La lettre juridique n°807 du 19 décembre 2019

La lettre juridique - Édition n°807

Éditorial

[Point de vue...] Libérée(s), délivrée(s)…

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N1627BYW

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par June Perot, rédactrice en chef

Le 18 Décembre 2019

…les décisions ne le seront peut-être jamais. A tout le moins en matière pénale. Selon les derniers chiffres-clés de la Justice 2019, 3 330 425 décisions ont été rendues en 2018, toutes matières confondues. 798 886 décisions (hors compositions pénales et domaine contraventionnel) concernaient la matière pénale, soit près de 24 % du volume global. Parmi ces décisions, 630 562 issues des tribunaux correctionnels (!). Autant de décisions qui demeurent prises en otage dans un inhospitalier palais de glace, sous couvert d’un risque d’atteinte à la vie privée et aux données à caractère personnel. Péril que l’on invoque inlassablement, feignant d’ignorer les réels enjeux liés à une libération massive de la jurisprudence pénale.

Attendu depuis la loi « Lemaire » de 2016, un projet de décret (jusqu’alors diffusé « sous le manteau » et enfin publié par le ministère de la Justice), relatif à la mise à disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives, devrait voir le jour d’ici début 2020. Concrètement, la mise à disposition du public des décisions sera réalisée sur un portail internet sous la responsabilité du garde des Sceaux. Chaque ordre de juridiction, administratif et judiciaire, sera en charge de son propre site internet dédié. Mais la lecture de ce projet de décret laisse quelque peu de marbre : trois ans… trois ans pour finalement annoncer aux magistrat et greffiers qu’ils devront se charger manuellement de « l’occultation » des décisions de justice dès qu’ils évaluent un risque de réidentification.

Outre la déception suscitée par le texte, il est permis, en qualité d’éditeur d’une revue de droit pénal, de s’interroger sur la réalité de cette diffusion massive de la jurisprudence car il se pourrait, après tout, que le vent de la « transparence » ne souffle pas à travers la matière pénale…

Or, pour celui qui désire se faire une idée de la façon dont est rendue la justice pénale en France, cette large diffusion et l’analyse doctrinale et algorithmique qui pourra en être faite, seront à même de révéler les pratiques professionnelles des magistrats. Si l’on met de côté le mythe de la « justice prédictive » et le lot de fantasmes qu’il nourrit, le véritable enjeu de la diffusion des décisions pénales réside dans la mise en exergue d’une pratique, davantage que de prédire ou établir la probabilité de l’issue d’un litige. Analyse qui permettra de révéler des particularités régionales ou locales, puis, éventuellement des biais qui, nous le savons, sont inévitables car humains (trop humains).

Aux anxieux du profilage, il est possible de répondre que l’analyse algorithmique n’est pas utilisée pour « profiler » des pratiques individuelles mais pour dégager une action globale de la justice pénale, fût-elle locale. Mieux encore, une analyse massive des décisions pénales pourrait permettre une amélioration de la formation des magistrats tout au long de leur carrière. Étant ainsi instruits des biais naturels qui les animent, ils pourraient les corriger et rendre à la chaîne pénale ses lettres de noblesse.

Le rapport de la commission Cadiet rappelle en 2017 qu’une partie des données se trouvant au sein des décisions de justice sont fortement « sensibles » et font l’objet d’une interdiction particulière de traitement (origine raciale ou ethnique, opinions politiques, convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale, données génétiques...). Pourtant, certaines de ces données donnent lieu en France à un traitement, donc à un savoir, dans les fichiers de police... Dès lors, l’enjeu scientifique et éditorial, et non le risque, consiste à découvrir et étudier les éléments pris en considération par les magistrats quand justice est rendue. Finalement, tout comme la technique de développement de la photographie argentique, les outils algorithmiques pourraient agir au titre du « révélateur ». L’image que l’on souhaite capturer de la justice pénale existe et, on le sait, est connue de la Chancellerie. Elle se trouve dans les milliers de décisions auxquelles nous n’avons pas encore accès, isolées dans le noir le plus complet. Seule la « chimie » (ou la magie) de ces outils d’analyse permettra de la révéler et de la fixer dans le temps.

Quel intérêt alors pour les justiciables et les entreprises privées d'approcher cette image ? Plus qu’un intérêt, il s’agit en réalité d’un droit consacré par la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 en son article 15 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » ?

Le culte de l’occulte

La question de l’occultation marque son grand retour dans ce projet de décret, devenant même un pivot de la problématique. Le décret prévoit les règles d’occultation qui devront être suivies ainsi que les modalités de recours. Outre l’occultation des noms et prénoms des personnes physiques, parties ou tiers, qui sera réalisée de manière systématique, il appartiendra au juge de l’espèce de décider s’il y a lieu d’occulter tout élément d’identification susceptible de porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée.

Toute personne intéressée pourra présenter une demande d’occultation complémentaire ou, au contraire, une demande de levée d’occultation. Ces demandes relèveront des juridictions suprêmes de chacun des ordres juridictionnels. Enfin, apprend-on, pour assurer la cohérence entre le régime d’occultation dans le cadre de l’open data et celui de la délivrance de copies aux tiers, les occultations décidées pour la diffusion en open data devront être reprises dans les copies délivrées aux tiers par les greffes.

Mais a-t-on seulement procédé à une étude d’impact quant à ce travail qui devra être exécuté par les juges et, partant, les greffiers ? Que penser d’une décision qui aura été occultée par le magistrat l’ayant lui-même rendue ? Il est permis de craindre un appauvrissement de l’analyse doctrinale de décisions vidées de ces données.

A-t-on également seulement pensé à améliorer les outils de travail des greffiers afin qu’ils puissent d’emblée, lorsqu’ils rédigent une décision, identifier les données devant être éventuellement « occultées » ?

« Au nom du peuple Français »

Un bref retour en arrière nous enseigne qu’historiquement, en matière judiciaire, la publication aux fins de diffusion des premières décisions a été instituée avec la création du Tribunal de cassation. Elle s’est poursuivie avec un arrêté du 28 vendémiaire an V (19 octobre 1796) qui prescrit de ne plus laisser les jugements publiés sous la forme de feuilles séparées, mais de les réunir au sein d’un Bulletin officiel annuel. Vint ensuite, sous le Directoire, le lancement du Bulletin officiel des arrêts de la Cour de cassation qui réunit les décisions en une publication intégrale et régulière, en deux séries, l’une en matière civile et l’autre en matière criminelle.

La question de la publicité semble donc avoir agité les époques, à tel point qu’aujourd’hui la transparence absolue est devenue une exigence. Pour autant, si l’on avait voulu que la justice fût véritablement publique, des outils et moyens humains auraient été déployés depuis fort longtemps pour satisfaire à cette grande ambition. Rappelons d’ailleurs que si depuis 2009 la Cour de cassation est supposée délivrer via JuriCa l’ensemble des décisions des cours d’appel, manifestement, en matière pénale, nous sommes face à un écran de fumée…

Dès lors, demeure une interrogation : en souhaitant conserver le contrôle de la diffusion des décisions, qui l’État prétend-il protéger ? A dire vrai, ce faisant, le pouvoir maîtrise l’image de la justice pénale car il détient seul le savoir qui en est issu : on le sait « […] il n’y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir » (M. Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, collection Tel, p. 36).

Puisque les condamnations pénales sont vectrices de données à caractère personnel (RGPD, art. 10), observons qu’au niveau de la CEDH, l’anonymisation est laissée au choix du justiciable au début de la procédure. Ainsi, conformément au Règlement de la Cour (articles 33 et 47), tout requérant qui souhaite conserver l’anonymat doit en faire la demande au moment où il remplit le formulaire de requête ou aussitôt que possible par la suite. Dans un cas comme dans l’autre, il doit exposer les motifs de sa demande et préciser l’impact qu’une divulgation de son identité pourrait avoir sur lui.

Alors, l’open data garantira-t-elle une meilleure transparence de la justice ?

Qu’on libère les décisions pour nous donner les moyens d’en juger.

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Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Le point sur...] La nouvelle procédure d’instruction des déclarations d’accidents du travail, la simplification attendra

Lecture: 12 min

N1580BY8

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par Rodolphe Olivier, Avocat associé, et Dorian Moore, Avocat - CMS Francis Lefebvre Avocats

Le 31 Décembre 2019

L'échéance est connue de longue date : le 1er décembre 2019 marque l'entrée en vigueur du décret n° 2019-356 du 23 avril 2019, relatif à la procédure d’instruction des déclarations d’accidents du travail et de maladies professionnelles du régime général (N° Lexbase : L0392LQL ; ci-après «le Décret»).

Assurer «une meilleure lisibilité du droit applicable pour la victime et l’employeur et une plus grande transparence notamment en améliorant le respect du contradictoire avant la décision de la caisse», tels sont les objectifs annoncés de la réforme selon la circulaire [1] d’application du Décret (ci-après «la Circulaire»).

Si l’on peut estimer que la consécration d’un délai imparti à l’employeur pour émettre des réserves motivées au sujet de la déclaration d’un accident du travail participe effectivement d’une amélioration du respect du contradictoire (I), il semble cependant que la refonte de la phase d’instruction, marquée par un foisonnement de délais (II), et les nouvelles modalités de consultation du dossier (III) ne concourront pas nécessairement à la réalisation de ces objectifs.

Eclairages sur ces principales nouveautés, applicables aux accidents du travail déclarés à compter du 1er décembre 2019 [2].

I - Un délai consacré pour émettre des réserves motivées

On le sait, l’émission par l’employeur de réserves motivées oblige la caisse à initier une instruction avant de statuer sur le caractère professionnel du sinistre [3].

Outre la contradiction qu’elle lui permet d’apporter sur le fond du dossier, la phase d’instruction peut s’avérer particulièrement profitable à l’employeur s’il parvient à démontrer que la caisse a commis une ou plusieurs erreurs procédurales lui faisant grief.

Dans cette hypothèse, il pourra effectivement invoquer un manquement au principe du contradictoire aux fins de solliciter l’inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle et, ce faisant, éviter que le sinistre ne vienne augmenter son taux de cotisations AT/MP.

D’où l’importance pour lui de disposer d’un délai suffisant pour pouvoir motiver au mieux ses réserves ce qui implique, suivant la définition constamment rappelée en jurisprudence -mais que le Décret n’a pas cru devoir consacrer- que l’employeur doit dans ce cadre contester le caractère professionnel de l'accident sur la base des circonstances de temps et de lieu de celui-ci ou sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail [4].   

Or, en la matière, il n’est pas rare que les caisses rendent leur décision quelques jours seulement après avoir reçu la déclaration d’accident du travail, avant donc que l’employeur ne formule des réserves conservatoires.

Et l’on sait que les réserves communiquées postérieurement à la décision prise par la caisse sont, de jurisprudence constante, dépourvues d’effet [5], privant en conséquence l’employeur de toute procédure contradictoire. 

Raison pour laquelle le nouvel article R. 441-6 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0570LQ8) aménage au bénéfice de l’employeur, un délai de 10 jours francs à compter de la déclaration pour émettre ses réserves. 

Ce texte appelle plusieurs observations.

En ce qui concerne le point de départ du délai d’abord, la Circulaire précise qu’il court soit à compter de la date de la déclaration d’accident du travail (mentionnée sur le formulaire de déclaration) lorsque celle-ci émane de l’employeur, soit à compter de la date à laquelle l’employeur a reçu le double de la déclaration transmise par la caisse lorsque la déclaration émane du salarié ou de ses représentants.

La Circulaire indique aussi, s’agissant de la computation du délai, que celui-ci est exprimé en «jours francs». Concrètement, cela signifie que le délai court à compter du lendemain de l’acte ou de l’évènement conditionnant son départ, en l’occurrence la déclaration d’accident du travail ou la réception du double de la déclaration. Puis, il convient de décompter chaque jour qui suit, de 0h à 24h, étant précisé que dans le cas où le 10ème jour survient un samedi, un dimanche ou un jour férié, l’extinction du délai est repoussée au premier jour ouvrable suivant.

Par ailleurs, comme le Décret et la Circulaire n’apportent aucune précision quant aux conséquences du non-respect de ce délai, on peut légitimement s’interroger sur le traitement applicable aux réserves émises après l'expiration du délai, mais formulées avant la décision de la caisse.

Cette dernière pourra-t-elle se fonder sur la seule méconnaissance de ce délai pour écarter les réserves tardives, sans prêter attention à leur motivation, voire à leur bien-fondé ?

Les juridictions de Sécurité sociale seront certainement appelées à se prononcer rapidement sur ce point.  

II - La refonte de la phase d’instruction ou le foisonnement des délais 

Une fois que la déclaration d’accident du travail et le certificat initial sont parvenus à la caisse, celle-ci dispose désormais d’un délai de 30 jours francs à compter de la date de réception de ces deux documents pour statuer sur le caractère professionnel du sinistre ou pour engager des investigations, lorsqu’elle l’estime nécessaire ou en cas de réserves motivées de l’employeur.

L’on peut raisonnablement considérer que la caisse dispose en réalité de 20 jours francs -à compter de l’expiration du délai accordé à l’employeur pour formuler ses réserves motivées- pour choisir l’une des deux options précitées.

Une incertitude tient cependant à l’effet attaché aux réserves motivées de l’employeur dans le cas où elles seraient réceptionnées par la caisse après l’expiration du délai qui lui est laissé pour les émettre, mais envoyées avant le terme de ce délai.

En toute logique, la notification par la caisse d’une prise en charge d’emblée, c’est-à-dire en l’absence d’instruction du dossier, alors même que l’employeur aurait émis des réserves dans les temps, caractériserait une violation du principe du contradictoire. 

La Circulaire n’éclaircit toutefois pas ce point qui sera donc laissé, à regret, à la libre appréciation des juridictions de Sécurité sociale.  

Cela étant, lorsque la caisse engage des investigations sur le sinistre, les dispositions du nouvel article R. 441-8, I du Code du travail (N° Lexbase : L0574LQC) lui sont applicables.

Il en résulte que la caisse bénéficie d'un délai de 90 jours francs, à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial, pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident.

Cet article précise en outre que la caisse doit adresser un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident à l'employeur et au salarié (ou à son représentant) dans le délai de 30 jours francs précité, par tout moyen conférant date certaine à sa réception, et peut recourir à une enquête complémentaire.

Notons que les modalités de l’instruction ne sont plus laissées à la libre discrétion de la caisse, le questionnaire étant à présent privilégié par rapport à l’enquête qui ne peut être qu’un complément.

Une disposition qui met ainsi un terme à une jurisprudence bien établie, retenant que l’envoi d’un questionnaire à l’employeur peut constituer une modalité d’enquête «sans que la caisse soit tenue d’associer celui-ci à l’enquête éventuellement mise en œuvre» [6].

Curieusement, cette prévalence ne s’applique pas à la modalité par laquelle le salarié et l'employeur sont informés de la date à laquelle la caisse doit rendre sa décision, c’est-à-dire de la date d’expiration du délai de 90 jours francs, cette information pouvant leur être transmise lors de l’envoi du questionnaire ou de l’ouverture de l’enquête.

En tout état de cause, il incombe aux parties de retourner le questionnaire qui leur est adressé dans un délai de 20 jours francs à compter de sa date de réception.

Sur ce point, la Circulaire précise qu’«à défaut de respecter ce délai, la partie défaillante s’expose à ce que ses réponses ne soient pas prises en compte dans le cadre de la décision de la caisse».

Est-ce à dire que la caisse pourra décider d’écarter le questionnaire de l’employeur au seul motif que ce dernier lui aura restitué hors délai, alors même que l’émission de réserves motivées impose en principe à la caisse de recueillir ses explications avant qu’elle n’arrête sa décision sur le caractère professionnel de l’accident ?  

Une question à laquelle les juridictions de sécurité sociale seront certainement conduites à répondre.

