Réf. : Cass. civ. 2, 25 novembre 2021, n° 20-14.152, F-B (N° Lexbase : A96627CT)
Lecture: 2 min
N9624BY4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Laïla Bedja
Le 03 Décembre 2021
► Il résulte des articles R. 411-11 (N° Lexbase : L0816HHP) et R. 441-14, alinéa 1er (N° Lexbase : L6170IEA), du Code de la Sécurité sociale que, lorsque la décision de la caisse de prolonger le délai pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie ne résulte pas de la nécessité de l'envoi d'un questionnaire ou de la réalisation d'une enquête, la caisse est seulement tenue d'informer les parties en temps utile du report de sa décision et de les informer, une fois l'examen de la déclaration achevé, de la faculté pour elles de consulter le dossier.
Les faits et procédure. Une salariée de la société A a été victime d’un accident du travail prise en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie, après recours à un délai complémentaire.
L’employeur a saisi d’un recours la juridiction de Sécurité sociale demandant notamment l’inopposabilité de la décision de prise en charge à son égard.
Le pourvoi. La cour d’appel (CA Bordeaux, 9 janvier 2020, n° 17/04313 N° Lexbase : A39593AU) ayant rejeté son recours et dit la décision opposable, la société a formé un pourvoi en cassation. Selon elle, lorsque la caisse décide de prolonger le délai pour prendre sa décision, elle est tenue de respecter les dispositions de l’article R. 441-11 du Code de la Sécurité sociale, c’est-à-dire d'adresser un questionnaire ou de recueillir les observations de l'employeur avant de clôturer l'instruction quand bien même ce dernier n'aurait émis aucune réserve. En décidant le contraire motif pris que lorsqu'elle ordonne une enquête complémentaire, l'obligation d'information de l'employeur par la caisse ne se traduirait par l'envoi impératif d'un questionnaire au salarié et à l'employeur que dans le cas où la déclaration d'accident du travail était assortie de réserves, la cour d'appel, qui a ajouté au texte une condition qu'il ne comporte pas, a violé les articles R. 441-11 et R. 414-14 du Code de la Sécurité sociale dans leur rédaction alors applicables.
Rejet. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction rejette le pourvoi.
Pour en savoir plus : v. M. Gainet, ÉTUDE : La procédure de reconnaissance de l’accident du travail, Les délais d’instruction, in Droit de la protection sociale, Lexbase (N° Lexbase : E245434N). |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:479624
Réf. : Cass. civ. 3, 17 novembre 2021, n° 20-20.731, F-D (N° Lexbase : A46897CN)
Lecture: 4 min
N9638BYM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, Rome Associés, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
Le 03 Décembre 2021
► Si le sous-traitant accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître d’ouvrage ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître d’ouvrage doit exiger de l’entrepreneur principal qu’il justifie avoir fourni la caution ;
► il appartient au maître d’ouvrage de veiller à l’efficacité des mesures qu’il met en œuvre pour satisfaire aux obligations mises à sa charge ;
► à défaut, il engage sa responsabilité à l’égard du sous-traitant.
Afin d’assurer la protection du sous-traitant, réputé en situation de faiblesse économique, la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 (N° Lexbase : L5127A8E) a instauré de nouvelles règles dont un système efficace de garanties de paiement de l’intégralité des sommes dues par l’entrepreneur au sous-traitant, prévu en son article 14. Deux garanties de paiement, alternatives sont, en effet, offertes au sous-traitant : la caution et la délégation du maître d’ouvrage. L’absence de fourniture, par l’entrepreneur, de l’une de ces deux garanties principales est lourdement sanctionnée par la nullité du sous-traité (pour exemple Cass. civ. 3, 14 septembre 2017, n° 16-18.146, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6555WR9). Malgré cela, 81 % des sous-traitants sont payés par l’entrepreneur principal sans que celui-ci, dans la plupart des cas, n’ait obtenu de caution (H. Périnet-Marquet, Droit de la construction et de l’urbanisme, Montchrétien, 11ème éd. 2017, n° 874).
L’entrepreneur n’est donc pas le seul à avoir des obligations à l’égard du sous-traitant. Le maître d’ouvrage en a également. Faute pour lui de respecter ses obligations, il engage sa responsabilité délictuelle à l’égard du sous-traitant comme le rappelle l’arrêt rapporté.
