La lettre juridique n°896 du 3 mars 2022

La lettre juridique - Édition n°896

Autorité parentale

[Brèves] Enlèvement international d’enfant : réaffirmation, par la Cour de cassation, du principe du retour de l’enfant

Réf. : Cass. civ. 1, 16 février 2022, n° 21-19.061, F-B N° Lexbase : A63517NK

Lecture: 4 min

N0596BZ4

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 02 Mars 2022

► La seule circonstance que le retour de l'enfant auprès du parent à qui il a été illicitement enlevé affecte la situation nouvelle créée entre-temps par le parent ravisseur, aussi stable et favorable soit-elle, ne suffit pas à caractériser le risque grave ou la situation intolérable encourus en cas de retour ;
de même, la seule circonstance selon laquelle le père ne connaît pas l'enfant est impropre à caractériser l'exposition à un danger physique ou psychique, ou le placement dans une situation intolérable justifiant le refus d'ordonner le retour.

Tels étaient les deux arguments avancés par l’auteur du pourvoi et qui ont trouvé écho auprès de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 16 février 2022, par lequel elle censure l’arrêt rendu par la cour d’appel de Basse-Terre.

Les textes. Pour rappel, la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 N° Lexbase : L6804BHH a pour objet d'assurer le retour immédiat dans l'État de leur résidence habituelle des enfants retenus illicitement dans tout autre État contractant.

Aux termes de l'article 13, alinéa 1er, b, de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, le retour de l'enfant déplacé illicitement de sa résidence habituelle peut ne pas être ordonné lorsqu'il existe un risque grave que le retour n'expose l'enfant à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

Et ces circonstances doivent être appréciées en considération primordiale de l'intérêt supérieur de l'enfant, en application de l'article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989.

Interprétation stricte. Dans la lignée de sa jurisprudence, la Cour de cassation retient une lecture très stricte des dispositions de l'article 13, alinéa 1er, b, de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, dont elle rappelle en l’espèce, qu’il en résulte qu’il ne peut être fait exception au retour immédiat de l'enfant que s'il existe un risque de danger grave ou de création d'une situation intolérable (cf. Cass. civ. 1, 7 décembre 2016, n° 16-20.858, F-P+B N° Lexbase : A3851SPC ; Cass. civ. 1, 13 février 2013, n° 11-28.424, FS-P+B+I N° Lexbase : A0545I8P ; cette jurisprudence contredit celle de la Cour européenne, « qui tend à faire du seul intérêt supérieur de l'enfant un obstacle à son retour » : cf. Adeline Gouttenoire, Déplacement illicite d'enfant : la difficile conciliation de l'obligation au retour et du respect de l'intérêt supérieur de l'enfant, Lexbase Droit privé, mars 2013, n° 520 N° Lexbase : N6287BTZ).

L’affaire. En l’espèce, pour dire n'y avoir lieu au retour de l'enfant au Canada, la cour d’appel de Basse-Terre avait retenu que l’enfant, aujourd'hui âgée de huit ans, était parfaitement intégrée en Guadeloupe où elle vivait avec sa mère depuis plus de quatre années et où elle bénéficiait d'un environnement familial, amical et scolaire favorable à son épanouissement intellectuel, social et affectif, et qu'il n'était apporté aucun élément sur les conditions du retour de l'enfant auprès de son père, qu'elle ne connaissait pas et avec lequel elle ne vivait pas au moment de son départ comme le révélait la décision de la Cour supérieure du Canada du 26 janvier 2015 ayant confié la garde de l'enfant à la mère et un droit de visite et d'hébergement au père (CA Basse-Terre, 8 mars 2021, n° 19/01165 N° Lexbase : A21014KZ).

Mais les arguments précités, avancés par l’auteur du pourvoi, ont trouvé écho auprès de la Cour suprême qui retient, comme dans les arrêts précités de 2013 et 2016, qu’en se déterminant par des motifs impropres à caractériser, au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, le danger grave encouru par celui-ci en cas de retour immédiat ou la situation intolérable qu'un tel retour créerait à son égard, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Pour aller plus loin : cf. ÉTUDE : L’autorité parentale sur la personne de l'enfant, Les aspects civils de l'enlèvement d'enfant, in L'autorité parentale, (dir. A. Gouttenoire), Lexbase N° Lexbase : E5830EYL.

 

newsid:480596

Avocats/Déontologie

[Brèves] La Robe se porte sans voile

Réf. : Cass. civ. 1, 2 mars 2022, n° 20-20.185, FP-B+R N° Lexbase : A10547PQ

Lecture: 7 min

N0632BZG

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par Marie Le Guerroué

Le 03 Mars 2022

► Le conseil de l’Ordre d’un barreau peut interdire de porter, avec la robe d’avocat, tout signe manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique.

Faits et procédure. Le 24 juin 2019, le conseil de l’Ordre d’un barreau de Lille avait modifié son règlement intérieur en ajoutant au titre consacré aux « rapports avec les institutions » l’alinéa suivant : « L’avocat ne peut porter avec la robe ni décoration, ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique ». Une élève-avocate et son maître de stage, avocat, avaient chacun formé un recours contre cette délibération du conseil de l’Ordre.

Cour d’appel. Le 9 juillet 2020, la cour d’appel avait déclaré le recours de l’élève-avocate irrecevable, celle-ci n’étant pas encore avocate et n’ayant donc pas qualité à agir et rejeté la demande de son maître de stage de voir annuler cette délibération du conseil de l’Ordre (CA Douai, 9 juillet 2020, n° 19/05808 N° Lexbase : A94213RD ; lire à ce propos, F.-X. Berger, La robe d’avocat à l’épreuve de son temps, Lexbase Avocats, septembre 2020 N° Lexbase : N4369BYH).

Réponse de la Cour.

Sur la qualité à agir de l’élève-avocate. La Cour rappelle qu’il résulte des articles 31 du Code de procédure civile, 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ et 14, 15 et 62 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID que, d'une part, seul le procureur général ou un avocat s'estimant lésé dans ses intérêts professionnels peut déférer à la cour d'appel les délibérations ou décisions du conseil de l'Ordre, d'autre part, l'élève avocat dépend juridiquement de ce centre, de sorte que, s'agissant d'une action attitrée, celui-ci n'a pas qualité pour agir en contestation d'une délibération du conseil de l'Ordre d'un barreau. Après avoir relevé que la demanderesse n'était pas avocate, mais élève-avocate en formation, non encore titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, la cour d'appel en a, pour la Cour de cassation, exactement, déduit que celle-ci ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article 15 du décret précité, en l'absence de justification d'un intérêt professionnel lésé, et que le serment prêté par les élèves avocats au début de leur formation n'était pas de nature à les assimiler à des avocats ni leur conférer la qualité exigée par ce texte. Ayant retenu que l’intéressée qui n'était pas soumise au port de la robe en sa qualité d'élève-avocate, ne pouvait se prévaloir d'une violation actuelle de ses droits et libertés reconnus par la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel n'était pas, selon la Haute juridiction, tenue de procéder à une recherche que ses constatations et énonciations rendaient inopérante.

Sur la compétence du conseil de l’Ordre. La Cour rappelle, dans un second temps, que l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 énonce que les avocats sont des auxiliaires de justice, prêtent serment en ces termes : « Je jure comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité » et revêtent, dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession. Selon l'article 17 de la loi susvisée, le conseil de l'Ordre a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession, sans préjudice des attributions dévolues au Conseil national des barreaux (CNB). Selon l'article 21-1, le CNB unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession. En l'absence de disposition législative spécifique et à défaut de disposition réglementaire édictée par le CNB, il entre, selon la Cour, dans les attributions d'un conseil de l'Ordre de réglementer le port et l'usage du costume de sa profession. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que les modalités du port et de l'usage du costume intéressaient l'exercice de la profession d'avocat et que le conseil de l'Ordre avait le pouvoir de modifier son règlement intérieur sur ce point.

Sur la restriction des libertés religieuse et d’expression. La Haute Cour rappelle qu’il résulte des articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 N° Lexbase : L6813BHS, 9 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L6799BHB, et 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques N° Lexbase : L6816BHW que toute personne a droit, d'une part, à la liberté de pensée, de conscience et de religion, d'autre part, à la liberté d'expression et que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre, de la santé ou de la moralité publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Selon l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 précité, les avocats sont des auxiliaires de justice qui prêtent serment d'exercer leurs fonctions notamment avec indépendance et qui revêtent, dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession, défini par l'arrêté des consuls du 2 nivôse an XI. Après avoir rappelé que les avocats sont des auxiliaires de justice qui, en assurant la défense des justiciables, concourent au service public de la justice, la cour d'appel a retenu que la volonté d'un barreau d'imposer à ses membres, lorsqu'ils se présentent devant une juridiction pour assister ou représenter un justiciable, de revêtir un costume uniforme contribue à assurer l'égalité des avocats et, à travers celle-ci, l'égalité des justiciables, élément constitutif du droit à un procès équitable, qu'afin de protéger leurs droits et libertés, chaque avocat, dans l'exercice de ses fonctions de défense et de représentation, se doit d'effacer ce qui lui est personnel et que le port du costume de sa profession sans aucun signe distinctif est nécessaire pour témoigner de sa disponibilité à tout justiciable. La cour d'appel, qui s'est ainsi fondée sur l'article 3 précité et les usages de la profession, en a, selon les juges du droit, déduit à bon droit que l'interdiction édictée à l'article 9.6 du règlement intérieur du barreau de Lille, suffisamment précise en ce qu'elle s'appliquait au port, avec la robe, de tout signe manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique, était nécessaire afin de parvenir au but légitime poursuivi, à savoir protéger l'indépendance de l'avocat et assurer le droit à un procès équitable, mais était aussi, hors toute discrimination, adéquate et proportionnée à l'objectif recherché. Le moyen n'est donc, selon la Cour, pas fondé.

Rejet. Le rejet de la demande d’annulation de cette délibération du conseil de l’Ordre est donc confirmé.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La représentation en justice et défense, La qualité d'auxiliaire de justice de l'avocat N° Lexbase : E36293RT et ÉTUDE : La contestation des délibérations et des décisions du conseil de l'Ordre N° Lexbase : E33993RC, in La profession d’avocat, (dir. H. Bornstein), Lexbase.

 

newsid:480632

Avocats/Honoraires

[Brèves] La solidarité entre époux ne peut être invoquée pour justifier une demande d'honoraires

Réf. : CA Besançon, 3 février 2022, n° 21/02026 N° Lexbase : A42187LS

Lecture: 2 min

N0553BZI

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par Marie Le Guerroué

Le 02 Mars 2022

► La conclusion d'un mandat avec un avocat pour engager une procédure judiciaire n'entre pas dans la catégorie des dépenses ménagères ; la solidarité entre époux ne peut donc être invoquée pour justifier une demande d'honoraires.

Procédure. L’appelante formait un recours à l'encontre de la décision rendue par le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau du Besançon ayant évalué à 1236,00 euros le montant des frais et honoraires dus par cette dernière et son épouse avec qui elle était en instance de divorce. Elle précise qu'elle ne savait pas que son épouse avait rencontré un avocat et conteste avoir donné un mandat à celui-ci. L’avocat indique que son associé a été saisi par la seconde épouse pour le compte du couple pour un contentieux relatif à une pompe à chaleur. Il demande la confirmation de l'ordonnance de taxe.

Réponse de la cour. La cour relève, qu’en l'espèce, l’avocat reconnaît n'avoir jamais rencontré l’appelante, mais seulement son épouse qui l'a chargé d'une procédure relativement à un contentieux sur une pompe à chaleur. Il évoque à l'audience la solidarité entre époux pour justifier sa demande d'honoraires à l'encontre de l’appelante. La cour rappelle que par application de l'article 220 du Code civil N° Lexbase : L2389AB4, chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l'un oblige l'autre solidairement. Cet article se borne à énoncer une règle d'obligation solidaire des époux seulement dans le cadre d'une dette ménagère ou relative à l'entretien des enfants. En l'espèce, la conclusion d'un mandat avec un avocat pour engager une procédure judiciaire n'entre pas dans la catégorie des dépenses ménagères. En conséquence, la solidarité entre époux ne peut être mise en œuvre. Le paiement des honoraires incombe seulement à la seconde épouse.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les honoraires, émoluments, débours et modes de paiement des honoraires, La détermination du débiteur de l'honorairein La profession d’avocat, (dir. H. Bornstein), Lexbase N° Lexbase : E37843RL.

 

newsid:480553

Contrôle fiscal

[Brèves] Visites domiciliaires : la LF pour 2022 alourdit les sanctions en cas d’obstacle à l’accès de pièces ou documents sur support informatique

Réf. : Loi n° 2021-1900, du 30 décembre 2021, de finances pour 2022, art. 141 N° Lexbase : L3007MAM

Lecture: 2 min

N0581BZK

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par Marie-Claire Sgarra

Le 02 Mars 2022

L’article 141 de la loi de finances rehausse le montant des amendes prévues en cas d’obstacle à l’accès aux données informatisées dans le cadre des visites domiciliaires.

Pour rappel, l’article 1735 quater du CGI N° Lexbase : L5440MAQ prévoit une sanction en cas d’obstacle à l’accès aux pièces ou documents informatiques dans le cadre d’une visite domiciliaire. L’amende est égale à :

  • 10 000 euros, ou 5 % des droits rappelés si ce dernier montant est plus élevé, lorsque l’obstacle est constaté dans les locaux occupés par le contribuable soupçonné de fraude lui-même ;
  • 10 000 euros lorsque l’obstacle est constaté dans les locaux occupés par le représentant en droit ou en fait du contribuable ;
  • 1 500 euros dans les autres cas, c’est-à-dire lorsque l’obstacle est constaté dans les locaux d’un tiers.

