Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 25 novembre 2015, n° 383482, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0977NYT)
Lecture: 1 min
N0229BWE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 03 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450229
Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 27 novembre 2015, n° 374373, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9218NXP)
Lecture: 2 min
N0230BWG
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 04 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450230
Réf. : TA Nîmes, 19 novembre 2015, n° 1402481 (N° Lexbase : A9202NX4)
Lecture: 1 min
N0231BWH
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 03 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450231
Réf. : T. confl., 16 novembre 2015, n° 4035 (N° Lexbase : A1459NYP)
Lecture: 1 min
N0232BWI
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 03 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450232
Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 23 novembre 2015, n° 381249, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6896NXP)
Lecture: 1 min
N0233BWK
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 09 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450233
Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 2 novembre 2015, n° 373896, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5802NUG)
Lecture: 9 min
N0164BWY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Mathilde Kernéis-Cardinet, docteur en droit public, chercheur associé au CUREJ, Université de Rouen
Le 03 Décembre 2015
Saisi par la commune, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour et a statué au fond. Il a estimé, d'une part, que la parcelle ne pouvait être affectée aux besoins de la circulation terrestre, écartant dès lors la qualification de dépendance du domaine public routier puis, d'autre part, que la dépendance n'appartenait pas au domaine public en vertu des critères classiques. Cette décision revient ainsi sur la définition du domaine public routier et elle vérifie scrupuleusement l'existence des critères posés par la loi.
I - L'affectation aux besoins de la circulation terrestre, critère du domaine public routier
Tant le juge d'appel que le juge de cassation utilisent les articles L. 2111-14 du Code général de la propriété des personnes (N° Lexbase : L4514IQA) et L. 111-1 du Code la voirie routière (N° Lexbase : L8207KG3). Selon ces dispositions, c'est l'affectation aux "besoins de la circulation terrestre" (hors voies ferrées) qui constitue le critère du domaine public routier. Aussi, c'est leur appréciation des faits qui va diverger.
A - L'insuffisance de l'accessibilité au public
La cour administrative d'appel relevait d'abord, au soutien de sa qualification, que la parcelle était située dans le prolongement des trottoirs. Elle notait, ensuite, "qu'en dépit d'une planéité imparfaite, elle ne comportait aucun obstacle majeur à la déambulation des piétons". L'accessibilité au public constituait donc, pour elle, un élément concourrant à la qualification d'une affectation à la circulation terrestre.
Or, selon le Conseil d'Etat, cette accessibilité est insuffisante, la cour aurait dû rechercher sur la commune avait affecté la parcelle aux besoins de la circulation terrestre. D'aucune manière la circonstance qu'elle était "accessible au public" ne pouvait suffire à une telle qualification. Il oppose ainsi la volonté d'affectation de la collectivité avec un accès "subi" à la parcelle. Une telle décision doit être mise en parallèle avec les propos de Christine Maugüe, lorsque cette dernière, s'agissant de l'affectation à l'usage direct du public, expliquait qu'une "simple ouverture au public ne saurait certainement se confondre avec une telle affectation" (2).
La jurisprudence va d'ailleurs dans ce sens. La cour administrative d'appel de Nantes a ainsi décidé que la circonstance qu'un terrain non aménagé à cet effet soit utilisé pour le stationnement de véhicules et permette l'accès à la cour commune de plusieurs immeubles ne suffit pas à lui conférer le caractère d'une voie affectée à la circulation générale dépendant du domaine public routier (3). De même, la cour administrative d'appel de Lyon a jugé que le chemin longeant les murs extérieurs d'une église n'était pas affecté à la circulation publique eu égard à la configuration des lieux, l'état d'entretien des parcelles concernées et le mode de desserte des fonds riverains (4). Ou encore, selon la cour administrative d'appel de Marseille, un chemin ne desservant que quelques parcelles et se terminant en impasse aboutissant à un rocher très pentu n'est pas affecté aux besoins de la circulation terrestre (5).
L'affectation aux besoins de la circulation terrestre devrait au contraire impliquer une aisance de passage, une continuité de la voie, une véritable utilisation et non simplement une accessibilité. Aussi, les juges du fond avaient également justifié la qualification retenue par la destination future de cet emplacement tel qu'il ressortait d'un projet de la commune, selon la théorie du domaine public virtuel.
B - Le silence du Conseil d'Etat sur le domaine public routier virtuel
Cette théorie du domaine public virtuel, ainsi nommée par Etienne Fatôme, est apparue à la suite de l'arrêt du Conseil d'Etat "Association Eurolat et Crédit foncier de France" du 6 mai 1985. Selon cette décision, le fait qu'un terrain soit affecté à un service public et "destiné" à être aménagé à cet effet, sans que ces aménagements soient actuels, suffisait à lui appliquer les principes de la domanialité publique (6). L'application d'un tel régime à des biens qui ne répondaient pas encore aux critères du domaine public a notamment été réaffirmée dans des avis du Conseil d'Etat du 31 janvier 1995 et du 18 mai 2004. Ils précisaient alors que cette théorie s'appliquait tant s'agissant d'un bien affecté à l'usage direct du public qu'à un bien affecté à un service public dès lors que son incorporation future apparaissait "certaine" (7).
Et c'est à cette théorie que la cour administrative d'appel semble recourir en relevant que "la commune [...] avait l'intention d'aménager sur cette parcelle une placette réservée à la circulation pédestre quand bien même elle n'avait fait l'objet d'aucun classement dans la voirie municipale" et "qu'ainsi, [...] la parcelle en cause étant affectée aux besoins de la circulation terrestre doit être considérée [...] comme une dépendance du domaine public routier". Elle note d'ailleurs que des subventions avaient été sollicitées auprès de l'État, du département et de la région.
Toutefois, si elle avait voulu s'inscrire dans la théorie du domaine public virtuel, encore aurait-il fallu que la cour démontre le caractère certain de l'affectation future. En tout état de cause, la preuve de la demande de subventions n'aurait pu suffire. Une délibération dans ce sens aurait été nécessaire, tout comme la désignation d'acteurs pour effectuer les travaux (8), voire le commencement du chantier (9).
Aussi, au lieu de censurer l'appréciation faite par le juge d'appel s'agissant du domaine public virtuel, le Conseil d'Etat reste silencieux. Il ne censure cette partie de la décision qu'au motif que la cour n'aurait pas recherché si la commune avait affecté la parcelle en cause aux besoins de la circulation terrestre. Cette annulation pour erreur de droit, sans davantage de précision, peut certes englober l'utilisation de la théorie du domaine public virtuel mais rien ne l'indique expressément. D'une certaine manière, le juge pourrait se ménager ici une réserve afin que, quand le besoin se présenterait, il puisse faire ressurgir cette théorie alors même que le code général de la propriété des personnes publiques ne s'y réfère pas.
Cette décision frappe alors par son conformisme. La Haute juridiction décline un à un les différents critères qui lui permettraient, en conformité avec la loi, de déterminer si la parcelle appartient au domaine public.
II - Une vérification scrupuleuse des critères posés par la loi
Après avoir d'abord recherché si le terrain litigieux pouvait relever du domaine public routier, ce que la configuration des lieux n'aurait pas exclu, le juge administratif s'interroge sur l'appartenance de la parcelle au domaine public "général". Pour ce faire, il utilise avec précision les critères posés par le Code général de la propriété des personnes publiques.
A - L'appropriation du critère d'affectation actuelle aux "besoins de la circulation terrestre"
Le Conseil d'Etat avait déjà eu l'occasion de se référer aux articles L. 2111-14 du Code général de la propriété des personnes et L. 111-1 du Code la voirie routière et de les citer. Les vocables d'affectation "aux besoins de la circulation terrestre" ne lui étaient donc pas inconnus. Pour autant, il semble que cet arrêt soit la première décision où le Conseil d'Etat s'approprie cette terminologie, dans la justification de la nature de la dépendance.
