La lettre juridique n°494 du 19 juillet 2012

La lettre juridique - Édition n°494

Éditorial

Le bronzage, c'est la santé ; la pluie, c'est la conserver !

Lecture: 3 min

N3015BTT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6555061-edition-n-494-du-19072012#article-433015
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Le 12 juillet 2012, le sénateur Bernard Cazeau présentait son rapport au nom de la mission commune d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique. La création par le Sénat de cette mission, présidée par Chantal Jouanno, répondait, à coup sûr, à l'émotion suscitée par le scandale des "prothèses mammaires PIP", à la suite de celui, non moins médiatique, du "Mediator". Ces deux affaires sanitaires remettent en cause, bien évidemment, les dispositifs médicaux afférents. Et, l'on s'attendait donc à l'émergence de nombre de propositions visant à enrayer les dysfonctionnements constatés. Le catalogue à la Prévert des propositions est pour le moins hétéroclite (mettre au point un cahier des charges commun à tous les organismes notifiés ; multiplier les contrôles inopinés chez les fabricants ; doter le N-Bog d'un statut légal dans la réglementation européenne et lui confier la mission d'harmoniser les modalités de surveillance des organismes notifiés...). Certaines propositions sont d'envergure (étendre l'obligation d'information des organismes notifiés aux observations de non-conformité majeures ; rendre publics les flux financiers et les liens d'intérêts entre fabricants de dispositifs médicaux et bénéficiaires de ces avantages). Mais outre les aspects médicaux, la mission s'est inquiétée du peu de réglementation encadrant la profession d'esthéticienne et, plus généralement, les professionnels de l'esthétique. Elle propose donc d'encadrer strictement le recours par les esthéticiennes à certains dispositifs à visée esthétique, de créer un registre qualité des médecins pratiquant des actes à même visée, etc.. Et, oh rage ! Oh désespoir ! La trentième proposition rugissante : interdire les cabines de bronzage hors usage médical pour éviter un futur scandale sanitaire.

Cette fois, point de chichi, point de tralala socio professionnel, l'interdiction des cabines de bronzage a moins à voir avec le retour à un esthétisme aristocrate type XIXème siècle, qu'au nombre croissant des cas de cancer de la peau détectés chaque année. 9 780 nouveaux cas de mélanomes cutanés ont été détectés en 2011 en France, provoquant 1 620 morts. C'est deux fois plus, en moyenne, qu'il y a 10 ans. La situation est, bien évidemment, alarmante. Et, si l'on ne peut empêcher la photo exposition de l'Homme, encore peut-on limiter les dégâts en détruisant les 15 500 cabines à UV recensées en France, à moins d'en faire autant d'oeuvres d'art, type "Duchamp", témoignages de "l'une des principales révolutions culturelles du XXème siècle", à lire Pascal Ory, aujourd'hui remisée.

Et, même si huit millions de personnes en France pratiquent le bronzage en cabine, dont 45 % d'hommes, selon une enquête de l'Insee, la France a-t-elle vraiment accepté que le canon de la beauté pigmentaire occidentale passe de l'ordre du marbre à celui du bronze ? Rien n'est moins certain... D'autant que les causes de cette "révolution culturelle" ont disparu et que le principe de sécurité commande la prudence : c'est-à-dire la sagesse, bien plus que la peur irraisonnée.

D'aucuns auront beau arguer que les psoriasis et les vitiligo doivent être traitées aux UV ; que le grand Hippocrate, lui-même, recommande l'héliothérapie contre les maladies bactériennes et inflammatoires (Ah ! La tuberculose et les beaux jours des sanatoriums pyrénéens...) ; les mânes de Niels Ryberg Finsen, prix Nobel de médecine en 1903 pour son actinothérapie, ne ressusciteront pas les cabines de bronzage !

Coco Chanel peut aller se rhabiller : la mode n'est plus au teint halé. Et, Joséphine Baker peut s'en retourner se prélasser en son château des Milandes : pour avoir la banane, il ne faudra plus compter sur la lampe à UV.

L'aventure coloniale n'est plus une référence, bien au contraire ; et le prix du kérosène devrait encourager aux joies des climats plus tempérés, pour ne pas dire pluvieux... Aussi, le marbre devrait supplanter, dans les goûts et les moeurs, le bronze : Psyché ranimée par le baiser de l'Amour, plutôt que le dieu de l'Artémision lançant sinon la foudre, du moins un trident ! L'iconographie sculpturale parle d'elle-même.

Le contentieux condamne, plus particulièrement, la corrélation entre le bronzage et l'épilation au laser (CA de Paris, du 12 novembre 2004, n° 02/18913 ou CA de Bordeaux, du 17 avril 2008, n° 06/05496), car il est évidemment impossible d'attribuer la cause d'un mélanome à une séance d'UV particulière, dans un salon esthétique précis, à une date donnée. C'est pourquoi l'interdiction en amont semble être la seule voie de contrainte possible ; les campagnes de sensibilisation n'ayant pas produit les effets escomptés.

Il n'est pas certain qu'avec ce mois de juillet pluvieux, sur fond de crise sociale propice à la morosité, la proposition face long feu. Mais, peu me chaut, avouerai-je que "le bronzage, [c'est] encore un truc qu'est pas pour moi, ça. Si vous voulez mon avis, rien n'est plus triste qu'un postérieur pâle dans un ensemble bronzé. C'est comme un coin de Flandres corporel perdu dans une Côte d'Azur anatomique", pour citer Jean Yanne.

newsid:433015

Avocats/Champ de compétence

[Jurisprudence] Périmètre du droit : les agences de legal planner mises hors la loi

Réf. : TGI Nanterre, 1ère ch., 5 juillet 2012, n° 11/06572 (N° Lexbase : A6371IQZ)

Lecture: 16 min

N2994BT3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6555061-edition-n-494-du-19072012#article-432994
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014

Le 29 septembre 2010, lors d'une conférence sur la réalité et l'avenir du monopole en matière de consultation juridique, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, Christiane Féral-Schuhl, alors candidate au "dauphinat", avait prévenu, qu'une fois élue, il n'y aurait pas de place pour les "braconniers du droit", reprenant à son compte la formule du Bâtonnier Michel Bénichou (lire A.-L. Blouet Patin, 1991-2010 : réalité et avenir du monopole en matière de consultation juridique, Lexbase Hebdo n° 47 du 7 octobre 2010 - édition professions N° Lexbase : N1112BQA). Moins de six mois après son élection, le nouveau Bâtonnier signait, le 23 mai 2012, une convention de partenariat avec le Conseil régional Ile-de-France de l'Ordre des experts-comptables afin de s'associer pour lutter ensemble contre les "braconniers du droit et du chiffre" qui ciblent le marché des entreprises. Les deux Ordres rappelaient, à cet égard, que "nul ne peut faire usage des titres, ni exercer la profession d'avocat ou d'expert-comptable s'il n'est inscrit au tableau de l'Ordre et s'il n'a prêté serment d'exercer sa profession dans le respect des principes qui la guident et forment la déontologie de sa profession" (lire N° Lexbase : N2359BTK). Et, le 28 juin 2012, Christiane Féral-Schuhl rencontrait le président de la FNAIM, René Pallincourt, pour convenir ensemble que la pratique de certains sites internet, se prévalant de l'image de l'avocat pour masquer qu'ils sont agents immobiliers, n'était pas tolérable et qu'il convenait donc d'y mettre un terme.
Voilà pour les poignées de mains et les cocktails, mais qu'en est-il concrètement de la lutte contre les personnes portant atteinte à la réglementation de la délivrance des consultations juridiques -puisqu'il n'y a pas, en la matière, de monopole de l'avocat, contrairement à l'activité judiciaire (loi n° 71-1130, art. 4 N° Lexbase : L6343AGZ)- ?

L'une des premières victoires de cette "croisade" pour la défense des intérêts des clients et pour le respect des dispositions de l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971, selon lesquelles "nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui s'il n'est titulaire d'une licence en droit", est sans nul doute ce jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 5 juillet 2012, qui condamne une société qui exerce, sans les garanties des professions réglementées ou bénéficiaires d'un agrément, soumises dans l'intérêt des usagers à des exigences, notamment de secret professionnel et d'assurance, une activité de consultations juridiques. Injonction lui est alors faite de cesser ses activités de consultation juridique et de rédaction d'acte, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée.

En l'espèce, le combat a été mené par le Conseil national des barreaux (CNB) qui, comme chacun le sait, centralise les actions de la profession dans le cadre des contentieux de la défense du "périmètre du droit" (loi n° 71-1130, art. 21-1 et Cass. civ. 1, 15 novembre 2010, n° 09-66.319, FS-P+B+I N° Lexbase : A0232GH3). Mais, nul doute que l'impulsion donnée par le barreau de Paris est d'importance ; son Bâtonnier étant vice-président du CNB.

Dans cette affaire, la société défenderesse gère un site qui proposait en ligne de l'information juridique et de l'aide administrative préalable à l'éventuelle intervention d'avocats. L'entreprise se présente comme un legal planner, qui veillait au bon déroulement et au suivi des affaires administratives et juridiques de ses clients. Le CNB a donc saisi le tribunal afin de voir constater que la société en question propose aux particuliers et aux entreprises des consultations juridiques personnalisées, distinctes d'une simple information juridique, ainsi que la rédaction d'actes sous seing privé (statuts de société, contrats commerciaux, etc.), en violation des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 précitée.

Dans son jugement du 5 juillet 2012, le TGI relève que le service offert par la société mise en cause ne se borne pas à la simple information de type documentaire, mais constitue une palette de services juridiques personnalisés. De plus, bien qu'annoncée comme intervenant en amont du service d'un avocat, la prestation offerte ne tend pas moins à résoudre des difficultés juridiques et à concourir à la prise de décision du bénéficiaire, constituant, en pratique, une consultation juridique.

Cette décision n'appelle aucune critique. Elle n'est pas nouvelle en soi, mais elle est intéressante à plus d'un titre. D'abord, elle réaffirme les conditions générales requises pour délivrer un conseil ou rédiger un acte juridique (I). Ensuite, elle lève, un peu plus, l'ambiguïté quant à la frontière supposée ténue entre la simple information juridique et la consultation juridique réglementée (II). Enfin, elle revient sur les modalités de l'administration de la preuve en la matière (III).

I - L'encadrement légal de la délivrance des consultations juridiques et de la rédaction d'actes et l'absence de monopole de l'avocat en la matière

A - On le sait, l'activité de conseil et de rédaction d'actes peut être exercée par différentes professions et pas seulement par celles qui appartiennent au secteur des professions juridiques et judiciaires. La sentence émane de feu le Conseil de la concurrence (Cons. conc., avis n° 97-A-12, 17 juin 1997 N° Lexbase : X7855ACW). Pour autant, cela ne signifie pas que n'importe qui puisse délivrer une consultation ou rédiger un acte juridique, à titre habituel et onéreux.

Bien au contraire, on a vu que l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971 réservait cet exercice au "titulaire d'une licence en droit" ; mais encore faut-il que le conseil ou le rédacteur d'actes ne fusse pas l'auteur de faits ayant donné lieu à condamnation pénale pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ; qu'il ne fusse pas l'auteur de faits de même nature ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d'agrément ou d'autorisation ; et qu'il ne fusse pas frappé de faillite personnelle ou d'autre sanction en application des articles L. 653-1 (N° Lexbase : L3460IC7) et suivants du Code de commerce. Il est précisé, en outre, qu'une personne morale, dont l'un des dirigeants de droit ou de fait a fait l'objet d'une de ces sanctions, peut être frappée de l'incapacité à prodiguer un conseil ou rédiger un acte par décision du TGI de son siège social, à la requête du ministère public.

Par ailleurs, toute personne autorisée à donner des consultations juridiques ou à rédiger des actes sous seing privé, pour autrui, de manière habituelle et rémunérée, doit satisfaire aux obligations d'assurance et de garantie de l'article 55 de la loi de 1971. En outre, elle doit respecter le secret professionnel conformément aux dispositions des articles 226-13 (N° Lexbase : L5524AIG) et 226-14 (N° Lexbase : L8743HWQ) du Code pénal et s'interdire d'intervenir si elle a un intérêt direct ou indirect à l'objet de la prestation fournie. Enfin, toute publicité en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique est subordonnée au respect de conditions fixées par décret (loi n° 71-1130, art. 66-4).

Et, aucune consultation juridique n'échappe à la règle, pas même en matière fiscale (Cass. crim., 21 octobre 1998, n° 97-85.668 N° Lexbase : A2949CYU ; CA Paris, 25ème ch., sect. B, 28 février 2003, n° 2001/20263 N° Lexbase : A5063A7N), même si est régulière une convention entre l'Etat et une association nationale ayant pour objet la défense des droits des étrangers, pour permettre l'exercice effectif de leurs droits par les étrangers maintenus dans un centre de rétention administrative (CE 4° et 6° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 247939 N° Lexbase : A2833C9S) ou si l'audit et l'optimisation de la gestion locative, impliquant la vérification de l'application des clauses et conditions des baux pour le compte des locataires, ne relèvent pas du champ d'application du périmètre du droit réglementé (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 14 octobre 2011, n° 10/23876 N° Lexbase : A6635H7U).

B - Alors, bien entendu, les avocats inscrits à un barreau français et les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation disposent, dans le cadre des activités définies par leur statut, du droit de donner des consultations juridiques et de rédiger des actes sous seing privé pour autrui (loi n° 71-1130, art. 56) ; les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs judiciaires, les administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs, aussi. Les enseignants des disciplines juridiques des établissements privés d'enseignement supérieur reconnus par l'Etat délivrant des diplômes visés par le ministre de l'Enseignement supérieur, peuvent donner des consultations juridiques (loi du 1971, art. 57). Et, les juristes d'entreprise exerçant leurs fonctions en exécution d'un contrat de travail au sein d'une entreprise ou d'un groupe d'entreprises peuvent donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé (loi n° 71-1130, art. 58). N'en jetez plus, la coupe est pleine...

Et, pourtant, l'article 59 de la loi précitée permet, plus généralement, les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée, dans les limites autorisées par la réglementation qui leur est applicable, à donner des consultations juridiques relevant de leur activité principale. Ces personnes peuvent, ainsi, rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire direct de la prestation fournie. Ainsi, les experts-comptables ont la faculté de rédiger des actes sous seing privé, sans pouvoir en faire l'objet principal de leur activité, lorsque ces actes constituent l'accessoire direct de leurs missions ou des travaux comptables (Cass. civ. 1, 1 mars 2005, n ° 02-11.743, F-P+B N° Lexbase : A0942DHD ; Cass. crim., 11 avril 2002, n° 00-86.519, FS-P+F N° Lexbase : A5618AYQ ; CA Chambéry, 1ère ch., 3 avril 2000, n° 1997/01439 N° Lexbase : A7700DNI).

La décision rapportée cite, enfin, l'article 60 de cette même loi au terme duquel les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d'une qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de cette activité. C'est évidemment le cas dans lequel pouvait se glisser l'entreprise mise en cause, si au moins elle avait requis et obtenu un agrément en ce sens. C'est que la combinaison de leur expérience professionnelle et d'une formation en droit doit être de nature à donner à ces personnes une qualification suffisante pour pratiquer le droit à titre accessoire, avait pu conclure le Conseil d'Etat (CE 1° et 6° s-s-r., 21 mai 2008, n° 298623 N° Lexbase : A7219D8U ; CE Contentieux, 3 juin 2002, n° 230824 N° Lexbase : A8696AYQ, n° 232531 N° Lexbase : A8699AYT, n° 232532 N° Lexbase : A8700AYU).

Le jugement cite encore une réponse ministérielle du 7 septembre 2006 (QE n° 24085 de M. Alain Fouché, JO Sénat 27 juillet 2006, p. 1991, réponse publ. 7 septembre 2006, p. 2356, 12ème législature N° Lexbase : L9980IPC), selon laquelle "les personnes exerçant des activités professionnelles réglementées autres que judiciaires ou juridiques, les personnes exerçant une profession non réglementée ainsi que certains organismes peuvent toutefois être autorisés à donner des consultations en matière juridiques et rédiger des actes sous seing privé, dans des conditions très précises définies dans l'intérêt même des usagers du droit. Par conséquent, le titulaire d'un doctorat en droit, ne peut pas, en se prévalant de celte seule qualité, délivrer des consultations juridiques à titre onéreux".

C - Aussi, est puni d'une amende de 4 500 euros et d'un emprisonnement de 6 mois ou de l'une de ces deux peines seulement quiconque aura donné des consultations ou rédigé pour autrui des actes sous seing privé en matière juridique (loi n° 71-1130, art. 66-2 et 72). En cas de récidive, l'amende est portée à 9 000 euros. Et, les mêmes peines sont applicables en cas de démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique (loi n° 71-1130, art. 66-4).

Une fois le cadre législatif posé, il faut reconnaître que le débat ne se situe pas tant sur la qualité des personnes habilitées à délivrer des consultations ou à rédiger des actes juridiques, que sur la détermination de ce que constitue, à vrai dire, une consultation juridique.

