Jurisprudence : Cass. civ. 1, 16-02-2022, n° 21-19.061, F-B, Cassation

Cass. civ. 1, 16-02-2022, n° 21-19.061, F-B, Cassation

A63517NK

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Cass. civ. 1, 16-02-2022, n° 21-19.061, F-B, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/79415246-cass-civ-1-16022022-n-2119061-fb-cassation
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Abstract

► La seule circonstance que le retour de l'enfant auprès du parent à qui il a été illicitement enlevé affecte la situation nouvelle créée entre-temps par le parent ravisseur, aussi stable et favorable soit-elle, ne suffit pas à caractériser le risque grave ou la situation intolérable encourus en cas de retour ; de même, la seule circonstance selon laquelle le père ne connaît pas l'enfant est impropre à caractériser l'exposition à un danger physique ou psychique, ou le placement dans une situation intolérable justifiant le refus d'ordonner le retour.


CIV. 1

SG


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 février 2022


Cassation


M. CHAUVIN, président


Arrêt n° 263 F-B

Pourvoi n° C 21-19.061


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 FÉVRIER 2022


M. [C] [E], domicilié [… …] (…), a formé le pourvoi n° C 21-19.061 contre l'arrêt rendu le 8 mars 2021 par la cour d'appel de Basse-Terre (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ au procureur général près la cour d'appel de Basse Terre, domicilié [… …],

2°/ à Mme [T] [R], domiciliée [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Mme [R] a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Azar, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [E], de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [R], après débats en l'audience publique du 1er février 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Azar, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 8 mars 2021), de l'union de M. [Aa] et de Mme [Ab] est née l'enfant [Z], le 22 juin 2012, à [Localité 4] (Canada).

2. Le 8 décembre 2016, Mme [R] a quitté le Canada avec [Z] pour s'installer en Guadeloupe.

3. Le 3 juillet 2017, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Basse-Terre a saisi le juge aux affaires familiales afin qu'il ordonne, sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, le retour immédiat de l'enfant au Canada.

4. Par arrêt du 24 juin 2019, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 5 juillet 2018, pourvoi n° 18-15.441⚖️), la cour d'appel de Basse-Terre a infirmé l'ordonnance du 13 juillet 2017 ordonnant le retour.


Examen des moyens

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

6. Mme [R] fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la tierce opposition formée par M. [E] contre l'arrêt du 24 juin 2019, alors « que la personne qui a été représentée au jugement qu'elle attaque est irrecevable à former tierce opposition ; qu'en matière d'enlèvement international d'enfant, la demande du parent, qui prétend qu'un enfant a été déplacé ou retenu en violation d'un droit de garde, est transmise par l'Autorité centrale française au procureur de la République, lequel introduit la procédure judiciaire visant à obtenir le retour de l'enfant pour le compte du parent ; que dès lors, représenté par le procureur de la République, le parent est irrecevable à former tierce opposition contre la décision ayant statué sur le retour de l'enfant ; qu'en décidant le contraire, pour dire que M. [Aa], qui a saisi l'autorité centrale du Canada d'une demande de retour, ayant conduit à la saisine du juge français par le procureur de la République, était recevable à former tierce opposition contre l'arrêt du 24 juin 2019, la cour d'appel a violé les articles 583 et du code de procédure civile🏛, ensemble les articles 8, 9 et 10 de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980. »


Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 583 du code de procédure civile🏛, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.

8. Après avoir relevé que M. [E] n'avait été ni appelé ni représenté avant de former tierce-opposition, la cour d'appel a retenu à bon droit que le procureur de la République, saisi en application de l'article 1210-4 du code de procédure civile🏛 et tenu de faire exécuter la demande de retour émanant d'un Etat étranger sur le fondement des dispositions de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, a, lorsqu'il introduit une procédure judiciaire afin d'obtenir le retour de l'enfant, la qualité de partie principale et ne saurait représenter les intérêts de l'un des parents.

9. Elle en a exactement déduit que la tierce opposition formée par M. [E] était recevable.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.


