Réf. : Cass. civ. 3, 18 septembre 2025, n° 23-24.005, FS-B N° Lexbase : B1740BTM
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par Reagan Intole, Maître de conférences contractuel en droit des affaires à l’université d’Orléans, Centre de recherche juridique Pothier UR 1212
Le 22 Octobre 2025
Mots clés : obligations du bailleur • exception d’inexécution • mise en demeure • suspension du paiement du loyer • obligation de délivrance • obligation de jouissance paisible
Le locataire à bail commercial peut se prévaloir d’une exception d’inexécution pour refuser, à compter du jour où les locaux sont, en raison du manquement du bailleur à ses obligations, impropres à l’usage auquel ils étaient destinés, d’exécuter son obligation de paiement des loyers sans être tenu de délivrer une mise en demeure préalable.
Cet arrêt consacre une interprétation protectrice des droits du locataire commercial en affirmant le caractère non formaliste de l’exception d’inexécution. Le bail commercial est un contrat synallagmatique qui fait peser sur les parties des obligations interdépendantes [1]. Le bailleur est tenu de délivrer la chose louée, l’entretenir en état de servir à l’usage prévu et en assurer la jouissance paisible au preneur [2]. Celui-ci doit, quant à lui, exécuter son obligation essentielle : payer le loyer (v. C. civ., art. 1728, 2° N° Lexbase : L9302I3W). La tension apparaît souvent lorsque le bailleur ne remplit pas son obligation essentielle de délivrance et de jouissance paisible [3]. Ainsi, lorsqu’il est impossible pour le preneur d’exploiter les locaux, il est habituel qu’il demande que le paiement du loyer soit suspendu. L’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 18 septembre 2025, illustre la recherche d’un équilibre contractuel dynamique dans les baux commerciaux. En permettant au preneur de suspendre le paiement du loyer sans formalisme excessif, la Cour garantit l’effectivité des obligations du bailleur et préserve la substance même du contrat : l’échange d’une jouissance paisible contre un loyer. Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence qui favorise l’équilibre contractuel sans exiger de démarche préalable inutile [4].
En l’espèce, une société bailleresse a conclu un bail commercial de 23 mois avec un preneur à compter du 15 novembre 2011. Une clause prévoyait le versement d’une indemnité de pas de porte de 12 000 euros en cas de conclusion d’un nouveau bail commercial. À l’échéance, le preneur est resté dans les lieux sans signer de nouveau bail ni payer l’indemnité. La bailleresse a assigné le preneur en résiliation du bail, expulsion et paiement de l’indemnité et des loyers impayés. Le preneur a invoqué une exception d’inexécution pour refuser de payer les loyers, arguant de l’impropriété des locaux due à des infiltrations d’eau en 2016 et a formé une demande reconventionnelle en dommages-intérêts.
La cour d’appel de Fort-de-France avait rejeté son argument, lui reprochant de ne pas avoir préalablement mis en demeure le bailleur d’exécuter ses travaux. La Cour de cassation casse cet arrêt et affirme, après avoir relevé que la cour d’appel a « ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas » : « le locataire à bail commercial peut se prévaloir d’une exception d’inexécution pour refuser, à compter du jour où les locaux sont, en raison du manquement du bailleur à ses obligations, impropres à l’usage auquel ils étaient destinés, d’exécuter son obligation de paiement des loyers sans être tenu de délivrer une mise en demeure préalable ».
La décision consacre donc une conception exigeante des obligations du bailleur (I) pour mieux affirmer le caractère non formaliste de l’exception d’inexécution dont peut se prévaloir le preneur (II).
