La lettre juridique n°878 du 23 septembre 2021 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Précisions sur le traitement fiscal des gains issus des « Management Packages »

Réf. : CE Plénière, 13 juillet 2021 n° 428506, n° 435452 et n° 437498, publiés au recueil Lebon (N° Lexbase : A79804Y9)

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par Océane Sube, Doctorante en droit fiscal à Aix-Marseille Université – Centre d’Études Fiscales et Financières, sous convention CIFRE au Crédit Agricole Alpes Provence – Desk Patrimoine

le 22 Septembre 2021


Mots-clés : management package • dirigeants • entreprises • imposition des gains

Les différents gains issus de dispositifs de « management packages » des dirigeants de sociétés peuvent être imposés dans la catégorie des traitements et salaires s'ils sont liés à l'exercice des fonctions. 


 

Dans le cadre d’une stratégie de développement économique, certaines sociétés proposent des dispositifs de « management packages » à leurs dirigeants ou salariés afin qu’ils acquièrent des actions de la société dans laquelle ils exercent leur activité professionnelle.

Pour mettre en œuvre cette stratégie, la société recourt à divers instruments juridiques, que l’on peut distinguer en deux catégories :

  • D’une part, il existe des dispositifs d’acquisitions d’actions dont le régime juridique et fiscal est encadré légalement. Cette situation correspond aux stock-options [1], les attributions d’actions gratuites [2] et les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise [3].
  • D’autre part, il y existe des dispositifs d’acquisitions d’actions non encadrés par le législateur comme les bons autonomes de souscription d’actions - appelé BSA - et les contrats d’options d’achat d’actions. Ces régimes présentent un double avantage. Le premier est qu’ils bénéficient d’une grande liberté contractuelle concernant les modalités d’acquisition et d’exercice puisqu’il est possible par exemple de déterminer le prix d’exercice ou levée, les conditions d’exercice et définir divers objectifs. De plus, ce régime est fiscalement avantageux puisqu’il n’est pas soumis à un régime fiscal spécifique. Ainsi, ces dispositifs sont soumis au régime fiscal de droit commun. Dès lors, seulement la cession d’un de ces dispositifs ou de l’action acquise par leur utilisation est soumise au régime des plus-values mobilières des particuliers, qui est bien plus avantageux que le régime des traitements et salaires. D’autant plus que cela a été accentué avec l’instauration du prélèvement forfaitaire unique.

C’est cette dernière catégorie de titres financiers qui pose des difficultés concernant le régime fiscal applicable comme en témoignent les trois arrêts rendus par la formation la plus élevée du Conseil d’État, le 13 juillet 2021. En l’occurrence, le juge administratif a élaboré « une grille de lecture » [4] à suivre concernant le régime fiscal applicable pour les différents gains procurés par ces dispositifs de « management packages », notamment en présence de BSA et d’options d’achat d’actions.

Dans les trois affaires rendues par le Conseil d’État, chaque contribuable était un dirigeant d’une société qui a eu l’opportunité de bénéficier soit de BSA [5], soit de contrat d’options d’achat d’actions [6]. Lors de la cession de ces valeurs mobilières, chacun des contribuables a déclaré leur gain dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, afin de bénéficier du régime des plus-values mobilières des particuliers. Toutefois, l’administration fiscale a remis en cause l’application de ce régime fiscal afin d’imposer le gain dans la catégorie des traitements et salaires.

En formation plénière, le Conseil d’État s’est saisi de l’opportunité de ces trois affaires afin de déterminer les modalités d’impositions de ces titres financiers lorsqu’ils sont attribués à un dirigeant ou salarié dans le cadre d’un « management packages ». Pour cela, le Conseil d’État réalise une véritable grille d’analyse dans laquelle il identifie trois gains différents issus de ces dispositifs de « management packages » :

  • Gain concernant l’attribution d’un avantage lors de l’acquisition du management package
  • Gain tenant à l’exercice du management package
  • Gain relatif à la cession du management package

En se prononçant sur les modalités d’impositions de ces trois gains, le Conseil d’État détermine la fiscalité applicable à toutes les situations qu’un contribuable peut rencontrer avec le dispositif de management package.

