La lettre juridique n°552 du 19 décembre 2013

La lettre juridique - Édition n°552

Éditorial

Tels des bâtisseurs de cathédrales....

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Une année s'achève, une autre commence... C'est approchant Janus d'un pas ferme et décidé que Lexbase, sans tomber dans la contemplation béate du chemin parcouru, aborde un nouveau commencement... 2014... Et ses nouvelles promesses.

Pourtant, 2013 n'aura effectivement pas trahi les engagements de l'année précédente.

Sur le plan éditorial, Lexbase a eu le plaisir d'annoncer la publication des Ouvrages "Droit pénal général" et "Droit pénal spécial", réalisées sous la direction scientifique de Philippe Bonfils, Professeur à l'Université d'Aix-Marseille, vice-Doyen de l'Université d'Aix-Marseille. La première présente de manière synthétique les grands principes généraux du droit pénal applicables à l'ensemble des infractions. De l'application de la loi pénale aux éléments constitutifs de l'infraction, en passant par la responsabilité pénale et le régime des peines, cette encyclopédie recense environ 1 500 documents et s'articule autour de 14 études. La seconde traite de l'ensemble des infractions du Code pénal contre les particuliers et contre la chose publique. Suivant le plan du Code pénal, cette encyclopédie distingue, dans un premier temps, les crimes et délits et les contraventions. Dans un second temps, elle aborde les atteintes aux biens, aux personnes, et à la Nation. Pour chaque infraction sont étudiées ses conditions préalables, ses éléments constitutifs et ses sanctions. Mise à jour quotidiennement, cette encyclopédie s'articule autour de 45 études et référence près de 4 000 documents.

Dans le même élan, a été publiée, sous la direction scientifique de Thibaut Massart, Professeur de droit, Directeur du Master Fiscalité de l'entreprise, Université Paris Dauphine, et déjà Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit fiscal", l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" qui présente, d'une part, le Modèle de Convention concernant les impôts sur le revenu et sur la fortune de l'OCDE, et, d'autre part, l'ensemble des 136 conventions fiscales aujourd'hui signées par la France. Cette encyclopédie, unique en France, complète utilement l'approche d'une fiscalité de plus en plus internationalisée.

A également été publiée, en 2013, l’Ouvrage "Procédure administrative", réalisée sous la direction scientifique de Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz, et qui décrit pas à pas les étapes successives du contentieux opposant administrés et puissance publique : instance, référé, instruction de la requête, jugement, voies de recours et exécution des décisions. Les modifications règlementaires successives relayées par les constantes innovations jurisprudentielles, ainsi que l'apparition de nouveaux dispositifs, tels que la question prioritaire de constitutionnalité, qui apportent une approche différente de la hiérarchie des textes, rendent nécessaire l'élaboration d'une classification rigoureuse afin de conduire le lecteur à une intelligibilité et une lisibilité instantanée de cette matière. Mise à jour quotidiennement, cette encyclopédie s'articule autour de 39 études et référence près de 3 000 documents, à savoir les dispositions du Code de justice administrative et les décisions les plus importantes rendues en la matière par les cours administratives d'appel et le Conseil d'Etat.

C'est sous la direction scientifique de Gaël Piette, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur-adjoint de l'IRDAP, que Lexbase a souhaité publier une Encyclopédie sur les "Contrats spéciaux", qui présente le régime juridique complet de l'ensemble des contrats réglementés par le Code civil (la vente, les contrats de distribution, l'échange, le bail général, le contrat d'entreprise, la promotion immobilière, le dépôt, le séquestre, les jeux, les paris et les contrats de rente viagère, le mandat, les contrats de prêt et les contrats sur les litiges). Cette encyclopédie recense environ 4 000 documents et s'articule autour de 46 études. Elle fait état de nombreuses jurisprudences pertinentes intéressant les grandes problématiques contentieuses de la matière (les conditions suspensives, la détermination du prix, les clauses abusives, les vices cachés, les obligations d'information, de conseil, de sécurité, le mandat immobilier, etc.). Enfin, l'ensemble des régimes spéciaux relevant du droit de la consommation est également abordé.