Jusqu'à présent, pour vérifier ces conditions législatives, il avait recherché si les voies étaient ouvertes à la "circulation générale" (10) ou à la "circulation" (11). Le juge du fond et même le Tribunal des conflits faisaient d'ailleurs souvent de même (12). La condition d'"affectation aux besoins de la circulation" pourrait paraître plus restrictive que celle de "l'ouverture à la circulation". L'idée de "l'affectation aux besoins de la circulation" suppose en effet une volonté réelle de l'organe délibérant et, de plus, une appréciation des besoins de la population (13). Au contraire, "l'ouverture à la circulation" appelle plutôt un constat de fait s'agissant de l'utilisation de la voie. Aussi, au cas d'espèce, le juge constate que la commune n'avait pas affecté la parcelle aux besoins de la circulation terrestre. Il se conforme donc au critère de définition du domaine public routier posé par la loi.
En outre, il vérifie si la commune a affecté le bien à cette utilité et non si elle allait l'y affecter. En cela, le Conseil d'Etat ne tente pas de vérifier si le bien devait être soumis aux principes de la domanialité publique en vertu de la théorie du domaine public virtuel. Cette théorie est d'ailleurs absente du Code général de la propriété des personnes publiques. Si le Conseil d'Etat estime qu'un tel domaine public virtuel "survit" lorsqu'il s'est constitué avant l'entrée en vigueur du code (14), on ne sait pas encore s'il peut s'en constituer après. Bien que le rapport remis au Président de la République à l'occasion de l'entrée en vigueur du code s'y oppose (15), la doctrine s'interroge (16).
Par ailleurs, sans pour autant relever du domaine public routier, avec son régime spécifique (contravention de voirie routière dont la compétence revient au juge judiciaire (17), possibilité du régime d'indivision (18), application du Code de la route...), la dépendance litigieuse qui jouxtait la voie publique aurait bien pu relever du domaine public "général" en vertu des critères classiques.
B - Le recours aux critères classiques de la domanialité publique
Sans grande nouveauté, le Conseil d'Etat vérifie d'abord un à un si les critères alternatifs de l'affectation à l'usage direct du public et de l'affectation à un service public avec aménagement indispensable sont remplis. Il constate alors que, quand bien même des piétons ont pu occasionnellement emprunter la parcelle, cette dernière n'a pas été affectée par la commune à l'usage direct du public. En outre, la collectivité ne l'a pas davantage affectée à un service public, ni n'y a effectué un quelconque aménagement.
La définition classique n'étant pas remplie, le juge administratif s'interroge ensuite sur son hypothétique nature d'accessoire d'une dépendance du domaine public, tel que le prévoit l'article L. 2111-2 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L4506IQX).
La cour administrative d'appel avait en effet indiqué que le terrain devait être considéré "comme une dépendance du domaine public routier [...] dont elle constitu[ait] l'accessoire". Or, la formule de la cour était incorrecte. Soit la parcelle devait être ainsi qualifiée en vertu de son affectation -ce que le juge avait d'abord perçu-, soit en vertu de la théorie de l'accessoire, mais non sur les deux fondements. Le juge de cassation avait d'ailleurs censuré la décision, au motif notamment que la cour n'avait pas recherché si la parcelle était indissociable du bien relevant du domaine public routier.
L'article L. 2111-2 du Code général de la propriété des personnes publiques pose deux conditions à la reconnaissance d'un bien comme accessoire d'une dépendance du domaine public : un lien physique et un lien fonctionnel. Aussi, après avoir constaté que le terrain ne constituait pas un accessoire indissociable d'un bien du domaine public, le Conseil d'Etat a jugé qu'il appartenait au domaine privé de la commune et qu'un tel contentieux relevait dès lors de la compétence du juge judiciaire.
(1) CAA Nancy, 1ère ch., 10 octobre 2013, n° 12NC01558 (N° Lexbase : A9203MLG). Voir également CE, 4 avril 2014, n° 373947 (N° Lexbase : A6456MIX), qui rejette la demande de sursis à exécution présentée par la commune.
(2) C. Maugüe, Frontières de la domanialité publique, JCP éd. A, 2006, n° 1245.
(3) CAA Nantes, 2ème ch., 11 juin 1997, n° 95NT01112 (N° Lexbase : A2305BHT).
(4) CAA Lyon, 4ème ch., 1er juillet 2010, n° 08LY01329 (N° Lexbase : A9788E7N).
(5) CAA Marseille, 7ème ch., 21 février 2011, n° 09MA00950 (N° Lexbase : A8432HQD).
(6) CE, 6 mai 1985, n° 41589, n° 41699 (N° Lexbase : A3186AMX), AJDA, 1985, II, 620, note Fatôme et Moreau.
(7) CE, 31 janvier 1995, avis n° 356960 (N° Lexbase : A2713NY7), EDCE, 1995, n° 45, AJDA, 1997, p. 126, note Fatôme et Terneyre ; CE, 18 mai 2004, avis n° 370169 (N° Lexbase : A0930IDS), EDCE, 2005, p. 185, note Fatôme, A propos de l'incorporation au domaine public, AJDA, 2006, p. 292.
(8) Voir en ce sens CE, 1er février 1995, n° 127969 (N° Lexbase : A2506AN7).
(9) Voir en ce sens CAA Paris, 4ème ch., 27 septembre 2001, n° 00PA01633 (N° Lexbase : A7768NXY), RFDA, 2003, p. 67, note Marcus et Perrin.
(10) CE, 10 avril 2002, n° 234777 (N° Lexbase : A5759AYX).
(11) CE, 17 mai 2013, n° 361492 (N° Lexbase : A5406KDL).
(12) Sur la condition d'"ouverture à la circulation générale", voir notamment CAA Marseille, 7ème ch., 21 janvier 2010, n° 08MA02122 (N° Lexbase : A6387ESD) ; sur la condition d'"ouverture à la circulation publique", voir notamment T. confl., 8 décembre 2014, n° C3971 (N° Lexbase : A6237M77), CAA Nancy, 1ère ch., 15 décembre 2011, n° 11NC01211 (N° Lexbase : A9538IBU), CAA Marseille, 7ème ch., 24 septembre 2013, n° 11MA03166 (N° Lexbase : A6928ML8), CAA Marseille, 7ème ch., 7 juillet 2015, n° 13MA04863 (N° Lexbase : A7221NQI) ; sur la condition d'"ouverture à la circulation des piétons", voir notamment T. confl., 13 avril 2015, n° C3999 (N° Lexbase : A9550NGS).
(13) Le juge du fond vérifiait parfois simplement le critère de l'"affectation à la circulation générale", voir notamment CAA Nancy, 1ère ch., 23 janvier 2014, n° 13NC00548 (N° Lexbase : A1809MMX), CAA Marseille, 7ème ch., 19 mai 2015, n° 13MA00140(N° Lexbase : A6310NQR) ; sur "l'affectation à la circulation publique", voir notamment CAA Lyon, 4ème ch., 1er juillet 2010, n° 08LY01329 (N° Lexbase : A9788E7N), CAA Marseille, 7ème ch., 2 octobre 2012, n° 10MA03289 (N° Lexbase : A3646IUL).
(14) CE, 8 avril 2013, n° 363738 (N° Lexbase : A7216KBU).
(15) Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006, relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L3736HI9), JO du 22 avril 2006, p. 6016, où l'on peut lire : "cette définition prive d'effet la théorie de la domanialité publique virtuelle".
(16) Selon C. Maugüe, "c'est vrai que le texte ne l'écarte pas non plus noir sur blanc" (Frontières de la domanialité publique, préc.). Voir aussi J.-M. Auby, P. Bon et alli, Droit administratif des biens, Dalloz, 2008, p. 49 : "le texte lui-même ne prodigue pas de certitude" ou encore N. Foulquier, Droit administratif des biens, Lexisnexis, 2011, p. 48 : "aucune disposition n'impose d'attendre que [l'aménagement] soit achevé".
