La lettre juridique n°806 du 12 décembre 2019

La lettre juridique - Édition n°806

Peines

[Brèves] Droits des détenus : la France doublement condamnée pour violences commises sur un détenu au moment de son transfert et défaut d’enquête effective

Réf. : CEDH, 5 décembre 2019, Req. 71670/14, J.M. c/ France (N° Lexbase : A9855Z4R)

Lecture: 5 min

N1498BY7

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par June Perot

Le 18 Décembre 2019

► La Cour européenne des droits de l’Homme a doublement condamné la France pour traitements inhumains et dégradants de la part des surveillants pénitentiaires et défaut d’enquête effective ;

elle estime en l’espèce que le requérant a bien subi des violences au cours de son transfert qui a duré 4 heures et durant lequel il était uniquement vêtu d’un tee-shirt et d’un drap pour cacher sa nudité ; elle relève par ailleurs que la crédibilité des témoignages des surveillants aurait dû être minutieusement vérifiée au cours de l’instruction, estimant de la sorte que le requérant n’a pas bénéficié d’une enquête effective.

C’est ainsi que statue la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt de chambre rendu le 5 décembre 2019 (CEDH, 5 décembre 2019, Req. 71670/14, J.M. c/ France N° Lexbase : A9855Z4R).

Résumé de l'affaire. Les faits de l’espèce concernaient un ressortissant français détenu qui, souhaitant être transféré vers un établissement pénitentiaire plus proche de sa famille, s’était scarifié le bras. Le médecin avait alors conseillé un transfert vers un autre centre. A la suite de divers incidents, c’est au cours d’un dernier transfert que celui-ci avait été victime de violences de la part du personnel pénitentiaire. Une enquête de flagrance avait alors été diligentée par le procureur et confiée à la gendarmerie nationale. L’enquête préliminaire se conclut par un classement sans suite au motif que les investigations n’avaient pas permis de caractériser l’infraction. A l’issue d’une enquête administrative interne diligentée le même jour, l’enquêteur conclut à la faute disciplinaire d’un surveillant responsable du transfert, du fait de la tenue du requérant, vêtu seulement d’un tee-shirt et d’un drap. Le surveillant fut condamné à une exclusion temporaire de ses fonctions. L’enquête de l’inspection générale des services pénitentiaires estima que, concernant les conditions du transfert, le surveillant aurait dû attendre l’ouverture du vestiaire et la remise de vêtements avant le départ pour l’autre centre.

L’intéressé a déposé une plainte avec constitution de partie civile pour actes de torture et de barbarie commis avec usage d’une arme par personnes dépositaires de l’autorité publique. Une information judiciaire fut alors ouverte. Le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu, considérant que l’information n’avait pas permis de caractériser l’infraction dénoncée. L’intéressé a interjeté appel et la chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance de non-lieu. La Cour de cassation a par ailleurs rejeté le pourvoi (Cass. crim., 6 mai 2014, n° 13-81.522, F-D N° Lexbase : A9311MK3).

C’est dans ces conditions que l’intéressé a saisi la CEDH.

Violences infligées au détenu. Sur ce point, la Cour conclut à une violation de l’article 3 dans son volet matériel (N° Lexbase : L7558AIR). Outre les souffrances physiques supportées, la Cour considère que le traitement auquel le requérant a été soumis a engendré peur, angoisse et souffrance mentale. Elle observe d’ailleurs que le requérant se trouvait également dans un état de détresse psychique et était donc particulièrement vulnérable, ce qui pose la question de la nécessité de l’usage de la force à l’encontre de ce détenu. Elle énonce par ailleurs qu’il ne fait aucun doute «qu’un tel traitement a provoqué chez le requérant des sentiments d’arbitraire, d’infériorité, d’humiliation et d’angoisse. Ce traitement constitue un grave manque de respect pour sa dignité humaine. La circonstance qu’il n’avait pas pour but d’humilier ou de rabaisser le requérant n’exclut pas qu’il soit qualifié de dégradant et tombe ainsi également sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 3» (§ 99).

Défaut d’enquête effective. La Cour examine ensuite l’article 3 sous son angle procédural et conclut également à une violation. Elle prend bonne note de la célérité avec laquelle plusieurs enquêtes indépendantes ont été menées le jour-même. Toutefois, l’enquête n’a pas permis d’identifier et punir les responsables des violences constatées.

De l’avis de la Cour, le juge d’instruction, comme la chambre d’instruction, semblent avoir appliqué des critères différents lors de l’évaluation des témoignages, celui du requérant étant considéré comme subjectif, à l’inverse de ceux des surveillants. La crédibilité de ces derniers aurait dû être minutieusement vérifiée. D’autre part, certaines mesures nécessaires pour tenter d’éclaircir les faits n’ont pas été ordonnées. Ainsi, il n’a pas été ordonné d’expertise médicale et technique, afin de chercher à établir l’origine de la marque de strangulation constatée.

La Cour estime que le requérant n’a pas bénéficié d’une enquête effective et conclut à la violation du volet procédural de l’article 3.

newsid:471498

Contrat de travail

[Brèves] Nécessité de vérifier que les CDD successifs sont justifiés par des raisons objectives liées au caractère par nature temporaire de l'emploi avant de les requalifier en CDI

Réf. : Cass. soc., 4 décembre 2019, n° 18-11.989, F-P+B (N° Lexbase : A2889Z77)

Lecture: 1 min

N1536BYK

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par Charlotte Moronval

Le 12 Décembre 2019

► Doit être prononcée la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée dès lors que l’employeur se bornait à affirmer qu’il était d’usage de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée dans le secteur du sport professionnel et ne produisait aux débats aucun élément concret et précis de nature à établir que le salarié exerçait un emploi par nature temporaire.

Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 4 décembre 2019 (Cass. soc., 4 décembre 2019, n° 18-11.989, F-P+B N° Lexbase : A2889Z77).

Dans les faits. Un joueur de rugby est embauché par un club en contrats de travail à durée déterminée successifs renouvelés par avenant. Au terme du dernier CDD, l’employeur informe le joueur qu’il n’envisage pas de poursuivre la relation de travail au-delà de cette date. Le joueur décide alors de saisir la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée.

La position de la cour d’appel. La cour d’appel (CA Montpellier, 13 décembre 2017, n° 17/00791 N° Lexbase : A3895W7E) accède à la demande du joueur et condamne l’employeur à payer au salarié diverses indemnités de requalification et de rupture. L’employeur se pourvoit en cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation rejette le pourvoi (sur La requalification sanction du CDD en CDI, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E7876ESI).

newsid:471536

Copropriété

[A la une] Editorial - L’ordonnance du 30 octobre 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis : le changement dans la continuité !

Réf. : Ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : Z955378U) ; modifiant la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : L5536AG7)

Lecture: 8 min

N1555BYA

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par Florence Bayard-Jammes, Docteur en droit, Professeur associé à TBS Business School

Le 12 Décembre 2019

Depuis la loi «Bonnemaison» du 31 décembre 1985, c’est plus d’une quinzaine de réformes qui ont affecté de façon plus ou moins étendue la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L5536AG7) pour la première fois modifiée par une ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019. Cette dernière était attendue depuis la promulgation de la loi «ELAN» (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 N° Lexbase : L8700LM8) qui, à l’article 215 II, autorisait le Gouvernement  à prendre des «mesures relevant du domaine de la loi visant, à compter du 1er juin 2020, à améliorer la gestion des immeubles et à prévenir les contentieux, destinées à :  1° Redéfinir le champ d'application et adapter les dispositions de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis au regard des caractéristiques des immeubles, de leur destination et de la taille de la copropriété, d'une part, et modifier les règles d'ordre public applicables à ces copropriétés, d'autre part ; 2° Clarifier, moderniser, simplifier et adapter les règles d'organisation et de gouvernance de la copropriété, celles relatives à la prise de décision par le syndicat des copropriétaires ainsi que les droits et obligations des copropriétaires, du syndicat des copropriétaires, du conseil syndical et du syndic». Elle sera suivie d’une seconde ordonnance à paraître d’ici le mois de novembre 2020 qui aura pour objet de créer un Code de la copropriété (cf. loi «ELAN» du 23 novembre 2018, art. 215 I). 

Le texte est composé de quarante-deux articles répartis en cinq titres qui modifient de nombreuses dispositions de la loi du 10 juillet 1965 qui entreront en vigueur le 1er juin 2020 [1], mais d’ici là, le Parlement devra avoir voté la loi de ratification dont il semblerait que le projet soit rapidement présenté par le Gouvernement [2] et les décrets d’application, modifiant le décret du 17 mars 1967, devront avoir été rédigés et publiés [3].

Nombre de commentateurs remarquent que la révolution annoncée du statut de la copropriété n’a pas eu lieu mais était-elle nécessaire ? Fallait-il un bouleversement du droit de la copropriété pour résoudre les dysfonctionnements qui affectent les immeubles collectifs et que les réformes successives ne sont pas parvenues à résorber. Il est vrai que le texte de la loi du 10 juillet 1965 s’est abîmé au fil du temps, sous le coup de modifications constantes et disparates, avec une accélération marquée à partir de la loi «SRU» (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 (N° Lexbase : L9087ARY) car, comme le fait remarquer le Professeur Tomasin, c’est depuis cette date que le droit de la copropriété, qui régit près de dix millions de lots, est devenu un élément majeur de la politique du logement voire de la politique de la construction en France. Ces modifications ont fini par déformer le texte d’origine qui a perdu en cohérence mais, tout en souhaitant une réforme d’envergure, n’espérait-on pas que l’ordonnance ne vienne pas remettre fondamentalement en cause l’équilibre déjà fragilisé entre intérêt collectif et préservation des droits de copropriétaires ? Or, force est de constater que si les changements sont notables, l’ordonnance apparaît comme un texte de compromis qui résulte d’une large concertation avec toutes les parties prenantes. De nombreuses consultations ont été organisées par les pouvoirs publics en charge de la préparation de la réforme tant auprès des professionnels du secteur que des associations de représentants des copropriétaires ; des propositions ont été faites par des groupes de réflexion [4] et le projet d’ordonnance a été soumis à l’avis du CNTGI (Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières) qui, selon son président le Professeur Hugues Périnet-Marquet [5], a consacré plus d’une trentaine d’heures à son examen et proposé des adaptations qui ont été retenues dans le texte final.

Si le rapporteur du texte rappelle que le Gouvernement, tout en répondant aux objectifs de modernisation, clarification et simplification, a eu à cœur de protéger les droits des copropriétaires en conservant un statut équilibré entre intérêt collectif et droits individuels [6], il ne faudrait pas minimiser l’apport de la réforme, car les changements sont nombreux et importants.

L’ordonnance innove en modifiant le champ d’application du statut qui ne sera désormais impératif que pour les immeubles bâtis à usage total ou partiel d’habitation dont la propriété est répartie par lots entre plusieurs personnes permettant ainsi aux immeubles commerciaux et bureaux ne comportant aucun lot à usage d’habitation de s’affranchir de son formalisme rigoureux. Elle clarifie le régime juridique des parties communes générales et spéciales et corrige quelques erreurs de plume commises lors de la rédaction de la loi «ELAN» de 2018. Elle étend l’objet du syndicat à l’amélioration de l’immeuble, précise le contenu du règlement de copropriété et consacre des créations prétoriennes comme celle relative à l’interdiction d’établir des servitudes sur une partie commune au profit d’un lot. Elle facilite le recours au syndicat coopératif et à la création de syndicats secondaires et favorise le recouvrement des charges de copropriété. En modifiant l’article 9 de la loi de 1965, elle impose à tout copropriétaire de faciliter, même sur ses parties privatives, l’exécution de travaux d’intérêt collectif. Mais par ailleurs, elle offre, sauf opposition motivée de l’assemblée générale, le droit à tout copropriétaire de faire réaliser à ses frais des travaux d’accessibilité des logements aux personnes handicapées ou à mobilité réduite qui affectent les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble.  

De nombreuses dispositions clarifient les relations contractuelles entre le syndic et le syndicat des copropriétaires. Ainsi, la dispense de compte séparé pour les petites copropriétés disparaît ; le changement de syndic est réglementé ; l’obligation pour ce dernier d’assurer la conservation des archives est explicitement énoncé comme le fait que l’absence de mise en concurrence par le conseil syndical n’est pas sanctionnée par l’irrégularité de la désignation du syndic. Autre nouveauté pour le syndic, il est autorisé à conclure avec le syndicat une convention portant sur des prestations de services autres que celles relevant de sa mission de syndic. Mais il est aussi soumis, en cas de carence ou d’inaction, au droit d’action reconnu au président du conseil syndical, sur délégation de l’assemblée générale, en réparation du préjudice subi par le syndicat.

L’autre apport majeur de la réforme réside dans le renforcement du rôle du conseil syndical qui va pouvoir, sur délégation de l’assemblée générale, prendre tout ou partie des décisions relevant de la majorité de l’article 24 de la loi du 10 juillet 1965. La disposition bouscule les principes fondamentaux qui gouvernent la prise de décision au sein de la copropriété, mais elle est présentée par le Gouvernement comme une solution pour lutter contre l’absentéisme endémique qui frappe les assemblées générales de copropriété. Le dispositif est, à cette fin, complété par la généralisation des passerelles permettant de voter, au cours de la même assemblée, à des majorités plus souples, des résolutions relevant de majorités qualifiées ; par l’abaissement de la majorité nécessaire au vote de quelques résolutions ; et par la clarification bienvenue des dispositions relatives au vote par correspondance.

Enfin, l’ordonnance crée un statut dérogatoire applicable aux petites copropriétés et aux copropriétés à deux copropriétaires qui était attendu de longue date du fait de l’inadaptation flagrante des règles de la loi de 1965 à ce type de copropriétés.