II - Les agences de legal planner ne sont pas habilitées à délivrer des consultations ou à rédiger des actes juridiques en dehors du cadre réglementaire

A - On sait clairement qu'une société ne peut pas mettre à la disposition des personnels utilisateurs de titres restaurants, un service d'assistance téléphonique qui peut les renseigner à propos de la plupart des difficultés fiscales, juridiques, administratives de la vie courante (TGI Auxerre, 3 janvier 1995 N° Lexbase : A4682ATL). Et, une société dont l'objet social est l'optimisation des dépenses des entreprises ne peut donner, à titre habituel et rémunéré, des consultations juridiques dès lors qu'elle ne remplit pas les conditions fixées aux articles 54 et 60 de la loi de 1971 (CA Pau, 23 novembre 2011, n° 10/01798 N° Lexbase : A6559H4P). Enfin, si les activités liées à un audit ne constituent pas des prestations d'assistance et de représentation au sens de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 (CA Versailles, 1ère ch., 5 mars 2009, n° 07/08632 N° Lexbase : A5627EDR), et si cette mission nécessite une connaissance juridique approfondie des règles relatives à l'application de ces taxes, elle ne se limite pas uniquement à cet aspect (T. com. Versailles, 19 octobre 2007, aff. n° 2004F05606 N° Lexbase : A9999D44 ; T. com. Bobigny, 20 octobre 2006, aff. n° 2005F00595 N° Lexbase : A8799HDA), en amont des conseils donnés en phase contentieuse, la vérification, au regard de la réglementation, du bien-fondé des cotisations réclamées par les organismes sociaux au titre des accidents du travail constitue une prestation à caractère juridique (Cass. civ. 1, 15 novembre 2010, n° 09-66.319 N° Lexbase : A0232GH3). Et, la mission d'examiner et d'analyser l'ensemble des coûts sociaux des entreprises et de proposer des recommandations permettant de réaliser des économies implique la nécessité de rechercher les dispositions légales et réglementaires applicables ; l'accomplissement de cette mission ne se limite donc pas à la diffusion de renseignements et d'informations juridiques à caractère documentaire, mais comporte une étude de l'application des règles à chaque cas particulier (CA Versailles, 12ème ch., 11 septembre 2008, n° 07/03343 N° Lexbase : A3996ERG).

B - Mais, l'article 66-1 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que la diffusion en matière juridique de renseignements et d'informations à caractère documentaire échappe aux règles du périmètre du droit. C'est tout naturellement dans cette brèche que nombre de sociétés s'engouffrent pour échapper à la réglementation ci-dessus exposée. Dans un arrêt rendu le 15 juin 1999, la Cour de cassation avait pu reconnaître que le fait de transmettre à des clients qui en font la demande des modèles types de lettres de licenciement ou de contrat de travail sans les individualiser, ni les adapter à la situation spécifique de chacun ne constitue pas une rédaction d'acte réglementé (Cass. civ. 1, 15 juin 1999, n° 96-21.415 N° Lexbase : A5835CHL).

En l'espèce, sur constat d'huissier, la société mise en cause, dans le jugement du 5 juillet 2012, propose tant aux particuliers qu'aux entreprises des consultations juridiques personnalisées qui se distinguent de la simple information à caractère documentaire, ou de la prise en charge administrative. Elle propose, par ailleurs, une activité de rédaction d'actes sous seing privé notamment en droit des sociétés (formalités de création, statuts, contrats commerciaux, secrétariat juridique, procédure de liquidation ou de redressement judiciaire...), alors que sa présidente ne dispose d'aucun titre, ni d'aucune compétence juridique, qui l'y autorise.

De fait, la société est écrite dans l'extrait K Bis comme une société d'"information et accompagnement administratifs et juridiques". En outre, son objet social est, notamment, "l'information, l'accompagnement juridique et administratif et la médiation ; la création, l'acquisition, la location, la prise en location-gérance de tous fonds de commerce, la prise à bail, l'installation, l'exploitation de tous établissements, fonds de commerce, usines, ateliers, se rapportant à l'une ou l'autre des activités spécifiées ; la prise, l'acquisition, l'exploitation ou la cession de tous procédés et brevets concernant ces activités".

Aussi, selon le tribunal de grande instance, le service offert par la société ne se borne pas à la diffusion d'une simple information de type documentaire. Elle propose en fait à ses clients une palette de services juridiques personnalisés : bien qu'annoncée comme intervenant "en amont" du service d'un avocat, la prestation offerte ne tend pas moins à résoudre des difficultés juridiques et à concourir à la prise de décision du bénéficiaire, constituant en pratique une consultation juridique, proposées tant aux particuliers qu'aux entreprises. Ceux-ci sont en effet "accompagnés" dans leurs problèmes lesquels seront éventuellement "solutionnés", que ce soit en droit immobilier, en droit du travail, en droit des obligations, en droit des contrats et de la consommation, en droit des sociétés et en droit de la famille, peu important, pour la caractérisation de la nature de la prestation, leur niveau de complexité.

La consultation juridique, dont la délivrance est ainsi réservée aux différentes professions juridiques et judiciaires (notamment avocats, avoués, avocats au conseil, huissiers et notaires) et à d'autres professions réglementées dans le cadre des activités définies par leur statut respectif, ou, s'agissant des activités professionnelles non réglementées, limité dans son objet, est définie, dans la réponse ministérielle du 7 septembre 2006, précitée, comme "toute prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis sur une situation soulevant des difficultés juridiques ainsi que sur !a(ou les) voie(s) possible(s) pour les résoudre, concourant, par les éléments qu'il apporte, à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation ; elle doit être distinguée de l'information à caractère documentaire qui consiste seulement à renseigner un interlocuteur sur l'état du droit et de la jurisprudence relativement à un problème donné".

Aussi, faisant application d'une jurisprudence constante, aux termes de laquelle la constitution de dossiers et les conseils donnés aux clients en vue d'effectuer des démarches administratives constituent la délivrance de consultations juridiques relevant du monopole de l'avocat (Cass. crim., 11 janvier 2001, n° 00-80.830 N° Lexbase : A2550CRU), le juge de Nanterre ne pouvait que condamner la société en cause à cesser ses activités. En outre, les différents extraits du site internet de la société suffisent à constater qu'elle procède par le biais de ce site à un démarchage du public en vantant l'intérêt et la qualité de ses prestations. Les interviews, auxquelles le jugement fait référence, pratiquées à la télévision ou à la radio, alimentent encore le démarchage fautif, justifiant l'injonction requise par le CNB.

C - Reste que les velléités de la fondatrice de la société mise en cause d'introduire en France le concept anglo-saxon de legal planner sont réduites à néant. La présidente se présente ainsi comme un "organisateur juridique, une idée proche des organisateurs de mariage" -où comparaison n'est pas raison-. Elle précise, sur le site internet de la société, que, bien sûr, en cas de litige important elle oriente ses clients vers des avocats, car eux seuls ont le droit de faire du conseil juridique -maigre précaution-.

Ainsi, aider ses clients à "gérer leurs tracas administratifs, juridiques, afin d'éviter justement que cela ne s'envenime, ne s'aggrave", s'apparente à une consultation juridique réglementée. Et, si "l'idée c'est de trouver des pistes pour des règlements amiables", les avocats sont les professionnels habilités pour se faire, au vu des dernières réformes en matière de règlement alternatif des litiges.

Et, si face à des problématiques posées, les juristes de sa société apportent information, assistance et accompagnement juridique, au regard de l'état du droit et de la jurisprudence et que cette dernière n'intervient nullement dans la prise de décision en donnant un avis ou dans le déroulement de la procédure, les juges de Nanterre n'ont pas été dupes et ont considéré que cet "accompagnement juridique" était illégal.

Enfin, toute aussi intéressante que la solution apportée par ce jugement du 5 juillet 2012, l'administration de la preuve apportée par le CNB mérite attention.

III - L'administration de la preuve de la violation du périmètre du droit : le constat d'huissier à l'honneur

A - Dans cet affaire, c'est le constat d'huissier qui aura permis au CNB d'étayer ses prétentions et de caractériser au plus juste la nature des prestations proposées par la société défenderesse.

D'abord, un constat d'huissier sur internet, accompagné d'un extrait K Bis de la société, aura permis au juge d'apprécier la teneur de "l'assistance administrative et juridique" fournie par la société mise en cause (voir supra). Et, la société aura beau faire valoir que sa présidente est titulaire d'un DESS en droit des affaires et est diplômée d'HEC ; que son objet social, tel qu'il résulte des statuts est clair ; et qu'elle se borne à effectuer de l'information juridique et de l'accompagnement juridique et administratif et n'intervient nullement dans la prise de décision en donnant un avis, ou dans le déroulement de la procédure, réorientant seulement, le cas échéant, le requérant vers les partenaires professionnels du droit pour un avis éclairé ou une solution idoine ; les juges du fond apprécient souverainement la nature des prestations fournies et concluent naturellement à la délivrance de consultations juridiques réglementées.

B - Par ailleurs, la retranscription d'une émission de télévision dans laquelle la présidente fondatrice de la société avait tenu certains propos fut également déterminante. Assénant sans ambages que son site "permet en fait d'avoir un accompagnement juridique" et qu'il "étudie[le] problème, qu'il soit administratif ou juridique [pour] trouver les bonnes solutions, en [...] informant, en [...] faisant rencontrer les bons prestataires", la preuve de la délivrance d'une consultation juridique était apportée ; d'autant que l'interviewée précisait, à cette occasion, que "la différence avec un avocat ou avec d'autres sites juridiques, c'est qu'on n'est pas seulement un site, on est aussi des personnes physiques qui nous déplaçons chez nos clients. Donc on va regarder réellement leurs dossiers" : les éléments constitutifs d'une prestation personnalisée y était ainsi contenus.

C - Pour finir, l'huissier s'est encore connecté au site d'une radio pour retranscrire une chronique dont il ressort que, depuis 2009, la présidente fondatrice avait créé un service de "conseils juridiques sur internet" (dixit !). La cause était dès lors entendue.

Ainsi, par cette décision du 5 juillet 2012, le juge freine net le développement des "agences d'accompagnement administratif et juridique" dont l'activité relève de la consultation juridique réglementée -pour autant qu'elles ne disposent pas de l'agrément discrétionnaire de l'article 60 de la loi de 1971-. Le cas des entités fournissant de l'information et de la documentation juridique semble donc bien borné. Pourtant, foisonnent, ici ou là, des propositions de services "experts", ces sociétés délivrant des réponses à toutes problématiques juridiques. Il s'agit, le plus souvent, d'un service de renseignement juridique par téléphone, dans les différents domaines du droit. Et, leurs experts, juristes de formation, délivrent la réponse juridique aux questions qui leurs sont posées, "dans un délai maximum de 48 heures ouvrées". Le service a pour objectif d'aider quotidiennement ses clients dans ses missions. Il permet de sécuriser les prises de décisions et de gagner un temps précieux, confirmant aux clients les sources documentaires indispensables pour appuyer leur raisonnement et étayer leurs décisions. Là encore la frontière est ténue entre information, documentation et consultation juridique ; d'autant que les entités en cause sont des professionnels des deux premières solutions et collaborent régulièrement avec des personnes habilitées à délivrer des consultations... Encore, pourraient-elles se réfugier derrière le fait que les organes de presse ou de communication au public par voie électronique peuvent offrir aux lecteurs ou auditeurs des consultations juridiques. En effet, l'article 66 de la loi précitée les autorisent à pareille activité pour autant que les consultations en cause aient pour auteur un membre d'une profession juridique réglementée. Le contentieux en la matière est donc loin d'être tari.

newsid:432994

Conflit collectif

[Jurisprudence] La Cour de cassation et la grève dans les services publics

Réf. : Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-18.404, FS-P+B (N° Lexbase : A4812IQB)

Lecture: 7 min

N3008BTL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6555061-edition-n-494-du-19072012#article-433008
Copier

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 24 Octobre 2014

Le droit de grève figure incontestablement parmi les droits fondamentaux des salariés les mieux protégés, même lorsque son exercice dans les entreprises gérant un service public est en cause. C'est de nouveau ce que rappelle la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 4 juillet 2012. Non seulement le juge tient bon sur la qualification même des mouvements (I), mais encore il permet aux syndicats de jouer avec le cadre, il est vrai peu contraignant, de la grève dans les services publics (II).
Résumé

Ni la durée du mouvement de grève, ni l'existence d'une pluralité de motifs ne peuvent suffire à caractériser en elles-mêmes une fraude et le caractère illicite du mouvement.

L'employeur ne peut, dans la période définie par un préavis de grève, déduire de la constatation de l'absence de salariés grévistes que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève.

I - La qualification de la grève

Critères. A défaut de définition légale de la grève, c'est à la jurisprudence qu'est revenue cette lourde tâche et de fixer les limites entre une "véritable" grève (c'est-à-dire une grève au sens juridique du terme) et un "mouvement illicite", pour reprendre la dichotomie en vigueur depuis 1993 (1).

L'enjeu de cette qualification préalable est majeur : si le mouvement est qualifié de grève, alors les participants ne pourront être licenciés et plus généralement sanctionnés s'ils n'ont pas commis de faute lourde, c'est-à-dire intentionnelle (2) ; dans le cas contraire, ils ne bénéficient pas de l'immunité que leur confère cette qualification et s'exposeront de manière quasi systématique à un licenciement pour faute grave, puisque leur "mouvement" constituera un acte d'insubordination.

Reste à déterminer, sur la base des différents éléments constitutifs de la grève, où se situe la frontière.

Comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation depuis plus d'un demi-siècle, la grève est un "arrêt collectif et concerté du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles" (3).

Pour qu'il y ait grève, un "arrêt" de travail est donc nécessaire, ce qui renvoie dans l'illégalité toutes les formes de mouvements qui se traduisent par un simple ralentissement de l'activité (grèves perlées, grèves du zèle, délestages (4)) ou par une cessation "sélective" des tâches incombant aux salariés (grève des astreintes (5), grèves de certaines heures, etc.).

Le critère de la cessation du travail est également suffisant ; la jurisprudence ne pose aucune condition de durée et accepte de qualifier de "grève" de très brefs arrêts de travail (6). Les grévistes devront toutefois se méfier car cette pratique est susceptible de dégénérer en abus, et donc de caractériser une faute lourde, s'ils multiplient les arrêts de courte durée et ce afin de désorganiser l'ensemble de l'entreprise, au-delà du secteur d'activité dans lequel ils oeuvrent habituellement (7), même si les condamnations sont rares.

C'est bien cette tendance très protectrice de l'exercice du droit de grève que confirme cette nouvelle décision.

L'affaire. Le syndicat CGT Transports K. avait déposé un préavis pour une grève devant débuter le 6 novembre 2010 et s'achever le 31 décembre 2010 au sein de la société K. qui gère le réseau des transports publics de la communauté urbaine de Bordeaux. La société K. avait tenté de faire disqualifier ce mouvement en faisant observer que les syndicats avaient déposé "un préavis couvrant une très longue période et mentionnant des motifs très généraux", et ce afin de ménager l'effet de surprise sur les intentions réelles des grévistes et empêcher ainsi toute prévisibilité réelle pour l'exploitant.

L'argument n'avait pas convaincu la cour d'appel de Bordeaux, pas plus que la Haute juridiction, pour qui "ni la durée du mouvement de grève, ni l'existence d'une pluralité de motifs ne pouvant suffire à caractériser en elles-mêmes une fraude" et qui relève que "la cour d'appel qui a constaté que l'employeur n'apportait aucun élément pour démontrer que l'exercice du droit de grève aurait eu un caractère abusif, en a exactement déduit que le caractère illicite du mouvement n'était pas établi".

Une solution justifiée. Cette solution mérite d'être approuvée sur un plan strictement juridique, même si on comprend aisément l'agacement de la société K. en butte aux tactiques syndicales d'évitement.

Juridiquement, on sait que seul le législateur peut réglementer l'exercice du droit de grève, compte tenu des termes mêmes du Préambule de la Constitution de 1946 (8). Or, l'article L. 2512-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0240H9R), qui organise la procédure du préavis syndical de grève dans les services publics, se contente d'exiger, sans plus de précisions, un ou des "motif(s)", et autorise le dépôt de préavis pour une durée indéterminée. Dans ces conditions, il n'appartient pas au juge d'aller au-delà des prévisions du législateur en s'arrogeant un droit de contrôle sur les motifs, sous couvert par exemple de leur caractère raisonnable ou réaliste (9), dès lors qu'ils sont professionnels, en imposant un préavis unique intersyndical (10) ou en interdisant les préavis successifs portant sur les mêmes motifs (11), ou comme ici pour une longue durée (près de huit semaines).

Une situation critique pour l'exploitant. Sur un plan pratique, la situation de l'exploitant est toutefois extrêmement difficile, même si elle s'est améliorée depuis la loi du 21 août 2007 puisque les salariés sont désormais tenus de respecter leurs obligations individuelles d'information dès lors qu'ils sont compris dans le périmètre d'un accord de service garanti (12). Mais dans cette affaire l'application de ce dispositif n'était pas en cause et les salariés pouvaient, dans le cadre temporel défini par le ou les préavis, cesser et reprendre le travail quand ils le souhaitent (cf. infra). Certes, la Cour de cassation ne refuse pas, au moins sur le principe, d'envisager l'hypothèse d'une fraude ou d'un abus, mais le curseur semble placé tellement haut qu'on ne voit pas comment concrètement pareil abus pourrait être caractérisé. L'employeur n'a donc pas grand-chose à attendre du droit et devra donc compter sur le dialogue avec les syndicats pour résoudre les difficultés rencontrées dans son entreprise ...

II - La cessation de la grève

Cadre applicable. Si, dans le secteur privé, le déclenchement de la grève n'est soumis à aucune condition procédurale, il en va différemment dans les services publics, compte tenu des exigences liées au principe de continuité qui pèse sur les exploitants. Indépendamment des régimes spéciaux qui ont été adoptés ces dernières années, le Code du travail prévoit l'encadrement syndical de la grève au travers de l'exigence d'un préavis déposé par un syndicat représentatif au moins cinq jours franc avant la date fixée pour le déclenchement et précisant "le champ géographique et l'heure du début ainsi que la durée limitée ou non, de la grève envisagée" (13).