(17) C. voirie routière, art. L. 116-1 (N° Lexbase : L1695AEI).
(18) C. voirie routière, art. L. 141-5 (N° Lexbase : L1655AEZ).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450164
Réf. : Cass. civ. 1, 18 novembre 2015, n° 15-14.560, F-P+B (N° Lexbase : A5393NXZ)
Lecture: 7 min
N0262BWM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Stéphanie Mantione, Avocat au barreau de Lyon
Le 03 Décembre 2015
Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : L4969IQ4), tant le juge administratif que le juge civil cherchent de nouvelles marques à leur domaine d'intervention comme en témoignent les récentes jurisprudences du Conseil d'Etat et de la Cour de Cassation.
Le premier juge, déjà pleinement investi par la Directive "retour" (Directive (CE) 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier N° Lexbase : L3289ICS), ne s'est pas vraiment montré frileux à se saisir de cette évolution. Le second, au contraire, semble s'être retranché derrière la modification de son ordre d'intervention pour ancrer son contrôle dans un cadre plus restrictif que légaliste.
Mais les libertés publiques que le contentieux de la rétention administrative met en discussion suscitent toutes les précautions et les vigilances des plus hautes juridictions.
En septembre 2015, la Cour de cassation venait à sanctionner les juges d'appel pour avoir ordonné la prolongation d'une rétention administrative en jugeant "que le préfet avait effectué les diligences nécessaires en adressant après le week-end, soit trois jours après le début de la rétention, un courrier au consul de Tunisie aux fins d'obtenir un laissez-passer consulaire pour l'intéressé" (1).
Dans l'arrêt rapporté, elle se place cette fois dans le cadre d'une seconde prolongation de rétention pour affirmer que le juge des libertés et de la détention doit s'assurer que les obstacles à l'exécution de la mesure d'éloignement peuvent être surmontés à bref délai avant d'ordonner le maintien au centre pour vingt jours supplémentaires.
Les juges de la Haute juridiction redessinent donc les contours des obligations de l'administration au sens de l'article L. 554-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5867G43), selon lequel "un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ".
I - La finalité de principe de la rétention administrative
Au terme d'une décision du 19 juin 2014, la cour d'appel de Lyon a ordonné une nouvelle prorogation de vingt jours d'une mesure de rétention en date du 24 mai 2014 sans sanctionner le défaut de diligences de l'administration pendant dix-sept jours consécutifs. Le retenu faisait alors l'objet d'une décision de remise aux autorités autrichiennes saisies de sa demande d'asile.
En retenant que les dispositions de l'article L. 554-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile "n'imposent à l'administration qu'une finalité de principe sans poser concrètement d'exigences de temps dans l'accomplissement des diligences", les juges du second degré se sont exposés à la censure de la Cour de Cassation.
Un étranger ne peut pourtant être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. La rétention est exclusivement destinée à permettre l'exécution des mesures d'éloignement et à assureur leur effectivité.
On ne cessera jamais de répéter, de réécrire et de redire qu'aucune mesure privative de liberté ne peut être ordonnée ou prolongée sans être dûment causée. La légalité d'une telle mesure est la garantie essentielle qui prime sur tous les autres droits et corollaires.
La nécessité de la mesure doit ainsi s'apprécier tout au long de l'exécution de la rétention administrative et non pas uniquement lors de la décision initiale.
Dans son analyse de la loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, le Conseil Constitutionnel avait d'ailleurs clairement signifié que les dispositions prévoyant une prolongation de la rétention pour une durée maximale de quarante-cinq jours "ne modifient pas les dispositions précitées selon lesquelles l'étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet" et que "l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient" (2).
C'est ainsi que la seconde prolongation de l'article L. 552-7 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L7211IQ7) ne peut intervenir que :
- soit en cas d'urgence absolue ou de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public ;
- soit lorsque l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire à son éloignement ;
- soit lorsque, malgré les diligences de l'administration, la mesure d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou de l'absence de moyens de transport et qu'il est établi par l'autorité administrative compétente que l'une ou l'autre de ces circonstances doit intervenir à bref délai ;
- soit lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour pouvoir procéder à l'exécution de la mesure d'éloignement dans le délai initial de vingt jours.
Il est acquis sans discussion que ces motifs sont limitatifs et strictement encadrés (3). Ceux-ci souffrent parfois d'une interprétation extensive. Tel est le cas de l'absence de présentation de documents de voyage par le retenu, considérée selon les circonstances comme une perte ou comme une obstruction volontaire à l'éloignement.
En l'espèce, l'arrêt de la cour d'appel de Lyon se place dans la situation où la mesure d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat ou de l'absence de moyens de transport. Cependant, le préfet s'est affranchi de l'obligation de justifier de l'intervention à bref délai de ces circonstances.
En cela, le représentant de l'Etat a oublié que la prolongation relève d'une décision judiciaire et non d'une simple formalité administrative au regard de la finalité de la rétention administrative.
II - Des exigences de temps dans l'accomplissement des diligences
Délier les diligences du préfet aux fins d'éloignement de l'impératif de temps relève d'une surprenante appréciation de l'article L. 554-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La durée stricte des quarante-cinq jours de rétention accompagne pourtant le "bref délai" précédemment évoqué.
Pour les juges de la Cour de cassation, le préfet ne peut se heurter qu'à des obstacles temporaires pouvant être levés durant ces quarante-cinq jours. L'incertitude et l'impuissance ne sont pas conciliables avec la privation de liberté consécutive à l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français. Aussi le représentant de l'Etat ne peut-il placer en rétention un étranger que si son éloignement forcé demeure une perspective raisonnable.
Ce retournement de situation implique pour les services préfectoraux non seulement de rapporter la preuve de leurs diligences pour organiser le départ, mais également de démontrer un recul sur l'activité des consulats ou l'accessibilité des transports.
Le juge des libertés et de la détention ne peut donc plus se cacher derrière l'intervention éventuelle du tribunal administratif car c'est à lui, et à lui seul, qu'il incombe de rechercher "si les obstacles à l'exécution de la mesure d'éloignement" sont "susceptibles d'être surmontés à bref délai".
Il ne fait dès lors qu'exercer les pouvoirs qui lui sont reconnus en décidant la remise en liberté de l'étranger lorsque le préfet n'a pas fait les diligences suffisantes pour obtenir du consulat les documents nécessaires à l'exécution de la mesure d'éloignement (4).
En l'espèce, l'administration avait attendu dix-sept jours avant de réitérer sa demande de pièces auprès du consulat étranger : elle se devait de justifier des diligences accomplies aux fins d'obtenir la délivrance de ces éléments et d'établir que ces documents lui parviendraient avant l'expiration du délai de quarante-cinq jours.
La Cour de cassation ne précise pas cependant comment prouver que les démarches qui sont en cours auprès des autorités consulaires, lesquelles procèdent à l'étude du dossier de l'intéressé vont aboutir.
Vraisemblance ou possibilité ? La part d'imprévu qui va déterminer la nécessité du maintien en rétention administrative ressort d'acteurs extérieurs aux préfectures et à leurs services. L'arrêt du 18 novembre 2015 a le mérite à contraindre l'Etat à respecter un principe de célérité.
Il ne saurait pourtant en résulter que l'indisponibilité d'un consulat ou bien encore l'absence notoire de réponse à toutes demandes suffisent à caractériser les obstacles à l'exécution de la mesure d'éloignement insusceptibles d'être surmontés durant le temps de la rétention.
Au regard de cette jurisprudence, il est indéniable que le contentieux de la rétention administrative s'inscrit dans la veine d'un renouvellement.