I. La consécration d’une conception exigeante des obligations à la charge du bailleur
La Cour de cassation rappelle avec force le fondement des obligations du bailleur, énoncées aux articles 1719 et suivants du Code civil. Elle ne se contente pas d’une simple référence. Elle en déduit logiquement les conséquences en cas d’inexécution. Le manquement du bailleur n’est pas ici anodin : il rend les locaux « impropres à l’usage auquel ils étaient destinés », c’est-à-dire l’exploitation commerciale. Cette impropriété constitue une atteinte grave à l’obligation de délivrance et de jouissance paisible, privant le preneur de la contrepartie même de son engagement. En qualifiant ainsi la situation, la Cour de cassation souligne que l’obligation d’entretien n’est pas accessoire mais essentielle au contrat. Ce n’est pas une obligation de moyen, mais une obligation de résultat quant à la destination des lieux. La sanction de ce manquement substantiel ouvre droit à une réaction du locataire, confirmant que la garantie de la jouissance est un pilier du statut des baux commerciaux. C’est ainsi que le bailleur doit, pendant toute la durée du bail, faire les réparations qui peuvent devenir nécessaires à la chose, notamment entretenir la chose louée pour éviter une dégradation de nature à engendrer une perte de clientèle [5]. Il ne peut s’en exonérer, par le biais d’une clause qui le dispenserait d’entretenir la chose louée en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail [6].
Cette sanction du défaut d’entretien des locaux comme manquement substantiel ouvre alors une porte à la reconnaissance d’une cause légitime de suspension du paiement du loyer. C’est le cœur de la solution rendue par la Cour de cassation. Il s’agit donc de la reconnaissance explicite que l’inexécution du bailleur constitue une cause légitime de suspendre l’exécution de l’obligation principale du locataire : le paiement du loyer. La Cour opère une application concrète de la théorie des obligations réciproques issues des contrats synallagmatiques [7]. En effet, le loyer est la contrepartie financière de la jouissance des locaux. Dès lors que cette jouissance est rendue impossible par la faute du bailleur, l’équilibre contractuel est rompu. La Cour valide ainsi le mécanisme de l’exception d’inexécution comme un outil de rétablissement de cet équilibre. Elle consacre une interprétation économique et concrète du contrat : le locataire n’a pas à payer pour un bien dont il ne peut tirer profit. Cette approche est protectrice des intérêts du commerçant, souvent en position de faiblesse économique face à son bailleur, et garantit l’effectivité des obligations de ce dernier. D’où la confirmation de la nature unilatérale et immédiate ou non formaliste de l’exception d’inexécution en droit des baux commerciaux par la Cour de cassation.
II. L’affirmation du caractère non formaliste de l’exception d’inexécution
L’apport le plus marquant de cet arrêt est l’abolition de l’exigence d’une mise en demeure préalable et la preuve de l’impropriété des lieux comme seule condition déterminée. En effet, la Cour casse explicitement la décision d’appel qui avait subordonné l’exercice de l’exception d’inexécution à l’envoi préalable d’une mise en demeure. Elle estime que la cour d’appel a « ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas ». Ce raisonnement est fondamental. Il replace l’exception d’inexécution dans sa nature originelle de mécanisme ou moyen de défense [8], et non d’action en justice. La mise en demeure, formaliste et chronophage, n’est pas requise pour se défendre contre une demande de paiement. La suspension du paiement peut être immédiate et unilatérale, dès que le manquement et l’impropriété des lieux sont constatés. Cette solution simplifie considérablement la position du locataire, qui n’a plus à engager des démarches formalistes pour protéger ses droits. Elle évite aussi qu’il ne doive continuer à payer des loyers pour des locaux inutilisables pendant la durée de la procédure de mise en demeure.
En rejetant le formalisme de la mise en demeure, la Cour de cassation reporte l’enjeu sur la preuve du fait générateur de l’exception : le manquement du bailleur et l’impropriété des locaux qui en résulte. La condition n’est plus procédurale, en l’occurrence avoir mis en demeure, mais matérielle, c’est-à-dire prouver l’inexécution. La Cour précise que l’exception peut être invoquée « à compter du jour » où les locaux sont impropres. La charge de la preuve incombe donc au locataire, qui doit rapporter la preuve de la date de survenance du sinistre et de son impact sur l’exploitation commerciale. Soulignons que cette charge peut être lourde. Elle peut nécessiter les constats d’huissier, expertises, témoignages. Néanmoins, elle est, selon nous, bien plus logique et protectrice que l’exigence d’une mise en demeure inefficace. L’arrêt recentre le débat sur le fond du litige, l’état des lieux et non sur des questions de forme. Cela renforce la sécurité juridique et la loyauté du débat contradictoire sur des éléments concrets et objectifs.