La loi de finances pour 2022 rehausse le niveau des amendes qui seront portées dorénavant à :

  • 50 000 euros ou 5 % des droits rappelés si ce dernier montant est plus élevé, lorsque l’obstacle est constaté dans les locaux occupés par le contribuable soupçonné de fraude lui-même ;
  • 50 000 euros lorsque l’obstacle est constaté dans les locaux occupés par le représentant en droit ou en fait du contribuable ;
  • 10 000 euros dans les autres cas, c’est-à-dire lorsque l’obstacle est constaté dans les locaux d’un tiers.

Pour les visites douanières, la note s’alourdit également. L’amende passe de 10 000 euros à 50 000 euros lorsque l’obstacle est constaté dans les locaux occupés par l’occupant des lieux ou son représentant (C. douanes, art. 416 N° Lexbase : L9436IY7).

I. - L'article 1735 quater du Code général des impôts est ainsi modifié :

1° Le 1° est ainsi modifié :

a) Au début, le montant : « 10 000 euros » est remplacé par le montant : « 50 000 euros » ;

b) À la fin, les mots : « ce même article » sont remplacés par les mots : « l'article L. 16 B du même Livre ou par la personne susceptible d'avoir commis les infractions mentionnées au 1 de l'article L. 38 dudit Livre » ;

2° Le 2° est ainsi modifié :

a) Au début, le montant : « 1 500 euros » est remplacé par le montant : « 10 000 euros » ;

b) Le montant : « 10 000 euros » est remplacé par le montant : « 50 000 euros » ;

c) À la fin, les mots : « mentionné au même I » sont remplacés par les mots : « ou de la personne mentionnés au 1° du présent article ».

II.- Aux premier et second alinéas de l'article 416 du Code des douanes, le montant : « 10 000 euros » est remplacé par le montant : « 50 000 euros ».

newsid:480581

Droit pénal international et européen

[Brèves] Immunité de juridiction d’un État étranger : le naufrage du Joola ou l’illustration d’une limitation du droit d’accès à un tribunal conforme aux exigences de la CESDH

Réf. : CEDH, 24 février 2022, Req. 21119/19, Association des familles des victimes de Joola c. France N° Lexbase : A06287PX

Lecture: 5 min

N0611BZN

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par Adélaïde Léon

Le 02 Mars 2022

► L’octroi de l’immunité souveraine à un État dans une procédure civile poursuit le but légitime d’assurer le respect du droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre États en garantissant le respect de la souveraineté des autres États ; ne s’écartent pas des normes internationales alors admises les juridictions internes qui, pour accorder une telle immunité à des dirigeants sénégalais, constatent que les violations litigieuses étaient imputées à des personnes impliquées à un niveau élevé de l’État et résultaient d’un exercice de la souveraineté du Sénégal, et que les infractions reprochées ne relevaient pas des exceptions au principe de l’immunité des représentants de l’État dans l’expression de sa souveraineté.

Rappel des faits et de la procédure. Le 26 septembre 2002, au large des côtes de la République de Gambie, le navire le Joola faisait naufrage dans les eaux internationales. 1 863 des 1 928 passagers et hommes d’équipage embarqués ont trouvé la mort ou ont été portés disparus, parmi lesquels plusieurs ressortissants français. Une plainte a été déposée en France par l’unique survivant français ainsi que plusieurs ayants droit des victimes françaises décédées ou disparues. Après avoir procédé à une analyse juridique du navire, lequel était hybride, car marqué par le caractère mixte de son exploitation entre militaire et commerciale, le juge d’instruction a prononcé un non-lieu en raison de l’immunité de juridiction dont bénéficiaient les personnes mises en cause.

Par un arrêt du 14 juin 2016, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction. Elle relevait, d’une part, que l’équipage du navire qui avait coulé en haute mer était commandé et encadré par des officiers de la marine nationale sénégalaise, et géré par le ministère des forces, d’autre part, que les personnes contre lesquelles il existait des charges suffisantes agissaient au moment des faits dans l’exercice de l’autorité étatique et, enfin, qu’en l’état du droit international, les infractions visées n’étaient pas de nature à priver d’effet l’immunité de juridiction.

Les parties civiles ont formé un pourvoi en cassation qui fut rejeté par la Chambre criminelle (Cass. crim., 16 octobre 2018, n° 16-84.436, FS-P+B N° Lexbase : A9883YG7).

Requête. L’Association des familles des victimes du Joola, avait alors introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) soutenant que l’octroi de l’immunité aux responsables du naufrage constituait une restriction disproportionnée de son droit d’accès à un tribunal. Elle affirmait que les violations aux règlements internationaux de navigation et de sécurité étaient des actes qui ne participaient pas à l’exercice de la souveraineté de l’État sénégalais et ne pouvaient donc bénéficier de l’immunité retenue.

Décision. La CEDH déclare la requête irrecevable.

Après avoir rappelé le droit de chacun à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil, la Cour souligne que le droit d’accès aux tribunaux n’est pas absolu. Il souffre en effet de limitations implicitement admises induites par la règlementation des États qui jouissent d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient précisément à la Cour de contrôler que ces limitations tendent à un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

En l’espèce, la Cour reconnait que l’association a subi une limitation de son droit d’accès à un tribunal en ce qu’elle n’a pu bénéficier d’un procès ou il serait débattu de la responsabilité pénale des dirigeants sénégalais de l’époque du naufrage.

La CEDH note que le but légitime poursuivi était d’observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre États en garantissant le respect de la souveraineté des autres États. La Cour constate qu’aucune raison ne conduit en l’espèce à mettre en cause la légitimité de ce but.

S’agissant de la proportionnalité de la restriction litigieuse, la Cour constate que les juridictions internes ont accordé l’immunité litigieuse en se conformant aux normes internationales actuellement admises. Par ailleurs, elles n’ont pas opposé de refus d’informer en raison de l’immunité des personnes concernées. Des investigations particulièrement minutieuses et exhaustives ont au contraire été menées sur les faits et ont conduit les autorités à retenir que ceux-ci présentaient le caractère matériel de l’infraction d’homicide involontaire et qu’il y avait lieu de réparer les préjudices en résultant.

Enfin, la CEDH souligne que les juridictions internes avaient elles-mêmes constaté que, si les parties civiles étaient effectivement empêchées par l’immunité de juridiction de demander publiquement la réparation de leurs préjudices, elles disposaient de voies de recours civiles à cette fin. En conséquence, la Cour affirme que la requérante et les autres parties civiles ne se sont pas trouvées dans une situation d’absence de tout recours.

La CEDH conclut donc qu’elle ne relève rien d’arbitraire ni de déraisonnable dans l’interprétation donnée par les juridictions internes aux principes de droits applicables ni dans la manière dont elles les ont appliqués au cas d’espèce.

Pour aller plus loin : C. Lacroix, Joola : Un procès échoué sur les récifs de l’immunité de juridiction, Lexbase Pénal, novembre 2018 N° Lexbase : N6415BXU.

newsid:480611

Égalité salariale hommes/femmes

[Brèves] Précisions sur les mesures de correction et sur les objectifs de progression relatifs à l’index de l’égalité professionnelle

Réf. : Décret n° 2022-243, du 25 février 2022, relatif aux mesures visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans l'entreprise prévues par l'article 13 de la loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle et par l'article 244 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 N° Lexbase : L5569MBU

Lecture: 3 min

N0586BZQ

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par Lisa Poinsot

Le 04 Mars 2022

Le 1er mars 2022, a été publié l’indicateur de représentation entre les femmes et les hommes dans les entreprises. Si les résultats de l’index sont insuffisants, la loi « Rixain » du 24 décembre 2021 impose la publication d’éventuelles mesures de corrections et objectifs de progression devant être mis en œuvre au plus tard le 1er septembre 2022 et dont les modalités sont précisées par un décret du 25 février 2022.

Publication des résultats. Chaque année, le 1er mars, l’entreprise doit publier les éléments permettant de calculer l’index de l’égalité professionnelle sur le site du ministère du Travail.

L’article 1 du décret du 25 février 2022 précise que « la publication des informations mentionnées au premier alinéa est actualisée sur le site internet du ministère chargé du Travail, chaque année au plus tard le 31 décembre, par les services du ministre chargé du Travail ».

Par ailleurs, les informations portant sur les résultats ainsi que les mesures de corrections et les objectifs de progression doivent être mises à la disposition du CSE.

Mesures de correction. La loi « Rixain » N° Lexbase : L0987MAS impose la publication d’éventuelles mesures de correction qui doivent être mises en œuvre dès lors que le résultat de l’index de l’égalité professionnelle n’atteint pas 75 points.

Ces mesures sont transmises aux services du ministre chargé du Travail (art. 1) et sont consultables sur le site internet de l’entreprise (art. 3). Les salariés doivent en avoir connaissance par tout moyen.

L’article 4 du décret dispose que, par dérogation, la publication des mesures de correction peut être réalisée au plus tard le 1er septembre 2022 pour les entreprises ayant obtenu, pour l’année 2021, un résultat inférieur au seuil de 75 points.

Objectifs de progression. À l’instar des mesures de correction, le décret précise que ces objectifs sont transmis aux services du ministre chargé du Travail, consultables sur le site internet de l’entreprise et doivent être à la disposition des salariés. Ces objectifs sont fixés pour chaque indicateur pour lequel la note maximale n’est pas atteinte et dès lors que le résultat de l’index est inférieur à 85 points (art. 1). Concernant plus particulièrement l’indicateur d’écart de rémunération, l’entreprise doit prévoir un objectif de progression permettant d’assurer l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes (C. trav., art. L. 3221-2 N° Lexbase : L0796H9D).

L’article 4 du décret dispose que, par dérogation, la publication des objectifs de progression peut être réalisée au plus tard le 1er septembre 2022 pour les entreprises ayant obtenu, pour l’année 2021, un résultat inférieur au seuil de 85 points.

Pour aller plus loin : v. L. Poinsot, Loi « Rixain » : renforcer l’égalité économique et professionnelle entre les femmes et les hommes, Lexbase Social, février 2022, n° 893 N° Lexbase : N0302BZ9.

 

 

newsid:480586

Famille et personnes

[Brèves] Publication au JO du décret d’application de la loi relative à la bioéthique (volet droit des personnes et de la famille)

Réf. : Décret n° 2022-290, du 1er mars 2022, portant application de certaines dispositions de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et modifiant diverses dispositions relatives à l'état civil (N° Lexbase : L7190MBW)

Lecture: 4 min

N0618BZW

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 02 Mars 2022

► Publié au Journal officiel du 2 mars 2022, le décret n° 2022-290 du 1er mars 2022 tire les conséquences réglementaires de l'adoption de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique qui étend l'accès à l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées ; il prévoit également diverses dispositions d'application en matière d'état civil, dans le cadre de la procédure de modification de la mention du sexe dans les actes de l'état civil et dans le cadre de la délivrance des actes de l'état civil pour les personnes présentant une variation du développement génital.

Extension de l'accès à la PMA aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Le décret tire les conséquences réglementaires de l'adoption de certaines dispositions de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique N° Lexbase : L4001L7C. Il modifie le Code de procédure civile pour préciser l'information délivrée par le notaire à l'occasion du recueil du consentement des couples de femmes et des femmes non mariées à l'assistance médicale à la procréation (C. proc. civ., art. 1157-2 N° Lexbase : L3123LWL et 1157-3 N° Lexbase : L3122LWK modifiés).

Il modifie le décret n° 74-449 du 15 mai 1974 modifié relatif au livret de famille et à l'information des futurs époux sur le droit de la famille N° Lexbase : L9999A8T, en adaptant les dispositions réglementaires en matière de délivrance du livret de famille à l'extension de l'assistance médicale à la procréation.

Il adapte également les dispositions réglementaires en matière de changement de nom, telles qu'issues du décret n° 2004-1159 du 29 octobre 2004 modifié portant application de la loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 modifiée relative au nom de famille et modifiant diverses dispositions relatives à l'état civil N° Lexbase : L3790GUW, pour tenir compte de l'extension de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées.

Acte d’enfant sans vie. Le décret précité du 15 mai 1974 est également adapté pour prévoir, d'une part, la possibilité d'inscrire sur le livret de famille le décès des enfants, qu'ils soient mineurs ou majeurs et, d'autre part, l'ajout éventuel des prénoms et nom de l'enfant sans vie sur le livret de famille, en application de la loi n° 2021-1576 du 6 décembre 2021 visant à nommer les enfants sans vie N° Lexbase : L8158L9Z.

Changement de sexe à l’état civil. Dans un objectif de respect de l'intimité de la vie privée, le décret étend les cas dans lesquels les copies intégrales d'un acte de l'état civil ne font plus apparaître la mention de rectification sauf autorisation du procureur de la République, pour les personnes présentant une variation du développement génital.

Enfin, le décret clarifie les règles de compétence territoriale dans le cadre de la procédure de modification de la mention du sexe dans les actes de l'état civil (C. proc. civ., art. 1055-5 modifié N° Lexbase : L6118LTR).

Entrée en vigueur. Le texte est entré en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 3 mars 2022.