Toutes ces modifications seront exposées à travers les différentes contributions du présent dossier consacré à l’ordonnance du 30 octobre 2019 (cf. sommaire infra).

Alors certes, on peut avoir le regret de l’absence de toute disposition favorisant la réalisation de travaux d’économies d’énergie ou encore de l’abandon du plan pluriannuel de travaux qui devait être imposé aux copropriétaires qui auraient dû abonder les fonds de travaux à hauteur de 2,5 % minimum du montant prévu dans le plan, mais gageons qu’il ne s’agit probablement pas d’un abandon définitif et que la disposition sera certainement réécrite et mise à l’ordre du jour d’une prochaine réforme [7]. C’est bien cela qui inquiète car finalement le texte, qui sera complété rapidement par la loi de ratification et des décrets d’application, donne le même sentiment que celui que les commentateurs avaient eu au lendemain de la loi «ALUR» du 24 mars 2014 qui est celui de n’être en réalité qu’une nouvelle étape destinée à aller plus loin.

I -  Champ d’application et statut de la copropriété

Le statut de la copropriété : un champ d’application révolutionné par l’ordonnance du 30 octobre 2019
Par Vivien Zalewski-Sicard, Enseignant-chercheur, Université Toulouse Capitole, IEJUC

II - L’administration de la copropriété dans le cadre du régime général

A - Administration du point de vue des organes

♦ Le syndicat des copropriétaires après l’ordonnance du 30 octobre 2019
Par Vivien Zalewski-Sicard, Enseignant-chercheur, Université Toulouse Capitole, IEJUC

♦ La prise de décision au sein de la copropriété après l’ordonnance du 30 octobre 2019
Par Pierre-Edouard Lagraulet, Docteur en droit, chargé d’enseignement à l’IUT de Bordeaux

♦ Le syndic : une liberté mieux encadrée et des obligations supplémentaires après l’ordonnance du 30 octobre 2019
Par Vivien Zalewski-Sicard, Enseignant-chercheur, Université Toulouse Capitole, IEJUC

♦ Le conseil syndical : un conseil au rôle renforcé après l’ordonnance du 30 octobre 2019
Par Vivien Zalewski-Sicard, Enseignant-chercheur, Université Toulouse Capitole, IEJUC

B - Administration du point de vue de l'objet (charges/travaux)

♦ Les modifications des règles relatives aux travaux et aux charges par l’ordonnance du 30 octobre 2019
Par Julien Prigent, Mutelet-Prigent & Associés, Avocats à la cour d’appel de Paris

III - Régime dérogatoire des «petites copropriétés»

♦ Les «petites copropriétés» sous ordonnance : fin de l’unicité du statut avec l’ordonnance du 30 octobre 2019
Par Pierre-Edouard Lagraulet, Docteur en droit, chargé d’enseignement à l’IUT de Bordeaux

 

[1] Excepté pour la dispense d’ouverture d’un compte séparé pour les petites copropriétés pour lesquelles les nouvelles dispositions de l’article 18-2 de la loi du 10 juillet 1965 s’appliqueront qu’au 31 décembre 2020 (ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, art. 41 III). Par ailleurs, les dispositions relatives à la durée, au renouvellement et à la résiliation du contrat de syndic ne s’appliqueront qu’aux contrats de syndics conclus ou renouvelés après l’entrée en vigueur de l’ordonnance (ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, art. 41 IV).

[2] L’article 215 III de la loi «ELAN» prévoit que le projet de loi de ratification soit déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.

[3]  Des arrêtés sont également attendus pour établir un modèle de formulaire permettant aux copropriétaires de voter par correspondance (V. ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, art. 35 modifiant l’article 17-1 A de la loi du 10 juillet 1965) et pour élaborer un modèle de fiche sur le prix et les prestations accompagnant le projet de contrat de syndic (V. ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, art. 16 modifiant l’article 18-1 de la loi du 10 juillet 1965).   

[4] Projet du GRECCO, v. Loy. et copr. n° 11, novembre 2017 p. 9 et s. ; Rapport du CLCV, «Copropriété - Les réformes à entreprendre», octobre 2017 ; Les 30 propositions de PROCIVIS LAB’ pour stopper les dégradations des copropriétés, avril 2019.

[5] V. interview donnée le 25 novembre 2029 sur Radio-Immo.fr.

[6] V. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : Z954828U).

[7] Lors du congrès de la Fédération Nationale de l’Immobilier, le ministre du Logement Julien Denormandie s’est engagé à ce que le plan pluriannuel de travaux soit réintroduit dans la loi de ratification de l’ordonnance du 30 novembre 2019.

newsid:471555

Copropriété

[Textes] Le statut de la copropriété : un champ d’application révolutionné par l’ordonnance du 30 octobre 2019

Réf. : Ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : Z955378U) ; modifiant la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : L5536AG7)

Lecture: 19 min

N1559BYE

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par Vivien Zalewski-Sicard, Enseignant-chercheur, Université Toulouse Capitole, IEJUC

Le 12 Décembre 2019

La réforme majeure et principale de l’ordonnance du n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 réside, bel et bien, dans la modification du champ d’application du statut de la copropriété. En effet, alors que, jusqu’à présent, l’usage de l’immeuble n’était pris en considération que pour l’application de quelques dispositions éparses, il en va désormais différemment puisque c’est bel et bien de l’usage de l’immeuble dont va dépendre l’application impérative du statut de la copropriété. L’immeuble est-il ou non à usage partiel ou exclusif d’habitation ? Telle est la question qu’il conviendra, désormais, de se poser en premier lieu en matière de copropriété (sur le principe antérieur : Ch. Coutant-Lapalus, Le principe de l’unicité du statut de la copropriété sous le prisme des lots à usage d’habitation, Loyers et copr. 2015, dossier 3).

Relativement à cette restriction du champ d’application impératif du statut de la copropriété, le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 30 octobre 2019 (N° Lexbase : Z954828U) précise que «la projection d'un régime uniforme d'ordre public pour la gestion de tous les immeubles suscite depuis longtemps des interrogations de la part de la doctrine et des praticiens, jugeant ces mécanismes trop rigides pour s'adapter aux exigences de ces différents types de copropriétés et estimant qu'il conviendrait, sous certaines conditions et dans certaines limites, de prévoir des aménagements ou assouplissements de certaines règles impératives du statut de la copropriété. L'ordonnance prévoit donc des mesures d'adaptation pour les copropriétés qui ne sont pas à usage d'habitation, l'édiction d'un corps de règles spécifiques applicables aux petites copropriétés, ainsi que des mesures prenant en compte la structure spécifique de certains immeubles en copropriété et leur ‘multifonctionnalité’ (copropriétés relevant du tertiaire ou à usage mixte)».

Avant comme après l’ordonnance du 30 octobre 2019, il demeure possible, pour présenter le champ d’application du statut de la copropriété, de distinguer entre les conditions communes (I) à l’application impérative au statut de la copropriété et à l’application facultative au statut, les conditions propres à l’application impérative au statut de la copropriété (II) et les conditions propres à l’application facultative au statut de la copropriété (III).

I - Les conditions communes à l’application du statut de la copropriété

Ces conditions communes à l’application du statut de la copropriété, qu’elle soit impérative ou facultative, sont au nombre de deux : il faut, d’une part, qu’existe un bâtiment (A), et d’autre part, que la propriété soit répartie entre parties communes et parties privatives (B). Qu’il s’agisse de l’une ou de l’autre de ces conditions, elles ne sont pas modifiées par l’ordonnance du 30 octobre 2019. Pour la condition relative à l’existence d’un bâtiment, il est permis de le regretter compte tenu de la rédaction actuelle de l’article 1-1 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L6779LNE), créé par la loi «ELAN» du 23 novembre 2018 (loi n° 2018-1021 N° Lexbase : L8700LM8). Pour celle relative à l’existence de parties privatives et de parties communes, des précisions sont apportées sur la distinction entre les parties communes spéciales et les parties communes générales ainsi que sur les parties privatives à usage exclusif d’un copropriétaire.

A - L’existence d’un bâtiment

L’article 1er de la loi du 10 juillet 1965, dans sa rédaction après modification par l’article 2 de l’ordonnance du 30 octobre 2019, ne vise toujours que les immeubles bâtis : «I.- La présente loi régit tout immeuble bâti ou groupe d'immeubles bâtis…».

A cet égard, il peut être constaté que n’a pas été reprise la proposition faite par le projet du GRECCO de préciser que «la présente loi s’applique à tout immeuble bâti ou à bâtir dont la propriété est répartie entre plusieurs personnes par lots comportant une partie privative et une quote-part de parties communes».

Or, cette absence de reprise est, selon nous, problématique, compte tenu de la rédaction de l’article 1-1 de la loi du 10 juillet 1965, créé par la loi «ELAN» du 23 novembre 2018. En effet, cet article distingue deux situations, tout en précisant que l’immatriculation du syndicat des copropriétaires est sans conséquence sur l’application du statut :

- la première est celle où est visée un immeuble bâti : «en cas de mise en copropriété d'un immeuble bâti existant, l'ensemble du statut s'applique à compter du premier transfert de propriété d'un lot» ;

- la seconde est celle où est visée un immeuble à construire : «pour les immeubles à construire, le fonctionnement de la copropriété découlant de la personnalité morale du syndicat de copropriétaires prend effet lors de la livraison du premier lot» («la première livraison d’un lot» aurait été préférable).

La majorité des commentateurs de cette nouvelle disposition considère que, ce faisant, la loi «ELAN» vient confirmer que la copropriété n’existe pas pendant la période de construction et que la première livraison est le point de départ du statut. Pour autant, on ne peut ignorer que cet article 1-1 de la loi du 10 juillet 1965 est le «copier-coller» de l’article 2 du projet du GRECCO et que cet article 2 ne peut être compris qu’à la lumière de l’article 1 du même projet dont il résulte exactement l’inverse de ce qui est soutenu par ladite doctrine : «la présente loi s’applique à tout immeuble bâti ou à bâtir».

En outre, l’interprétation retenue par cette doctrine majoritaire de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965 n’explique en rien pour quelle raison est visée, d’un côté, l’application de l’ensemble du statut et, de l’autre côté, la prise d’effet du fonctionnement de la copropriété.

Cette distinction n’a aucun sens sans la précision de l’article 1er du projet du GRECCO et il serait, donc, préférable de la supprimer de l’article 1-1 de la loi du 10 juillet 1965 en indiquant simplement la chose suivante : «en cas de mise en copropriété d’un immeuble à bâtir, l’ensemble du statut s’applique à compter de la première livraison d’un lot», ce qui permet alors d’établir simplement que la naissance de la copropriété intervient lors de la première livraison d’un lot, permettant d’établir, alors, que l’immeuble en cause n’est plus en construction, mais bâti.

B - L’existence de parties privatives et de parties communes

Outre l’exigence d’un immeuble bâti ou d’un groupe d’immeubles bâtis, l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965 précise que la propriété doit être répartie par lots entre plusieurs personnes. C’est au second alinéa dudit article, qui n’est pas modifié par l’ordonnance du 30 octobre 2019, que l’on trouve la définition du lot de copropriété : «le lot de copropriété comporte obligatoirement une partie privative et une quote-part de parties communes, lesquelles sont indissociables». Par contraction de ce qui correspond, désormais, au premier alinéa et au second alinéa du I de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965, il peut être affirmé que la loi du 10 juillet 1965 s’applique à tout immeuble bâti dont la propriété est répartie entre plusieurs personnes par lots comportant une partie privative et une quote-part de parties communes.

Cette exigence d’une répartition de la propriété par lots comportant une partie privative et une quote-part de parties communes permet de distinguer la division par lots de la division en volumes, cette dernière échappant à l’application de la loi du 10 juillet 1965. En dépit des multiples références qui sont faites à la division en volumes dans la loi du 10 juillet 1965, ni la loi «ELAN», ni l’ordonnance du 30 octobre 2019, n’ont défini cette division en volumes.

Au-delà de cette exigence d’existence de parties privatives et de parties communes, l’article 3 de l’ordonnance modifie les articles 4 et 5 de la loi du 10 juillet 1965  pour tenir compte de la consécration, par la loi «ELAN», de la notion de parties communes spéciales, en distinguant de manière explicite les parties communes spéciales, qui sont la propriété indivise de certains copropriétaires, des parties communes générales, qui sont la propriété indivise de l'ensemble des copropriétaires. Ainsi, l’article 4 de la loi du 10 juillet 1965 distingue-t-il, désormais, les parties communes générales des parties spéciales. A l'article 5 de la loi du 10 juillet 1965, il est précisé que la proportionnalité des quotes-parts de parties communes en fonction de la valeur relative de chaque partie privative s'applique tant aux parties communes spéciales que générales.

L'article 6 de l'ordonnance modifie le I de l'article 8 de la loi du 10 juillet 1965 afin d'y intégrer les parties communes spéciales et celles à jouissance privative qui ne peuvent exister que pour autant que le règlement de copropriété le prévoit, conformément à l'article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965 issu de la loi «ELAN».

S'agissant du droit de jouissance privatif sur parties communes, l'article 6-3 de la loi du 10 juillet 1965 est complété, en consacrant une jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 10 octobre 1990, n° 89-11.852 N° Lexbase : A0096CRY), afin de prévoir que le règlement de copropriété peut préciser les charges que le titulaire de ce droit devra, le cas échéant, supporter.

II - Les conditions propres à l’application impérative au statut de la copropriété

C’est ici que réside la modification majeure réalisée par l’ordonnance du 30 octobre 2019 : la réduction du champ d’application impératif du statut de la copropriété aux seuls immeubles à usage partiel ou exclusif d’habitation (A). N’est pas modifiée, en revanche, la condition d’une propriété du sol homogène permettant de distinguer le groupe d’immeubles de l’ensemble immobilier (B).