La dualité de compétence civile et administrative a déjà entraîné des ajustements de certaines notions comme ceux constatés en matière de voie de fait.
Au terme d'une décision du 17 juin 2013, ce principe juridique a été redéfini aux cas où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative (5).
La Cour de cassation envoie le signal que chaque juridiction doit prendre sa compétence, chaque juge doit remplir son office dans le respect des règles de droit et des pouvoirs de contrôle que la loi lui octroie.
(1) Cass. civ. 1, 23 septembre 2015, n° 14-25.064, F-P+B (N° Lexbase : A8423NPN).
(2) Cons. const., décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 (N° Lexbase : A4307HTP).
(3) Cass. civ. 2, 13 décembre 2001, n° 00-50.061, publié au bulletin (N° Lexbase : A6374AXD).
(4) Cass. civ. 2, 23 mai 2001, n° 00-50.065, inédit (N° Lexbase : A5677ATG).
(5) T. confl., 17 juin 2013, n° 3911 (N° Lexbase : A2154KHA).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450262
Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 23 novembre 2015, n° 381249, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6896NXP)
Lecture: 1 min
N0233BWK
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 09 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450233
Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 4 novembre 2015, n°s 374895, 385362, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7345NUL)
Lecture: 12 min
N0168BW7
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section
Le 03 Décembre 2015
1. La première affaire appelée sous le n° 374895 ne pose pas de difficulté. Elle n'a été inscrite au rôle d'aujourd'hui qu'en raison de ses liens avec la seconde.
L'article 157 de la loi de finances pour 2011 (1) a prévu que les fonctionnaires et agents publics non titulaires exerçant ou ayant exercé certaines fonctions dans les établissements ou parties d'établissement de construction ou de réparation navale du ministère chargé de la Mer pendant des périodes au cours desquelles y étaient traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante pourraient demander une cessation anticipée d'activité et percevoir à ce titre une allocation spécifique. Cette disposition a transposé au secteur public de la construction et de la réparation navales une mesure en vigueur depuis longtemps déjà pour les travailleurs du secteur privé exposés à l'amiante : pour ces derniers, une allocation de cessation anticipée d'activité a été instituée dès la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (2).
L'article 157 de la loi de finances pour 2011 a renvoyé à un décret en Conseil d'Etat la fixation des conditions d'application de la mesure qu'il institue. Ce décret n'a été pris que le 27 mai 2013 (3)... et encore ne faisait-il que repousser la mise en oeuvre de l'allocation prévue par le législateur puisque son article 1er renvoyait à un arrêté interministériel le soin de définir la liste des établissements ou partie d'établissements dans lesquels les agents doivent avoir travaillé pour en obtenir le bénéfice, ainsi que les périodes pouvant être prises en compte, au cours desquelles étaient traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. Cet arrêté interministériel requérant les signatures de pas moins de cinq ministres, il ne faut pas s'étonner que son élaboration ait pris du temps.
Le syndicat national des agents des phares et balises et sécurité maritime-CGT s'est impatienté. Il a demandé au Premier ministre, par courrier du 5 octobre 2013, de prendre les mesures réglementaires nécessaires à l'application de l'article 157 de la loi de finances pour 2011. Et il attaque, sous le n° 374895, le refus implicite du Premier ministre de donner suite à cette demande, en assortissant ces conclusions d'excès de pouvoir de conclusions à fin d'injonction.
L'arrêté interministériel attendu a toutefois été pris le 1er août 2014 (4). Il comporte, conformément à ce qu'exige le décret du 5 octobre 2013, une annexe 1 fixant une liste des fonctions susceptibles d'ouvrir droit à l'attribution de l'allocation de cessation anticipée d'activité et une annexe 2 fixant une liste des établissements ou parties d'établissements de construction ou de réparation navales au sein desquels l'agent doit avoir été affecté pour pouvoir prétendre à l'allocation, ainsi que les périodes à prendre en considération. Le ministre chargé de l'Ecologie, qui a produit en défense, conclut par conséquent au non-lieu à statuer. Le syndicat le conteste en faisant valoir que l'arrêté en question serait incomplet, en ce qu'il omettrait certaines fonctions ou certains sites et en ce qu'il aurait défini restrictivement les périodes à prendre en compte s'agissant de plusieurs des sites qu'il mentionne. Une telle argumentation, qui revient à contester le bien-fondé de l'arrêté interministériel en question, ne peut faire obstacle au non-lieu : la demande du syndicat tendait à l'édiction de cet arrêté et elle a été entièrement satisfaite. La question du bien-fondé de cet arrêté peut être débattue, mais pas dans le cadre de la présente instance. Il appartient au syndicat, s'il s'y croit fondé, de présenter un recours pour excès de pouvoir à l'encontre de cet arrêté ou d'un refus de le modifier.
Vous n'en aurez pas tout à fait fini avec cette première requête. En effet le syndicat, en réponse à la défense du ministre, n'a pas seulement soutenu que ses conclusions initiales conservaient un objet. Il les a aussi étendues en demandant, d'une part, l'annulation d'une "note de gestion" du ministre chargé de l'Ecologie prise pour l'application du décret du 27 mai 2013, d'autre part, l'annulation d'un refus implicite du ministre de prendre les textes réglementaires d'application d'une autre disposition législative, l'article 120 de la loi de finances pour 2014 (5).
Sur le premier point, ces conclusions additionnelles du syndicat sont certainement irrecevables dans cette instance, par application de votre jurisprudence qui, dans le cas d'une requête unique dirigée contre plusieurs actes administratifs, exige un lien suffisant entre les différents chefs de conclusions (6). Mais il ne sera pas besoin, à notre avis, de rejeter formellement ces conclusions pour irrecevabilité. En effet le syndicat a finalement attaqué la "note de gestion" du ministre par requête distincte -c'est l'objet de la requête n° 385362-.
Sur le second point, vous pourrez prononcer un non-lieu à statuer. Comme l'indique le ministre, le décret en Conseil d'Etat auquel renvoie l'article 120 de la loi de finances pour 2014 est bien intervenu -il s'agit d'un décret du 3 juin 2015 (7)-. Et le syndicat lui-même a indiqué, en réponse, que la parution de ce décret répondait à ses attentes, de sorte qu'il n'y avait plus lieu pour lui de réclamer la mise en oeuvre de l'article 120 de la loi de finances pour 2014.
2. Nous pouvons en venir à l'examen de la seconde requête, enregistrée sous le n° 385632, qui pose une petite question dont la réponse n'est pas évidente.
Nous le disions, cette requête est dirigée contre une "note de gestion" prise par le ministre chargé de l'Ecologie pour l'application du décret du 27 mai 2013. Cette requête ne nous paraît encourir aucune forme d'irrecevabilité -relevons, notamment, que les prévisions de la circulaire attaquée revêtent bien un caractère impératif et général (8)-.
Les moyens que soulève le syndicat à l'encontre de cette circulaire ne sont pas aisés à identifier -ses écritures sont quelque peu brouillonnes-. Le syndicat soutient, de manière générale, que la circulaire est entachée d'incompétence, le ministre ayant pris selon lui des mesures réglementaires. Il en veut pour preuve le résumé de la circulaire qu'en fait son auteur lui-même lorsqu'il indique qu'elle tend à "préciser" les règles d'attribution, de calcul et de versement de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité prévue par l'article 157 de la loi de finances pour 2011. Mais "préciser" ne veut pas dire "établir".
Au-delà de cette critique très générale, si générale qu'elle nous paraît dénuée des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé, on trouve toutefois une argumentation précise dirigée contre les modalités de détermination de la rémunération de référence servant de base au calcul de l'allocation.
