Lexbase Droit privé n°520 du 21 mars 2013 : Droit de la famille

[Jurisprudence] Déplacement illicite d'enfant : la difficile conciliation de l'obligation au retour et du respect de l'intérêt supérieur de l'enfant

Réf. : CEDH, 7 mars 2013, Req. 10131/11 (N° Lexbase : A2377I9W) ; Cass. civ. 1, 13 février 2013, n° 11-28.424, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0545I8P)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP

le 21 Mars 2013

Le dispositif de lutte contre les déplacements illicites d'enfant, fondé sur la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 et consolidé par le Règlement européen "Bruxelles II bis", se trouve depuis quelques années, confronté au principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant. La jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'Homme relative à cette question suscite, par son ambivalence, nombre d'interrogations sur la solidité d'un dispositif qui paraissait jusque là plutôt renforcé par la contribution de la Cour de Strasbourg et par une jurisprudence restrictive de la Cour de la cassation relative aux exceptions au retour de l'enfant (1). La décision de la Cour européenne du 7 mars 2013 condamnant la France pour ne pas avoir organisé le retour de deux enfants auprès de leur mère, ainsi qu'un arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2013, illustrent la difficulté des juridictions à concilier les préceptes de la Convention de la Haye, et particulièrement l'obligation pour l'Etat refuge d'organiser le retour de l'enfant enlevé, avec la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant qui pourrait, au contraire, conduire à empêcher ce même retour (I). Ces deux décisions semblent cependant plutôt participer de la volonté de maintenir le principe du retour de l'enfant enlevé (II).

I - La recherche d'un équilibre délicat

Jurisprudence imposant le retour A partir de l'arrêt "Ignacollo-Zenide c/ Roumanie" du 25 janvier 2000 (2), la Cour européenne des droits de l'Homme a élaboré une jurisprudence assurant l'effectivité du dispositif de lutte contre les déplacements illicites d'enfant contenu dans la Convention de la Haye de 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfant. Elle impose, en effet, aux Etats, sur le fondement de l'article 8, l'obligation positive de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le retour de l'enfant auprès du parent à qui il a été enlevé. Dans l'arrêt du 7 mars 2013, elle précise qu'il convient d'envisager le défaut de retour de l'enfant non pas comme une ingérence dans la vie familiale des requérants mais bien sous l'angle des obligations positives, la question étant de savoir si l'Etat français avait pris toutes le mesures nécessaires pour mettre en oeuvre le retour de l'enfant illicitement déplacé. L'illicéité de ce déplacement ne faisait pas difficulté dans cette affaire. Elle est, en revanche, abordée dans l'arrêt de la Cour de cassation. Pour la première fois, à notre connaissance, la Cour de cassation y était confrontée à une situation de résidence alternée entre deux parents exerçant en commun l'autorité parentale. Sans surprise, elle considère que les deux parents sont gardiens au sens de la Convention et que le fait pour le père d'emmener les enfants à l'étranger sans autorisation de la mère constituait un déplacement illicite.

Toujours d'actualité, comme en témoigne notamment l'arrêt récent "Özmen c/ Turquie" du 4 décembre 2012 (3), la jurisprudence traditionnelle de la Cour de Strasbourg, est toutefois contrebalancée, depuis, 2010 par d'autres décisions de la même juridiction, rendues cette fois en réponse aux requêtes de parents auteurs de déplacements illicites.

Jurisprudence atténuant l'obligation au retour. Une jurisprudence différente de la Cour européenne des droits de l'Homme a en effet été inaugurée par l'arrêt "Neulinger et Shuruk c/ Suisse" du 6 juillet 2010 (4), que le Gouvernement français a d'ailleurs invoqué dans l'affaire du 7 mars 2013. Lorsque l'auteur de l'enlèvement se plaint de l'atteinte au droit au respect de sa vie familiale et de celle de son enfant que constituerait le retour de ce dernier, la Cour européenne accorde une très grande considération à l'intérêt supérieur de l'enfant. Elle n'hésite pas à admettre que le retour peut être contraire à l'article 8 lorsqu'il va à l'encontre de l'intérêt supérieur de l'enfant apprécié in concreto. D'arrêt en arrêt, la Cour en est venue à renverser le raisonnement fondé sur la Convention de La Haye imposant par principe le retour de l'enfant. Selon l'arrêt "B. c/ Belgique" du 10 juillet 2012 (5), il faut démontrer que le retour de l'enfant est nécessaire au regard de son intérêt supérieur pour justifier l'atteinte qu'il constitue au respect de sa vie familiale et de celle du parent qui l'a enlevé.

