Réf. : CEDH, 25 septembre 2025, Req. 24326/24, Fillon et autres c/ France N° Lexbase : B9533CC3
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N3166B3N
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par Sam Bouvier, éditeur juridique
Le 27 Octobre 2025
Le 25 septembre 2025, la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu sa décision dans l’affaire Fillon et autres c/ France, saisie par François Fillon, Pénélope Fillon et Marc Joulaud à la suite de leur condamnation dans l’affaire dite « des emplois fictifs ». La Cour sanctionne le non-respect des règles de recevabilité, rappelant que Strasbourg n’est pas une juridiction d’appel, mais un ultime recours – à condition de bien jouer le jeu en amont.
Selon l’article 34 de la CESDH, toute personne physique qui s’estime victime d’une violation des dispositions de la Convention par un État partie peut saisir la Cour de Strasbourg. Néanmoins, pour que sa requête soit recevable devant la Cour, le requérant doit :
Dans l’affaire « Fillon et autres c/ France », les requérants n’ont pas satisfait à ces exigences. Leur requête a donc été rejetée pour irrecevabilité.
Le premier grief allégué par les requérants est une violation de leur droit à un tribunal indépendant et impartial (CESDH, art. 6, §1), critiquant l’intervention du procureur général dans la procédure. La Cour rappelle que ce dernier, en tant que membre du ministère public, ne constitue pas un « tribunal » au sens de l’article 6 de la Convention. Elle conclut ainsi qu’aucune violation de l’article 6 n’est apparente durant la phase d’enquête, comme le soutenaient les requérants. Par conséquent, elle retient que leur grief est manifestement mal fondé au sens de l’article 35, §3, de la Convention.
Le second grief, porté par François Fillon, soutenait que sa condamnation n’était pas prévisible et méconnaissait, de ce fait, les dispositions de l’article 7 de la Convention. Or, le grief n’ayant pas été soulevé devant la Cour de cassation, et ce, même en substance, la Cour rejette sa requête puisqu’il n’avait pas épuisé les voies de recours internes.
Cette décision rappelle une règle fondamentale : pour obtenir la condamnation d’un État devant la CEDH, il ne suffit pas d’alléguer une violation. Il faut également respecter les conditions de recevabilité et préparer méticuleusement le dossier en amont, devant les juridictions nationales, rappelant ainsi que le principe de subsidiarité est un pilier du système de la Convention.
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Réf. : Cass. civ. 3, 25 septembre 2025, n° 23-18.202, F-D N° Lexbase : B5146BZM
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N3154B39
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par Aude Denizot, Professeur à l’Université du Mans, membre du Themis-Um
Le 27 Octobre 2025
Mots-clés : loyauté • notaire • promesse de vente • mensonge • politesse
L’obligation de loyauté du notaire ne doit pas être confondue avec le simple respect des règles de politesse. En faisant croire à des promettants que le bénéficiaire a renoncé au projet de vente, le notaire pourrait engager sa responsabilité, et ce même si la promesse a expiré.
Bien que non publié, l’arrêt du 25 septembre 2025 rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation retiendra l’attention en ce qu’il invite à de multiples réflexions tenant aussi bien à la rédaction d’une promesse unilatérale de vente, qu’au rôle de la politesse dans le droit et à l’obligation de loyauté du notaire.
La chronologie de cette affaire doit être soigneusement rappelée : une promesse unilatérale de vente d’un terrain à construire fut consentie par des époux le 25 mars 2016, sous condition suspensive d’obtention d’un permis de construire par le bénéficiaire. La validité de la promesse expirait le 31 mars 2017.
Le 27 juillet 2017, le bénéficiaire transmit au notaire une nouvelle demande de permis de construire. Quatre jours plus tard, le 31 juillet, le notaire convoquait les promettants et leur indiquait qu’il ne parvenait pas à joindre le bénéficiaire et que ce dernier n’ayant pas déposé de nouvelle demande de permis, il était manifeste qu’il ne souhaitait plus acheter. Le notaire proposa alors aux vendeurs un autre acquéreur, et une seconde promesse avec ce dernier fut signée le 2 août. Le 14 août, les promettants, ayant découvert la vérité, rédigèrent une attestation dans laquelle ils exposèrent ce qui s’était passé le 31 juillet en relatant les propos mensongers du notaire. Puis le 19 août, les promettants adressèrent une lettre recommandée à ce dernier, dans laquelle ils indiquèrent qu’ils annulaient la seconde promesse puisque le bénéficiaire initial n’avait jamais souhaité abandonner le projet : « Nous vous indiquons notre volonté de reprendre avec lui les rapports que nous connaissions avant cette interruption sans fondement et pour laquelle nous ne souhaiterions pas être inquiétés d’aucune manière ». On ignore ce qu’il s’est passé exactement par la suite. Toujours est-il que le premier bénéficiaire assigna les promettants, le nouvel acquéreur et le notaire, notamment pour obtenir l’indemnisation de son préjudice par ce dernier.