Enfin, sous la direction scientifique de Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu- Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux, Lexbase a renforcé son pôle encyclopédique consacré au droit de la famille et publie, après deux encyclopédies en droit des régimes matrimoniaux et en droit du divorce, trois nouvelles bases de données : Mariage-Couple-Pacs, La filiation et L'autorité parentale. Ces cinq encyclopédies présentent le régime juridique complet de l'ensemble de ces matières traitées principalement au sein du Code civil. Sont abordés le régime primaire, le choix du régime matrimonial, le régime de la communauté légale et les régimes conventionnels ; les cas de divorce, la procédure de divorce et les effets du divorce ; le mariage, le pacte civil de solidarité (PACS) et le concubinage ; la filiation naturelle et la filiation adoptive ; l'autorité parentale au regard de l'enfant et l'autorité parentale relativement aux biens de l'enfant. Ces cinq encyclopédies recensent environ 5 700 documents et s'articulent autour de 30 études. Elles font état de nombreuses décisions des juridictions du fond pertinentes intéressant les grandes problématiques contentieuses de la matière.

2014 ne devrait pas non plus être en reste ; pour compléter notre offre documentaire et vous permettre d'accroître la pertinence de nos solutions éditoriales dans le cadre de vos recherches, droit des étrangers, baux d'habitation, droit de la consommation... seront les matières prochainement abordées au sein de nos encyclopédies.

Mais, l'édition juridique du XXIème siècle doit savoir manier autant la forme que le fond. Et, une recherche documentaire, à travers plus 5 millions de références, serait vaine, si nous ne développions pas, en parallèle de nos sources et de notre doctrine, des fonctionnalités toujours plus innovantes pour faciliter votre consultation, pour vous aider à trouver l'information pertinente.

Lexbase a, d'abord, eu le plaisir d'annoncer la sortie de son nouveau site de présentation. Conçu pour vous permettre de mieux connaître notre entreprise, son objectif est de faire découvrir l'offre de services des éditions juridiques Lexbase aux professionnels du droit ou à tout internaute souhaitant être au fait de l'actualité juridique. Avec sa navigation plus intuitive, ce site contient les principales informations relatives à Lexbase vous présentant ses auteurs, ses compétences ainsi qu'une sélection d'actualité juridique en accès libre.

En 2013, Lexbase a, surtout, proposé une nouvelle fonctionnalité pratique pour les utilisateurs du site lexbase.fr : les alertes. Ces dernières fonctionnent sur des recherches par combinaison de mots-clés, sur des documents précis tels que des textes de loi et des articles de code, mais également sur les points d'arborescence des encyclopédies. Le résultat de chaque alerte est, par la suite, indiqué sur le site lexbase.fr sous le profil utilisateur, mais aussi adressé par courriel. Cette fonctionnalité permet donc d'obtenir les informations et les mises à jour les plus récentes du fonds Lexbase, dès leurs mises en ligne. Ainsi, Lexbase offre à ses utilisateurs un outil indispensable pour leur veille juridique.

Lexbase a développé un nouvel outil de refacturation pour ses clients avocats. Cette nouvelle fonctionnalité leur permet de quantifier le nombre et la nature des documents consultés pour chaque dossier et de pouvoir par la suite refacturer en toute transparence leurs clients. L'utilisation de cet outil s'organise en deux temps. Tout d'abord l'avocat effectue ses recherches sur lexbase.fr en indiquant au préalable le dossier auquel elles sont affectées. Puis, dès qu'il le souhaite, l'avocat se connecte sur www.stats.lexbase.fr, s'identifie, et prend connaissance des informations relatives à chaque dossier. Cette fonctionnalité est un atout au quotidien pour les avocats qui pourront aisément quantifier leurs recherches documentaires et ainsi, facturer leurs clients en toute simplicité.

Lexbase a, également, publié une version adaptée de son site de documentation en ligne sur support mobile. La version "tablette" permet de retrouver directement l'actualité juridique quotidienne et d'effectuer les recherches sur tout ou partie des contenus de la base de données. Cette version permet également aux clients Lexbase disposant d'un code d'accès personnel de retrouver leurs accès directs. La version "smartphone" est, quant à elle, plus épurée. Cette adaptation est tournée vers la recherche rapide d'une documentation ou d'une source juridique. Les deux versions mobiles permettent d'exploiter toute l'interactivité afférente à l'utilisation de ces nouveaux supports de consultation : l'envoi par courriel, le partage sur les réseaux sociaux, etc..

Enfin, Lexbase a publié une base exhaustive regroupant l'ensemble de la législation et de la réglementation française. Vous pouvez, désormais, consulter la version à jour de tous les textes publiés au Journal officiel, mais également toutes leurs versions consolidées depuis leur première publication. Ainsi, vous pouvez rechercher la version d'un article d'une loi, d'une ordonnance ou d'un décret à la date qu'ils souhaitent ; ils accèderont à la version en vigueur à cette date, mais également à toutes les versions antérieures et postérieures de ce même article. Dès lors, vous pouvez comparer les différentes versions d'un même article et repérer, d'un seul coup d'oeil, les modifications législatives et réglementaires qui sont intervenues entre deux versions.