Pour aller plus loin :

  • (re)lire le Dossier spécial « Loi bioéthique 2021 : les apports en droit des personnes et de la famille », Lexbase Droit privé, septembre 2021, n° 878 N° Lexbase : N8818BYA, et plus spécifiquement : C. Siffrein-Blanc, L’accès à la parenté pour tous, consacré par la loi bioéthique du 2 août 2021 N° Lexbase : N8823BYG ; B. Pitcho et M. Petkova, La prise en charge des personnes intersexes, consacrée par la loi bioéthique du 2 août 2021 N° Lexbase : N8817BY9 ;
  • (re)lire le commentaire de la loi n° 2021-1576, du 6 décembre 2021, permettant de nommer les enfants sans vie, par Isabelle Corpart, Insertion des enfants nés sans vie dans l’histoire familiale grâce à la transmission d’un nom de famille, Lexbase Droit privé, décembre 2021, n° 888 N° Lexbase : N9755BYX.

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Procédure civile

[Textes] Énième décret de procédure civile : annexe à la déclaration d’appel, médiation, etc.

Réf. : Décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire et modifiant diverses dispositions N° Lexbase : L5564MBP

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par Charles Simon, avocat au Barreau de Paris, administrateur de l’AAPPE et de Droit & Procédure

Le 02 Juin 2022

Mots-clés : procédure civile • déclaration d’appel • médiation • article 700 • saisine du tribunal judiciaire • injonction de payer

La Chancellerie propose un nouveau patchwork de réformes de la procédure civile. Les points saillants concernent l’annexe à la déclaration d’appel ; la médiation et l’obligation de recours à un préalable amiable avant la saisine du tribunal judiciaire en cas de trouble anormal du voisinage.


 

Alors que l’ensemble des acteurs, magistrats, greffiers, avocats, universitaires, demandent une pause dans les réformes incessantes de la procédure civile, la Chancellerie, en bon Shadock, accélère.

Après les décrets

  • n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 « réformant la procédure civile » N° Lexbase : L8421LT3 ;
  • n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 « relatif à la procédure accélérée au fond devant les juridictions judiciaires » N° Lexbase : L1578LUY ;
  • n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 « portant diverses dispositions relatives notamment à la procédure civile et à la procédure d'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions » N° Lexbase : L2353L8N ;
  • et n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 « relatif à la procédure d'injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d'avocat et modifiant diverses dispositions de procédure civile » N° Lexbase : L4794L83 ;

voici venu le temps du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 « favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et modifiant diverses dispositions ».

En l’espace d’un peu plus de deux ans, ce sont ainsi cinq décrets d’importance diverse que les praticiens ont dû digérer, garantissant, au passage, que leurs codes papier ne soient jamais à jour.

Ces praticiens risquent à nouveau d’être frappés de sidération à la lecture de cet énième décret de procédure civile et des deux arrêtés qui l’accompagnent, arrêté du 24 février 2022 pris en application de l’article 1411 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5665MBG et arrêté du 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel N° Lexbase : L5628MB3.

C’est en effet un festival entre annexe à la déclaration d’appel (I) ; médiation (II) ; article 700 du CPC (III) ; obligation d’un préalable amiable avant la saisine du tribunal judiciaire (IV) ; apposition de la formule exécutoire par le greffe en cas d’accord issue d’une médiation, une conciliation ou une procédure participative contresigné par avocat (V) ; injonctions de payer (VI) et autres menus détails (VII). Le tout dans un style plus ou moins heureux.

I. Annexe à la déclaration d’appel

A. Reconnaissance textuelle de l’annexe à la déclaration d’appel

À tout seigneur tout honneur. Si l’annexe à la déclaration d’appel n’apparaît pas dans le titre du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, c’est bien la disposition la concernant qui devrait intéresser le plus les praticiens. Cette disposition est pour le moins subreptice et cryptique.

L’article 901 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5415L83 est modifié de la façon suivante (modifications entre ***) :

« la déclaration d'appel est faite par acte***, comportant le cas échéant une annexe,*** contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 N° Lexbase : L8645LYT et par le cinquième alinéa de l'article 57 N° Lexbase : L9288LT8… »

Cette nouvelle rédaction est applicable y compris aux procédures en cours.

En complément, les articles 3 et 4 de l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel N° Lexbase : L1630LXN sont également modifiés de la façon suivante par l’arrêté du 25 février 2022 accompagnant le décret :

« le message de données relatif à l’envoi d'un acte de procédure remis par la voie électronique est constitué d’un fichier au format XML destiné à faire l'objet d'un traitement automatisé par une application informatique du destinataire.

« ***Lorsque ce fichier est une déclaration d’appel, il comprend obligatoirement les mentions des alinéas 1 à 4 de l'article 901 du Code de procédure civile. En cas de contradiction, ces mentions prévalent sur celles mentionnées dans le document fichier au format PDF visé à l’article 4*** [c’est-à-dire l’annexe à la déclaration d’appel]. »

« Lorsqu’un document doit être joint à un acte, ***ledit acte renvoie expressément à ce document.***« ***Ce document*** est communiqué sous la forme d’un fichier séparé ***du*** fichier ***visé à l'article 3***. Ce document est un fichier au format PDF, produit soit au moyen d’un dispositif de numérisation par scanner si le document à communiquer est établi sur support papier, soit par enregistrement direct au format PDF au moyen de l’outil informatique utilisé pour créer et conserver le document original sous forme numérique.

On comprend qu’il s’agit là de couper court à l’émoi provoqué par un arrêt récent de la Cour de cassation du 13 janvier 2022 qui déniait toute valeur à l’annexe à la déclaration d’appel (Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-17.516, FS-B N° Lexbase : A14867IU.

Il en a déjà été question dans ces pages [1].

B. Le problème à résoudre

Pour rappel, le problème est le suivant : lorsque l’avocat régularise une déclaration d’appel par RPVA, il doit remplir un formulaire en-ligne peu pratique (espace limité ; pas de mise en page possible), produisant un fichier informatique particulièrement inesthétique. Certains avocats ont donc eu l’idée de remplir a minima le formulaire en-ligne, en particulier le champ « objet/portée de l’appel », et de joindre une « annexe » au format PDF reprenant la forme des anciennes déclarations d’appel-papier.

Le souci est, bien sûr, que cela rend largement inutile le formulaire en-ligne puisque son objectif est de permettre de gagner du « temps de greffe » en automatisant la création d’un nouveau fichier dit récapitulatif à partir des informations que l’avocat a remplies. C’est ce fichier récapitulatif qui tient lieu de déclaration d’appel selon l’article 8 de l’arrêté du 20 mai 2020.

Car, de façon étonnante, la déclaration d’appel n’est pas le fichier que l’avocat envoie, mais l’acte que le greffe génère automatiquement, après enregistrement (Cass. civ. 2, 6 décembre 2018, n° 17-27.206, F-P+B N° Lexbase : A7887YPS). Cela est contraire à toute logique et au texte de l’article 901 du Code de procédure civile (« la déclaration d'appel est faite par acte… signée par l'avocat constitué… Elle est remise au greffe… »). Mais la logique et les textes n’arrêtent pas actuellement la Chancellerie.

Quoi qu’il en soit, dans son arrêt du 13 janvier 2022, la Cour de cassation a confirmé une cour d’appel qui avait estimé n’être saisie de rien car les chefs critiqués du jugement se trouvaient dans l’annexe et non dans la déclaration d’appel générée à partir des informations portées dans le formulaire en-ligne. La Cour de cassation retient, en particulier, que l’appelant n’alléguait pas un empêchement technique à renseigner la déclaration justifiant le recours à une annexe.

C. Une réponse qui ne résout sans doute rien

On comprend donc que le décret et l’arrêté du 25 février 2022 visent à revenir sur cette jurisprudence. Mais les modifications apportées vont-elles permettre de mettre fin au problème rencontré ? Rien n’est moins sûr.

En effet, les expressions « le cas échéant » ; « lorsqu’un document doit être joint à un acte » laissent entendre que l’avocat n’est pas libre de choisir entre remplir le formulaire en-ligne ou fournir une annexe. Le recours à l’annexe demeure bien subsidiaire et doit être justifié, ce que confirme le fait que l’article 3 de l’arrêté du 20 mai 2020 énonce toujours que « [le fichier XML issu des informations renseignées dans le formulaire en-ligne] comprend obligatoirement les mentions des alinéas 1 à 4 de l'article 901 du code de procédure civile » et donc les chefs de jugement critiqués (CPC. art. 901 4°).

Il est donc possible que, même après cette modification textuelle, la Cour de cassation maintienne sa position. C’est ainsi sans doute beaucoup de bruit pour rien comme certains commentateurs l’indiquent déjà [2].

II. Médiation

La médiation est la partie quantitativement la plus importante du décret n° 2022-245 du 25 février 2022.

Sans prétendre à l’exhaustivité, on retiendra plus particulièrement quatre points :

  • la possibilité ouverte au juge d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur (A);
  • les nouvelles modalités de fixation de la rémunération du médiateur (B);
  • le versement de la provision directement entre les mains du médiateur (C);
  • et la consécration de la médiation devant la Cour de cassation (D).

A. La possibilité pour le juge d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur

Concernant le premier point, le juge a désormais expressément le pouvoir d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur. Mais il ne peut pas les forcer à entrer en médiation. Il ne s’agit donc bien que de les contraindre à en apprendre plus sur la médiation, en espérant que cela les incite à sauter le pas et à en entamer effectivement une. Il est précisé que la décision du juge est une mesure d'administration judiciaire.

Dans la pratique, un certain nombre de juges s’arrogeaient déjà ce pouvoir. C’est la poursuite du développement punitif des modes alternatifs de règlement des litiges, alors que l’interrogation des parties sur l’opportunité du recours à un tel mode de règlement des litiges débouchait jusqu’à présent souvent sur un refus de principe. Peut-être les refus seront-ils tout aussi nombreux demain mais le juge aura la satisfaction de savoir que les parties ont d’abord dû rencontrer un médiateur avant de lui dire non.

On notera qu’aucune sanction n’est attachée au non-respect par les parties de l’injonction que le juge leur a faite.

Enfin, la précision que cette « décision » du juge serait une mesure d’administration judiciaire paraît superflue. En effet, le juge ne tranchant rien ici, on comprend mal le qualificatif de « décision » et comment quiconque pourrait penser en faire appel, sauf à s’engager dans une stratégie dilatoire forcenée. Nous laissons de côté la partie mal lunée qui fera appel dans tous les cas, y compris lorsque les textes lui disent qu’elle n’en a pas le droit.

B. Les modalités de fixation de la rémunération du médiateur

Concernant le deuxième point et les nouvelles modalités de fixation de la rémunération du médiateur, jusqu’à présent, la façon dont cette rémunération était fixée était nébuleuse. On pouvait simplement observer en pratique que, généralement, les sommes demandées finalement par le médiateur correspondaient peu ou prou aux provisions que les parties avaient déjà acquittées.

La nouvelle rédaction de l’article 131-13 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5986MBC vise à corriger ce flou, en prévoyant désormais que la rémunération du médiateur est fixée, à l'issue de sa mission, en accord avec les parties. À défaut d’accord, la rémunération du médiateur est fixée par le juge.

Les praticiens verront à l’usage si cette nouvelle façon de procéder est source de litige entre médiateurs et parties.

C. Le versement de la provision directement entre les mains du médiateur

Concernant le troisième point, l’article 131-3 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5817IRU indique désormais que la provision à valoir sur la rémunération du médiateur est versée entre les mains de ce dernier. Il n’y a donc plus lieu à consignation entre les mains de la régie d’avances et de recettes du tribunal, ce qui permettra encore de gagner du « temps de greffe » puisqu’il s’agit, manifestement, de l’unité de mesure de l’intérêt des réformes de la procédure civile pour la Chancellerie.

De façon logique, la nouvelle rédaction de l’article 131-13 du Code de procédure civile prévoit que, si le juge fixe la rémunération du médiateur à un montant inférieur à celui demandé par le médiateur, celui-ci restitue, s’il y a lieu, le trop versé.

D. Médiation devant la Cour de cassation

Enfin, concernant le quatrième point, l’article 1012 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5916MBQ prévoit que, devant la Cour de cassation, un médiateur peut être désigné après recueil de l'accord des parties. Il est précisé que la décision ordonnant la médiation est prise après le dépôt des mémoires, soit potentiellement six mois après la date du pourvoi (quatre mois pour le mémoire ampliatif et deux mois pour le mémoire en défense aux termes des articles 978 N° Lexbase : L7856I4Q et 982 N° Lexbase : L1186H4P du Code de procédure civile).

Comme souvent, la Cour de cassation se hâte donc avec lenteur. Là encore, il faudra voir à l’usage ce qu’il en sort et s’il s’agit d’une innovation utile ou d’une énième fausse bonne idée.

III. L’article 700 du Code de procédure civile

L’article 700 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5913MBM est modifié pour permettre aux parties de « produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent ». On avouera que cet ajout laisse pantois : le fait qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention est en effet un principe directeur du procès aux termes de l’article 9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1123H4D.

Cet ajout fait, en réalité, écho à d’autres ajouts identiques disséminés dans d’autres textes par l’article 48 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire N° Lexbase : L3146MAR (C. proc. pén.,216 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1341MAW en matière d’arrêts de la Chambre de l’instruction ; CJA, art. L. 761-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1303MAI devant toutes les juridictions administratives…).