En épilogue, cet arrêt de principe, publié au bulletin, renforce significativement la protection du locataire commercial et sanctionne sévèrement les manquements du bailleur à ses obligations d’entretien. Sa portée est majeure. En clarifiant la doctrine, elle s’impose désormais aux juridictions du fond et consacre un équilibre contractuel dynamique, où la contrepartie du loyer est la jouissance effective des lieux. En pratique, la solution rendue par la Cour de cassation déplace le centre de gravité des futurs litiges. Pour les praticiens, l’enjeu ne sera plus la démonstration d’une mise en demeure infructueuse, mais la preuve, souvent technique et expertale, de l’impropriété des lieux à leur usage commercial, qui devient le pivot des contentieux à venir.
[1] V. C. civ., art. 1106 N° Lexbase : L0819KZD ; C. Grimaldi, Droit des contrats, 2025/4, spéc. n°23, site droitdescontrats.fr.
[2] V. C. civ., art. 1719 N° Lexbase : L8079IDL ; Cass. civ. 3, 10 avril 2025, n° 23-14.974, FS-B N° Lexbase : A13650HZ, JCP éd. E, 2025, comm. 1207, R. Intole.
[3] V. Cass. civ. 3, 10 avril 2025, n° 23-14.974, FS-B, préc. ; Cass. civ. 3, 24 novembre 2021, n° 20-15.814, F-D N° Lexbase : A51467DX ; Cass. civ. 3, 13 septembre 2018, n° 16-22.439, F-D N° Lexbase : A7869X49.
[4] V. Cass. civ. 3, 4 septembre 2025, n° 23-14.257, F-D N° Lexbase : B4009BRW.
[5] Cass. civ. 3, 25 février 2004, n° 02-15.837 N° Lexbase : A3846DB3, RJDA n° 674 ; CA Paris, 18 février 2004, n° 01-3181, RJDA, n° 503.
[6] Cass. civ. 3, 10 avril 2025, n° 23-14.974, FS-B N° Lexbase : A13650HZ, JCP éd. E, 2025, comm. 1207, R. Intole ; Cass. civ. 3, 24 novembre 2021, n° 20-15.814, F-D N° Lexbase : A51467DX.
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Le 21 Octobre 2025
Mots clés : PFAS • polluants éternels • risques sanitaires • environnement • consommateurs
Eau potable, air respiré, aliments, vêtements, cosmétiques, produits manipulés quotidiennement, les per- et polyfluoroalkylées (PFAS) sont des substances chimiques utilisées massivement par les industriels pour concevoir leurs produits du fait, notamment, de leur forte résistance à la chaleur. Ils ont toutefois la particularité de persister pendant des décennies dans l’environnement, leur dégradation finale pouvant, en outre, engendrer de nouveaux problèmes sanitaires. Les pouvoirs publics, longtemps passifs du fait de fréquents chantages à l’emploi en cas de restrictions envisagées à leur usage, sont-ils enfin prêts à réagir ? Lexbase a interrogé à ce sujet Gabrièle Gien, Avocate associée, Phusis Avocats*.
Lexbase : De nombreuses collectivités ont vu leur eau potable inutilisable du fait de la présence de PFAS. La réglementation est-elle insuffisante ?
Gabrièle Gien : La réglementation encadrant la concentration en PFAS dans l’eau du robinet est relativement récente. Ce n’est qu’en 2020 que la Directive (UE) n° 2020/2184 du 16 décembre 2020, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine N° Lexbase : L7955MED, a inclus, parmi les valeurs paramétriques devant faire l’objet d’un contrôle, certaines substances alkylées per- et polyfluorées.
Selon cette Directive, l’eau ne peut pas être considérée comme potable :
Cette Directive précisait par ailleurs que les valeurs paramétriques ne s’appliqueraient « qu’une fois que des lignes directrices techniques pour la surveillance de ce paramètre auront été élaborées ». Or, il a fallu attendre 2024 pour que soient enfin publiées ces lignes directrices au Journal officiel de l’Union européenne [1].
Dans cette communication, la Commission précise, en outre, que les États membres sont tenus de respecter ces paramètres au plus tard le 12 janvier 2026. Autrement dit, entre l’adoption de la Directive (UE) n° 2020/2184 et la date à laquelle les États, dont la France, devront être en conformité, il se sera écoulé un peu plus de cinq ans !