En l’espèce, une entreprise principale titulaire d’un marché de travaux en vue de la construction de logements, conclu deux contrats de sous-traitance avec la même société. Le sous-traitant assigne en paiement des travaux le maître d’ouvrage et l’entrepreneur principal, mis en liquidation judiciaire. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 22 juin 2020 considère que la faute délictuelle du maître d’ouvrage n’est pas établie et déboute le sous-traitant de sa demande à son encontre. Il forme un pourvoi en cassation aux termes duquel il articule, notamment, qu’il appartient au maître d’ouvrage de veiller à l’efficacité des mesures qu’il met en œuvre pour satisfaire aux obligations mises à sa charge aux termes de l’article 14-1 de la loi précitée du 31 décembre 1975.
En application de cet article, si le sous-traitant, accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître d’ouvrage, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître d’ouvrage doit exiger de l’entrepreneur principal qu’il justifie avoir fourni la caution.
L’intérêt de l’arrêt n’est pas de rappeler ces dispositions (pour un exemple récent, Cass. civ. 3, 10 novembre 2021, n° 20-17.689, F-D N° Lexbase : A74177BC) mais de confirmer que le maître d’ouvrage doit veiller à l’efficacité des mesures protectrices instaurées par le Législateur au bénéfice du sous-traitant. Précisément, le maître d’ouvrage doit veiller à l’efficacité des mesures qu’il met en œuvre pour satisfaire aux obligations mises à sa charge. A défaut, il engage sa responsabilité à l’égard du sous-traitant en application des dispositions de l’article 1240 du Code civil ([L0950KZ9]), faute de chaîne translative de propriété.
La solution n’est pas nouvelle (pour exemple, Cass. civ. 3, 21 novembre 2012, n° 11-25.101, FS-P+B N° Lexbase : A4932IXX ; Cass. civ. 3, 10 février 2010, n° 09-11.562, FS-P+B N° Lexbase : A7832ERI) et mérite d’être saluée. Elle permet au sous-traitant d’avoir un recours supplémentaire à l’encontre du maître d’ouvrage, lequel peut se révéler fort utile lorsque l’entreprise principale fait, par exemple, l’objet d’une procédure collective.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:479638
Lecture: 12 min
N9576BYC
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 03 Décembre 2021
Mots clés : intention • contrats • intérêt général
La commune intention des parties dans les contrats administratifs, si elle peut sembler une évidence voire un fondement de la légalité de ces derniers fondée sur la loyauté contractuelle, nécessite néanmoins un travail constant d'adaptation de ses décisions par le juge administratif et a débouché sur des évolutions majeures de la mutabilité, du pouvoir de modification unilatérale, des sujétions imprévues et de l'imprévision. Pour faire le point sur cette thématique qui semble promise à un bel avenir, Lexbase Public a rencontré Valentin Lamy, docteur en droit, qualifié aux fonctions de Maître de conférences, chercheur postdoctoral à l’Université Jean Moulin Lyon 3 – EDPL, auteur de Recherche sur la commune intention des parties dans les contrats administratifs. Contribution à l’interprétation du contrat en droit public, à paraître aux éd. Mare & Martin*.
Lexbase : Comment définiriez-vous cette notion de commune intention des parties dans les contrats administratifs ?
Valentin Lamy : Définir la notion de commune intention des parties dans les contrats administratifs – de même que la notion de commune intention des parties au sens général – suppose d’emblée de surmonter un écueil, à savoir que la commune intention n’est jamais présentée comme un concept juridique à part entière, c’est-à-dire une idée « générale et abstraite » [1], mais comme une simple notion fonctionnelle, quand elle n’est pas renvoyée à un statut de « guide-âne » [2] pour reprendre les mots du Doyen Carbonnier. D’avis partagés, la commune intention ne serait, tout simplement, que la traduction de la doctrine de l’autonomie de la volonté en termes d’interprétation du contrat et ne mériterait pas une étude plus approfondie, l’article 1188 du Code civil (N° Lexbase : L0905KZK) se suffisant à lui-même en disposant que « le contrat s’interprète selon la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral des termes ».
Cependant, d’importants indices laissaient à penser que cette simplicité n’était qu’apparente et que la commune intention avait bien plus à nous dire, a fortiori appliquée aux contrats administratifs : pourquoi le Code parle-t-il d’intention et non de volonté ? Pourquoi le juge administratif utilise-t-il cette méthode de droit civil – qui semble profondément marquée par l’autonomie de la volonté – pour interpréter les contrats administratifs, et non une technique d’interprétation autonome ?