La cour d’appel rejeta cette demande fondée sur le non-respect de l’obligation de loyauté du notaire avec une motivation bien curieuse. Selon les juges, en effet, la Cour de cassation n’avait pas admis que le non-respect d’une règle de politesse puisse être constitutif d’une faute susceptible d’ouvrir droit à des dommages-intérêts. Par ailleurs, l’arrêt indiquait qu’il n’était pas établi que « le notaire aurait œuvré pour obtenir un acheteur mieux-disant afin d’évincer délibérément la bénéficiaire ». L’indemnisation fut refusée, ce qui mena le bénéficiaire à former un pourvoi en cassation.
Au visa de l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel pour manque de base légale. Il est reproché aux juges d’avoir ignoré un élément de preuve pourtant décisif : l'attestation des promettants du 14 août 2017. La cour de renvoi devra donc prendre soin de trancher le litige en y prêtant attention, ce qui n’appelle pas de remarque particulière. Mais au-delà et comme on l’a dit, c’est à une triple réflexion qu’invite cet arrêt. Pour commencer, on dira quelques mots de la promesse et de la manière dont cette affaire met en lumière l’intérêt de certaines clauses (I). Nous évoquerons ensuite la question de la politesse, sur laquelle s’était fondée la cour d’appel et qui appelle peut-être une autre réponse que celle qui fut ébauchée (II). Enfin, c’est l’obligation de loyauté du notaire qui retiendra notre attention (III).
I. La promesse
Cette affaire illustre d’abord l’existence d’un décalage sensible entre les règles de droit d’une part, et l’imaginaire des intéressés d’autre part. On est frappé de voir combien le couple de propriétaires n’avait pas compris le mécanisme de la promesse unilatérale et ses implications. La lettre recommandée au notaire évoquait en effet « une interruption sans fondement » des relations avec le bénéficiaire. Pourtant, la promesse avait expiré le 31 mars 2017. Il y avait donc bien « un fondement » à cette interruption, sauf à considérer, ce que l’arrêt ne précise pas, qu’il y ait eu une clause prorogeant le délai de réalisation de la condition ou le délai de validité de la promesse. Notons cependant que la Cour de cassation a admis la prorogation d’une promesse caduque même sans clause[1]. Il n’est donc pas impossible que des juges puissent considérer qu’une promesse expirée en mars renaisse de ses cendres en juillet. On conseillera toutefois à la pratique d’organiser ex ante cette éventuelle prorogation afin de sécuriser l’opération, surtout s’il s’agit d’une promesse unilatérale qui doit être enregistrée sous peine de nullité. En toute logique, si la promesse initiale a expiré, il faut procéder à un nouvel enregistrement. Il est donc peut-être aventureux de se dispenser de cette formalité sous prétexte d’une prorogation tacite dont les tribunaux exigeront la preuve.
Par ailleurs, la lettre recommandée au notaire indiquait que les promettants annulaient la seconde promesse. Ils signifiaient ainsi leur volonté de se retirer de la vente. Cependant, sauf clause de dédit, il n’est pas possible pour le promettant de se rétracter, et il aurait fallu un juge pour prononcer la nullité de cette seconde promesse, pour dol par exemple. Certes, comme disait Portalis, il faut « une certaine expérience pour faire une sage application des lois », mais l’on peut se demander si le notaire avait correctement rempli son obligation de conseil. Ici encore, la pratique sera bien inspirée d’insérer une clause de dédit en faveur du promettant, car nombreux sont ceux qui, à cause de ce nom de « promesse », estiment pouvoir se rétracter.