A - Un immeuble à usage partiel ou exclusif d’habitation

Partant du postulat que la loi du 10 juillet 1965 est trop rigide pour s’appliquer à tous les immeubles quel que soit leur usage, l’ordonnance du 30 octobre 2019 réduit l’application impérative du statut de la copropriété aux seuls immeubles ou groupes d’immeubles bâtis à usage total ou partiel d’habitation.

Une telle réduction du champ d’application impérative du statut de la copropriété créera inévitablement des problèmes de frontière qui doivent, néanmoins, être relativisés.

Le critère à retenir pour déterminer si l’immeuble est à usage partiel ou total d’habitation n’est pas précisé dans le I de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965. A notre sens, il n’est pas possible de s’en tenir à la seule volonté des parties. En effet, il serait trop simple de contourner le statut de la copropriété en mettant en place une organisation différente pour un immeuble pour lequel les parties déclareraient qu’il n’est pas à usage d’habitation. Il conviendra de prendre en compte, également, des éléments objectifs, des caractéristiques matérielles, permettant d’établir l’usage qui est ou qui sera fait de l’immeuble. Ainsi, dès lors que l’immeuble comprend ou doit comprendre tous les éléments d’équipement d’un immeuble à usage d’habitation, l’application du statut de la copropriété sera impérative.

Par ailleurs, il est suffisant que le bâtiment contienne un lot à usage d’habitation pour que l’application du statut de la copropriété soit impérative. Il importe peu, en effet, de déterminer si les lots à usage d’habitation sont majoritaires par rapport aux lots à un autre usage. Ainsi, un lot à usage d’habitation dans un bâtiment comprenant 99 lots à un usage autre que d’habitation suffira pour considérer que le bâtiment est à usage partiel d’habitation et que le statut de la copropriété soit impérativement applicable. De même, il est suffisant qu’un bâtiment dans un groupe de bâtiments soit à usage partiel ou total d’habitation pour que le statut de la copropriété soit applicable impérativement.

Il est parfaitement possible, au demeurant, que l’usage d’un lot évolue dans le temps. En cette hypothèse, il faudra régler la situation conventionnellement. En effet, si un lot passe d’un usage d’habitation à un usage de commerce et qu’il n’existe plus de lot à usage d’habitation dans le bâtiment concerné, les copropriétaires pourront user du deuxième alinéa du 2° du II de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965 qui précise que la convention mettant en place une organisation dotée de la personne morale est adoptée par l'assemblée générale à l'unanimité des voix de tous les copropriétaires composant le syndicat. A l’inverse, l’usage d’un lot à usage autre que d’habitation pourrait être transformée par son propriétaire. En cette hypothèse, la convention prévoyant l’organisation différente pourrait faire obstacle à une telle modification. Chaque propriétaire ne pourrait ainsi, sans l’accord unanime des autres, modifier l’usage de son lot.

Si, ainsi, des problèmes de frontière vont surgir, celles-ci ne sont pas pour autant inédites. En effet et tout d’abord, différentes dispositions du droit de la copropriété ne sont applicables qu’aux bâtiments à usage d’habitation. Ainsi et par exemple, le dernier alinéa de l’article 8-2 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L3651I4Y), qui n’est pas modifié par l’ordonnance du 30 octobre 2019, précise que l’établissement d’une fiche synthétique ne s’impose pas lorsque l’immeuble est à destination totale autre que d’habitation. Il est vrai, toutefois, que, dans cette hypothèse, le syndic va être conduit à prendre en considération les stipulations du règlement de copropriété pour déterminer s’il est tenu ou non d’établir ladite fiche.

D’autre part, ces problèmes de frontière apparaissent également dans d’autres domaines notamment celui du droit de la construction lorsqu’il s’agit de déterminer si les règles du secteur protégé doivent être appliquées. Ainsi, pour les résidences de tourisme et les résidences-services, la Cour de cassation a été conduite à préciser que le mode de gestion desdites copropriétés n’était pas dirimant et que les appartements situés dans ces résidences devaient être considérés comme étant à usage d’habitation (Cass. civ. 3, 23 mai 2019, n° 17-17.908, FS-P+B+I N° Lexbase : A1907ZCM). Il nous semble que la même solution devra être retenue lorsqu’il s’agira de déterminer si le statut de la copropriété est impérativement applicable aux résidences de tourisme et aux résidences-services.

B - Une propriété homogène

Pour que l’application du statut de la copropriété soit impérative, il est nécessaire qu’il y ait homogénéité de la propriété. Autrement dit, l’ensemble de la propriété de l’immeuble ou du groupe d’immeuble doit être réparti en lots composés de parties privatives et d’une quote-part de parties communes. Sur ce point, l’ordonnance du 30 octobre 2019 n’innove pas.

III - Les conditions propres à l’application facultative au statut de la copropriété

Ces conditions sont énoncées au II de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965. Le statut de la copropriété s’appliquera de manière facultative aux immeubles ou groupe d’immeubles à usage autre que d’habitation (A) ainsi qu’aux ensembles immobiliers (B) mais uniquement lorsqu’une organisation différente n’aura pas été mise en place (C).

A - Un immeuble à usage autre que d’habitation

Sont visés par le II de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965 tous les immeubles ou groupe d’immeubles à usage autre que d’habitation, même partiellement. Ainsi et désormais, un immeuble à usage de commerce, à usage industriel, à usage artisanal, à usage professionnel… , à usage mixte, dès lors que l’un des usages n’est pas l’habitation, peut ne pas être soumis au statut de la copropriété.  Des parties communes et des parties privatives existeront bien. C’est, alors, aux parties qu’il va revenir d’organiser conventionnellement la gestion desdites parties communes et les rapports entre les copropriétaires et entre les copropriétaires et les tiers. Aux parties, donc, de créer une nouvelle organisation. 

L’article 2 de l’ordonnance du 30 octobre 2019 n’a d’ailleurs pas omis d’envisager la situation de ces immeubles qui seraient soumis au statut de la copropriété, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de ladite ordonnance soit ultérieurement en l’absence de mise en place d’une organisation différente, et dont les copropriétaires voudraient sortir. En cette hypothèse, la convention créant une organisation différente répondant aux exigences du II de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965.

B - Un ensemble immobilier

Avant comme après l’ordonnance du 30 octobre 2019, l’application du statut de la copropriété aux ensembles immobiliers demeure facultative. Toutefois, l’article 2 de l’ordonnance modifie la définition des ensembles immobiliers en élargissant celle-ci. En effet, est défini comme tel l’ensemble immobilier qui, outre des terrains, des volumes, des aménagements et des services communs, comporte des parcelles ou des volumes, bâtis ou non, faisant l'objet de droits de propriété privatifs. Ce sont, donc, les volumes qui font leur entrée dans la définition des ensembles immobiliers. Relativement à cet ajout, le rapport au Président de la République précise qu’il s’agit d’assurer la cohérence avec le IV de l'article 28 qui prévoit la possibilité d'une scission en volumes pour les «ensembles immobiliers complexes».

L’ajout des volumes à la définition de l’ensemble immobilier ne modifie pas le critère permettant de distinguer le groupe d’immeubles de l’ensemble immobilier : si l’ensemble de la propriété est réparti de façon homogène, la qualification de groupe d’immeubles doit être retenue et l’application du statut de la copropriété est impérative ; si la propriété est répartie de manière hétérogène, la qualification d’ensemble immobilier doit être retenue avec, dès lors, une application facultative du statut de la copropriété. A cet égard et à nouveau, on ne peut que constater que la définition de l’ensemble immobilier figurant à l’article 1 du projet du GRECCO est beaucoup plus éclairante que celle retenue par l’article 2 de l’ordonnance du 30 octobre 2019. En effet, sa lecture permet une compréhension beaucoup plus claire et nette de ce qu’est un ensemble immobilier : il est composé de terrains ou d’immeubles implantés sur plusieurs unités foncières ou réalisés dans plusieurs volumes, faisant l’objet de droits de propriété privatifs distincts et comportant des éléments à usage commun.

Qu’il s’agisse d’un ensemble immobilier ou d’un immeuble ou groupe d’immeubles à usage autre que d’habitation totale ou partielle, le statut de la copropriété ne sera écarté que si et seulement si une organisation différente a été mise en place. Relativement à celle-ci, l’ordonnance du 30 octobre 2019 apporte des précisions.

C - L’absence de convention contraire

En l’absence de convention contraire, tant les ensembles immobiliers que les immeubles à usage autre que d’habitation n’échappent pas au statut de la copropriété. Pour qu’il en aille différemment, le II de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965 impose que les propriétaires aient conclu une convention dérogeant expressément à la loi du 10 juillet 1965 et mettant en place une organisation dotée de la personnalité morale et suffisamment structurée pour assurer la gestion de leurs éléments et services communs.

Relativement à la précédente rédaction de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965, il peut être constaté que :

- il est, désormais, exigé que la convention précise expressément que les parties entendent déroger à la loi du 10 juillet 1965. En l’absence d’une telle mention dans la convention, la jurisprudence pourrait être conduite à considérer que le statut de la copropriété doit recevoir application. Les parties pourront toujours, alors, modifier la convention ou en conclure une nouvelle, mais il sera alors nécessaire d’adopter une telle décision en assemblée générale à l’unanimité des voix de tous les copropriétaires composant le syndicat ;

- il est précisé que l’organisation différente correspond nécessairement à une personne morale. Autrement dit, une convention d’indivision ne peut suffire à échapper à l’application facultative du statut de la copropriété ;

- cette organisation doit être suffisamment structurée pour assurer la gestion des éléments et services communs. A cet égard, ce sont les statuts de la personne morale créée par les propriétaires qui permettront de déterminer si cette exigence est bien remplie.

Si ces exigences n’étaient pas jusqu’à présent exposées à l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965, elles n’étaient pas pour autant inexistantes. En effet, la Cour de cassation avait été conduite en plusieurs occasions à préciser celles-ci. Par exemple, elle avait jugé qu’un simple groupement de fait, dépourvu de la personnalité morale, ne correspondait pas à une organisation suffisamment structurée (Cass. civ. 3, 31 mars 1993, n° 90-10.143 N° Lexbase : A7670C79). Ce faisant, l’ordonnance du 30 octobre 2019 consacre la jurisprudence de la Cour de cassation. Ainsi, avant comme après l’ordonnance du 30 octobre 2019, la création d’une association syndicale libre de propriétaires ou d’une union de syndicats permettra d’échapper à l’application facultative du statut de la copropriété.

newsid:471559

Droit financier

[Brèves] «PACTE» : règles de fonctionnement des organismes de financement et obligations de communication au greffe sur les statuts des sociétés de financement spécialisé

Réf. : Décret n° 2019-1296 du 4 décembre 2019, précisant les règles de fonctionnement des organismes de financement en application de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (N° Lexbase : L7768LTU)

Lecture: 3 min

N1484BYM

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par Vincent Téchené

Le 11 Décembre 2019

► Un décret, publié au Journal officiel du 6 décembre 2019 (décret n° 2019-1296 du 4 décembre 2019, précisant les règles de fonctionnement des organismes de financement en application de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises N° Lexbase : L7768LTU), précise les règles de fonctionnement des organismes de financement ainsi que les obligations de communication au greffe sur les statuts des sociétés de financement spécialisé pour l'application des articles 77 et 206 de la loi «PACTE» (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 N° Lexbase : L3415LQK).

En effet, l'article 77 de la loi «PACTE» a complété l'article L. 214-190-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7461LQE) concernant les statuts des sociétés de financement spécialisé. L'article 206 a créé, pour sa part, deux articles : L. 214-190-2-1 (N° Lexbase : L7476LQX) et L. 214-190-3-1 (N° Lexbase : L7465LQK) dans ce même code afin de fixer les conditions de rachats, de suspension des rachats ainsi que de scission du fonds lorsque la cession de certains actifs n'est pas conforme à l'intérêt des investisseurs. Le décret procède donc aux mesures d'adaptation du cadre réglementaire à la suite de ces modifications législatives, en créant, notamment trois nouveaux articles dans la partie réglementaire dans le Code monétaire et financier.

En premier lieu, le nouvel article D. 214-240-5 prévoit que l'extrait des statuts de la société de financement spécialisé doit être déposé en annexe du RCS ; il doit être signé par les associés ou actionnaires et doit contenir certains éléments listés par le texte.

En deuxième lieu, le nouvel article D. 214-240-6 dispose que l'ancienne société de financement spécialisé qui conserve les actifs dont la cession ne serait pas conforme à l'intérêt des investisseurs et la nouvelle société de financement spécialisé ont la même société de gestion de portefeuille, le même dépositaire des actifs et le même commissaire aux comptes. La société de gestion de portefeuille doit alors informer immédiatement les investisseurs du transfert des actifs et leur transmet un rapport justifiant cette décision en en détaillant les modalités. Les documents destinés à l'information des investisseurs de l'ancienne et de la nouvelle société de financement spécialisé sont également mis à leur disposition par la société de gestion de portefeuille. Au plus tard dans les huit jours qui suivent la réalisation du transfert des actifs, le commissaire aux comptes établit un rapport fixant la liste des actifs transférés qui doit être tenu à la disposition des investisseurs par la société de gestion de portefeuille. Les frais de gestion de l'ancienne société de financement spécialisé doivent être adaptés à une gestion de type extinctive.

En troisième lieu le nouvel article D. 214-240-7 prévoit des dispositions identiques concernant l’ancien fonds de financement spécialisé qui conserve les actifs dont la cession ne serait pas conforme à l'intérêt des investisseurs.

