antérieure, selon laquelle la prescription quinquennale de l'action en nullité pour dol a pour point de départ le jour où le contractant a découvert l'erreur qu'il allègue [11].

8. Si le dernier exploitant d'une installation classée a rempli son obligation de remise en état, la dépollution induite par le changement d’usage postérieur ne lui incombe pas (Cass. civ. 3, 29 juin 2022, n° 21-17.502, FS-B N° Lexbase : A859178P)

Dans cette affaire, le propriétaire d’un site industriel cesse l’activité qu’il exploitait, qui relevait de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement. La préfecture lui enjoint de transmettre la proposition de l'usage futur du site, ainsi qu'un échéancier pour sa mise en sécurité. Le propriétaire obtient un permis de construire, visant la réhabilitation des bâtiments existants en vue d’activités essentiellement de bureaux, ateliers et stockage ; et une société spécialisée dans l’environnement est chargée d'effectuer une évaluation quantitative des risques sanitaires. Puis le site est vendu à un premier acquéreur. Les règles d’urbanisme changent, et la zone s’ouvre à l’habitation. Le premier acquéreur vend à un second, dont le projet, pour lequel il obtient un nouveau permis de construire, est la démolition de l'existant et la construction d'un immeuble de quatre-vingt-quatre logements, seize locaux à usage d'habitation et quatre bureaux.

En raison de l’importante pollution résiduelle sur le site, le nouveau propriétaire agit, tant sur le fondement de l’obligation de délivrance, que de la garantie des vices cachés, tout à la fois contre son vendeur et le propriétaire initial. La réponse de la Cour de cassation se fait sur deux plans.

Le problème se situe, tout d’abord, sur le plan de la législation environnementale quant à l’arrêt d’une activité polluante [12]. Les juges citent la règle codifiée désormais à l’article L. 512-6-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L0770LZK : « lorsqu’une installation autorisée avant le 1er février 2004 est mise à l'arrêt définitif, son exploitant place son site dans un état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts [protégés par le droit de l’environnement] et qu'il permette un usage futur du site déterminé conjointement avec le maire […] ». Ils invoquent, surtout, le I, alinéa 2 de l’article R. 512-39-4 du même Code N° Lexbase : L6107L7C : « en cas de modification ultérieure de l'usage du site, l'exploitant ne peut se voir imposer de mesures complémentaires induites par ce nouvel usage sauf s'il est lui-même à l'initiative de ce changement d'usage ». Par application pratiquement littérale, la Cour en vient donc à affirmer que, si le dernier exploitant a rempli l'obligation de remise en état qui lui incombe, au regard du droit de l'environnement et de l'usage futur du site défini conformément à la réglementation en vigueur, en l'espèce un usage déterminé avec le maire de la commune, le coût de dépollution supplémentaire résultant d'un changement d'usage par l'acquéreur est à la charge de ce dernier.

Mais la question vient se redoubler, sur le plan civil, de la dimension contractuelle entre vendeur et acquéreur. En cas de vente d’un immeuble pollué, la jurisprudence a pu retenir la garantie des vices cachés à la charge du vendeur [13]. Surtout, se basant sur les stipulations contractuelles, la jurisprudence a parfois condamné le vendeur à garantie, au titre de l’obligation de délivrance [14]. Le schéma était systématiquement le même : se méprenant sur la portée des travaux de dépollution diligentés dans le cadre de la législation ICPE, le rédacteur de la vente affirmait un peu vite qu’elle portait sur un « immeuble dépollué » ; et l’acquéreur avait beau jeu, alors, de reprocher une délivrance non conforme, en cas de découverte d’une pollution résiduelle.

En l’espèce, dans la première vente, le vendeur s'engageait, si une dépollution était nécessaire, à supporter les coûts qui seraient supérieurs à 200 000 euros. Mais les juges considèrent que cette clause n’est pas à entendre en un sens général, mais au regard des travaux prévus lors du premier permis de construire. Ceux-ci n’appelant pas un complément de dépollution, la clause se trouvait sans objet. D’autre part, la garantie des vices cachés est écartée : un diagnostic de pollution avait été annexé à la première vente, qui, s’il ne permettait pas de chiffrer le coût des travaux nécessaires, révélait néanmoins l'ampleur de la pollution – de sorte que le vice, apparent, ne relevait pas de la garantie des vices cachés.