La loi ne dit rien sur ce point. Le décret du 27 mai 2013, en revanche, donne une définition de la rémunération de référence, qui figure à son article 2 pour les fonctionnaires, et à son article 12 pour les agents non titulaires. Une fois mises de côté un certain nombre de précisions apportées respectivement par ces deux articles et spécifiques, soit aux fonctionnaires, soit aux non-titulaires, la définition générale de la rémunération de référence est identique pour ces deux catégories d'agents : il s'agit de "la moyenne des rémunérations brutes perçues [...] pendant les douze derniers mois [d']activité sous réserve qu'elles présentent un caractère régulier et habituel [...]".
La circulaire a précisé que, pour l'application de ces dispositions, il y a lieu d'exclure les "indemnités de rachat de jours épargnés sur un compte épargne temps", au titre des éléments de rémunération ne présentant pas un caractère régulier. Le syndicat conteste cette exclusion. Il fait valoir que, pour les travailleurs du secteur privé, la Cour de cassation a jugé que devait être incluse dans le salaire de référence l'indemnité versée à un salarié en compensation des jours de repos pour réduction du temps de travail (RTT) dont il n'avait pu bénéficier avant son départ de l'entreprise (9).
La solution adoptée par le juge judiciaire ne suffit pas à se convaincre du bien-fondé de la position défendue par le syndicat. La Cour de cassation s'est en effet prononcée au vu d'un état des textes différent. C'est un décret du 29 mars 1999 (10) qui précise les conditions de calcul de l'allocation de cessation anticipée d'activité à laquelle peuvent prétendre les salariés soumis au droit du travail. Son article 2 définit le salaire de référence servant de base à la détermination de l'allocation. Dans sa version applicable aux litiges ayant donné lieu aux arrêts sur lesquels s'est prononcée la Cour de cassation, les dispositions de cet article 2 se bornaient à prévoir que ce salaire de référence incluait les rémunérations perçues par le salarié au cours de ses douze derniers mois d'activité et entrant dans l'assiette des cotisations sociales (11). Ce n'est que postérieurement que ce texte a été modifié, par un décret simple du 30 septembre 2009 (12), qui a ajouté à cette définition du salaire de référence la précision selon laquelle les rémunérations perçues au cours des douze derniers mois d'activité ne devaient être prises en compte que "sous réserve qu'elles présentent un caractère régulier et habituel". Il fait peu de doute que ces dispositions ont été ajoutées précisément pour faire pièce à la jurisprudence de la Cour de cassation, afin d'exclure du salaire de référence, à l'avenir, des rémunérations exceptionnelles telles que des indemnités versées, lors du départ de l'entreprise, en compensation de jours de RTT non pris.
Le pouvoir réglementaire, au moment où il a pris le décret du 27 mai 2013 applicable aux agents du ministère chargé de la Mer, s'est manifestement "calé" sur la dernière rédaction du décret du 29 mars 1999 applicable aux salariés relevant du droit du travail. Ceci dit, ce constat ne suffit pas non plus à répondre à la question posée par le syndicat. Car l'élément de rémunération sur lequel prend parti la circulaire contestée -les indemnités de rachat de jours épargnés sur un compte épargne temps- est assez différent de celui à propos duquel le pouvoir réglementaire a entendu contrer la position du juge judiciaire -l'indemnité versée lors du départ de l'entreprise au titre de jours de RTT non pris-.
Il faut dire quelques mots, à ce stade, de la manière dont fonctionne le compte épargne-temps (CET) dans la fonction publique de l'Etat. Ses modalités de fonctionnement sont prévues principalement par un décret du 29 avril 2002 (13), modifié à plusieurs reprises, et par un arrêté du 28 août 2009 (14). Il en résulte que, lorsque le nombre de jours comptabilisés en fin d'année sur le CET est inférieur ou égal à vingt, l'agent doit obligatoirement utiliser ces jours sous forme de congés. Lorsque le CET est crédité de plus de vingt jours en fin d'année, les jours comptabilisés au-delà de vingt peuvent être utilisés de trois manières différentes :
- ils peuvent, pour les fonctionnaires, être pris en compte au sein du régime de retraite additionnelle de la fonction publique ;
- ils peuvent, dans la limite de dix jours, être maintenus sur le CET ;
- enfin, ils peuvent donner lieu à indemnisation, pour un montant forfaitaire par jour épargné qui dépend de la catégorie statutaire du fonctionnaire ou de l'agent (15).
L'agent doit formuler son choix en faveur de l'une de ces trois formules, ou d'une combinaison de ces différentes formules, avant le 1er février de l'année suivante. En l'absence d'option, les jours sont pris en compte au sein du régime de retraite additionnelle de la fonction publique, s'agissant d'un fonctionnaire, et indemnisés, s'agissant d'un agent contractuel.
Au vu de ces modalités de fonctionnement, il n'est pas possible d'affirmer que, dans la fonction publique de l'Etat, l'indemnisation -parfois aussi appelée "monétisation"- des jours crédités sur un CET est la norme. Cette indemnisation n'est susceptible d'intervenir que lorsque, à la fin d'une année, les jours épargnés excèdent le nombre de vingt, et pour les seuls jours excédant cette limite. En outre, pour les fonctionnaires, cette monétisation est subordonnée à une option expresse en ce sens exercée annuellement, avant le 1er février de l'année suivante. Et quant aux agents non titulaires, ils peuvent y renoncer pour maintenir les jours concernés, dans la limite de dix, sur leur CET.
Il n'est pas facile, compte tenu de ces modalités de fonctionnement, de considérer que, de manière générale, les indemnités versées au titre du rachat de jours épargnés sur un CET revêtent un caractère régulier et habituel. D'un autre côté, ces rémunérations sont issues d'un dispositif permanent et nous imaginons aisément que dans certains secteurs de la fonction publique, les CET des agents excèdent régulièrement le plafond de vingt par an et que nombre d'entre eux préfèrent l'option de l'indemnisation aux autres modalités d'utilisation qui leur sont offertes. Et au fond, c'est cela qui nous convainc du bien-fondé de l'argumentation du syndicat : il nous semble ne pas faire de doute que, au moins pour certains agents, les indemnités versées au titre des jours épargnés sur leur CET présentent un caractère régulier et habituel. Par suite, en excluant de manière générale ces indemnités de la rémunération de référence prévue à l'article 2 du décret du 27 mai 2013, les auteurs de la "note de gestion" attaquée ont méconnu ces dispositions. Précisons à cet égard, pour répondre à un argument présenté en défense par le ministre de l'Ecologie, que nous ne voyons pas en quoi ce texte imposerait d'apprécier le caractère régulier et habituel des rémunérations sur une période de douze mois : il prescrit de prendre en compte les rémunérations brutes perçues pendant les douze derniers mois d'activité -pas d'apprécier leur caractère régulier et habituel sur cette même période de temps-. En conséquence, nous semble sans incidence sur le raisonnement la circonstance que l'utilisation des jours crédités sur le CET excédant la limite de vingt donne lieu à une option de l'agent exercée annuellement.
Si vous n'étiez pas convaincu par notre proposition d'annulation, nous ajoutons un argument à son appui. Il se trouve que les agents du ministère chargé de la Mer ne sont pas les premiers à avoir bénéficié d'un dispositif de cessation anticipée d'activité en cas d'exposition aux effets délétères de l'amiante. Des décrets étaient déjà intervenus, par le passé, pour mettre en place des dispositifs similaires au bénéfice des ouvriers de l'Etat (16) puis des agents du ministère de la Défense (17). Ces décrets sont construits selon la même logique que celui du 27 mai 2013, auquel ils ont manifestement servi de modèles, notamment en ce qui concerne la définition de la rémunération de référence servant de base à la détermination du montant de l'allocation. Or ces deux premiers décrets, lorsqu'ils définissent la rémunération de référence, ne contiennent pas la réserve du caractère "régulier et habituel" des rémunérations perçues au cours des douze derniers mois d'activité (18). Nous n'avons pas de doute qu'en l'absence de cette réserve, il n'y aurait aucune raison d'exclure les indemnités versées au titre de jours épargnés sur un CET des rémunérations prises en compte dans la rémunération de référence. Dès lors, une interprétation de l'article 2 du décret du 27 mai 2013 conforme au principe d'égalité nous paraît commander, en tout état de cause, de le lire comme n'excluant pas ces indemnités du calcul de la rémunération de référence. Ne ferait pas échec à ce raisonnement votre jurisprudence selon laquelle, en matière de fonction publique, le principe d'égalité ne joue qu'entre agents d'un même corps, puisque vous y faites exception lorsque sont en cause des dispositions qui n'ont pas vocation à régir les seuls agents d'un même corps, ce qui est bien le cas en l'espèce (19).