Ce décret est entré en vigueur le 7 décembre 2019.

newsid:471484

Fiscalité locale

[Brèves] Précisions sur la valeur locative de biens immobiliers acquis à la suite d'un crédit-bail

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 2 décembre 2019, n° 421454, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6565Z4W)

Lecture: 3 min

N1480BYH

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par Marie-Claire Sgarra

Le 11 Décembre 2019

La valeur locative plancher à retenir est celle qui a été retenue pour l'imposition du crédit-bailleur au titre de l'année d'acquisition, telle que définitivement établie après exercice, le cas échéant, du droit de reprise de l'administration ou du droit de réclamation du crédit-bailleur.

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 2 décembre 2019 (CE 8° et 3° ch.-r., 2 décembre 2019, n° 421454, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6565Z4W).

En l’espèce, la société L. est propriétaire à Roubaix d'un ensemble immobilier qu'elle a acquis le 24 juin 2008 par voie de levée d'option dans le cadre d'un contrat de crédit-bail conclu avec la société F.. L'administration, estimant que la valeur locative de cet immeuble qu'il convenait de retenir, en application de l'article 1499-0 A du Code général des impôts (N° Lexbase : L5072ICT), n'était pas d'un montant de 26 277 euros, montant qui avait été retenu pour l'établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties due, au titre de l'année 2008, par la société F., mais d'un montant de 976 263 euros correspondant à l'évaluation de cet immeuble selon la méthode comptable de l'article 1499 du même Code (N° Lexbase : L0268HMU), telle qu'elle aurait dû être appliquée en 2008, lui a notifié les redressements correspondants. Le tribunal administratif de Lille rejette les demandes de la société tendant à la décharge des cotisations supplémentaires mises à sa charge.

Les dispositions dérogatoires de l'article 1499-0 A du Code général des impôts, qui instituent une valeur locative plancher pour l'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties d'un crédit-preneur acquérant un bien immobilier industriel pris en crédit-bail, ne trouvent à s'appliquer que dans l'hypothèse où cette valeur plancher est supérieure à la valeur locative des immobilisations industrielles en cause déterminée, dans les conditions de droit commun prévues à l'article 1499, à partir du prix de revient de ces immobilisations pour le crédit-preneur (CE 8° et 3° ch.-r., 18 juillet 2018, n° 414120, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0971XYM).

Par suite, en jugeant que l'administration avait légalement pu retenir, pour établir les bases d'imposition de la société L. au titre des années 2013 à 2015, pour l'immeuble concerné, une valeur locative plancher différente de celle retenue pour l'imposition du crédit-bailleur en 2008, année d'acquisition de cet immeuble par la société requérante, alors qu'aucune rectification de la valeur locative retenue pour l'imposition du crédit-bailleur en 2008 n'était intervenue, à l'initiative de l'administration ou du contribuable, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

newsid:471480

Marchés publics

[Brèves] Action en paiement direct d'un sous-traitant accepté : notion de «temps utile» dans laquelle la demande de paiement doit être adressée

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 2 décembre 2019, n° 425204, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6410Z48)

Lecture: 2 min

N1466BYX

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par Yann Le Foll

Le 11 Décembre 2019

► Il résulte de la combinaison des articles 6 et 8 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance (N° Lexbase : L5127A8E), et de l'article 186 ter du Code des marchés publics, dans sa version alors applicable que, pour obtenir le paiement direct par le maître d'ouvrage de tout ou partie des prestations qu'il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, le sous-traitant régulièrement agréé doit adresser en temps utile sa demande de paiement direct à l'entrepreneur principal, titulaire du marché, et, dans le cas mentionné au deuxième alinéa de l'article 186 ter du Code des marchés publics, au maître d'ouvrage ;

► une demande adressée après la notification du décompte général du marché au titulaire de celui-ci ne peut être regardée comme ayant été adressée en temps utile.

Ainsi statue le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 2 décembre 2019 (CE 2° et 7° ch.-r., 2 décembre 2019, n° 425204, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6410Z48).

Faits. La société DG Entreprise n'a pas présenté de demande de paiement direct destinée au maître d'ouvrage avant que le décompte général ne soit adressé à la société Bianco, titulaire du marché, en janvier 1999.

Solution. Dès lors, en jugeant que la demande de paiement direct adressée au maître d'ouvrage, en décembre 2013, par la société EMJ, en sa qualité de liquidateur de la société DG Entreprise, était tardive, la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 30 août 2018, n° 16LY03025 N° Lexbase : A3710X3S), qui n'avait pas à rechercher si ce décompte général était devenu définitif, n'a pas commis d'erreur de droit (cf. l'Ouvrage "Droit de la commande publique" N° Lexbase : E7115E9E). 

newsid:471466

Marchés publics

[Brèves] Calcul du préjudice du candidat irrégulièrement évincé d'un marché susceptible de reconduction

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 2 décembre 2019, n° 423936, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6409Z47)

Lecture: 2 min

N1483BYL

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par Yann Le Foll

Le 07 Janvier 2020

► Dans le cas où le marché est susceptible de faire l'objet d'une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s'y oppose pas, le manque à gagner du candidat irrégulièrement évincé ne revêt un caractère certain qu'en tant qu'il porte sur la période d'exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d'éventuelles reconductions.

Ainsi statue le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 2 décembre 2019 (CE 2° et 7° ch.-r., 2 décembre 2019, n° 423936, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6409Z47).

Rappel. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre (CE, 1er juillet 2005, n° 263672 N° Lexbase : A0214DK7). 

Faits. Statuant sur les conclusions indemnitaires présentées par la société Valeurs Culinaires en raison de son éviction, par le groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine, de l'attribution d'un marché public ayant pour objet des prestations de restauration, la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 6 juillet 2018, n° 17NT01247 N° Lexbase : A1335XY4) a jugé que cette société, irrégulièrement évincée alors qu'elle avait des chances sérieuses de l'emporter, pouvait prétendre à être indemnisée de son manque à gagner.

Alors qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le marché faisant l'objet de la procédure de passation litigieuse était conclu pour une période d'exécution initiale de douze mois, renouvelable deux fois, la cour a retenu que l'indemnisation du manque à gagner de la société Valeurs Culinaires devait être calculée sur une période totale de trois ans correspondant à la période d'exécution initiale, ainsi qu'aux deux années supplémentaires susceptibles de faire l'objet de reconductions.

Solution. En statuant ainsi, alors que le manque à gagner susceptible de donner lieu à l'indemnisation de la société Valeurs Culinaires ne pouvait revêtir de caractère certain que pour la période initiale de douze mois, la cour a commis une erreur de droit (cf. l'Ouvrage "Marchés publics" N° Lexbase : E2095EQN).

newsid:471483

Presse

[Brèves] Conformité à la Constitution de l’interdiction générale de procéder à la captation ou à l'enregistrement des audiences des juridictions administratives ou judiciaires

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-817 QPC, du 6 décembre 2019 (N° Lexbase : A9880Z4P)

Lecture: 4 min

N1482BYK

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par June Perot

Le 02 Janvier 2020

► Le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution les dispositions de l'article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW) qui posent l’interdiction d’utiliser tant un appareil photographique ou d'enregistrement sonore ou audiovisuel au cours des audiences des juridictions administratives ou judiciaires, que la cession ou la publication du document ou de l'enregistrement obtenu au moyen de cet appareil ;

pour ce faire, le Conseil constitutionnel retient notamment qu’il s’agit d’assurer la sérénité des débats, de prévenir les atteintes au respect de la vie privée des parties au procès et des personnes participants aux débats, à la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, à la présomption d'innocence de la personne poursuivie ;

il relève également que, d’une part, s'il est possible d'utiliser des dispositifs de captation et d'enregistrement qui ne perturbent pas en eux-mêmes le déroulement des débats, l'interdiction de les employer au cours des audiences permet de prévenir la diffusion des images ou des enregistrements, susceptible quant à elle de perturber ces débats ; d'autre part, l'évolution des moyens de communication est susceptible de conférer à cette diffusion un retentissement important qui amplifie le risque qu'il soit porté atteinte aux intérêts précités ;

enfin, l'interdiction résultant des dispositions contestées, à laquelle il a pu être fait exception, ne prive pas le public qui assiste aux audiences, en particulier les journalistes, de la possibilité de rendre compte des débats par tout autre moyen, y compris pendant leur déroulement, sous réserve du pouvoir de police du président de la formation de jugement.

C’est ainsi que le Conseil constitutionnel a tranché la question qui lui était posée au sujet de la conformité de l’article 38 ter de la loi de 1881, dans une décision rendue le 6 décembre 2019 (Cons. const., décision n° 2019-817 QPC, du 6 décembre 2019 N° Lexbase : A9880Z4P).

La QPC. Les Sages avaient été saisis le 3 octobre 2019 par la Chambre criminelle (Cass. crim., 1er octobre 2019, n° 19-81.769, FS-D N° Lexbase : A5020ZQY). La question était formulée comme suit : «Les dispositions de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881, qui interdisent dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image, portent-elles atteinte au principe de nécessité des délits et des peines garanti aux articles 5 (N° Lexbase : L1369A9L) et 8 (N° Lexbase : L1372A9P) de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et limitent-elles la liberté de communication garantie à l’article 11 (N° Lexbase : L1358A98) de ce texte de manière nécessaire, adaptée et proportionnée, alors qu’elles érigent en infraction pénale la captation de sons et d’images effectuée par des journalistes au cours d’un procès, qui est pourtant susceptible d’être effectuée sans troubler la sérénité des débats, sans porter une atteinte excessive aux droits des parties, ni menacer l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ? ».

Griefs formulés. La requérante et l'association intervenante reprochaient à ces dispositions d'interdire tant l'utilisation d'un appareil photographique ou d'enregistrement sonore ou audiovisuel au cours des audiences des juridictions administratives ou judiciaires, que la cession ou la publication du document ou de l'enregistrement obtenu au moyen de cet appareil. Selon elles, l'évolution des techniques de captation et d'enregistrement ainsi que le pouvoir de police de l'audience du président de la juridiction suffiraient à assurer la sérénité des débats, la protection des droits des personnes et l'impartialité des magistrats. L'association intervenante dénonçait également le fait que le législateur n'ait pas prévu d'exception à cette interdiction afin de tenir compte de la liberté d'expression des journalistes et du «droit du public de recevoir des informations d'intérêt général». Il en résulterait une méconnaissance de la liberté d'expression et de communication. L'interdiction étant sanctionnée d'une peine d'amende, ces dispositions contreviendraient, pour les mêmes motifs, au principe de nécessité des délits et des peines.

Conformité. Reprenant les motifs précités, le Conseil constitutionnel considère que l'atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui résulte des dispositions contestées est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le principe de nécessité des délits et des peines, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.

Et les live-tweet ? Il nous semble que le Conseil ne condamne pas cette pratique puisqu’il énonce que l’interdiction litigieuse ne prive pas le public, et en particulier les journalistes, de la possibilité de rendre compte des débats par tout autre moyen, y compris pendant leur déroulement, sous réserve (évidemment) du pouvoir de police du président de la formation de jugement.

newsid:471482

Propriété intellectuelle

[Brèves] Transposition du «Paquet marques» : publication des dispositions réglementaires

Réf. : Décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, relatif aux marques de produits ou de services (N° Lexbase : L8139LTM) ; arrêté du 9 décembre 2019, relatif aux redevances de procédures de l'Institut national de la propriété industrielle (N° Lexbase : L8187LTE),

Lecture: 3 min

N1569BYR

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par Vincent Téchené

Le 07 Janvier 2020

► Faisant suite à l’ordonnance du 13 novembre 2019 (ordonnance n° 2019-1169, relative aux marques de produits ou de services N° Lexbase : L5296LTC ; lire N° Lexbase : N1179BYC), un décret, publié au Journal officiel du 10 décembre 2019 (décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, relatif aux marques de produits ou de services N° Lexbase : L8139LTM), parachève la transposition du «Paquet marques» (Directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques N° Lexbase : L6109KW8 et Règlement n° 2017/1001 du 14 juin 2017, sur la marque de l'Union européenne N° Lexbase : L0640LGS).

Ainsi, les livres IV, VII et VIII de la partie réglementaire du Code de la propriété intellectuelle sont modifiés. Le chapitre Ier du titre I er du livre IV relatif à l'Institut national de la propriété industrielle est ainsi modifié afin de prévoir la nouvelle compétence de l'office concernant les demandes en nullité ou en déchéance d'une marque, de prévoir la base juridique des redevances à percevoir pour les nouvelles procédures, ainsi que pour modifier la procédure de recours à l'encontre de l'ensemble des décisions rendues par le directeur général de l’INPI, en instaurant un recours de plein contentieux concernant les décisions rendues dans le cadre d'une demande en nullité ou en déchéance d'une marque et en s'alignant sur la procédure de l'appel de droit commun.

Les modifications du livre VII portent sur les modalités de dépôt et d'examen des demandes d'enregistrement de marques, notamment quant à la représentation des signes objets du dépôt d'une marque. Les modalités de renouvellement sont modifiées, en instaurant une information préalable de l'office et en prévoyant que le renouvellement peut être demandé pendant le délai d'un an avant le jour de l'expiration de l'enregistrement. Les règles applicables à la formation, au déroulement et à la clôture de la procédure d'opposition sont modifiées. Le décret étend la possibilité de déclarer la division d'une marque après son enregistrement. Afin de faciliter la gestion des portefeuilles de marques, le décret prévoit la possibilité d'inscrire la nomination, le changement ou la radiation d'un mandataire. Le décret précise le contenu du règlement d'usage des marques de garantie et des marques collectives. Il expose également les règles applicables à la formation, au déroulement et à la clôture des procédures de nullité ou de déchéance d'une marque ainsi que pour l'articulation entre les procédures judiciaires et administratives.

Le livre VIII est modifié afin d'adapter les dispositions applicables en outre-mer.