Sur le plan individuel, et sans évoquer les régimes propres aux entreprises gérant un service public de transport (14), les salariés sont contraints par l'article L. 2512-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0241H9S) à cesser le travail, et à le reprendre collectivement ; le texte indique, en effet, que "l'heure de cessation et celle de reprise du travail ne peuvent être différentes pour les diverses catégories ou pour les divers membres du personnel intéressé" et précise que "sont interdits les arrêts de travail affectant par échelonnement successif ou par roulement concerté les divers secteurs ou catégories professionnelles d'un même établissement ou service ou les différents établissements ou services d'une même entreprise ou d'un même organisme". La Cour de cassation a précisé que le fait pour les salariés de prendre leur service par roulement ne les exonérait pas de cette obligation (15).

Reste à déterminer ce que devient un préavis de grève lorsque plus aucun salarié ne cesse le travail, et c'est tout l'intérêt de cette décision.

L'affaire. Le préavis déposé "couvrait" ici la période comprise entre le 6 novembre 2010 et le 31 décembre 2010. La grève avait commencé le 6 novembre 2010, mais le 15 il n'y avait plus qu'un seul salarié gréviste et aucun gréviste pour les journées des 16, 17 et 18. La société K., par acte d'huissier en date du 25 novembre 2010, avait alors fait assigner le syndicat aux fins de faire juger que le mouvement de grève avait pris fin le 14 novembre 2010, un seul salarié étant déclaré gréviste le 15 novembre 2010, ce qui ne permet pas de caractériser le caractère collective de l'exercice du droit de grève, et aucun par la suite, ce qui marquait la fin anticipée de la grève.

La cour d'appel de Bordeaux ayant rejeté cette requête, la société K. tentait d'obtenir la cassation de cette décision, mais en vain puisque le pourvoi est ici rejeté.

La solution. Pour la Haute juridiction, en effet, "si, dans les services publics, la grève doit être précédée d'un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier, doit mentionner l'heure du début et de la fin de l'arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis", ce qui induit nécessairement que "l'employeur ne peut, dans la période ainsi définie, déduire de la constatation de l'absence de salariés grévistes que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève".

Cette solution doit être approuvée.

L'article L. 2512-2 du Code du travail prévoit, en effet, que le droit de grève dans les services publics s'exerce dans un cadre syndical défini de manière minimum par référence aux mentions qui doivent figurer sur le préavis ("motifs du recours à la grève", "heure du début", fin de la grève, s'il y lieu). Pour reprendre l'expression syndicale qui prévaut, les salariés doivent donc être " couverts " par un préavis syndical à la fois sur le plan géographique (16), professionnel (17) et temporel. Mais, faut-il le rappeler, ce ne sont pas les syndicats qui sont titulaires de l'exercice du droit de grève, mais bien les salariés qui décident librement, dans le cadre fixé par le ou les syndicats, d'exercice leur droit constitutionnellement reconnu, dans les limites fixées par la loi, ce qui implique la liberté de se mettre en grève (18) et de cesser l'exercice de la grève, à tout moment, pour autant que ce soit de manière collective et concertée et conformément aux exigences de l'article L. 2512-3, alinéa 1er. Dans ces conditions, il convient de dissocier dans la grève l'aspect collectif de l'aspect individuel, et il est tout à fait exact d'affirmer, avec la cour d'appel de Bordeaux, que la grève subsiste sur le plan collectif tant qu'un préavis syndical court, et ce même si aucun salarié n'a cessé le travail.


(1) Cass. soc., 16 novembre 1993, n° 91-41.024, publié (N° Lexbase : A6673ABR), Dr. soc., 1994, pp. 35-39, rapp. P. Waquet, note J.-E. Ray ; Cass. soc.,11 janvier 2006, n° 04-16.114, FS-P (N° Lexbase : A3427DMU), Dr. soc., 2006, p. 470, obs. P.-Y. Verkindt.
(2) Cass. soc., 26 septembre 1990, n° 88-43.908, inédit (N° Lexbase : A1562AA4) ; Dr. soc., 1991, p. 60, rapport P. Waquet, note J.-E. Ray.
(3) Cass. soc., 28 juin 1951, n° 51-01.661, publié (N° Lexbase : A7808BQA), Dr. soc., 1951, p. 523, note P. Durand.
(4) Cass. soc., 26 janvier 2000, n° 97-15.291, publié (N° Lexbase : A4723AGZ).
(5) Cass. soc., 2 février 2006, n° 04-12.336, FS-P+B (N° Lexbase : A6521DMH), v. nos obs., Les salariés ne peuvent pas faire la grève des astreintes, Lexbase Hebdo n° 201 du 9 février 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4157AK8).
(6) Dernièrement Cass. soc., 25 janvier 2011, n° 09-69.030, FS-P+B (N° Lexbase : A8531GQZ), v. nos osb., De la licéité des arrêts de travail courts et répétés des grévistes, Lexbase Hebdo n° 427 du 10 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3497BRX).
(7) Par exemple Cass. soc., 7 janvier 1988, n° 84-42.448, publié (N° Lexbase : A6251AAR), Bull. civ. V, n° 10.
(8) Sur l'exclusion de toute référence au règlement intérieur pour justifier la réquisition des grévistes : Cass. soc., 15 décembre 2009, n° 08-43.603, FS-P+B (N° Lexbase : A7199EPC), v. nos osb., Le règlement intérieur ne peut justifier la réquisition de grévistes, Lexbase Hebdo n° 378 du 14 janvier 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N9533BMZ).
(9) Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-17.802, FS-P+B (N° Lexbase : A8504DYM), v. nos obs., Epilogue de l'affaire STM : la Cour de cassation rappelle à l'ordre le juge des référés, Lexbase Hebdo n° 279 du 31 octobre 2007 - édition sociale ([LXB=N9588BC]).
(10) Cass. soc., 4 février 2004, n° 01-15.709, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1308DB3), lire nos obs., Grève et services publics : ne confondez pas grèves tournantes et préavis tournants !, Lexbase Hebdo n° 107 du 12 février 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0498AB3).
(11) Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-26.237, FS-P+B (N° Lexbase : A4357IBY),v. nos obs., Grève dans les services publics : le dépôt de plusieurs préavis successifs portant sur les mêmes revendications est licite, Lexbase Hebdo n° 472 du 9 février 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N0076BTY).
(12) Loi n° 2007-1224 du 21 août 2007, sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (N° Lexbase : L2418HY9).
(13) C. trav., art. L. 2512-2 (N° Lexbase : L0240H9R).
(14) Loi n° 2007-1224 du 21 août 2007, sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs ; loi n° 2012-375 du 19 mars 2012, relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports (N° Lexbase : L4842IS7).
(15) Cass. soc., 3 février 1998, n° 95-21.735, publié (N° Lexbase : A2483ACX), Dr. soc., 1998, p. 294, obs. J.-E. Ray ; JCP éd. G, 1998, II, 10 030, rapp. P. Waquet ; D., 1998, p. 169, note Y. Saint-Jours.
(16) L'alinéa 2 de l'article L. 2512-2 dispose, en effet, que "le préavis émane d'une organisation syndicale représentative au niveau national, dans la catégorie professionnelle ou dans l'entreprise, l'organisme ou le service intéressé".
(17) Les "motifs du recours à la grève" de l'alinéa 3.
(18) Même deux jours après le commencement de la période couverte par le préavis : Cass. soc., 8 décembre 2005, n° 03-43.934, FP-P+B (N° Lexbase : A9156DLP), v. les obs. de G. Auzero, Précisions quant aux modalités d'exercice du droit de grève dans le secteur public, Lexbase Hebdo n°196 du 5 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2740AKP).

Décision

Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-18.404, FS-P+B (N° Lexbase : A4812IQB)

Rejet, CA Bordeaux, 4ème ch. civ., sect. A, 3 mai 2011

Textes concernés : C. trav., art. L. 2511-1 (N° Lexbase : L0237H9N) et L. 2512-2 (N° Lexbase : L0240H9R)

Mots-clés : grève, services publics, cessation, faute lourde

Liens base : (N° Lexbase : E2493ETI)

newsid:433008

Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Juillet 2012

Lecture: 16 min

N3013BTR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6555061-edition-n-494-du-19072012#article-433013
Copier

par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR des Universités

Le 19 Juillet 2012

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR des Universités, Membre du CERDP - Faculté de droit de Nice, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus le 3 juillet 2012 par la Cour de cassation tous deux promis aux honneurs d'une publication au Bulletin. Dans le premier arrêt, commenté par Emmanuelle Le Corre-Broly, la Chambre commerciale opère un revirement de jurisprudence en énonçant qu'il résulte des dispositions des articles L. 632-1, I, alinéa premier, et L. 632-3, alinéa 2, du Code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, que le paiement par chèque de banque intervenu depuis la date de cessation des paiements est soumis à l'action en rapport, dès lors que le débiteur a fourni la contrepartie à l'établissement de crédit émetteur du chèque. Enfin, dans le second arrêt, sur lequel revient le Professeur Le Corre, la même formation de la Haute juridiction statue sur la nature de la créance de cotisation due à la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) dans la procédure collective et retient que le fait générateur de cette dernière est l'existence de l'inscription de l'avocat à une date donnée, de sorte que, pour ceux d'entre eux qui étaient inscrits au 1er janvier, la créance naît à cette date pour l'année entière, sans avoir à distinguer entre les périodes antérieures et postérieures à l'ouverture de leur procédure collective.
  • La soumission du paiement par chèque de banque à l'action en rapport de l'article L. 632-3 du Code de commerce (Cass. com., 3 juillet 2012, n° 11-22.974, FS-P+B+I N° Lexbase : A4892IQA)

L'article L. 632-3, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L4036HB4) énonce que "les dispositions des articles L. 632-1 (N° Lexbase : L8851IN7) et L. 632-2 (N° Lexbase : L3422ICQ)", relatifs aux nullités de la période suspecte, "ne portent pas atteinte à la validité du paiement d'une lettre de change, d'un billet à ordre ou d'un chèque". Cette règle, déjà contenue dans les législations précédentes, est justifiée par des raisons de sécurité : il semblait nécessaire de soustraire ces titres aux nullités de la période suspecte afin de ménager la confiance des porteurs d'effets de commerce et ainsi faciliter leur circulation (1). Cependant, comme l'a relevé un auteur, "s'agissant du cas particulier du chèque, la généralisation des chèques pré-barrés et non endossables rend largement théorique la question de leur circulation" (2). Il semble donc aujourd'hui peu logique de soustraire le paiement par chèque à l'action en nullité de droit (C. com., art. L. 632-1, par exemple paiements de dettes non échues) ou en nullité facultative (C. com., art. L. 632-2, par exemple paiements de dettes échues en connaissance de l'état de cessation des paiements) de la période suspecte. Il semblerait opportun de modifier le texte sur ce point et ce d'autant que la question n'est pas anodine. En effet, l'action en rapport de l'article L. 632-3 n'est prévue qu'en cas de connaissance de l'état de cessation des paiements du débiteur par le bénéficiaire du chèque, ce qui, a contrario, interdit, en l'absence de connaissance de l'état de cessation de paiement, de remettre en cause un paiement effectué par chèque et, notamment, le paiement par ce moyen d'une dette non échue, alors même que le paiement d'une dette non échue par des moyens de paiement autres que ceux visés à l'article L. 632-3, alinéa 1er, tombent sous le coup des nullités de droit de la période suspecte (C. com., art. L. 632-1, I, 3°).

Quoi qu'il en soit, en droit positif, si le paiement par chèque ne peut pas être annulé sur le fondement des nullités de la période suspecte, il peut faire l'objet de l'action en rapport prévue à l'article L. 632-3, alinéa 2, qui dispose que l'administrateur ou le mandataire judiciaire (3) peut exercer une action en rapport contre le bénéficiaire d'un chèque s'il est établi qu'il avait connaissance de la cessation des paiements. L'action en rapport présente donc une étroite ressemblance avec l'action en nullité facultative d'un paiement de dette échue qui suppose, elle aussi, la connaissance par le créancier de l'état de cessation des paiements du débiteur (C. com., art. L. 632-2, al. 1er). Les effets de l'action en rapport et de celle en nullité sont, en outre, identiques (4) : si l'action est admise, la personne contre laquelle elle est dirigée devra restituer le paiement reçu, en l'occurrence, le montant du chèque. Pour être la cible de l'action en rapport, le chèque remis au bénéficiaire doit-il avoir nécessairement été tiré par le débiteur ultérieurement placé sous procédure collective ? En d'autres termes, est-il possible d'exercer une action en rapport contre le bénéficiaire d'un chèque de banque ? Dans un premier temps, la jurisprudence avait considéré que l'action en rapport ne pouvait pas être exercée contre le bénéficiaire d'un chèque de banque, mettant ainsi la validité du paiement à l'abri (5). Par un arrêt du 3 juillet 2012, appelé à une large diffusion (B+I), un revirement de jurisprudence est opéré sur ce point.

En l'espèce, une URSSAF avait reçu en paiement d'un arriéré de cotisations un chèque de banque émis par l'établissement de crédit du cotisant. Quelques jours après l'encaissement du chèque, ce dernier avait fait l'objet, sur assignation de l'URSSAF, d'une procédure de redressement, rapidement convertie en liquidation judiciaire. Le liquidateur avait alors demandé à l'URSSAF, par une action en rapport, le remboursement de la somme correspondant au montant du chèque. La cour d'appel de Toulouse (CA Toulouse, 14 juin 2011, 2ème ch., sect. 2) avait accueilli cette demande. Au soutien de son pourvoi formé contre l'arrêt d'appel, l'URSSAF soutenait que, en application de l'article L. 632-3 du Code de commerce, l'action en rapport supposait que le chèque ait été émis par le débiteur et qu'elle ne pouvait trouver application en matière de paiement par chèque de banque, lequel n'est pas émis par le débiteur.

Cette argumentation, pourtant dans la droite ligne de la jurisprudence d'alors, ne convainc pas les Hauts magistrats. Au contraire, la Chambre commerciale, dans l'arrêt rapporté du 3 juillet 2012, pose le principe selon lequel "il résulte des dispositions des articles L. 632-1, I, alinéa premier, et L. 632-3, alinéa 2, du Code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150GHT), que le paiement par chèque de banque intervenu depuis la date de cessation des paiements est soumis à l'action en rapport, dès lors que le débiteur a fourni la contrepartie à l'établissement de crédit émetteur du chèque".

La solution doit être totalement approuvée pour plusieurs raisons.

Elle doit l'être d'abord au regard de la rédaction des textes issue de la loi du 26 juillet 2005. Ce revirement de jurisprudence était en effet rendu inéluctable compte tenu de la modification de la lettre des textes applicables en la matière.

En effet, l'ancien article L. 621-107 du Code de commerce (N° Lexbase : L6959AIL), relatif aux nullités de la période suspecte, disposait que "sont nuls : lorsqu'ils auront été faits par le débiteur depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants [...]". Pour sa part, l'article L. 621-109 ancien (N° Lexbase : L6961AIN devenu l'article L. 632-3), prévoyait que les dispositions des articles L. 621-107 et L. 621-108 (N° Lexbase : L6960AIM devenus les articles L. 632-1 et L. 632-2) ne portaient pas atteinte à la validité du paiement d'un chèque. En conséquence, puisque les actes mentionnés à l'article L. 621-107 n'étaient susceptibles de nullité que s'ils avaient été faits par le débiteur et puisque l'article L. 621-109 faisait référence à l'article L. 621-107, l'action en rapport ne pouvait concerner qu'un paiement effectué par le débiteur lui-même et donc, en matière de paiement par chèque, un paiement effectué par un chèque tiré par le débiteur lui-même. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence applicable sous l'empire de la législation antérieure écartait l'action en rapport en matière de chèque de banque car le chèque n'était pas tiré par le débiteur, mais par son banquier.

La loi du 26 juillet 2005 a fait disparaître cette mention expresse relative aux actes faits par le débiteur lui-même. L'article L. 632-1 (anciennement C. com., art. L. 621-107), précise désormais que "sont nuls, lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants [...]". En conséquence, la condition d'acte "faits par le débiteur", qui existait dans la loi antérieure, n'est désormais plus exigée par le texte. En l'espèce, l'URSSAF soutenait que cette modification ne concernait que l'action en nullité et non l'action en rapport. Cependant cet argument ne convainc pas. En effet, d'une part, l'article L. 632-3, alinéa 1er, vise les articles L. 632-1 et L. 632-2 et se trouve ainsi intimement lié aux nullités de la période suspecte et constitue avec ceux-ci les articles du chapitre intitulé "de la nullité de certains actes". D'autre part et surtout, lorsqu'il permet le paiement d'une dette échue, l'action en rapport contre le bénéficiaire du chèque est étroitement apparentée à un cas de nullité facultative de la période suspecte car l'exercice de cette action contre le bénéficiaire du chèque est subordonné à l'établissement de la connaissance par le bénéficiaire du chèque de la cessation des paiements du débiteur. En l'espèce, cette connaissance ne faisait pas de doute puisque l'URSSAF, bénéficiaire du chèque reçu le 23 octobre 2007, était à l'origine de l'assignation en paiement ayant conduit au prononcé du redressement judiciaire quelques jours plus tard (le 5 novembre 2007). Le créancier bénéficiaire du paiement ne pouvait donc ignorer l'état de cessation des paiements de son débiteur dès lors qu'il assignait en redressement judiciaire (6).