La procédure civile relevant du domaine réglementaire, un décret était nécessaire pour implémenter cet ajout aussi à l’article 700 du Code de procédure civile. art.

À quoi sert-il ? Il se dit que l’idée est de permettre aux avocats de verser leurs factures aux débats afin de justifier des « frais irrépétibles » selon l’expression consacrées. Mais cela pose un certain nombre de problèmes puisqu’aussi bien la date que le libellé des factures peuvent révéler des informations sensibles, en particulier sur la stratégie des parties. Il se murmure donc que les instances représentatives de la profession d’avocat auraient été frileuses à aller plus loin dans ce qu’il est possible, voire ce qui doit être communiqué pour justifier des demandes d’article 700. Le résultat est ainsi un texte dont l’utilité est discutable.

À voir si les choses évoluent à brève échéance sur ce point, avec la restitution des États généraux de la justice qui doivent aussi traiter de la question de l’article 700.

IV. Obligation d’un préalable amiable avant la saisine du tribunal judiciaire

Une des innovations des dernières réformes de la procédure civile est de limiter l’accès au tribunal judiciaire en obligeant le demandeur à mettre d’abord en œuvre un mode de règlement amiable des litiges dans certains cas. Cette obligation résulte soit du montant des demandes soit de la matière. C’est l’article 750-1 du Code de procédure civile qui la prévoit. Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 complète tout à la fois les matières concernées et les exceptions.

A. Extension de l’obligation d’un préalable amiable aux troubles anormaux du voisinage

Le trouble anormal de voisinage est désormais couvert par l’obligation de recours à procédure amiable préalable. Cela n’est pas sans poser une difficulté : le trouble anormal de voisinage est une notion purement jurisprudentielle, dérivée de l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9, même si la doctrine note qu’elle s’achemine doucement vers une reconnaissance législative [3]. La Cour de cassation qualifie le trouble anormal de voisinage de « principe » (Cass. civ. 3, 20 mai 2021, n° 20-11.926, F-D N° Lexbase : A80034S9), c’est dire la nature gazeuse de la notion.

Comment donc reconnaître un trouble du voisinage ? A priori en se reportant aux termes de la saisine du demandeur. Soit elle indiquera se fonder sur un trouble de voisinage et il n’y aura pas de débat, soit elle ne l’indiquera pas et un débat pourra s’ouvrir pour une éventuelle requalification du fondement de la demande en trouble anormal de voisinage, nécessitant la mise en œuvre d’un mode amiable de règlement des litiges avant la saisine du tribunal. Il sera en tout cas intéressant de voir si de cette consécration textuelle du trouble de voisinage au profit d’un texte de procédure pousse à une définition textuelle de cette notion en droit substantiel.

À noter que l’obligation de recours à procédure amiable préalable en cas de troubles de voisinage est applicable aux procédures en cours. Cela n’a, semble-t-il aucun sens. Si la demande était recevable lorsqu’elle a été introduite devant le tribunal, elle ne peut pas devenir irrecevable a posteriori, du fait du non-accomplissement d’une obligation qui n’existait pas jusqu’alors.

Pour ramener de la cohérence, il faut revenir aux principes. En effet, dans un avis, la Cour de cassation a rappelé tout d'abord que, selon « les principes généraux du droit transitoire, […] en l'absence de disposition spéciale, les lois relatives à la procédure et aux voies d'exécution sont d'application immédiate ». Mais elle précise immédiatement que, « si [ces lois] sont applicables aux instances en cours, elles n'ont pas pour conséquence de priver d'effet les actes qui ont été régulièrement accomplis, sous l'empire de la loi ancienne » (Cass. avis, 22 mars 1999, 99-00.001).

Par conséquent, l'application de la réforme aux procédures en cours n'est qu'apparente puisque ses dispositions nouvelles relatives à l'assignation ne sont pas applicables aux assignations déjà délivrées.

Il aurait été plus simple d'indiquer directement que, en l'espèce, la réforme s'appliquait aux procédures introduites (sous-entendu, par assignation) postérieurement à son entrée en vigueur.

B. Exclusion de l’obligation d’un préalable amiable pour les affaires où une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances a été tentée

À l’inverse, il n’y a désormais plus lieu à passer obligatoirement par une tentative de procédure amiable avant la saisine du tribunal judiciaire lorsqu’une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances a été tentée.

Pour rappel, cette procédure simplifiée est prévue aux articles L. 125-1 N° Lexbase : L7315LPM et R.125-1 N° Lexbase : L9214LTG et suivants du Code des procédures civiles d’exécution. Elle est menée par l’huissier du créancier. Il se dit que cette procédure ne serait pas un franc succès. Peut-être que la perspective d’échapper, grâce à elle, à l’obligation de passer par une conciliation, une médiation ou une tentative de procédure participative permettra de la développer.

D’autant que sa mise en œuvre est simple (il suffit de trouver un huissier pour envoyer une lettre recommandée) et que le constat de son échec est rapide (un mois à compter de l’envoi de la lettre par l’huissier, et non de sa réception par le débiteur, aux termes de l’article R. 125-2 III. du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5595LTE).

V. Apposition de la formule exécutoire par le greffe en cas d’accord issue d’une médiation, une conciliation ou une procédure participative contresigné par avocat

Continuant dans son inventaire à la Prévert, c’est-à-dire qui n’a ni queue ni tête selon le site Wiktionary.org [4], le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 introduit également une nouvelle section dans le Code de procédure civile ainsi intitulée : « De l’apposition de la formule exécutoire par le greffe ». Elle regroupe les articles 1568 N° Lexbase : L5926MB4 à 1571 N° Lexbase : L5929MB9 du Code de procédure civile nouvellement créés et est donc rattachée au Livre V du Code sur la résolution amiable des différends.

Elle prévoit que c’est le greffe qui appose la formule exécutoire lorsque les accords conclus à l’issue d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative prennent la forme d’un acte contresigné par les avocats de chacune des parties.

Quel intérêt par rapport à une homologation par le juge prévue par l’article 1565 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5924MBZ ? À notre avis aucun, d’autant que le nouvel article 1570 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5928MB8 prévoit que toute personne intéressée peut former une demande aux fins de suppression de la formule exécutoire devant la juridiction dont le greffe a apposé cette formule. Il s’agit donc d’un titre exécutoire au rabais qui pourrait se révéler d’autant plus dangereux que les motifs pour solliciter la suppression de la formule exécutoire ne sont pas précisés et pourraient donc être de tout ordre.

Les praticiens pourront ainsi être tentés de continuer à passer par l’homologation du juge plutôt que par l’apposition de la formule exécutoire du greffier, sauf à ce que les juges refusent désormais leur homologation lorsque les accords conclus prennent la forme d’un acte contresigné par les avocats de chacune des parties.

L’article 1571 du Code de procédure civile indique par ailleurs, de façon lapidaire, que « les dispositions de la présente section sont applicables à la transaction ». Est-ce à dire que n’importe quelle transaction, qu’elle prenne la forme ou non d’un acte contresigné par avocat, pourrait faire l’objet d’une apposition de la formule exécutoire par le greffe ? Cela irait à l’encontre de l’article 1565 du Code civil qui donne toujours au juge le pouvoir d’homologuer la transaction conclue sans qu’il ait été recouru à une médiation, une conciliation ou une procédure participative. Il s’agit donc, à notre avis, d’une rédaction défectueuse de l’article 1571 du Code de procédure civile.

VI. Injonctions de payer

Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 modifie l’article 1411 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5420L8A portant sur l’injonction de payer. Par ailleurs, l’arrêté du 24 février 2022 pris en application de l’article 1411 du Code de procédure civile y est tout entier consacré.

Un article entièrement consacré à la question sera prochainement publié dans la revue Lexbase Droit privé, nous renvoyons à sa lecture pour en savoir plus.

VII. Divers

Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 contient enfin deux dispositions intéressant la procédure civile qu’on rangera dans la catégorie « divers » tellement elles n’ont rien à voir avec rien dans un texte pourtant déjà hétéroclite.

Tout d’abord, l’article 456 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5909MBH est modifiée pour prévoir que, si le jugement est établi sous forme électronique, le retrait de la qualification d’un ou plusieurs éléments nécessaires à la protection de la signature du président ou du greffier constitue un vice de forme.

Qu’est-ce à dire ?

La Chancellerie fait ici de la science-fiction : la possibilité, pour un jugement, d’être établi sous forme électronique, existe depuis plus de neuf ans (décret n° 2012-1515 du 28 décembre 2012 portant diverses dispositions relatives à la procédure civile et à l'organisation judiciaire N° Lexbase : L7997IUQ). Mais le jugement électronique n’existe toujours pas en pratique. Malgré cela, la Chancellerie prend les devants en prévoyant que, si pour une raison quelconque, une signature électronique n'était plus certaines, par exemple du fait de l’expiration d’un certificat, alors le jugement serait toujours valable, sauf à prouver un grief qu’on imagine que les tribunaux rejetteront toujours.

C’est une mauvaise façon de travailler dont, hélas, la Chancellerie est actuellement coutumière. Plutôt que de traiter les problèmes actuels, elle se projette et cherche à régler d’hypothétiques problèmes futurs, sur la base des données techniques d’aujourd’hui. Quand ces données évolueront, la solution qu’elle a gravée dans le marbre du Code restera et ne prouvera que son court-termisme actuel.

Nous ne pensons donc aucun bien de cette modification qui nous semble être de l’ordre du gadget.

Ensuite, l’article 7 du décret n° 2021-1887 du 29 décembre 2021 relatif au registre des sûretés mobilières et autres opérations connexes N° Lexbase : L1955MAN est modifié.

On avouera que nous ne comprenons pas cette disposition. Il semble s’agir de régler le sort de sûretés et garanties prises avant l’entrée en vigueur de la réforme des sûretés mais non encore publiées à cette date.

La brièveté entre le texte modifié (décret n° 2021-1887 du 29 décembre 2021) et sa modification (décret n° 2022-245 du 25 février 2022) fait cependant que la difficulté ne concerne sans doute qu’un nombre limité de cas.


[1] C. Bléry, Application inopportune de la notion d'accessoire à la déclaration d'appel, Lexbase Droit privé, janvier 2022, n°892 N° Lexbase : N0197BZC.

[2] F. Cuif, Annexe à la déclaration d’appel : le point sur le décret du 25 février 2022 [en ligne].

[3] JCl. Civil Code, art. 1240 à 1245-17 N° Lexbase : L0627KZA, fasc. 265-10, 1.

[4] Définition « inventaire à la Prévert » du site Wiktionary.org [en ligne].

newsid:480626

Procédure pénale

[Brèves] Communication via e-barreau : plus de doute sur l’authenticité d’un mémoire non signé manuscritement

Réf. : Cass. crim., 23 février 2022, n° 21-86.762, FS-B N° Lexbase : A75067NC

Lecture: 4 min

N0551BZG

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par Adélaïde Léon

Le 22 Mars 2022

► Il n’est plus possible de considérer qu’un doute existe sur l’authenticité d’un mémoire non signé manuscritement, dès lors qu’il est transmis à la chambre de l’instruction par l’avocat à partir de sa messagerie sécurisée ; cette modalité de dépôt supposant l’obtention d’un code unique et personnel d’accès au RPVA ainsi que la création d’une adresse selon un format standardisé, l’authenticité des courriels émanant de cette boîte dédiée à la communication électronique avec les juridictions et des pièces jointes est désormais assurée.

Rappel des faits. Un individu est renvoyé par un juge d’instruction devant la cour d’assises sous l’accusation de tentative de meurtre et agression sexuelle aggravés.

L’intéressé forme appel de cette décision. La veille de l’audience devant la chambre de l’instruction, l’avocat de l’accusé fait parvenir au greffe un mémoire par messagerie e-barreau.

En cause d’appel. La chambre de l’instruction déclare irrecevable le mémoire ainsi transmis au motif que, pour être valable, le mémoire transmis par télécopie ou via la plate-forme PLEX doit comporter la signature de la partie ou de son conseil, laquelle peut être apposée sur la lettre d’accompagnement. En l’absence d’élément d’authentification de l’auteur du mémoire, celui-ci devait être déclaré irrecevable.

L’intéressé a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction.

Moyens du pourvoi. Il était d’une part fait grief à l’arrêt d’appel d’être entaché d’une contradiction dès lors que la chambre de l’instruction évoquait un mémoire par télécopie (PLEX) alors qu’en l’espèce il avait été transmis par messagerie e-barreau.

Il était par ailleurs soutenu que la transmission des mémoires devant la chambre de l’instruction peut intervenir régulièrement par la messagerie e-barreau dont l’authentification est assurée par son hébergement sur le réseau RPVA. Il importait donc peu que le mémoire en cause ne soit pas signé manuscritement.

Décision. La Chambre criminelle annule en toutes ses dispositions l’arrêt de la chambre de l’instruction au visa des articles 198 N° Lexbase : L1343MAY, D. 591 N° Lexbase : L7797L7W et D. 592 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7798L7X.

La Cour rappelle qu’il résulte de ces textes que les mémoires produits devant la chambre de l’instruction peuvent être transmis par un moyen de télécommunication sécurisé à l’adresse électronique de ladite chambre.

La Haute juridiction rappelle que la Chambre criminelle exigeait jusqu’à présent l’apposition de la signature de l’avocat du mis en examen sur le mémoire transmis par messagerie sécurisée afin de garantir l’authenticité de l’acte (Cass. crim., 21 septembre 2016, n° 16-82.635, FS-P+B N° Lexbase : A0046R4H).