Et pour 2014 ? Nous direz-vous ?

D'abord, Lexbase proposera une nouvelle migration de ses "channels", permettant aujourd'hui à 47 000 avocats, notamment, d'accéder au fond documentaire juridique le plus dynamique du paysage éditorial français. Dans chaque barreau, les avocats pourront bénéficier de nouvelles fonctionnalités et d'une nouvelle ergonomie, simplifiant, améliorant, facilitant leurs recherches. Cette nouvelle plateforme offrira de nouvelles fonctionnalités comme la recherche transversale ou multi-fonds ; l'accès direct à l'information quotidienne ; de nombreux accès directs pour effectuer vos recherches plus rapidement encore ; la possibilité d'envoyer un document par courriel ou de l'imprimer directement...

Ensuite, Lexbase améliora son référencement doctrinal pour que vous puissiez appréhender plus facilement, plus directement, toute la richesse de l'analyse de nos auteurs, à travers nos études encyclopédiques.

Enfin, Lexbase publiera de nouvelles fonctionnalités pour mieux appréhender la "chaîne" des décisions jurisprudentielles ; pour faciliter la recherche et le travail collaboratifs...

Les éditions juridiques Lexbase vous souhaitent d'agréables fêtes de fin d'année et vous retrouvent le jeudi 9 janvier 2014 pour de nouvelles publications.

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Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Décembre 2013

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par Véronique Nicolas, Professeur, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences et avocat au barreau de Paris

Le 19 Décembre 2013

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'Institut de recherche en droit privé (IRDP), en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences des Facultés de Droit - Université de Nantes (IRPR), Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan. Ce sont deux arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 27 novembre 2013, qui ont retenu l'attention des auteurs : dans le premier, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la question d'un agent d'assurance faisant souscrire un contrat d'assurance vie à sa concubine (Cass. civ. 1, 27 novembre 2013, n° 12-16.973, FS-P+B) ; dans le second, elle délivre un certain nombre d'enseignements sur l'attitude attendue d'un agent général d'assurance à l'égard de sa compagnie (Cass. civ. 1, 27 novembre 2013, n° 12-24.651, FS-P+B+I).
  • Un agent d'assurance peut faire souscrire un contrat d'assurance vie à sa concubine (Cass. civ. 1, 27 novembre 2013, n° 12-16.973, FS-P+B N° Lexbase : A4612KQU)

Il fallait s'y attendre un jour... à l'hypothèse où c'est un agent d'assurance lui-même qui ferait signer un contrat d'assurance vie à l'un de ses proches et susciterait la suspicion du reste de la famille. Le feuilleton de cette matière n'est donc pas tari : toutes les circonstances donnant lieu à hésitations, discussions n'ont pas encore été soumises à la sagacité de nos Hauts magistrats. L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 27 novembre 2013 l'atteste, au point que les nouveautés, en la matière, sont plus souvent originales sous la plume des juges de cette première chambre civile que de la deuxième pourtant officiellement chargée de son contentieux global. C'est que les assurances vie, chacun le sait, affectent aussi diverses autres matières fondamentales tel le droit des personnes ainsi que nous pouvons le constater ces dernières années.

Dans le cas présent donc, le concubin d'une femme était aussi agent général d'assurance. A ce titre, il lui avait proposé de souscrire un contrat d'assurance vie, ce qu'elle avait accepté. A priori, aucune difficulté particulière ne devait en résulter : il s'agit tout de même de circonstances qui ne sont pas si rarissimes. Ce qui, hélas, a pu jeter le trouble, c'est que cette femme, avait fait l'objet d'une mesure de protection des majeurs jugés incapables, peu de temps après : neuf mois très exactement. Et ce qui se devine déjà n'avait pas manqué de se produire : un de ses proches, son frère en l'espèce, avait considéré qu'il avait été floué du fait de la simple souscription d'un tel contrat d'assurance. A l'évidence, il n'avait pas été mentionné dans la clause bénéficiaire. Il sollicitait le versement d'une somme identique à celle qui avait été déposée sur le contrat d'assurance vie.