Jurisprudences inconciliables ? La compatibilité des solutions proposées par la cour selon que le requérant est le parent victime ou le parent auteur de l'enlèvement illicite est ainsi devenue très incertaine. L'affaire du 7 mars 2013 présente l'avantage d'imposer à la Cour un effort de cohérence, sinon de justification. En effet, dans cette affaire, le Gouvernement alléguait que le défaut d'aboutissement des démarches entreprises en vue du retour des enfants en Grande-Bretagne résultait de la prise en compte de l'intérêt supérieur de ceux-ci.

Double fondement Dans l'arrêt du 7 mars 2013, comme dans les arrêts précédents, la Cour met en avant le double fondement du dispositif de lutte contre les déplacements illicites d'enfants. Les obligations positives, concernant la réunion d'un parent à ses enfants issues de l'article 8, doivent s'interpréter non seulement à la lumière de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants mais également à la lumière de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989, qui met notamment l'accent sur le caractère primordial de l'intérêt de l'enfant. La Cour de cassation, dans son arrêt du 13 février 2013, est en harmonie avec cette conjugaison de normes puisqu'elle vise l'article 13 b de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, et ensemble l'article 3-1 de la Convention de New York du 20 novembre 1989. Dans l'arrêt "B/ c/ France", la Cour européenne avait déjà expliqué que si le premier de ces Traités établit une présomption selon laquelle l'intérêt de l'enfant est de ne pas être enlevé et, le cas échéant, de faire l'objet d'un retour, le second impose de faire une appréciation au cas par cas de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Intérêt supérieur de l'enfant. Dans les deux décisions commentées, il était allégué que le retour de l'enfant était contraire à son intérêt supérieur. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2013, la cour d'appel "pour dire n'y avoir lieu à ordonner le retour de l'enfant aux Etats Unis, relève que si les défaillances éducatives alléguées par Mme Y à l'encontre de M. X ne sont pas caractérisées, d'une part, il serait dommageable pour l'enfant, compte tenu de son très jeune âge, de remettre en cause son nouvel équilibre, d'autre part, son retour générerait des difficultés d'organisation des relations avec sa mère, celle-ci étant enceinte et dans l'impossibilité de se déplacer à court terme, ce qui réitérerait pour l'enfant un traumatisme de séparation et un sentiment d'abandon".

C'est également l'intérêt supérieur de l'enfant qui est avancé par le Gouvernement français dans l'affaire du 7 mars 2013 pour justifier le fait que l'Etat français n'a pas imposé, notamment en prenant des mesures coercitives, le retour des enfants. La Cour européenne souscrit partiellement à cette thèse en observant que la décision du procureur général près la cour d'appel de Poitiers de ne pas procéder à l'exécution forcée de la décision de retour et le refus du préfet de prêter le concours de la force publique, fondées en particulier sur l'intérêt des enfants, gravement troublés par la situation, ne sont pas critiquables. Saisissant l'occasion, elle affirme que l'intérêt supérieur des enfants s'oppose en règle générale à ce que des mesures coercitives soient prises à leur encontre.

Toutefois cette prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant ne suffit pas dans les deux arrêts commentés à écarter le principe du retour de l'enfant.

II - La résistance du principe du retour de l'enfant

Mesures coercitives à l'égard de l'auteur de l'enlèvement. Alors même qu'elle avait fait preuve de compréhension à l'égard du Gouvernement français concernant l'absence d'exécution forcée de la décision de retour et le choix de la conciliation, la Cour européenne condamne la France pour ne pas avoir pris de mesures coercitives à l'égard du père auteur de l'enlèvement. La Cour estime "que des mesures de cette nature auraient pu être prises à [son] encontre, afin de l'inciter à coopérer d'avantage. A cet égard, elle ne s'explique pas pourquoi les autorités françaises compétentes n'ont pas donné suite à la plainte pour non-représentation d'enfants déposée par la [mère] une fois qu'il pouvait être considéré que la voie de la coopération et de la négociation n'aboutirait pas".

Plus largement, la Cour reproche aux autorités françaises de s'être peu à peu désinvesties, face notamment au peu d'empressement du père à coopérer après l'échec de plusieurs tentatives de conciliation. Mais le refus des enfants de rejoindre leur mère a sans doute également exercé une influence importante sur le comportement des autorités françaises, ce que la Cour prend en compte.