Les valeurs paramétriques ont parallèlement été transposées, en France, dans l’arrêté du 11 janvier 2007, relatif aux limites et références de qualité des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine N° Lexbase : L4772M8A.
Ce n’est donc pas tant une question d’insuffisance de la réglementation qu’une question de délai de réaction dans la mise en œuvre de la réglementation. Concrètement, on se demande comment, d’ici le 12 janvier 2026, la France pourra assurer la conformité de l’entièreté du réseau avec les paramètres fixés par la Directive, alors qu’elle en est encore à découvrir des taux extrêmement élevés de PFAS dans les réseaux d’eau de nombreuses communes en France.
Lexbase : Les juges administratif et judiciaire ont-ils une approche répressive ou libérale en la matière ?
Gabrièle Gien : Il est encore difficile d’estimer quelle approche retiendront les juges sur cette question, dans la mesure où les seuils sont rendus obligatoires seulement à partir du 12 janvier 2026.
Néanmoins, on peut imaginer que du côté du juge administratif, certains usagers de l’eau pourront engager la responsabilité de l’État, dans la mesure où ce dernier ne sera visiblement pas en mesure, à cette date, d’avoir une vision claire et exhaustive de l’étendue de la contamination du réseau en France. Ce faisant, une carence fautive pourrait être caractérisée, du fait des risques pour la santé des consommateurs d’eau du robinet.
Par ailleurs, cette absence d’identification claire et précise du degré de contamination dans le cadre du contrôle sanitaire réalisé par les Agences régionales de santé (ARS) place également les distributeurs d’eau, et en premier lieu les communes, dans une situation particulièrement délicate. En tant que fournisseurs, ces derniers sont tenus d’une obligation de résultat à l’égard des usagers, en échange de la redevance versée annuellement : distribuer de l’eau potable.
Si ce service public n’est pas correctement mis en œuvre par les communes, leurs groupements ou leurs délégataires privés, les usagers pourraient exiger un remboursement des redevances versées devant le juge judiciaire – mais également l’indemnisation du préjudice de jouissance, l’eau ne pouvant plus être consommée. En l’occurrence, il existe une jurisprudence abondante en matière judiciaire, le juge civil considérant que la méconnaissance de son obligation de résultat par le fournisseur d’eau l’expose à devoir indemniser l’usager qui ne peut plus consommer l’eau de son robinet.
À terme, il serait donc envisageable que les distributeurs d’eau, publics comme privés, se retournent contre l’État pour exiger qu’il prenne en charge le coût des travaux nécessaires à la décontamination de l’eau du robinet.
Lexbase : Comment forcer les grands industriels à changer leurs pratiques ?
Gabrièle Gien : Les PFAS retrouvés dans l’eau du robinet peuvent en effet résulter des rejets émis par les activités industrielles. Il existe déjà un arsenal de mesures juridiques qui visent à contraindre certaines industries à changer leurs pratiques.
En particulier, l’arrêté du 20 juin 2023, relatif à l’analyse des substances per- ou polyfluoroalkylées N° Lexbase : L9799MHE, impose aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) soumises à autorisation de réaliser des campagnes trimestrielles d’identification et d’analyses des PFAS dans les rejets aqueux, avec tenue d’une liste des PFAS émis et campagnes menées, en vue d’une surveillance pérenne et d’actions de réduction.
La loi n° 2025-188 du 27 février 2025, visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkyléesN° Lexbase : L7350M8Q, a également créé un nouvel article L. 213-10-2 du Code de l’environnement N° Lexbase : L7345M8K imposant aux exploitants émetteurs une redevance « pour pollution de l’eau d’origine non domestique des industriels non raccordés au réseau public de collecte des eaux usées, pour tout ou partie de ces rejets », reversée aux Agences de l’eau. Parallèlement, la loi du 27 février 2025 prévoit également une interdiction progressive de mise sur le marché de produits contenant des PFAS à partir du 1er janvier 2026 (cosmétiques, fart, certains textiles, chaussures et imperméabilisants) puis une extension à d’autres textiles en 2030 (C. env., art. L. 524-1 N° Lexbase : L7347M8M).