Terminons en indiquant que nous ne lisons pas d'autre moyen dans la requête du syndicat : certaines des critiques qu'il formule visent en réalité l'arrêté interministériel du 1er août 2014 et non la circulaire attaquée, de sorte qu'elles sont parfaitement inopérantes dans le cadre de la présente instance ; par ailleurs, la violation alléguée de l'article L. 712-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5547ADS) ne paraît rien de plus qu'un argument à l'appui du moyen que nous proposons d'accueillir.
Dans les circonstances particulières de l'espèce, nous vous invitons à faire droit en totalité aux conclusions présentées par le syndicat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4) et à lui octroyer, à raison de 3 000 euros demandés dans chaque affaire, une somme totale de 6 000 euros.
Par ces motifs nous concluons dans le sens qui suit :
1. Non-lieu à statuer sur les conclusions tendant, premièrement, à l'annulation de la décision refusant de prendre l'arrêté interministériel prévu par le décret du 27 mai 2013, deuxièmement, à l'annulation de la décision refusant de prendre le décret d'application des dispositions de l'article 120 de la loi de finances pour 2014, enfin, à ce qu'il soit enjoint au Premier ministre de prendre ces mesures réglementaires d'application ;
2. Annulation de la "note de gestion" attaquée en tant qu'elle exclut les indemnités de rachat des jours épargnés sur un compte épargne temps des éléments de rémunération à prendre en compte pour déterminer le montant de l'allocation spécifique de cessation d'activité ;
3. Mise à la charge de l'Etat d'une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ;
4. Rejet du surplus des conclusions présentées par le syndicat.
(1) Loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, de finances pour 2011 (N° Lexbase : L9901INZ).
(2) Loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (N° Lexbase : L5411AS9), art. 41.
(3) Décret n° 2013-435 du 27 mai 2013, relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains fonctionnaires et agents non titulaires relevant du ministère chargé de la Mer (N° Lexbase : L8938IWX).
(4) Arrêté interministériel du 1er août 2014, relatif à la liste des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certaines fonctionnaires et agents non titulaires du ministère chargé de la Mer (N° Lexbase : L0246I4U), Journal officiel du 9 août 2014.
(5) Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014 (N° Lexbase : L7405IYW).
(6) CE, Sect., 30 mars 1973, n° 80717 (N° Lexbase : A0649B9W), au Recueil, p. 265, avec les conclusions du président Théry.
(7) Décret n° 2015-603 du 3 juin 2015, modifiant le décret n° 2013-435 du 27 mai 2013 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains fonctionnaires et agents non titulaires relevant du ministère chargé de la Mer (N° Lexbase : L7524I88).
(8) Cf. CE, Sect., 18 décembre 2002, n° 233618 (N° Lexbase : A9733A7M), au Recueil, p. 463.
(9) Cass. civ. 2, 25 avril 2007, n° 06-16.22, FS-P+B (N° Lexbase : A0351DWW), Bull. civ. II, n° 104 ; Cass. civ. 2, 13 décembre 2007, n° 07-11.986, FS-P+B (N° Lexbase : A0845D3P), Bull. civ. II, n° 270.
(10) Décret n° 99-247 du 29 mars 1999, relatif à l'allocation de cessation anticipée d'activité prévue à l'article 41 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (N° Lexbase : L3871IZE).
(11) C'est le sens du renvoi aux rémunérations "visées à l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0132IWS)".
(12) Décret n° 2009-1735 du 30 septembre 2009, modifiant le décret n° 99-247 du 29 mars 1999, relatif à l'allocation de cessation anticipée d'activité prévue à l'article 41 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (N° Lexbase : L1890IG4).
(13) Décret n° 2002-634 du 29 avril 2002, portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l'Etat (N° Lexbase : L0968G8D).
(14) Arrêté du 28 août 2009 pris pour l'application du décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 modifié portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature (N° Lexbase : L7262IEP), Journal officiel du 30 août 2009.
(15) 125 euros par jour pour un agent de catégorie A, 80 pour un agent de catégorie B, 65 pour un agent de catégorie C.
(16) Décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001, relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat (N° Lexbase : L8603IR3).
(17) Décret n° 2006-418 du 7 avril 2006, relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains fonctionnaires et agents non titulaires relevant du ministère de la défense (N° Lexbase : L0318HIM).
(18) Probablement parce qu'ils sont tous deux antérieurs au décret de 2009 ayant ajouté cette précision s'agissant des salariés soumis au droit du travail.
(19) Voyez par exemple CE, 9 février 2005, n° 229547 (N° Lexbase : A6699DG9), au Recueil, s'agissant des textes instituant des primes en faveur des fonctionnaires affectés dans des quartiers urbains difficiles.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450168
Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 25 novembre 2015, n° 383220, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0976NYS)
Lecture: 1 min
N0235BWM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 03 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450235
Réf. : CEDH, 26 novembre 2015, Req. 64846/11 (N° Lexbase : A9183NXE)
Lecture: 2 min
N0234BWL
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 05 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450234
Réf. : TA Paris, 27 novembre 2015, n°s 1519030 (N° Lexbase : A1001NYQ) et 1519031 (N° Lexbase : A1002NYR)
Lecture: 2 min
N0236BWN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 03 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450236
Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 23 novembre 2015, n° 364112, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6884NXA)
Lecture: 1 min
N0237BWP
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 03 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450237
Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 25 novembre 2015, n° 390370, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0988NYA)
Lecture: 1 min
N0239BWR
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 03 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450239
Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 23 novembre 2015, n° 364757, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6885NXB)
Lecture: 1 min
N0238BWQ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 09 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450238
Lecture: 11 min
N0175BWE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique
Le 03 Décembre 2015
A l'occasion de l'arrêt n° 372410 du 27 juillet 2015, le Conseil d'Etat apporte d'utiles précisions concernant l'application du principe de réparation intégrale concernant un préjudice de perte de recettes commerciales.
A la suite du blocage de ses camions de collecte de lait par des attroupements intervenus entre le 21 et le 25 mai 2009, la société X avait fait condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices subis en application des dispositions alors en vigueur de l'article L. 2216-3 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8738AAU). On rappellera ici que la loi du 16 avril 1914, sur la responsabilité spéciale des communes, avait créé un régime de responsabilité sans faute, sur le fondement de la notion de "risque social" au bénéfice des victimes de dommages occasionnés lors de rassemblements et d'attroupements. En application de ce texte, c'est la responsabilité de plein droit des communes qui devait être recherchée devant le juge judiciaire. Mais par la suite, la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat (N° Lexbase : L4726AQ4), avait transféré la charge de la responsabilité sur l'Etat, la loi n° 86-29 du 9 janvier 1986, portant dispositions diverses relatives aux collectivités locales, prévoyant ensuite la compétence du juge administratif pour connaître des litiges occasionnés par des rassemblements ou des attroupements. Ce sont ces textes qui ont été codifiés à l'article L. 2216-3 du Code général des collectivités territoriales qui prévoit que "l'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens". Il faut toutefois relever que ces dispositions, applicables en l'espèce, ont été abrogées par l'ordonnance n° 2012-351 du 12 mars 2012, relative à la partie législative du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L3779ISR), et recodifiées à l'article L. 211-10 du Code de sécurité intérieure (N° Lexbase : L5211ISS) actuellement en vigueur.