Or, la Cour souligne que la communication électronique est désormais possible devant toutes les juridictions selon des modalités qui garantissent la sécurité des échanges et l’authenticité des actes et pièces échangés entre avocats et juridictions (C. proc. pén., art. D. 591 et D. 592).

Comme le précise la Cour, aujourd’hui, le dépôt d’un mémoire par voie électronique par un avocat suppose :

  • l’obtention par ce dernier d’un code unique et personnel d’accès au RPVA ;
  • la création d’une adresse selon un format standardisé.

Selon la Chambre criminelle, ces éléments garantissent l’authenticité des courriels émanant de cette boîte dédiée à la communication électronique avec les juridictions, et des pièces qui peuvent y être jointes.

Dès lors, la Cour estime que l’identité de l’auteur des documents transmis selon ces modalités est établie par l’identification à laquelle l’avocat a dû procéder afin de se connecter à son adresse sécurisée, et effectuer l’envoi. Selon la Cour, ce mécanisme exclut tout doute sur l’authenticité d’un mémoire non signé manuscritement, dès lors qu’il est transmis à la chambre de l’instruction selon les modalités précitées.

Pour aller plus loin : A. Léon, Publication de l'arrêté relatif à l'entrée en vigueur de nouvelles modalités de communication électronique pénale, Lexbase Pénal, mai 2021 N° Lexbase : N7454BYQ.
 

newsid:480551

Secret professionnel

[Textes] « Décryptage » sur la loi « confiance dans l’institution judiciaire » et ses nouveautés en matière de secret professionnel des avocats

Réf. : Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire N° Lexbase : Z459921T

Lecture: 12 min

N0540BZZ

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par Marthe Bouchet, Maître de conférences à l'Université Panthéon-Assas Paris 2

Le 02 Mars 2022

Mots-clés : texte • Loi "Confiance" • décryptage • secret professionnel • avocat • protection • Code de procédure pénale

La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a été votée le 22 décembre 2021 et est entrée en vigueur le 1er mars dernier. L'occasion de revenir sur l'une de ses mesures phares : la protection du secret professionnel des avocats. Décryptage.


 

 

La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a été votée le 22 décembre 2021 [1] et est entrée en vigueur le 1er mars dernier [2]. L’article 3 du texte entend renforcer la protection du secret professionnel des avocats [3]. Les modalités de cette protection nouvelle ont été intensément débattues [4], entre partisans de la création d’un véritable statut protecteur, proche du legal privilege, et ceux d’une avancée a minima. Il faut dire que s’opposent des impératifs d’égale importance. D’un côté, les droits de la défense [5], à valeur constitutionnelle, que le secret professionnel de l’avocat protège, doivent être respectés. De l’autre côté, s’impose l’efficacité de la répression, sous-tendue par les objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public [6], d’identifications des infractions et de leurs auteurs [7], ou encore de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales[8] et contre la fraude en matière de protection sociale [9]. Le Conseil constitutionnel, arbitre tout désigné de tels conflits, n’a pourtant pas été saisi de la question [10].

Les dispositions de l’article 3 demeurent contestées [11] et témoignent clairement de l’équilibre délicat, du compromis fragile, qui a été trouvé entre ces impératifs contraires. Ainsi la loi nouvelle a-t-elle renforcé la protection du secret professionnel de l’avocat, mais tout en laissant de nombreuses zones d’ombre. Cela se perçoit qu’il s’agisse des termes de la consécration (I), et du déploiement de cette protection nouvelle (II).

  1. La consécration d’une protection nouvelle

Le fondement juridique de la protection - Le secret professionnel de l’avocat fait son entrée au sein de l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Bien que la disposition arrive en dernière position[12], le symbole est fort. Désormais, le III de l’article préliminaire prévoit que « le respect du secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, est garanti au cours de la procédure pénale dans les conditions prévues par le présent Code ».

En effet, l’article préliminaire ouvre le Code de procédure pénale et a vocation à guider l’interprétation de ses dispositions [13]. Y faire entrer le secret professionnel de l’avocat affiche la volonté de le consacrer comme principe directeur de la procédure pénale, au même titre que la présomption d’innocence ou les droits de la défense. Pour autant, l’article préliminaire a seulement une valeur législative. Cela signifie que le législateur est libre de déroger aux dispositions qu’il prévoit. Il n’y a pas eu, comme certains l’appelaient de leurs vœux [14], de constitutionnalisation du secret professionnel de l’avocat [15].

L’étendue de la protection - Le texte reconnaît précisément « le secret professionnel de la défense et du conseil ». La protection s’appliquerait donc indistinctement à l’activité de défense et de conseil de l’avocat. Ce point a été très discuté. Jusqu’à présent, la jurisprudence semblait distinguer ces deux domaines du secret professionnel, protégeant le secret lorsque les droits de la défense sont en cause, et l’excluant lorsque l’activité de conseil est concernée [16]. Certains souhaitaient que cette solution jurisprudentielle soit confirmée par la loi, afin de pas trop entraver l’efficacité des procédures répressives [17]. D’autres, au contraire, considéraient que le secret professionnel de l’avocat ne peut être divisé, parce que les activités de défense et de conseil sont nécessairement liées, la seconde précédant le plus souvent la première [18]. Le Sénat avait pensé trouver un compromis, en sortant certaines infractions du champ de la protection du secret professionnel de l’avocat [19]. Mais cette version n’a pas été reprise par la commission mixte paritaire, et l’article préliminaire du Code de procédure pénale laisse à penser que le secret professionnel de l’avocat sera protégé, quel que soit le domaine d’activité en question.

Zones d’ombre - Toutefois, le nouvel article 56-1-2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1316MAY dispose que « le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction lorsque celles-ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 N° Lexbase : L6015LMQ et 1743 N° Lexbase : L3888IZZ du Code général des impôts et aux articles 421-2-2 N° Lexbase : L1587AZS, 433-1 N° Lexbase : L5518LZE, 433-2 N° Lexbase : L9474IYK et 435-1 N° Lexbase : L5521LZI à 435-10 N° Lexbase : L9477IYN du Code pénal ainsi qu’au blanchiment de ces délits ».

Cet article rend inopposable le secret du conseil pour certaines infractions. La commission mixte paritaire souhaitait aller plus loin, et prévoir la même inopposabilité « lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction » [20]. Un amendement gouvernemental a supprimé cette disposition [21].

Il reste que l’unité du secret professionnel de l’avocat, explicitement consacrée par l’article préliminaire, est mise à mal. Ressurgissent alors toutes les difficultés relatives à la distinction entre activité de conseil et de défense. Cette division du secret professionnel se retrouve d’ailleurs au sein du troisième alinéa de l’article 100-5 relatif à la transcription des échanges téléphoniques interceptés : l’article est enrichi pour englober le secret professionnel du conseil, sauf lorsque ces mêmes infractions sont concernées [22].

Par conséquent, pour certains actes d’enquête et pour certaines infractions, l’activité de conseil ne sera pas protégée. Il est à craindre que ces dispositions peu lisibles nuisent à la protection du secret professionnel de l’avocat. D’autant que la liste des infractions concernées - fraude fiscale et infractions assimilées, corruption (active et passive), trafic d’influence y compris international, financement d’entreprise terroriste et blanchiment de ces infractions - n’est pas intangible. Le législateur pourra ajouter de nouvelles hypothèses. La réserve, tenant au fait que « les consultations, correspondances ou pièces détenues ou transmises par l’avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission » de ces infractions, ne semble guère protectrice : il faudra consulter les pièces pour le savoir, et l’exigence d’une preuve établie, au stade précoce de l’enquête pénale, est très élevée [23].  

Contrastée, la protection symbolique du secret professionnel de l’avocat s’accompagne néanmoins de dispositions plus techniques, qui en assurent le déploiement.

  1. Le déploiement de la protection nouvelle

La protection du secret professionnel de l’avocat se déploie à l’égard de trois types d’actes enquête seulement. Le régime des perquisitions, davantage débattu au moment de l’adoption du texte, se révèle plus protecteur (A), que celui des réquisitions de données de connexion, et des interceptions de correspondances (B).

  1. Aux perquisitions

Quant aux perquisitions, il faut distinguer deux hypothèses. 

Première hypothèse : l’avocat n’est pas mis en cause dans la procédure. En ce cas, l’article 56-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L0488LTA prévoit désormais que le juge des libertés et de la détention doit autoriser la perquisition dans le cabinet ou au domicile d’un avocat. Ni le procureur ni le juge d’instruction ne seront plus compétents pour le faire. Le juge des libertés et de la détention devra précisément mentionner les infractions concernées, l’objet de la perquisition, et les raisons qui la justifient. Surtout, il contrôlera « la proportionnalité » de la perquisition au regard de la nature et de la gravité des faits. Des garanties supplémentaires sont ainsi apportées : un juge indépendant et impartial, tiers à la procédure, est saisi. Néanmoins, le point crucial concerne l’intensité de son contrôle : le juge des libertés et de la détention disposera-t-il des moyens nécessaires pour le mener ?

Si elle est autorisée, la perquisition sera comme auparavant réalisée par un magistrat, en présence du Bâtonnier. Ce magistrat, ainsi que le Bâtonnier, devront veiller à ce qu’aucun document couvert par le secret de la défense ou du conseil ne soit saisi et placé sous scellé. En cas d’opposition du Bâtonnier, le juge des libertés et de la détention est compétent pour se prononcer sur la possibilité de saisir un document. Nouvelle garantie : sa décision sera susceptible d’un recours « formé par le procureur de la République, l’avocat ou le Bâtonnier ou son délégué devant le président de la chambre de l’instruction » [24]. Une telle disposition est de nature à satisfaire le droit au recours sans compromettre durablement l’efficacité de l’enquête pénale, puisque le président de la chambre de l’instruction devra statuer dans un délai de cinq jours.  

Le renforcement de la protection du secret professionnel s’étend d’ailleurs aux documents trouvés hors du cabinet ou du domicile de l’avocat. Précisément, les articles 56-1 et 56-2 N° Lexbase : L3573IGG du Code de procédure pénale permettent à la personne qui subit une perquisition de s’opposer à la saisie des documents couverts par le secret professionnel. En ce cas, le juge des libertés et de la détention se prononcera, et, de nouveau, un recours contre sa décision devant le président de la chambre de l’instruction est prévu.

Seconde hypothèse : l’avocat est mis en cause dans la procédure. Alors, la loi ajoute qu’une perquisition n’est possible que lorsqu’il « existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe ». Désormais, le seul soupçon sera insuffisant pour permettre une perquisition au cabinet ou au domicile de l’avocat [25]. À l’inverse, s’il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction, une perquisition à son cabinet ou à son domicile sera possible, selon les mêmes modalités : le juge des libertés et de la détention sera seul compétent pour autoriser la perquisition, et - le même ?[26] - juge se prononcera sur la saisie des documents, sous réserve du recours porté devant le président de la chambre de l’instruction.

  1. Aux réquisitions des données de connexion et interceptions de communication

Écoutes - Pour ce qui concerne « l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des communications électroniques » dans le cadre d’une instruction, « aucune interception ne peut porter sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile ». Le renforcement de la protection du secret professionnel est indéniable, puisque la mise sur écoute ne pourra concerner un avocat que s’« il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe ». Autrement dit, c’est uniquement lorsque l’avocat lui-même est mis en cause que l’interception des communications devient possible. Même en ce cas, les garanties restent importantes puisque la décision doit être « prise par ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par ordonnance motivée du juge d’instruction », « après avis du procureur de la République » [27]. Le juge des libertés et de la détention devra notamment s’assurer de la proportionnalité de la mesure. Le Bâtonnier joue quant à lui un rôle restreint, puisqu’il sera simplement informé de la mesure [28]. La garantie nouvelle repose donc entièrement sur le contrôle diligenté par le juge des libertés et de la détention. Aucun recours n’est d’ailleurs prévu contre sa décision. Il faut donc espérer qu’il s’acquitte avec la plus grande rigueur de cette nouvelle mission, et ne se contente pas d’une motivation trop superficielle, guidée par la volonté de ne pas entraver les enquêtes pénales.  

Données de connexion - Enfin, en matière de réquisitions des données de connexion, « émises par un avocat et liées à l’utilisation d’un réseau ou d’un service de communications électroniques, qu’il s’agisse de données de trafic ou de données de localisation », la loi crée un cadre jusqu’à présent absent [29]. Les fameuses fadettes, qui permettent de connaître les noms des interlocuteurs, la date, l’heure et la durée de l’échange téléphonique avec un avocat, sont notamment visées. Pour que ces réquisitions soient possibles, il faut que l’avocat ait « commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe ». Hors de cette hypothèse, les réquisitions des données de connexion d’un avocat ne sont pas possibles. Si la condition est remplie, le régime applicable est identique à celui des interceptions téléphoniques. Ces réquisitions ne pourront être faites que « sur ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le procureur de la République » ou « par le juge d’instruction ». Mais aucun contrôle a priori du Bâtonnier ni aucun recours contre la décision du juge des liberté et de la détention ne sont prévus.

            En conclusion, la loi nouvelle renforce indéniablement la protection du secret professionnel de l’avocat. Néanmoins, le texte est loin d’avoir fait l’unanimité en raison des trop nombreuses incertitudes qui subsistent : d’un point de vue théorique, puisque la question de l’étendue, de la conception même, de ce secret n’a pas été tranchée ; d’un point de vue pratique également, puisque le nouveau dispositif dépend largement de l’intensité du contrôle qui sera exercé par le juge des libertés et de la détention.