III - Une phase de consultation du dossier réaménagée

Dorénavant, à l’issue de ces investigations et au plus tard 70 jours francs à compter de la réception de la déclaration de l'accident du travail et du certificat médical, la caisse est tenue de mettre le dossier qu’elle a constitué à la disposition du salarié et de l’employeur [7].

Ce faisant, le salarié et l’employeur disposent d’un délai de 10 jours francs pour consulter le dossier et faire connaître leurs observations, qui y sont annexées.

Passé ce délai, les parties peuvent continuer à consulter les pièces du dossier, mais elles ne peuvent plus émettre d’observations.

L’article R. 441-8, II du Code de la Sécurité sociale précise enfin que les parties doivent être informées par la caisse, au plus tard 10 jours francs avant l’ouverture de la phase de consultation du dossier, des dates d’ouverture et de clôture de la période de consultation du dossier ainsi que de la période pendant laquelle ils pourront formuler leurs observations.

Plusieurs remarques s’imposent.

Une fois de plus, le Décret et la Circulaire ne fournissent aucune indication sur les incidences de la méconnaissance par la caisse de ces différents délais.

On peut toutefois raisonnablement penser que la jurisprudence selon laquelle la décision rendue par la caisse doit être déclarée inopposable à l’employeur lorsqu’elle ne l’a pas informé de sa faculté de consulter le dossier[8] demeure applicable sous l’empire du Décret.

En revanche, on ignore le sort applicable aux observations formulées hors délai par l’employeur et le salarié.

La caisse peut-elle refuser de les annexer au dossier et, par conséquent, les écarter des débats au seul motif qu’elles ont été émises à contre-temps ? Un nouveau sujet qui méritera d’être élucidé par les juridictions de Sécurité sociale.

Par ailleurs, on ignore la raison pour laquelle un délai complémentaire de 10 jours francs est accordé aux parties pour consulter le dossier sans toutefois pouvoir formuler d’observations.

A ce sujet, la Circulaire indique que «la nouvelle procédure prévoit qu’à l’issue de ce délai de 10 jours francs, la caisse dispose encore de quelques jours (jusqu’à expiration du délai de 90 jours francs) pour procéder aux vérifications nécessaires pour prendre sa décision au vu des observations ainsi faites».

Il ne peut être exclu que, sous couvert de «procéder aux vérifications nécessaires», la caisse décide en réalité de poursuivre ses investigations durant ce délai de 10 jours francs, en ajoutant au dossier un nouveau ou une nouvelle attestation.

Remarquons à cet égard que le Décret ne fait aucunement référence à la «clôture de l’instruction», ce qui laisse à penser que celle-ci resterait ouverte jusqu’au jour où la caisse prend sa décision sur le caractère professionnel, y compris durant la période au cours de laquelle les parties peuvent consulter le dossier ainsi que postérieurement à celle au cours de laquelle elles peuvent formuler des observations.

Cependant, une telle interprétation de l’article R. 441-8, II du Code de la Sécurité sociale conduirait certainement à remettre en cause le caractère contradictoire de la procédure, dans la mesure où les parties seraient privées de la possibilité de commenter ces nouveaux éléments.

*          *

*

On l’aura compris, un certain nombre de questions restent en suspens, au sujet desquelles la Circulaire n’est guère éclairante.

Les parties ont ainsi tout intérêt à se montrer particulièrement vigilantes au respect de chaque phase de la nouvelle procédure, et notamment au respect des nouveaux délais qu’elle institue.

Elles devront se montrer d’autant plus vigilantes que le Décret fait la part belle à la dématérialisation [9]. En particulier, le questionnaire intitulé «questionnaire risques professionnels» et la consultation du dossier d’instruction sont accessibles en ligne, via le site questionnaires-risquepro.ameli.fr.

En dépit de l’intérêt non négligeable que cette dématérialisation présente, en particulier en ce qui concerne la consultation à distance des pièces du dossier dans la mesure où elle évite aux parties de se déplacer dans les locaux de la caisse, elle expose ces dernières au risque de la déperdition de l’information.

Il est en effet à craindre, en particulier pour les employeurs, que les éléments adressés par la caisse, faisant courir les délais correspondants de la procédure, soient égarés par leurs destinataires dans la multitude de mails qu’ils auront reçus ou encore soient envoyés à un seul destinataire manquant de diligence, ce qui restreindra considérablement la capacité des employeurs à contester la décision in fine retenue par la caisse.

D’où l’importance d’identifier clairement les interlocuteurs de la caisse pour chacune des procédures.

Il est par ailleurs à craindre que des difficultés informatiques entravent la communication des informations par la caisse aux parties et, partant, contreviennent au bon déroulement de la procédure d’instruction.  

Autant de difficultés qui seront, à n’en pas douter, invoquées dans le cadre du contentieux de l’inopposabilité des décisions prises par les organismes de sécurité sociale au sujet des déclarations d’accidents du travail. 


[1] Circ. CNAM, n° 28/2019, du 9 août 2019, Préciser les modalités d'application du décret du 23 avril 2019 relatif à la procédure d'instruction des AT/MP (N° Lexbase : L8479LRH) ayant pour objet de préciser les modalités d’application du décret n° 2019-356 du 23 décembre 2019, relatif à la procédure d’instruction des AT/MP (N° Lexbase : L0392LQL).

[2] Décret n° 2019-356 du 23 avril 2019, préc., art. 5.

[3] CSS, anc. art. R. 441-11 (N° Lexbase : L6173IED) ; CSS. art. R. 441-7, nouveau (N° Lexbase : L0572LQA).

[4] Voir en ce sens Cass. civ. 2, 11 octobre 2018, n° 17-26.990, F-D (N° Lexbase : A3275YGE) ; Cass. civ. 2, 4 avril 2019, n° 18-11.778, F-D (N° Lexbase : A3261Y8B).

[5] Voir en ce sens Cass. 2e civ., 5 avr. 2007, n° 06-10.017

[6] Cass. civ. 2, 11-07-2013, n° 12-22.152, F-D (N° Lexbase : A8728KI4) ; Cass. civ. 2, 19 juin 2014, n° 13-18.127, F-D, (N° Lexbase : A6005MRT).

[7] CSS, art. R. 441-8, II.

[8] Cass. soc., 19 décembre 2002, n° 01-20.384, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4915A4S) :  RJS, 3/03 n° 388, Bull. civ. V, n° 403 ; Cass. civ. 2, 16 septembre 2003, n° 02-31.017, F-D (N° Lexbase : A5575C9D) :  RJS, 12/03, n° 1440 ; Cass. civ. 2, 9 juillet 2015, n° 14-22.083, F-D (N° Lexbase : A7776NMX).

[9] Le Décret faisant désormais référence à «tout moyen conférant date certaine à leur réception».

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Avocats/Gestion de cabinet

[Focus] Les avocats et les réseaux sociaux font-ils «bon ménage» ?

Lecture: 18 min

N1519BYW

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par Laetitia Le Métayer, ancien avocat, juriste en droit du numérique au sein du cabinet de Conseil en propriété industrielle Sparlann, Anne-Hélène Hamonic, Fondatrice de Facilaw – permet la performance des avocats

Le 02 Janvier 2020


Mots-clefs :  Focus • Avocat • Réseaux sociaux 


 

Les avocats (et plus largement les professions du droit) doivent-ils / peuvent-ils être présents et actifs sur les réseaux sociaux ? Vaste sujet. 

Nous ne parviendrons probablement pas à mettre tout le monde d’accord (et ce n’est d’ailleurs pas l’objectif de cet article). Nous ne ferons pas non plus de vous des professionnels aguerris des réseaux sociaux. 

En revanche, nous vous proposons ici à travers notre modeste retour d’expérience de nous poser quelques questions essentielles qui, nous l’espérons, vous aideront à passer (ou non) le pas de la porte de Twitter, Instagram ou LinkedIn

Cette réflexion, nous la menons, de concert, afin que vous puissiez disposer du regard d’un «juriste» (soumis, donc, à des règles déontologiques) et du point de vue d’un professionnel accompagnant les avocats sur ces thématiques (et donc nécessairement actif sur les réseaux sociaux).

Commençons d’abord par définir le périmètre de cet article… 

Nous y parlerons «réseaux sociaux». Mais finalement, que doit-on entendre par «réseau social» ? Cette notion recouvre quel support (physique / numérique) ou quel média ?

Si nous devons faire un peu d’histoire, la notion de «réseau social» a été définie dès 1954. Elle s’entendait, en substance, comme des «liens d’amitié et de connaissance entre individus qui se reconnaissent un statut social à peu près éga[1]. Il s’agit ici davantage d’un réseau social physique... à l’évidence.

Plus récemment, avec le développement des réseaux sociaux, tel que nous l’entendons et le pratiquons aujourd’hui, les «CNIL européennes» (ancien Groupe G29 et désormais le Comité Européen de la Protection des Données ou «CEPD») a donné une définition de ce que pouvait recouvrir cette notion de «service de réseau social». Dans un avis n° 5/2009 sur les réseaux sociaux en ligne [2], le CEPD a considéré que le réseau social devait s’entendre comme une plateforme «de communication en ligne qui permet à tout internaute de rejoindre ou de créer des réseaux d’utilisateurs ayant des opinions similaires et des intérêts communs». 

Nous pouvons ainsi y intégrer toutes les plateformes permettant de créer une «communauté» d’utilisateurs ou de rapprocher des personnes autour d’un sujet ou d’intérêts partagés. On conçoit désormais le réseau social comme un réseau «digital».

Nous parlerons donc nécessairement de Facebook mais plus largement de Twitter, LinkedIn, Youtube. Mais aussi d’Instagram.

Pour résumer les développements qui suivent, nous répondrons de manière synthétique à trois questions essentielles :

  • Pourquoi aller sur les réseaux sociaux ?
  • Quel réseau social choisir (quoi) ?
  • Comment aller sur les réseaux sociaux ?

I - Pourquoi aller sur les réseaux sociaux ?

Nous n’allons pas vous abreuver de chiffres mais, les chiffres parlent d’eux-mêmes. 

Selon l’agence «We Are Social et Hootsuite» (octobre 2018), nous sommes 7,6 milliards sur Terre, 4,2 milliards d’internautes (55 %) et 3,4 milliards d’utilisateurs des réseaux sociaux (44 %). 

La réponse à la question «Pourquoi» est évidente. Les (vos) clients sont probablement sur les réseaux sociaux ! Au-delà de cette dimension statistique, pour aller sur les réseaux sociaux, il est recommandé de s’interroger sur les trois sujets suivants (parmi d’autres).

1. Définir votre stratégie

Comme pour toute communication, il faut définir votre stratégie, vos objectifs.  

Commencez par vous poser quelques questions utiles, dont voici une liste non exhaustive : 

  • Qui vous êtes et qui sont vos clients : 
    • Quelle est notre cible ? (Vous pouvez regarder le principe de “Persona”)
    • Quelle est notre identité ? 
    • Nos valeurs et points forts ?
  • Pour les réseaux sociaux en particulier : 
    • Quel est l’objectif de la démarche ? 
    • Quel type de message nous souhaitons diffuser ? 
    • Quels sont les outils ou les supports appropriés ? 
    • Quels sont les ressources à mobiliser ? (budget mais surtout temps) etc..

Les informations qui suivent vont pouvoir contribuer à cette réflexion.

2. Définir vos objectifs

Une fois la stratégie réfléchie, il faut déterminer des objectifs. Une méthode qui fonctionne bien est la méthode SMART. Cela signifie que votre objectif devra être Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réaliste et enfin Temporel. 

Votre objectif peut porter, par exemple, dans une phase de démarrage, sur le volume des
publications : 

«Je veux poster une publication tous les deux jours, sur Twitter ou LinkedIn, et ce pendant trois mois». 

A la fin de la période, vous analysez le résultat. Vous avez alors deux possibilités : 

  • Vous n’avez pas réussi ? Peut-être que l’objectif était trop ambitieux ou que vous n’avez pas pris les moyens nécessaires (pas assez de temps alloué, l’équipe n’est pas formée…). Alors ajustez l’objectif ou augmentez les moyens.
  • Au contraire à la fin de la période choisie vous avez atteint l’objectif ? Alors vous pouvez passer à un nouvel objectif. Dans l’exemple présent, vous pouvez soit augmenter le volume, la fréquence, soit changer complètement d’objectif. Par exemple, le nombre de personnes ayant vu votre publication, ce qu’on appelle la portée. Ou encore le trafic sur votre site en provenance des réseaux sociaux. Les exemples ne manquent pas.

3. Quels peuvent être les intérêts des réseaux sociaux pour vous ?

Pourquoi être présent sur les réseaux sociaux ? Quel intérêt ont les réseaux sociaux pour mon activité professionnelle ? Les raisons peuvent être multiples : 

  • Etre visible tout simplement. Plus besoin de vous contenter de la plaque de porte au pied de l’immeuble, vous avez désormais la possibilité d’être visibles bien au-delà de votre rue, de votre ville. 

Comme indiqué plus haut, 43 % de la population mondiale est active sur les réseaux sociaux. Savez-vous ainsi que selon ce même rapport, en France, le temps passé sur les réseaux sociaux est en moyenne de 1 heure 20 ? Vous pouvez donc ainsi bénéficier d’une visibilité incroyable et toucher d’avantages de personnes. Imaginez les opportunités à créer...

  • Créer du lien avec votre réseau. Grâce aux réseaux sociaux, vous conservez un lien avec vos contacts, vos clients. Ils entendent régulièrement parler de vous. En conséquence, cela peut contribuer à améliorer votre réputation et augmenter la fidélisation.
  • Diffuser. Vous écrivez des articles, par exemple sur votre blog ? C’est bien. Cependant, il faut que vos contacts fassent la démarche d’aller sur votre site internet, ce que feront peut-être des prospects qui vous cherchent, mais probablement moins votre réseau déjà existant (clients, partenaires etc.). Or, si vous utilisez les réseaux sociaux vous pourrez pousser facilement vos publications qui seront alors nettement plus vues ! Les publications arriveront ainsi plus directement auprès de vos contacts. Et, cerise sur le gâteau, cela améliore votre référencement !
  • Communiquer sur vos services, les nouvelles de votre structure : vous avez un nouveau domaine d’expertise ? Une offre en lien avec une nouvelle réglementation ? N’hésitez pas à utiliser les réseaux sociaux pour le faire savoir ! 
  • Veille : Voilà un thème auquel les juristes pensent moins et pourtant les réseaux sociaux peuvent constituer un outil de veille extrêmement utile. En effet, la lecture de revues juridiques est très utile pour le fond et l’analyse, mais il y a souvent un délai entre une nouvelle jurisprudence (par exemple) et la réception dans votre boîte aux lettres de la revue qui en fait l’analyse. Les réseaux sociaux, pour peu que l’on travaille bien sur la liste des contacts en fonction des thèmes qui nous intéressent, constituent un outil de veille très puissant car l’information y est partagée de façon très rapide. 
  • Curation : Heureusement pour publier sur les réseaux sociaux, vous ne serez pas obligés de rédiger des articles tous les jours. Puisque vous allez faire la veille évoquée dans le paragraphe précédent, il est aussi possible, et même conseillé, d’utiliser les publications d’autres sources, ne serait-ce que des médias reconnus ou des institutions, en les partageant. L’idéal étant, en tant qu’expert que vous êtes, d’ajouter une ligne de commentaire pour apporter une plus-value à la re-publication, votre vision de juriste dont c’est le métier. Ainsi, vous pourrez démontrer votre expertise de façon concrète.
  • Marque employeur : Certaines professions juridiques ont parfois des difficultés à recruter et conserver les bons profils. Les réseaux sociaux peuvent contribuer à améliorer ce que l’on appelle la marque employeur, par exemple pour diffuser une offre d’emploi, mais peuvent aussi mettre en avant la qualité de vie au travail de votre structure (les locaux, les évènements en interne, l’arrivée d’une personne…). Cela peut contribuer à votre attractivité.
  • Enfin, cela peut permettre de se différencier, tout simplement. 