II. La politesse
Le second axe de réflexion offert par cet arrêt concerne la notion de faute. La cour d’appel avait considéré que le comportement du notaire relevait d’une simple impolitesse. Elle indiquait alors « qu'il n'a pas été admis par la Cour de cassation que le non-respect d'une règle de politesse soit constitutif d'une faute susceptible d'ouvrir droit à des dommages-intérêts », affirmation qui appelle plusieurs remarques. Pour commencer, il faut redire qu’une cour d’appel n’est nullement tenue par la jurisprudence de la Cour de cassation : libre à elle d’initier un revirement de jurisprudence, même si la Cour de cassation exerce effectivement un contrôle sur la qualification de la faute[2].
Par ailleurs, il est plus que douteux que la Cour de cassation en ait décidé ainsi. Nous n’avons trouvé aucun arrêt en ce sens sur Légifrance. Dans son article intitulé « Courtoise, complaisances et usages non obligatoires devant la jurisprudence », et publié à la Revue trimestrielle de droit civil en 1914, Perreau avance l’exact contraire de ce que soutient la cour d’appel : « la jurisprudence reconnaît des effets juridiques importants et multiples à la courtoisie, à l’obligeance et aux usages non obligatoires par eux-mêmes »[3]. Selon l’auteur, la courtoisie n’est pas dépourvue de conséquences juridiques, même si elle ne donne pas naissance à des droits. Un peu plus loin, il indique « qu’on engage quelques fois (sic) sa responsabilité par le refus d’actes de courtoisie, de complaisance ou d’usage »[4]. S’en suivent des exemples surannés, et notamment une affaire belge dans laquelle une femme se plaignait que son nom ne figure pas dans un faire-part de décès, et qui obtint une indemnisation à ce titre. Il serait évidemment bien étonnant qu’on retienne aujourd’hui pareille solution. Mais ce qui nous intéresse est de voir que doctrine et jurisprudence sont en accord pour reconnaître que le non-respect d’une règle de politesse puisse constituer une faute ouvrant droit à des dommages-intérêts. On pourrait ainsi imaginer qu’un notaire doive indemniser un client parce qu’il l’a ridiculisé ou ouvertement méprisé devant l’autre partie lors de la signature d’un acte. Le préjudice moral qui résulte d’une telle situation ne fait guère de doute, à notre sens.
III. Le mensonge
Toujours est-il que nous n’étions visiblement pas dans ce cas de figure avec l’arrêt du 25 septembre 2025. Et c’est peut-être le point le plus surprenant de l’arrêt d’appel. On voit mal en effet en quoi le notaire avait manqué à une quelconque norme de savoir-vivre. Avait-il été grossier ? Portait-il un vêtement inapproprié ? Avait-il manqué de discrétion ? Oublié de présenter des excuses ou omis de saluer ? Il n’en est pas question. Les juges d’appel n’ont visiblement pas compris ce qu’était la politesse[5].
Il ne faut pas confondre politesse et loyauté. La politesse renvoie à un ensemble de conventions sociales qui portent sur la présentation de soi et les relations avec autrui, notamment à l’occasion de petites et grandes cérémonies, d’échanges épistolaires, de visites et d’invitations ou encore d’actes rituels. Elle est avant tout un support de communication[6], c’est-à-dire une forme de langage qui ne préjuge en rien de l’honnêteté : on peut être poli et déloyal, tout comme on peut être grossier, mais fidèle. Il est d’ailleurs parfois reproché à la politesse d’inciter à l’hypocrisie, et les manuels de savoir-vivre admettent sans détour qu’il faut parfois mentir pour rester courtois.
Dans l’affaire du 25 septembre 2025, le notaire avait commis un double mensonge, en indiquant aux promettants qu’il ne parvenait plus à joindre le bénéficiaire initial et que ce dernier n’avait pas renouvelé la demande de permis. Il n’y avait rien d’impoli dans ce mensonge. De même, la promesse étant expirée, le notaire ne manquait pas à ses obligations légales : il était en théorie possible de conclure une nouvelle promesse avec un autre bénéficiaire. En revanche, le mensonge constituait bien une violation du devoir de loyauté, et donc une faute. On trouve là un trait caractéristique de l’obligation de loyauté, qui « interdit l’invocation ou l’utilisation d’un droit ou d’une prérogative »[7]. Le notaire avait le droit de proposer un autre acquéreur et d’inciter à la conclusion d’une seconde promesse puisque la première avait expiré. Mais ce faisant, il violait son obligation de loyauté. Cette dernière interdisait donc l’invocation du droit du notaire d’instrumenter une seconde promesse.