L'application des ces dispositions aux circonstances de la présente affaire ne posait pas de difficultés notables. A l'occasion d'un arrêt du 3 février 2012, la cour administrative d'appel de Nantes avait ainsi considéré que l'action de blocage à l'origine des préjudices subis par la société X "s'est produite dans le cadre du mouvement de revendication collective des producteurs de lait en mai et juin 2009 [...] dans les circonstances de l'espèce, ces agissements, qui constituent un délit commis à force ouverte, résultent d'un attroupement ou d'un rassemblement précisément identifiés au sens des dispositions précitées de l'article L. 2216-3 du Code général des collectivités territoriales" (1).
Si l'admission de la responsabilité de l'Etat ne pose pas de difficultés notables, il en va tout autrement, en revanche, concernant la question de l'évaluation du préjudice subi. Comme le juge civil, le juge administratif doit "faire du dommage une évaluation telle qu'elle assure à la victime l'entière réparation du préjudice" (2), ce qui ne manque pas de poser un certain nombre de difficultés. Tel est le cas, en l'espèce, concernant un préjudice financier représenté par des pertes de revenus professionnels. Le principe de réparation de ce préjudice est certes admis, et cela quel que soit le type d'activité professionnelle en cause. Il en résulte qu'une perte de salaire (3), une perte de revenus agricoles (4) ou, comme en l'espèce, le préjudice commercial subi par une société sont normalement réparés.
La question qui se posait dans la présente affaire était toutefois plus précise puisqu'elle concernait l'évaluation d'un préjudice lié à la perte de revenus commerciaux, et la prise en compte des difficultés rencontrée par l'entreprise pour couvrir ses charges fixes. Le Conseil d'Etat rappelle que la réparation intégrale de son préjudice commercial supposait que la société soit replacée dans la situation qui aurait été la sienne si l'interruption de sa production suite au blocage de ses camions ne s'était pas produite. Ainsi, "en vue d'assurer cette réparation, il incombait aux juges du fond de lui accorder une indemnité correspondant aux pertes de recettes qu'elle avait subies, diminuées des charges qu'elle n'avait pas eu à exposer et augmentées, le cas échéant, des charges supplémentaires provoquées par l'interruption de son activité". Il s'agira, de cette façon, d'assurer "la réparation du préjudice résultant de l'impossibilité de couvrir les charges fixes par des recettes d'exploitation et, le cas échéant, du préjudice résultant d'une perte de bénéfice". Or, tous ces éléments n'avaient pas été pris en compte par la cour administrative d'appel de Nantes. En effet, les juges du fond avaient considéré que la société n'était pas en droit d'obtenir réparation au titre de l'impossibilité de couvrir ses charges fixes. Par ailleurs, la cour avait déterminé le montant de l'indemnité mise à la charge de l'Etat par référence à la seule perte d'une marge, dont elle n'avait définit ni la nature ni les éléments de calcul. En conséquence, le Conseil d'Etat annule le jugement contesté et il décide de renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Nantes.
A l'occasion du célèbre arrêt d'Assemblée "Gardedieu" du 8 février 2007 (5), le Conseil d'Etat avait admis que "la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée [...] en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France". Ce sont les contours de ce régime de responsabilité -qui a vocation à s'appliquer y compris en cas de violation des principes généraux du droit de l'Union européenne (6)- qui sont précisés par la juridiction administrative suprême dans son arrêt n° 371832 du 5 octobre 2015.
L'essentiel des questionnements autour de l'arrêt "Gardedieu" concerne la nature du régime de responsabilité qu'il inaugure, et plus précisément la nature du fait générateur conditionnant l'engagement de la responsabilité de l'Etat législateur. Dans ses conclusions sur cet arrêt, le commissaire du Gouvernement Derepas avait considéré qu'il s'agissait ici d'un régime de responsabilité sui generis -c'est-à-dire ni un régime de responsabilité pour faute, ni un régime de responsabilité sans faute- alors qu'il s'agit pourtant bien de sanctionner l'Etat législateur qui n'a pas rempli ses obligations au regard de la hiérarchie des normes qui s'impose à lui. L'arrêt "Gardedieu" établit donc bien -sans s'y référer- un régime de responsabilité pour faute de l'Etat législateur que le juge, pour des raisons plus historiques et politiques que juridiques, est bien embarrassé de reconnaître comme tel. On ne voit d'ailleurs pas comment un régime de responsabilité peut être autre chose qu'un régime de responsabilité pour faute ou sans faute. En effet, si ce n'est pas une faute qui conditionne l'engagement de la responsabilité de l'Etat, cet engagement doit alors être conditionné par un autre fait générateur qui est alors nécessairement non fautif.
L'arrêt du 5 octobre 2015 traite moins de la question du fait générateur de la responsabilité de l'Etat législateur, qui ne pose pas de difficultés notables en l'espèce, que de celle du lien de causalité entre ce fait générateur et le préjudice dont il est demandé réparation. Dans cette affaire, la société X avait contesté devant le juge judiciaire un redressement infligé par l'URSSAF au motif de l'illégalité de l'agrément de l'agent qui avait procédé à son contrôle. Son pourvoi avait été rejeté par la Cour de cassation par un arrêt du 8 novembre 2006, au motif que les contrôles de l'URSSAF qui seraient contestés par ce moyen ont été validés par l'article 73 de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003, de financement de la Sécurité sociale pour 2004 (N° Lexbase : L9699DLS) (7). Mais par la suite, par un arrêt du 25 novembre 2010 (8), la Cour européenne des droits de l'homme, saisie par la même société, a jugé que la France avait violé l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) en adoptant cette loi de validation. A la suite de cette condamnation de la France, la société a saisi les juridictions administratives en demandant la condamnation de l'Etat en application de la jurisprudence "Gardedieu". Mais si le Conseil d'Etat considère que la méconnaissance des engagements internationaux de la France est ici caractérisée, il considère, en revanche, qu'il n'existe pas de lien de causalité directe entre la violation de la CESDH par la loi et le préjudice dont il est demandé réparation par la société "du fait du rejet par le juge judiciaire de sa demande de décharge des sommes qui lui ont été réclamées à la suite" de son redressement. Le Conseil d'Etat considère en effet que la Cour de cassation "ne s'était pas prononcée sur les conséquences à tirer de l'agrément d'un agent de contrôle par une autorité qui, bien qu'agissant en vertu d'une délégation de signature irrégulière, aurait pu être régulièrement habilitée à cette fin et présentait toutes les apparences, pour l'URSSAF qui sollicitait l'agrément de ses agents, de l'autorité compétente". Par ailleurs, il ne pouvait être considéré, au vu de la jurisprudence de la Cour de cassation, que la société requérante "aurait, par l'effet de l'article 73 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2004, été privée d'une chance sérieuse d'obtenir l'annulation par les juridictions judiciaires du redressement décidé à son encontre". En somme, ce n'est pas la déclaration d'inconventionnalité de la loi du 18 décembre qui est à l'origine du préjudice subi par la société requérante. En conséquence, la demande d'indemnisation formée par la société X est rejetée.
Dans son arrêt n° 375538 du 14 octobre 2015, le Conseil d'Etat précise les conditions d'engagement de la responsabilité d'une commune en cas de délivrance d'un certificat d'urbanisme erroné. La société requérante avait obtenu du maire de la commune un certificat d'urbanisme positif. Elle a ensuite acquis le terrain concerné par un acte notarié mais elle s'est vu refuser le permis de construire en raison de risques d'inondation. La SCI a alors recherché la responsabilité de la commune mais sa demande a été rejetée par la cour administrative d'appel de Bordeaux par un arrêt du 14 novembre 2013 (9). La cour a en effet considéré que la société avait commis une imprudence fautive de nature à exonérer la commune de sa responsabilité, en n'introduisant pas dans l'acte de vente du terrain une condition suspensive relative à l'obtention du permis de construire.