4. Quels peuvent être les écueils à une présence sur les réseaux sociaux ?

En pratique, il existe quelques écueils à éviter ou à avoir en tête avant de se plonger dans la création de son compte sur un réseau social. Nous vous en présentons quelques exemples, la liste n’étant pas exhaustive.

  • Limiter son temps sur les réseaux. Si la création d’un compte ne prend généralement que quelques minutes, le volume de «tweets», de «posts» ou de publications à lire ou diffuser peut rapidement devenir très mangeur de temps. L’usage des réseaux sociaux est chronophage. Pour limiter cet effet, fixez-vous des règles. Par exemple :
    • Réservez-vous des créneaux (deux ou trois) dans la journée pour prendre connaissance des dernières actualités ;
    • Fermez la page après en avoir pris connaissance pour éviter d’y revenir trop rapidement ;
    • Privilégiez des heures de consultation à temps perdu (attente en audience, déplacement en train, au cours du déjeuner, etc.).
  • Ne jamais réagir à chaud. On le sait, les débats peuvent être houleux sur les réseaux sociaux. D’une manière générale, il est recommandé à tout utilisateur de ne pas réagir à chaud à un commentaire diffusé sur un réseau social. Cette recommandation est encore plus vraie qu’on exerce la profession d’avocat (ou plus largement en tant que professionnel du droit)... Déontologie oblige. On en parle un peu plus loin.
  • Gardez en tête que vous êtes tenus par des règles et principes déontologiques, y compris sur les réseaux (secret professionnel, probité, modération, courtoisie, confraternité, etc.).
  • Ne laissez pas des tiers prendre en main votre e-réputation. Maîtrisez-là ! La réputation de l’avocat sur Internet et, plus précisément, sur les réseaux sociaux passe par la mise en place de plusieurs actions. L’idée générale est de ne pas être passif, et donc subir, mais bien d’être acteur de sa réputation et... de son hygiène numérique. Cela passe par la prise en main et l’usage des réseaux sociaux. Communiquer sur son cabinet, son équipe, ses compétences (ou spécialités lorsqu’elles existent), ses services ou offres constitue un moyen parmi d’autres de maîtriser sa e-réputation.

 

II - Quels réseaux sociaux ? 

Ne vous dispersez pas : à moins d’avoir d’énormes ressources en interne, il convient de bien choisir les réseaux que vous allez utiliser. Votre critère de choix devra être fait en fonction de la stratégie choisie, de votre cible : Utilisez les réseaux de vos clients ou prospects. 

1. LinkedIn

Jusqu’à récemment LinkedIn était, pour faire court, comme une énorme base de données compilant des CV, il y avait finalement assez peu de publications d’actualités. Cela a beaucoup évolué et c’est désormais devenu le réseau social professionnel incontournable. 

Il existe deux types de pages : la page individuelle et la page entreprise. Sachant que pour administrer une page entreprise, il faut être nommé administrateur et donc avoir une page individuelle.

Voici quelques premiers conseils pratiques pour faire une page individuelle efficace :

  1. Soignez votre vitrine en insérant une photo professionnelle. N’utilisez pas la photo prise lors de vos dernières vacances ! Il est aussi conseillé d’intégrer une bannière, pourquoi pas votre logo avec votre Baseline ?
  2. Prenez le temps de compléter votre profil et notamment le titre et le résumé, qui sont les premiers éléments vus par les visiteurs. Suscitez l’intérêt !
  3. Renseignez les coordonnées : site internet, autres réseaux sociaux… 
  4. Indiquez votre expérience, vos compétences et autres. 

2. Twitter

Twitter peut s’avérer très utile en curation et veille. Orienté BtoB et BtoC on y écrit des messages courts (280 caractères, contre 140 à l’origine). C’est un très bon outil pour la veille notamment.

3. Facebook

Facebook n’est clairement pas le premier réseau social professionnel auquel on pense en tant que juriste. Cependant, selon votre domaine d’activité, il n’est pas nécessairement à exclure d’office. Vous travaillez pour des particuliers dont la tranche d’âge est très présente sur ce média ? Vous avez des prescriptions d’anciens de votre école, désormais confrères, et qui sont beaucoup sur Facebook ? Alors cela peut être utile vous concernant.

4. Youtube 

YouTube est plus un média social qu’un réseau social mais c’est vraiment un outil à ne pas négliger tant la vidéo est le média qui monte à grande vitesse. Chaque jour 1,5 milliard d'utilisateurs y passent en moyenne 1h, c’est considérable ! Il existe plusieurs types de vidéos : de la vidéo institutionnelle à la vidéo pour réagir à une actualité ou parler d’un sujet, comme on écrirait un article. Avoir une chaîne où on publie régulièrement des vidéos est donc une stratégie efficace. 

5. Et Instagram ?

C’est un vrai sujet. A l’heure actuelle, nous n’avons pas testé ce support comme moyen de communication d’un avocat ou d’un professionnel du droit. Cela étant dit, on pourrait parfaitement imaginer qu’un avocat, compte tenu de sa cible (des clients influenceurs par exemple ?) puisse communiquer sur lui, ses équipes, ses actions, etc. à partir de cette plateforme. 

III - Comment aller sur les réseaux sociaux ?

Voici quelques conseils pratiques pour bien démarrer : 

1. Respect des règles déontologiques

Nous avons rapidement abordé ce sujet précédemment. Il nous semble important de rappeler en substance les règles déontologiques relatives à la communication des avocats sur Internet.

Nous pouvons raisonnablement dire que la publicité de l’avocat est autorisée. C’est dit ! Mais, notre retour d’expérience, notamment lors d’échanges avec des avocats lors de formation par exemple, nous montre que le sujet est encore compliqué à mettre en œuvre. Et certains avocats sont encore mal à l’aise avec l’idée même de créer un compte sur un réseau social et d’être actif sur ce réseau.

Soyons clair. Les textes de référence et notamment le Règlement Intérieur National prévoit que la publicité personnelle s’entend de toute forme de communication destinée à promouvoir les services de l’avocat (RIN, art. 10.1 N° Lexbase : L4063IP8).

Peut-on considérer que la participation d’un avocat à un réseau social constitue une forme de communication destinée à promouvoir ses services et ainsi être qualifiée de publicité ? Tout dépendra de l’objectif poursuivi par l’avocat lors de l’utilisation des réseaux sociaux. Mais à l’évidence, si la finalité d’un post diffusé sur LinkedIn ou Twitter est de faire la promotion des services de l’avocat, il s’agira de publicité.

C’est d’ailleurs le sens de la décision du CNB, au titre de laquelle, dès lors qu’un compte professionnel de l’avocat sur un réseau social ou relatif à la gestion d’un blog avait pour objet d’assurer la promotion des services de l’avocat, ce support constitue une publicité personnelle (CNB, Comm. RU, avis n° 2011-054 du 19 décembre 2011).

Quelle conséquence en pratique ? Toute publicité doit être déclarée en amont au conseil de l’Ordre. Cela signifie-t-il que vous devez déclarer tous les comptes ouverts sur les réseaux sociaux ? Non ! 

En revanche, rien n’empêche, à titre de bonne pratique, un avocat, d'informer son conseil de l’Ordre, de sa présence sur les réseaux sociaux et de l’ouverture de son compte… #excèsdezèle

Sur le sujet des réseaux sociaux, le RIN prévoit que “l’avocat participant à un blog ou à un réseau social en ligne doit respecter les principes essentiels de la profession” (art. 10.5).

Si certains ont encore des doutes, la règle est claire. L’avocat peut être présent sur les réseaux sociaux sous réserve de respecter les principes déontologiques fondamentaux. Quelques exemples : 

  • On respecte le secret professionnel : on ne dévoile pas le nom de ses clients sur les réseaux ;
  • On s’interdit des mentions dénigrantes ou comparatives : on évite les comparaisons indélicates et ainsi de se fâcher avec ses confrères ;
  • On respecte les termes de son serment : probité, notamment !

A titre d’illustration, un avis du service de la déontologie du Barreau de Paris du 31 janvier 2017 n° 28909, rappelle que :

  • La création d’une page de réseau social («Facebook») dédiée à un cabinet n’est pas en soi contraire aux principes déontologiques, sous réserve de respecter les principes déontologiques 
  • La présentation du cabinet doit refléter la réalité (par exemple, ne pas indiquer de mention de spécialisation si la spécialité n’est pas acquise)
  • La nature des publications sur la page doit être strictement professionnelle.

Sur ces sujets, si vous souhaitez en savoir plus, nous vous recommandons de consulter le Guide de l’Avocat Numérique du CNB et / ou le Vade Mecum de la déontologie du Numérique élaboré par l’Ordre des Avocats au Barreau de Paris

2. Quel type de compte ? Entreprise, individuel...

Voilà une vraie question qu’il convient de se poser avant de démarrer, et qui nécessite qu’on s’y attarde un peu. 

Avant toute chose, au-delà de la question du compte individuel / entreprise, gardez en tête une règle fondamentale : distinguez votre vie privée de votre vie professionnelle. Distinguez donc votre compte professionnel et votre compte personnel !

Et un autre conseil en passant : assurez-vous d’avoir une bonne hygiène… numérique ! Paramétrez vos comptes personnels afin que seuls vos «amis» puissent accéder à des données personnelles. Vos clients, votre employeur ou vos collaborateurs n’ont pas à disposer d’informations relevant de votre vie privée, qui pourraient être, le cas échéant, utilisées contre vous. Les contentieux prud'homaux regorgent d’exemples de ce type. Les avocats sont aussi concernés.

Plus précisément, sur Twitter, par exemple, il n’y a qu’un seul type de compte, on peut donc créer un compte au nom de son cabinet, de son entreprise, ou bien à son nom personnel en tant que personne physique. 

On peut choisir l’anonymat pour avoir la parole plus libre, ou bien communiquer sous son nom pour en faire un véritable outil de communication. 

La publication sur un compte entreprise sera peut-être plus institutionnelle. Il faudra choisir qui pourra publier sur ce compte, une seule personne qui aura donc la fonction de «Community manager» ? Les dirigeants (associés…) ? Toute l’équipe ? 

Une autre question à laquelle on pense rarement au démarrage mais qui a pourtant son importance : Dans le cas de création de comptes individuels qui est propriétaire du compte ? Que deviendra ce compte lorsque la personne quittera l’entreprise ?

Assez logiquement, un compte individuel d’un collaborateur lui «appartient». Lors de son départ du cabinet, il peut souhaiter poursuivre l’utilisation de son compte. Afin d’éviter toute mauvaise surprise, anticipez ces sujets dans une charte informatique par exemple, ou, à tout le moins, dans un document rappelant les règles aux collaborateurs ou salariés qui intègrent le cabinet. 

3. Charte éditoriale 

N’hésitez pas à écrire votre propre règle du jeu. Que vous soyez seul ou plusieurs à publier déterminez le cadre. 

Vous pouvez ainsi y inclure, par exemple, les sujets suivants : 

  • Quel type de contenu ? 
  • Quel temps on s’autorise à y passer ? 
  • Le collaborateur peut-il disposer d’un compte professionnel individuel ?
  • Quelle(s) règle(s) imposée(s) au cours de la collaboration quant au contenu diffusé ?
  • Quelle(s) règle(s) mettre en place en cas de départ ?

Déterminer ces règles au démarrage permet d’éviter toute ambiguïté. 

4. Régularité 

Soyez réguliers ! Il est plus efficace de ne poster qu’une publication par semaine, mais de le faire dans la durée, que de poster énormément pendant trois mois pour ensuite relayer son compte aux oubliettes. Nous avons tous en tête des blogs, comptes et autres qui ont ainsi connu un bon démarrage mais qui ont vite disparu. D’ailleurs conseil pratique : dans ce cas n’hésitez pas à supprimer ces comptes ou blogs, rien de pire qu’un blog dont le dernier article date de 2014.

Pour conclure, il semble assez logique que l’avocat ou le juriste au sens large puisse utiliser (pour sa veille notamment) et exploiter (pour améliorer sa réputation et faire la promotion de ses services) les réseaux sociaux, sous réserve d’identifier le support le plus adapté à sa cible et aux valeurs qu’il souhaite défendre…

...dans le respect des règles déontologiques. 

Si nous devions ne retenir qu’une seule idée : nous vous invitons à démarrer l’expérience si vous en avez l’envie par un réseau : LinkedIn. Avec celui-ci, vous ne pouvez pas vous tromper !

 

[1] L. Boursin et L. Puyfaucher, Le média humain - dangers et opportunités des réseaux sociaux pour l’entreprise, Eyrolles, 2011

[2] Groupe de travail «article 29» sur la protection des données, Avis 5/2009 sur les réseaux sociaux en ligne, disponible sur le site de la CNPD, 12 juillet 2009. 

newsid:471519

Baux commerciaux

[Brèves] Convention d’occupation précaire exclue du statut des baux commerciaux : illustration du motif de précarité

Réf. : Cass. civ. 3, 12 décembre 2019, n° 18-23.784, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1655Z8S)

Lecture: 3 min

N1603BYZ

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par Julien Prigent

Le 18 Décembre 2019

► Le projet de cession portant sur le fonds de commerce d’un locataire ou de son droit au bail n’est pas une cause objective de précarité de l’occupation des lieux faisant obstacle à la conclusion ou à l’exécution d’un bail commercial et justifiant le recours à une convention d‘occupation précaire.

Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 12 décembre 2019 (Cass. civ. 3, 12 décembre 2019, n° 18-23.784, FS-P+B+I N° Lexbase : A1655Z8S).

L’affaire. Une société avait consenti à une autre le renouvellement d’un bail commercial à effet du 1er janvier 2005. Un accord du 29 juin 2007 avait prévu la rupture anticipée du bail à effet du 31 décembre 2007 et autorisé la locataire à se maintenir dans les lieux à compter du 1er janvier 2008 pour une durée de vingt-trois mois afin de favoriser la cession, par le preneur, de son fonds de commerce ou de son droit au bail. Le 18 octobre 2010, la bailleresse a assigné en expulsion la locataire, qui, demeurée dans les lieux, avait sollicité que le bénéfice d’un bail commercial lui soit reconnu.

L’arrêt d’appel. Les juges du fond avaient accueilli la demande de la bailleresse en retenant que l’accord excluait explicitement l’application du statut des baux commerciaux et que les parties avaient entendu limiter à vingt-trois mois l’occupation des locaux dans l’attente de la cession du fonds ou du droit au bail, événement qualifié par les juges du fond de «incertain et extérieur à la volonté des parties puisqu’impliquant l’intervention d’un tiers se portant acquéreur du fonds et qui en constituait le terme dans la limite maximale fixée et le motif légitime de précarité» (CA Caen, 14 juin 2018, n° 15/02811 N° Lexbase : A0499XRW).

La décision est censurée par la Cour de cassation pour violation des articles L. 145-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L5031I3Q ; dispositions relatives au bail de courte durée exclut du statut des baux commerciaux) et de l’ancien article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L0857KZR).

La Haut cour relève :
-  d’une part, que la cour d’appel avait constaté que le projet de cession portait sur le fonds de commerce de la locataire ou son droit au bail, ce qui excluait l’existence d’une cause objective de précarité de l’occupation des lieux faisant obstacle à la conclusion ou à l’exécution d’un bail commercial et justifiant le recours à une convention d‘occupation précaire ;
- d’autre part, qu’au-delà du terme prévu à la convention qui dérogeait aux dispositions statutaires, la locataire était restée dans les lieux sans que le bailleur n’eût manifesté son opposition, ce dont il résultait qu’il s’était opéré un nouveau bail.