Le décret est complété d’un arrêté, également publié au Journal officiel du 10 décembre 2019 (arrêté du 9 décembre 2019, relatif aux redevances de procédures de l'Institut national de la propriété industrielle N° Lexbase : L8187LTE). Il fixe les taux des redevances de procédures perçues par l'INPI en matière de marques. Il précise, en outre, les modalités de paiement de l'ensemble des redevances en ce qui concerne les entités publiques.

Le nouveau cadre réglementaire est entré en vigueur le lendemain de la publication du décret, soit le 11 décembre 2019. Notamment, les dispositions relatives à l'examen, la publication et à l'enregistrement des demandes de marques s'appliquent aux demandes formées postérieurement à l'entrée en vigueur du décret. Toutefois, les dispositions relatives à la procédure de demande en nullité ou en déchéance d'une marque ainsi que celles relatives au recours contre les décisions du directeur général de l’INPI entrent en vigueur le 1er avril 2020.

A venir. Lexbase Hebdo - édition affaires consacrera son édition n° 620 du 16 janvier 2020 à un dossier spécial sur l’ordonnance et le décret.  

newsid:471569

Salariés protégés

[Brèves] Décompte du délai de recours contentieux après l’échec d’un recours hiérarchique dans le cadre du licenciement d’un salarié protégé

Réf. : CE 1° et 4° ch.-r., 2 décembre 2019, n° 415470, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6396Z4N)

Lecture: 2 min

N1532BYE

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par Charlotte Moronval

Le 12 Décembre 2019

► Les délais de recours contre une décision administrative prise en matière d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, soit dans sa notification si la décision est expresse, soit dans l'accusé de réception de la demande l'ayant fait naître si elle est implicite ; il en va ainsi alors même que la décision du ministre du Travail, prise à la suite de l'exercice d'un recours hiérarchique qui n'est pas un préalable obligatoire au recours contentieux, ne se substitue pas à la décision de l'inspecteur du travail qui a fait l'objet de ce recours.

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 2 décembre 2019 (CE 1° et 4° ch.-r., 2 décembre 2019, n° 415470, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6396Z4N ; voir déjà CE, 7 décembre 2015, n° 387872 N° Lexbase : A0450NZP).

Faits et procédure. Un salarié, délégué du personnel, est licencié pour faute grave à la suite d’une violente altercation avec un collège. Il conteste la décision de l’inspectrice du travail d’autoriser la rupture de son contrat de travail en exerçant un recours hiérarchique, puis, à la suite du rejet de sa demande, un recours contentieux.

La présidente du tribunal administratif rejette la demande, jugeant celle-ci irrecevable au motif qu’elle n’était pas motivée et n’avait pas été régularisée avant l’expiration du délai de recours. Le salarié se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 15 juin 2017, n° 15PA04495 N° Lexbase : A7093WIK) a rejeté son appel.

Solution. Enonçant la solution susvisée, les Hauts magistrats jugent que dès lors que l'accusé de réception du recours hiérarchique du salarié répondait aux conditions légales, le salarié disposait, pour contester la décision de l'inspectrice du travail, d'un délai de 2 mois à compter de la décision implicite de la ministre du Travail. En l’espèce, le ministre du Travail a respecté la procédure en adressant au salarié un accusé de réception du recours hiérarchique, dans lequel il avait informé l'intéressé qu'une décision implicite de rejet naîtrait le 23 juin 2015 en l'absence de décision expresse statuant sur son recours, et lui avait précisé les voies et délais de recours contre la décision expresse ou implicite à intervenir. Le salarié avait bien saisi le tribunal administratif dans les délais mais sa demande devait être rejetée, faute d’avoir été motivée (sur Le recours contentieux contre la décision de l'inspecteur du travail, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E9587ESU).

newsid:471532

Sociétés

[Jurisprudence] Dissolution d’une société en participation de profession libérale à l’initiative d’un associé : les contraintes du droit spécial

Réf. : Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-21.207, F-P+B+I (N° Lexbase : A3523Z4A)

Lecture: 11 min

N1537BYL

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux

Le 11 Décembre 2019

Le régime juridique des sociétés d’exercice libéral résulte d’une combinaison, pas toujours très aisée à maîtriser, entre les dispositions particulières issues de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 (N° Lexbase : L3046AIN) et le droit commun général applicable à toutes les sociétés ou le droit spécial relatif à la forme de société empruntée [1].

L’arrêt prononcé par la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 27 novembre 2019, vient en offrir une nouvelle illustration sur un point qui apparaît comme étant inédit.

Des circonstances de l’espèce, on peut retenir que des chirurgiens exerçaient leur activité au sein d’une société en participation et, à la suite de différends les ayant opposés, plusieurs d’entre eux ont procédé à l’égard de leur coassocié à la notification de leur décision de dissoudre cette société. Du contentieux qui s’en est suivi, il ressort que leur démarche échoue devant la cour d’appel [2] et le rejet de leur pourvoi offre à la Cour de cassation l’occasion de prendre une position qui devra être bien prise en compte par les professionnels libéraux, et leurs conseils, dans le choix d’un cadre sociétaire pour l’exercice de leur activité professionnelle. Prenant appui sur le libellé de l’article 22 de la loi précitée du 31 décembre 1990, la Haute juridiction retient que l’article 1872-2 du Code civil (N° Lexbase : L2073ABE), qui ouvre la faculté d’une dissolution de la société en participation par notification de la décision d’un associé à ses coassociés de mettre un terme à ce contrat, ne s’applique pas à cette catégorie de société.

La démarche qui conduit à une telle conclusion résulte du jeu, en cascade, de l’adage «specialia generalibus derogant», aboutissant à priver un associé de la faculté de provoquer la dissolution de la société par simple notification de sa décision (I). Pour autant, une possibilité pour un associé de provoquer la dissolution demeure ouverte, mais elle doit résulter d’une stipulation statutaire (II) ou être soumise à l’appréciation judiciaire (III).

I - L’exclusion de principe de l’article 1872-2 du Code civil

L’une des principales caractéristiques du régime juridique des sociétés en participation résulte de la faculté, offerte par l’article1872-2 du Code civil, pour un associé, de provoquer la dissolution de la société. Il ressort de ce texte que, lorsque la société en participation est à durée indéterminée, sa dissolution peut résulter à tout moment d’une notification adressée par l’un d’eux à tous les associés. Cette prérogative ne comporte qu’une restriction, tenant à ce que la notification soit effectuée «de bonne foi et non faite à contre-temps».

Quelques décisions sont venues, épisodiquement, illustrer les possibilités qui sont ainsi offertes à un associé de se délier d’un engagement collectif qui ne lui convient plus, pour des raisons qui peuvent être personnelles, à la condition qu’il respecte l’exigence de bonne foi imposée par le texte [3]. L’avantage que représente ce mode simplifié de dissolution d’une société, au regard des sociétés dotées de la personnalité morale qui n’en disposent pas, apparaît d’autant plus significatif que la Cour de cassation a précisé qu’il pouvait être mis en œuvre alors même qu’une clause statutaire l’écarterait [4].

En l’espèce, c’est bien cette prérogative qu’entendaient mettre en œuvre les associés ayant notifié leur décision de procéder à la dissolution de la société. Pour autant, il convient de prendre en compte le cadre normatif particulier, résultant de la loi du 31 décembre 1990 dont le titre II est dédié à l’exercice sous forme de sociétés en participation des professions libérales soumises à un statut législatif ou dont le titre est protégé. La profession de chirurgien entrant dans le champ d’application de ce texte, il faut alors se référer aux dispositions spéciales qui figurent dans cette loi pour vérifier si elles couvrent l’hypothèse de la dissolution par notification d’un associé. Or, l’article 22 de ladite loi précise qu’une telle société est régie «par les dispositions ci-après et celles non contraires des articles 1871 à 1872-1 du Code civil».

Dès lors que les articles 22 et 23 n’évoquent aucunement la dissolution de la société, il faut donc se tourner vers les dispositions du Code civil dédiées à la société en participation mais avec une attention particulière sur la numérotation desdits articles puisque le renvoi effectué par l’article 22 susvisé n’inclut pas l’article 1872-2 qui fonde le droit, pour tout associé, de provoquer la dissolution de la société par la notification faite à ses coassociés.

A notre connaissance, cette restriction de renvoi vers les dispositions du Code civil n’avait pas donné lieu à une jurisprudence publiée et cette singularité n’avait pas été particulièrement relevée. L’apport de l’arrêt commenté apparait, dès lors, significatif et devra figurer en bonne place dans les codes et ouvrages spécialisés en la matière. Il sera opportun, lors du choix de la forme sociétaire retenue pour organiser l’exercice de l’activité des professionnels libéraux concernés, de bien attirer l’attention sur la mise à l’écart par la législation spéciale d’une règle qui est classiquement attachée à la société en participation, au point d’en faire l’un des arguments de choix. En matière de profession libérale soumise à statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, le législateur de 1990 a entendu renforcer la pérennité de la structure sociétaire en ne la laissant pas à la merci du changement d’avis de l’un des professionnels associés qui, par la simple notification de sa décision à ses coassociés, pourrait provoquer la dissolution.

Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur cette vision législative, l’arrêt rapporté démontre qu’il convient, pour les personnes concernées, d’en être clairement informé avant de s’engager dans une telle forme de société. Toutefois, si le fondement textuel, que fournit l’article 1872-2 du Code civil, ne peut être invoqué, la dissolution de la société en participation à l’initiative d’un associé peut trouver un support dans les statuts de la société concernée.   

II - L’application de recours à une stipulation statutaire

Poursuivant l’effet, en cascade, des renvois de textes permettant d’établir le régime juridique d’une société en participation de profession libérale, relevant du titre II de la loi du 31 décembre 1990, l’arrêt sous examen retient qu’il convenait de se référer à l’article 1871-1 du Code civil (N° Lexbase : L2070ABB) -inclus dans le renvoi figurant à l’article 22 de la loi de 1990- aux termes duquel «à moins qu’une organisation différente n’ait été prévue, les rapports entre associés sont régis, en tant que de raison, par les dispositions applicables aux sociétés civiles, si la société a un caractère civil». En l’espèce, la société regroupant les chirurgiens ayant bien un caractère civil, il était donc loisible aux associés de mettre en place, par les clauses des statuts de leur société (ou de tout document qui formaliserait leur accord, tel un règlement intérieur à la société), une organisation spécifique qui leur conviendrait qui ne soit pas nécessairement identique de celle qui résulterait de l’application des dispositions que le Code civil leur consacre, aux articles 1845 (N° Lexbase : L2038AB4) à 1870.

Il apparaît tout à fait admissible que, par leur accord formulé sur ce point dans une stipulation statutaire, les associés aient convenu que chacun des associés pourrait provoquer la dissolution de la société en participation par la notification de sa décision à ses coassociés. L’absence de renvoi par l’article 22 de la loi de 1990 à l’article 1872-2 du Code civil ne saurait être compris comme empêchant les associés de s’accorder sur cette modalité de dissolution. Il peut être considéré que le législateur n’entend pas reconnaître un tel droit à tout associé mais sans que cela puisse être perçu comme interdisant aux intéressés de se reconnaître, conventionnellement, une telle prérogative. En toute hypothèse, l’arrêt commenté illustre la position sur ce point de la Haute juridiction, distinguant le droit que le législateur n’accorde pas et ce que les associés se reconnaissent conventionnellement. L’arrêt est donc une incitation à envisager, lors de la rédaction des statuts, l’opportunité de faire figurer une faculté de dissolution, à l’imitation de celle figurant à l’article 1872-2 du Code civil.

La Cour de cassation, dans l’arrêt sous examen, mentionne expressément, au renfort du rejet du pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel que celle-ci avait relevé «qu’aucune disposition du règlement intérieur de la société n’était relative à sa dissolution». Les associés ne pouvaient donc pas s’appuyer sur une stipulation statutaire, pas plus que sur l’article 1872-2 du Code civil, pour provoquer la dissolution de la société.

Pour autant, la dissolution de la société en participation pourrait résulter de l’initiative d’un associé mais il lui faudrait alors recourir à l’autorisation judiciaire.

III - L’application de secours à l’appréciation judiciaire

Dernière étape de la démarche reposant à prendre en compte l’articulation des divers textes susceptibles de s’appliquer à une dissolution de société en participation de profession libérale qui résulterait de l’initiative d’un des associés, demeure alors la faculté d’invoquer l’article 1844-7 du Code civil (N° Lexbase : L7356IZH).

Ce texte répond parfaitement ici à sa vocation de droit commun des sociétés en permettant, par le libellé de son 5e, à un associé de demander au tribunal compétent (ici, le tribunal de grande instance) de prononcer la dissolution de la société en participation «pour justes motifs».

La vocation de ce texte à régir la situation en cause dans l’arrêt examiné se trouve justifiée, ici encore, par le jeu du renvoi de texte. Puisque, comme exposé ci-dessus, les statuts de la société en participation ne comportaient aucune stipulation particulière sur le point de droit en cause, il convenait de revenir vers le droit des sociétés civiles et, en l’occurrence, l’article 1846-1 (N° Lexbase : L2041AB9) qui renvoie, à son tour, vers l’article 1844-7 pour ce qui concerne les cas de dissolution de la société.

En conséquence, les raisons qui conduisaient l’associé à souhaiter la dissolution de la société pourront être invoquées au soutien de la demande qu’il présentera au tribunal, au titre des justes motifs, requis par ce texte pour que la dissolution judiciaire puisse être prononcée. La remarque doit être ici faite qu’il a déjà été admis, en jurisprudence, qu’une société en participation puisse être dissoute pour justes motifs, à la demande d’un associé, par suite de l’inexécution par les autres associés de leurs obligations [5]. Toutefois, le courant jurisprudentiel dominant semble bien marqué par une volonté de limiter le prononcé de la dissolution à la demande d’un associé, par l’intervention judiciaire, à des hypothèses dans lesquelles la paralysie du fonctionnement de la société est avérée [6]. Il est donc à craindre que ce qui pourrait apparaître comme justifiant, aux yeux d’un associé, la dissolution de la société sur le fondement de l’article 1872-2 du Code civil (ou d’une stipulation statutaire lui ouvrant un droit équivalent), ne soit pas retenu comme tel par le juge saisi, en application de l’article 1844-7.