9. Assainissement individuel défectueux et garantie des vices cachés (Cass. civ. 3, 29 juin 2022, n° 16-26.751, F-D N° Lexbase : A061179I).

En l’espèce, une vente a été annulée par les juges du fond, au motif que le système d'assainissement de la maison est affecté d'un vice, non décelable avant la vente, rendant le bien impropre à son usage. Ils estiment que les acheteurs n'auraient pas acquis le bien s'ils avaient connu ce vice, compte tenu du coût des travaux nécessaires pour y remédier par rapport au prix d'achat. À l’époque des faits, la solution relevait du seul droit commun. L’article 1641 du Code civil N° Lexbase : L1743AB8 pose le principe de la garantie des vices cachés par le vendeur. Ce texte est toutefois supplétif, et il est possible de stipuler une absence de garantie, si le vendeur n’est pas de mauvaise foi, et s’il n’est pas un professionnel de l’immobilier.

En conséquence de quoi, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel, pour défaut de réponse à conclusions, en ne s’expliquant pas sur la mise à l’écart de la clause d'exclusion de garantie des vices cachés contenue dans l'acte de vente. Il convient toutefois de préciser que, en droit positif, la solution serait désormais inverse. De la conjonction de l’article L. 271-4 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L6845L7N et de l’article L. 1331-11-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L6769L7T, il résulte que le vendeur ne peut s’exonérer de la garantie des vices cachés, en cas de vente d'un bien immobilier non raccordé au réseau collectif d'assainissement des eaux usées, s’il ne produit un diagnostic spécifique.

10. Terme extinctif ou suspensif de la promesse synallagmatique de vente (Cass. civ. 3, 29 juin 022, n° 21-17.944, F-D N° Lexbase : A071879H).

Une promesse synallagmatique de vente est conclue sous diverses conditions suspensives, la réitération de la vente étant fixée au plus tard le 21 juin 2019. Le 25 juin 2019, donc quatre jours après le terme, l’acquéreur informe le vendeur de son intention de finaliser la vente. Ce dernier refuse, s’estimant libéré de son engagement, en raison du dépassement du délai prévu à la promesse. La Cour de cassation, se retranchant derrière l’appréciation des juges du fond, considère que, eu égard aux stipulations de la promesse, il convenait de considérer que, une fois les conditions suspensives réalisées, la date prévue pour la régularisation de l'acte authentique mentionnée à l'acte constituait non un délai extinctif, mais le point de départ à partir duquel l'une des parties pourrait obliger l'autre à s'exécuter.

La solution renoue avec la jurisprudence traditionnelle [15] : en matière de promesse synallagmatique, le principe est celui du terme suspensif – ce qui implique que le dépassement du délai n’entraîne pas la caducité de plein droit de la promesse [16]. Il est évidemment possible de stipuler expressément un terme extinctif. Mais encore faut-il une stipulation claire et expresse en ce sens. Ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

11. Financement obtenu hors délai et non-caducité de la promesse (Cass. civ. 3, 13 juillet 2022, n° 21-18.190, F-D N° Lexbase : A56588B8)

Une promesse de vente est signée le 15 juillet 2015, sous la condition suspensive d'obtention d'un prêt avant le 15 septembre 2015 ; la réitération de la vente devant intervenir au plus tard le 30 septembre 2015. La promesse contenait une clause, usuelle en pratique, selon laquelle « faute par l'acquéreur d'avoir informé le vendeur dans ce délai [du 15 septembre 2015], les présentes seront considérées comme nulles et de nul effet, une semaine après la réception par l'acquéreur d'une mise en demeure adressée par lettre recommandée par le vendeur d'avoir à justifier de l'obtention du ou des prêts susvisés ». Le 16 janvier 2019 – près de quatre ans plus tard ! – le vendeur envoie une sommation à l’acquéreur de justifier son financement. Le 23 janvier suivant – soit dans le délai d’une semaine prévu par la clause – l’acquéreur confirme avoir les fonds à disposition et demande la réitération de la vente.