Une étude approfondie de la jurisprudence administrative relative à l’interprétation des contrats administratifs et mobilisant la notion de commune intention des parties a permis de dégager les fonctions de cette notion en droit public, d’où on a pu déduire une définition. La première fonction de la commune intention n’est pas si différente de celle qui est la sienne en droit privé : la commune intention est un instrument de protection de la volonté des parties. Elle commande au juge de ne pas s’écarter de la volonté des parties, en se cantonnant à l’écrit contractuel lorsque celui-ci est clair et en recherchant par tout moyen qu’elle a été la volonté réelle des parties, c’est-à-dire le negotium, dans l’hypothèse d’un instrumentum obscur ou ambigu. Mais ce seul aspect ne rend pas fidèlement compte de l’utilisation de la commune intention par le juge administratif du contrat, lequel n’hésite pas, sous couvert de recherche de la commune intention des parties, à faire dire autre chose à la volonté contractuelle, ceci afin de préserver les nécessités de l’intérêt général. Pour citer un exemple bien connu – il n’est pas le seul –, la décision du Conseil d’État du 10 janvier 1902, « Compagnie nouvelle du gaz de Déville-lès-Rouen » [3], illustre parfaitement cet aspect de la commune intention, car dans les motifs de sa décision, le juge mobilise expressément la commune intention pour, finalement, retenir une interprétation restrictive du monopole reconnu à la société gazière permettant à la commune de recourir à l’énergie électrique pour son éclairage public.
On en déduit alors que la commune intention n’est pas seulement un outil de protection de la volonté contractuelle, mais encore un outil de perfection de cette volonté, toutes les fois que l’exigent les nécessités de l’intérêt général. Au plan conceptuel, cette dualité fonctionnelle rend tout son sens au concept d’intention, qu’il faut définir comme une volonté finalisée, dans le cas particulier des personnes morales de droit public, par la poursuite de l’intérêt général.
Voici donc comment, ainsi digérée par l’administrativité, la notion de commune intention acquiert sa plénitude conceptuelle.
Lexbase : Quelle étape a marqué pour cette thématique l'arrêt « Commune de Béziers » du 28 décembre 2009 ?
Valentin Lamy : L’accent mis sur la loyauté et la stabilité des relations contractuelles depuis la jurisprudence « Béziers I » [4] a conduit au renforcement de la fonction protectrice de volonté de la commune intention des parties précédemment décrite. On le sait bien, la loyauté contractuelle, qu’on la considère comme un principe simplement « procédural » ou qu’on l’érige en « principe substantiel » [5], est « intimement associée à la primauté donnée à l’application du contrat » [6]. Au plan contentieux, elle a supposé une redéfinition de l’office du juge administratif dans le sens d’une recherche systématique de maintien de la relation contractuelle, au détriment du principe de légalité.
Au plan substantiel, elle implique l’obligation, pour les parties, de toujours s’efforcer de respecter loyalement les stipulations du contrat et est, ce faisant, apparentée à la bonne foi. Dans cette perspective, elle doit s’analyser comme un instrument de renforcement de la force obligatoire des contrats, vis-à-vis non seulement des parties, mais encore du juge. C’est précisément sur ce point que loyauté contractuelle et commune intention des parties se rejoignent puisque cette dernière a précisément pour objet, en cas de nécessité interprétative, de déterminer quelle a été la teneur de l’accord de volontés au moment où il a été scellé : dans les deux cas, les parties sont renvoyées aux obligations initialement convenues au nom du principe de la force obligatoire.
Si l’on observe la jurisprudence administrative postérieure à « Béziers I », on constate qu’il est rare que loyauté contractuelle et commune intention des parties soient mobilisées de concert. Mais ceci s’explique par le fait que la mention de la loyauté contractuelle dans les motifs des décisions du juge administratif se fasse très majoritairement dans le contentieux de la validité, pour lequel la question de l’interprétation du contrat ou d’une clause contractuelle est rarement soulevée par les parties. En revanche, le contentieux de la responsabilité contractuelle semble être un terreau davantage fertile à l’expression conjointe de ces deux notions, en témoigne notamment un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris dans lequel il est affirmé qu’« il appartient au juge du contrat d’interpréter et d’appliquer un contrat en tenant compte, le cas échéant, de la commune intention des parties et du principe de loyauté contractuelle » [7].
Ce faisant, la commune intention participe – il est vrai de manière plus silencieuse que la loyauté contractuelle – au mouvement contemporain de sacralisation du contrat, peut-être en oubliant un peu sa fonction dynamique de relai de l’intérêt général que porte naturellement la volonté de toute personne publique.
Lexbase : Comment la nécessaire prise en compte de l’intérêt général par chacune des parties influe-t-elle sur le travail du juge administratif ?