Enfin, il existe une obligation de remise en état à la cessation des ICPE, appréciée au regard des intérêts protégés par l’article L. 511-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L6525L7S, sans exiger une dépollution totale mais avec un niveau suffisant pour prévenir dangers et inconvénients. Dans le cadre de ce régime de responsabilité environnementale, le préfet, qui dispose du pouvoir de police des ICPE, peut imposer la remise en état au détenteur du bien (et non seulement à l’exploitant) en cas de défaillance. L’exécution d’office aux frais de l’exploitant peut également être ordonnée et, en cas d’urgence, l’administration peut décider de prendre elle-même les mesures nécessaires. Des amendes peuvent parallèlement être prononcées, conformément à l’article L. 171-7 du Code de l’environnement N° Lexbase : L9520MIG.
À l’image de la redevance créée à l’article L. 213-10-2 du Code de l’environnement N° Lexbase : L7345M8K, il pourrait être intéressant de créer une taxe, perçue par les distributeurs d’eau, pour pollution du réseau d’eau du robinet. Le produit de cette taxe pourrait ainsi servir à financer la dépollution et l’installation de filtres dans les stations d’eau potable, souvent très coûteux.
Lexbase : Les pouvoirs publics devront-ils de leur côté adopter des textes plus contraignants ?
Gabrièle Gien : Au niveau européen, l’Agence européenne des produits chimiques étudie actuellement la possibilité d’imposer une restriction « REACH » sur l’ensemble du groupe PFAS. Pour rappel, le Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques N° Lexbase : L0078HUG, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) encadre les substances chimiques pour protéger la santé humaine et l’environnement, notamment en limitant ou en interdisant la fabrication, la mise sur le marché ou l’utilisation de ces substances considérées comme dangereuses.
Une telle restriction serait particulièrement efficace, puisqu’elle s’appliquerait directement dans les États membres, mais nécessite un long processus d’évaluation, toujours en cours. Cette proposition se heurte surtout à une opposition massive de la part des groupes de pression industriels des secteurs concernés (chimie, textile, électronique, cosmétiques).
En France, bien que la loi du 27 février 2025 visant à protéger la population des risques liés aux PFAS soit plus ambitieuse que le cadre européen, les ustensiles de cuisine, et notamment les poêles antiadhésives, ainsi que les emballages ont été exclus du champ de l’interdiction. Des arguments tenant à la préservation des emplois et de la compétitivité du groupe Tefal, qui utilise un revêtement antiadhésif à base de PTFE (polytétrafluoroéthylène), avaient été avancés pour exclure les ustensiles de cuisine du périmètre fixé par la loi.
De son côté, le récent décret n° 2025-958 du 8 septembre 2025, relatif aux modalités de mise en œuvre de la trajectoire nationale de réduction progressive des rejets aqueux de substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées des installations industrielles N° Lexbase : L1844NBW, fixe un objectif de diminution de 70 % des rejets d’ici le 27 février 2028 et une fin des rejets d’ici le 27 février 2030. La réalisation de ces objectifs impliquera nécessairement l’arrêt de la fabrication d’autres produits contenant des PFAS que ceux actuellement énumérés à l’article L. 524-1 du Code de l’environnement.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
[1] Communication de la Commission C/2024/4910 du 7 août 2024.
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Réf. : Cass. soc., 10 septembre 2025, n° 23-22.722, FS-B N° Lexbase : B8754BQB
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par Uriel Sansy, Avocat associé fondateur, Factorhy Avocats et Claire Giustiniani, Avocat, Factorhy Avocats
Le 20 Octobre 2025
Mots clés : licenciement disciplinaire • vie personnelle du salarié • liberté de religion • discrimination • nullité du licenciement
Un motif tiré de la vie personnelle ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement du salarié concerné à une obligation découlant de son contrat de travail. Plus encore, si le motif en question s’avère discriminatoire, au cas particulier en raison des convictions religieuses, alors le licenciement notifié doit être requalifié en licenciement nul. Ces différents éléments ont été rappelés par la Cour de cassation dans cet arrêt rendu le 10 septembre 2025.


La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 10 septembre 2025, est revenue sur l’articulation et la distinction entre les faits relevant de la vie personnelle et ceux relevant de l’exercice des fonctions professionnelles.
En l’espèce, il était question d’une salariée employée au sein d’une association spécialisée dans la protection de l’enfance. Cette dernière avait d’ores et déjà été sanctionnée à deux reprises pour avoir remis des bibles à des jeunes et chanté des chants religieux durant son travail.