La solution posée par la Chambre commerciale est non seulement fondée en droit mais s'avère, en outre, parfaitement opportune. La pratique a en effet vu se développer l'émission de chèques de banque au détriment des chèques certifiés (7) présentant une garantie moindre. En matière de chèque de banque, le tireur et le tiré sont des établissements différents (8) du même banquier. Par rapport au chèque certifié, le chèque de banque assure une garantie de paiement qui n'est pas limitée à huit jours puisqu'il peut être encaissé en toute sécurité pendant le délai d'un an, de sorte qu'il constitue une réserve de trésorerie qui doit être prise en compte en tant qu'actif disponible pour l'appréciation de l'état de cessation des paiements de son bénéficiaire (9). Alors que les chèques de banque étaient destinés à l'origine à permettre un transfert de fonds au profit du client entre deux établissements bancaires, il est aujourd'hui devenu un instrument de garantie de paiement pour celui qui en est le bénéficiaire. En pratique, la banque ne s'engage personnellement en tirant ce chèque sur elle-même que parce que, parallèlement, comme dans l'espèce rapportée, elle a débité le compte de son client du montant à payer afin d'en créditer ses propres comptes immédiatement. Cette apparence de paiement de la part du banquier ne doit pas occulter la réalité : c'est bien le client du banquier, en l'espèce le débiteur ayant ultérieurement fait l'objet de la procédure collective, qui a procédé au paiement de la créance -en l'occurrence, celle de l'URSSAF-. Il est donc parfaitement logique que, dès lors que ce paiement par chèque avait été effectué en connaissance par le créancier de l'état de cessation des paiements du débiteur, l'action en rapport soit déclarée recevable et conduise au remboursement par le créancier de la somme correspondant au montant du chèque.

Cette solution est heureuse en ce qu'elle permet en outre d'éviter, comme cela fut vraisemblablement le cas en l'espèce, que le créancier dont la connaissance de l'état de cessation des paiements du débiteur est évident, n'exige un paiement par chèque de banque afin de contourner la loi et ainsi échapper à l'action en rapport. Par ce revirement de jurisprudence est ainsi écarté le risque de " fraude imparable " pointé du doigt par la doctrine.

Désormais, dès lors que le chèque de banque n'est utilisé que comme garantie du paiement -c'est-à-dire lorsque le client du banquier a fourni la contrepartie du chèque à l'établissement de crédit émetteur du chèque-, le bénéficiaire du chèque devra avoir à l'esprit que la garantie procurée est toute relative s'il connaît l'état de cessation des paiements du débiteur de la créance dont le paiement est ainsi assuré. Le paiement effectué par le chèque de banque ne sera désormais plus à l'abri de l'action en rapport de l'article L. 632-3.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR des universités, Membre du CERDP - Faculté de droit de Nice

  • La nature de la créance de cotisation due à la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) dans la procédure collective (Cass. com., 3 juillet 2012, n° 11-22.922, F-P+B N° Lexbase : A4902IQM)

Au titre du régime obligatoire d'assurances vieillesse et invalidité-décès, les avocats contribuent à la Caisse nationale des barreaux français (ci-après dénommée CNBF), tant pour eux-mêmes que pour leurs salariés. La cotisation est annuelle est due, dès lors que l'intéressé est inscrit au 1er janvier de l'année au tableau de l'ordre. La cotisation est appelée annuellement au plus tard le 30 avril de chaque année.

Comment ce régime s'articule-t-il avec l'ouverture d'une procédure collective contre un avocat ? C'est à cette question que répond l'arrêt commenté.

En l'espèce, un avocat a été placé en redressement judiciaire le 1er mars 2007. La CNBF a déclaré sa créance de cotisations impayées pour les années 1999 à 2006. Elle n'a pas déclaré sa créance de cotisations au titre de l'année 2007 et a demandé que sa créance soit admise au bénéfice des dispositions de l'article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L3493ICD), c'est-à-dire du régime des créances postérieures méritantes.

Les juges du fond l'ont déboutée de cette demande. La Caisse s'est alors pourvue en cassation. Au soutien de son argumentation, elle a fait valoir que les cotisations sont arrêtées et sont payées au plus tard le 30 avril, sur la base d'une déclaration, concernant l'avant-dernière année civile. Ainsi, puisque le jugement d'ouverture est du mois de mars, la créance de l'année 2007 serait postérieure au jugement d'ouverture.

A titre subsidiaire, la Caisse a fait valoir qu'il y avait lieu d'opérer un prorata, au sein de la créance de cotisations, pour tenir compte du temps écoulé avant le jugement d'ouverture et celui écoulé après. En raisonnant sur l'année 2007, cela revenait à considérer que, pour la période comprise entre le 1er janvier et le 28 février 2007, la créance de cotisations était antérieure, soit 59/365ème et, pour la période comprise entre le 1er mars et le 31 décembre, postérieure, soit 306/365ème.

La Cour de cassation va rejeter le pourvoi en ces termes : "aux termes de l'article 34, alinéa premier, du statut de la CNBF, si les cotisations sont exigibles aux plus tard le 30 avril, elles sont dues pour l'année entière par tout avocat inscrit au 1er janvier, et de ceux de l'article R. 723-20 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4980IRU) que le calcul ou le remboursement au prorata ne sont prévus qu'en faveur des avocats inscrits au tableau ou ayant cessé de l'être en cours d'année ; il en résulte que le fait générateur de la créance des cotisations perçues par la CNBF est l'existence de l'inscription de l'avocat à une date donnée, de sorte que, pour ceux d'entre eux qui étaient inscrits au 1er janvier, la créance naît à cette date pour l'année entière, sans avoir à distinguer entre les périodes antérieures et postérieures à l'ouverture de leur procédure collective".

La position de la Cour de cassation ne peut qu'être approuvée, au regard de sa ligne jurisprudentielle antérieure sur la question. La CNBF a commis une confusion entre l'exigibilité de la créance et son fait générateur. Comme cela résulte d'une jurisprudence constante depuis l'arrêt ancien de la Cour de cassation de 1988, qui concernait le fait générateur des cotisations URSSAF, seul compte le fait générateur de la créance, peu importe sa date d'exigibilité. La Cour de cassation s'était, à l'époque, ainsi exprimée : "Mais attendu qu'après avoir retenu exactement que les dispositions relatives à l'exigibilité des cotisations ne pouvaient prévaloir sur celles de la loi du 25 janvier 1985 qui interdisent de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture du redressement judiciaire, le jugement constate que les cotisations réclamées se rapportaient à des salaires perçus pour une période de travail antérieure à l'ouverture de la procédure collective; qu'en l'état de ces énonciations, c'est à bon droit que le tribunal a décidé qu'une telle créance était née antérieurement au jugement d'ouverture et que, par suite, peu important l'époque à laquelle les salaires correspondants avaient été payés, l'acte tendant à obtenir paiement de cette créance devait être annulé" (11).

Or, comme cela ressort de l'article 34, alinéa 1er, des statuts de la CNBF, la cotisation est due pour l'année entière par tout avocat inscrit au barreau au 1er janvier de l'année de cotisation. Ainsi, en raisonnant sur l'effet de l'espèce, la cotisation due au titre de l'aide 2007 a pour fait générateur l'inscription au barreau au 1er janvier de l'année 2007. La créance est née à cette date.

Ensuite, l'article R. 723-20 du Code de la Sécurité sociale prévoit que le calcul ou le remboursement au prorata ne sont prévues qu'en faveur des avocats inscrits au tableau ou ayant cessé de l'être en cours d'année. Dans ces conditions, non seulement la créance de cotisation de l'année 2007 était née au 1er janvier, mais encore elle l'était pour la totalité, en une seule fois. Il n'était donc pas question d'opérer un prorata au sein de la cotisation.

La solution peut être comparée à celle existante en matière de taxe d'habitation. L'occupation de l'immeuble au 1er janvier de l'année en question constitue le fait générateur de la taxe. Elle est aux antipodes de la solution retenue pour l'impôt sur le revenu qui a pour fait générateur l'expiration de l'année de perception du revenu. Ainsi la créance d'impôt sur le revenu naît le 31 décembre de l'année au cours de laquelle le revenu a été perçu.

C'est donc une exacte application des règles relatives à la délimitation des créances antérieures à des créances postérieures, à laquelle a procédé ici la Cour de cassation, en se référant justement, non à l'exigibilité de la créance, mais à son fait générateur. Si le fait générateur est antérieur au jugement d'ouverture, la créance à la nature d'une créance antérieure, et cela pour la totalité.

La solution appliquée à la créance antérieure vaudra, de façon évidente, identiquement pour la créance postérieure. La symétrie est ici obligatoire, sauf à créer un système totalement bancal.

Mais attention, une fois cette question réglée, c'est-à-dire celle du fait générateur, une autre question, non posée ici à la Cour de cassation, se profile pour les créances postérieures. Seront-elles éligibles au traitement préférentiel pour la totalité, pour être nées en période d'observation d'une sauvegarde ou d'un redressement judiciaire, alors qu'ultérieurement une liquidation judiciaire serait prononcée ?

On n'oubliera pas ici de préciser, que le débiteur personne physique, en application de l'article L. 641-9, III du Code de commerce (N° Lexbase : L8860INH) ne peut plus, une fois la liquidation judiciaire prononcée, exercer au cours de la liquidation une activité indépendante. Dans ces conditions, les créances de cotisations sociales seront-elles nécessairement éligibles au traitement préférentiel lorsque le fait générateur sera postérieur au jugement d'ouverture ?

On sait que ces créances se rattachent à la poursuite d'activité. Ce sont, selon la Cour de cassation, des créances inhérentes à la poursuite d'activité (12). C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation leur avait fait bénéficier du traitement préférentiel réservé à certaines créances postérieures. Les articles L. 622-17 et L. 641-13 (N° Lexbase : L3405IC4) du Code de commerce ne connaissent pas, stricto sensu, les créances nées pour les besoins de l'activité. Ces articles ont établi trois critères téléologiques d'attribution du traitement préférentiel pour les créances postérieures : les besoins du déroulement de la procédure, la contrepartie d'une prestation pour le débiteur et les besoins de la période d'observation ou de la poursuite d'activité en liquidation judiciaire. Les créances qualifiées d'inhérentes à la poursuite d'activité par la Cour de cassation entrent dans le critère téléologique des besoins de la période d'observation ou de la poursuite d'activité en liquidation judiciaire. Dès lors que l'on raisonne sur un débiteur personne physique, on voit immédiatement qu'il ne peut y avoir de besoin inhérent à la poursuite d'activité autorisée en liquidation judiciaire, puisqu'un tel débiteur ne peut continuer son activité indépendante lorsqu'il est placé sous cette procédure collective. Ainsi, lorsque l'on raisonne sur un débiteur personne physique, comme c'est le cas en l'espèce de l'avocat, la créance postérieure éligible au traitement préférentiel inhérente à la poursuite d'activité ne peut concerner que les besoins de la période d'observation.

Raisonnons alors sur l'hypothèse suivante. L'avocat est placé en redressement judiciaire le 1er mars 2007 et, le 1er mars 2008, il y a conversion en liquidation judiciaire.

Faut-il décider que la créance de cotisations correspondant à l'année 2008 et intégralement éligible au traitement préférentiel, alors pourtant que l'activité, critère de rattachement aux créances postérieures éligibles au traitement préférentiel par la notion de besoins de la période d'observation, n'a été poursuivie que jusqu'au 1er mars 2008 ?

L'on peut comprendre l'interdiction d'établir un prorata au sein d'une cotisation pour savoir si la cotisation est antérieure ou postérieure au jugement d'ouverture, dès lors que la cotisation naît en une seule fois. Ce serait violer le principe lié la fixation de la date de naissance que de permettre un prorata entre une créance antérieure et une créance postérieure

Toute différente est ici la problématique de savoir si cette cotisation doit intégralement bénéficier du traitement préférentiel. Certes, cela revient à établir un prorata. En raisonnant sur le cas de l'avocat, cela ne revient pas, pour autant, à méconnaître la combinaison des articles 34, alinéa 1er, des statuts de la CNBF et R. 723-20 du Code de la Sécurité sociale, car il n'est pas ici question de modifier la date de naissance, c'est-à-dire le fait générateur de la créance. La créance est bien née en une seule fois. Si elle est née après le jugement d'ouverture, cette créance sera intégralement une créance postérieure. Ce n'est pas à dire, pour autant, que cette créance de cotisations doive bénéficier intégralement du régime des créances postérieures.

Il nous semble préférable, au regard du critère téléologique d'attribution du traitement préférentiel -en l'espèce la créance née pour les besoins de la période d'observation- de considérer que la cotisation due au titre de l'année 2008 est, pour la période comprise entre le 1er janvier 2008 et le 29 février 2008, éligible au traitement préférentiel puisqu'elle se rapporte à la période d'observation. En revanche, au titre de la période comprise entre le 1er mars et le 31 décembre 2008, il s'agit d'une créance postérieure non éligible au préférentiel, puisqu'elle se rapporte à une période au cours de laquelle l'activité n'a pu être poursuivie.

Cette vision des choses a déjà été exprimée à propos de certaines créances fiscales (13) et est partagée par d'autres (14).

Dès lors, on le voit, s'il n'est pas question de raisonner, pour savoir si une créance a la nature d'une créance antérieure ou d'une créance postérieure, autrement qu'en termes de fait générateur, et non en termes de date d'exigibilité, en revanche, il semble possible, pour la détermination de l'éligibilité au traitement préférentiel de certaines créances postérieures, de fractionner la créance née après le jugement d'ouverture en fonction de son rattachement ou non aux besoins de la période d'observation -ou de la poursuite d'activité autorisée en liquidation judiciaire pour les débiteurs personnes morales-, seule la fraction de la créance se rattachant strictement au critère téléologique d'attribution du traitement préférentiel méritant ledit traitement.

Mais cela est une autre question, qui, à n'en pas douter, sera prochainement soumise à la Cour de cassation.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) J. Argenson et G. Toujas, Règlement judiciaire, liquidation des biens et faillite, 4ème éd. Librairies techniques, 1973, n° 483 ; J.-P. Sortais, L'action en rapport de l'article L. 632-3 du Code de commerce et le chèque, Mélanges Tricot, Litec-Dalloz, 2011, p. 593 et s., sp. n° 7.
(2) J.-P. Sortais, préc., n° 8.
(3) Il est regrettable que cette action n'ait pas été expressément ouverte au commissaire à l'exécution du plan, alors que ce dernier peut expressément exercer l'action en nullité de la période suspecte (cf. C. com., art. L. 632-4 N° Lexbase : L3395ICQ). Il s'agit, à n'en pas douter, d'un oubli du législateur et la jurisprudence autorise le commissaire à l'exécution du plan à exercer l'action en rapport (Cass. com., 23 novembre 2004, n° 03-17.141, F-P+B N° Lexbase : A0396DEE, Bull. civ. IV, n° 200 ; D., 2004, AJ 3218, note A. Lienhard ; D., 2005, pan. 296, obs. P.-M. Le Corre ; du même auteur, Qualité du commissaire à l'exécution pour engager une action en rapport, Lexbase Hebdo n° 149 du 6 janvier 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N4133ABP).
(4) Sur la question v. not. J.-Cl com., Fasc 2505, Redressement et liquidations judiciaires - Nullité de droit - Régime des paiements, C. Saint-Alary-Houin, M.-H. Monsèrié-Bon, n° 48.
(5) Cass. com., 14 mars 2000, n° 97-15.136, publié (N° Lexbase : A8731AHT), Bull. civ. IV, n° 58 ; D., 2000, AJ 186, obs. A. Lienhard, Rev. proc. coll., 2002, p. 282, n° 12, obs. G. Blanc ; CA Douai, 2ème ch., 10 juin 1999, Act. proc. coll., 2000/18, n° 231.
(6) Dans des circonstances identiques, v. CA Paris, 3ème ch., sect. A, 13 septembre 1994, D., 1994, IR 237; Rev. proc. coll., 1995, 450, n° 10, obs. B. Lemistre ; CA Versailles, 6 mars 1997, JCP éd. E, 1997, pan. 435.
(7) Par lequel le tiré garantit l'existence de la provision, si elle existe, et s'oblige à la bloquer au profit du porteur pendant le délai de présentation de huit jours (C. mon. fin., art. L. 131-14 N° Lexbase : L9370HDE).
(8) En principe, même s'il a été admis que si la banque n'a qu'un seul établissement, elle pouvait tirer un chèque sur elle-même. V. sur la question R. Bonhomme, Instrument de crédit et de paiement, LGDJ, 9ème éd., n° 297, sp. note 27 p. 278.
(9) V. R. Bonhomme, préc., n° 297 in fine. Cass. com., 18 décembre 2007, n° 06-16.350, FS-P+B (N° Lexbase : A1191D3I) ; Défrénois 2008, 1232, note D. Gibirila ; JCP éd. E, 2008, 1358, note B. Grimonprez, nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté (2ème espèce), Lexbase Hebdo n° 290 du 31 janvier 2008 - édition privée (N° Lexbase : N8490BDS).
(10) F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, Instruments de crédit et de paiement, 8ème éd., JGDJ, 2009, n° 525.
(11) Cass. com., 8 novembre 1988, n° 87-11.158, publié (N° Lexbase : A3594ABQ), Bull. civ. IV, n° 296 ; D., 1989. 36, obs. H. Honorat ; JCP éd. E, 1989, II, 15648, obs. M. Cabrillac et M. Vivant ; Rev. proc. coll., 1989, 227, obs. B. Dureuil ; Rev. proc. coll., 1990, 235, obs. C. Saint-Alary-Houin ; RTDCom., 1989, 137, obs. A. Martin-Serf ; RJ com., 1989, 187, note Ch. Gallet.
(12) Ainsi, Cass. com., 15 juin 2011, n° 10-18.726, FS-P+B (N° Lexbase : A7345HT9), D., 2011, AJ, 1677, note A. Lienhard ; D., 2011, 2691, note Guillou ; Gaz. pal., 7 octobre 2011, n° 280, p. 23, note L.-C. Henry ; Act. proc. coll., 2011/14, comm.. 209, note M.-H. Monsérié-Bon ; JCP éd. E, 2011, chron. 1596, n° 12, obs. Ph. Pétel ; BJE novembre/décembre, 2011, comm. 143, p. 312, note S. Benilsi ; RTDCom., 2011, 640, n° 6, obs. A. Martin-Serf.
(13) Nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 6ème éd., 2012/2013, n° 453.22.
(14) B. Lagarde, Le Trésor public : un créancier comme les autres, Gaz. Pal., 9-10 septembre 2005, n° sp. p. 28 et s., sp. p. 32 ; F. Pérochon, Les créanciers postérieurs et la réforme du 26 juillet 2005, Gaz. proc. coll., 2005, n° sp. 7-8 septembre 2005, p. 57 et s., sp. p. 62, n° 34.

newsid:433013

Procédure pénale

[Evénement] L'avenir du Parquet français au regard des contraintes constitutionnelles et conventionnelles

Lecture: 20 min

N3026BTA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6555061-edition-n-494-du-19072012#article-433026
Copier

par Claire Leibovitch, SGR - Droit processuel

Le 01 Août 2012

Le statut du Parquet est un sujet complexe, qui a donné lieu à de nombreux débats et à une importante jurisprudence. Chacun sait que les décisions de la Cour de Strasbourg ne sont pas sans influence sur les évolutions législatives et jurisprudentielles internes. Aussi, en condamnant le manque d'indépendance du Parquet à l'égard du pouvoir exécutif, la Cour européenne des droits de l'Homme a déclenché un véritable "cataclysme" au sein de la communauté juridique. Polémiques, prises de positions en tout genre, il semble que les acteurs juridiques aient déjà leur avis sur la question.