Valentin Lamy : La prise en compte de l’intérêt général par chacune des parties à un contrat administratif est une chose éminemment délicate à mesurer puisque – Hauriou le disait très justement – le contrat est une communion d’intérêts issue d’un « faisceau de volontés parallèles » [8], en quelque sorte une rencontre conjoncturelle entre des intérêts divergents à laquelle le droit assigne force de loi. Dès lors, il faut considérer que, hormis le cas du contrat entre personnes publiques, seule la volonté administrative est porteuse de l’intérêt général, la volonté du cocontractant privé ne faisant qu’y souscrire par opportunité, ce qui semble à première vue en contradiction avec l’idée d’une commune intention finalisée par l’intérêt général. Mais il n’est pas absurde de considérer que l’opérateur privé rationnel ne saurait ignorer qu’en contractant avec l’administration, il s’inscrit ipso facto dans une relation contractuelle qui a l’intérêt général comme fin, qu’il devient ainsi, le temps du contrat, un « collaborateur de l’administration » [9].
Toutefois, et c’est le premier élément qui influe sur l’office interprétatif du juge administratif, les nécessités d’intérêt général s’imposent avec plus ou moins de force selon l’objet du contrat : on imagine parfaitement que la nécessité est impérieuse lorsque l’on considère une concession de service public, qu’elle est en revanche toute relative dans un marché public de fournitures bureautiques d’une commune. On observe alors que le juge sera d’autant plus vigilant dans son interprétation du contrat que les nécessités de l’intérêt général sont menacées. Les concessions de service public constituent un exemple fort de cette attitude du juge administratif qui consiste à objectiver l’intention commune des parties dans le sens d’une sauvegarde des nécessités de l’intérêt général.
Dans ses conclusions sous une décision du Conseil d’État de 1956, « Cie des transports en commun de la Région de Douai », le commissaire du gouvernement Laurent le disait bien : en matière de concessions, il convient « d’inscrire au premier plan de l’intention des parties le souci d’assurer le fonctionnement régulier et continu du service public »[10]. Une telle posture, qui peut conduire le juge à dépasser l’écrit contractuel même, dans l’hypothèse où celui-ci entre en contradiction avec la finalité d’intérêt général assignée au contrat, se retrouve très actuellement dans la jurisprudence relative aux biens de retour [11], où la « commune intention est interprétée à la lumière de la continuité du service public » [12], puisque le juge n’hésite pas à la mobiliser pour qualifier en bien de retour un bien expressément répertorié dans le contrat comme bien de reprise.
Néanmoins, un second élément est à souligner, à savoir que l’influence de l’intérêt général sur l’office interprétatif du juge administratif varie en fonction des époques. Cela a été précisé dans la réponse à la question précédente, l’époque est celle du primat du contrat, si bien que le juge apparaît de plus en plus réticent à incurver des stipulations contractuelles au nom de l’intérêt général, la jurisprudence sur les biens de retour apparaissant en ce sens isolée.
Lexbase : De quelle manière entrevoir l'avenir de la commune intention dans le domaine des contrats administratifs ?
Valentin Lamy : Si l’on résume ce qui a été dit, on se rend compte que la notion de commune intention des parties dans les contrats administratifs est investie d’une plasticité fonctionnelle assez remarquable. Elle a été un élément fondamental du raisonnement du juge lorsqu’il a élaboré les règles générales applicables aux contrats administratifs au début du XXème siècle, elle participe au mouvement contemporain du « tout contrat » en compagnie de la jurisprudence « Béziers I », ce qui lui prédit un avenir certain. Au-delà de cet aspect, la commune intention pourrait d’abord nourrir la réflexion de la doctrine sur l’unité fondamentale du droit contractuel et permettre une relecture du droit des contrats administratifs sous cet angle, tout en nuançant l’approche autonomiste de la matière. De nombreuses propositions doctrinales vont en ce sens [13] et la commune intention apporte naturellement à cette réflexion.
Ensuite, la commune intention apparaît comme une garante des spécificités inhérentes aux contrats administratifs dans un contexte de rapprochement des logiques contractuelles de droit privé et de droit public : en ce qu’elle est une notion de droit civil que le juge administratif a adaptée, elle permet de trouver un point d’équilibre entre « privatisation » du contrat administratif et préservation des nécessités d’intérêt général.
Enfin, et si l’on déborde quelque peu du cadre de la question, la commune intention administrative pourrait servir de siège à l’émergence d’une théorie unifiée de l’interprétation contractuelle. Si une majorité de la doctrine civiliste se déclare toujours en faveur d’une conception stricte de l’interprétation du contrat, laquelle suppose d’une part que l’interprétation ne peut avoir lieu qu’en cas d’obscurité ou d’ambiguïté des clauses contractuelles (la doctrine du sens clair) et d’autre part que l’acte d’interpréter est un pur acte de connaissance de la volonté des auteurs du contrat au moment où il a été conclu (ce qui interdit toute interprétation constructive), il semble qu’en réalité, le droit civil des contrats ne soit pas si réticent à la pénétration d’une logique finaliste et dynamique de l’interprétation. Dans le dernier titre de cette recherche, nous avons proposé une théorie de l’interprétation qui inclut cette logique finaliste dans le raisonnement herméneutique. La doctrine du sens clair est remplacée par une « doctrine de la nécessité interprétative » et l’interprétation comme acte de pure volonté est remplacée par l’interprétation comme acte de « médiation finalisée », permettant ainsi une oscillation entre les clauses du contrat et la finalité poursuivie par les parties, dans le cas des contrats administratifs, la finalité d’intérêt général essentiellement. Cela pourrait parfaitement s’appliquer aux contrats de droit privé, car il est assez artificiel de considérer la volonté contractuelle comme dépourvue de finalité et se suffisant à elle-même.
* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.
[1] T. Fortsakis, Conceptualisme et empirisme en droit administratif français, LGDJ, Bibl. de droit public, t. 152, Paris, 1987, p. 23.
[2] J. Carbonnier, Droit civil, Les obligations, 22ème éd., PUF, coll. « Thémis », Paris, 2000, n° 68.
[3] CE, Sec., 10 janvier 1902, n° 94624, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6862B7B), Rec., p. 5.
[4] CE, Ass., 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0493EQC).
[5] L. Marguery, La « loyauté des relations contractuelles » en droit administratif : d’un principe procédural à un principe substantiel, RFDA, 2012, p. 663.
[6] J.-F. Lafaix, La loyauté des relations contractuelles au regard de la théorie du contrat , in À propos des contrats des personnes publiques. Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Richer, LGDJ, Paris, 2013, p. 365.
[7] CAA Paris, 29 décembre 2017, n° 16PA01978 (N° Lexbase : A9532XBN).
[8] M. Hauriou, L’imprévision et les contrats dominés par les institutions sociales, réed. in M. Hauriou, Aux sources du droit. Le pouvoir, l’ordre et la liberté, Centre de philosophie politique et juridique, Caen, 1983, p. 131.
[9] M. Waline, L’évolution récente des rapports de l’État avec ses cocontractants, RDP, 1951, p. 5.
[10] P. Laurent, Concl. sur CE, 11 mai 1956, Cie des transports en commun de la Région de Douai, AJDA, 1956, p. 275.
[11] V. notamment CE, Ass., 21 décembre 2012, n° 342788, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1341IZP), Rec., p. 477 ; CE, Sect., 29 juin 2018, n° 402251, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5127XUG), Rec., p. 285.
[12] G. Mollion, Vers l’érosion de la théorie des biens de retour ?, AJDA, 2011, n° 7, p. 363.
[13] En ce qui concerne spécifiquement les contrats administratifs, v. notamment J. Martin, Les sources de droit privé du droit des contrats administratifs, 2 t., Thèse dactyl., Univ. Paris II, 2008 ; F. Lombard, La cause dans le contrat administratif, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, vol. 77, Paris, 2008 ; J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Dalloz, coll. « Sirey – Université », Paris, 2018.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:479576
Réf. : CJUE, 25 novembre 2021, aff. C-289/20 (N° Lexbase : A92757CI)
Lecture: 3 min
N9651BY4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 03 Décembre 2021
► L'article 3, § 1, sous a), du Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, dit « Bruxelles II bis » (N° Lexbase : L0159DYK), doit être interprété en ce sens qu'un époux qui partage sa vie entre deux États membres ne peut avoir sa résidence habituelle que dans un seul de ces États membres, de sorte que seules les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel se situe cette résidence habituelle sont compétentes pour statuer sur la demande de dissolution du lien matrimonial.
L’affaire. La question préjudicielle à laquelle la Cour européenne apporte ici une réponse a été soumise par la cour d’appel de Paris, dans le cadre d’un divorce entre un époux français, et son épouse irlandaise, qui s’étaient mariés en Irlande en 1994, et avaient eu trois enfants désormais majeurs. L’époux avait déposé une requête en divorce devant le tribunal de grande instance de Paris (France). Ce tribunal s’étant déclaré territorialement incompétent pour statuer sur le divorce, il a saisi la cour d’appel de Paris.
Cette juridiction est appelée à apprécier la compétence du tribunal de grande instance de Paris au regard de la résidence habituelle de l’époux, conformément au Règlement « Bruxelles II bis ».
À cet égard, elle indique, notamment, que de nombreux éléments caractérisent l’attachement personnel et familial de l’époux à l’Irlande, où il vivait depuis 1999 avec son épouse et ses enfants. Toutefois, elle relève également que, depuis plusieurs années, l’époux repartait toutes les semaines en France, où il avait installé le centre de ses intérêts professionnels. Ainsi, cette juridiction estime que l’époux avait, de fait, deux résidences, à savoir l’une en semaine fixée pour des motifs professionnels à Paris, et l’autre le reste du temps auprès de son épouse et de ses enfants en Irlande.