La salariée a été informée que l’une des mineures du centre avait été hospitalisée. Elle s’est alors spontanément rendue à l’hôpital où la jeune fille avait été admise et, après lui avoir demandé si elle était catholique, lui a remis une bible.
L’association, considérant qu’il s’agissait d’un comportement prosélyte qui violait le règlement intérieur, lui a notifié son licenciement pour faute à ce titre.
La salariée a contesté tant le bien-fondé des sanctions disciplinaires notifiées que son licenciement.
La Cour d’appel de Versailles a retenu que l’employeur était légitime à considérer que le comportement réitéré depuis deux ans de la salariée à l’égard de la population mineure et fragile constituait un abus de la liberté d’expression et de manifestation des convictions religieuses, allant au-delà de l’expression de ses convictions, entravant ainsi l’exécution du contrat de travail et violant les principes fondamentaux inscrits au règlement intérieur.
La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi formé par la salariée contre l’arrêt d’appel, a eu l’occasion de réaffirmer l’impossibilité de sanctionner disciplinairement un salarié pour un motif tiré de sa vie personnelle (I.) et de rappeler que la nature du fait sanctionné a un impact sur la requalification du licenciement (II.).
I. Rappel de la distinction entre un fait relevant de la vie personnelle et un fait relevant de la vie professionnelle
La Cour de cassation rappelle à nouveau dans cet arrêt, qu’en principe, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire (A.), sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (B.).
A. Le principe : impossibilité pour l’employeur de sanctionner disciplinairement un fait relevant de la vie personnelle
Pour mémoire, la Cour de cassation a pour la première fois consacré la notion de vie personnelle dans un arrêt rendu en 1997 [1]. Elle y précisait que « les agissements du salarié dans sa vie personnelle n'étaient pas constitutifs d'une cause de licenciement ».
Une distinction simple s’impose donc entre, d’une part, les faits commis par un salarié à l’occasion de sa vie personnelle et, d’autre part, les faits commis dans l’exercice de ses fonctions professionnelles ou s’y rattachant. Seuls les seconds sont susceptibles de fonder le licenciement disciplinaire du salarié.
C’est ce principe qui est rappelé par la Cour dans l’arrêt rendu le 10 septembre dernier au visa de l’article L. 1121-1 du Code du travail N° Lexbase : L0670H9P.
Pour constater que les faits commis par la salariée relèvent effectivement de sa vie personnelle, la Cour de cassation se fonde sur les éléments suivants :
Ainsi, le fait que la requérante n’avait aucune mission pédagogique auprès des mineurs de l’association et que sa visite à l’hôpital ne relevait pas de ses missions professionnelles sont des éléments permettant d’exclure du champ professionnel les motifs reprochés.
B. Les faits se situant à la frontière entre les deux notions
La distinction dégagée par la jurisprudence repose sur un principe en apparence simple. Une difficulté subsiste néanmoins pour les faits commis à l’occasion de la vie personnelle du salarié mais entretenant un lien avec la situation professionnelle de l’intéressé.
L’arrêt du 10 septembre 2025 dernier, dans la continuité de ce que la jurisprudence avait d’ores et déjà établi, rappelle qu’un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail peut justifier un licenciement disciplinaire [2], bien qu’il soit commis durant la vie personnelle de l’intéressée.
Un manquement à l’obligation de loyauté a par exemple été retenu s’agissant du désormais célèbre arrêt ayant validé le licenciement d’un directeur des ressources humaines ayant dissimulé une relation avec une représentante syndicale alors même qu’il s’était vu déléguer la présidence des différentes institutions représentatives du personnel [3].
En revanche, en l’absence d’un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail, nulle faute ne peut être caractérisée.
Dans l'arrêt commenté, si la constatation que les griefs reprochés se soient produits en dehors du temps et du lieu de travail permettait de les rattacher à la vie personnelle de l’intéressée, l’analyse du poste de celle-ci et de ses missions était nécessaire pour se prononcer sur l’existence ou non d’un manquement contractuel.
La Cour d’appel de Versailles avait de son côté retenu que, même en l’absence de toute mission pédagogique, la salariée était en contact avec les mineurs hébergés par l’association, ce qui lui permettait de leur transmettre et de leur imposer ses convictions religieuses.