Observations. En d’autres termes, en l’absence de motif de précarité, caractérisé depuis la loi «Pinel» (loi n° 2014-626 du 18 juin 2018 N° Lexbase : L4967I3D), qui a repris les solutions jurisprudentielles élaborées sur ce point, par «des circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties» (C. com., art. L. 145-5-1 N° Lexbase : L4973I3L), l’occupation des locaux s’était effectuée en vertu d’un bail dérogatoire (C. com., art. L. 145-5). La bailleresse ne pouvait donc obtenir l’expulsion de la locataire restée et ayant été laissée en possession des lieux au terme de la convention, dès lors que dans ce cas, il s’opère en principe un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux dont la durée est de neuf ans (cf. l’Ouvrage «Baux commerciaux» N° Lexbase : E0794AGI).

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] Le recours inutile à la notion de non-professionnel pour sanctionner une clause abusive

Réf. : Cass. civ. 3, 7 novembre 2019, n° 18-23.259, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9982ZTU)

Lecture: 13 min

N1540BYP

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par Henri Conte, enseignant-chercheur qualifié aux fonctions de maître de conférences

Le 19 Décembre 2019

Le 23 septembre 2013, une SCI confie à un architecte, la maîtrise d’œuvre de la construction d’un bâtiment. La SCI abandonne le projet et l’architecte l’assigne, conformément aux termes du contrat, en paiement d’une somme correspondant à l’intégralité des honoraires prévus au contrat. La stipulation prévoyait, en effet, que même en cas d’abandon du projet, pour quelque raison que ce soit, les honoraires seraient dus et réglés en totalité au maître d’œuvre.

La cour d’appel de Dijon, le 26 juin 2018 [1], déclare abusive la clause en question et en prononce la nullité.

L’architecte conteste l’arrêt et forme un pourvoi devant la Cour de cassation dans un moyen composé de trois branches.

Dans les deux premières, il reproche à la cour d’appel de ne pas avoir conféré à la SCI la qualité de professionnelle.

Dans la troisième, il déplore qu’ait été annulée la clause qui ne faisait, selon lui, que sanctionner l’inexécution du contrat par le maître de l’ouvrage.

Il s’agit de savoir quelle est la qualité de la SCI car, de celle-ci, découle l’application du droit protecteur sur les clauses abusives. Il est, cependant, possible de se demander si la simple application du droit commun ne suffit pas à offrir la même protection au commanditaire.

La Cour de cassation ne sera pas attentive aux arguments développés par l’architecte. Dans un raisonnement en trois temps, elle confirme la différence entre les «professionnels de l’immobilier» et les «professionnels de la construction». La SCI étant un professionnel de l’immobilier, elle opérait, donc, en qualité de non-professionnel et pouvait, ainsi, se prévaloir des dispositions protectrices de l’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation [2].

Dans le troisième temps et après analyse de la clause litigieuse en question, la troisième chambre civile confirme l’appréciation des juges du fond quant au caractère abusif de celle-ci. La clause garantit à l’architecte le paiement des honoraires par la SCI par le seul fait de l’inexécution de son obligation sans considération de la réalité et de l’importance du travail fourni par le maître d’œuvre. La clause est donc bien dépourvue de contrepartie réelle.

Il paraît donc nécessaire de revenir sur la qualification de la SCI en non-professionnel (I) et sur la substance de la clause déclarée nulle (II).

I - Un professionnel de l’immobilier non-professionnel

Ce n’est pas la première fois que la qualification de non-professionnel pose des interrogations sources de doutes dans l’application de la législation adéquate (A). Malgré cela, la troisième chambre civile persévère dans sa volonté de distinguer les professionnels qui agissent dans un cadre étranger à leurs compétences des autres qui exécutent leur contrat dans un rapport direct avec ces dernières (B).

A - La créature du doute

Le non-professionnel est bien «une créature de compromis» [3] car elle permet d’apporter une certaine souplesse en faisant exception au droit commun lorsqu’une personne morale agit dans le cadre de son activité commerciale mais dans un domaine de compétence qui lui est étranger. C’est du moins l’apport de cet arrêt du 7 novembre 2019 [4] de la troisième chambre civile qui reçoit les honneurs de la Cour de cassation (P-B-R-I) en demeurant, toutefois, une confirmation jurisprudentielle d’un arrêt de la même chambre, du 4 février 2016 [5].

Le non-professionnel est une créature extraordinaire, dans la mesure où elle est inconnue des autres systèmes européens. Introduite en France dans l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 (N° Lexbase : L4196ITL[6], il faut attendre la loi du 21 février 2017 [7] pour imposer une définition légale. Est non-professionnel, toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles. La jurisprudence de l’Union européenne se contente, elle, d’appliquer les dispositions protectrices du Code de la consommation aux seules personnes physiques [8]. Il faut toutefois préciser d’emblée que l’article liminaire du Code de la consommation qui définit le consommateur, le non-professionnel et le professionnel n’était pas applicable ici sans enfreindre le principe de non-rétroactivité des lois. A notre sens, la deuxième branche du moyen était inopérante car elle se rapportait justement à l’article liminaire du Code de la consommation.

Le non-professionnel est une créature ambiguë dont les contours sont flous. La jurisprudence a pu décider qu’un comité d’entreprise contractant avec une agence de voyage en qualité de mandataire de ses membres [9], qu’un syndicat de copropriétaires [10] ou une société civile immobilière [11] étaient des non-professionnels. La qualification dépend du critère retenu : celui du rapport direct avec l’objet social de la personne morale ou celui de la compétence [12].

Mais le plus souvent, la qualification est une variable d’ajustement permettant d’appliquer à la créature la législation particulière du droit de la consommation.

B - La mise en avant du critère de compétence

Afin de conférer à la SCI la qualité de non-professionnel, la Cour de cassation a d’abord, paradoxalement, confirmé la reconnaissance de sa qualité de professionnel… de l’immobilier. Le paradoxe n’est donc qu’apparent mais mérite des explications.

Une SCI confie à un architecte une maitrise d’œuvre. Si cette première est une personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, alors elle se verra conférer la qualité de professionnel. En l’espèce, il s’agit bien d’une personne morale qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale. Il s’agit bien d’un professionnel mais, comme la SCI agissait à l’occasion d’un contrat de maîtrise d’œuvre faisant appel à des connaissances et compétences techniques spécifiques qu’elle n’avait pas, la cour d’appel a refusé de lui conférer la qualité de professionnel de la construction. La Cour de cassation confirme, de nouveau, la distinction entre professionnel de l’immobilier et professionnel de la construction [13]. La SCI est donc bien un professionnel mais un professionnel de l’immobilier dont les compétences ne lui permettaient pas de cerner les enjeux, en matière de construction, d’une telle entreprise.

Les conséquences sont importantes car la SCI pourra bénéficier de la législation protectrice du droit de la consommation concernant les clauses abusives [14].

Cette décision est perturbante pour au moins deux raisons. La première est que, si le critère de la compétence nous paraît assez légitime, il semble ici en inadéquation avec la solution proposée.

En effet, la législation sur les clauses abusives est née de la constatation d’un déséquilibre intrinsèque entre deux parties. L’une est réputée plus faible et se voit donc octroyée une protection supplémentaire. Ainsi, toute clause ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est abusive. Ici, l’abandon du projet, par la SCI, a pour effet l’application d’une clause en faveur du maître d’œuvre visant à faire payer, à cette première, l’intégralité des honoraires du contrat. On peut penser que la distinction opérée entre professionnel de l’immobilier ou de la construction, en faveur du principe du compétence, a finalement peu de rapport avec les qualifications nécessaires propres à apprécier la portée de la clause en question [15]. En effet, qu’il s’agisse ici d’un professionnel de l’immobilier ou d’un professionnel de la construction, il était seulement question de l’application d’une clause visant à faire peser, sur les épaules de l’autre, les conséquences de son inexécution. Il n’était donc ici question ni d’immobilier ni de construction. On peut donc remettre en cause la pertinence de la protection supplémentaire accordée à la SCI. On pourra nous reprocher une approche quelque peu téléologique de l’application de la législation consumériste. Il faudrait partir de la qualification pour parvenir à déterminer le régime applicable. Ce serait, toutefois, oublier que toute la législation consumériste a une visée téléologique. La troisième chambre civile, en qualifiant la SCI de non-professionnelle, fait de même. Elle ne lui confère cette qualité que pour lui faire bénéficier de l’article L. 132-1 ancien du Code de la consommation.

Etait-il pour autant nécessaire d’appliquer le droit de la consommation pour rééquilibrer les relations entre les deux parties ? Il semble que la clause litigieuse étant une clause pénale [16], le droit commun conférait une protection suffisante aux deux parties. En application de l’article 1152 ancien du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ), le juge aurait pu, même d'office, modérer la peine qui avait été convenue, si elle était considérée manifestement excessive [17]. Une telle modération paraissait suffisante en l’espèce.

La deuxième raison est que la décision est à contre-courant de la législation actuelle si bien qu’il eût été, sans doute, plus logique d’opérer un revirement de jurisprudence. En effet, c’est le critère du rapport direct plus que celui de la compétence, qui a obtenu les faveurs du législateur de 2017. La SCI qui agit à des fins professionnelles ne pourra plus se voir conférer la qualité de non-professionnel au regard de l’article liminaire du Code de la consommation. Cette jurisprudence de la troisième chambre civile semble donc être condamnée.

II - Une clause privée de contrepartie réelle 

Le véritable enjeu de l’arrêt réside dans l’application du droit de la consommation qui permet le prononcé de la nullité de la clause sur le fondement du déséquilibre significatif (A) et de s’interroger sur la nature de la contrepartie (B).

A - L’absence de référence explicite au déséquilibre significatif

L’architecte et la SCI ont stipulé une clause permettant au maître d’œuvre de se voir régler la totalité des honoraires en cas d’abandon du projet. Il s’agit ici d’une clause pénale c’est-à-dire une clause «par laquelle un contractant s’engage, en cas d’inexécution de son obligation principale, […] à verser à l’autre à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire  -en général très supérieure au montant réel subi par le créancier-» [18]. En effet, en l’absence de cette clause, l’action intentée par l’architecte ne lui aurait sans doute pas permis d’obtenir la totalité de ses honoraires car ces derniers ne correspondent pas au préjudice réellement subi par lui. La stipulation d’une telle clause n’est pas illicite en soit si elle est compensée par une contrepartie suffisante. Là encore, on peut douter de l’utilité d’utiliser le droit de la consommation pour sanctionner une telle clause. Il est possible entre deux professionnels également, de sanctionner les clauses sans contrepartie réelle. L’arrêt dit «Faurecia II» du 29 juin 2010, tout en étant une atténuation de la jurisprudence antérieure sur la sanction des clauses relatives à la responsabilité, prévoit tout de même que «seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l'engagement souscrite par le débiteur» [19]. Cet arrêt est surtout important en ce qu’il valide une clause limitative de responsabilité en présence d’une contrepartie suffisante. Les juges du fond ont dû analyser si la stipulation a été compensée par d’autres avantages pour le cocontractant. Il est vrai que cette jurisprudence ne se rapporte qu’aux clauses limitatives de responsabilité et pas spécifiquement aux clauses pénales mais le raisonnement reste valable dans cette espèce et on pouvait imaginer son application ici. Cela est d’autant plus vrai que le nouvel article 1170 du Code civil (N° Lexbase : L0876KZH[20], qui reprend la jurisprudence dite «Faurecia II», vise désormais «toute clause» [21].

Appliquée aux faits de l’espèce, les juges auraient pu considérer que la clause pénale, étant dépourvue de toute contrepartie réelle, privait de sa substance l’obligation essentielle du débiteur et qu’elle devait être réputée non écrite.

Ce n’est pas le choix qui a été fait par la troisième chambre civile et l’application du droit de la consommation permet ici un résultat tout aussi efficace.

Il était toutefois important de noter, dans la perspective de l’application du droit nouveau, que lorsque le critère de la compétence sera définitivement abandonné, les avocats ne seront pas pour autant désarmés. Ils pourront utiliser le droit commun pour parvenir à un résultat similaire.

L’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation prévoit que : «Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat». Or ici, la Cour de cassation reprend, dans son attendu, l’arrêt de la cour d’appel qui ne caractérise pas le déséquilibre significatif mais se focalise sur l’absence de contrepartie. Le même raisonnement était tenu dans l’arrêt du 4 février 2016 [22] et un auteur avait justement fait remarquer qu’il mêlait «l’appréciation du caractère abusif d’une clause et le contrôle de sa contradiction avec la portée de l’obligation essentielle» [23]. Ce n’est pas la première fois que la jurisprudence reconnaît qu’une clause pénale peut être abusive [24] mais sans doute eût-il été judicieux d’expliquer en quoi elle engendrait un déséquilibre significatif dans la relation contractuelle au détriment du non-professionnel.

B - L’avenir incertain des clauses pénales en droit de la consommation

La clause pénale a pour objet de prévoir une sanction à l’inexécution d’un contrat pour inciter le débiteur à remplir ses obligations. Elle diffère en cela de la clause limitative de responsabilité qui s’applique plus simplement en cas d’incurie d’un contractant. On conçoit, donc, tout à fait, que dans ce dernier cas, l’existence d’une contrepartie soit essentielle. Lorsque l’on s’engage à faire quelque chose et qu’on le fait mal, on ne peut pas s’en tirer à bon compte sans avoir prévu, en échange, des compensations avec son partenaire économique. Dans la clause pénale, cela est moins évident car la «faute» provient de celui qui entend rendre nulle la clause en question. Par ailleurs, la clause pénale est bien différente de la clause limitative de responsabilité car elle est, a priori, déconnectée du contenu contractuel. On peut, donc, se demander quelle devrait être la contrepartie à accorder, à son partenaire, dans le cas d’une clause pénale.

Le caractère comminatoire de la clause pénale semble, donc, finalement séparé de l’appréciation de l’équilibre significatif des prestations. Elle joue comme une sanction et une incitation et ne devrait peut-être pas être analysée en termes de contrepartie.

 

[1] CA Dijon, 26 juin 2018, n° 16/01677 (N° Lexbase : A3433XYS).

[2] Aujourd’hui, l’article L. 212-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L3278K9B).

[3] G. Loiseau, A la rencontre du non-professionnel, D., 2016, p. 1844.

[4] Cass. civ. 3, 7 novembre 2019, n° 18-23.259, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9982ZTU).

[5] Cass. civ. 3, 4 février 2016, n° 14-29.347, FS-P+B (N° Lexbase : A3083PKE), D., 2016, p. 639, note. Claire-Marie Péglion-Zika ; RCU, n° 3, 2016, p. 44, note C. Sizaire - V. aussi, Cass. civ. 3, 17 octobre 2019, n° 18-18.469, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9318ZRK), CCC, n° 12, décembre 2019, comm. 207, S. Bernheim-Desvaux ; D., 2019. p. 2331, note S. Tisseyre ; Lexbase éd. aff., n°613, 14 novembre 2019, note F. Julienne.

[6] L’article 35 de la loi disposait : «Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels, ou consommateurs, peuvent être interdites, limitées ou réglementées, par des décrets en Conseil d'Etat pris après avis de la commission instituée par l'article 36, en distinguant éventuellement selon la nature des biens et des services concernés, les clauses relatives au caractère déterminé ou déterminable du prix ainsi qu'à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la charge des risques, à l'étendue des responsabilités et garanties, aux conditions d'exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions, lorsque de telles clauses apparaissent imposées aux non professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif  […]».

[7]Loi n° 2017-203 du 21 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d'habitation et simplifiant le dispositif de mise en œuvre des obligations en matière de conformité et de sécurité des produits et services (N° Lexbase : L9754LCA).

[8] V. CJCE, 22 novembre 2001, JCP, 2002, II, 10047, note G Paisant ; RTDCiv., 2002, p. 291, obs. J. Mestre et B. Fages.