Mais sur le moyen, pris en ses première et troisième branches, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

11. M. [W] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de rétractation de l'arrêt du 24 juin 2019 en refusant le retour au Canada de l'enfant, alors :

« 1°/ que la seule circonstance que le retour de l'enfant auprès du parent à qui il a été illicitement enlevé affecte la situation nouvelle créée entre-temps par le parent ravisseur, aussi stable et favorable soit-elle, ne suffit pas à caractériser le risque grave ou la situation intolérable encourus en cas de retour, qui doivent s'apprécier au regard de la situation qui serait celle de l'enfant s'il retourne auprès du parent dont il a été illicitement éloigné ; qu'en refusant le retour d'[Z] au Canada « au regard de son jeune âge et de son évolution très favorable depuis quatre années en Guadeloupe où elle a retrouvé sa famille maternelle », cependant que l'illicéité de son déplacement était acquise, la cour d'appel a violé l'article 13 b de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 ;

3°/ que la seule circonstance selon laquelle le père ne connaît pas l'enfant est impropre à caractériser l'exposition à un danger physique ou psychique, ou le placement dans une situation intolérable justifiant le refus d'ordonner le retour ; qu'en se bornant à énoncer qu'elle « ne dispose d'aucun élément sur le retour d'[Z] au Canada, auprès d'un père qu'elle ne connaît pas » et en insistant sur « le traumatisme que ne manquerait pas de provoquer un retour au Canada, auprès d'un père qu'elle ne connaît pas », cependant qu'elle constate que l'enfant n'encourt aucun risque d'aucune sorte auprès de lui, l'hypothèse d'« un comportement violent du père (ayant) été justement écartée », pour refuser d'ordonner le retour, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 b de la Convention de La Haye. »


Réponse de la Cour

Vu l'article 13, b, de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et l'article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 :

12. Il résulte du premier de ces textes qu'il ne peut être fait exception au retour immédiat de l'enfant que s'il existe un risque de danger grave ou de création d'une situation intolérable.

13. Selon le second, ces circonstances doivent être appréciées en considération primordiale de l'intérêt supérieur de l'enfant.

14. Pour dire n'y avoir lieu au retour de l'enfant au Canada, l'arrêt retient qu'[Z], aujourd'hui âgée de 8 ans, est parfaitement intégrée en Guadeloupe où elle vit avec sa mère depuis plus de quatre années et où elle bénéficie d'un environnement familial, amical et scolaire favorable à son épanouissement intellectuel, social et affectif, et qu'il n'est apporté aucun élément sur les conditions du retour de l'enfant auprès de son père, qu'elle ne connaît pas et avec lequel elle ne vivait pas au moment de son départ comme le révèle la décision de la Cour supérieure du Canada du 26 janvier 2015 ayant confié la garde de l'enfant à la mère et un droit de visite et d'hébergement au père.

15. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser, au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, le danger grave encouru par celui-ci en cas de retour immédiat ou la situation intolérable qu'un tel retour créerait à son égard, la cour d'appel a violé les textes susvisés.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France ;

Condamne Mme [R] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par Mme [R] et la condamne à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille vingt-deux.



MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. [E]

M. [W] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de rétractation de l'arrêt du 24 juin 2019 de la cour d'appel de Basse-Terre en refusant le retour au Canada de l'enfant, [Z], déplacée illicitement ;

Alors , d'une part, que la seule circonstance que le retour de l'enfant auprès du parent à qui il a été illicitement enlevé affecte la situation nouvelle créée entre-temps par le parent ravisseur, aussi stable et favorable soit-elle, ne suffit pas à caractériser le risque grave ou la situation intolérable encourus en cas de retour, qui doivent s'apprécier au regard de la situation qui serait celle de l'enfant s'il retourne auprès du parent dont il a été illicitement éloigné ; qu'en refusant le retour d'[Z] au Canada « au regard de son jeune âge et de son évolution très favorable depuis quatre années en Guadeloupe où elle a retrouvé sa famille maternelle » (arrêt, p. 7, § 6), cependant que l'illicéité de son déplacement était acquise, la Cour d'appel a violé l'article 13 b de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 ;