La Cour de cassation relève à l’inverse que la salariée était agente de service et non éducatrice. Il semble pouvoir en être déduit que l’absence de toute mission pédagogique de l’intéressée, excluant une position de subordination ou d’influence à l’égard des mineurs de l’association, est un élément déterminant. Cet aspect, qui aurait pu laisser subsister un rattachement professionnel aux faits, y compris en dehors du temps et du lieu de travail, est absent en l’espèce.
De la même manière, la Cour insiste sur le fait que la salariée a pris l’initiative d’elle-même de se rendre à l’hôpital où avait été admise la mineure sans que cela ne relève de l’exercice de ses fonctions professionnelles.
Il en découle qu’à l’inverse, si la salariée avait été chargée par l’association de se déplacer à l’hôpital, pour y apporter des affaires à la jeune fille par exemple, le licenciement aurait dans ce cadre potentiellement été reconnu justifié dès lors que cette action se serait inscrite dans le cadre du temps de travail effectif.
Cette hypothèse est renforcée par le fait que la Cour de cassation n’a pas remis en cause les sanctions disciplinaires des 22 novembre 2016 et 19 juillet 2018 prononcées par l’association à l’encontre de la salariée pour des faits similaires. La remise des bibles aux mineurs et les chants religieux s’étaient en effet produits sur le lieu et durant les horaires de travail.
La décortication des faits et du contexte réalisé par la Cour dans sa décision illustre la manière dont doit être réalisé au cas par cas le rattachement à la vie personnelle ou à la vie professionnelle des faits se situant à la frontière des deux notions.
II. L’impact de la nature du fait relevant de la vie personnelle sur la caractérisation du licenciement sanctionné
Dès lors que le licenciement est remis en cause en raison du motif tiré de la vie personnelle du salarié sur lequel il repose, la sanction prononcée diffère selon que cette sanction constitue une simple atteinte à la vie personnelle du salarié (A.) ou une violation d’une liberté fondamentale (B.).
A. Le licenciement constituant une simple atteinte à la vie personnelle du salarié
L’article L. 1235-3-1 du Code du travail N° Lexbase : L1441LKL distingue le régime de la nullité du licenciement de celui du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le licenciement est entaché de nullité notamment lorsqu’il s’inscrit en violation d’une liberté fondamentale [4].
À ce titre, l’atteinte à la vie personnelle ne constitue pas en soi une violation d’une liberté fondamentale. Par conséquent, il n’est pas sanctionné par la nullité du licenciement prononcé mais par l’absence de cause réelle et sérieuse [5].
À l’inverse, la violation du droit au respect de l’intimité de la vie privée, liberté fondamentale, justifie la nullité du licenciement [6].
L’analyse de la nature des faits sanctionnés est indispensable pour identifier de quelle catégorie relèvent les actes et ainsi pouvoir déterminer la qualification du licenciement qui en découle. Cette détermination doit se faire au cas par cas.
| Faits | Considéré comme relevant de la vie personnelle | Considéré comme relevant de la vie privée | Qualification du licenciement |
| Le fait pour un salarié de ne pas avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel. | X | Sans cause réelle et sérieuse [7]. | |
| Le fait pour un salarié d’avoir été mis en examen et placé en détention provisoire pour sa participation à une association de malfaiteurs et pour détention d'armes. |
X | Sans cause réelle et sérieuse [8]. | |
| Le fait de commettre des infractions au Code de la route durant les temps de travail durant lequel le salarié n’est pas à la disposition de l’employeur, quand bien même il s’agit d’un véhicule mis à sa disposition par l’entreprise dès lors que celui-ci n’a subi aucun dommage. |
X | Sans cause réelle et sérieuse [9]. | |
| Le fait de détenir et de consommer des produits stupéfiants à bord de son véhicule après le service. |
X | Sans cause réelle et sérieuse [10]. | |
| Le fait d’échanger des propos lors d'une conversation privée avec trois personnes au moyen de la messagerie professionnelle installée sur son ordinateur professionnel, dans un cadre strictement privé sans rapport avec l'activité professionnelle. |
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X | Nul [11]. |
| Le fait pour une salariée d’entretenir une liaison avec le Président de la société. |
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X | Nul [12]. |
B. Le licenciement prononcé sur un motif discriminatoire
Dans l’arrêt du 10 septembre dernier, la Cour de cassation requalifie le licenciement prononcé à l’encontre de la salariée en licenciement nul.