Afin de clarifier et de mieux comprendre les enjeux d'une éventuelle évolution du statut du Parquet, le colloque organisé avec le Parquet général de la Cour de cassation, le 11 juin 2012, à la Cour de cassation, sur le statut constitutionnel du Parquet, a permis de faire un point sur la jurisprudentielle actuelle, et sur la pertinence d'une modification éventuelle du statut constitutionnel du Parquet.

Dans un premier temps, Ariana Macaya, ATER, Mathilde Heitzmann-Hieaux, doctorante contractuelle et Stella Thanou, doctorante de l'Ecole de droit de la Sorbonne - Université Paris 1, sont revenues sur l'évolution jurisprudentielle relative au statut du Parquet.

Puis, dans un second temps, une réflexion s'est organisée sur une éventuelle modification du statut et des fonctions du Parquet, sous la présidence de Bertrand Mathieu, Directeur du Centre de recherche en droit constitutionnel, et auquel ont participé Jean Barthélemy, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, Jacques Beaume, Président de la Conférence nationale des Procureurs généraux, Robert Gelli, Président de la Conférence nationale des Procureurs de la République, Marc Guillaume, Secrétaire général du Conseil constitutionnel, Christian Raysseguier, Premier avocat général à la Cour de cassation et membre du Conseil supérieur de la magistrature, Dominique Rousseau, Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne - Université Paris 1, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, et Daniel Soulez-Larivière, avocat, par intervention écrite.

Présentes à cette occasion, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de retrouver un compte-rendu de ce colloque.

1. Etat des lieux de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme sur le statut et la fonction du Parquet français

L'année 2010 a été marquée par la publication d'un arrêt majeur de la Cour européenne des droits de l'Homme, affirmant que la Parquet ne peut être considéré comme une autorité judiciaire, au sens de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4786AQC) (CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03, "Medvedyev c/ France" N° Lexbase : A2353EUP). Quelle a été l'influence de cette qualification sur la jurisprudence interne qui s'efforce, depuis plusieurs années, de définir les contours du statut et des fonctions de ce magistrat ? L'évolution de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg est, en effet, susceptible de remettre en cause le statut et les fonctions du Parquet français.

Au fil des années, le statut des autorités judiciaires a constitué l'une des préoccupations majeures de la Cour européenne des droits de l'Homme. Cette dernière a, dès 1982, mis l'accent sur la confiance indispensable que les tribunaux doivent inspirer au public. Plus récemment, elle a mis en exergue la règle d'intérêt général consistant à maintenir la confiance des citoyens, l'indépendance et la neutralité politique des autorités de poursuite.

Dans cet esprit, la Cour européenne des droits de l'Homme a ainsi remis en cause le statut et les fonctions exercées par les membres du Parquet, au regard, notamment, du respect des principes d'impartialité et d'indépendance.

Dans le cadre de cette jurisprudence, la principale référence normative est l'article 5 § 1 et 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, paragraphes qui, selon la jurisprudence conventionnelle, forment un tout. La notion d'autorité judiciaire compétente, qui figure à l'article 5 § 1 de la Convention, renvoie à la notion de juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires.

Cette notion est également étroitement liée à celle de tribunal impartial et indépendant prévue à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR).

La Cour européenne des droits de l'Homme prend donc progressivement en compte la théorie des apparences pour l'interprétation de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, théorie développée dans le cadre de l'article 6 dudit texte.

Il est ainsi possible de constater une certaine évolution jurisprudentielle de l'approche faite par la Cour européenne des droits de l'Homme dans la définition qu'elle confère à l'autorité judiciaire.

Cette notion est, tout d'abord, considérée comme autonome, ce qui signifie que la Cour européenne des droits de l'Homme n'est pas liée par les notions et définitions que les autorités nationales y attachent. Ensuite, la Cour européenne des droits de l'Homme a une approche des fonctions et du statut du Parquet évolutive, puisqu'elle passe d'un examen in concreto à un examen in abstracto. Elle n'examine plus, par exemple, si dans l'affaire qui lui est soumise, la réception d'instructions de l'exécutif met en danger l'indépendance du magistrat ; elle va davantage examiner son statut et son rôle, tels qu'ils se dégagent des textes.

La Cour européenne des droits de l'Homme concentre ainsi la critique sur le statut du Parquet français autour de deux axes : le manque d'indépendance fonctionnelle et organique.

C'est dans ce contexte qu'à partir de 2008, la Cour va définir le statut et les fonctions du Parquet français.

L'affaire "Medvedyev", portant sur la mise en détention des membres de l'équipage d'un navire intercepté en haute mer, va ainsi donner lieu à deux arrêts (CEDH, 10 juillet 2008, Req. 3394/03 N° Lexbase : A5462D98 et CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03, précité). Dans le cadre de son examen de l'article 5 § 3 de la Convention, elle déclare, dans sa décision du 10 juillet 2008, que le Procureur de la République n'est pas une autorité judiciaire, au sens que la Cour donne à cette notion. Il lui manque, en particulier, l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié.

L'arrêt de 2010 confirme cette approche, bien que la portée de la remise en cause soit moins directe. Ainsi, si la Cour européenne des droits de l'Homme affirme, de manière plus ou moins explicite, que le Parquet n'est pas une autorité judiciaire, au sens conventionnel, elle conclut, cependant, à l'absence de violation de l'article 5 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, en ce que le requérant a été conduit devant le juge de l'instruction dans un délai raisonnable, eu égard aux circonstances de l'espèce.

La décision du 23 novembre 2010 (CEDH, 23 novembre 2010, Req. 37104/06 N° Lexbase : A7244GKI) va permettre de clarifier la position de la Cour de Strasbourg. L'affaire portait sur le placement en garde à vue d'une personne qui alléguait une violation de l'article 5 § 3 de la Convention, en raison de sa détention durant cinq jours avant une présentation devant un juge, au sens conventionnel du terme. Cette fois-ci, la Cour européenne des droits de l'Homme a, de manière très détaillée, défini le statut constitutionnel du Parquet français, suivant une approche in abstracto. Elle s'intéresse alors aux dispositions pertinentes de la Constitution, du Code de procédure pénale, mais également de l'ordonnance relative au statut de la magistrature. Elle se focalise, en outre, sur certaines particularités du Parquet français, notamment, sur le lien hiérarchique existant entre le Parquet et le Garde des Sceaux, sur l'indivisibilité du ministère public, et sur les règles régissant les nominations des magistrats.

Dans un premier temps, la Cour condamne un certain nombre de dépendances organiques du Parquet. Elle considère qu'en raison de leur dépendance hiérarchique à l'égard du Garde des Sceaux "les membres du ministère public en France ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif".

Dans un second temps, en mettant en cause l'absence d'indépendance fonctionnelle du Parquet, la Cour rappelle que les garanties d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties excluent, notamment, qu'ils puissent agir, par la suite, contre le requérant dans la procédure.

La portée de la remise en cause du statut et des fonctions du Parquet doit, néanmoins, être mise en perspective. En effet, dans les deux cas d'espèce, la Cour de Strasbourg n'est amenée à se prononcer que sous l'angle des dispositions de la Convention, et dans le domaine du contrôle juridictionnel de la garde à vue.

Deux positions semblent se distinguer au sein de la jurisprudence nationale : la position du Conseil constitutionnel, d'une part, qui réaffirme sa position sur le statut du Parquet comme une autorité judiciaire, au sens des articles 64 (N° Lexbase : L0893AHK) et 66 (N° Lexbase : L0895AHM) de la Constitution, et celle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, d'autre part, qui semble, en tant que juge de la conventionalité des lois, aligner sa jurisprudence sur les critères dégagés par la Cour de Strasbourg, pour considérer que les membres du Parquet ne peuvent pas être qualifiés de magistrats habilités par la loi à exercer des fonctions judiciaires, au sens de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Si, de prime d'abord, ces deux positions paraissent contradictoires, la différence de nature du contrôle exercé par chacune des juridictions, esquisse la possibilité d'une articulation des deux positions.

Par une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour contrôler la conventionalité des lois. Néanmoins, compte tenu de l'équivalence substantielle des normes de référence, la jurisprudence de Strasbourg n'est pas sans incidence sur la jurisprudence constitutionnelle.

L'introduction du contrôle de constitutionnalité a posteriori avec la question prioritaire de constitutionnalité ne change pas cet équilibre, mais il a quand même pu donner une occasion au Conseil constitutionnel de prendre position, de manière indirecte, sur la remise en question du statut du Parquet, tel qu'il se dégage des arrêts "Medvedyev" et "Moulin".

En effet, affirmer que le Parquet n'est pas un magistrat habilité à exercer les fonctions judiciaires, au sens de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, devient un argument au service des requérants, qui mettent en doute la constitutionnalité de la garde à vue à la française et soumise au contrôle du ministère public.

Dans une première décision relative à la garde à vue, le Conseil constitutionnel ne répond pas directement à cette problématique. Il réaffirme, que les autorités judiciaires comprennent à la fois, les magistrats du siège et du Parquet, pour considérer, ensuite, que l'intervention du magistrat du siège n'est requise pour la prolongation de la garde à vue qu'à l'issue des premières 48 heures. Avant la fin de cette période, selon le Conseil constitutionnel, le déroulement de la garde à vue peut être placé sous le contrôle du Procureur. Le Conseil constitutionnel applique ainsi une jurisprudence traditionnelle sur l'unité de l'autorité judiciaire, jurisprudence qu'il fonde sur les articles 64 et 66 de la Constitution. Cette jurisprudence traditionnelle a été esquissée à l'occasion de l'examen de différents textes normatifs qui ont fait évoluer la définition et les caractéristiques de l'autorité judiciaire.

A la différence du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation réalise un contrôle de conventionalité de la loi. Elle est donc amenée à se prononcer sur la compatibilité de la législation interne avec les exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

La Cour de cassation semblait s'aligner, dans un premier temps, sur la jurisprudence constitutionnelle. Cependant, par la suite, elle prend acte des arrêts "Medvedyev" et "Moulin" et modifie sa jurisprudence, à partir de l'année 2010. Ainsi, dans une décision du 15 décembre 2010 (Cass. crim., 15 décembre 2010, n° 10-83.674, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1815GNK), la Chambre criminelle de la Cour de cassation affirme que le Parquet n'est pas une autorité judiciaire, au sens de l'article 5 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, eu égard à sa subordination hiérarchique, et à son cumul de fonctions, notamment, d'autorité d'instruction et de poursuite.

Toutefois, lorsque la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne se place plus dans le cadre du contrôle de la conventionalité, mais participe au contrôle de constitutionnalité en tant que juge de la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité, elle paraît s'aligner sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En effet, saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité qui mettait en cause la compatibilité des articles 696-11 (N° Lexbase : L9779IPU) et 696-23 (N° Lexbase : L9781IPX) du Code de procédure pénale avec l'article 66 de la Constitution, la Haute juridiction conclut au caractère non sérieux de la question, en considérant qu'"il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du Parquet" (Cass. QPC, 7 juin 2011, n° 11-90.034, F-D N° Lexbase : A8456HTD).

En définitive, l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, dans le cadre du contrôle de la conventionalité de la loi, semble assez contrastée avec le maintien de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cité par la Chambre criminelle, dans le cadre de la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Une articulation entre les différentes positions jurisprudentielles semble, néanmoins, être possible.

Il faut, tout d'abord, noter la différence de nature entre les contrôles réalisés et l'angle de référence utilisé par les différents juges.

Si les juges ordinaires font une référence explicite à l'article 5 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, c'est parce qu'ils effectuent un contrôle de conventionalité, contrôle pour lequel le Conseil constitutionnel se considère incompétent. L'article 5 § 3 de la Convention n'est donc pas une norme de référence pour le Conseil constitutionnel.

Parallèlement, la Chambre criminelle de la Cour de cassation reprend la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l'article 66 de la Constitution, lorsqu'elle participe au contrôle de constitutionnalité a posteriori.

Il serait donc possible de lier la différence de qualification du Parquet au recours à des normes de référence distincte qui donne lieu à des notions également différentes, celle de juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, et celle de magistrat appartenant à l'autorité judiciaire, issue de l'interprétation des articles 64 et 66 de la Constitution par le Conseil constitutionnel.

L'expression "autorité judiciaire" peut donc recouvrir des réalités diverses.

De même, s'il existe une différence sur la qualification du Parquet, le juge judiciaire et le juge constitutionnel retiennent la même conception du rôle du Parquet, notamment, sur le contrôle de la garde à vue.

Ainsi, malgré le fait que la Cour de cassation ne considère plus le Parquet comme une autorité judiciaire, au sens conventionnel, elle admet, néanmoins, que celui-ci puisse jouer un rôle dans la protection de la liberté individuelle et conclut, d'ailleurs, à la conformité des mesures relatives à la garde à vue dans lesquelles il intervient.

De même, pour le Conseil constitutionnel, s'il maintient la qualification du Parquet comme autorité judiciaire, il n'exclut pas, pour autant, la nécessité d'une intervention postérieure du magistrat du siège, au-delà d'un certain temps.

Ainsi, face aux convergences mais aussi aux divergences entre les différentes jurisprudences constitutionnelles et conventionnelles, le débat sur le statut et le rôle du Parquet reste ouvert.

Une modification de son statut est-elle nécessaire, voire opportune ? Faudrait-il passer outre la transformation du régime de la garde à vue et reconsidérer le statut et le rôle du Parquet français dans son ensemble ? Voici quelques unes des questions qui restent soumises au débat.


2. Une évolution du statut et des fonctions des membres du Parquet est-elle à envisager ?

Si, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, relayée par les médias, porte, le plus souvent, sur le statut du Parquet, la question de ses fonctions est tout aussi essentielle et elle est, d'ailleurs, comme le rappelle Bertrand Mathieu, au coeur du sujet -le statut du Parquet étant largement conditionné par ses fonctions-.

La réflexion sur l'avenir du Parquet soulève, ainsi, plusieurs questions : comment permettre au Parquet d'être à la fois l'autorité qui engage les poursuites et celle qui garantit la liberté individuelle ? Faut-il retirer au Parquet le rôle de garant des libertés individuelles ? Faut-il dissocier ses fonctions d'autorité de poursuite et de garant des libertés individuelles ? Faut-il redéfinir la notion de partie au procès ? Dans le cadre de la séparation des pouvoirs, le Parquet, tout en appartenant à l'autorité judiciaire, peut-il être considéré comme une interface entre les pouvoirs politique et juridictionnel ?


  • La concordance des jurisprudences européennes et constitutionnelles sur le statut du Parquet

La lecture de la jurisprudence amène à s'interroger : une évolution du statut du Parquet est-elle réellement nécessaire ou cette jurisprudence n'est-elle que le résultat de choix politiques ?

Loin d'être contradictoires, Marc Guillaume constate que les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'Homme et celles du Conseil constitutionnel sont, en réalité, pleinement concordantes. Pour la Cour européenne des droits de l'Homme, les membres du Parquet ne sont pas des magistrats appartenant à l'autorité judiciaire, et pour le Conseil constitutionnel, bien que le Parquet appartienne à l'autorité judiciaire, la protection des libertés individuelles appelle, néanmoins, une intervention rapide du juge du Siège. Ainsi, dans une décision en date du 21 octobre 2011, les juges de la rue de Montpensier ont précisé que "le ministère public n'est pas dans une situation identique à celle de la personne poursuivie ou de la partie civile" (Cons. const., décision n° 2011-190 QPC du 21 octobre 2011 N° Lexbase : A7832HYQ) et ils ont affirmé, dans plusieurs décisions, que "si l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du Parquet, l'intervention d'un magistrat du siège est requise pour la prolongation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures (Cons. const., décision n° 2010-80 QPC du 17 décembre 2010 N° Lexbase : A1872GNN).