Alors, d'autre part, que le parent ravisseur ne saurait se prévaloir, pour s'opposer au retour immédiat de l'enfant, du danger psychique qu'il a lui-même créé en l'éloignant illicitement de l'autre parent ; qu'en retenant que il y a lieu de constater qu' « un retour (de l'enfant [Z]) au Canada créerait, pour cette mineure, une situation intolérable d'arrachement à son univers d'enfant de huit ans pour l'inconnu » (arrêt, p. 7, § 6) pour refuser son retour, la cour d'appel a violé l'article 13 b de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 ;

Alors, en troisième lieu, que la seule circonstance selon laquelle le père ne connait pas l'enfant est impropre à caractériser l'exposition à un danger physique ou psychique, ou le placement dans une situation intolérable justifiant le refus d'ordonner le retour ; qu'en se bornant à énoncer qu'elle « ne dispose d'aucun élément sur le retour d'[Z] au Canada, auprès d'un père qu'elle ne connaît pas » et en insistant sur « le traumatisme que ne manquerait pas de provoquer un retour au Canada, auprès d'un père qu'elle ne connaît pas » (arrêt, p. 7, § 3 et 5), cependant qu'elle constate que l'enfant n'encourt aucun risque d'aucune sorte auprès de lui, l'hypothèse d'« un comportement violent du père (ayant) été justement écartée » (arrêt, p. 7, § 1), pour refuser d'ordonner le retour, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 b de la convention de La Haye ;


Alors, en quatrième lieu, que la charge de la preuve du risque grave justifiant le refus d'ordonner le retour de l'enfant pèse sur le parent qui s'oppose au
retour immédiat ; qu'en se limitant à constater qu'elle « ne dispose d'aucun élément sur le retour d'[Z] au Canada » (arrêt, p. 7, § 3 ) et que « [M. [W]] ne justifie, ni même n'allègue être en capacité d'accueillir son enfant » (arrêt, p 7, § 5) pour caractériser un risque grave de provoquer une situation intolérable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 b de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 ;

Alors, en tout état de cause, que l'article 13 b de la convention de La Haye doit être apprécié en considération primordiale de l'intérêt supérieur de l'enfant qui a le droit d'être élevé par ses deux parents et d'entretenir des relations personnelles avec chacun d'eux ; qu'ainsi, dans l'appréciation de la gravité du risque ou du caractère intolérable de la situation susceptible de s'opposer au retour de l'enfant, il doit être tenu compte de la possibilité pour l'enfant de maintenir les relations avec l'autre parent ; qu'en n'évoquant pas l'intérêt primordial de l'enfant de laisser s'épanouir sa relation avec son père, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 b de la convention de La Haye du 25 octobre 1980. Moyen produit au pourvoi incident éventuel par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour Mme [R].

L'arrêt attaqué, critiqué par Madame [R], encourt la censure ;

EN CE QU'il a déclaré recevable la tierce opposition formée par Monsieur [C] [E] à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de BASSE-TERRE rendu le 24 juin 2019 ;

ALORS QUE, PREMIEREMENT, la personne qui a été représentée au jugement qu'elle attaque est irrecevable à former tierce opposition ; qu'en matière d'enlèvement international d'enfant, la demande du parent, qui prétend qu'un enfant a été déplacé ou retenu en violation d'un droit de garde, est transmise par l'Autorité centrale française au Procureur de la République, lequel introduit la procédure judiciaire visant à obtenir le retour de l'enfant pour le compte du parent ; que dès lors, représenté par le Procureur de la République, le parent est irrecevable à former tierce opposition contre la décision ayant statué sur le retour de l'enfant ; qu'en décidant le contraire, pour dire que Monsieur [Aa], qui a saisi l'autorité centrale du Canada d'une demande de retour, ayant conduit à la saisine du juge français par le Procureur de la République, était recevable à former tierce opposition contre l'arrêt du 24 juin 2019 , la Cour d'appel a violé les articles 583 et du Code de procédure civile🏛, ensemble les articles 8, 9 et 10 de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 ;

ET ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions de Madame [R], qui invoquait la tardiveté de la tierce opposition formée par Monsieur [E], au-delà du délai de deux mois de l'article 586 du Code de procédure civile🏛, alors que l'arrêt du 4 juin 2019 a été notifié conformément à ce texte, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile🏛.

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