La décision est rendue au visa des articles L. 1132-1 N° Lexbase : L0918MCY et L. 1132-4 N° Lexbase : L0920MC3 du Code du travail. Le premier de ces articles vise notamment l’interdiction qu’un salarié soit sanctionné, licencié ou fasse l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte tandis que le second considère nul toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance du premier.
La Cour d’appel avait considéré que l’employeur démontrait, par des éléments étrangers à toute discrimination, que la sanction disciplinaire se justifiait de même que la restriction à l’expression religieuse, du fait du danger de heurt entre deux libertés ou droits fondamentaux ou par la nécessité du bon fonctionnement de l’entreprise, de sorte que le licenciement n’était pas nul.
Dans son raisonnement, la Cour d’appel s’appuie également sur le fait que le règlement intérieur de l’association était doté d’une clause de neutralité opposable à la salariée.
La Cour de cassation n’a quant à elle eu nul besoin de se référer au règlement intérieur de l’association dès lors que la première étape de son analyse l’a amené à considérer que les faits reprochés à la salariée relevaient de sa vie personnelle et ne constituaient pas un manquement de celle-ci à une obligation découlant de son contrat de travail.
Par conséquent, au regard du fait que la salariée a été sanctionnée en raison de son comportement religieux, cette sanction constituait une discrimination en raison des convictions religieuses et le licenciement prononcé ne pouvait être que requalifié en licenciement nul.
La nullité du licenciement pour faute n’a donc au regard de ce raisonnement rien de surprenante.
En revanche, la jurisprudence a parfois admis qu’il puisse être procédé à un licenciement pour un fait relevant de la vie personnelle du salarié si le comportement de celui-ci crée un trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise [13].
La question se pose donc de savoir si l’association n’aurait pas eu plus de chances de succès en invoquant un trouble objectif caractérisé en son sein causé par le comportement de la salariée à l’appui de son licenciement. Il aurait par exemple pu être intéressant de savoir si l’action de la salariée occasionnait des difficultés particulières pour les collègues de travail, notamment et plus particulièrement pour les éducateurs dans leur rôle vis-à-vis de mineurs potentiellement influençables (difficultés pour lesquelles ces derniers se seraient émus et qui auraient dues en tout état de cause être démontrées).
En effet, un tel motif implique de démontrer les réelles répercussions au sein de l’association des griefs reprochés afin de pouvoir, le cas échéant, le caractériser [14]. Les données issues des arrêts rendus dans cette affaire ne permettent pas, en l’état, de pouvoir se prononcer sur ce point.
[1] Cass. soc., 14 mai 1997, n° 94-45.473 N° Lexbase : A1682ACB.
[2] Cass. soc, 10 septembre 2025, n° 23-22.722 N° Lexbase : B8754BQB.
[3] Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-16.218 N° Lexbase : A84155DZ.
[4] C. trav., art. L. 1235-3-1, 1°.
[5] Cass. soc., 25 septembre 2024, n° 22-20.672 N° Lexbase : A297154S.
[6] Cass. soc., 25 septembre 2024, n° 23-11.860 N° Lexbase : A2981548.
[7] Cass. soc., 17 février 2004, n° 01-45.889 N° Lexbase : A3167DBW
[8] Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-42.387 N° Lexbase : A3275D7G.
[9] Cass. soc., 4 octobre 2023, n° 21-25.421 N° Lexbase : A03711KX.
[10] Cass. soc., 25 septembre 2024, n° 22-20.672 N° Lexbase : A297154S.
[11] Cass. soc., 25 septembre 2024, n° 23-11.860 N° Lexbase : A2981548.
[12] Cass. soc., 4 juin 2025, n° 24-14.509 N° Lexbase : B1130AIP.
[13] Cass. soc., 30 novembre 2005, n° 04-13.877 N° Lexbase : A8476DLI ; Cass. soc., 15 janvier 2014, n° 12-22.117 N° Lexbase : A7872KTQ.
[14] CA Dijon, 9 septembre 2004 n° 03-858.
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