Dans une approche didactique, ce commentaire examinera chacun des gains mentionnés par le Conseil d’État.

I. Le gain d’attribution d’un avantage lors de l’acquisition

Dans les trois affaires, le juge administratif a précisé comment est identifié un avantage (A), la marche à suivre pour déterminer si sa nature est salariale (B) et enfin il donne les modalités d’imposition de l’avantage octroyé lors de l’acquisition ou la souscription d’un management package par un dirigeant ou salarié (C).

A. Sur l’existence de l’octroi d’un avantage

Cet avantage correspond au gain dont a bénéficié un dirigeant ou un salarié lorsqu’il a acquis un titre financier à un prix préférentiel, c’est-à-dire à un prix minoré par rapport à la valeur vénale de ce titre financier. Toutefois, deux difficultés s’imposent :

  • d’une part la détermination de la valeur vénale,
  • et d’autre part l’appréciation de la minoration du prix d’acquisition.

La première difficulté tient à l’évaluation du dispositif de management package puisque l’évaluation n’est pas une science exacte pour les valeurs mobilières lorsqu’elles ne sont pas cotées sur un marché réglementé comme cela peut être le cas pour les BSA et contrat d’option d’achat d’actions. Dans ces conditions, leur évaluation nécessite de recourir à des méthodes financières comme les approches Black and Scholes, Monte Carlo et arbres binomiaux. Ces méthodes prennent en considération différents éléments comme la valeur vénale de l’actif sous-jacent du dispositif de management package et ses conditions d’exercice (comme le temps entre l’acquisition et la levée, la probabilité d’exercer le titre, le nombre de titres disponibles ou la détermination du prix…) [7]. Ainsi, la détermination de la valeur vénale du titre financier peut être un exercice encore plus difficile que l’évaluation du sous-jacent que le management package permet d’acquérir.

La deuxième difficulté tient à l’appréciation de la minoration du prix d’acquisition du management package. Encore faut-il savoir jusqu’à quel pourcentage de rabais peut-on apprécier la présence d’une minoration. Doit-on appréhender la minoration de façon restrictive, c’est-à-dire que dès le premier pourcentage de rabais par rapport à la valeur vénale serait le signe caractérisant la présence d’un avantage, ou peut-on avoir une approche plus tolérante sur la minoration du fait que l’évaluation n’est pas une science exacte ? Faudra-t-il apprécier la présence d’une minoration dès qu’il existe une diminution de 20 % de la valeur vénale comme c’est le cas pour les droits sociaux non cotés en bourse ?

Nous retenons que les étapes de la valorisation et celle de l’appréciation de la minoration sont délicates à apprécier.

B. Sur la nature salariale de l’avantage

Une fois que l’avantage a été caractérisé, le Conseil d’État précise que cet avantage est de nature salariale lorsqu’il « trouve essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié » [8]. L’utilisation de cette formule et notamment le terme « essentiellement » indique que le juge de l’impôt n’apporte aucune certitude sur les éléments à prendre en compte afin d’apporter la preuve de la nature salariale de l’avantage. Ainsi, cette appréciation se réalisera à travers la méthode du faisceau d’indices. Il sera donc, nécessaire d’observer la mise en œuvre des management packages en étudiant toutes les conventions d’attributions, ainsi que les pactes d’associés. Dans le cas où des éléments de ces actes juridiques démontreraient que l’avantage a été octroyé en raison de la fonction de dirigeant ou de salarié du contribuable, alors le gain procuré devra faire l’objet d’une imposition dans la catégorie des revenus des traitements et salaires. À titre indicatif, dans le cas où il est impossible d’apprécier la nature salariale de l’avantage, celui-ci sera imposé comme un revenu distribué.

C. Sur les modalités d’impositions

Pour terminer sur l’encadrement du traitement fiscal du gain issu de l’avantage accordé lors de l’attribution du management package.