En définitive, cette observation finale conduit à renforcer la pertinence d’une prise en compte, le plus en amont possible dans le processus de constitution d’une société en participation réunissant des professionnels libéraux, de l’opportunité de prévoir, par une clause statutaire, la faculté pour chacun des associés de provoquer la dissolution de la société par la notification de cette décision à ses coassociés.

 

[1] Pour un aspect lié à la détermination du régime de la responsabilité des associés et de la société, voir Cass. com., 3 avril 2019, n° 17-14.584, F-D (N° Lexbase : A3172Y8Y), Bull. Joly Sociétés, septembre 2019, p. 49, nos obs..

[2] CA Montpellier, 12 juin 2018, n° 16/02454 (N° Lexbase : A8451XQ3).

[3] V. not. Cass. com., 18 juin 1991, inédit (N° Lexbase : A0317AZR), Defrénois, 1991, p. 1340, note P. Le Cannu.

[4] V. Cass. com., 15 février 1994, n° 92-13.325, publié (N° Lexbase : A6883ABK), Rev. Sociétés, 1995, p. 521, note R. Libchaber ; Dr. sociétés, 1994, n° 185, note Th. Bonneau.

[5] V. not. CA Paris, 30 octobre 1992, Bull. Joly Sociétés, 1993, p. 115, note J.-J. Daigre.

[6] V. sur ce point, M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboisy, Droit des sociétés, LexisNexis, 32ème éd., n° 713 et s..

newsid:471537

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Taux réduit de TVA applicable aux photographies de mariage : le Conseil d’Etat tire les conséquences d’un arrêt de la CJUE

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 2 décembre 2019, n° 400837, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6392Z4I)

Lecture: 3 min

N1513BYP

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par Marie-Claire Sgarra

Le 11 Décembre 2019

La Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'en se référant aux termes «auteur» et «artiste», l'article 103 de la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 (N° Lexbase : L7664HTZ) et le point 7 de la partie A de son annexe IX visent la même personne, à savoir la personne qui a la qualité d'auteur d'une photographie remplissant les conditions et que, par suite, il ne saurait être déduit de l'emploi du terme «artiste», que, au-delà des conditions que ce point énumère, une photographie devrait également présenter un caractère artistique aux fins de pouvoir bénéficier du taux réduit ;

► en vertu de l'article 278 septies du Code général des impôts (N° Lexbase : L3053I79), aujourd'hui repris à l'article 278-0 bis du même Code (N° Lexbase : L8968LNH), les livraisons d'œuvres d'art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit sont imposables au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée ;

► la notion de photographie, qui figure dans la liste des réalisations considérées comme des œuvres d'art prévue par l'article 98 A de l'annexe III au même Code (N° Lexbase : L2271HM3), est reprise de celle qui figure dans la Directive 2006/112/CE et doit, dès lors, être interprétée comme indiqué au point précédemment.

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 2 décembre 2019 (CE 3° et 8° ch.-r., 2 décembre 2019, n° 400837, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6392Z4I).

En l’espèce, une SARL, qui a pour activité la réalisation et la vente de photographies, l’administration a remis en cause le taux réduit de TVA que cette société avait appliqué à la livraison de certaines photographies. Le tribunal administratif d’Orléans a rejeté la demande de la société tendant à la décharge des rappels de TVA mis à sa charge. La cour administrative d’appel de Nantes rejette l’appel formé contre ce jugement (CAA de Nantes, 21 avril 2016, n° 15NT00073 N° Lexbase : A2480RLG).

Le Conseil d’Etat a posé une question préjudicielle à la CJUE afin de savoir si un Etat membre pouvait inclure la condition d’un caractère artistique de la photo pour bénéficier du taux réduit (CE 3° et 8° ch.-r., 20 février 2018, n° 400837, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9562XDI). Dans une décision du 5 septembre 2019, la CJUE a estimé qu’une photographie de mariage peut être qualifiée d’objet d’art (CJUE, 5 septembre 2019, aff. C-145/18 N° Lexbase : A3893ZM7).

Ici, le Conseil d’Etat tire les conséquences de cette décision. En écartant l’application du taux réduit de TVA à certaines photographies de la requérante, au motif, inspiré de l’instruction administrative référencée BOI 3 C-3-03 du 25 juin 2003, que les portraits et photographies de mariage ne présentaient pas un caractère d’originalité et ne manifestaient pas une intention créatrice susceptible de les faire regarder, ne serait-ce qu’en partie, comme des photographies prises par un artiste, la cour a commis une erreur de droit.

Lire en ce sens, Franck Laffaille, De la photographie comme objet d’art (et de TVA à taux réduit), Lexbase Edition Fiscale, 2019, n° 797 (N° Lexbase : N0261BYC).

 

newsid:471513

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] TVA et corridas

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 15 février 2019, n° 408228, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3478YX4) ; BOI-TVA-LIQ-30-20-20191030 (N° Lexbase : X7049ALN) ; BOI-TVA-LIQ-30-20-40-20191030 (N° Lexbase : X8932ALE)

Lecture: 11 min

N1491BYU

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 11 Décembre 2019

L’administration fiscale vient de prendre acte de la décision du Conseil d’Etat en date du 15 février 2019 : si la corrida est un spectacle, elle ne peut être assimilée aux spectacles de variétés et ne peut bénéficier du taux réduit de TVA (5,5 %).

Il appert que seuls certains spectacles peuvent bénéficier - sur le fondement de l’article 278 O bis du Code général des impôts - de ce taux réduit. Il en va ainsi des spectacles réalisés par les théâtres, les théâtres de chansonnier, les cirques, les concerts, les spectacles de variétés...

Les spectacles de corridas ne peuvent être intégrés dans aucune des catégories mentionnées. Dans cette décision du 15 février 2019, le Conseil d’Etat statue sur la requête présentée par la SAS Plateau de Valras, organisatrice de corridas ; l’administration avait remis en cause - pour l’année 2011 - l’application du taux réduit de TVA sur les prix des billets délivrés en 2011. La SAS avait demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la TVA réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011. Le tribunal administratif rejette sa demande (TA de Montpellier, 16 octobre 2014, n° 1301927) ; la cour administrative d’appel de Marseille rejette l’appel formé par la société (CAA de Marseille, 20 décembre 2016, n° 14MA04262).

Saisine du Conseil d’Etat il y a. Le Conseil d’Etat fait lecture de plusieurs articles du Code général des impôts. En vertu de l’article 278 (N° Lexbase : L0401IWR), le taux normal de TVA est de 19,60 %. En vertu de l’article 279 (N° Lexbase : L9299LHU), application du taux réduit de TVA de 5,5 % il y a aux théâtres, théâtres de chansonnier, cirques, spectacles de variétés, foires/salons/expositions autorisés, jeux et manèges forains. En vertu de l’article 261 E (N° Lexbase : L8473LHB), sont exonérés de TVA les droits d’entrée perçus par les organisateurs de réunions sportives soumises à l’impôt sur les spectacles, jeux et divertissements.

Une fois passé ce rappel textuel, le Conseil d’Etat se prononce sur les prétentions de la SAS Plateau de Valras. Selon cette dernière, la la cour administrative d’appel de Montpellier aurait commis une erreur de qualification juridique des faits en refusant la qualité de « spectacles » aux corridas. Le Conseil d’Etat récuse un tel raisonnement. Contrairement aux assertions de la SAS, la cour administrative d’appel n’a pas estimé que les corridas n’étaient pas des spectacles  au sens de l’ordonnance du 13 avril octobre 1945 relative aux spectacles ou au sens de l’article L. 7122-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3159H9U) ; la cour administrative d’appel a estimé que les corridas n’étaient pas des « spectacles de variétés » au sens du b du bis de l’article 279 du Code général des impôts.

La cour administrative d’appel n’a donc pas commis d’erreur de qualification juridique lorsqu’il s’est agit de cogiter sur la « singularité » (tel est le terme usité par le Conseil d’Etat) de la corrida en tant que manifestation. Car si la corrida n’est pas un spectacle de variétés, c’est précisément en raison de sa « singularité » : « elle se déroule autour du thème central de l’affrontement entre l’homme et le taureau, selon un rituel comportant la mise à mort de ce dernier ». Ce n’est pas l’existence d’un combat rituel entre l’homme et l’animal qui fonde la spécificité de la corrida, c’est l’ultime conséquence de leur affrontement : la mise à mort, inéluctable, de l’animal. La césure entre un spectacle de variétés (soumis à la TVA de 5,5 %) et un spectacle qui ne mérite pas ce qualificatif (et non soumis à la TVA de 5,5 %) repose ainsi sur un critère déterministe : la mort, toujours. Un spectacle impliquant par définition la mort de l’animal n’est pas un spectacle de variétés. Reste à savoir ce que l’on entend par variétés et pourquoi la mort programmée n’entre pas dans la catégorie variétés. Le régime fiscal applicable aux spectacles de variétés semble être fondé sur deux critères : la vie versus la mort, l’incertitude versus la certitude. La corrida - pour être bien un spectacle - n’est pas un spectacle de variétés car elle est porteuse de certitude et de mort, de la certitude de la mort.

Une autre question ne peut manquer de poindre, celle du principe de neutralité fiscale ; la requérante invoque un moyen tiré de la méconnaissance de ce principe. Le Conseil d’Etat se fonde sur la politique jurisprudentielle de la CJUE telle que systématisée (notamment) dans l’arrêt du 10 novembre 2011 (CJUE, 10 novembre 2011, aff. C-259/10, «The Rank Group» N° Lexbase : A9110HZG). Il y a violation du principe de neutralité fiscale en présence d’une différence de traitement (au regard de la TVA) de deux prestations de service identiques ou semblables du point de vue du consommateur et satisfaisant aux mêmes besoins que celui-ci. Ce seul constat suffit à établir une violation dudit principe. La CJUE s’est prononcée en 2011 sur la requête de Rank, membre représentatif d’un groupe TVA exploitant des clubs de bingo et des casinos ; dans ces derniers, la clientèle peut jouer au « bingo mécanisé avec gains versés en espèces » (« mc-bingo ») et à des machines à sous. Le recours était fondé sur l’argument suivant :  différents types de « mc-bingo » et de machines à sous étaient traités de manière différente alors même qu’ils sont comparables, voire identiques, du point de vue du consommateur. La soumission à la TVA de certains types de « mc-bingo » et de machines à sous violerait le principe de neutralité fiscale. Selon la CJUE, « le principe de neutralité fiscale s’oppose en particulier à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA ». Il s’ensuit que « le caractère semblable de deux prestations de services entraîne la conséquence que celles-ci se trouvent en concurrence l’une avec l’autre ». Quant à l’« l’existence effective d’une concurrence entre deux prestations de services, elle ne constitue pas une condition autonome et supplémentaire de la violation du principe de neutralité fiscale si les prestations en cause sont identiques ou semblables du point de vue du consommateur et satisfont aux mêmes besoins de celui-ci ». Une telle considération « vaut également en ce qui concerne l’existence d’une distorsion de concurrence. Le fait que deux prestations identiques ou semblables et satisfaisant aux mêmes besoins sont traitées de façon différente du point de vue de la TVA entraîne en règle générale une distorsion de concurrence ».

Retour au Conseil d’Etat français : celui-ci reprend l’argumentation de la cour administrative d’appel. Cette dernière pouvait à bon droit juger que les corridas ne sont pas, du point de vue du consommateur, semblables (en raison de leurs caractéristiques) aux spectacles de variétés. Elles s’adressent à un public différent de celui des autres spectacles tauromachiques. Double distinction donc : les corridas ne peuvent être assimilées aux spectacles de variétés (critère de la nature autre) tels que visés au b bis de l’article 279 du Code général des impôts, elles ne peuvent être assimilées aux autres spectacles tauromachiques (critère du public autre). La société requérante ne peut pas se prévaloir du principe de neutralité de la TVA au motif que les courses landaises et camarguaises  - organisées par des fédérations sportives - sont exonérées de taxe sur le fondement de l’article 261 E du Code général des impôts. Via cet article 261 E, le législateur a seulement voulu maintenir l’exonération dont bénéficiaient de telles manifestations avant l’entrée en vigueur de la Directive 77/388/CEE du Conseil (17 mai 1977, harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires). Selon le Conseil d’Etat, le « motif de pur droit » ainsi mentionné doit être substitué à celui retenu par la cour administrative d’appel dans son arrêt ; l’opération de substitution réalisée lui permet d’écarter le moyen tiré de la méconnaissance du principe de neutralité. Le Conseil d’Etat fait encore mention de l’article 132 de la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 (N° Lexbase : L7664HTZ) : il y a exonération des prestations de services et des livraisons de biens effectuées par des organismes à l’occasion de manifestations destinées à leur apporter un soutien financier (et organisées à leur profit exclusif). Encore faut-il  - à titre de condition - que l’exonération ne soit pas susceptible de provoquer des distorsions de concurrence. Toujours sur le fondement de la Directive 2006/112/CE, les Etats membres peuvent introduire toutes les restrictions nécessaires, en particulier en limitant le nombre de manifestations ou l’importance des recettes ouvrant droit à l’exonération. Selon le droit interne (CGI, art. 261), sont exonérées de TVA les recettes de six manifestations de bienfaisance ou de soutien organisées dans l’année à leur profit exclusif par les organisateurs mentionnés en amont et par les organismes permanents à caractère social des collectivités locales et des entreprises.