Question préjudicielle. C’est dans ce contexte que la cour d’appel de Paris a saisi la Cour européenne afin de déterminer les juridictions compétentes pour statuer sur le divorce des époux, au titre de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du Règlement relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le Règlement (CE) n° 1347/2000 (dit « Bruxelles II bis »). En particulier, elle demandait à la Cour si un époux partageant sa vie entre deux États membres peut avoir sa résidence habituelle dans ces deux États membres, de sorte que les juridictions de ces deux États membres sont compétentes pour statuer sur le divorce.
Réponse CJUE. Dans son arrêt, la Cour précise la notion de « résidence habituelle » d’un époux et juge que celui-ci, même s’il partage sa vie entre deux États membres, ne peut avoir qu’une seule résidence habituelle, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du Règlement « Bruxelles II bis ».
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:479651
Réf. : Cons. const., décision n° 2021-953 QPC, du 3 décembre 2021 (N° Lexbase : A00987ED)
Lecture: 2 min
N9653BY8
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yann Le Foll
Le 08 Décembre 2021
► Le cumul possible entre l'amende administrative et les sanctions pénales en cas de violation d'une mise en demeure prononcée par le préfet en matière d’installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ne saurait constituer une méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines.
Objet QPC. La question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « Ordonner le paiement d'une amende administrative au plus égale à 15 000 € » figurant à la première phrase du 4 ° du paragraphe II de l'article L. 171-8 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L5235LRC) et sur le 5 ° du paragraphe II de l'article L. 173-1 du même code (N° Lexbase : L5958LZP) sur renvoi de Cass. crim., 28 septembre 2021, n° 21-90.034, F-D (N° Lexbase : A050948D).
Selon la société requérante, serait contraire au principe non bis in idem le cumul possible entre l'amende administrative et les sanctions pénales prévues par ces dispositions en cas de violation d'une mise en demeure prononcée par l'autorité administrative en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement. Il en résulterait, selon elle, une méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines.
Position des Sages. À la différence de l'article L. 171-8 qui prévoit uniquement une sanction de nature pécuniaire d'un montant maximum de 15 000 euros, l'article L. 173-1 prévoit une peine d'amende et une peine d'emprisonnement pour les personnes physiques ou, pour les personnes morales, une peine de dissolution, de placement sous surveillance judiciaire, de fermeture temporaire ou définitive ou d'exclusion des marchés publics à titre temporaire ou définitif.
Dès lors, les faits prévus et réprimés par les dispositions contestées doivent être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature différente. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance des principes de nécessité (selon lequel une même personne ne peut faire l'objet de plusieurs poursuites tendant à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux) et de proportionnalité (selon lequel le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues) des peines doit être écarté.
Solution. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:479653
Réf. : CE 8° ch., 17 novembre 2021, n° 439609, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A03797CZ)
Lecture: 5 min
N9592BYW
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marie-Claire Sgarra
Le 03 Décembre 2021
► Le Conseil d’État a, dans un arrêt du 17 novembre 2021, requalifié des plus-values d’intéressement réalisées par des cadres en traitement et salaires.
Les faits :
🔎 Principes :
️⚖️ Solution du CE. Il en résulte que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, au motif que les cadres du groupe Materne avaient bénéficié, dans des conditions avantageuses trouvant essentiellement leur source dans l'exercice de leurs fonctions de salarié, d'un mécanisme leur garantissant le prix de cession de ces titres, que le gain réalisé par le requérant à l'issue de cette cession constituait un avantage en argent devant être imposé dans la catégorie des traitements et salaires, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance qu'aucun lien de subordination direct n'existait entre celui-ci et la société Materne Luxembourg Holdco, cessionnaire.
💡 Précisions du CE :
|
💡 Cette décision du Conseil d’État confirme sa position adoptée dans trois arrêts en date du 13 juillet 2021 (CE Plénière, 13 juillet 2021 n° 428506, n° 435452 et n° 437498, publiés au recueil Lebon N° Lexbase : A79804Y9).
Lire sur cet arrêt, O. Sube, Précisions sur le traitement fiscal des gains issus des « Management Packages », Lexbase Fiscal, septembre 2021, n° 878 (N° Lexbase : N8830BYP).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:479592
Réf. : Cass. crim., 23 novembre 2021, n° 21-81.978, FS-D (N° Lexbase : A23067DR)
Lecture: 2 min
N9655BYA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Adélaïde Léon
Le 21 Décembre 2021
► L’intranet d’une grande école auquel ont accès les élèves, anciens élèves, enseignants, chercheurs, doctorants et le personnel administratif s’adresse à une catégorie de public et est, dès lors, un service de communication au public en ligne au sens de la loi n° 2004-575, du 21 juin 2004, pour la confiance dans l’économie numérique ; la qualification du service dépend de l’accessibilité aux informations mises à disposition.