 

[1] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, JO du 23 décembre 2021, texte n° 2.

[2] Art. 59 du texte : « II. - L’article 3 entre en vigueur le premier jour du troisième mois suivant la publication de la présente loi ».

[3] Reprenant les volontés exprimées notamment par les commissions « Perben » (rapport de la mission relative à l’avenir de la profession d’avocat, remis au Garde des Sceaux le 26 août 2020) et « Mattéi » (« Le renforcement de l’équilibre des enquêtes préliminaires et du secret professionnel de l’avocat » févr. 2021).

[4] V. not., Le secret professionnel de l’avocat (dir. P. le Monnier de Gouville et J.-B. Perrier), Colloque, Universités Aix-Marseille et Paris II, 15 oct. 2021.

[5] D’abord comme principe fondamental reconnu par les lois de République (Cons. const. 2 déc. 1976, n° 76-70 DC) puis directement rattachés à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (Cons. const. 30 mars 2006, n° 2006-535 DC).

[6] Cons. const., 27 juillet 1982, n° 82-141 DC, Loi sur la communication audiovisuelle N° Lexbase : A8043ACU.

[7] Cons. const., décisions n° 96-377 DC du 16 juillet 1996 N° Lexbase : A8343ACY.

[8] Cons. const., décision n° 99-424 DC du 29 décembre 1999 N° Lexbase : A8787ACG.

[9] Cons. const., décision du 14 juin 2019, n° 2019-789 QPC N° Lexbase : Z246938N

[10] Le Conseil constitutionnel s’est uniquement prononcé sur les modalités d’adoption de la loi (Cons. const., décision n° 2021-830 DC, du 17 décembre 2021, Loi pour la confiance dans l'institution judiciaire N° Lexbase : A52797GM).

[11] V. P. Januel, Le Gouvernement clôt la tragi-comédie du secret de l’avocat, D. actu., 7 décembre 2021 ; P. Vouland, Le secret professionnel de l’avocat - secret « confisqué », secret « dévoilé », JCP G, 2022 act. 4 ; H. Matsopoulou, Loi confiance. Principales dispositions relatives au procès pénales, des avancées d’une efficacité douteuse, JCP G, 2022, n° 3, doctr. 114 ; F. Safi, Avocat - l’opposabilité du secret professionnel : un pas en avant, deux pas en arrière, Dr. pén. n° 1 janv. 2022 étude 2.

[12] Sur la place de cette disposition au sein de l’article préliminaire, v. C. Porteron, Le secret professionnel de la défense et du conseil : une consécration singulière et des incertitudes à venir, AJ Pénal, 2022, 19.

[13] Diverses fonctions lui sont traditionnellement reconnues : interprétation, résolution de conflits entre deux dispositions, combler un vide juridique. V. not., A. Giudicelli, Premières applications jurisprudentielles de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, RSC, 2003, p. 122 s..

[14] V. not. la position du CNB, séance du Conseil de l’ordre du 4 juin 2019, et celle de l’Union des jeunes avocats de Paris (rapport du 22 mars 2021).

[15] Le Conseil constitutionnel est d’ailleurs hostile à la constitutionnalisation du secret professionnel de l’avocat. Cons. const. 23 juill. 2015, n° 2015-478 QPC N° Lexbase : Z327803S : « Aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats et un droit au secret des sources des journalistes ».

[16] V. not., Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 19-84.304, FS-P+B+I, N° Lexbase : A551937K, « si, selon les principes rappelés par le premier de ces textes, les correspondances échangées entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couvertes par le secret professionnel, il demeure qu’elles peuvent notamment être saisies dans le cadre des opérations de visite prévues par le second dès lors qu’elles ne concernent pas l’exercice des droits de la défense ».

[17] Selon le Rapport n° 834 déposé au Sénat le 15 sept. 2021, « l’Association française des magistrats instructeurs (AFMI) a relevé que « l’extension de cette protection à l’activité de conseil pose question, notamment parce que toute investigation dans le milieu économique pourrait s’en trouver entravée ». Pour le procureur de la République financier, cette réforme « aurait pour conséquence d’affaiblir la politique publique maintes fois réaffirmée et approfondie de lutte contre la fraude fiscale et contre la corruption internationale, mais aussi de mettre la France en contradiction avec la jurisprudence constitutionnelle et européenne ».

[18] Déclarations du rapporteur M. Mazars en commission sénatoriale, « les clients peuvent passer d’une catégorie à l’autre et que c’est souvent pour cela qu’ils vont voir un avocat. Un client prend conseil parce qu’il s’attend à être prochainement poursuivi ou parce qu’il sait avoir commis une infraction pénale » V. plus généralement. Assemblée Générale du CNB, Motion pour un secret professionnel indivisible, 17 septembre 2021 et J. Gavaudan, Le secret professionnel ne se réduit pas au « secret de la défense, Lexbase Pénal, avril 2021.

[19] Texte adopté en 1ère lecture par le Sénat, le 29 septembre 2021.

[20] Texte de la commission mixte paritaire, déposé le 21 oct. 2021.

[21] Devant l’opposition des avocats, le ministre de la justice a proposé un ultimatum reposant sur 3 possibilités. Finalement, un amendement gouvernemental est à l’origine de la version définitive du texte.

[22] Le troisième alinéa du texte est complété pour qu’au-delà des « correspondances avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense », soient également protégées toutes les correspondances « couvertes par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, hors les cas prévus à l’article 56-1-2 du présent Code ».

[23] Sur ce point, v. C. Porteron, Le secret professionnel de la défense et du conseil : une consécration singulière et des incertitudes à venir, préc. Cependant, estimant la disposition protectrice, A.-S. Chavent-Leclère, Confiance dans l’institution judiciaire : secret professionnel de l’avocat, Procédures, février 2022, dossier 2.

[24] CPP, nouvel art. 60-1-1 N° Lexbase : L1317MAZ.

[25] Sur la jurisprudence antérieure, v. Cass. crim., 14 janvier 2003, n° 02-87.062, F-P+F N° Lexbase : A8208A4R.

[26] Sur ce point, v. H. Matsopoulou, Loi confiance. Principales dispositions relatives au procès pénales, des avancées d’une efficacité douteuse, préc..

[29] Art. 60-1-1 CPP pour l’enquête et 99-3 pour l’instruction. L’exigence avait été formulée par la CJUE, v. not. CJUE, 1er février 2016, aff. C-698/15, David Davis N° Lexbase : A2937RX3 et CJUE, 2 mars 2021, aff. C-746/18, H. K N° Lexbase : A49864II.

newsid:480540

Sociétés

[Jurisprudence] L’usufruitier de droits sociaux n’a pas la qualité d’associé : position de principe et conséquences pratiques

Réf. : Cass. avis, 1er décembre 2021, n° 20-15.164, FS-D N° Lexbase : A63597GM ; Cass. civ. 3, 16 février 2022, n° 20-15.164, FS+B N° Lexbase : A33527NH

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N0577BZE

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par Bernard Saintourens, Professeur émérite de l’Université de Bordeaux

Le 03 Mars 2022

Mots-clés : droits sociaux • démembrement de propriété • nu-propriétaire • usufruitier • associé (non)

Il résulte de la combinaison des articles 578 du Code civil (aux termes duquel l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance) et 39 du décret du 3 juillet 1978 (accordant à un associé d’une société civile le droit de solliciter du président du tribunal la désignation d’un mandataire chargé de provoquer une délibération des associés) que l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé qui n’appartient qu’au nu-propriétaire, mais qu’il doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance.


 

La controverse relative à la reconnaissance à l’usufruitier de parts sociales ou d’actions de la qualité d’associé n’a guère connu de répit depuis son intrusion dans le champ juridique au cours de la décennie 1970 [1]. Le partage des opinions se faisait, pour l’essentiel, en considération de l’exigence de réaliser un apport à la société, écarté pour certains [2] s’agissant de l’usufruitier et reconnu pour d’autres [3]. La jurisprudence publiée ne permettait guère de fixer les idées, non seulement parce que, finalement, aucun arrêt émanant de la Cour de cassation ne prenait clairement parti sur le point en discussion, mais aussi parce que chacun pouvait interpréter les décisions intégrant la problématique du démembrement des droits sociaux, même de manière accessoire, comme un élément venant au renfort de ses convictions [4].

Par deux décisions coordonnées et émanant de la troisième chambre civile et de la Chambre commerciale, entre lesquelles le contentieux du droit des sociétés se trouve réparti, la Haute juridiction a donc exprimé sa position : elle dénie à l’usufruitier la qualité d’associé.

Sollicitée pour avis, dans le cadre de l’article 1015-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5803L8G, par la troisième chambre civile, la Chambre commerciale s’est prononcée en ce sens, par sa décision en date du 1er décembre 2021 [5], et la troisième chambre civile a suivi cet avis, par son arrêt en date du 16 février 2021. Sauf un hypothétique revirement, tout de même peu probable, le droit des sociétés doit donc être revu, sur le plan théorique comme pratique, en considération de cette position. On relèvera que si le contentieux en cause visait une société civile et qu’il est fait référence à un texte (décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, art. 39 N° Lexbase : Z26227RX) qui ne concerne que ce type de société, la position exprimée par les deux chambres de la Cour de cassation a vocation à s’appliquer à toutes les hypothèses de démembrement de droits sociaux, quelle que soit la forme de société considérée.

Le point de départ de l’affaire reposait sur une demande en justice, présentée par deux usufruitiers de parts sociales, tendant à voir désigner un mandataire chargé de provoquer une délibération collective des associés de la société ayant pour objet la révocation du gérant. Si une telle possibilité est effectivement accordée par l’article 39 du décret du 3 juillet 1978, ce texte réserve, expressément, cette faculté à un « associé ». La cour d’appel de Bordeaux, par son arrêt en date du 11 février 2020 [6], considérant que les demandeurs, s’ils disposaient du droit de vote, n’avaient pas la qualité d’associés, avait refusé de faire droit à leurs demandes. Saisie du pourvoi, la troisième chambre civile a bien compris qu’il ne lui était guère possible, cette fois, d’éviter d’avoir à statuer, de manière frontale, au regard de la délicate question de la reconnaissance de la qualité d’associé à l’usufruitier de parts sociales.    

Il résulte donc des deux décisions analysées que l’usufruitier de droits sociaux fait l’objet d’un refus, de principe, de la qualité d’associé (I), mais d’une reconnaissance, sous condition, de l’exercice des droits d’un associé (II).

I. Le refus de principe de la qualité d’associé

La Chambre commerciale comme la troisième chambre civile ne s’attardent guère sur l’argumentation qui les conduit à écarter l’usufruitier de la qualité d’associé.

Compte tenu des débats suscités par ce point de droit, on aurait pu s’attendre à ce que soient envisagés, pour le cas échéant les écarter, les principaux éléments qui étaient en présence. La Haute juridiction ne revient aucunement sur la question de savoir si l’usufruitier réalisait ou non un apport, ce qui conditionnait, pour certains, le refus ou la reconnaissance de la qualité d’associé (voir les références précitées). Les Hauts magistrats ne s’engagent pas non plus sur une approche, privilégiée par d’autres, selon laquelle le nu-propriétaire comme l’usufruitier se voyant reconnaître une partie des prérogatives sociales, chacun d’eux aurait, implicitement mais nécessairement, la qualité d’associé [7].

La Chambre commerciale comme la troisième chambre civile ne se placent pas du tout sur le terrain du droit des sociétés mais privilégient une perception enracinée en droit des biens.

En définitive, l’unique fondement de la position adoptée repose sur la référence à l’article 578 du Code civil N° Lexbase : L3159ABM, dont les deux décisions reproduisent le contenu. Ce texte a pour vocation de définir le démembrement de droit que constitue l’usufruit, en mentionnant que « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ». En d’autres termes, si l’on comprend bien, pour les Hauts magistrats, l’usufruitier des parts sociales détient, en cette qualité, le droit de recueillir les fruits attachés auxdites parts, sans pour autant que cela ne lui confère la qualité d’associé, réservée au nu-propriétaire. Pour la Cour de cassation, l’usufruitier est en droit de jouir de droits attachés aux parts sociales, sans que cela n’emporte l’accès à la qualité d’associé liée aux parts.

Même si elle n’entrainera pas nécessairement l’adhésion unanime de la communauté des juristes, la position de principe, émanant du juge du droit, s’impose désormais comme devant être prise en considération pour tirer toutes les conséquences de l’exclusion de l’usufruitier de la qualité d’associé. Sans prétendre, dans le cadre du présent commentaire, identifier toutes les hypothèses qui pourraient se rencontrer en pratique, il est déjà possible d’en relever les principales.

Puisque l’usufruitier n’est pas un associé, il ne peut donc être décompté dans le dénombrement des associés d’une société. Pour la question liée à l’unicité d’associé, on sait que, selon les dispositions de l’alinéa deux de l’article 1844-5 du Code civil N° Lexbase : L2025ABM, l’appartenance de l’usufruit de toutes les parts sociales à la même personne est sans conséquence sur l’existence de la société. Mais pour toutes les sociétés où la pluralité d’associés est requise (autres que la SARL et la SAS), il est désormais clair que l’on ne pourra pas décompter l’éventuel usufruitier pour satisfaire à la condition légale.