D’abord, le juge administratif précise que l’assiette taxable de l’avantage correspond à la différence entre la valeur vénale du titre financier au jour de l’acquisition et le prix préférentiel acquitté par le contribuable dirigeant ou salarié.

Ensuite, il exige que l’avantage accordé soit l’objet d’une imposition « au titre de l’année d’acquisition » [9]. Ce principe est inspiré du régime des stock-options dans lequel le rabais est également imposé dans la catégorie des traitements et salaires au titre de l’année de l’attribution de stock-options.

Or, ce principe est discutable puisque même si le contribuable s’est vu accorder un avantage numéraire lors de l’acquisition d’un BSA ou d’un contrat d’option d’achat d’actions, la réalisation de l’effet procuré par l’avantage correspondant au gain généré par l’exercice ou de la cession du titre financier est seulement potentielle. Dans le cadre d’une hypothèse pessimiste, l’avantage accordé lors d’une acquisition à un dirigeant sera imposé, alors que l’effet de cet avantage n’aura procuré aucun véritable gain car le contribuable n’aurait pas exercé ou vendu son titre financier.

Par ailleurs, s’agissant des flux financiers, ce raisonnement est critiquable car le contribuable sera dans l’obligation d’acquitter son imposition tandis qu’il n’aura reçu aucune liquidité supplémentaire dans son patrimoine. Par conséquent, il serait opportun que le législateur s’interroge sur le fait de décaler l’année d’imposition de l’avantage accordé à la date où le contribuable reçoit des liquidités suite à la cession de l’action sous-jacente acquise après la levée du titre financier ou lors de la cession du titre financier.

II. Le gain d’acquisition issu de la levée

Dans l’une des trois affaires [10], le juge administratif a spécifié les modalités d’imposition de gains issus lors de l’exercice du titre financier dans le cadre d’un management package par un dirigeant ou salarié.  

Pour cela, il mentionne que l’assiette imposable de ce gain correspond à la différence entre la valeur vénale de l’action et la valeur d’acquisition lors de l’exercice du titre, auquel il faut ajouter les frais d’acquisition. Dans cette approche, il est possible d’apercevoir que le juge s’est inspiré du régime des stock-options qui prévoit un gain d’acquisition égal à la différence entre la valeur vénale de l’action lors de levée de l’option et du prix payé par le bénéficiaire.

De plus, le juge mentionne que si ce gain d’acquisition « trouve essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de fonctions de dirigeant ou de salarié ». Cette formulation est identique à celle utilisée pour caractériser la nature salariale de l’avantage accordé au dirigeant ou salarié lors de son acquisition du titre financier dans le cadre d’un management package. Encore une fois, on retrouve l’inspiration du régime des stock-options puisque depuis le 28 septembre 2012 le gain d’acquisition issu de stock-options fait l’objet d’une imposition au barème progressif dans la catégorie des traitements et salaires. À titre indicatif, il existe une différence entre les modalités d’imposition d’un dispositif de management package et celles des stock-options, puisque ces dernières font l’objet également d’une contribution salariale de 10 % [11] en plus de l’imposition à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux.

III. Le gain de cessions

Pour le gain de cession, le juge a apporté deux précisions. La première est qu’il faut distinguer entre la qualité d’investisseur et la qualité de dirigeant salarié du contribuable afin de savoir déterminer la catégorie d’imposition du gain (A). Ensuite, il est intervenu pour encadrer le régime fiscal d’un cas particulier où la plus-value de cession est inexistante, car l’exercice du titre précède la cession de l’action dans un bref délai (B).

A. La distinction entre la qualité d’investisseur et la qualité de dirigeant salarié  

Dans un premier temps, le Conseil d’État rappelle que le principe d’imposition d’un gain de cession d’action pour le contribuable personne physique est l’application du régime des plus-values mobilières des particuliers. Néanmoins, il décide d’apporter une exception à ce principe concernant les gains de cessions d’actions préalablement acquises par l’exercice de dispositifs de management packages. En effet, lorsque ce gain est « acquis, non à raison de la qualité d’investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant » [12], alors il devra être imposé dans la catégorie des traitements et salaires.