La jurisprudence de la Cour de Strasbourg, grâce à l'intervention de la Cour de cassation, est donc pleinement respectée, et le contrôle de constitutionnalité est assuré par le Conseil constitutionnel.

La réflexion sur l'éventuelle réforme du statut du Parquet porte, en réalité, sur deux axes : il s'agirait soit de retirer au Parquet tout rôle dans la protection des libertés individuelles ou bien de réformer le statut du Parquet, afin que lui soit attribué progressivement le même statut que celui des magistrats du Siège.

Selon Marc Guillaume, le débat devrait porter sur l'interrogation suivante : "comment faire vivre l'idée que le Parquet n'est pas une partie comme les autres ?"

Si le Parquet n'est, effectivement, pas une partie comme les autres, Jean Barthélemy fait remarquer, qu'il n'en reste pas moins une partie, et à ce titre, il existe une certaine égalité des droits entre les parties.

Cependant, ne serait-ce que parce qu'il est chargé de l'application de la loi, le Parquet n'est pas une partie comme les autres. D'autant que l'exercice de l'action publique demeure une prérogative de la puissance publique. En effet, loin de n'être qu'une simple partie au procès, Christian Raysseguier précise que le Parquet est aussi une autorité garante de l'Etat de droit et en tant qu'autorité publique, il joue un rôle déterminant pour l'équilibre des pouvoirs.

Le Parquet n'est pas non plus une partie comme les autres, puisqu'il détient l'ensemble des pouvoirs attribués à l'officier de police judiciaire.

Retirer aux membres du Parquet son rôle de garant des libertés individuelles ôterait, par ailleurs, à notre dispositif, un échelon intermédiaire, celui du Parquet. En effet, selon la jurisprudence même de la Cour européenne des droits de l'Homme, l'intervention d'un magistrat du siège n'est obligatoire qu'après les premières 48 heures de garde à vue. Ecarter le Parquet conduirait, paradoxalement, à éliminer un filtre supplémentaire apporté par notre système.

La directive 2012/13/UE, du Parlement européen et du Conseil en date du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, prévoit, elle aussi, à l'article 4, alinéa 2, d, que "la déclaration de droits [...] contient [...] le nombre maximal d'heures ou de jours pendant lesquels les suspects ou les personnes poursuivies peuvent être privés de liberté avant de comparaître devant une autorité judiciaire". En conséquence, elle prévoit la consécration d'un système au sein duquel il existe un espace de plusieurs jours entre le moment de l'arrestation et celui de la présentation devant un magistrat du siège. L'intervention du Parquet dans les premières 48 heures de la garde à vue est donc tout à fait légitime.

De même, dans la culture même du Traité de l'Union européenne, Christian Raysseguier fait remarquer que l'article 19 (N° Lexbase : L2119IP8) précise que "les juges et les avocats généraux de la Cour de justice et les juges du Tribunal sont choisis parmi des personnalités offrant toutes garanties d'indépendance". "L'avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l'Union européenne, requièrent son intervention" (TFUE, art. 252 N° Lexbase : L2565IPP). C'est dire que le droit européen n'éprouve aucune difficulté à reconnaître, aux côtés du juge, le statut particulier du Parquet et son indépendance.


  • Le Parquet, objet d'instructions générales et personnelles : un manque d'indépendance avéré ?

Le Code de procédure pénale prévoit la possibilité pour le Garde des Sceaux de donner à la chaîne hiérarchique du Parquet, des instructions, générales et personnelles, rappelle Jacques Beaume.

Les instructions générales sont une réponse à la nécessité de maintenir une égalité de traitement des citoyens sur l'ensemble du territoire national, elles sont une nécessité pour l'image et la cohérence de la Justice.

Les instructions individuelles sont prévues par le Code de procédure pénale ; elles sont donc encadrées d'une transparence et de tout un ensemble de mécanisme qui les rend moins suspectes qu'à une certaine époque. Pour autant, se pose la question de leur validité dans la mesure où il s'agit d'une preuve matérielle de l'immixtion du pouvoir dans une affaire individuelle de justice.

Dans leur majorité, les Procureurs sont très circonspects sur le maintien des instructions individuelles parce que, même si, en pratique, il y en a très peu, il s'agit davantage d'un problème de principe. Faut-il supprimer toutes ces instructions individuelles ? La tentation est grande de répondre par l'affirmative, mais c'est oublier que des nécessités peuvent justifier que le Gouvernement doit enjoindre la réalisation de certains actes pour le bien du dossier.

Pour les Procureurs, ce bloc statutaire paraît devoir s'accompagner d'un bloc "procédural". Autrement dit, il est nécessaire que les missions procédurales du ministère public complète la structure statutaire qui est la leur. Tout d'abord, leur indépendance statutaire les rend légitime à être le juge de l'action publique, les juges de la poursuite. Ensuite, le ministère public a souffert d'une banalisation au fil des réformes procédurales, et il a été remis en cause comme porteur de l'intérêt général, et ce, de deux manières. D'une part, il a dû faire avec la multiplication de concurrents dans l'exercice de l'action publique. D'autre part, la banalisation du ministère public comme accessoire de la victime, a ramené les Procureurs au rang de partie. Pourtant, ce n'est pas au ministère public qu'il incombe d'être attentif à la victime, mais à la Justice, en tant qu'institution judiciaire. Le ministère public, en effet, n'est pas le porte-parole des intérêts d'une partie. Le discours prédominant selon lequel le Parquet serait le représentant de la victime, appauvrit les Procureurs dans leur valeur de défense de l'intérêt général et les ramène ainsi au rang de victime comme les autres. Enfin, c'est un équilibre supplémentaire qui doit être donné à la procédure pénale, pour permettre au ministère public de ne pas être l'accusateur mais également le porteur d'une enquête avec, certes, des voies de coercition, mais également, avec un contrôle du respect des libertés individuelles.

Cependant, Bertrand Mathieu interroge : l'instruction individuelle ne peut-elle pas être motivée par l'intérêt général ? Dans l'opinion publique, relayée par les presse, il y a cette idée de dépendance du Procureur à l'égard du pouvoir exécutif. Ainsi, la question se pose de savoir si les Procureurs sont réellement l'objet d'instructions individuelles et s'il existe une vraie mise en cause de l'indépendance des Procureurs par le pouvoir politique ?

Pourquoi les Procureurs de la République ont-ils éprouvé le besoin de prendre part au débat collectif et de lancer un appel solennel ? Robert Gelli fait remarquer que ce n'est peut être pas parce qu'il recevait des instructions individuelles, mais parce que le ministère public a considérablement été "brouillé" par plusieurs choses, par des modifications textuelles, mais surtout, par des pratiques et certains propos qui ont pu être tenus. Ainsi, l'ancienne Garde des Sceaux de dire "je suis le chef des Procureurs", et de contribuer à créer un brouillard dans la perception que les citoyens peuvent avoir du Procureur de la République. Les conséquences de cette suspicion se traduisent au quotidien par des mises en causes et des soupçons, souvent à tort, à l'égard des décisions prises par les Procureurs, qui seraient nécessairement le résultat d'une instruction émise par le pouvoir politique.

De même, les propos tenus par la Cour européenne des droits de l'Homme, selon lesquels le Parquet ne serait pas une autorité judiciaire, en ce qu'il manque d'indépendance par rapport à l'exécutif, produit des conséquences néfastes sur la confiance des citoyens à l'égard de la Justice. En effet, si le ministère est effectivement une autorité poursuivante, il ne se réduit pas à cette fonction. Il ne faudrait pas oublier un peut trop rapidement que la première mission du ministère public consiste à faire appliquer la loi de manière la plus objective qui soit, dans le cadre de ses missions de direction et de contrôle de l'enquête. Le Procureur est, avant tout, une personne responsable.

La conférence des Procureurs de la République n'a ainsi, à aucun moment, imaginé remettre en cause l'organisation hiérarchique du Procureur, pour deux raisons principales. Tout d'abord, la vocation première du Procureur de la République est aussi de mettre en oeuvre les politiques pénales qui sont décidées par le pouvoir central ou le Gouvernement. Ensuite, la seule autorité légitime pour donner ses instructions générales est l'autorité qui a été élue.

Jacques Beaume insiste, pour sa part, sur la nécessité que la Cour européenne des droits de l'Homme intègre que la phase d'enquête n'est pas une phase judiciaire, mais une phase partiellement judiciaire, qui nécessite des précautions que le ministère public est capable d'assumer. La phase d'enquête n'est donc pas comparable au procès au sein duquel les droits de la défense ou du contradictoire sont absolus, nécessaires et permanents.


  • Les débats sur l'avenir du Parquet au sein de la Conférence national des Procureurs généraux

Jacques Beaume, en sa qualité de Président de la Conférence nationale des Procureurs généraux, explique que les débats sont assez vifs au sein de ladite Conférence et qu'il est difficile d'en faire ressortir une pensée unique.

S'agissant des nominations, la Conférence nationale des Procureurs généraux s'est prononcée une seule fois expressément sur cette question. Elle a considéré que la nomination des membres du ministère public devrait passer par un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Il est tout de même possible de dégager quelques idées communes à la Conférence nationale des Procureurs généraux.

Tout d'abord, les Procureurs généraux sont profondément attachés à leur qualité de magistrat et à l'ensemble des missions qui sont, aujourd'hui, les leurs. Ils sont également très attachés à leur participation aux politiques publiques de prévention de la délinquance, sous les réserves et retenues qui leur incombent.

S'agissant du bloc statutaire, c'est-à-dire ce qui relève du mode de nomination des magistrats du ministère public, la position de la Conférence se résume à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

La problématique n'est pas, pour autant, résolue, et il reste à savoir, s'il faut se diriger vers un alignement complet des modes de nomination des magistrats du Parquet et des magistrats du Siège. Il pourrait être tentant de répondre par l'affirmative. Cependant, la réalité est bien plus complexe, notamment, parce que les Procureurs généraux restent attachés à leur ralliement à la puissance publique. De sorte que les aligner, purement et simplement, sur la profession du juge serait un renoncement à la conception du ministère public à la française. Ainsi, est-il possible de concevoir, plutôt, un pouvoir de proposition du Garde des Sceaux ? Il semblerait que cette solution soit majoritairement admise au sein de la Conférence. La contre-partie à un tel pouvoir de proposition serait, toutefois, une grande transparence (contrôle médiatique, politique, technique).

En outre, une autre question se pose spécifiquement pour les Procureurs généraux quant à leur nomination au Conseil des ministres. Ce rattachement à l'institution politique fait l'objet d'un débat très dense au sein de la Conférence.


  • La nécessité de réformer un statut ambigu

Selon Daniel Soulez-Lerivière, l'unité du corps judiciaire devient un handicap pour l'institution judiciaire elle-même, elle floute l'image des juges aux yeux du public, qui lui, ne s'y retrouve pas. On reste ainsi dans la problématique de l'unité judiciaire, et de cette revendication d'une indépendance impossible, et le débat s'asphyxie. Cette pensée était certainement partagée par Dominique Rousseau avant son passage au Conseil supérieur de la magistrature, lui qui souhaitait la fin de l'unité du corps judiciaire et que les membres du Parquet deviennent des fonctionnaires. Cependant, sa réflexion a évolué. Il concède que le statut constitutionnel du Parquet doit indéniablement évoluer, mais ce changement ne doit pas passer par la fin de l'unité du corps judiciaire.

L'ensemble des discussions a fait apparaître une ambiguïté incontestable sur le statut du Parquet : il est à la fois une partie, mais pas une partie comme les autres ; il est garant de la protection des libertés individuelles, mais au-delà des premières 48 heures de garde à vue, un magistrat du Siège doit intervenir. A cet égard, d'ailleurs, Jean Barthélemy interroge : "le ministère public a-t-il réellement un rôle de protection des libertés individuelles, dans sa mission de contrôle de privation de liberté ? Ne faudrait il pas modifier son statut ? N'y a-t-il pas là un problème de visibilité, qu'il conviendrait de résoudre ?"

Pour Dominique Rousseau, si cette ambiguïté a permis au Parquet de se développer, elle a, aujourd'hui, atteint ses limites et elle existe, désormais, au détriment du respect des principes constitutionnels d'intelligibilité et de lisibilité du système par la société.

Pour toutes ces raisons, il apparaît nécessaire de réformer le statut constitutionnel du Parquet et de sortir de cette ambiguïté.

newsid:433026

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Juillet 2012

Lecture: 15 min

N3112BTG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6555061-edition-n-494-du-19072012#article-433112
Copier

par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 19 Juillet 2012

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de TVA. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus par la Cour de justice de l'Union européenne et sur un avis motivé de la Commission parvenu à la France, tous rendus le 21 juin 2012. Dans le premier arrêt commenté, le juge de l'Union européenne protège le droit à la déduction de la TVA, élément essentiel du système mis en place au niveau communautaire. Ainsi, ce droit à déduction appartient au contribuable sauf s'il se rend coupable de fraude (CJUE, 21 juin 2012, aff. jointes C-80/11 et C-142/11). La seconde décision porte sur la nature du délai accordé aux entreprises étrangères par la législation de l'Union européenne pour déposer leur demande de remboursement de TVA : délai impératif ou indicatif ? (CJUE, 21 juin 2012, aff. C-294/11). Enfin, dans un avis motivé, la Commission européenne pointe du doigt le régime de TVA appliqué aux soins à domicile, que la France a étendu, en violation du droit de l'Union, aux "services à la personne". Cet avis est particulièrement intéressant car, outre qu'il implique un rappel sur le recours de constatation de manquement, il permet aussi de considérer la politique française en matière de TVA sous l'angle communautaire (Avis motivé de la Commission européenne du 21 juin 2012).
  • Le droit à déduction de la TVA en cas d'irrégularités dans la facturation ne peut être refusé que si l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée était frauduleuse (CJUE, 21 juin 2012, aff. jointes C-80/11 et C-142/11 N° Lexbase : A3117IP7)

Par une ordonnance du président de la CJUE en date du 15 juin 2011, les deux litiges commentés ayant le même objet, il a été décidé de les joindre. En effet, les deux affaires portent sur les mêmes dispositions du droit hongrois, la question préjudicielle ayant pour but de savoir si elles sont ou non conformes au droit communautaire.

Dans l'affaire C-80/11, il s'agit de livraisons de grumes d'acacia qui ont eu lieu entre le 1er juin et le 31 décembre 2007. Le fournisseur a délivré une série de factures en conséquence. L'entreprise cliente a pris en compte ces factures lors de l'établissement de sa déclaration fiscale et a exercé son droit à déduction. A la suite d'un contrôle par l'administration des achats et livraisons effectués par le fournisseur, elle en a déduit qu'il ne disposait pas des stocks suffisants pour honorer les commandes de sa cliente. En conséquence, l'administration fiscale a décidé que cette dernière avait une dette fiscale et l'a sanctionné par une amende et des pénalités de retard. La société a fait une réclamation, à l'encontre de la décision de l'administration hongroise, qui a été rejetée. Ensuite, elle s'est adressée au juge en faisant valoir qu'elle avait pris toutes les précautions nécessaires et que ne pouvait donc lui être refusé l'exercice du droit à déduction. La juridiction hongroise a décidé de surseoir et poser à la CJUE plusieurs questions préjudicielles.

De même, dans l'affaire C-142/11, les questions préjudicielles sont identiques, bien que les faits concernent deux opérations qui sont des prestations de services. S'agissant de la première opération en cause, un prestataire a réalisé différents travaux de construction. A la fin de ces travaux, le mandataire du maître de l'ouvrage a délivré un certificat d'achèvement des travaux. Au cours de différents contrôles fiscaux, il s'est avéré qu'il n'était pas possible de savoir "à suffisance de droit quel entrepreneur avait réalisé les travaux et par quelle entreprise étaient employés les ouvriers" (1). Pour la seconde opération litigieuse, le prestataire s'était engagé à réaliser des travaux, ce qu'il a fait en recourant à un sous-traitant. Ce dernier était en liquidation lors du contrôle fiscal, il n'a pas été possible d'entrer en contact avec l'ancien représentant, ni d'obtenir les documents nécessaires. L'administration fiscale a remis en cause la réalité des éléments énoncés dans la facture émise par le sous-traitant. Au final, elle n'a pas admis le droit à déduction pour ces deux opérations. Le prestataire a formé un recours devant le juge de l'impôt hongrois en soutenant qu'il avait pris les précautions nécessaires.
Au point de vue du droit applicable, la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ) n'a pas modifié le droit antérieurement applicable, et donc la solution dégagée par cette décision est toujours d'actualité. La principale question porte sur les articles 167, 168 sous a), 178 sous a), 220 point 1 et 226 de cette Directive, à savoir s'ils doivent être interprétés dans le sens "où ils s'opposent à une pratique nationale en vertu de laquelle l'autorité fiscale refuse à un assujetti le droit de déduire le montant de la TVA [...] au motif que l'émetteur de la facture a commis des irrégularités, sans que cette autorité établisse que l'assujetti concerné avait connaissance dudit comportement irrégulier ou qu'il y a lui-même contribué" (2).

La CJUE rappelle que le droit à déduction est un élément essentiel qui doit garantir le principe de la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques (3). Ainsi, elle accueille de manière relativement restrictive les limites qui peuvent être apportées au droit à déduction. Mais, dans un second temps, elle indique aussi que ce principe de neutralité doit se concilier avec d'autres objectifs de la Directive 2006/112, qui sont la lutte contre la fraude fiscale, l'évasion fiscale et les éventuels abus. Il a été déjà jugé que, lorsqu'il est établi, par des éléments objectifs, que l'assujetti savait ou aurait dû savoir qu'il participait à une fraude à la TVA, la juridiction nationale doit lui refuser le bénéfice du droit à déduction (4).