[9] CA Paris, 21 novembre 1996, D., aff., 1997, p. 147, RJDA, 1997, n° 432 ; Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 15-17.369, FS-P+B (N° Lexbase : A5496RTQ), RDC, 2017, p. 109, note N. Sauphanor-Brouillaud ; Cass. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 16-20.748, F-P+B N° Lexbase : A8366WLG), D., 2017, p. 1468, note. Y.-P. Picod.

[10] Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, n° 14-20.760, F-P+B+I (N° Lexbase : A7762NXR).

[11] Cass. civ. 3, 4 février 2016, op. cit..

[12] V. Sur la distinction, J. Julien, Droit de la consommation, LGDJ-Lextenso, 3e éd. 2019, p. 50 et s..

[13] Cass. civ. 3, 4 février 2016, op. cit..

[14] C. consom., art. L. 132-1 ancien. Il s’agit aujourd’hui de l’article L. 212-1 du même code (N° Lexbase : L3278K9B).

[15] Pour un point de vue similaire, S. Bernheim-Desvaux, précision sur les critères permettant de qualifier une SCI de «non-professionnel», CCC, n° 12, décembre 2019, comm., p. 207.

[16] V. Infra.

[17] V. not., Cass. com., 11 février 1997, n° 95-10.851 (N° Lexbase : A1713ACG), D., 1997. 71 ; RTDCiv., 1997. 654, obs. J. Mestre ; Defrénois, 1997. 740, obs. Ph. Delebecque ; Cass. civ. 1, 19 mars 1980, n° 78-13.151 (N° Lexbase : A1161CIT) ; Cass. civ. 1, 24 juillet 1978, n° 77-11.170 (N° Lexbase : A0055AYP) ; Cass. com., 11 février 1997.

[18] H. Capitant, Vocabulaire juridique, coll. Quadrige, 12e éd., 2018.

[19] Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11.841, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5360E3W), RTDCiv., 2010, p. 555, obs. B. Fages ; JCP, 2010, éd. E, 1790, note Ph. Stoffel-Munck ; JCP, 2010, éd. G, 787, note D. Houtcieff.

[20] L'article 1170 dispose que : «toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite».

[21] Ibid..

[22] Op. cit..

[23] C-M. Peglion-Zika, Clauses abusives dans le Code de la consommation : un professionnel peut s’en prévaloir !, D., 2016, p. 639.

[24] CA Paris, 20 septembre 1991, D., 1992. Somm. 268, obs. J. Kullmann.

newsid:471540

Contrat de travail

[Brèves] Une réorganisation sans réduction d'effectifs constitue une mesure collective d’organisation courante

Réf. : Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-13.599, FS-P+B (N° Lexbase : A1557Z88)

Lecture: 2 min

N1638BYC

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par Charlotte Moronval

Le 18 Décembre 2019

► Constitue une mesure collective d'organisation courante au sens de l'article L. 2242-21 du Code du travail (N° Lexbase : L0635IXS), dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 (N° Lexbase : L0394IXU), la mobilité individuelle du salarié envisagée dans le cadre d'une réorganisation de la direction centrale commerciale ne s'accompagnant pas d'une réduction d'effectifs.

Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 décembre 2019 (Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-13.599, FS-P+B N° Lexbase : A1557Z88).

Dans les faits. Un salarié occupait en dernier lieu un poste de délégué régional animation et développement au sein de la direction centrale commerciale, à la direction régionale de Lyon. Un projet de réorganisation de la direction centrale commerciale, impliquant la non-reconduction de 83,60 postes sur 803,49 et la création de 48,6 postes a été soumis au comité central d'entreprise de l’UES. Durant la procédure d'information-consultation, a été promulguée la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi, instituant notamment la possibilité de négociation portant sur les conditions de mobilité interne à l'entreprise dans le cadre de mesures collectives d'organisation courantes sans projet de réduction d'effectifs. Après un avis favorable du comité central d'entreprise, a été conclu un accord relatif à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et à la formation professionnelle, dont l'article 7.1.9 contient des dispositions relatives à la mobilité interne résultant de mesures collectives d'organisation courantes sans projet de réduction d'effectifs. Se prévalant de ces dispositions, la société a proposé au salarié, une affectation sur le poste de délégué développement agents, sur le site de Clichy, rattaché à la direction régionale Île-de-France-Centre-Normandie, que l'intéressé a refusée. La société a alors transmis au salarié trois offres de postes de reclassement, qu'il a déclinées. La société lui a donc notifié son licenciement pour motif économique.

La position de la cour d’appel. La cour d’appel (CA Lyon, 12 janvier 2018, n° 16/02129 N° Lexbase : A2333XAN) déboute le salarié de sa demande de condamnation de la société au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il forme un pourvoi en cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation rejette le pourvoi, la cour d’appel ayant exactement déduit que la réorganisation constituait une mesure collective d'organisation courante (sur Le changement du lieu de travail en application de la mobilité interne, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E3926EY3).

newsid:471638

Droit des étrangers

[Brèves] Absence d'assistance de l'avocat dans les procédures de refus d'entrée en France et de maintien en zone d'attente : conformité à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-818 QPC, du 6 décembre 2019 (N° Lexbase : A9881Z4Q)

Lecture: 2 min

N1500BY9

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par Marie Le Guerroué

Le 23 Décembre 2019

► L'absence d'assistance de l'étranger par un avocat lors des auditions conduites à l'occasion de son entrée en France ou lors de son maintien en zone d'attente ne méconnaît pas la Constitution.

Telle est la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 6 décembre 2019 (Cons. const., décision n° 2019-818 QPC, du 6 décembre 2019 N° Lexbase : A9881Z4Q).

QPC. Selon la requérante, faute de prévoir que l'étranger peut exiger d'être assisté d'un avocat lorsqu'il est entendu par l'administration avant qu'un refus d'entrée en France lui soit opposé ou pendant son maintien en zone d'attente, les dispositions de l'article L. 213-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1937LMP) dans sa rédaction résultant de la loi du 10 septembre 2018 (N° Lexbase : L9696LLP) et de l'article L. 221-4 (N° Lexbase : L2586KD7) du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 29 juillet 2015 (N° Lexbase : L9673KCA) méconnaîtraient les droits de la défense ainsi que les exigences résultant des articles 7 (N° Lexbase : L1371A9N), 9 (N° Lexbase : L1373A9Q) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M). La question prioritaire de constitutionnalité portait donc sur les mots «ou le conseil de son choix» figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 213-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et «un conseil ou» figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 221-4 du même code.

Décision. La Conseil énonce que, d'une part, les auditions effectuées dans le cadre de l'instruction administrative des décisions de refus d'entrée en France ou organisées pendant le maintien de l'étranger en zone d'attente n'ont pour objet que de permettre de vérifier que l'étranger satisfait aux conditions d'entrée en France et d'organiser à défaut son départ. Elles ne relèvent donc pas d'une procédure de recherche d'auteurs d'infractions. D'autre part, il énonce que la décision de refus d'entrée, celle de maintien en zone d'attente et celles relatives à l'organisation de son départ ne constituent pas des sanctions ayant le caractère de punition mais des mesures de police administrative. Dès lors, la circonstance que les auditions mentionnées ci-dessus puissent se dérouler sans l'assistance d'un avocat ne peut être contestée sur le fondement des articles 7, 9 et 16 de la Déclaration de 1789. Il ajoute, enfin, que l'étranger peut être assisté d'un avocat dans le cadre des instances juridictionnelles relatives à de telles mesures.

newsid:471500

Droit du sport

[Brèves] Possibilité donnée aux fédérations sportives de fixer un «salary cap» : non-renvoi de la QPC

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 11 décembre 2019, n° 434826, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7854Z7Z)

Lecture: 3 min

N1585BYD

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par Yann Le Foll

Le 18 Décembre 2019

Les dispositions du Code du sport qui permettent aux fédérations sportives de fixer un plafond des rémunérations versées aux sportifs ne sont pas contraires à la Constitution.

Telle est la solution d’un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 11 décembre 2019 (CE 2° et 7° ch.-r., 11 décembre 2019, n° 434826, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7854Z7Z).

Faits. L’article L. 131-16 du Code du sport (N° Lexbase : L1545LDL) permet aux fédérations de fixer des conditions à la participation aux compétitions qu’elles organisent. Il prévoit, à ce titre, la possibilité pour les fédérations de déterminer le montant maximal des rémunérations versées aux sportifs par chaque société ou association sportive (dispositif dit «salary cap»).

La société Montpellier Hérault Rugby Club soutenait que le principe d’un tel plafonnement des rémunérations méconnaissait la liberté d’entreprendre, la liberté d’association et la liberté contractuelle.

Contexte. Le Conseil d’Etat rappelle la possibilité pour le législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle des limitations justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Rappelons que le Conseil d'Etat a toujours accepté des limites à l'exercice de la liberté de l'industrie et du commerce. Tel est classiquement le cas lorsqu'elles sont justifiées par la loi elle-même (CE, Sect., 23 octobre 1981, n° 23994, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5417AKT), par l'ordre public (CE 2° et 7° s-s-r., 15 mai 2009, n° 311082, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9622EGH), par "un intérêt public" associé à des raisons de circonstances particulières de temps et de lieu (CE, 30 mai 1930, n° 06781 N° Lexbase : A0744B9G) (lire, Quelles interactions entre libertés économiques et droits de l'Homme au sein des systèmes juridiques ? - Questions à Véronique Champeil-Desplats, Professeure à l'Université de Paris Ouest-Nanterre, Lexbase, éd. pub., n° 337, 2014 N° Lexbase : N2697BUG).

Solution. La Haute juridiction relève que ces dispositions visent à garantir l’équité sportive des championnats, la stabilité et la bonne situation financières des sociétés ou associations sportives, et poursuivent donc un objectif d’intérêt général. Elle estime, ensuite, que la possibilité de fixer un salary cap ne porte pas d’atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle ni à la liberté d’entreprendre, et qu’il appartiendra au juge administratif de contrôler la mise en œuvre effective par les fédérations d’un tel plafonnement, et notamment le niveau du plafond retenu.

Le Conseil d’Etat, estimant dans ces conditions que la question de la constitutionnalité de l’article L. 131-16 du Code du sport ne revêtait pas un caractère sérieux, a décidé qu’il n’y avait pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

newsid:471585

Licenciement

[Brèves] Point de départ du délai durant le lequel le salarié dispose d’une priorité de réembauche en cas de congé de reclassement

Réf. : Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-18.653, F-P+B (N° Lexbase : A1614Z8B)

Lecture: 2 min

N1608BY9

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par Charlotte Moronval

Le 18 Décembre 2019

► Il résulte de l'article L. 1233-45 du Code du travail (N° Lexbase : L5792I3W), dans sa version issue de l’ordonnance n° 2014-699 du 26 juin 2014 (N° Lexbase : L5689I34), que le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai, ce délai courant à compter de la date à laquelle prend fin le préavis, qu'il soit exécuté ou non, et pouvant être prolongé lorsque le congé de reclassement est pris pendant le préavis, que le salarié est dispensé d'exécuter, dans la mesure où la durée du congé de reclassement qui excède la durée du préavis entraîne le report du terme de ce dernier jusqu'à la fin du congé de reclassement.

Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 décembre 2019 (Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-11.989, F-P+B N° Lexbase : A2889Z77).

Dans les faits. Un salarié, licencié pour motif économique dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, bénéficie d'un congé de reclassement d'une durée de douze mois et retrouve un emploi.

La position de la cour d’appel. La cour d’appel (CA Douai, 30 mars 2018, n° 16/03993 N° Lexbase : A6698XYQ) condamne l’employeur au paiement de dommages-intérêts pour non-respect de la priorité de réembauche, retenant que, du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, privant de cause le congé de reclassement, le délai d'exercice d'un an de la priorité de réembauche a commencé à courir à partir de la fin du préavis.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel. En statuant comme elle l'a fait, alors qu'il résultait de ses constatations que la date de rupture du contrat de travail devait être fixée au 1er mars 2016, date du terme effectif du congé de reclassement, peu important que le licenciement ait été jugé sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des éléments antérieurs à la date de rupture dudit contrat, a violé l’article L. 1233-45 du Code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2014-699 du 26 juin 2014, et l'article L. 1233-72 du même code (sur La demande visant à bénéficier de la priorité de réembauche, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E9366ESP).

newsid:471608

Marchés publics

[Conclusions] Modalités de fixation des pénalités de retard par le maître d’ouvrage établissant les décomptes des membres du groupement d’entreprises

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 2 décembre 2019, n° 422615, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6405Z4Y)

Lecture: 23 min

N1596BYR

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par Gilles Pellissier, rapporteur public au Conseil d'Etat

Le 18 Décembre 2019

Dans un arrêt rendu le 2 décembre 2019, le Conseil d’Etat a précisé les modalités de fixation des pénalités de retard par le maître d’ouvrage établissant les décomptes des membres du groupement d’entreprises. Lexbase Hebdo – édition publique vous propose de découvrir les conclusions de Gilles Pellissier, rapporteur public sur cette affaire.

L'affaire qui vient d'être appelée vous conduira à trancher une question d'une grande importance pratique dans le règlement des marchés publics, dont le caractère inédit montre que les dispositions dont vous devez déterminer la portée, qui sont appliquées dans la plupart des marchés, le sont de manière consensuelle.

Ces dispositions sont celles de l'article 20.7 du Cahier des clauses administratives générales (CCAG) Travaux dans sa rédaction de 1976, applicable au litige, qui figurent aujourd'hui pratiquement inchangées à l'article 20.6 dans la version de ce cahier de 2009. Elles prévoient que «Dans le cas d'entrepreneurs groupés pour lesquels le paiement est effectué à des comptes séparés, les pénalités et les primes sont réparties entre les cotraitants conformément aux indications données par le mandataire, sauf stipulations différentes du cahier des clauses administratives particulières. Dans l'attente de ces indications les primes ne sont pas payées et les pénalités sont retenues en totalité au mandataire, sans que cette opération engage la responsabilité du maître de l'ouvrage à l'égard des autres entrepreneurs». La question que pose le principal moyen du pourvoi est celle de savoir si le maître de l’ouvrage est tenu, lorsqu'il établit les décomptes de chacun des membres du groupement, de fixer les pénalités conformément à la répartition que lui a indiquée le mandataire ou s’il dispose d’un pouvoir d’appréciation dont l’exercice est susceptible d’engager sa responsabilité envers les membres du groupement.

           

La cour administrative d'appel de Bordeaux a estimé qu’il était tenu par les indications données par le mandataire. Elle était saisie d'un litige relatif au règlement d'un marché passé fin 2006 pour le compte de la région Midi-Pyrénées ayant pour objet la réalisation du lot n° 2, clos et couvert, de la construction d'un lycée. Le titulaire était un groupement d'entreprises conjoint composé de sept sociétés, dont la société Serin constructions métalliques, aux droits de laquelle est venue la société Giraud-Serin, qui avait en charge la réalisation de la charpente métallique et des planchers, la société Thomas et Danizan (SNTD) étant le mandataire commun. Les travaux ont été réceptionnés avec une date d'effet au 5 janvier 2009, avec un retard sur les délais contractuels qui a été fixé à 129 jours.