Pour repousser les prétentions de la requérante, le Conseil d’Etat rappelle que la cour administrative d’appel ne s’est pas prononcée sur l’application des dispositions fiscales en tant que telles mais « a seulement jugé que la société ne pouvait pas se prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80 du Livre des procédures fiscales, des commentaires administratifs visant les coréalisations de spectacles vivants ». Cela emporte la conséquence suivante pour le juge de (non) cassation : le moyen - qui n’est pas d’ordre public - est nouveau et s’avère « sans influence sur le bien-fondé de l’arrêt ». En d’autres termes, le Conseil d’Etat refuse d’évaluer si la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en ne jugeant pas que l’exonération des corridas - organisées par les organismes permanents à caractère social des communes (ex. comités des fêtes) - était contraire aux dispositions de la Directive UE précitée et emportait méconnaissance du principe de neutralité de la TVA.

La requérante avait in fine soulevé un moyen axé sur la différence entre la TVA applicable aux corridas en France et en Espagne ; nouveau lui aussi en cassation, ce moyen est rejeté. Ajoutons que le Conseil d’Etat refuse de saisir la CJUE d’une question préjudicielle. Au regard de l’espèce telle qu’elle vient d’être lue, l’utilisation de la procédure de l’article 267 TFUE ([LXB=]) pouvait cependant ne pas être d’une totale inutilité.

Si la CJUE n’a pas été saisie dans le cadre de la question préjudicielle, le Conseil constitutionnel avait été jadis saisi dans le cadre de la QPC (Cons. const., décision n° 2012-271 QPC du 21 septembre 2012 N° Lexbase : Z95300Y4). Le propos n’est pas de revenir en détail sur cette QPC relative à l’immunité pénale en matière de courses de taureaux. Il s’agit plutôt de souligner combien il apparaît malaisé, pour les juges nationaux, de gérer le régime juridique des corridas. S’agissant du juge administratif, on peut s’interroger sur la pertinence de la différence de traitement à raison de la différence de public (corridas versus autres spectacles tauromachiques, corridas versus spectacles de variétés).

Quant au juge constitutionnel, on peut s’interroger sur la pertinence de la différence de traitement à l’aune d’une « tradition locale ininterrompue » non équivoque et des « pratiques traditionnelles ». Bref, la corrida pose souci juridique, qu’il s’agisse du droit fiscal ou du droit pénal ; la solution la plus simple pour faire disparaître une querelle herméneutique est de faire disparaître la pratique qui en est la source originelle.

⇒Quel impact dans ma pratique ?

L’arrêt permet d’appréhender la dimension subjective de certaines qualifications juridiques (et juridictionnelles), ici l’existence de régimes fiscaux différents appliqués à des entités semblant se trouver dans des situations similaires.

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Travail illégal

[Jurisprudence] Contrôle du travail dissimulé par l’URSSAF : de nouvelles précisions sur l’articulation des procédures

Réf. : Cass. civ. 2, 7 novembre 2019, n° 18-21.947, F-P+B+I (N° Lexbase : A9987ZT3)

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par Kristel Meiffret-Delsanto, Maitre de conférences à l'Université de Lorraine (IFG 7301 - Axe droit social)

Le 12 Décembre 2019


Résumé : les dispositions spécifiques du Code du travail qui régissent les prérogatives de contrôles diligentés dans le cadre de la politique de lutte contre le travail dissimulé ne font pas obstacle à ce que l’URSSAF procède à la recherche des infractions de travail dissimulé dans le cadre d’un contrôle de droit commun initié aux seules fins de recouvrement des cotisations. En présence d’un avis de contrôle et de la charte du cotisant contrôlé, ni la rédaction d’un procès-verbal de travail dissimulé transmis au procureur à des fins de poursuites, ni la substitution d’une seconde lettre d’observations portant modification de l’objet initial ne permettent de disqualifier a posteriori la nature primaire du contrôle. Par voie de conséquences, l’ancien article R. 133-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8680IY7), réservé aux redressements notifiés à la suite des contrôles régis par le Code du travail, est écarté au profit du texte régissant la procédure de droit commun (CSS, art. R. 243-59 N° Lexbase : L8752LGA). Ce dernier ne prévoyant pas l’assistance d’un interprète, cet argument doit être balayé en présence d’autres éléments à même de fonder suffisamment le redressement disputé.


 

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 7 novembre 2019, est promis à une large diffusion [1]. Il illustre, une nouvelle fois, les difficultés procédurales suscitées par la coexistence des textes du Code du travail (C. trav., art. L. 8211-1 et s. N° Lexbase : L9238K4W) et du Code de la Sécurité sociale (CSS, art. L. 243-7 N° Lexbase : L8234LRE et R. 243-59) en matière de détection puis de redressement des situations de travail dissimulé.

La détection par l’URSSAF des situations de travail de dissimulé peut d’abord intervenir à l’occasion d’un contrôle comptable d’assiette, dit contrôle de droit commun. Sa finalité consiste à veiller au respect des règles afférentes aux cotisations sociales par les cotisants. Ces contrôles trouvent leur fondement dans le Code de la Sécurité sociale (CSS, art. L. 243-7). En cas d’infraction aux dites dispositions, les agents compétents ont également qualité pour dresser des procès-verbaux faisant foi jusqu’à preuve du contraire puis les transmettre au procureur de la république aux fins de poursuites. En principe, ce contrôle de droit commun doit débuter par l’envoi d’un avis de contrôle, sauf s’il est diligenté pour rechercher des situations de travail dissimulé. Au cours de ces opérations de contrôles (qui s’étendent jusqu’à la notification du redressement), les inspecteurs du recouvrement mobilisent les prérogatives et respectent les garanties prévues par l’article R. 243-59.

Mais, la détection d’une situation de travail dissimulé peut aussi intervenir à l’occasion d’un contrôle spécifique mené, cette fois, dans le cadre de la politique de lutte contre le travail illégal (C. trav., art. L. 8211-1 et s.). Dans ce cadre, au cours de la phase de recherche et de constatation des infractions, la compétence des agents, dont ceux de l’URSSAF, est régie par le Code du travail. Le Code de la Sécurité sociale ne retrouve son empire que dans un second temps, au moment de la phase de recouvrement. L’article R. 133-8, désormais abrogé, devenait applicable en précisant que «lorsqu’il ne résulte pas d’un contrôle effectué en application de l’article L. 243-7 (caractère supplétif), tout redressement consécutif au constat d’un délit de travail dissimulé est porté à la connaissance» du cotisant selon une lettre d’observations particulière dont les mentions diffèrent de celles prescrites dans le cadre du contrôle de commun susvisé (CSS, art. R. 243-59) [2]. Contrairement à la procédure de droit commun, cette lettre d’observations devait être signée par le directeur de l’organisme et non par l’inspecteur du recouvrement.

En théorie, la distinction des champs d’application des contrôles menés sur le fondement des articles L. 243-7 du Code de la Sécurité sociale ou L. 8211-1 et suivants du Code du travail paraît évidente. En pratique, elle l’est bien moins. Très concrètement, dans l’une comme dans l’autre des hypothèses, une même catégorie d’agents (les inspecteurs du recouvrement) peut détecter une même situation (le travail dissimulé), qui emportera des implications comparables (redressement, poursuites pénales, sanctions administratives). Cependant, selon qu’il choisit d’agir dans l’un ou l’autre cadre, le même agent est doté de prérogatives différentes [3], tant au cours des opérations de contrôle stricto sensu, qu’au cours de la phase de recouvrement. Corrélativement, le même effet se produit sur les droits des cotisants. L’avis de passage, les conditions d’audition, la possibilité de bénéficier d’un interprète ou le contenu de la lettre d’observations notifiant le redressement à l’issue des opérations de contrôle en constituent autant d’illustrations.

Malgré de nombreux arrêts déjà rendus à propos de l’articulation de ces procédures [4], des incertitudes persistaient. L’arrêt discuté offre donc à la Cour l’opportunité de confirmer sa jurisprudence relative à leur caractère alternatif. A cette occasion, elle affine la grille de lecture des critères utiles à la détermination de la nature du contrôle diligenté et par voie de conséquence les garanties des cotisants (I). Certes, la portée de cet arrêt s’avère nécessairement limitée du fait de l’abrogation de l’article R. 133-8 du Code de la Sécurité sociale, mais il apporte de nouveaux éclairages dont certains conservent leur intérêt malgré les évolutions légales ultérieures (II).

I - Des précisions sur la détermination de la nature du contrôle diligenté par l’URSSAF

Les URSSAF, comme d’ailleurs les cotisants, se sont respectivement saisis de la duplicité de ces corps de règles pour en jouer à leur avantage, en vain. Fidèle à son rôle de gardienne de l’équilibre entre la protection des finances sociales et des droits des cotisants [5], la Cour de cassation interprète rigoureusement les dispositions soumises à son interprétation. Elle dégage progressivement les critères à prendre en considération pour articuler ces procédures dont l’application est alternative (A). L’arrêt commenté, qui s’inscrit dans le prolongement de cette démarche, est bienvenue en ce qu’il révèle le souci de la Cour de cassation de concilier au mieux les intérêts en présence (B).

A - L’application alternative des procédures de contrôle

Depuis 2014, la Cour de cassation s’est positionnée explicitement en faveur d’une application alternative de ces procédures. Lorsqu’un contrôle est diligenté sur l’un des deux fondements possibles, les règles applicables à la procédure choisie doivent-être observées jusqu’à son terme. Elle évite ce faisant que les URSSAF ne violent les garanties reconnues aux cotisants lors de contrôles ordinaires en invoquant à mauvais escient, et souvent a posteri, les règles dérogatoires justifiées par la détection du travail dissimulé [6]. En l’occurrence, la Cour de cassation a censuré la pratique de certaines URSSAF qui avait tenté de «régulariser» a posteriori leurs erreurs procédurales en invoquant les règles applicables au contrôle du travail dissimulé et inversement.

L’enjeu consistant à déterminer au préalable la nature du contrôle dans laquelle s’inscrit la procédure ayant conduit au redressement est donc déterminant. La question est, en effet, d’importance puisque l’application des règles générales ou spécifiques en découlent. Tout comme les URSSAF, les cotisants ont d’ailleurs tenté de se saisir de la complexité induite par la dualité des corps de règles pour tenter d’altérer les capacités de recouvrement des organismes. L’objectif est évidemment d’invoquer la violation de garanties procédurales afin de rechercher l’annulation du redressement ou à minima de le retarder. Au fil des arrêts, la Cour apporte une série de précisions. A priori, on aurait pu considérer que l’avis de contrôle endosserait le rôle de clé de répartition entre les procédures [7]. Tel n’est pas nécessairement le cas.

En 2016 [8], pour rejeter le pourvoi formé par des cotisants qui invoquaient l’application des dispositions spécifiques de l’article R. 133-8, la Cour de cassation affirme, pour la première fois, que «si la recherche des infractions constitutives de travail illégal mentionnées à l'article L. 8211-1 du Code du travail est soumise aux articles L. 8271-1 et suivants du même Code (N° Lexbase : L9980IQP), ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'un organisme de recouvrement procède, dans le cadre du contrôle […] prévu par l'article L. 243-7 du Code de la Sécurité sociale, à la recherche des infractions susmentionnées aux seules fins de recouvrement des cotisations afférentes» [9]. Dans cette espèce, le contrôle était intervenu sans envoi préalable de l’avis de contrôle. Partant, l’absence d’avis de contrôle préalable ne suffit pas à écarter l’application de la procédure de droit commun dès lors que «par sa nature et la façon dont il a été initié» [10], le contrôle s’apparente à un contrôle de droit commun ayant pour seule finalité le recouvrement. Par voie de conséquence, les règles de notification posées par l’article R. 133-8 devaient être écartées, au profit de l’article R. 243-59. En creux, il semble que la répartition entre les cadres procéduraux applicables dépendrait des circonstances de fait et de l’analyse pragmatique opérée par les juges du fond. Pourtant, les modalités pratiques de déroulement des contrôles ne rendent pas la lecture aisée. Le caractère inopiné du contrôle ou l’envoi sans formalités préalable de la lettre d’observations n’inscrit pas nécessairement le contrôle dans le cadre de la politique de lutte contre le travail dissimulé. Telle semble l’une des précisions apportées à l’occasion d’un arrêt rendu en 2017 [11].

Dans ce dernier, la Cour de cassation confirme, en des termes identiques, que les dispositions spécifiques du Code du travail ne font pas obstacle à ce que les URSSAF procèdent dans le cadre des contrôles de droit commun à la recherche des infractions discutées «aux seules fins de recouvrement des cotisations afférentes». La rédaction d’un procès-verbal de travail dissimulé, rédigé postérieurement à cette lettre d’observations n’a pas non plus suffit à remettre en cause la finalité initiale du contrôle.

La lettre d’observations établie à l’issue des opérations de contrôle suffirait-elle à conférer l’une ou l’autre nature au contrôle discuté ? La solution devait-elle être différente si, à l’inverse, le contrôle avait débuté par un avis de contrôle conformément à l’article R. 243-59 mais avait donné lieu par la suite à la rédaction d’un PV de travail dissimulé puis à l’envoi subséquent d’une lettre d’observations ayant pour objet la recherche des infractions de travail dissimulé ? La Cour de cassation apporte des éléments de réponse à l’occasion de l’arrêt commenté.

B - Une solution équilibrée

En l’espèce, l’URSSAF engage une procédure de contrôle de droit commun en adressant au cotisant l’avis de contrôle puis la charte du cotisant contrôlé en application de l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale. Les opérations de contrôle révèlent l’existence d’infractions de travail dissimulé. Elles donnent lieu à la rédaction d’un procès-verbal d’auditions, dont les modalités sont discutées en l’absence d’interprète habilité. Un procès-verbal de travail dissimulé est ensuite dressé. Postérieurement à la transmission du procès-verbal au procureur aux fins de poursuites, l’URSSAF adresse une première lettre d’observations qui mentionne comme objet du contrôle l’application de la législation de Sécurité sociale. Une seconde lettre d’observations, annule et remplace la précédente en indiquant, cette fois-ci, un objet relatif à recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé. Malheureusement pour le cotisant, les deux lettres d’observations signées par les inspecteurs du recouvrement visaient l’article R. 243-59. Une mise en demeure puis une contrainte sont notifiées. Le cotisant forme une opposition.