Il est difficile de définir ce qu’est la loyauté. Le notaire loyal est celui qui est fidèle à ses engagements : en ce sens, s’il instrumente une promesse, il doit faire en sorte que cette dernière se concrétise. Cette fidélité, qui est aussi une forme de cohérence, suppose, à notre avis, qu’il assure la réussite du contrat si telle est la volonté des parties, et même si, comme dans l’espèce, la promesse a expiré. L’obligation de loyauté dépasse donc les frontières temporelles du contrat, elle ne s’arrête pas avec lui, tout comme elle s’étend au-delà de la sphère des parties : c’est avec tout le monde qu’il faut être loyal, et y compris avec ses adversaires[8].
On comprend mieux ce qu’est la loyauté en cernant son contraire : la duplicité[9]. C’est bien cette attitude double qui caractérisait ici le comportement du notaire, puisqu’il avait agi avec les promettants comme s’il n’avait pas reçu quelques jours plus tôt une nouvelle demande de permis de construire de la part du bénéficiaire. Ce faisant, il jouait un double jeu, afin de favoriser la conclusion de la seconde promesse. Le notaire ne peut donc pas tricher, ni communiquer de fausses informations[10]), encore moins lorsque cette dissimulation a pour but d’inciter une partie à conclure un contrat, auquel cas il y a manœuvres dolosives.
Le code de déontologie notariale prévoit que le notaire accomplit sa mission avec loyauté, neutralité, impartialité, probité et délicatesse[11]. Rien de tout cela n’a été respecté dans cette affaire, de sorte que la faute semble caractérisée. La cassation pour manque de base légale laisse à penser que l’attestation des promettants établissant le mensonge du notaire pourra en fournir la preuve. Dans ces conditions, il est probable que la cour de renvoi accordera des dommages-intérêts au bénéficiaire initial.
[1] A. Denizot, Promesse de vente, in Rép. civ. Dalloz, janvier 2023, §326.
[3] E.-H. Perreau, Courtoise, complaisances et usages non obligatoires devant la jurisprudence, RTD civ. 1914, p. 488.
[4] Ibid., p. 503.
[5] V. sur cette notion, D. Picard, Politesse, savoir-vivre et relations sociales, Puf, 1998.
[6] Ibid., p. 122.
[7] L. Aynès, L’obligation de loyauté, Arch. Phil. Droit 2000, p. 195.
[8] V. en ce sens, L. Aynès, précité.
[9] L. Aynès, précité.
[10] Cass. civ. 1, 5 février 2020, n°18-24.580, F-D N° Lexbase : A93013DT ; J.-C. Groslière, Responsabilité, à l'égard des tiers, du notaire qui fournit de fausses informations, RDI 1999, p. 424.
[11] Décret n° 2023-1297, du 28 décembre 2023, relatif au code de déontologie des notaires, art. 3 N° Lexbase : Z18770WB.
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Réf. : Cass. civ. 3, 11 septembre 2025, n° 23-14.398, FS-B N° Lexbase : B3405BRK
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par Clémence du Rostu et Julie Cazou, Seban Avocats
Le 22 Octobre 2025
Mots clés : périmètre de protection rapprochée ou éloignée • restrictions à l'utilisation d'une parcelle • préjudice • indemnisation • prescription quadriennale
Dans un arrêt rendu le 11 septembre 2025, la Cour de cassation a précisé comment déterminer le point de départ du délai de prescription quadriennale de l’action indemnitaire des propriétaires et occupants de parcelles, rendues inconstructibles, incluses dans un périmètre de protection rapprochée des captages d’eau potable. Ce délai doit être fixé en prenant en compte non la date de l’instauration du périmètre, qui n’emporte pas automatiquement l'inconstructibilité des parcelles, mais celle à laquelle les propriétaires et occupants ont eu connaissance des restrictions d’usage résultant de ce périmètre de protection.


I. Rappel des faits et de la procédure
Le 8 novembre 1999 a été adopté un arrêté préfectoral portant déclaration d’utilité publique (DUP) de l’instauration de périmètres de protection du point de captage de la ressource en eau potable.
Les consorts VL étaient propriétaires de plusieurs parcelles qui ont été incluses, sur le fondement de cet arrêté, au sein du périmètre de protection rapprochée du captage.