Rappelons d'abord que la principale fonction du certificat d'urbanisme consiste à informer le demandeur sur la situation d'un terrain au regard des règles d'urbanisme applicables au jour de la signature du certificat. Surtout, comme le précise l'article L. 410-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3418HZM), "lorsqu'une demande d'autorisation ou une déclaration préalable est déposée dans le délai de dix-huit mois à compter de la délivrance d'un certificat d'urbanisme, les dispositions d'urbanisme, le régime des taxes et participations d'urbanisme ainsi que les limitations administratives au droit de propriété tels qu'ils existaient à la date du certificat ne peuvent être remis en cause à l'exception des dispositions qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique".
Toutefois, le certificat d'urbanisme ne confère par lui-même aucune autorisation particulière. Comme l'a notamment précisé le Conseil d'Etat dans un arrêt "Ministre de l'Environnement et du Cadre de vie c/ SCI Provence" du 28 janvier 1981, "le certificat [...] n'a pas le caractère d'une autorisation concernant une construction, installation ou opération" (10). Comme l'a relevé le commissaire du Gouvernement Didier Chauvaux dans ses conclusions sur l'arrêt "SA France travaux" du 11 février 2004, "le certificat positif ne confère pas au constructeur la certitude que les dispositions mentionnées sont celles au regard desquelles son projet sera examiné lorsqu'il demandera un permis de construire" (11). Ainsi, par exemple, l'obtention d'un certificat d'urbanisme concernant une parcelle boisée ne saurait avoir pour effet de supprimer l'obligation d'obtenir une autorisation préalable de défrichement conformément aux dispositions législatives en vigueur (12). De même, pour citer un cas d'espèce similaire à celui commenté, il a été jugé qu'un certificat positif mais erroné, parce que le terrain concerné était situé en zone inondable, ne confère pas de droit à un permis de construire (13).
A l'évidence, la délivrance d'un certificat d'urbanisme erroné constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration. Il en va ainsi lorsque consécutivement à l'obtention d'un certificat positif, le permis de construire est refusé. Toutefois, la responsabilité de l'administration ne sera engagée que si le préjudice dont il est demandé réparation a son origine directe dans les mentions du certificat d'urbanisme incriminé. Cette solution a été retenue, par exemple, dans une affaire où le certificat avait reconnu le caractère constructible d'un terrain, alors qu'il constituait un espace remarquable au sens des articles L. 146-6 (N° Lexbase : L3326KGB) et R. 146-1 (N° Lexbase : L8640IUK) du Code de l'urbanisme et qu'il était donc inconstructible (14). Cependant, la responsabilité de l'administration peut être exclue ou limitée dans les hypothèses où il apparaît qu'une faute à également été commise par le pétitionnaire. Tel est le cas, en particulier, s'il s'agit d'un professionnel de l'immobilier. Il en va ainsi d'une société dont l'objet statutaire porte sur "toutes opérations immobilières" à propos d'un certificat d'urbanisme positif concernant un terrain classé en zone naturelle (15). Pour les juges, l'acquéreur de ce terrain avait commis une imprudence constitutive d'une faute qui, dans les circonstances de l'espèce, exonère à hauteur de 40 % la responsabilité de la commune. Une solution comparable a été retenue dans une affaire où les juges ont estimé que l'insuffisance de la desserte d'une parcelle était manifeste ce qui aurait dû attirer l'attention des requérants, professionnels de l'immobilier, qui ne pouvaient en ignorer les particularités alors même que la commune leur avait délivré un certificat d'urbanisme positif. Dans cette affaire, les imprudences commises sont constitutives de fautes qui exonèrent pour moitié la commune de sa responsabilité (16).
La situation soumise au Conseil d'Etat est légèrement différente, puisque ce qui est reproché au pétitionnaire, c'est un manque de prudence caractérisé par l'absence d'insertion, dans le contrat de vente de la parcelle, d'une condition suspensive relative à l'obtention d'un permis de construire. Les juges du fond avaient considéré que cette imprudence était constitutive d'une faute de nature à exonérer totalement la commune de sa responsabilité. Le Conseil d'Etat ne partage toutefois pas cette analyse puisqu'il considère, dans la lignée de sa jurisprudence antérieure, que cette faute a pour seul effet de limiter la responsabilité de la commune.
(1) CAA Nantes, 2ème ch., 3 février 2012, n° 11NT00628 (N° Lexbase : A5755IHM).
(2) CE, 21 mars 1947, n° 80338 (N° Lexbase : A4304B8W), Rec. p. 123.
(3) CE, 20 juillet 1938, Grivault, Rec. p. 703.
(4) CE, 23 février 1968, n° 68976 (N° Lexbase : A5755B8N), Rec. p. 138.
(5) CE, Ass., 8 février 2007, n° 279522 (N° Lexbase : A2006DUT), Rec. p. 78, AJDA 2007, chron. F. Lénica et J. Boucher, Dr. adm., 2007, étude 7, M. Gautier et F. Melleray, JCP éd. A, 2007, 2083, note C. Broyelle, RFDA, 2007, p. 631, concl. F. Derepas, p. 525, note D. Pouyaud et p.789, note M. Canedo-Paris.
(6) CE 1° et 6° s-s-r., 23 juillet 2014, n° 354365, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7254MU9), AJDA, 2014, p. 2538, note C. Broyelle, Dr. adm., 2015, 9, note G. Eveillard, LPA, 2 octobre 2014, p. 6, note M.-Ch. Rouault, RFDA, 2014, p. 1178, concl. A. Lallet, note A. Blandin.
(7) JO, 19 décembre 2003.
(8) CEDH, 25 novembre 2010, Req. 20429/07 (N° Lexbase : A3325GLQ), AJDA, 2011, p. 889, chron. L. Burgorgue-Larsen.
(9) CAA Bordeaux, 1ère ch., 14 novembre 2013, n° 12BX01322 (N° Lexbase : A9203NX7).
(10) CE, 28 janvier 1981, n° 17245 (N° Lexbase : A5582AKX), Rec. tables, p. 967.
(11) CE, 11 février 2004, n° 212855 (N° Lexbase : A3363DB8), BJDU, 2004, n° 1, p. 35, concl. D. Chauvaux, Constr.-urb., 2004, 85, note Ph. Benoît-Cattin.
(12) CE, 19 novembre 1999, n° 190076 (N° Lexbase : A4066AWI).
(13) CAA Nantes, 2ème ch., 22 avril 2003, n° 01NT01245 (N° Lexbase : A2664NYC), BJDU, 2004, n° 1, p. 74.
(14) CAA Marseille, 1ère ch., 1er avril 2004, n° 98MA00204 (N° Lexbase : A4267DG7).
(15) CAA Nancy, 1ère ch., 6 mars 2008, n° 07NC00216 (N° Lexbase : A4264D73).
(16) CAA Paris, 4ème ch., 5 mars 1996, n° 93PA00118 (N° Lexbase : A8109BHS).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450175
Réf. : T. confl., 16 novembre 2015, n° 4036 (N° Lexbase : A1460NYQ)
Lecture: 1 min
N0240BWS
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 03 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450240
Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 27 novembre 2015, n° 377645, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0966NYG)
Lecture: 1 min
N0244BWX
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 03 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450244
Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 25 novembre 2015, n° 370610, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0953NYX)
Lecture: 1 min
N0241BWT
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 03 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450241
Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 25 novembre 2015, n° 372659, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0956NY3)
Lecture: 1 min
N0243BWW
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 10 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450243
Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 25 novembre 2015, n° 372045, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0954NYY)
Lecture: 1 min
N0242BWU
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 08 Décembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:450242