Pour accueillir son recours, la cour d’appel [12], après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour de cassation, les dispositions de l’article R. 243-59 et des articles du Code du travail déduit des faits de l’espèce que «la recherche d’infractions n’avait pas pour seule finalité le recouvrement des cotisations sociales et que la procédure ayant abouti au redressement était fondé sur le constat de délit de travail dissimulé, ce qui imposait que le redressement soit porté à la connaissance de l’employeur par un document signé par le directeur de l’organisme» et qu’à défaut le redressement était intervenu en contravention avec les dispositions de l’article R. 133-8 du Code de la Sécurité sociale. Ce raisonnement, qui reviendrait à cantonner le champ d’application du contrôle de droit commun est censuré au visa des articles L. 8211-1 du Code du travail et L. 243-7, R. 133-8 et R. 243-59.

Dans son chapeau, inséré sous la première branche du moyen soulevé par l’URSSAF, elle rappelle, d’une part, le cantonnement de l’article R. 133-8 aux recouvrements des cotisations qui découlent des contrôles menés pour la recherche des infractions de travail dissimulé. Puis, d’autre part, selon sa formulation désormais traditionnelle, elle rappelle que ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu’un organisme de recouvrement procède, dans le cadre d’un contrôle de l’application de la législation de Sécurité sociale en application de l’article L. 243-7, à la recherche des infractions susmentionnées aux seules fins de recouvrement des cotisations afférentes. En l’occurrence, la Cour considère qu’alors qu’il résultait de ses propres constatations que l’URSSAF avait procédé aux opérations litigieuses dans le cadre d’un contrôle de droit commun, la cour d’appel a violé les textes susvisés en écartant les dispositions des articles L. 243-7 et R. 243-59 au profit de l’article R. 133-8 dont l’application est limitée aux hypothèses de contrôle diligentés dans le cadre de la politique de lutte contre le travail illégal.

Cette solution est bienvenue à plusieurs titres. D’abord, d’un point de vue juridique, puisque l’article L. 243-7, applicable aux contrôles de droit commun confère lui-même la qualité aux agents assermentés de l’URSSAF de dresser des procès-verbaux et de les transmettre au procureur aux fins de poursuite. Cette prérogative, qui n’est pas l’apanage des seules dispositions travaillistes, ne saurait servir à remettre en cause un contrôle de droit commun diligenté sur le fondement du même texte. Ensuite, cette solution paraît légitime tant on ne peut nier que le contrôle a initialement été entamé dans le cadre d’un contrôle de droit commun. En témoigne l’envoi de l’avis de contrôle puis la remise de la charte du cotisant contrôlé, outre les références à l’article R. 243-59 dans les lettres d’observations. De ce point de vue, cette solution confirme l’interprétation retenue depuis les arrêts de 2014 [13] et en application de laquelle les procédures de contrôle sont alternatives, sans possibilité de changement arbitraire en cours de contrôle. La sécurité juridique du cotisant en ressort préservée. Au contraire, retenir la solution de la cour d’appel reviendrait à admettre la pratique des lettres d’observations successives qui permettrait aux organismes de bénéficier d’une voie de rattrapage pour corriger les éventuelles violations des garanties substantielles en jouant de la duplicité des textes. Enfin, d’un point de vue pédagogique, cet arrêt se révèle pertinent en ce qu’il complète la grille de lecture des critères à prendre en compte lors de la détermination de la nature du contrôle et des règles idoines. A cet égard, il semble permis de penser, qu’en présence de l’avis préalable de contrôle et d’une charte, ce contrôle sera présumé de droit commun, peu importe la modification ultérieure de l’objet mentionné sur la lettre d’observations. En revanche, ce n’est qu’en l’absence d’un tel avis préalable, qu’il appartiendra aux juges du fond de qualifier la nature du contrôle au regard des circonstances de faits, aux termes d’une approche pragmatique.

II - De nouveaux éclairages

Malgré l’abrogation de l’article R. 133-8 du Code de la Sécurité sociale au visa duquel, la cassation est en partie prononcée, la portée de cet arrêt conserve son intérêt (A). A minima, son originalité mérite d’être soulignée puisqu’à notre connaissance, il s’agit de la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la garantie relative à l’assistance d’un interprète posée, seulement, par le Code du travail depuis 2016… (B).

A - Un intérêt préservé

A priori, depuis l’abrogation de l’article R. 133-8 [14], l’éclairage apporté par la Cour de cassation sur les conditions d’application de cet article ne présente plus qu’un intérêt modéré au regard de la validité de la lettre de notification du redressement. En effet, le contentieux se cristallisait essentiellement autour de la qualité du signataire de la lettre de notification du redressement. Dans ce cadre, il appartenait au directeur de l’organisme de signer la lettre de notification du redressement faisant suite à l’établissement d’un procès-verbal de travail dissimulé. En pratique, cette exigence n’était quasiment jamais satisfaite. A l’inverse, tel n’était pas le cas des lettres d’observations notifiées dans le cadre des contrôles de droit commun. Or, les dispositions de l’article R. 243-59, désormais applicable, n’opèrent plus cette distinction. En revanche, ces critères de répartition conserveront leur intérêt en bien d’autres occurrences. Par exemple, lorsqu’il s’agira d’apprécier le respect des autres mentions imposées par la nouvelle version de l’article R. 243-59 ou lorsque la lettre fait suite à la verbalisation d’une situation de travail dissimulé [15]. On songe justement à la référence du procès-verbal établi, le cas échéant, en amont ou transmis par un autre acteur de la politique de lutte contre le travail dissimulé.

Par ailleurs, l’éclairage relatif à la détermination des critères de répartition devrait conserver tous son intérêt lorsqu’il sera question de vérifier le respect des règles de compétence mobilisées au cours des différentes opérations de contrôle par les agents de contrôle de l’URSSAF. La question du respect des conditions particulières d’audition régies par le Code du travail pour la recherche et de la constatation des infractions de travail illégal en constitue une parfaite illustration, tant cette question fait l’objet d’un contentieux nourri [16]. D’ailleurs, le second motif de cassation de l’arrêt discuté, au visa des articles L. 243-7 et R. 243-59, concourt déjà à en illustrer l’intérêt.

B - Une solution originale

Pour accueillir le recours du cotisant, la cour d’appel avait aussi relevé que le cotisant, de langue étrangère, s’était exprimé par l’intermédiaire d’une personne dont il était mentionné dans le procès-verbal d’audition qu’elle n’était pas un interprète professionnel. Selon elle, le fait que le dirigeant n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un interprète habilité lors de son audition qui portait sur des faits constitutifs de travail illégal ainsi que l’établit le contenu du procès-verbal d’audition auquel fait référence le procès-verbal de travail dissimulé privait le cotisant d’une garantie. Elle considérait qu’il s’agissait d’un manquement préjudiciable aux droits des cotisants. Inévitablement, ce raisonnement est infirmé. Pour la Cour de cassation, en ne recherchant pas si le redressement litigieux n’était pas fondé sur les autres éléments invoqués par l’URSSAF, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions visées. Là encore, la censure est légitime et cohérente au regard du caractère alternatif des procédures. Dès lors que cette audition est intervenue à l’occasion d’un contrôle de droit commun, le bénéfice d’un interprète professionnel ne figure parmi les garanties reconnues par l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale. Cette solution, à notre connaissance originale, n’est pas surprenante. Destinataire d’un avis de contrôle, on peut légitimement penser que le représentant de la société jouissait de la possibilité d’anticiper ses échanges avec l’URSSAF. De plus, il est acquis que la seule absence du cotisant ne saurait suffire, en tant que tel, à rendre la procédure irrégulière si l’URSSAF parvient à démontrer que le principe du contradictoire a été respecté [17]. Cependant, il y a tout lieu de penser qu’à l’inverse, si le contrôle était intervenu dans le cadre de la politique de lutte contre le travail illégal la solution aurait été différente. En effet, depuis 2016, le Code du travail prévoit expressément que dans le cadre de la politique de lutte contre le travail illégal, le cotisant étranger doit pouvoir bénéficier de l’assistance d’un interprète. Cette garantie est reconnue par renvoi de l’article L. 8271-6-1 (N° Lexbase : L5006K8W) vers l’article 61-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7470LPD). Or, le respect des garanties posées par l’article L. 8271-6-1 du Code du travail est apprécié strictement par la Cour de cassation [18]. Nul doute que la Cour de cassation aura également l’occasion de se prononcer sur la question tant le contentieux sur le sujet est loin d’être tari.


[1] V. également L. Bedja, Contrôle URSSAF : la recherche d’infractions de travail illégal ne fait pas obstacle au recouvrement des cotisations afférentes et absence de conséquences relatives à l’absence d’interprète pour l’audition de l’employeur, obs. sous l'arrêt commenté, Lexbase, éd. soc., 2019, n° 802 (N° Lexbase : N1167BYU).

[2] Aujourd’hui les mentions des lettres d’observations varient toujours selon l’objet du contrôle. Cependant, elles sont désormais prévues toutes les deux par le même texte (CSS, art. R. 243-59). Elles sont toutes deux signées par les inspecteurs du recouvrement.

[3] Le Code ne les distingue pas. Mais en pratique, les agents affectés aux contrôles diligentés dans le cadre de la lutte contre le travail illégal appartiennent à un service distinct.

[4] V. infra.

[5] Pour des développements en ce sens, v. K. Zarli-Meiffret, La fraude en droit de la protection sociale, préf. D. Asquinazi-Bailleux et A. Bugada, CDS, Puam, 2018, spéc. n° 489, 510, 664.

[6] Cass. civ. 2, 9 octobre 2014, deux arrêts, n° 10-13.699 (N° Lexbase : A2162MYQ) et n° 13-19.493 (N° Lexbase : A2168MYX), FS-P+B. V. not. M. Michalletz, Contrôle et constatation de travail dissimulé : remise de la charte du cotisant contrôlé ?, JCP éd. S, 2015, 1030.

[7] Avec l’envoi d’un avis, le contrôle serait ordinaire, en l’absence d’avis, le contrôle serait spécifique.

[8] V. Ch. Willmann, De la délicate articulation entre «contrôle comptable d’assiette» et contrôle de la lutte contre le travail illégal, Lexbase, éd. soc., 2016, n° 665 (N° Lexbase : N3918BWZ).

[9] Position confirmée dans un attendu rédigé en des termes identiques à l’occasion de l’arrêt, Cass. civ. 2, 9 novembre 2017, n° 16-23.484, F-P+B (N° Lexbase : A8472WYG). V. aussi à propos de cet arrêt, L. Bedja, Précision relative au droit de communication de la recherche d’un contrôle URSSAF, Lexbase, éd. soc., 2017, n° 719 (N° Lexbase : N1270BXC).

[10] Certains auteurs se sont émus du manque de précision de la formule «par sa nature et la façon dont il a été initié» de la possible mutation d’une procédure de travail dissimulé vers un contrôle de droit commun. V. Ch. Willmann, préc.. Depuis, la rédaction de l’article R. 243-59 a été modifié. Il prévoit désormais que l'organisme n'est pas tenu à cet envoi dans le cas où le contrôle est effectué pour rechercher des infractions aux interdictions mentionnées à l'article L. 8221-1 du Code du travail. Toutefois, dans ce dernier cas, si l'organisme entend poursuivre le contrôle sur d'autres points de la réglementation, un avis de contrôle est envoyé avant le début des opérations de contrôle comptable d’assiette.

[11] Cass. civ. 2, 9 novembre 2017, n° 16-23.484, F-P+B, préc.. V. X. Aumeran, Travail dissimulé et droit de communication : le droit commun du contrôle URSSAF toujours applicable, JCP éd. soc., 2017, n° 50, 1415 ; F. Taquet, Contrôle URSSAF, travail dissimulé et droit de communication entre administrations… des précisions de la Cour de cassation, JCP éd. E., 2018, n° 4, 1043.

[12] CA Caen, 2ème ch. sociale, 28 juin 2018, n° 14/03477 (N° Lexbase : A2845XUW).

[13] V. supra.

[14] Abrogé par le décret n° 2017-1409 du 25 septembre 2017 (N° Lexbase : L8151LGY), art. 2.

[15] Art. modifié par le décret n° 2017-1409 du 25 septembre 2017, art. 2. Sur le contenu de la lettre d’observations, v. not. Ch. Willmann, Contrôle d’assiette : formalisme et enjeux de la lettre d’observations, Lexbase, éd. soc., 2016, n° 672 (N° Lexbase : N4666BWQ).

[16] V. déc. Cass. civ. 2. 9 octobre 2014, préc.. Pour une illustration récente, v. nota. Cass. civ. 2, 19 septembre 2019, n° 18-19.929, F-P+B+I (N° Lexbase : A8475ZN9). V. F. Taquet, Du respect par l’URSSAF des règles d’audition dans le cadre du travail dissimulé, Lexbase, éd. soc., 2019, n° 797 (N° Lexbase : N0585BYC). V. aussi, à propos de cet arrêt X. Aumeran, Contrôle du travail illégal : le consentement aux auditions est impératif, JCP éd. S, 2019, n° 42.

[17] A rappr. Cass. civ. 2, 10 juin 2003, n° 01-20.850, F-D (N° Lexbase : A7215C8Q), RJS, 2003, n° 1064.

[18] V. supra note 16.

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