Ils n’ont toutefois pas été immédiatement informés de l’adoption de cet arrêté qui ne leur a pas été notifié. Ce n’est qu’en 2001 qu’a été publiée, au sein de journaux locaux, la modification du plan d’occupation des sols ayant intégré les servitudes liées à l’instauration des périmètres de protection de captage sans instaurer a priori expressément d’inconstructibilité. Un certificat d’urbanisme a ensuite été délivré le 14 janvier 2008 aux consorts VL et faisait état de l’existence d’une servitude liée à la protection des eaux. Par ailleurs, le maire a informé les propriétaires du caractère inconstructible de leurs parcelles par une lettre de préemption du 3 mai 2016 adressée par le maire. Et les consorts VL indiquent qu’en 2017 les parcelles ont été classées en zone naturelle par le plan local d’urbanisme, ce qui les aurait rendues inconstructibles.
C’est en 2017 que les consorts VL ont adressé à la commune, puis en 2020 à la Communauté d’agglomération, une mise en demeure de leur notifier une offre d’indemnisation liée à l’inconstructibilité de leurs parcelles. Puis ils ont saisi le juge de l’expropriation en 2021 afin que soit fixée l’indemnité due.
Le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande, la considérant prescrite, ce qui a été confirmé par la Cour d’appel de Reims.
Les requérants contestaient le raisonnement de la Cour d’appel sur la détermination du point de départ du délai de prescription de leur action indemnitaire. En effet, la Cour d’appel avait estimé que le point de départ du délai de prescription était la date de publication des journaux mentionnant la modification du plan d’occupation des sols, en 2001. Or les requérants considéraient que le point de départ de ce délai aurait dû être fixé au jour où ils ont eu connaissance de l’inconstructibilité de leurs parcelles, c’est-à-dire lorsqu’ils ont reçu la lettre de préemption du 3 mai 2016.
II. Les modalités de protection des captages d’eau potable et le point de départ du délai de prescription de l’action indemnitaire
L’ensemble du débat devant la Cour de cassation a ainsi porté sur le point de départ du délai de prescription de l’action indemnitaire liée à l’instauration de servitudes pour la protection des captages d’eau potable : doit-on retenir la date à laquelle les propriétaires ont été informés de l’existence de ces servitudes ou de celle de l’inconstructibilité de leurs parcelles ?
1°) Il est important de revenir au préalable sur le régime de protection des points de captage d’eau potable.
L’article L. 1321-2 du Code de la santé publique N° Lexbase : L2339MGQ (ancien article L. 20 du même Code) prévoit que l'acte portant déclaration d'utilité publique des travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines détermine trois périmètres de protection autour du point de prélèvement, ces périmètres valant alors servitude d’utilité publique :
L’arrêté de DUP peut ainsi définir un périmètre de protection rapprochée et y interdire ou y règlementer les différentes installations, activités et occupation des sols qui pourraient affecter la qualité des eaux.
Il est toutefois à noter que, sur le fondement de ces dispositions, le préfet qui adopte la déclaration d’utilité publique ne peut pas interdire toute construction de manière générale et absolue. En effet, l’article R. 1321-13 du Code de la santé publique N° Lexbase : L3377MG8 précise que seuls les travaux, installations, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols qui sont susceptibles d'entraîner une pollution de nature à rendre l'eau impropre à la consommation humaine peuvent être interdits [1]. Les autres peuvent seulement être règlementés et s’ils sont de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux.
Ainsi, et ce point a eu une importance fondamentale dans la décision de la Cour de cassation, la circonstance qu’une parcelle soit située dans le périmètre de protection rapprochée d’un captage d’eau potable n’implique pas nécessairement qu’elle soit inconstructible. Il ne revient en tout état de cause pas au Préfet de se prononcer sur cette inconstructibilité générale et absolue.
2°) Les propriétaires ou occupants des parcelles incluses dans un périmètre de protection d’un point de captage peuvent être indemnisés des mesures prises pour la protection de la ressource dans les conditions applicables en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique (article L. 1321-3 du Code de la santé publique, ancien article L. 20-1 du même Code).
C’est dans ce contexte et au regard de l’inconstructibilité de leur parcelle découlant de son inclusion dans un périmètre de protection rapprochée et des prescriptions définies que les consorts VL ont cherché à être indemnisés.