Le litige porte sur la répartition des pénalités de retard, contractuellement fixées à 1/1000ème du montant global TTC du marché par jour de retard et qui s'élèvent donc à un montant global de près de 6 millions d'euros. Il s'est noué avant même la réception, lorsque la COGEMIP, mandataire du maître de l’ouvrage, a entendu arrêter des pénalités provisoires. Le mandataire commun du groupement proposant de mettre près de 70 % de ces pénalités à la charge de la société Metalsigma et le reste à celle de la société Serin, la première a obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse une expertise pour déterminer la répartition des pénalités provisoires au sein du groupement. La répartition proposée par l'expert a été reprise par la société SNTD dans la proposition de répartition qu'elle a fini par faire, après plusieurs relances, au mandataire du maître de l’ouvrage afin qu'il puisse établir le décompte général du marché et qui s'établissait comme suit : 78,30 % pour la société Serin, 13 % pour la société Metalsigma et 8,7 % pour la société Thomas et Danizan. La COGEMIP a repris cette répartition dans le décompte général qu'elle a notifié au mandataire du groupement. La société Serin, qui se voyait rendue débitrice d'une somme d'un peu plus de 4,3 millions d'euros, a refusé de signer ce décompte et transmis au maître de l’ouvrage une réclamation tendant au paiement d'une somme d'un peu plus de 1,2 millions d'euros, qui est demeurée sans réponse. Elle a alors saisi le tribunal administratif de Toulouse de conclusions aux fins de condamnation de la région à lui verser cette somme, à laquelle il a fait droit. Saisie par la région, la cour administrative d'appel de Bordeaux a profondément réformé le jugement et condamné la société Serin à verser à la région une somme presque égale à celle que le décompte général avait mis à sa charge.

La société Serin vous demande d'annuler cet arrêt et de surseoir à son exécution.

Le premier moyen soutient que la cour a commis une erreur de droit en tirant des stipulations précitées du CCAG une règle générale selon laquelle "s’il appartient au mandataire d’un groupement conjoint non-solidaire d’entreprises d’indiquer au maître d’oeuvre la répartition des pénalités entre les entreprises membres du groupement, la fixation des pénalités est intégrée au décompte et relève du maître de l’ouvrage qui se trouve toutefois lié par la clé de répartition des pénalités qui lui est indiquée par le mandataire du groupement" et en en déduisant que la société Serin ne pouvait "utilement contester dans le cadre du présent litige, le taux de 78,3 % d’imputabilité des pénalités à l’intérieur du groupement d’entreprises conjointes, qui a été retenu par la région".

           

Les stipulations du CCAG dont il s'agit de déterminer la portée, dont la lettre est par elle-même assez claire, s'inscrivent dans le cadre plus général des missions du mandataire du groupement conjoint et de ses rapports avec le maître de l’ouvrage.

Rappelons-en brièvement les éléments essentiels.

Un groupement conjoint d'entreprises est une modalité d'attribution d'un marché public à plusieurs entreprises. Dépourvu de personnalité juridique, ce groupement n'a pour objet que l'exécution des prestations qui font l'objet du marché. Il peut être conjoint ou solidaire, chacun des membres du groupement étant, dans ce dernier cas, engagé financièrement pour la totalité du marché (CCP, art R. 2142-19 N° Lexbase : L3967LRD).

Les stipulations qu'il s'agit d'interpréter ne concernent que les groupements conjoints. Le CCAG rappelle que dans ces groupements chaque entrepreneur n'est engagé que pour le ou les lots qui lui sont assignés et est payé directement par le maître de l’ouvrage sur un compte séparé. Le décompte général du marché attribué à un groupement conjoint d'entreprises, établi par le maître de l’ouvrage, doit donc distinguer les comptes de chaque membre du groupement (art 13.51), en indiquant les sommes auxquelles il a droit au titre des prestations qu'il a effectuées et les pénalités de retard qui lui sont infligées.

L'intérêt pour le maître de l’ouvrage d'avoir attribué le marché à un groupement conjoint plutôt que d'avoir conclu autant de marchés que ce groupement comporte de membres est d'avoir un interlocuteur unique, le mandataire du groupement. Sa mission est décrite à l'article 2.31 du CCAG de 1976 (que l'on retrouve en substance à l'article 3.5.1 dans la version 2009) : "l'un d'entre eux, désigné dans l'acte d'engagement comme mandataire, est solidaire de chacun des autres dans les obligations contractuelles de celui-ci à l'égard du maître de l'ouvrage jusqu'à la date, définie au 1 de l'article 44, à laquelle ces obligations prennent fin. Le mandataire représente, jusqu'à la date ci-dessus, l'ensemble des entrepreneurs conjoints, vis-à-vis du maître de l'ouvrage, de la personne responsable du marché et du maître d'oeuvre, pour l'exécution du marché. Il assure, sous sa responsabilité, la coordination de ces entrepreneurs en assumant les tâches d'ordonnancement et de pilotage des travaux". C'est ainsi notamment le mandataire du groupement qui reçoit les ordres de service (art 2.54, version 1976) et les convocations aux rendez-vous de chantier (art 2.7), qui est le garant du respect par les entrepreneurs de leurs différentes obligations (par ex, en matière de conditions de travail : art 9.2), qui est seul habilité à présenter les projets de décompte et à accepter le décompte général ou à présenter des réclamations (art 13.52) et qui les représente dans la procédure de règlement amiable des différends (art 50.5).

Les obligations que l'article 20.7 met à la charge du mandataire ne sont qu'une déclinaison de son rôle de représentant unique des entrepreneurs groupés vis à vis du maître de l’ouvrage. Or ce rôle d'interlocuteur unique a précisément pour fonction de dispenser le maître de l’ouvrage de s'immiscer dans les rapports entre les membres du groupement.

Cela ressort d'abord de la lettre même de ces stipulations qui prévoient que le maître de l’ouvrage fixe ces pénalités "conformément aux indications données par le mandataire". Contrairement à ce que soutient la société requérante, le terme "indications" ne signifie pas qu'il ne s'agirait que d'une proposition faite au maître de l’ouvrage. Ce qui détermine ici la portée de ces indications sur le maître de l'ouvrage est le mot "conformément" et l'indicatif du verbe, qui nous semblent signifier assez clairement que le maître de l’ouvrage doit s'en tenir à ce qui lui est indiqué.

Cela ressort ensuite des obligations respectives du maître de l'ouvrage et du mandataire dans la fixation des pénalités, que vous avez eu l'occasion de rappeler à deux reprises dans l'hypothèse différente de la nôtre de la carence du mandataire à indiquer leur répartition. Vous avez jugé que "s'il incombe au maître de l'ouvrage de liquider le montant global des pénalités de retard dues par l'ensemble des entreprises, il appartient au seul mandataire commun de celles-ci de répartir entre elles ces pénalités, et qu'en cas d'inaction du mandataire commun, le maître de l'ouvrage est tenu d'imputer la totalité des pénalités sur le décompte général et définitif du marché de ce mandataire" (CE, 28 novembre 1986, n° 60522 N° Lexbase : A7179AMT ; CE, 17 mars 1999, n° 165595 N° Lexbase : A4600AXN, au Recueil).  

Bien que ces motifs ne se prononcent pas explicitement sur un éventuel pouvoir d'appréciation du maître de l’ouvrage dans la répartition des pénalités entre les membres du groupement, ils précisent tout de même qu'il "appartient au seul mandataire commun" de répartir les pénalités, ce qui nous semble exclure nécessairement que le maître de l’ouvrage puisse intervenir dans cette répartition.

Tant la lettre et l'esprit des stipulations du CCAG que votre jurisprudence nous semblent donc conduire à écarter l'argumentation de la société requérante selon laquelle la compétence du maître de l’ouvrage pour établir le décompte général du marché, lequel doit être décomposé en autant de comptes qu'il y a de membres du groupement, implique qu'il détermine lui-même non seulement le montant global des pénalités mais leur répartition entre les membres du groupement. S'il est vrai, particulièrement en présence d'un groupement conjoint, que les membres du groupement ne sauraient être engagés au-delà de leur part dans l'exécution du marché, cela n'implique pas, dans leurs relations avec le maître de l’ouvrage, que celui-ci détermine lui-même les pénalités qui peuvent être mises à leur charge, car, précisément, les stipulations contractuelles qu'il s'agit d'interpréter, et que les membres du groupement ont accepté, fait intervenir le mandataire dans le processus d'imputabilité des pénalités aux membres du groupement, qui n'incombe pas seulement au maître de l'ouvrage : celui-ci les arrête pour le groupement et le mandataire les répartit entre ses membres. Le maître de l’ouvrage ne fait que transcrire l'indication que lui a donnée le mandataire dans la présentation du décompte en comptes séparés. Que cela puisse aboutir à ce que les pénalités soient mises à la charge d'une entreprise qui n'est pas responsable des retards est possible, mais c'est l'effet de cette clause contractuelle, et vous l'avez admis en jugeant qu'en cas de carence du mandataire à indiquer la répartition, elles devaient lui être imputées. Cela signifie bien que le maître de l’ouvrage n'est pas tenu de n'imputer les pénalités qu'aux entreprises responsables des retards.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la requérante, cette répartition des rôles ne prive ni le maître de l’ouvrage ni le juge de leur faculté de moduler les pénalités, faculté qui s'exerce sur le montant global dû par le groupement.

Impliquer le maître de l’ouvrage dans la répartition des pénalités représenterait une charge qu'il a précisément entendu ne pas exercer en passant le marché avec un groupement conjoint, sans déroger, comme les parties peuvent le faire, à cette stipulation générale du CCAG. Il n'aurait d'ailleurs pas toujours les moyens de vérifier l'exactitude des indications que lui fournit le mandataire, car la clé de répartition des pénalités entre les membres d'un groupement n'est pas nécessairement liée aux retards effectivement pris par chacun des membres. Ils peuvent par exemple avoir décidé qu'ils se répartiront les pénalités proportionnellement à leur part de marché, sans que le maître de l’ouvrage ait connaissance de cet arrangement.

Ne faudrait-il pas malgré tout réserver le cas où le maître de l’ouvrage a connaissance du caractère erroné de la répartition que lui indique le mandataire ? La tentation est grande mais nous pensons qu'il faut y résister, sauf peut-être dans l'hypothèse où le maître de l’ouvrage aurait connaissance d'une tentative de dol du mandataire à l'encontre des autres membres du groupement, qu'il pourrait lui être reproché de n'avoir pas signalée. Car hormis ce cas très particulier où son silence pourrait lui être reproché, affirmer que le maître de l’ouvrage doit se détacher des indications qui lui sont fournies lorsqu'il constate qu'elles sont erronées, même manifestement, sera inéluctablement source de contestations lorsqu'il ne l'aura pas fait, déplaçant la responsabilité du mandataire au maître de l’ouvrage, par l'effet attractif de sa solvabilité. Lorsque le maître de l’ouvrage a de sérieuses raisons de penser que les indications du mandataire sont erronées, il doit lui en faire part, éventuellement en informer les autres membres du groupement afin qu'ils puissent en discuter avec leur mandataire. Mais cette démarche informelle, qu’il ne nous paraît pas opportun de sanctionner juridiquement, ne tend qu’à obtenir une confirmation à laquelle il devra se tenir.

           

Cette répartition des rôles et des responsabilités qui en découlent nous semble avoir le mérite de la clarté et de la sécurité juridique. Elle présente l'inconvénient que le membre du groupement qui entend contester les pénalités mises à sa charge devra s'adresser soit au maître de l’ouvrage s'il conteste le volume total des pénalités, soit au mandataire s'il conteste la répartition de ce volume entre l'ensemble des membres du groupement. Cette distinction des différends peut sembler compliquée, d'autant que le plus souvent il contestera les deux, mais elle est inhérente au dispositif du groupement conjoint, qui intercale une structure non solidaire entre les entrepreneurs et le maître de l’ouvrage. Sauf à ce que le maître de l’ouvrage soit le seul responsable, ce qui n'est pas dans la logique du groupement et de la représentation qu'en assure son mandataire, il est inévitable et, croyons-nous, souhaitable, que chaque fonction donne lieu à une responsabilité particulière.

Ces inconvénients ne doivent cependant pas être exagérés. D'une part, l'objet des contestations -volume global-répartition- est bien circonscrit.

D'autre part, en ce qui concerne leur mise en oeuvre, les inconvénients sont minimisés par le fait que le mandataire continue de représenter les membres du groupement lors du règlement amiable des différends et par la jurisprudence récente du Tribunal des conflits qui s'attache à regrouper devant le juge administratif les contentieux auxquels donne lieu l'exécution d'un marché public. Ainsi, le juge administratif, saisi d'un litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics opposant le maître de l’ouvrage à des constructeurs qui ont constitué un groupement pour exécuter le marché, est compétent pour connaître des actions en garantie engagées par les constructeurs les uns envers les autres, que le marché indique la répartition des prestations entre les membres du groupement ou que cette répartition résulte d'un contrat de droit privé conclu entre eux. Dans ce dernier cas, il doit seulement, si la validité ou l'interprétation de ce contrat soulève une difficulté sérieuse, poser une question préjudicielle au juge judiciaire (T. confl., 9 février 2015, n° 3983 N° Lexbase : A3005NBW). Ce n'est que lorsque le litige oppose deux membres du groupement liés entre eux par un contrat de droit privé, hors de tout litige né de l'exécution d'un marché public opposant le maître de l’ouvrage à un ou plusieurs membres du groupement, qu'il est regardé comme ne mettant en cause que des relations de droit privé et relevant de la juridiction judiciaire (T. confl., 10 décembre 2018, n° 4144 N° Lexbase : A7379YRQ).

Par conséquent, le membre du groupement qui entend contester les pénalités qui ont été mises à sa charge conformément aux indications données par le mandataire doit le faire dans le cadre de la contestation du décompte s'il estime que le montant global des pénalités est injustifié ou s'il en demande la modulation, en appelant en garantie le mandataire et le ou les autres membres du groupement s'il entend aussi contester la répartition des pénalités entre eux et le juge administratif sera compétent pour traiter de l'ensemble de ces conclusions. S'il obtient gain de cause contre le maître de l’ouvrage, la diminution du montant global des pénalités se traduira par une diminution de sa part, dans une mesure que le juge devra déterminer. Par exemple, s'il a pu démontrer qu'un certain nombre de jours de retard avait été imputé à tort à sa part du marché, il en obtiendra la déduction de son compte. S'il a obtenu la modulation du montant global des pénalités, il en bénéficiera à due proportion de sa part des pénalités. Si sa contestation ne porte que sur la répartition, ce qui devrait être assez exceptionnel, il devrait accepter le décompte mais ensuite agir contre les autres membres du groupement, sur le fondement de leur responsabilité quasi-délictuelle car cette action ne sera pas fondée sur l'application de la convention de groupement, mais sur les retards commis par les autres membres du groupement dans l'exécution du marché public, qui lui auront causé un préjudice. Cette action relève également de la compétence du juge administratif (T. confl., 2 juin 2008, n° 3621 N° Lexbase : A9524D8A, p. 555). Cette répartition des compétences permet donc que le juge administratif connaisse de toutes les contestations liées à l'exécution du marché, qu'elles soient dirigées contre le maître de l’ouvrage ou entre les membres du groupement, tout en garantissant l'efficacité du dispositif contractuel du groupement d'entreprises, notamment pour le maître de l’ouvrage qui doit pouvoir regarder le mandataire comme représentant le groupement sans avoir à s'assurer qu'il assure correctement ses missions. La solution que nous vous proposerons protégera le maître d'ouvrage d'une action d'un membre du groupement qui ne se plaindrait que de la répartition proposée par le mandataire du groupement, mais ne l'empêchera aucunement d'agir contre ce dernier ou contre les autres membres du groupement et, au cas où il contesterait aussi le montant global des pénalités, contestation dirigée contre le maître de l'ouvrage, il pourra présenter ces différentes conclusions dans une même requête devant le même juge, administratif. 

           

Le deuxième moyen est tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en jugeant qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte des reports d'exécution de travaux décidés par le maître de l’ouvrage, qui exonèrent le titulaire d'éventuels retards (CE, 17 mars 2010, n° 308676 N° Lexbase : A7939ET9, aux Tables), au motif qu'ils ne concernaient pas les bâtiments sur lesquels était intervenue la société Serin, tout en retenant comme base de calcul des pénalités, non les retards de réalisation des seuls bâtiments sur lesquels était intervenus la société Serin, mais le retard par rapport au délai global d’exécution.