Les opérations en cause dans l'affaire C-80/11 ont donné lieu à différentes factures qui comportent les informations exigées par la Directive 2006/112 "de sorte que les conditions matérielles et formelles prévues par cette Directive pour la naissance et l'exercice du droit à déduction sont réunies" (5). Dès lors, la jurisprudence "Kittel" (6) ne trouve pas à s'appliquer car, ayant rempli les conditions exigées par le droit communautaire, refuser le droit à déduction aurait pour effet "l'instauration d'un système de responsabilité sans faute (lequel) irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver les droits du Trésor public" (7). Il s'agit là d'une problématique relative à la charge de la preuve. En effet, c'est l'autorité fiscale qui doit établir les éléments objectifs qui permettent de conclure que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée dans le cadre du droit à déduction était réalisée dans le cadre d'une fraude. De même, s'agissant de l'affaire C-142/11, le droit communautaire n'autorise pas une pratique nationale qui aurait pour effet de priver un assujetti du droit à déduction au motif que les émetteurs des factures ont commis des irrégularités, sans que l'autorité fiscale puisse établir, par des éléments objectifs, que leur destinataire savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée était impliquée dans une fraude à la TVA.

Dans l'affaire C-80/11, relative à des livraisons de biens, l'une des questions concernaient plus précisément le point de savoir quelle mesure pouvait exiger un Etat membre d'un opérateur pour s'assurer que l'opération à laquelle il prenait part ne faisait pas partie d'une fraude. Selon la Cour, ces mesures ne peuvent avoir pour effet de remettre "systématiquement en cause le droit à déduction" (8). Le droit hongrois énonce que l'opérateur doit avoir pris "toutes les précautions nécessaires". Pour la juridiction communautaire, il s'agit avant tout d'une question de fait, qui est étroitement liée aux éléments factuels de l'espèce. Pour autant, ces précautions nécessaires ne doivent pas aboutir à transférer "ses propres tâches de contrôle sur les assujettis" (9).

  • Remboursement de TVA aux entreprises étrangères : la 8ème Directive-TVA institue un délai de six mois, cette durée est impérative et non indicative (CJUE, 21 juin 2012, aff. C-294/11 N° Lexbase : A3112IPX)

La CJUE a posé le principe selon lequel un assujetti qui procède à des dépenses dans un autre Etat membre pour les besoins de ses opérations taxées (et des opérations exonérées) dans l'Etat d'établissement dispose d'un droit à remboursement (éventuellement partiel) dans l'autre Etat (10).

Dans l'espèce commentée, il s'agit de savoir dans quel délai peut être présentée cette demande de remboursement. Une société s'est vue refuser le remboursement de la TVA qu'elle avait payée sur la base de factures reçues de partenaires italiens durant l'année 1999. Cette demande de remboursement avait été présentée le 27 juillet 2000. Or, selon l'administration, cette demande était faite hors délai, car elle aurait dû être présentée au plus tard le 30 juin 2000. Les juges du fond italiens ont donné raison à l'assujetti à la TVA. L'administration a fait appel de cette décision, la juridiction d'appel a confirmé la décision de première instance. Enfin, l'administration fiscale s'est pourvue en cassation, et le juge de cassation a décidé de surseoir et d'adresser une question préjudicielle à la CJUE.

Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, premier alinéa de la Directive 79/1072/CEE du Conseil du 6 décembre 1979, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l'intérieur du pays (N° Lexbase : L9405AUU), pour bénéficier du remboursement, l'assujetti doit déposer une demande "au plus tard dans les six mois qui suivent l'expiration de l'année civile au cours de laquelle la taxe est devenue exigible", c'est-à-dire au plus tard le 30 juin de l'année qui suit celle concernée par la demande (11). Ce délai était inscrit dans le droit italien (12), et c'est sur ce fondement que l'administration fiscale avait établi son refus. La question était de savoir si ce délai était ou non un délai de forclusion ; en cas de réponse positive, cela entraînait la déchéance du droit au remboursement.

Avant de répondre au fond, la CJUE s'est prononcée sur la recevabilité de cette question préjudicielle. En effet, selon la société, le droit applicable afin de résoudre ce litige est interne, en conséquence, la CJUE serait incompétente. La Cour rappelle la présomption de pertinence, qui n'est écartée qu'à titre exceptionnel lorsque "l'interprétation sollicitée [...] n'a aucun rapport avec l'objet du litige" (13).

Sur le droit applicable, il est nécessaire de rappeler que cette Directive de 1979 a été supprimée depuis l'entrée en vigueur de la Directive 2008/9/CE du Conseil du 12 février 2008, définissant les modalités du remboursement de la TVA, prévu par la Directive 2006/112/CE, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l'Etat membre du remboursement, mais dans un autre Etat membre (N° Lexbase : L8140H3U). Cependant, la Directive de 1979 reste applicable pour toutes les demandes déposées avant le 1er janvier 2010, ce qui est le cas en l'espèce.

Enfin, sur le fond, la CJUE développe trois arguments qui lui permettent de conclure que le délai de six mois est un délai de forclusion et qu'en conséquence la société était hors délai quant à la présentation de sa demande. Ainsi, le refus opposé par l'administration fiscale était justifié au regard du droit communautaire. Le premier argument est d'ordre linguistique. Certaines versions de la disposition laissent planer le doute quant à savoir si le délai en cause est indicatif ou de forclusion. Cependant, il ressort clairement de la lecture de l'annexe C, point B, de la Directive que l'interprétation qui doit prévaloir est le caractère impératif de ce délai. En matière de divergences quant au libellé d'un texte communautaire, la CJUE fait application d'une jurisprudence constante aux termes de laquelle "les diverses versions linguistiques d'un texte de l'UE doivent être interprétées de façon uniforme et, dès lors, en cas de divergences entre ces versions, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l'économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément" (14).

Le deuxième argument porte précisément sur la finalité de la règle, objet du litige. La CJUE rappelle que la Directive de 1979 avait notamment pour objectif "de mettre fin aux divergences entre les dispositions actuellement en vigueur dans les Etats membres" (15). Or, si le délai en cause n'était qu'un "délai d'ordre", c'est-à-dire non impératif, certaines conséquences seraient contraires à cet objectif. S'il s'agit d'un délai non impératif, les Etats membres ont le choix entre deux possibilités. D'une part, ils peuvent opter pour une législation nationale plus contraignante que le délai indiqué par le droit communautaire et cette législation pourrait varier d'un Etat à l'autre. Or, cette situation serait précisément contraire au but de la Directive, qui est de mettre fin aux divergences entre les dispositions nationales. D'autre part, les Etats pourraient choisir de ne pas imposer une disposition interne plus contraignante que le droit communautaire, ainsi la demande de remboursement ne serait soumise à aucun délai. Cette situation serait en contradiction avec le principe de sécurité juridique au terme duquel l'assujetti ne doit pas voir ses droits et obligations remis en cause de manière indéfinie.

Enfin, le troisième argument, qualifié de "surabondant", est tiré des différentes modifications législatives relatives à ce délai. La Directive de 2008 a prolongé ledit délai de trois mois, la Cour en déduit qu'il ne peut s'agir que d'un délai de forclusion, car, s'il avait la nature d'un délai d'ordre, sa prorogation n'aurait pas été utile. "La prolongation d'un délai n'étant généralement nécessaire que si son expiration engendre la déchéance du droit qui aurait dû être exercé avant que ce délai fut arrivé à son terme" (16). La CJUE applique le même raisonnement à la modification du délai par la Directive 2010/66 du 14 octobre 2010 (17), modification exceptionnelle afin de pallier les difficultés techniques en 2010 pour les demandes relatives à l'année 2009.

Cette décision ne vaut pas tant pour le cas particulier de l'espèce car la législation applicable a été supprimée. Cependant elle a un caractère plus général du fait de ce motif "surabondant" qui permet de dégager les principes qui doivent présider à l'interprétation de la nature du délai enfermant les demandes de remboursement de TVA, y compris pour les dispositions applicables à l'heure actuelle.
Enfin, on peut noter que, depuis le 1er janvier 2010, la procédure de demande de remboursement est soumise à de nouvelles modalités par application de la Directive 2008/9/CE du 12 février 2008. Ce texte a imposé aux Etats membres de créer une procédure dématérialisée de soumission de demande, de communiquer par voie électronique et d'accepter que les demandes soient déposées auprès de l'Etat d'établissement (18).

  • Application du taux réduit de TVA aux soins à domicile : violation par la France du droit de l'Union concernant certains "services à la personne" ? (Avis motivé de la Commission européenne du 21 juin 2012)

Bien que depuis quelques années, la Commission européenne fasse une utilisation de plus en plus systématique du recours en constatation de manquement (19) et, par conséquent, des avis motivés (20), étape indispensable de cette procédure, ces avis ne font pas nécessairement l'objet d'un commentaire. Par ailleurs, l'avis présentement commenté intéresse une mesure très récente de la fiscalité française quant à la mise en oeuvre d'un taux réduit de 7 % sur certains services à la personne.

Pour rappel, le recours en manquement (21) constitue une voie de droit originale qui accorde une place prépondérante à la Commission européenne en tant que gardienne de l'ordre juridique communautaire, ainsi qu'un très large pouvoir discrétionnaire quant aux diverses étapes de la mise en oeuvre de cette voie de recours. Le recours en manquement comprend deux phases : d'une part, l'étape précontentieuse et, d'autre part, une phase contentieuse. S'agissant de la première étape, elle débute de manière officieuse : la Commission entame un dialogue avec l'Etat concerné afin de parvenir à une solution amiable. Si cette approche "diplomatique" (22) ne donne pas les résultats escomptés, la Commission met en oeuvre la procédure précontentieuse officielle. Elle est déclenchée par l'envoi d'une lettre de mise en demeure. Cette lettre invite l'Etat à présenter ses arguments et observations. Dans l'hypothèse où l'Etat parvient à convaincre la Commission ou aboutit à un accord sur les mesures nécessaires pour faire cesser le manquement, la procédure s'achève. Dans le cas contraire, la Commission adresse à l'Etat un avis motivé. Elle y indique les conditions de fait et de forme qui lui permettent d'affirmer qu'il existe un manquement, elle "exprime sa position formelle à l'égard de la situation juridique de l'Etat membre concerné" (23). Le but de cet avis n'est pas de déterminer les droits et obligations de l'Etat mais de lui permettre de "se conformer à ses obligations ou de lui offrir une dernière occasion de se justifier et d'éviter la saisine de la CJUE" (24).

Selon les dispositions de l'article 258 TFUE (N° Lexbase : L2571IPW) "si l'Etat en cause ne se conforme pas à l'avis dans le délai déterminé par la Commission, elle peut saisir la Cour". Pour autant, l'avis motivé est un acte non décisoire, il ne comporte pas d'effet contraignant à l'égard de son destinataire (25) et il va permettre de définir l'objet du litige. La Commission peut ensuite entamer la phase contentieuse et décider de poursuivre l'Etat membre devant la CJUE.

En l'espèce l'avis motivé est relatif à l'application du taux réduit de TVA à certains services à la personne. Cette disposition a été inscrite dans le droit français par l'article 7 de la loi de finances pour 2000 (26) et elle concernait les prestations de services fournies par des entreprises agréées en application de l'article L. 7231-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3383H98). La loi du 26 juillet 2005 (27) relative au développement des services à la personne a modifié les conditions d'exercice de ces activités et étendu le champ des activités éligibles. Il est à noter qu'en 2000, cette mesure avait un caractère temporaire et n'était prévue que jusqu'au 31 décembre 2002. Sans en reprendre le détail, elle a été souvent prorogée et est actuellement inscrite à l'article 279, i, du CGI (N° Lexbase : L6571IRS). A compter du 1er janvier 2012, ces activités ne sont plus soumises au taux de 5,5 % mais au nouveau taux de 7 % (28). Les activités qui peuvent bénéficier de ce taux réduit de 7 % sont limitativement énumérées à l'article D. 7231-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1353IRK). Pour autant bien que cette liste soit exhaustive, elle est très large ; elle comprend par exemple les "travaux de petit bricolage dits homme toutes mains" (29) ou encore "l'assistance informatique et internet à domicile" (30).

Au plan du droit communautaire, l'application d'un taux réduit à certaines activités, notamment de services à la personne, a fait l'objet de nombreuses dispositions. Ainsi, dans une décision du Conseil du 7 novembre 2006 (31), certains Etats membres ont été autorisés à appliquer un taux réduit de TVA sur des catégories de services à forte intensité de main d'oeuvre. Notamment l'article 5, b de cette décision autorisait la France à appliquer un taux réduit jusqu'au 31 décembre 2010 à certains services de soins à domicile.

Enfin, le Conseil a adopté une Directive (32) autorisant à titre permanent l'application facultative de taux réduits de TVA pour certains services à forte intensité de main-d'oeuvre réalisés dans le cadre local "pour lesquels il n'existe pas de risque de concurrence déloyale entre les prestataires de services dans les différents Etats membres" (33). Ces différentes modifications de notre droit interne, comme du droit communautaire, n'ont pas résolu la difficulté quant à la définition des services à la personne pouvant bénéficier de ce taux réduit.

Selon l'annexe III, 20 de la Directive 2006/112/CE, qui énonce de manière limitative les livraisons de biens et les prestations de services pouvant faire l'objet des taux réduits visés à l'article 98 de la même Directive, peuvent bénéficier de ce taux réduit "les services de soins à domicile, tels que l'aide à domicile et les soins destinés aux enfants, aux personnes âgées, aux personnes malades ou aux personnes handicapées". Or, selon le communiqué de presse relatif à l'avis motivé reçu par la France, la Commission considère que la catégorie des services à la personne est bien plus large. A l'appui de cette constatation, elle cite les travaux de jardinage, l'assistance informatique, l'entretien et le gardiennage des résidences principale et secondaire... Outre, cette analyse purement textuelle, la Commission fait référence à certains documents, notamment le rapport du conseil des prélèvements obligatoires intitulé "Entreprises et 'niches' fiscales et sociales. Des dispositifs dérogatoires nombreux" (34), ainsi que le rapport rendu par le comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales. Au regard de ces différents textes, il apparaît qu'il serait nécessaire, eu égard à l'état des finances publiques de la France, de limiter ce type de dépense fiscale. Il est intéressant de noter que la Commission ne se cantonne pas à une seule lecture juridique mais inscrit son avis dans le cadre plus large de l'impact de la perte en termes de recettes fiscales d'une liste aussi large de services échappant à l'application du taux de TVA de droit commun.

Au regard de l'avancée actuelle de cette procédure, la Commission peut, ou non, selon son pouvoir discrétionnaire, poursuivre la procédure. Ainsi, elle peut décider de saisir la CJUE d'un recours en constatation de manquement, au motif que la France applique un taux de TVA réduit à des prestations de services qui ne sont pas comprises dans la liste de services pouvant en bénéficier selon la Directive de 2006, modifiée en 2009. La France dispose d'un délai de deux mois pour prendre les mesures utiles afin que sa législation soit conforme au droit communautaire. S'agissant d'un pouvoir discrétionnaire, il est difficile de préjuger de la décision de la Commission quant à la saisine ou non de la CJUE, dans l'hypothèse où la France n'effectue pas de mise en conformité.

Pour autant, il est utile de rappeler que, dans une affaire similaire, elle n'avait pas hésité à entamer la procédure contentieuse face à des avis motivés restés sans effet sur les Etats membres contrevenants. Plus particulièrement, il s'agit du maintien du taux réduit de TVA à certaines activités équestres et ce malgré une mise en demeure du 23 octobre 2007 et un avis motivé du 1er décembre 2008. Une décision du 8 mars 2012 (35) a condamné la France, de même antérieurement les Pays-Bas (36), l'Allemagne (37) et l'Autriche (38) avaient aussi été condamnés pour les mêmes raisons. Ce type d'activité est, depuis le 1er janvier 2012, soumis au taux de TVA à 7 %, à noter que la Commission européenne (39) a estimé que cette disposition était contraire aux dispositions de la Directive TVA.

L'on peut se demander dans quelle mesure la création de ce taux réduit de 7 %, outre les recettes fiscales supplémentaires attendues, n'a pas aussi été mis en oeuvre afin de ne pas soumettre certaines activités au taux normal, telles les activités équestres ou certains services à la personne. Mais si la France décide de résister, il est probable que la Commission, en tant que gardienne du droit communautaire, entamera une procédure contentieuse.