Le refus de la qualité d’associé devra également conduire à empêcher l’usufruitier d’accéder à une fonction de direction de la société dans tous les cas où cette condition est posée par la loi ou les statuts. Il s’agit là d’un point important qui supposera un examen attentif des sociétés existantes ou à constituer.

Sous un angle positif, on ne peut manquer de relever que la position de la Haute juridiction comporte une bonne nouvelle pour les usufruitiers de droits sociaux. Puisqu’ils n’ont pas la qualité d’associé, ils ne sauraient être tenus, à ce titre, des dettes sociales, qu’il s’agisse de l’obligation aux dettes, pour les sociétés civiles ou en nom collectif ou de la contribution aux pertes, pour les sociétés à risque limité. Ce point devra d’ailleurs être pris en considération lorsque la société se trouve en situation de débitrice (octroi d’un prêt ou d’un terme pour l’exécution d’une obligation de payer). Le créancier sera bien inspiré de se renseigner sur l’existence d’un éventuel démembrement de propriété portant sur les droits sociaux, de façon à identifier précisément quelles seront les personnes tenues, le cas échéant, des conséquences financières d’un défaut de paiement de la société. Désormais, l’usufruitier n’étant pas un associé, il doit être écarté de cette perspective.

Malgré le positionnement très affirmé des deux décisions sous examen, selon lequel « l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé », il apparaît qu’une précision pourrait bien s’avérer opportune pour en mesurer l’incidence lorsqu’il est fait mention, dans la loi ou dans les statuts, qu’une décision collective doit être prise à l’unanimité des « associés ». Certes, il est possible que le droit de vote soit attribué à l’usufruitier pour la délibération en cause, mais compte tenu de la position récemment adoptée par la troisième chambre civile, qui retient que cette condition vise toutes les personnes qui sont associées au sein de la société et non pas seulement celles qui sont présentes ou représentées lors de la réunion de l’assemblée [8], la clarification serait bienvenue.  

II. La reconnaissance, sous condition, de l’exercice des droits de l’associé

Si la position de principe consiste à refuser à l’usufruitier la qualité d’associé, cela ne saurait aboutir à fragiliser trop fortement le droit de jouissance sur les droits sociaux qu’il tient de l’article 578 du Code civil. La Cour de cassation a bien pris en considération cet aspect pour reconnaître à l’usufruitier le droit d’exercer une prérogative normalement attachée à la qualité d’associé et qui devrait donc être réservée au nu-propriétaire. Si la faculté d’exercer les droits de l’associé, reconnue par les deux arrêts commentés, doit être saluée, la condition requise suscite tout de même des interrogations.

Selon les arrêts analysés, pour l’exercice d’un droit attaché à la qualité d’associé, « qui n’appartient qu’au nu-propriétaire », les usufruitiers doivent établir « une incidence directe sur le droit de jouissance des parts dont ils avaient l’usufruit ». Cette démarche est cohérente au regard du fondement de droit des biens qui est retenu par la Cour de cassation. Il convient que l’usufruitier soit mis en situation de préserver la structure du démembrement de droits et donc d’exercer les actions qui sont de nature à assurer la réalité de son droit de jouissance [9].

Les Hauts magistrats se gardent bien de donner quelques indices de ce qui pourrait constituer « une incidence directe », condition requise pour qu’un usufruitier puisse invoquer le droit d’exercer une prérogative attachée à la qualité d’associé.

Chacun est donc renvoyé vers une démarche en deux temps. En premier lieu, il conviendra d’établir la liste des droits attitrés que seul le nu-propriétaire peut exercer, en ce qu’ils sont liés à sa qualité d’associé et, en second lieu, d’envisager, dans chaque cas d’espèce, si, au regard de l’incidence directe sur le droit de jouissance des parts sociales, l’usufruitier pourrait en revendiquer l’exercice.

D’un premier examen, on peut retenir quelques hypothèses pour lesquelles ce type de questionnement pourra se présenter.

L’affaire ayant donné lieu aux décisions commentées fournit un premier exemple, à propos du droit de provoquer une délibération collective. Chaque fois que, selon la forme de société concernée, un associé peut demander qu’une réunion des associés soit organisée pour qu’il soit statué sur des points déterminés d’ordre du jour, l’usufruitier pourra invoquer ce droit s’il peut établir qu’il y a bien une incidence directe avec son droit de jouissance des titres sociaux. On peut estimer qu’il en sera ainsi pour des questions relatives à la gérance de la société puisque l’incidence sur les résultats, et donc sur la part des bénéfices qui doit revenir à l’usufruitier, pourrait être assez commodément établie. Mais, c’est par une démarche in concreto que l’assentiment du juge saisi devra être obtenu.

Au-delà, un questionnement semblable se rencontrera pour l’exercice de l’action sociale ut singuli ou la révocation judiciaire du gérant, qui sont des actions attachées à la qualité d’associé. De même, et sans doute plus fréquemment, l’usufruitier pourrait tenter d’obtenir en justice la désignation d’un mandataire ad hoc ou d’un expert de gestion. On connait la place prépondérante qu’occupent ces modes d’intervention d’un tiers dans le fonctionnement des sociétés et l’on peut admettre qu’un usufruitier puisse légitimement estimer qu’il se doit d’invoquer de telles prérogatives d’associé, eu égard à l’incidence sur les droits pécuniaires dont il jouit.

En définitive, si la position des deux chambres de la Cour de cassation a mis un terme au contentieux qui reposait sur les interrogations quant à la reconnaissance à l’usufruitier de la qualité d’associé, elle pourrait bien se traduire par l’émergence de nouveaux procès qui reposeront sur la preuve que l’usufruitier devra apporter de l’incidence directe sur son droit de jouissance des circonstances qu’il invoque pour pouvoir exercer un droit attaché à la qualité d’associé, dont il est, par principe, privé.

Par ailleurs, dans la mise en œuvre du droit qui lui est ainsi reconnu, de manière conditionnelle, l’usufruitier devra être attentif à ne point porter atteinte à la substance du droit qui est reconnu au nu-propriétaire, et qui tient à sa qualité d’associé. Ainsi, l’usufruitier ne pourrait-il se prévaloir des dispositions de l’article 1844-7, 5° du Code civil N° Lexbase : L7356IZH pour faire prononcer en justice la dissolution de la société [10] ou solliciter le retrait de la société [11]. L’atteinte à la substance des droits sociaux démembrés ferait certainement obstacle à la recevabilité de son action.

 

[1] V. not. B. Mercadal et Ch. Jamin, Mémento pratique Sociétés commerciales, 1ère éd., 1970, éd. Francis Lefebvre, n° 117 ; A. Viandier, La notion d’associé, LGDJ, 1978.

[2] V. not. A. Viandier, ouvrage précité, n° 248 et s. ; Y. Reinhard, obs. RTD Com., 1992, p. 202.

[3] V. not. J. Derruppé, Un associé méconnu : l’usufruitier de parts ou actions, Defrénois, 1994, p. 1137.

[4] Sur le courant jurisprudentiel, v. not. M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboissy, Droit des sociétés, 34ème éd., LexisNexis, n° 523 et s..

[5] Sur cet avis, voir les commentaires R. Mortier et N. Jullian, JCP E, 2022, 1000 ; R. Mortier, Dr. sociétés, février 2022, n° 13 ; N. Borga, Bull. Joly Sociétés, janvier 2022, p. 23 ; F. Julienne, Droit & pat., 2022, à paraître.

[6]  CA Bordeaux, 11 février 2020, n° 19/03127 N° Lexbase : A67403ED.

[7] Sur cette approche, V. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, ouvrage précité, n° 523.

[8] Cass. civ. 3, 5 janvier 2022, n° 20-17.428, FS+B  N° Lexbase : A42187HP, B. Saintourens, Lexbase Affaires, janvier 2022, n° 704 N° Lexbase : N0279BZD.

[9] V. sur cette question, F. Julienne, note sous l’avis Cass. com., 1er décembre 2021, préc..

[10] V. sur ce point, N. Borga, note préc.

[11] V. sur ce point, R. Mortier, note préc., Dr. sociétés, p. 14.

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Vente d'immeubles

[Jurisprudence] Rétractation de l’acquéreur immobilier par simple courriel au notaire

Réf. : Cass. civ. 3, 2 février 2022, n° 20-23.468, FS-D+B N° Lexbase : A14117LT

Lecture: 17 min

N0466BZB

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par Eric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Chargé d’enseignement à l’Université Paris-Dauphine

Le 02 Mars 2022

Mots-clés : vente immobilière • avant-contrat • promesse de vente • droit de rétractation • courriel • indemnité d'immobilisation 

Si la notification de l’avant-contrat de vente immobilière donne lieu à une jurisprudence régulière, il est plus rare de voir des arrêts sur l’exercice du droit de rétractation lui-même. La récente décision de la Cour de cassation mérite donc d’être soulignée. D’une lecture rapide, l’arrêt semble permettre de se rétracter par un simple courriel au notaire. Mais la solution est plus nuancée : bien plutôt, c’est l’attestation du notaire d’avoir reçu le courriel de rétractation qui dispense l’acquéreur de notifier sa décision de manière plus formelle.


 

En matière immobilière, la loi octroie un droit de rétractation au profit de l’acquéreur (CCH, art. L. 271-1 N° Lexbase : L0024LN9). Il profite à tout acquéreur non professionnel, ce qui exclut les professionnels de l’immobilier, mais également la plupart sinon toutes les personnes morales (par ex., Cass. civ. 3, 16 septembre 2014, n° 13-20.002, F-D N° Lexbase : A8353MWB ; JCP N 2014, n° 40, act. 1018, qui exclut le droit de rétractation au profit d’une SCI du fait que l’acquisition a un rapport direct avec l'objet social de la société). Il concerne les immeubles à usage exclusif d’habitation, ce qui exclut les immeubles même à usage mixte d’habitation (Cass. civ. 3, 30 janvier 2008, n° 06-21.145, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1712D48 ; JCP N 2008, n° 7, act. 224), ainsi que les terrains à bâtir même destinés à l’habitation (Cass. civ. 3, 4 février 2016, n° 15-11.140, FS-P+B N° Lexbase : A3203PKT ; Constr.-Urb. 2016, comm. 45, Chr. Sizaire). Quant aux contrats concernés, la loi est générale, et vise « tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière ». Dans le cas le plus courant, où la vente notariée est précédée d’un avant-contrat, seul cet avant-contrat est concerné par le droit de rétractation (CCH, art. L. 271-1, al. 3 N° Lexbase : L0024LN9).

En l’espèce, une promesse de vente est rédigée par le notaire du vendeur, avec la participation du notaire de l’acquéreur. Cette promesse est notifiée à l’acquéreur quatre jours après sa signature. L’acquéreur disposait alors d’un droit de rétractation, dans un « délai de dix jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte » (CCH, art. L 271-1, al. 1). En l’espèce, la lettre de notification est reçue par l’acquéreur un samedi. Le délai court alors à compter du lendemain de la présentation de la lettre (CCH, art. L. 271-1, al. 2) ; ici, un dimanche. Comme le délai se compte en jours calendaires, le dimanche est bien le jour du départ du délai. Le mardi de la semaine qui suit - au dixième jour du délai, donc - l’acquéreur entend se rétracter. Et il envoie, pour ce faire, un courriel à son propre notaire, à la date en question, au dernier jour du délai.

Le débat a porté sur l’efficacité de cette expression du droit de rétractation. La loi dispose que la faculté de rétractation est exercée « par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise » (CCH, art. L. 271-1, al. 2). La cour d’appel observe, avec raison, qu’un courriel ne permet pas d’identifier avec certitude l'expéditeur et le destinataire, ni surtout d'attester sa date de réception. En conséquence, le courriel envoyé n’est pas considéré par elle comme une notification efficace du droit de rétractation.

Au contraire, la Cour de cassation reproche à la juridiction du fond de n’avoir pas recherché si l'envoi du courriel au notaire chargé de la vente, notaire qui attestait l’avoir reçu dans les délais, ne présentait pas « des garanties équivalentes à celles d'une notification par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ».

Une lecture rapide de l’arrêt pourrait laisser penser que la jurisprudence consacre ici le simple courriel pour se rétracter. Or, tel n’est pas le cas. Si telle était l’interprétation à retenir, alors le courriel devrait être admis comme un mode possible pour la notification de l’avant-contrat. En effet, le texte légal est construit autour d’une parfaite symétrie : la rétractation s’exerce selon le même formalisme que celui prévu pour la notification. La loi dispose ainsi (CCH, art. L. 271-1, al. 2) : « [Le contrat] est notifié à l'acquéreur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. La faculté de rétractation est exercée dans ces mêmes formes ». Ce texte ne présente d’ailleurs aucune modification, entre la rédaction à l’époque des faits, et celle en droit positif (suite à sa modification par la loi n° 2018-1021, du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique N° Lexbase : L8700LM8).

Il ne fait aucun doute que la notification du contrat ne peut se faire par simple courriel, et l’arrêt d’espèce ne paraît pas devoir remettre en cause cette solution (I). Car, in fine, dans le cas de la rétractation objet du litige, c’est moins le courriel envoyé au notaire qui est considéré, que l’attestation du notaire quant à sa réception (II).