Les juges du fond déclarent la vente caduque ; pour eux, à défaut de prorogation de la validité de la promesse, la renonciation des acquéreurs à la condition suspensive de prêt stipulée à leur seul profit devait intervenir au plus tard à la date limite pour la réitération de l'acte qui était fixée au 30 septembre 2015. Ceux-ci se fondent sur la jurisprudence récente de la Cour de cassation, selon laquelle le caractère non extinctif du délai fixé par la promesse de vente pour procéder à la signature de l’acte authentique de vente avait pour seule conséquence de permettre à l’une des parties d’obliger l’autre à s’exécuter si les conditions suspensives étaient réalisées à cette date, mais ne permettait pas à une partie de disposer d’un délai supplémentaire pour remplir ses obligations [17]. Dit autrement, l’obtention d’un prêt postérieurement à la date fixée pour la signature de l’acte authentique était sans incidence sur la caducité de la promesse, celle-ci pouvant, à partir de cette date, être invoquée par les deux parties.

Mais, en l’espèce, la solution de la Cour de cassation se révèle plus complexe. En effet, elle note la stipulation de la promesse qu'en cas de non-respect par l'acquéreur du délai prévu pour l'obtention du prêt, il appartenait au vendeur de lui adresser une mise en demeure d'avoir à justifier de cette obtention dans le délai d'une semaine, pour faire constater la caducité de la promesse. En conséquence de quoi, eu égard à la réponse rapide de l’acquéreur sur la sommation, la promesse n’était pas caduque. En effet, la solution précédente est à combiner avec une autre, s’agissant de la condition suspensive d’obtention d’un prêt, qui a parfois un fondement légal (C. consom., art. L. 312-16 N° Lexbase : L1346K7Y) : cette condition suspensive de financement, quand elle découle de la loi, est dans l'intérêt exclusif de l'acquéreur, qui seul peut se prévaloir des conséquences juridiques de la défaillance de la condition suspensive [18] – sauf à ce que le contrat aménage pour le vendeur la possibilité d’invoquer cette caducité, mais alors sous des contraintes qu’il convient d’apprécier strictement.

III. Responsabilité du notaire

12. Responsabilité du notaire pour ne pas avoir conseillé une condition suspensive (Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 21-12.345, F-D N° Lexbase : A7290777)

Une promesse de vente d’un immeuble est signée, en vue, pour les acquéreurs, d’y installer leur résidence principale et d’exploiter des gîtes. Le projet des acquéreurs se révèle impossible. Les vendeurs les assignent en paiement de la clause pénale. Les juges finissent par prononcer la nullité de la promesse, pour erreur sur les qualités substantielles. Les acquéreurs agissent alors en indemnisation contre le notaire, lui reprochant le séquestre d’un important dépôt de garantie pendant plusieurs années, outre le coût de la procédure judiciaire afin d’obtenir la nullité de la promesse.

Les juges du fond écartent la responsabilité du notaire, considérant que la promesse n’est qu'un acte préparatoire, et que les pièces usuelles pour la rédaction du compromis n'avaient pas permis de révéler l'impossibilité de réaliser le projet des acquéreurs.

La Cour de cassation affirme, tout d’abord, que le devoir de conseil du notaire s'apprécie au regard du but poursuivi par les parties et de leurs exigences particulières lorsque le praticien du droit en a été informé. La règle recouvre celle déjà formulée antérieurement, selon laquelle le notaire est tenu, dans l'exercice de son devoir de conseil, d'assurer l'efficacité des actes qu'il rédige et d'éclairer les parties sur les règles de droit applicables eu égard au but qu'elles poursuivent [19].  

Dès lors qu’il avait connaissance du projet des gîtes, la juridiction estime que le notaire était tenu de vérifier la faisabilité du projet dont dépendait l'efficacité de l'acte, ou de leur conseiller l'insertion d'une condition suspensive. L’affirmation n’est pas nouvelle. Ainsi, un notaire est jugé fautif de n’avoir pas conseillé à l’acquéreur d’un terrain, ou bien de stipuler une condition relative à sa constructibilité [20], ou bien de stipuler une condition suspensive d’obtention d’un permis de construire [21].

En l’absence de condition suspensive stipulée, la Cour estime que le notaire « aurait dû vérifier la faisabilité du projet ». Pour cette seconde branche de l’alternative, la solution s’inspire de la jurisprudence antérieure selon laquelle le notaire doit vérifier, par toutes investigations utiles, spécialement lorsqu'il existe une publicité légale aisément accessible, les éléments qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l'efficacité de l'acte qu'il dresse [22]. Cette seconde option laisse toutefois dubitatif s’agissant de la promesse de vente, sauf à augmenter sensiblement son délai de réception – alors que la pratique, au contraire, demande une célérité de rédaction. Qui plus est, les documents d’urbanisme des communes ne sont pas toujours aisément accessibles en ligne. De sorte que cette seconde option a vocation à être de pure forme : en cas de doute, hypothèse la plus probable, il convient plutôt de conseiller l’insertion d’une condition suspensive.