La question demeurait néanmoins de savoir si leur action était ou non prescrite, et donc de déterminer le point de départ de ce délai.
En effet, l’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics N° Lexbase : L6499BH8, prévoit que les créances de ces personnes publiques s’éteignent à l’expiration d’un délai de quatre ans à compter du 1er janvier de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits du créancier ont été acquis. Il s’agit de la prescription quadriennale. Le point de départ du délai de prescription est précisé par l’article 3 de la même loi, qui indique notamment que la prescription ne court pas contre le créancier qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance.
La Cour de cassation juge ainsi que le point de départ de la prescription quadriennale est le premier jour de l’année au cours de laquelle s’est produit le fait générateur du dommage allégué [2], mais également que la prescription ne peut courir tant que la victime n'a pas eu connaissance du dommage fondant sa créance en réparation [3].
Deux questions se posaient donc en l’espèce : quel était le fait générateur du dommage (l’instauration du périmètre de protection rapprochée ou l’inconstructibilité de la parcelle) et quand les consorts VL en avaient-ils eu connaissance ?
La Cour d’appel de Reims avait considéré que le fait générateur du dommage était l’instauration du périmètre de protection rapproché et non l’inconstructibilité de la parcelle, l’article L. 1321-3 du Code de la santé publique indiquant que les indemnités sont fixées, selon la Cour, à raison de cette instauration du périmètre. Elle avait ensuite indiqué que le point du départ du délai de prescription était, faute de notification de l’arrêté de DUP, le 7 novembre 2001, date de publication de la décision d’approbation du plan d’occupation des sols dans un journal local qui reprenait les servitudes instaurées par l’arrêté, et qu’en tout état de cause le certificat d’urbanisme du 14 janvier 2008, faisant état des mêmes servitudes, aurait également fait courir le délai de prescription.
Ainsi, selon la Cour, l’action était prescrite en 2021 lorsque les consorts VL ont saisi le juge de l’expropriation. L’avocat général avait d’ailleurs également retenu cette analyse et invité la Cour de cassation à rejeter le pourvoi.
La Cour de cassation censure néanmoins ce raisonnement. Elle relève en effet que l’instauration du périmètre de protection rapprochée et des servitudes qui s’y rattachent n’entraîne pas nécessairement l’inconstructibilité des parcelles incluses en son sein, et donc que le fait générateur du dommage en l’espèce était la restriction d’usage résultant de l’instauration du périmètre de protection, à savoir l’inconstructibilité. Il doit en effet être précisé que les requérants avançaient ici que l’arrêté de DUP ne comportait pas de prescription spéciale liée à l’inconstructibilité de leur parcelle et que cette inconstructibilité résultait de son insertion dans le plan local d’urbanisme lors de la révision de 2017. L’arrêt de la Cour d’appel est donc annulé et renvoyé, le juge devant encore déterminer à quelle date les consorts VL devront être réputés avoir eu connaissance de l’inconstructibilité de leur parcelle.
En somme, cette décision permet de préciser que le délai de prescription quadriennale de l’action indemnitaire des propriétaires et occupants de parcelles incluses dans un périmètre de protection ne commence à courir que lorsque ceux-ci ont eu connaissance des restrictions d’usage leur étant applicable. La détermination du point de départ du délai de prescription de l’action indemnitaire demeurera donc toujours casuistique et soumise à l’appréciation du juge.
[1] Critère repris par la décision CE, 10 octobre 2003, n° 235723 N° Lexbase : A8429C93.
[2] Ass. plén., 6 juillet 2001, n° 98-17.006 N° Lexbase : A1332AUU.
[3] Cf. notamment Cass. civ. 3, 20 mars 2025, n° 23-18.472, FS-B N° Lexbase : A5311689.
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Réf. : Loi n° 2025-989 du 24 octobre 2025, portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social N° Lexbase : L5452NBK
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par Charlotte Moronval
Le 27 Octobre 2025
Publiée au Journal officiel du 25 octobre 2025, la loi n° 2025-989 du 24 octobre 2025, dite loi « Seniors », transpose plusieurs ANI sur l'emploi des seniors, l'évolution du dialogue social et les transitions professionnelles.
Présentation des principales mesures :
Volet seniors :
Volet dialogue social :
Volet transitions et reconversions professionnelles :
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