(1) Point 27.
(2) Point 36.
(3) Point 39.
(4) Point 59, CJUE, 6 juillet 2006, aff. C-493/04 et C-440/04 (N° Lexbase : A4806DNC), DF, 2007, n° 9, comm. 235.
(5) Point 44.
(6) Op.cit..
(7) Point 48.
(8) Point 57.
(9) Point 66.
(10) Point 32, CJUE, 13 juillet 2000, aff. C-136/99 (N° Lexbase : A2000AIW), DF, 2000, n° 52, comm. 1065.
(11) Directive 79/1072/CEE du Conseil du 6 décembre 1979, Annexe C, point B.
(12) Points 11 et 12.
(13) Point 21.
(14) Point 27 de la décision commentée ; à noter, l'identité des termes dans d'autres décisions antérieures : CJUE, 29 avril 2010, aff. C-340/08, point 44 (N° Lexbase : A7853EWR) ; CJUE, 29 avril 2004, aff. C-341/01, point 64 (N° Lexbase : A0414DCC).
(15) Point 28.
(16) Point 33.
(17) Directive (UE) 2010/66 du Conseil du 14 octobre 2010, portant modification de la Directive 2008/9/CE, définissant les modalités du remboursement de la TVA, prévu par la Directive 2006/112/CE (N° Lexbase : L1929INR).
(18) Sur ces nouvelles modalités cf. Gwenaëlle Bernier, Laurent Chetcuti et Armelle Courtois-Finaz, La TVA racontée aux dirigeants et à leurs conseils, Litec Fiscal, 2ème édition, 2010, 607 pages, p. 151 et suivantes.
(19) Ou recours en manquement.
(20) Claude Bluman et Louis Dubouis, Droit institutionnel de l'Union européenne, Litec, Col. Manuel, 4ème édition, 2010, 829 pages, p. 676, § 937.
(21) TFUE, art. 258 (N° Lexbase : L2571IPW) à 260.
(22) Maurice-Christian Bergerès, Contentieux communautaire, PUF, Col. Droit fondamental, 3ème édition, 1998, 399 pages, p. 197, § 184.
(23) CJUE, 29 septembre 1998, aff. C-191/95 (N° Lexbase : A1911AWP), Rec. CJCE 1998, p. 5449, point 36.
(24) Claude Bluman et Louis Dubouis, Droit institutionnel de l'Union européenne, op. cit., p. 678, § 941.
(25) CJUE, 29 septembre 1998, aff. C-191/95, op. cit., point 44.
(26) Loi n° 1999-1172 du 30 décembre 1999, de finances pour 2000 (N° Lexbase : L1726IRD), DF, 2000, n° 1-2, comm. 7.
(27) Loi n° 2005-841, relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (N° Lexbase : L8799G9R), art. 8, DF, 2005, n° 37 ; comm. 607.
(28) Loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011, art. 13 (N° Lexbase : L4994IRE), DF 2012, n° 4, comm. 103.
(29) C. trav., art. D. 7231-1, II, 3° (N° Lexbase : L1353IRK).
(30) C. trav., art. D. 7231-1, II, 11°.
(31) Décision (2006/774/CE), JOUE 15 novembre 2006.
(32) Directive 2009/47/CE du 5 mai 2009, modifiant la Directive 2006/112/CE en ce qui concerne les taux réduits de TVA (N° Lexbase : L1662IEB).
(33) Lire le communiqué de presse de la Commission du 5 mai 2009
(34) Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires - octobre 2010 - La documentation française - 383 pages.
(35) CJUE, 8 mars 2012, aff. C-596/10 (N° Lexbase : A0663IEB).
(36) CJUE, 3 mars 2011, aff. C-41/09 (N° Lexbase : A8048G3H).
(37) CJUE, 12 mai 2011, aff. C-453/09 (N° Lexbase : A7666HQY).
(38) CJUE, 12 mai 2011, aff. C-441/09 (N° Lexbase : A7665HQX).
(39) Lire les questions au Parlement européen, le 16 septembre 2011, sur la fiscalité adaptée et soutien au secteur de l'équitation (E-008313/2011).

newsid:433112

Urbanisme

[Jurisprudence] De la nécessité d'un permis de construire pour l'implantation d'une antenne relais

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 20 juin 2012, n° 344646 (N° Lexbase : A9101IQ7)

Lecture: 9 min

N3004BTG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/6555061-edition-n-494-du-19072012#article-433004
Copier

par Vincent Corneloup, docteur en droit, avocat associé, spécialiste en droit public, DSC Avocats

Le 19 Juillet 2012

En quelques mois, de nombreuses décisions du Conseil d'Etat et du Tribunal des conflits sont intervenues à propos de l'implantation des antennes relais de téléphonie mobile. En effet, ces dernières donnent lieu à un contentieux de plus en plus important, symptôme de l'inquiétude croissante de la population quant aux risques éventuels causés par ces installations sur le plan sanitaire. Dans trois arrêts d'Assemblée du 26 octobre 2011 (CE Ass., 26 octobre 2011, publiés au recueil Lebon, n° 326492 N° Lexbase : A0172HZE, n° 329904 N° Lexbase : A0173HZG, et n° 341767 N° Lexbase : A0174HZH), le Conseil d'Etat a posé le principe selon lequel le maire est incompétent pour réglementer de manière générale l'implantation des antennes relais sur le territoire de sa commune au nom du principe de précaution. C'est, en effet, au ministre chargé des Communications électroniques, à l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) et à l'Agence nationale des fréquences (ANFR), qu'il revient de déterminer les modalités d'implantation des stations radioélectriques, ainsi que les mesures de protection contre les effets des ondes émises. Par deux arrêts du 30 janvier 2012 (CE 2° et 7° s-s-r., 30 janvier 2012, deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n° 344992 N° Lexbase : A6872IB7 et n° 344993 N° Lexbase : A6873IB8), le Conseil d'Etat a ensuite jugé qu'il est impossible de refuser la délivrance d'une autorisation d'urbanisme en se fondant sur le principe de précaution (étant rappelé qu'en application de l'arrêt CE 2° et 7° s-s-r., 19 juillet 2010, n° 328687, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9950E4B, "Association du quartier les Hauts de Choiseul", le principe de précaution doit obligatoirement être pris en compte lors de la délivrance d'une autorisation d'urbanisme) si aucun élément circonstancié ne fait apparaître "en l'état des connaissances scientifiques, des risques même incertains de nature à justifier un tel refus". Pour sa part, le Tribunal des conflits, dans plusieurs arrêts en date du 14 mai 2012 (T. confl., 14 mai 2012, n° 3844 N° Lexbase : A7290ILL, n° 3846 N° Lexbase : A7291ILM, n° 3848 N° Lexbase : A7292ILN, n° 3850 (N° Lexbase : A7293ILP, n° 3852 N° Lexbase : A7295ILR, et n° 3854 N° Lexbase : A7296ILS) a dit que seul le juge administratif est compétent pour connaître d'une action tendant à obtenir l'interruption de l'émission, l'interdiction de l'implantation, l'enlèvement ou les déplacements d'une antenne relais, régulièrement autorisée, au motif que son fonctionnement peut compromettre la santé des personnes ou provoquer des brouillages.

L'ensemble de ces décisions de principe constitue d'importantes restrictions à l'application du principe de précaution en la matière, puisque le maire ne peut pas utiliser son pouvoir de police générale afin de faire respecter ce principe (arrêts du 26 octobre 2011 précités), et ne peut refuser la délivrance d'une autorisation d'urbanisme en application de ce principe qu'en présence "d'éléments circonstanciés" (arrêts du 30 janvier 2012). Enfin, seul le juge administratif peut connaître des demandes de riverains tendant notamment à l'arrêt de l'émission ou à l'enlèvement de l'antenne relais pour des risques éventuels en matière de santé. Or, à ce jour, si à plusieurs reprises des juges judiciaires ont appliqué le principe de précaution en matière d'émission d'ondes par les réseaux de téléphonie mobile (CA Montpellier, 5ème ch., Sect. A, 15 septembre 2011, n° 10/04612 N° Lexbase : A9933HX8), jamais un juge administratif n'a encore adopté la même position. La compétence des juridictions administratives paraît donc devoir entraîner au minimum une limitation des cas dans lesquels le principe de précaution sera appliqué à propos des antennes relais.

L'arrêt ici commenté, rendu par le Conseil d'Etat le 20 juin 2012, ne va pas, cette fois-ci, dans le sens des opérateurs de téléphonie mobile, puisqu'il pose l'exigence de l'obtention d'un permis de construire et non d'une seule décision de non-opposition à déclaration préalable pour l'implantation d'une antenne relais "dont la hauteur est supérieure à 12 mètres et dont les installations techniques nécessaires à leur fonctionnement entraînent la création d'une surface hors oeuvre brut de plus de 2 m²". Il s'agit là d'une prise de position du Conseil d'Etat attendue (I) à propos de la construction des antennes relais, mais qui peut paraître moins fondamentale que celles spécifiques au principe de précaution. Pourtant, les conséquences de cet arrêt du 20 juin 2012 sont loin d'être négligeables (II).

I - Une prise de position attendue

Depuis plusieurs années, un débat faisait rage, notamment devant les tribunaux administratifs pour savoir si un permis de construire est nécessaire pour l'implantation de la plupart des antennes relais qui ont une hauteur supérieure à 12 mètres et qui entraînent la construction d'une dalle de plus de 2 m² sur laquelle sont placées les installations techniques nécessaires au fonctionnement de ladite antenne.

Certains tribunaux administratifs, comme celui de Nîmes dans l'affaire soumise au Conseil d'Etat (TA Nîmes, 1er octobre 2010, n° 0902293 N° Lexbase : A7497IQQ), estimaient qu'une décision de non opposition à déclaration préalable était suffisante. Ainsi, selon les juges nîmois, "il ressort des pièces du dossier que la décision en litige autorise la réalisation d'un pylône arbre de type cyprès de moins de 2 m² de SHOB ainsi que l'installation d'armoires techniques sur une dalle béton de 10,5 m² clôturée [...] à supposer même que la fondation de l'arbre pylône, d'une superficie de 9 m², excèderait le niveau naturel du sol et devrait être regardée comme une dalle d'accès constitutive de SHOB [surface hors oeuvre brute], la surface cumulée de cette dalle d'accès au pylône et de la dalle supportant les ouvrages techniques demeurent inférieures à 20 m² [...] les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que les constructions autorisées par l'arrêté en litige relevaient dans leur ensemble du régime des permis de construire".

Selon ces juges, il convenait donc de distinguer, alors même qu'il n'y avait qu'une seule demande d'autorisation, la construction du pylône en lui-même de la construction des armoires techniques liées à ce pylône, ce qui les avait conduit à ne pas appliquer l'article R. 421-9 a) du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7457HZ9) imposant un permis de construire pour toute construction d'une hauteur supérieure à 12 mètres et créant une SHOB supérieure à 2 m². Ainsi, en l'espèce, ils avaient considéré que les 19,5 m² de SHOB ne devait pas être prise en compte en combinaison avec la hauteur de l'antenne, comme s'il y avait, d'un côté une antenne, et de l'autre des dalles de béton, sans lien entre les deux. Toutefois, de nombreuses prises de position contraires avaient progressivement vu le jour, notamment de la part de tribunaux administratifs. Ainsi, dès 2009, le tribunal administratif de Rouen, dès 2009 (TA Rouen, 23 juillet 2009, n° 0801565) a exigé un permis de construire pour l'implantation d'une antenne relais d'une hauteur supérieure à 12 mètres et de plus de 2 m² de SHOB.

Cette position a ensuite été reprise et précisée par le tribunal administratif de Dijon dans un jugement du 7 octobre 2010 (TA Dijon, 7 octobre 2010, n° 0802863 N° Lexbase : A8009GCM). Les juges dijonnais avaient indiqué que, dans l'espèce qui leur était soumise, un permis de construire s'imposait non seulement parce que l'antenne était supérieure à 12 mètres et reposait sur une dalle créant plus de 2 m² de SHOB mais, également, parce que les infrastructures techniques étaient elles-mêmes implantées sur une dalle d'une superficie de 19 m² de SHOB et qu'elles étaient indissociables de l'antenne.

C'est cette dernière position que le Conseil d'Etat a consacré dans son arrêt commenté en date du 20 juin 2012 : "il résulte de la combinaison des dispositions qui précèdent [C. urba, art. R. 421-1 (N° Lexbase : L7449HZW) et suivants et art. R. 112-2 (N° Lexbase : L5258HN3)] que les antennes relais de téléphonie mobile dont la hauteur est supérieure à 12 mètres et dont les installations techniques nécessaires à leur fonctionnement entraînent la création d'une surface hors oeuvre brut de plus de 2 m² n'entrent pas, dès lors qu'elles constituent entre elles un ensemble fonctionnel indissociable, dans le champ des exceptions prévues au a et au c de l'article R 421-9 du Code de l'urbanisme et doivent faire l'objet d'un permis de construire en vertu des articles L. 421-1 (N° Lexbase : L3419HZN) et R. 421-1 (N° Lexbase : L7449HZW) du même code".

Ce qui signifie que, de manière désormais certaine, un permis de construire est nécessaire si l'antenne relais est d'une hauteur supérieure à 12 mètres et qu'une surface hors oeuvre brute de plus de 2 m² est créée, cette SHOB pouvant provenir de la dalle servant de fondation au pylône et/ou de la dalle portant les installations techniques qui constituent "un ensemble fonctionnel indissociable" avec l'antenne, cette dernière ne pouvant fonctionner sans les installations techniques. Cette décision doit être louée en ce qu'elle était la seule cohérente avec les dispositions du Code de l'urbanisme. En effet, alors même qu'une seule autorisation d'urbanisme était demandée, l'on ne voit pas à quel titre il aurait fallu dissocier l'implantation des installations techniques de l'implantation de l'antenne relais, comme le tribunal administratif de Nîmes avait cru pouvoir le juger. Cet arrêt du Conseil d'Etat va entraîner des conséquences loin d'être négligeables.

II - Une prise de position aux conséquences non négligeables

Il convient, tout d'abord, d'indiquer que la réforme des autorisations d'urbanisme qui est entrée en vigueur le 1er mars 2012 (ordonnance n° 2011-1539 du 16 novembre 2011, relative à la définition des surfaces de plancher prises en compte dans le droit de l'urbanisme N° Lexbase : L2512IRH, et décret n° 2011-2054 du 31 décembre 2011 N° Lexbase : L5063IRX) ne remet pas en cause l'application de cette nouvelle jurisprudence. En effet, depuis le 1er mars 2011, c'est la notion de surface de plancher qui est substituée à celles de surface hors oeuvre brute et de surface hors oeuvre nette (SHON), une nouvelle notion d'"emprise au sol" ayant, par ailleurs, été créée.

En application du nouvel article R. 112-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L5258HN3), la surface de plancher de la construction "est égale à la somme des surfaces de plancher de chaque niveau clos et couvert, calculée à partir du nu intérieur des façades [...]". Quant à l'emprise au sol, elle est "la projection verticale du volume de la construction, tout débord et surplomb inclus" (C. urba, art. R. 420-1 N° Lexbase : L5975IRQ). Il faut également préciser que, depuis le 1er mars 2012, le seuil de 2 m² visé jusqu'à maintenant lorsque la construction est d'une hauteur supérieure à 12 mètres, a été porté à 5 m².

Désormais, un permis de construire est donc nécessaire en application de l'article R. 421-9 a) du Code de l'urbanisme pour les constructions dont la hauteur au dessus du sol est supérieure à 12 m² avec une emprise au sol supérieure à 5 m² ou avec une surface de plancher également supérieure à 5 m². En application de l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 20 juin 2012, une antenne relais d'une hauteur supérieure à 12 m² créant une emprise au sol supérieure à 5 m² (l'on imagine mal la création d'une surface de plancher) doit donc obligatoirement faire l'objet d'un permis de construire.

Ensuite, en conséquence de cet arrêt, les autorités chargées de la délivrance de l'autorisation d'implanter une antenne relais devraient procéder à une instruction plus poussée des dossiers présentés par les opérateurs. En effet, lorsque c'est un simple dossier de déclaration préalable qui est présenté, il est patent que l'instruction est souvent assez rapide, les autorités publiques étant persuadées qu'un projet présenté dans le cadre d'une déclaration préalable est nécessairement de faible importance et peut donc faire l'objet d'une analyse assez superficielle. Bien évidemment, ce n'est nullement le cas dans le cadre d'un permis de construire, la contenance du dossier leur permettant au demeurant un bien meilleur contrôle.

C'est une autre conséquence qui peut être tirée de cet arrêt : désormais, les opérateurs devront présenter un dossier beaucoup plus fourni et beaucoup plus volumineux (voir les articles R. 431-4 N° Lexbase : L2035IS8 et suivants du Code de l'urbanisme), s'accompagnant d'un délai d'instruction nécessairement plus long (un mois pour les déclarations préalables, au moins deux mois pour les permis de construire). Les opérateurs devront donc soigner leur dossier et se verront opposer des délais d'instruction plus élevés, ce qui enlèvera une certaine souplesse dans l'implantation des antennes relais. Par ailleurs, le contentieux de ces antennes sur le plan du droit de l'urbanisme, déjà volumineux, devrait encore logiquement prospérer puisqu'un permis de construire offre davantage prise à des moyens d'annulation qu'un simple dossier de déclaration préalable. Les exigences sont beaucoup plus nombreuses et, par voie de conséquence, le risque d'illégalité l'est également.

Enfin, une décision de non opposition à déclaration préalable ne peut pas faire l'objet d'un retrait, en application de l'article L. 424-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3443HZK). Or, fréquemment, c'est sous la pression des riverains de la potentielle future antenne relais que les maires s'aperçoivent que la décision de non opposition à la déclaration préalable, le plus souvent tacite, est irrégulière, par exemple parce qu'une disposition du plan local d'urbanisme n'a pas été respectée. Face à un tel constat, l'autorité compétente ne pouvait pas retirer la décision de non opposition et sauf si un recours contentieux était engagé, la décision, bien qu'irrégulière, devenait définitive.

Lorsqu'un permis de construire sera accordé, la situation sera totalement différente puisque l'autorité qui aura accordé ce permis pourra, dans un délai de quatre mois, en application de la jurisprudence "Ternon" (CE, Ass., 26 octobre 2001, n° 197018, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1913AX7), retirer le permis de construire en cause s'il est vicié d'une ou de plusieurs irrégularités. Les opérateurs de téléphonie mobile ne peuvent décidément pas se réjouir de cet arrêt rendu par le Conseil d'Etat.

newsid:433004

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.