Demande d’avis. En application de l’article 1015-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5803L8G), la première chambre civile de la Cour de cassation a formulé une demande d’avis à l’adresse de la Chambre criminelle.
La demande d’avis portait sur le point de savoir si le droit de réponse prévu à l’article 6, IV, de la loi n° 2004-575, du 21 juin 2004, pour la confiance dans l’économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC) :
Avis. Rappelant les dispositions de l’article 1 de la loi n° 2004-575, du 21 juin 2004 lequel définit la communication au public par voie électronique et la communication au public en ligne, la Chambre criminelle combine ces définitions pour affirmer qu’un service de communication au public en ligne doit s’entendre comme « tout service permettant la transmission de données numériques n'ayant pas un caractère de correspondance privée, mises à disposition du public ou de catégories de public ».
S’agissant plus spécifiquement de l’École normale supérieure de Lyon, la Cour constate que l’intranet de l’établissement s’adresse à une catégorie de public définie et constitue, dès lors, un service de communication au public en ligne au sens de l’article 6, IV, de la loi n° 2004-575, du 21 juin 2004 auquel s’applique le droit de réponse prévu au même article.
La Cour précise qu’il importe peu que les personnes ayant accès à ce service soient ou non liées par une communauté d’intérêts. En effet, selon la Haute juridiction, la qualification du service dépendant, non de la nature des relations entre elles au regard d’un propos en cause, mais de l’accessibilité aux informations qui y sont mises à disposition.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:479655
Réf. : TA Toulouse, 25 novembre 2021, n° 1805497 (N° Lexbase : A73307DT)
Lecture: 3 min
N9601BYA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yann Le Foll
Le 09 Décembre 2021
► Est reconnue la responsabilité sans faute de l’État pour le décès d’un manifestant dans les suites de l’intervention des forces de l’ordre le 26 octobre 2014, à l’occasion des manifestations sur le site du projet de barrage de Sivens.
Rappel. Aux termes de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L9763LPB) : « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. […] ». Ces dispositions visent non seulement les dommages causés directement par les auteurs de ces crimes ou délits, mais encore ceux que peuvent entraîner les mesures prises par l’autorité publique pour le rétablissement de l’ordre (voir l'État est pour la première fois condamné à indemniser la victime d'un tir de flash-ball sur la base de la responsabilité sans faute, TA Paris, 17 décembre 2013, n° 1217943 N° Lexbase : A6534KRG).
Application. En l’espèce, le décès du manifestant est la conséquence directe et certaine de l’explosion à son contact d’une grenade offensive de type OF F1, lancée par un officier de gendarmerie. Le dommage dont se prévalent les requérants résulte ainsi d’une mesure prise par l’autorité publique en vue de rétablir l’ordre dans le cadre d’affrontements violents commis par un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions précitées, et la responsabilité de l’État doit être engagée sur le fondement de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure.
Imprudence fautive commise par la victime. L’intéressé, une fois arrivé sur le lieu des échauffourées, a couru délibérément en direction des gendarmes mobiles et s’est ainsi retrouvé, sans aucune protection et en dépit du manque de luminosité, sur la dalle d’argile, à une dizaine de mètres de la « zone vie », soit tout près de la ligne de défense tenue par les forces de l’ordre et à proximité immédiate des manifestants violents.
Bien qu’il ne résulte pas de l’instruction que le manifestant aurait manifesté le moindre signe de violence envers l’escadron de gendarmerie, et à supposer même, comme le soutiennent les requérants, qu’il ne soit resté que quelques minutes sur place et qu’il n’aurait pas entendu les sommations successives effectuées préalablement par les gendarmes, il a – en agissant de la sorte – fait preuve d’une imprudence, alors même qu’il ne pouvait ignorer la dangerosité de la situation pour en avoir été le témoin direct lors de son arrivée sur la zone d’affrontement.