Ce que décrit ce moyen pourrait effectivement constituer une erreur de droit ou, au mieux, u un raccourci un peu rapide, puisque, selon le schéma que nous avons décrit, tout membre du groupement peut contester dans le cadre d'une contestation du décompte le volume global de pénalités imputable au groupement. Il peut d'autant plus le faire que la répartition était indiquée par le mandataire en pourcentages du volume global. Concrètement, si le juge constate à l'occasion de la contestation de son décompte par un membre du groupement que le maître de l’ouvrage a tenu compte d'un nombre de jours de retards excessifs, il devra commencer par diminuer le montant global des pénalités. Ce n'est que dans un second temps qu'il devra vérifier si cette diminution doit se traduire par une diminution du montant des pénalités mises à la charge du requérant. Si ce n'est pas le cas, cette erreur n'aura pas pour effet de diminuer la part du requérant. Elle aura préjudicié aux autres membres mais, s'ils n'ont pas contesté leur décompte, elle bénéficiera au maître de l’ouvrage.

Mais la cour n'a pas commis cette erreur : bien que les motifs critiqués soient assez confus et qu'elle relève que les reports d'exécution ne concernent pas les retards retenus à l'encontre de la société Serin, elle indique aussi que les reports d'exécution ne concernaient pas les 129 jours retenus pour les pénalités globalement infligées au groupement.

Les deux derniers moyens portent sur les motifs par lesquels la cour a rejeté la demande de modulation des pénalités de retard. Il est reproché à la cour d'avoir commis une erreur de droit en rejetant cette demande au motif que les retards étaient en grande partie imputables aux sous-traitants de la requérante, contre lesquels elle pourrait se retourner en vue de recouvrer une partie des pénalités dont elle estimerait ne pas être redevable et dénaturé les pièces du dossier en refusant de diminuer le montant des pénalités qui correspondaient à plus de 90 % du montant du marché.

Le premier de ces moyens nous paraît fondé. Comme vous l'avez rappelé par votre décision «Centre hospitalier interdépartemental de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent» du 19 juillet 2017 (CE n° 392707 N° Lexbase : A2037WNR, au recueil), le juge ne peut, à titre exceptionnel, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat que "si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations". La circonstance que les retards soient imputables à des sous-traitants du titulaire est sans incidence sur l'exercice de ce pouvoir de modulation qui s'exerce sur les obligations contractuelles du titulaire envers le maître de l’ouvrage. Or, comme l'a d'ailleurs écrit la cour, le titulaire est contractuellement responsable vis à vis du maître de l’ouvrage de l'exécution des prestations sous-traitées. C'est pourquoi des pénalités peuvent lui être infligées pour des retards dans l'exécution de prestations sous-traitées et qu'il peut en demander la modulation, laquelle ne sera fonction que du montant du marché principal et du retard de son exécution, abstraction faite de leur imputabilité au titulaire ou à ses sous-traitants. Les actions récursoires envisagées par la cour du titulaire contre ses sous-traitants viseront à obtenir l'indemnisation de tout ou partie des pénalités qui resteront à sa charge, après leur éventuelle modulation.

Nous vous proposons de retenir ce moyen, ce qui vous dispensera d'examiner l'autre et vous conduira, si vous nous suivez pour écarter les deux premiers, à annuler partiellement l'arrêt, en tant qu'il rejette les conclusions aux fins de modération des pénalités de retard (pour une précédente annulation partielle sur ce point, voyez votre décision du CE, 20 juin 2016, n° 376235 N° Lexbase : A6216RTE, aux Tables).

Vous pourrez enfin prononcer un non-lieu à statuer sur la demande de sursis à exécution de l'arrêt et mettre à la charge de la Région Occitanie le versement à la société Giraud Serin d'une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés. 

           

           

           

             

           

           

newsid:471596

Procédure civile

[Brèves] Publication au JO du décret réformant la procédure civile

Réf. : Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile (N° Lexbase : L8421LT3)

Lecture: 3 min

N1602BYY

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par Aziber Didot-Seïd Algadi

Le 18 Décembre 2019

► A été publié, au Journal officiel du 12 décembre 2019, le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile (N° Lexbase : L8421LT3).

Le nouveau décret tire d'abord les conséquences, dans le Code de procédure civile, des articles 3, 5, 26 deuxième et troisième alinéas et 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC).

Il détermine, ainsi, les cas dans lesquels le demandeur devra justifier, avant de saisir la juridiction, d'une tentative de conciliation, de médiation ou de convention de procédure participative.

Il définit le champ de la représentation obligatoire par avocat devant le juge de l'exécution et l'étend par ailleurs partiellement en première instance dans la procédure de référé, d'expropriation, de révision des baux commerciaux, dans les procédures fiscales devant les juridictions civiles, en matière familiale dans la procédure de révision de la prestation compensatoire et de retrait total partiel de l'autorité parentale ou de délaissement parental, ainsi que devant le tribunal de commerce.

Il organise, enfin, la possibilité pour les parties de bénéficier avec leur accord de la procédure sans audience.

Le décret détaille, par ailleurs, la procédure applicable devant le tribunal judiciaire issu de la fusion du tribunal de grande instance et du tribunal d'instance. Il conserve, tout en les simplifiant, les principales caractéristiques des procédures applicables devant ces juridictions. Il unifie, ainsi, les modes de saisine du tribunal judiciaire et du tribunal de commerce autour de l'assignation et de la requête, laquelle sera possible en procédure orale pour les demandes inférieures à 5 000 euros. Il simplifie les exceptions d'incompétence au sein d'un même tribunal judiciaire en permettant un renvoi devant le juge compétent avant la première audience par simple mention au dossier. Il étend les pouvoirs du juge de la mise en état en lui permettant de statuer sur toutes les fins de non-recevoir.

Enfin, il consacre en principe l'exécution provisoire des décisions de justice, sauf dans les matières dans lesquelles l'exécution provisoire est interdite ainsi que celles dans lesquelles des dispositions de nature législative prévoient une exécution provisoire facultative.

Entrée en vigueur. Le décret entre en vigueur le 1er janvier 2020. Il est applicable aux instances en cours à cette date. En revanche, dans les procédures soumises, au 31 décembre 2019, à la procédure écrite ordinaire, la saisine par assignation de la juridiction et la distribution de l’affaire demeurent soumises aux dispositions des articles 56 (N° Lexbase : L1441I8U), 752 (N° Lexbase : L6968H79), 757 (N° Lexbase : L1468I8U) et 758 (N° Lexbase : L6977H7K) du Code de procédure civile dans leur rédaction antérieure au présent décret, et ce jusqu’au 1er septembre 2020. Il en est de même pour les assignations dans les procédures au fond prévues aux articles R. 202-1 (N° Lexbase : L1632INR) et suivants du Livre des procédures fiscales, au livre VI du Code de commerce devant le tribunal judiciaire, et diligentées devant le tribunal paritaire des baux ruraux, qui demeurent soumises aux dispositions de l’article 56 du Code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret, jusqu’au 1er septembre prochain.

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Procédure pénale

[Jurisprudence] Application du principe de proportionnalité à la saisie en valeur de l’instrument de l’infraction

Réf. : Cass. crim., 6 novembre 2019, n° 19-82.683, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8757ZTI)

Lecture: 8 min

N1379BYQ

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par Matthieu Hy, Avocat au barreau de Paris, ancien secrétaire de la Conférence

Le 18 Décembre 2019

 


Mots-clés : saisie pénale • saisie en valeur • instrument • proportionnalité • confiscation • biens et droits incorporels

Résumé : lorsque l’instrument de l’infraction est, au moment des faits, la propriété du mis en cause ou qu’il en a la libre disposition et que le propriétaire est de mauvaise foi, ledit instrument peut être saisi en valeur sous réserve, lorsque cette garantie est invoquée, du contrôle de proportionnalité.

Contexte : v. déjà en ce sens, en matière de confiscation : Cass. crim., 13 novembre 2018, n° 18-80.027, F-D (N° Lexbase : A7902YLA) ; en matière de saisie : Cass.crim., 25 septembre 2019, n°18-86.627, F-D (N° Lexbase : A0350ZQZ)


 

A l’occasion d’une information judiciaire ouverte du chef de proxénétisme aggravé, le magistrat instructeur a ordonné la saisie pénale du produit de la vente de plusieurs immeubles appartenant à une société civile immobilière (SCI) gérée par le mis en examen, à savoir près de deux millions et demi d’euros. Saisie du recours de la société, la chambre de l’instruction de la cour d’appel a infirmé les ordonnances, cantonné la saisie à la somme de 436 000 euros et ordonné la restitution du surplus à la SCI. Selon la juridiction d’instruction du second degré, les biens immobiliers, par ailleurs lieu des faits de proxénétisme, et le produit de leur vente étaient à la libre disposition du mis en examen et la SCI ne pouvait être considérée comme propriétaire de bonne foi, ce qui autorisait leur saisie en valeur. Néanmoins, selon la chambre de l’instruction, le montant de la saisie devait être cantonnée aux gains issus de l’infraction, estimés à 436 000 euros. Le procureur général près la cour d’appel s’est pourvu en cassation.

L’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 6 novembre 2019 fournit une illustration rare d’une saisie en valeur de l’instrument de l’infraction tout en étant riche en enseignements méthodologiques. La Haute juridiction reproche aux juges de la chambre de l’instruction d’avoir omis d’envisager les biens saisis en tant qu’instrument de l’infraction, ce qui aurait pu, sous les conditions qu’elle énonce, permettre de valider le montant de saisies ordonnées par le juge d’instruction.

Au visa de l’article 706-153 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7453LPQ), la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle que la saisie des biens ou droits incorporels, tels que des sommes inscrites au crédit d’un compte bancaire, peut être ordonnée par le magistrat instructeur dès lors que leur confiscation est prévue par l’article 131-21 du Code pénal (N° Lexbase : L9506IYQ). Cette dernière disposition prévoit la confiscation de l’instrument de l’infraction en son alinéa 2 et la confiscation en valeur en son alinéa 9. La notion de confiscation en valeur, qui s’oppose à la confiscation en nature, renvoie à la possibilité pour les juridictions de jugement de confisquer un bien pour la valeur qu’il représente et non en raison de son lien avec l’infraction poursuivie. L’article 706-141-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6393ISL) prévoit la possibilité de saisir en valeur.

Combinant ces différentes dispositions, la Chambre criminelle de la Cour de cassation pose le principe selon lequel « dans ce cas, il appartient au juge d’une part, de s’assurer que les conditions de confiscation de l’instrument de l’infraction prévues par le deuxième alinéa de l’article 131-21 du Code pénal étaient réunies au moment de la commission des faits, d’autre part, de vérifier que la valeur du bien saisi n’excède pas celle de l’instrument de l’infraction, enfin, lorsqu’une telle garantie est invoquée, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé au regard de la gravité concrète des faits et de sa situation personnelle ».

En premier lieu, il résulte de l’article 131-21, alinéa 2, du Code pénal, que « la confiscation porte sur tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ».

D’une part, il faut, selon les juges du Quai de l’Horloge, se placer au moment de la commission de l’infraction pour déterminer si l’instrument est confiscable [1]. D’autre part, quand le bien n’est pas la propriété du mis en cause, il ne peut être confisqué, et donc préalablement saisi, que lorsque que deux conditions sont remplies : la libre disposition par le mis en cause et la mauvaise foi du tiers propriétaire. Sur ce point, à l’image de la caractérisation d’une infraction en matière pénale, l’analyse de la situation du tiers conduit à s’intéresser à un élément matériel et à un élément moral. S’agissant de l’élément matériel, la libre disposition signifie que le tiers n’est qu’un propriétaire de paille, le véritable propriétaire étant, derrière les apparences juridiques, le mis en cause. S’agissant de l’élément moral, l’absence de bonne foi signifie que le tiers a connaissance de cette absence de propriété véritable, voire, selon une conception moins respectueuse des droits du tiers, qu’il a connaissance de l’utilisation frauduleuse de son bien [2]. En l’espèce, ces conditions ne semblaient pas poser de difficulté dès lors que la cour d’appel avait constaté que « les immeubles ayant servi à commettre le délit poursuivi, bien cédés postérieurement aux faits, étaient lors de leur commission à la libre disposition » du mis en examen et que la société civile immobilière « n’était pas de bonne foi ». Implicitement, la Cour de cassation confirme par ailleurs que la réserve des droits du propriétaire de bonne foi s’applique dès le stade de la saisie [3].

En deuxième lieu, il convient, selon la Haute juridiction, de « vérifier que la valeur du bien saisi n’excède pas celle de l’instrument de l’infraction ». Cette condition fait référence au mécanisme de la saisie en valeur. En effet, lorsque la saisie est effectuée selon cette modalité, la valeur des biens saisis ne doit pas excéder la valeur des biens confiscables en nature. En l’espèce, comme le rappelle la Cour de cassation, la cour d’appel avait constaté que « les sommes saisies par le juge d’instruction représentaient la valeur de l’instrument de l’infraction ». Ce constat était d’autant plus évident que les sommes étaient précisément le produit de la vente des biens immobiliers qui auraient servi à commettre l’infraction de proxénétisme.

A ce stade, force est de constater que c’est de manière fortuite que la chambre de l’instruction a exposé que les conditions d’une saisie en valeur de l’instrument de l’infraction étaient réunies. En effet, la juridiction d’instruction du second degré n’avait, à aucun moment, envisagé cette forme de saisie, son raisonnement s’étant limité à la saisie en valeur du produit de l’infraction, à savoir les gains résultant des faits poursuivis, qu’elle avait estimé à 436 000 euros, soit un montant bien inférieur aux sommes saisies. L’arrêt commenté rappelle donc que la saisie en valeur ne renvoie pas uniquement au produit de l’infraction, mais aussi notamment à son instrument.

En troisième et dernier lieu, les juges doivent apprécier, lorsqu’une telle garantie est invoquée, « le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé au regard de la gravité concrète des faits et de sa situation personnelle ».

Alors que le contrôle de proportionnalité est exclu en matière de saisie en valeur du produit de l’infraction [4], il a vocation à s’appliquer en cas de saisie en valeur de l’instrument du crime ou du délit. La même distinction quant au caractère opérant ou non de la violation du principe de proportionnalité avait déjà été affirmée en matière de saisie en nature du produit [5] et de l’instrument [6] de l’infraction. Toutefois, la Cour de cassation précise que le contrôle de proportionnalité n’a pas à être effectué d’office par les juges, comme tel est le cas en matière de saisie de patrimoine [7].

En définitive, en l’espèce, deux saisies en valeur étaient envisageables : l’une du produit de l’infraction, qui limitait le montant à 436 000 euros mais permettait d’éviter d’examiner le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé ; l’autre de l’instrument de l’infraction, qui permettait de saisir la totalité des sommes mais exigeait d’opérer un contrôle de proportionnalité.

Une fois ce constat réalisé, reste la délicate question de savoir si la chambre de l’instruction peut choisir le fondement de sa saisie. Deux interprétations sont possibles. Selon la première, la chambre de l’instruction serait libre de choisir le fondement de la saisie dès lors qu’elle identifie tous les fondements possibles. Selon la seconde, la juridiction d’instruction aurait l’obligation de choisir le fondement le plus défavorable au mis en cause en comparant les différents types de saisie. Il peut être relevé que la Cour de cassation a déjà estimé qu’à tout le moins, le juge n’avait pas à choisir le fondement de confiscation le plus favorable [8]. Par ailleurs, en l’espèce, compte-tenu de l’exigence de proportionnalité, il n’est pas acquis que la saisie en valeur de l’instrument de l’infraction permette d’appréhender la totalité des sommes résultant de la vente des immeubles ou même une somme plus importante que le produit estimé de l’infraction.