I. Le courriel simple n’est pas un mode de rétractation

La loi ne repose pas sur un strict parallélisme des formes : ainsi, l’acquéreur peut se rétracter au moyen d’un courrier recommandé alors que le contrat lui a été notifié par huissier [1]. Pour autant, la loi impose un certain formalisme, et surtout limite l’expression de la rétractation à un des modes admis pour la notification du contrat. Or, si on néglige un temps la solution d’espèce, il est évident que le contrat ne peut être notifié par simple courriel. Par suite, on ne voit pas comment le courriel pourrait par principe permettre de se rétracter. La loi n’envisage nommément qu’un seul mode de notification : la lettre recommandée avec demande d'avis de réception (CCH, art. L. 271-1, al. 2). Par ce biais, la loi veut s’assurer que le courrier est bien remis au destinataire. En effet, lors de la remise, le préposé doit établir une preuve de distribution qui comporte les nom et prénom de la personne ayant accepté l'envoi et sa signature (le destinataire ou son mandataire), la pièce justifiant son identité, la date de distribution (arrêté du 7 février 2007 pris en application de l'article R. 2-1 du CPCE et fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux N° Lexbase : L6726HUN, art. 4).

Pour éviter de rallonger le délai en cas d’absence du destinataire, la loi fait partir le délai de rétractation à partir de la « première présentation de la lettre », et non point de la remise effective. En ce cas, malgré tout, le destinataire reste informé. En son absence, un avis l’informe que l'envoi postal est mis en instance pendant un délai de quinze jours à compter du lendemain de la présentation à son domicile ainsi que du lieu où cet envoi peut être retiré (art. 5 du même arrêté).

Au regard de ce qui précède, la jurisprudence en déduit que l’efficacité de la notification repose sur l’information effective du destinataire. En conséquence, la notification est régulière si le destinataire ne va jamais retirer son pli, alors pourtant qu’il a été informé du passage (Cass. civ. 3, 14 février 2018, n° 17-10.514, F-P+B N° Lexbase : A7575XDW : JCP N 2018, n° 24, 1205). Mais, en sens inverse, le courrier postal délivré à la bonne adresse, mais à la mauvaise personne, sans mandat pour ce faire - cas fréquent de la personne qui se fait remettre tant la lettre qui lui est destinée que celle pour son conjoint – ne fait pas partir le délai de rétractation (Cass. civ. 3, 21 mars 2019, n° 18-10.772, FS-P+B+I N° Lexbase : A5065Y4D : JCP N 2019, 1277, note V. Zalewski-Sicard).

De plus en plus, la pratique a recours à l’envoi recommandé électronique. Ce dernier n’est pas réductible à un simple courriel, même assorti d’un accusé de réception. La loi pose un principe d’équivalence entre l’envoi recommandé électronique et l’envoi par lettre recommandée postale (CPCE, art. L. 100 N° Lexbase : L4899LAP). Mais, pour cela, il s’agit de n’avoir recours qu’à des services d’envoi recommandé électronique « qualifiés » au sens du règlement « eIDAS » (Règlement (UE) n° 910/2014, du 23 juillet 2014, sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur N° Lexbase : L1237I4L), lesquels sont délivrés par des prestataires de services spécialisés, qualifiés par l’ANSSI.Lorsque ce moyen de notification est utilisé, les données envoyées et reçues au moyen d’un service d’envoi recommandé électronique qualifié bénéficient d’une présomption, d’une part quant à leur envoi et leur réception par l’expéditeur et le destinataire identifiés, d’autre part et surtout quant à l’exactitude de la date et de l’heure de leur envoi et de leur réception (art. 43 § 2 du règlement précité).

Outre les moyens susdits, la loi permet la notification par « tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise » (CCH, art. L. 271-1, al. 2), sans meilleure précision [2]. Le point d’importance, au regard ce qui précède, est le besoin de certitude quant à la date de remise effective au destinataire. Pour cette raison, la signification par voie d’huissier est évidemment valide, sans discussion possible (Rép. min. n° 41440 : JOAN 5 oct. 2004, p. 7789).

S’est surtout posée en pratique, la question de la validité de la remise du contrat en mains propres, contre récépissé signé du bénéficiaire de la remise. Le problème est équivalent, donc, au cas de l’arrêt d’espèce : par la signature du récépissé, le destinataire confirme avoir bien reçu le document, à une date précise – comme le notaire ayant donné lieu au présent arrêt, atteste, mutatis mutandis, avoir reçu la rétractation à une date déterminée.

Paradoxalement, la jurisprudence a initialement condamné cette pratique [3]. Son argument juridique était que le récépissé lui-même, acte sous seing privé, n’a pas date certaine, et ne présente donc pas des garanties équivalentes au recommandé avec accusé de réception (Cass. civ. 3, 27 février 2008, n° 07-11.303, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1773D7S : JCP N 2008, n° 23, 1215 ; D. 2008, p. 785, obs. G. Forest ; AJDI 2009, p. 58, obs. F. Cohet-Cordey ; Contrats, conc. consom. 2008, note L. Leveneur et M. Suquet-Cozic). Il est vrai que, l'acte sous signature privée n'acquiert date certaine à l'égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d'un signataire, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique (C. civ., art. 1377 N° Lexbase : L1023KZW). Mais en ce cas, il ne s’agit nullement d’opposer la date à un tiers, mais au signataire du récépissé lui-même : sa signature n’a-t-elle pas la valeur d’un aveu ? (C. civ., art. 1383-1 N° Lexbase : L0762KZA).

La réserve jurisprudentielle cherchait surtout à éviter que l’acquéreur ne signe, sous la pression, un récépissé antidaté de plus de dix jours, le privant de tout droit de rétractation. Mais cette réserve était d’une suspicion exagérée dans l’hypothèse où le contrat était remis directement à l’acquéreur par une profession réglementée ayant rédigé le contrat. Pour autant, les juges considéraient que la remise contre récépissé faite par un agent immobilier (Cass.  civ. 3, 18 novembre 2009, n° 08-20.912, FS-P+B N° Lexbase : A1634EP9 : D. 2009, p. 2935 ; AJDI 2010, p. 580, obs. N. Damas), ou même par un notaire (Cass. civ. 3, 26 janvier 2011, n° 09-69.899, FS-P+B N° Lexbase : A8533GQ4 : JCP N 2011, n° 22, 1188-2, obs. S. Piedelièvre ; D. 2011, p. 1730, note C. Tabourot-Hyest), ne faisait pas courir le droit de rétractation. Aussi, la loi est-elle venue modifier, en certains cas, la solution jurisprudentielle. Le changement a été opéré par la loi n° 2006-872, du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement N° Lexbase : L2466HKK dite « ENL », et son décret du 19 décembre 2008. Désormais, lorsque l'acte est conclu par l'intermédiaire d'un professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente (notaire ou agent immobilier), cet acte peut être remis directement au bénéficiaire du droit de rétractation (CCH, art. L. 271-1, al. 3). Le récépissé doit cependant contenir diverses mentions manuscrites : le nom du professionnel effectuant la remise, la date et le lieu de la remise, la conscience de l’existence du droit de rétractation de 10 jours, la précision de la date du début du délai (CCH, art. D. 271-6 N° Lexbase : L1290K8B).

La solution adoptée dans l’arrêt d’espèce est donc, d’une certaine manière, la transposition de cette dernière possibilité, mutatis mutandis, pour l’exercice du droit de rétractation : l’attestation du destinataire peut bien suffire, parfois, à se dispenser d’une notification plus formelle.

II. L’attestation du destinataire de la rétractation suffit

Selon le texte légal, la rétractation est notifiée soit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, soit par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes (CCH, art. L 271-1, al. 2). Dans l’appréciation de ce texte, la jurisprudence a fait preuve de souplesse. Ainsi, dans une espèce, où la rétractation a été notifiée par lettre recommandée, envoyée au dernier jour du délai, et reçue par le vendeur le lendemain, a-t-il été décidé que « la date de la rétractation par voie postale était celle de l'expédition de la lettre recommandée » (Cass. civ. 3, 5 décembre 2007, n° 06-19.567, FS-P+B N° Lexbase : A0372D38 : Procédures 2008, comm. 36, R. Perrot).

Quant à savoir ce que sont les « moyens présentant une garantie équivalente », il est possible de s’inspirer de ce qui a été dit précédemment. Ainsi, le texte admet implicitement la rétractation signifiée par acte d’huissier. Hors ce cas, la jurisprudence a fait preuve de compréhension, sans excès de formalisme. Ainsi, dans une espèce où le délai de rétractation n’avait pas commencé à courir, en raison d’une irrégularité de la notification, les juges ont-ils admis que « la notification par l'acquéreur dans l'instance l'opposant à son vendeur de conclusions par lesquelles il déclare exercer son droit de rétractation satisfait aux exigences du texte légal » (Cass. civ. 3, 25 mai 2011, n° 10-14.641, FS-P+B N° Lexbase : A8767HSI : JCP N 2011, n° 23, act. 522).

De cette jurisprudence, rare, on retrouve les éléments essentiels qui étaient déjà nécessaires pour la notification du contrat : il faut pouvoir avoir une certitude quant à la date de la rétractation, afin de pouvoir estimer si elle est faite dans les délais. Aussi, dans l’hypothèse où le destinataire, par une attestation ou un récépissé, reconnaît avoir reçu l’information dans les délais, il paraît bien inutile d’imposer un formalisme supplémentaire au renonçant.

Au soutien de cette solution, le pourvoi ajoute un peu inutilement que l’attestation d’espèce émane d’un notaire assistant de l’étude notariale, et qu’il faut lui prêter la foi attachée aux constatations d’un officier ministériel. Il y a là une erreur : un « notaire assistant » a le diplôme pour exercer comme notaire, mais il n’est pas officier ministériel.  Surtout, l’argument suppose une inutile restriction. Ce n’est pas la qualité de l’auteur de l’attestation qui importe. C’est que l’attestation émane de la personne à qui la rétractation doit être adressée, comme un pendant de la notification du contrat en mains propres contre récépissé de remise.

Il convient de faire une précision à ce propos. La loi ne précise pas à qui doit être notifiée la rétractation. En bonne logique, elle doit en principe être adressée au vendeur. En effet, la rétractation opère un « anéantissement » du contrat et de toutes les obligations que l’acquéreur avait prises à l’égard du vendeur (Cass. civ. 3, 4 décembre 2013, n° 12-27.293 N° Lexbase : A5512KQ9 : Gaz. Pal. 13 févr. 2014, n° 44, p. 14, obs. S. Cabrillac ; Gaz. Pal. 16 janv. 2014, p. 16, obs. D. Houtcieff ; Defrénois, 2014, n° 4, p. 176, obs. H. Lécuyer). Le vendeur est donc le principal intéressé.

Pour autant, la jurisprudence a admis la notification de la rétractation entre les mains d’un mandataire ou au lieu où les parties avaient fait élection de domicile. Ainsi, dans une espèce, la promesse de vente rédigée par le notaire donnait « tous pouvoirs à tous clercs ou employés de l'étude du notaire chargé d'établir l'acte [de vente], à l'effet d'effectuer toutes les formalités préalables au contrat authentique et toutes notifications exigées par la loi, avec mandat de notifier aux acquéreurs leur droit de rétractation », outre que l’acte contenait une élection de domicile en l'étude du notaire chargée de recevoir l'acte authentique. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a admis que l’acquéreur pouvait valablement se rétracter en notifiant sa décision au notaire, au lieu du vendeur directement (Cass. civ. 3, 11 juin 2013, n° 11-23.184, F-D N° Lexbase : A5715KGR).

Il semble, en l’espèce, que la promesse de vente contenait une stipulation similaire. Surtout, dans le partage de la plume usuel à l’époque, la règle était que la promesse de vente était rédigée par le notaire du vendeur, mais que l’acte de vente lui-même était rédigé par le notaire de l’acquéreur. Auquel cas, le vendeur argue vainement que l’acquéreur a notifié sa décision à « son » notaire : ce dernier ayant un mandat des parties pour la rédaction de la vente, la rétractation pouvait bien se faire entre ses mains.

« Quels impacts dans ma pratique ? » : il convient d’être nuancé quant à la portée du courriel mentionnant la volonté de l’acquéreur de se rétracter.

Dans l’hypothèse où le notaire reçoit un tel courriel, le vendeur ne peut exciper une irrégularité formelle, empêchant la rétractation de produire son effet. C’est l’application littérale de la solution d’espèce.

 Mais, en sens inverse, il n’est pas possible de conseiller à un acquéreur souhaitant se désister de se borner à envoyer un courriel seulement. L’arrêt commenté le dispense d’un formalisme supplémentaire si et seulement si il lui est donné acte de sa rétractation, dans les délais, par le destinataire – ce qui lui ménage alors la preuve d’une notification avec des garanties de date équivalent à une lettre recommandée. Dans toute hypothèse où il ne peut compter sur la coopération du destinataire, il convient de s’en tenir à la méthode prévue par la loi de la lettre recommandée avec accusé de réception, ou l’équivalent indiscutable qu’est la signification par huissier. Ceci afin de se ménager la preuve d’avoir informé le vendeur, ou son mandataire, en temps utile, de manière certaine.

 

[1] H. Périnet-Marquet, Protection du consentement de l'acquéreur. - Délai de rétractation et délai de réflexion, JCl. Vente d’immeuble, fasc. 4200, n° 39.

[2] G. Rouzet, Les formes alternatives de notification des contrats de vente immobilière, Defrénois 2005, art. 38260

[3] Y. Le Magueresse, Du glas de la remise en main propre de l'avant-contrat contre récépissé, JCP N 2011, n° 11, 1102.

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