Dans les circonstances de l’espèce, l’imprudence fautive ainsi commise par la victime est de nature à exonérer partiellement l’État de sa responsabilité à hauteur de 20 %. En conséquence, le tribunal indemnise le préjudice moral résultant du décès à hauteur de 14 400 euros pour chacun de ses deux parents, de 9 600 euros pour sa sœur et de 4 000 euros pour chacune de ses grands-mères.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La responsabilité administrative sans faute, Les dégâts et dommages lors des attroupements ou rassemblements, in Responsabilité administrative, (dir. P. Tifine), Lexbase (N° Lexbase : E3761EUT). |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:479601
Réf. : Cass. com., 24 novembre 2021, n° 19-25.195, F-D (N° Lexbase : A51767D3)
Lecture: 5 min
N9605BYE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Vincent Téchené
Le 03 Décembre 2021
► L'obligation de mise en garde à laquelle une banque est tenue à l'égard d'une caution non avertie n'est pas limitée au caractère manifestement disproportionné de son engagement au regard de ses biens et revenus ;
En outre, le non-respect par la banque de son obligation de mise en garde est sanctionné par la perte de chance de ne pas s’engager, laquelle ne peut être égale au paiement auquel la caution est condamnée en exécution de son engagement.
Faits et procédure. Fort classiquement, une banque a consenti à une société un prêt, le père et la mère du gérant de la société se portant cautions solidaires de la société, en garantie du remboursement de cet emprunt, dans la limite de 200 000 euros chacun, couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard pour une durée de 108 mois. La société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a assigné en paiement les cautions qui lui ont opposé la disproportion de leur engagement et la violation de son obligation de mise en garde.
La cour d’appel (CA Grenoble, 2 juillet 2019, n° 17/03806 N° Lexbase : A4823ZH4) ayant retenu que la banque avait manqué à son obligation de mise en garde et l’ayant condamnée en conséquence à payer 200 000 euros à titre de dommages-intérêts aux cautions, elle a formé un pourvoi en cassation.
Décision. S’agissant d’abord de l’obligation de mise en garde, la Cour de cassation va approuver l’arrêt d’appel.
En effet, elle rappelle que l'obligation de mise en garde à laquelle une banque est tenue à l'égard d'une caution non avertie, à raison des capacités financières de cette dernière et du risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur, n'est pas limitée au caractère manifestement disproportionné de son engagement au regard de ses biens et revenus.
Ensuite, elle approuve l’arrêt d’appel d’avoir souverainement déduit d’un ensemble d’éléments que le prêt accordé par la banque était inadapté aux capacités financières de la société emprunteuse, qui s'est trouvée en état de cessation des paiements dix-huit mois après l'exigibilité de la première échéance du prêt. Dès lors, la cour d'appel a exactement retenu que la banque était tenue à l'égard des deux cautions non averties d'une obligation de mise en garde lors de la souscription de leur engagement.
Mais, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel sur la condamnation de la banque à payer 200 000 euros aux cautions.
En effet, elle rappelle également que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
Or, pour fixer le montant des dommages-intérêts dus en réparation du préjudice subi par les cautions en raison du manquement de la banque à son obligation de mise en garde, l'arrêt retient que ce préjudice est caractérisé, pour les cautions, par la perte de chance de ne pas s'engager et qu'il doit être réparé à hauteur de la somme de 200 000 euros.
Logiquement, la Haute juridiction retient ici qu’en statuant ainsi, alors qu'en fixant le montant des dommages-intérêts dus par la banque à la même somme que celle au paiement de laquelle elle condamnait les cautions en exécution de leur engagement, la cour d'appel, qui a alloué aux cautions l'intégralité de l'avantage qu'aurait procuré la chance de ne pas s'engager si elle s'était réalisée, a violé l’ancien article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT).
Observations. Sur ce dernier point, la Cour de cassation a déjà jugé que la différence entre la condamnation de la caution et celle du créancier étant égale à 1 euro, la réparation de la perte de chance n'a pas été égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée (Cass. com., 8 novembre 2011, n° 10-23.662, F-D N° Lexbase : A8864HZC).
On rappellera, par ailleurs, que pour les cautionnements conclus à compter du 1er janvier 2022 (ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021, portant réforme du droit des sûretés N° Lexbase : L8997L7D), l’obligation de mise en garde de la caution, création à l’origine prétorienne, est consacrée par les textes et fait ainsi son entrée dans le Code civil (C. civ., art. 2299 N° Lexbase : L0173L8W). Selon cet article, « Le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque l'engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier. À défaut, le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci » (v. G. Piette, Réforme du droit des sûretés par l’ordonnance du 15 septembre 2021 : formation et étendue du cautionnement, Lexbase Affaires, octobre 2021, n° 691 N° Lexbase : N8978BY8).
On remarque, notamment, parmi les nouveautés, que la sanction est modifiée : il ne s’agit plus de la responsabilité du créancier, mais d’une déchéance à hauteur du préjudice subi par celle-ci.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les effets du cautionnement entre le créancier et la caution, La responsabilité du créancier à l'égard de la caution pour non-respect de son obligation de mise en garde, in Droit des sûretés, (dir. G. Piette), Lexbase (N° Lexbase : E3566E4T). |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:479605