Opposition des enfants au retour. Sur la question de l'opposition des enfants au retour, la Cour européenne adopte une position surprenant compte tenu notamment du fait que l'un des enfants concernés était âgé de 15 ans. Elle affirme ainsi qu'elle "n'ignore pas que l'une des difficultés auxquelles les autorités se sont heurtées en l'espèce tient de l'attitude des enfants eux mêmes, qui ont clairement manifesté leur refus de retourner en Grande Bretagne auprès de leur mère" mais "elle estime toutefois que cette attitude n'était pas nécessairement immuable, ce dont atteste le fait que, le 11 décembre 2010, A. a volontairement quitté la maison paternelle pour rejoindre sa mère. Elle observe en outre que, dans le cadre de l'application de la Convention de La Haye et du Règlement de Bruxelles II bis, si le point de vue des enfants doit être pris en compte, leur opposition ne fait pas nécessairement obstacle à leur retour". Le faible poids accordé à l'opposition de l'enfant à son retour paraît quelque peu contestable. L'article 13 b de la Convention de la Haye qui affirme que "l'autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d'ordonner le retour de l'enfant si elle constate que celui-ci s'oppose à son retour et qu'il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion" confère, selon nous, à l'enfant un véritable droit de veto. Il est vrai en revanche que le Règlement "Bruxelles II bis" ne reprend pas cette disposition et se contente d'exiger que l'enfant puisse être entendu dans le cadre de la procédure de retour.

La sévérité de la Cour européenne à l'égard de la France semble en tout état de cause assez peu compréhensible. Qu'auraient dû en effet faire les autorités françaises face à l'opposition des enfants à leur retour ? On ne voit pas bien en outre en quoi les poursuites pénales à l'encontre du père auraient pu faciliter ce retour. Cette sévérité est d'autant moins logique lorsqu'on la compare à l'indulgence avec laquelle la Cour de Strasbourg reçoit les requêtes des auteurs de déplacements illicites s'opposant au retour de l'enfant qu'ils ont enlevé. Dans ces conditions, il nous semble que l'arrêt du 7 mars 2013 est plus fondé sur la volonté de conforter le dispositif de lutte contre les enlèvements internationaux d'enfant que sur une appréciation concrète du litige. La condamnation de la France pour manquement à ses obligations positives serait en quelque sorte l'occasion pour la Cour de démontrer qu'elle ne fait pas de l'intérêt de l'enfant la seule ligne directrice de sa jurisprudence en matière d'enlèvement.

Le danger apprécié au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. Il ne fait en tous les cas aucun doute que l'arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2013 contredit la jurisprudence européenne tendant à faire du seul intérêt supérieur de l'enfant un obstacle à son retour. L'attendu de la Cour de cassation est explicite : "en se déterminant par des motifs impropres à caractériser, au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, le danger grave encouru par celui ci en cas de retour immédiat, ou la situation intolérable qu'un tel retour créerait à son égard, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision". La Haute Cour indique ainsi que seuls les obstacles au retour contenus dans la Convention de la Haye et le Règlement "Bruxelles II bis" peuvent être pris en compte. Le juge doit donc caractériser le danger ou la situation intolérable que provoquerait le retour -en l'espèce l'enfant était trop jeune pour que son opposition puisse retenue-. L'intérêt supérieur de l'enfant n'est cependant pas absent du raisonnement de la Cour de cassation qui affirme que "selon l'article 3-1 de la Convention de New York relative aux droits de l'enfant, ces circonstances doivent être appréciées en considération primordiale de l'intérêt supérieur de l'enfant". Intervenant uniquement dans la caractérisation du danger, l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas une cause autonome de non retour. La Cour de cassation tente ainsi de concilier les droits de l'enfant et la mise en oeuvre de la Convention de la Haye. Bien que difficile à mettre en oeuvre concrètement, l'analyse de la Cour de cassation permet de maintenir le principe du retour de l'enfant consacré par la Convention de la Haye. Reste à savoir si la Cour européenne rejoindra cette lecture du droit des enlèvements internationaux d'enfants. L'arrêt du 7 mars 2013 peut être lu comme un premier pas dans cette direction.


(1) E. Gallant, Enlèvement d'enfants : la Convention de la Haye du 25 octobre 1980, J.-Cl. Droit international, Fasc. 549-30.
(2) GACEDH, p. 576.
(3) Dr. fam. 2013, Etude n° 3, nos obs..
(4) Dr. fam. 2011, Etude n° 10, nos obs..
(5) Ibidem.

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