13. Frais bancaires en pure perte pour une vente avortée (Cass. civ. 1, 15 juin 2022, n° 20-20.010, F-D N° Lexbase : A738177I)

Sur le plan juridique, l’affaire est une réaffirmation du principe classique de la responsabilité du notaire : le notaire est tenu de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité des actes auxquels il prête son concours. En l’espèce, le notaire a demandé le déblocage du prix d’achat auprès de la banque, pour s’apercevoir, après coup, que le montant des hypothèques, et surtout le refus de mainlevée partielle du créancier, empêchaient l’opération. Par suite, il est jugé responsable des frais bancaires exposés en pure perte par l’acquéreur.

Le fait mérite d’être noté. La pratique de rédaction à « flux tendu » conduit souvent à transmettre la demande de fonds à l’acquéreur sans avoir réellement vérifié toutes les pièces du dossier, pour ne les examiner en détail que lors de la rédaction, postérieure. Il faut y prendre garde, puisque le notaire peut être jugé responsable en cas de préjudice. 


[1] Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 11-15.569, F-P+B+I N° Lexbase : A1199IIA.

[2] Cass. civ. 3, 20 avril 2022, n° 21-12.087, F-D N° Lexbase : A49737UQ.

[3] Cass. civ. 1, 26 septembre 2019, n° 18-21.402, F-D N° Lexbase : A0437ZQA.

[4] Cass. civ. 1, 22 juin 1976, n° 74-14889, publié au bulletin N° Lexbase : A5709CIB.

[5] Cass. civ. 1, 12 décembre 2018, n° 17-14.009, F-D N° Lexbase : A6960YQT.

[6] Cass. civ. 3, 09 février 2011, n° 09-71.498, FS-P+B N° Lexbase : A7282GWM

[7] Cass. civ. 3, 20 juin 2019, n° 18-10.516, F-D N° Lexbase : A2920ZGA.

[8] Cass. civ. 2, 17 mai 1983, n° 82-10.423, publié au bulletin N° Lexbase : A8628CHZ.

[9] Cass. civ. 3, 24 novembre 2021, n° 20-14.003, F-D N° Lexbase : A50247DG.

[10] Cass. civ. 3, 15 février 2006, n° 05-11.263, FS-D N° Lexbase : A9890DMA.

[11] Cass. civ. 1, 23 novembre 2004, n° 02-18.101, F-D N° Lexbase : A0268DEN.

[12] Sur la question, SERDEAUT, Droit des ICPE, Le Moniteur, 2022, p. 71 et s.

[13] Par exemple, Cass. civ. 1, 14 octobre 2015, n° 14-15.143, F-D N° Lexbase : A5926NTN, Cass. civ. 3, 29 juin 2017, n° 16-18.087, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7179WLH.

[14] Cass. civ. 3, 29 février 2012, n° 11-10.318, FS-P+B N° Lexbase : A8718IDA.

[15] C. Sévely-Fournié, Le sort de la promesse synallagmatique de vente à l'échéance du terme convenu pour la signature de l'acte authentique, JCP N, juin 2009, n° 25, 1209.

[16] Cass. civ. 3, 18 février 2009, n° 08-10.677, FS-P+B N° Lexbase : A2692ED3.

[17] Cass. civ. 3, 4 février 2021, n° 20-15.913, F-D N° Lexbase : A01444GG.

[18] Cass. civ. 3, 27 octobre 2016, n° 15-23.727, F-D N° Lexbase : A3226SCH.

[19] Cass. civ. 3, 6 octobre 2016, n° 14-23.375, F-D N° Lexbase : A4427R74.

[20] Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-14.361, F-D N° Lexbase : A55303TY.

[21] Cass. civ. 1, 13 mars 2019, n° 18-11.240, F-D N° Lexbase : A0263Y4I.

[22] Cass. civ. 1, 12 mai 2011, n° 10-17.602, F-D N° Lexbase : A1228HRW.

newsid:482595

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.