Il est observable que le Conseil d’État souhaite faire une distinction entre un gain patrimonial réalisé par un investisseur et un gain professionnel réalisé par un dirigeant ou salarié. Or, lorsque le contribuable possède ces deux qualités, il faut rechercher la véritable nature du gain afin de l’imposer dans la catégorie idoine. Pour cela, il faudra se référer à la méthode du faisceau d’indices puisque le juge n’apporte aucune précision pour distinguer entre les qualités d’investisseur ou de dirigeant salarié.

Pourtant, à l’étude des décisions rendues, il est possible de dire que les circonstances de la réalisation du gain de cession seront examinées avec précaution. En l’occurrence, le juge a étudié divers actes juridiques afin de rechercher la présence d’une potentielle garantie du prix de cession (affaire n° 437408). Le juge mentionne aussi que le fait de posséder des actions ordinaires en plus des actions acquises par des dispositifs de management package ne fait pas obstacle à la requalification du gain en complément de salaire (affaire n° 435452). Enfin, il rajoute la présence « d’un versement à caractère incitatif » [13] n’est pas un élément permettant d’éviter que le gain ne soit pas imposé dans la catégorie des traitements et salaires (affaire n° 435253).

Par conséquent, ce sera l’ensemble des circonstances qui seront prises en compte afin de déterminer si le gain de cession sera imposé comme un supplément de salaire ou comme un investissement financier.

B. Cas particulier : absence d’évolution de la valeur vénale entre la cession et la levée de l’option 

À la suite de ces précisions, le juge a précisé le traitement fiscal pour un cas particulier dans l’affaire n° 428506, en décidant que dans le cas où l’action acquise par la levée du titre financier a été cédée dans un bref délai n’entraînant aucune évolution de sa valeur vénale.

Afin d’éviter que le contribuable ne réalise aucune plus-value en raison de l’absence d’évolution de la valeur vénale, le juge a décidé de mettre en place un mécanisme anti-abus. L’administration fiscale est en droit « d’imposer l’intégralité de l’écart entre le prix de cession et le prix d’achat majoré » [14] des frais d’acquisition.

Conclusion :

En étudiant les trois gains, le Conseil d’État a une véritable volonté de déterminer le régime fiscal des titres financiers dans le cadre de management packages. Il rappelle que chaque gain est imposé dans la catégorie des traitements et salaires lorsqu’il est la contrepartie de la fonction de direction ou de salarié.

Toutefois, il ne mentionne aucune précision sur les éléments à prendre en compte. Dès lors, les conseils et le contribuable devront avoir une attention particulière à la mise en œuvre de management packages, car le juge examinera toutes les circonstances afin de déterminer la nature du gain.

 

[1] CGI, art. 80 bis (N° Lexbase : L9932IWR), CGI, art. 163 bis C (N° Lexbase : L9241HZB).

[2] CGI, art. 80 quaterdecies (N° Lexbase : L2205LYC).

[3] CGI, art. 163 bis G (N° Lexbase : L6176LUB).

[4] É. Bokdam-Tognetti, Traitement fiscal des « management packages » : le Conseil d'État précise le mode d'emploi, FR 34/21.

[5]CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 435452, n° 437498, précités.

[6] CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 428506, précité.

[7] Conlc. du Rapporteur public (É.) Bokdam-Tognetti, sur les décisions du Conseil d’État, 13 juill. 2021, n° 428506, n° 435452 et n° 437498 : Dr. fisc., n° 36, 9 sept. 2021, comm. 354.

[8] CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 428506, n° 435452 et n° 437498, précités.

[9] CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 428506, n° 435452 et n° 437498, précités.

[10] CE, 13 juillet 2021, n° 428506, précité.

[11] BOI-RSA-ES-20-30 (N° Lexbase : X4141ALX).

[12] CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 435252, précité.

[13] CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 435252, précité.

[14] CE Plénière, 13 juillet 2021, n° 435252, précité.

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