 

[1] En revanche, il convient de se placer au jour de l’examen du recours pour déterminer si le bien est toujours confiscable au regard de l’infraction poursuivie : en ce sens, Cass. crim., 20 novembre 2019, n° 18-86.781, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0130Z39).

[2] Cass. crim., 3 février 2016, n° 14-87.754, F-D (N° Lexbase : A3191PKE).

[3] Cass. crim., 26 juin 2019, n° 18-84.650, F-D (N° Lexbase : A3134ZHK).

[4] Cass. crim., 5 janvier 2017, n° 16-80.275, FS-D (N° Lexbase : A4793S3W).

[5] Cass. crim., 12 octobre 2016, n° 16-82.322, F-D (N° Lexbase : A9638R74) : « les saisies litigieuses ayant porté sur le produit supposé d'une infraction, le grief tiré de la violation du principe de proportionnalité est inopérant ».

[6] Cass. crim., 25 septembre 2019, n° 18-86.627, F-D (N° Lexbase : A0350ZQZ) : « le juge qui prononce une mesure de saisie d'un bien constituant l'instrument de l'infraction doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété lorsque le propriétaire invoque cette garantie ».

[7] Cass. crim., 4 mai 2017, n° 16-87.330, F-D (N° Lexbase : A9516WB3) : « le juge qui prononce une mesure de saisie de tout ou partie du patrimoine doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée aux droits de l'intéressé ».

[8] Cass. crim., 22 février 2017, n° 16-83.257, FS-P+B (N° Lexbase : A0035TS4).

newsid:471379

Procédure pénale

[Brèves] Cadre de l’enquête : appréciation de la flagrance en cas de marquage par un chien spécialisé

Réf. : Cass. crim., 11 décembre 2019, n° 19-82.457, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7840Z7I)

Lecture: 3 min

N1696BYH

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par June Perot

Le 18 Décembre 2019

► Le seul marquage d’un chien spécialisé devant la porte d’un appartement, constaté par les fonctionnaires de police présents sur les lieux, constitue un indice objectif et apparent d’un comportement suspect, caractérisant la flagrance, et leur permettant de procéder à toutes les constatations utiles, ainsi qu’à une perquisition des lieux.

C’est en ce sens que s’est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 décembre 2019 (Cass. crim., 11 décembre 2019, n° 19-82.457, FS-P+B+I N° Lexbase : A7840Z7I).

Résumé des faits. Après la découverte d’un sachet contenant de la résine de cannabis dans un véhicule stationné sur le parking d’une résidence, des fonctionnaires de police, accompagnés d’un chien spécialisé dans la recherche des billets de banque et des produits stupéfiants, ont constaté le marquage du chien au niveau de la porte d’un appartement du premier étage de l’immeuble. Avisé de ce fait, l’officier de police judiciaire de permanence, agissant en flagrance, a, après avoir frappé à la porte de l’appartement et constaté que personne ne répondait à sa demande, fait ouvrir la porte à l’aide d’un bélier, pour y découvrir, après avoir pénétré dans les lieux, le prévenu dormant sur son canapé.

Une perquisition a eu lieu en présence de l’intéressé qui a mené à la découverte de résine de cannabis pour un total de 179,6 grammes.

Procédure. Poursuivi en comparution immédiate pour détention et usage de produits stupéfiants en récidive, l’intéressé a soulevé la nullité de la perquisition, en faisant valoir que le marquage d’un chien ne saurait à lui seul permettre l’ouverture d’une enquête de flagrance, en l’absence de constatation par les policiers de tout autre indice objectif.

Le tribunal correctionnel a rejeté l’exception de nullité en retenant que l’action significative du chien spécialement dressé pour rechercher les stupéfiants, personnellement constatée par les policiers intervenants, constituait l’indice d’un délit de détention de stupéfiants à l’intérieur du logement d’habitation concerné qui pouvait légitimement permettre la perquisition décidée par l’officier de police judiciaire. Il a, en conséquence, condamné le prévenu pour usage et détention de produits stupéfiants. Ce dernier, puis le ministère public, ont fait appel de cette décision.

En cause d’appel. Pour rejeter l’exception de nullité et confirmer le jugement sur la culpabilité, l’arrêt retient que le tribunal correctionnel a exactement retenu que l’action significative du chien spécialement dressé pour la recherche des produits stupéfiants, constatée par les fonctionnaires de police présents sur les lieux, constituait un indice objectif apparent rendant probable la commission d’infractions leur permettant d’agir en enquête flagrante et de procéder à toutes constatations utiles, ainsi qu’à une perquisition des lieux.

Un pourvoi a été formé.

Reprenant la solution visée plus haut, la Chambre criminelle approuve les juges du fond, confirmant une appréciation large de la flagrance (cf. l’Ouvrage « La procédure pénale », l’étude de H. Matsopoulou, Les cadres de l’enquête, L’enquête de flagrance N° Lexbase : E2992ZPI).

newsid:471696

Procédure pénale

[Brèves] Loyauté de la preuve : constater n’est pas provoquer

Réf. : Ass. plén., 9 décembre 2019, n° 18-86.767, P+B+R+I (N° Lexbase : A3135Z7A)

Lecture: 4 min

N1514BYQ

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par June Perot

Le 18 Décembre 2019

► Toute méthode d’investigation qui contribuerait à provoquer la commission de l’infraction est proscrite, le stratagème ainsi employé étant alors de nature à entraîner la nullité des actes de procédure ; en dehors de cette hypothèse, le recours, par les autorités publiques, à un stratagème tendant à la constatation d’une infraction ou l’identification de ses auteurs ne constitue pas, en soi, une atteinte au principe de loyauté de la preuve ;

pour qu’une telle atteinte soit constituée, il est nécessaire que le procédé employé, par un contournement ou un détournement d’une règle de procédure, ait pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie.

C’est ainsi que l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a tranché le litige qui lui était soumis dans une affaire de tentative de chantage, qui lui donne l’occasion de préciser la jurisprudence sur l’étendue de l’obligation de loyauté dans l’administration de la preuve en matière pénale (Ass. plén., 9 décembre 2019, n° 18-86.767, P+B+R+I N° Lexbase : A3135Z7A).

Résumé de l’affaire et de la procédure. Menacé de voir divulguée une ‘sextape’ dans laquelle il apparaîtrait, une personnalité médiatique a porté plainte pour tentative de chantage. Afin de découvrir l’identité des auteurs, le procureur de la République a autorisé un officier de police judiciaire à négocier par téléphone, sous pseudonyme, avec la personne soupçonnée, en se faisant passer pour le mandataire de la victime présumée. Une information a été ouverte qui a permis d’établir l’existence de cet enregistrement. Plusieurs personnes ont été mises en examen du chef de chantage et association de malfaiteurs. La chambre de l’instruction a rejeté les requêtes déposées par plusieurs mis en examen sur le fondement de l’article 173 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7455LPS) et la demande de nullité formée, tendant à l’annulation de la procédure en raison notamment de la provocation à l’infraction dont ils auraient fait l’objet de la part d’un fonctionnaire de police. La Cour de cassation (Cass. crim., 11 juillet 2017, n° 17-80.313, FS-P+B N° Lexbase : A9783WMB ; lire à ce sujet, P. Le Monnier de Gouville, Loyauté des preuves et identification du "stratagème déloyal", Lexbase Privé, 2017, n° 710 N° Lexbase : N9929BWN) a cassé et annulé cet arrêt pour violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et de l’article préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3311LTS).

La chambre de l’instruction de Paris, saisie sur renvoi, a, quant à elle, dit n’y avoir lieu à annulation d’actes de la procédure. Elle s’est ainsi inscrite dans le sillage de l’analyse qui avait été faite par la première chambre de l’instruction saisie de ce dossier.

C’est donc dans le contexte d’une résistance des juges du fond qu’a été saisie l’Assemblée plénière de la Cour de cassation.

Griefs formulés. La Cour a été saisie de deux griefs visant le principe de loyauté dans la recherche de la preuve. Le premier portait sur la provocation à la commission de l’infraction, le second, sur l’usage d’un stratagème prétendument déloyal.

Un stratagème loyal. Reprenant la solution visée plus haut, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre la décision prise par la chambre de l’instruction de rejeter les demandes d’annulation des actes de la procédure fondées sur la déloyauté du procédé employé par la police pour apporter la preuve de la tentative de chantage dont aurait fait l’objet une personne.

Nécessité d’une atteinte à un droit. La Haute cour énonce également que seul est proscrit le stratagème qui, par un contournement ou un détournement d’une règle de procédure, a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie. Cette précision relative à la nécessité d’une atteinte à un droit ou une garantie est ainsi essentielle pour délimiter le champ de la déloyauté. Or, en l’espèce, les demandeurs au pourvoi, ainsi que le souligne l’arrêt, ne démontraient ni même n’alléguaient une quelconque atteinte à l’un de leurs droits (pour aller plus loin, lire la note explicative de la Cour sur cette affaire ; v. également notre Ouvrage «La procédure pénale», E. Vergès, La preuve pénale, La loyauté de la preuve, à paraître N° Lexbase : E4969ZT9).

Cette décision de l’Assemblée plénière devrait donc ouvrir la voie à la tenue d’un procès en correctionnel.

newsid:471514

Responsabilité

[Brèves] Primauté, pour indemniser un voyageur blessé lors d’un voyage en train, du droit de l’Union européenne sur le droit interne enserrant les causes limitatives de responsabilité du transporteur ferroviaire dans des conditions plus strictes

Réf. : Cass. civ. 1, 11 décembre 2019, n° 18-13.840, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6762Z7L)

Lecture: 4 min

N1574BYX

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par Manon Rouanne

Le 09 Janvier 2020

► L’engagement de la responsabilité du transporteur ferroviaire et sa condamnation à réparer intégralement le préjudice subi par le voyageur victime résultant de blessures causées par la fermeture des portes automatiques du train, doivent se fonder sur les dispositions du droit de l’Union européenne relatives aux droits et obligations des voyageurs ferroviaires en vertu desquelles le transporteur peut, pour limiter sa responsabilité, se prévaloir d’une faute simple du voyageur, à l’exclusion du droit interne qui ne peut se substituer au régime de responsabilité institué par la législation de l’Union européenne, nonobstant son caractère plus favorable pour la victime, ne réservant le droit, pour le transporteur, d’amoindrir sa responsabilité qu’en cas de faute de la victime revêtant les caractères de la force majeure.

Tel est le principe de la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit interne appliqué par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 11 décembre 2019 pour trancher un conflit entre les dispositions d’un règlement européen et celles du droit français applicables en matière d’indemnisation des voyageurs ferroviaires (Cass. civ. 1, 11 décembre 2019, n° 18-13.840, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6762Z7L).

En l’espèce, un voyageur ferroviaire, muni d’un titre de transport, se trouvant dans le compartiment d’un train bondé, a été victime d’un écrasement du pouce gauche à la suite de la fermeture d’une porte automatique. Celui-ci a, alors, engagé une action en responsabilité à l’encontre de la SNCF pour obtenir réparation intégrale du préjudice subi.

Se fondant sur l’article 11 du Règlement européen du 23 octobre 2007 (Règlement (CE) n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires N° Lexbase : L4837H3K) disposant que le Règlement régit la responsabilité des entreprises ferroviaires relative aux voyageurs et à leurs bagages sans préjudice du droit national octroyant aux voyageurs une plus grande indemnisation pour les dommages subis, la cour d’appel (CA Aix-en-Provence, 21 décembre 2017, n° 16/16014 N° Lexbase : A6807W8M) a, pour engager la responsabilité du transporteur et le condamner à une réparation intégrale du préjudice subi, évincé l’application du droit de l’Union européenne au profit du droit commun interne plus favorable pour la victime en ce que ce dernier ne permet, au transporteur, de limiter sa responsabilité qu’en cas de faute de la victime présentant les caractères de la force majeure tandis que le premier admet, comme cause limitative de responsabilité, la faute simple de la victime.

S’opposant aux motifs développés par les juges du fond, la SNCF a, alors, formé un pourvoi en cassation. En effet, comme moyen au pourvoi, le demandeur a, pour amoindrir sa responsabilité, interprété différemment la formule ambiguë de l’article 11 du Règlement du 23 octobre 2007 en arguant que ce texte n’a pas vocation à se substituer au régime de responsabilité instauré par le Règlement, mais seulement à le compléter lorsqu’il permet une plus grande indemnisation, c’est-à-dire au seul stade de l’évaluation du dommage. Aussi, l’article 26.2, b), du Règlement du 23 octobre 2007 qui octroie, à l’entreprise ferroviaire, le droit de se prévaloir d’une faute simple de la victime pour limiter sa responsabilité, primant sur le droit national, doit s’appliquer en l’espèce, à l’exclusion du droit interne de la responsabilité civile sur le fondement duquel la Cour de cassation conditionne la limitation de la responsabilité du transporteur à la preuve de la faute de la victime présentant les caractères de la force majeure.

S’inscrivant dans le sillage du moyen allégué par le demandeur au pourvoi, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel en faisant échec, au profit du droit de l'Union européenne, au jeu de sa propre jurisprudence en vertu de laquelle, en matière ferroviaire et uniquement si la responsabilité du transporteur est recherchée sur le fondement contractuel, la faute de la victime n'est partiellement exonératoire que lorsqu'elle constitue un cas de force majeure ou une faute intentionnelle (Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 05-12.551, FS-P+B+I N° Lexbase : A3908D7U, arrêt dit Ibouroi). Aussi, le juge du droit met en oeuvre, sur le fondement du Règlement européen susmentionné primant sur le droit français de la responsabilité civile, à l’égard du transporteur, la cause limitative de responsabilité pour faute simple du voyageur.

newsid:471574

Urbanisme

[Brèves] Implantation d'antennes de radiotéléphonie mobile : légalité de la dérogation à la possibilité de retirer une décision de non-opposition à une déclaration préalable

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 11 décembre 2019, n° 434741, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7853Z7Y)

Lecture: 2 min

N1589BYI

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par Yann Le Foll

Le 18 Décembre 2019

► Les dispositions légales dérogeant, à titre expérimental et jusqu'au 31 décembre 2022, pour les décisions concernant l'implantation d'antennes de radiotéléphonie mobile, aux dispositions du Code de l'urbanisme qui permettent de retirer une décision de non-opposition à une déclaration préalable à la condition qu'elle soit illégale et que le retrait intervienne dans le délai de trois mois suivant la date de cette décision ne sont pas contraires au principe d’égalité.

Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 11 décembre 2019 (CE 2° et 7° ch.-r., 11 décembre 2019, n° 434741, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7853Z7Y). 

Faits. Une question prioritaire de constitutionnalité était dirigée contre l'article 222 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (N° Lexbase : L8700LM8), prévoyant, à titre expérimental, que "les décisions d'urbanisme autorisant ou ne s'opposant pas à l'implantation d'antennes de radiotéléphonie mobile avec leurs systèmes d'accroche et leurs locaux et installations techniques ne peuvent pas être retirées". Il déroge donc aux dispositions de l'article L. 424-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9996LM8), qui permettent de retirer une décision de non-opposition à une déclaration préalable à la condition qu'elle soit illégale et que le retrait intervienne dans le délai de trois mois suivant la date de cette décision. 

Rappel. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit (Cons. const., décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996 N° Lexbase : A8342ACX).

Solution. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu tenir compte de l'intérêt général qui s'attache à la couverture rapide de l'ensemble du territoire par les réseaux de téléphonie mobile à haut débit et à très haut débit. La différence de traitement, résultant des dispositions critiquées, entre les installateurs d'antennes de radiotéléphonie mobile et ceux d'autres équipements tels que les parcs photovoltaïques et les éoliennes, est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit et n'est, ainsi, pas contraire au principe d'égalité. Il en résulte la solution précitée.

newsid:471589

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