Débouté en appel, il avait formé un pourvoi en cassation qui ne lui a pas davantage donné raison. Les deux arguments développés ne manquaient pas d'intérêt, bien qu'il s'agisse d'un arrêt de rejet. Le premier consistait à prétendre qu'un agent d'assurance ne saurait être désigné en qualité de tiers bénéficiaire d'un contrat qu'il propose à une personne, quelle qu'elle soit. L'agent passant outre cette consigne commettrait une faute que le plaignant entendait voir réparer. Malheureusement pour lui, il ne pouvait fonder sa prétention sur un texte propre au droit des assurances, et notamment le régime applicable aux agents d'assurance. Aucune disposition restrictive n'existe, visant à limiter le champ d'intervention de l'agent d'assurance. Et même si l'on peut comprendre le doute qu'une telle situation peut faire naître dans l'esprit d'un individu, elle ne repose sur aucune suspicion légitime instituée par le législateur ou la jurisprudence.

Le frère de l'assurée avait donc tenté d'agir sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), en vain. Or, la cour d'appel n'estime pas que cet agent avait commis une faute quelconque. L'aurait-elle considéré que la somme accordée au frère n'aurait sans doute pas été à hauteur de celle placée sur le contrat d'assurance vie.

La seule voie qui apparaissait envisageable consistait à réussir à prouver que l'agent avait agi avec violence sur une femme qui était déjà en état de faiblesse ou de souffrance morale. Cependant, aucune violence, au sens notamment de l'article 1112 du Code civil (N° Lexbase : L1200AB3) ne semblait avoir été relevée un instant. L'avocat avait préféré prétendre qu'une faute avait été commise par l'agent dans le cadre de ses fonctions dont son employeur, l'assureur, devait répondre. Là encore, la cour d'appel n'avait pas estimé disposer de faits corroborant cette analyse.

La Cour de cassation a tranché dans le même sens, en rejetant les prétentions du frère s'estimant lésé, puisqu'aucun abus de faiblesse n'avait pu être démontré. Nos Hauts magistrats en ont déduit que la souscription dans de telles conditions ne limitaient pas les prérogatives de tout souscripteur ordinaire, c'est-à-dire la possibilité de changer la clause bénéficiaire et donc de modifier la désignation de son concubin, agent d'assurance par l'assurée. Par ailleurs, ils ont rappelé qu'elle disposait alors de son droit d'exercer sa faculté de rachat, y compris en totalité de son contrat d'assurance vie. Par conséquent, la première chambre civile de la Cour de cassation refuse de conclure à l'existence d'une faute de l'agent d'assurance, et donc de la responsabilité de l'entreprise d'assurance.

En l'absence d'éléments plus probants ou de faits plus troublants, il convient d'approuver les décisions adoptées. Retenir une analyse plus souple constituerait un appel à un contentieux nourri, consistant à contester de nombreuses souscriptions de contrats. La sécurité juridique indispensable au bon fonctionnement de ces derniers, qui donnent globalement satisfaction aux assurés, invite à faire preuve d'une véritable prudence. Or, notre société moderne est, hélas, celle de la contestation instituée en mode de défoulement ou exutoire aux tensions difficiles à supporter.

Au-delà des circonstances précises de cet arrêt, une question désormais presque lancinante revient : ne faudrait-il pas instituer une forme de période suspecte en assurance vie ? L'idée -que nous avons déjà émise- consisterait à fixer un délai de quelques mois voire années au cours de la période de vie ayant précédé la mesure de tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice décidée par le juge. En effet, chacun sait qu'en pratique, une personne ne devient pas souvent incapable d'une manière brutale, mais à la suite d'une plus ou moins lente période d'altération progressive de ses facultés notamment mentales et psychiques. De plus, le laps de temps nécessaire à la prise en considération officielle, en justice, de cet état, suppose l'écoulement d'un bon nombre de semaines. Par conséquent, l'idée ne paraît pas incongrue.

Néanmoins, les majeurs deviennent incapables suivant des modalités différentes, selon les circonstances. Il faudrait donc raisonner au cas par cas, en fonction de la maladie ou du handicap dont souffre la personne et de la situation pratique préalable à la décision de justice, ce qui apparaît d'ores et déjà peu aisé à concrétiser. Plus encore, la détermination de cet état dégradé de l'individu ne pourrait être effectuée que par le corps médical le plus spécialisé, ce qui ne manquerait pas d'avoir un coût. Il serait difficile de fixer, de manière satisfaisante, une période suspecte comme elle a été arrêtée par le législateur en droit des entreprises en difficultés.

Tout au plus est-il envisageable qu'une personne ayant acquis la certitude que le majeur protégé aurait dû l'être bien avant la date où il fut reconnu comme tel, puisse entreprendre une telle démonstration à ses frais. Ce sont sans doute ces obstacles qui expliquent la position de notre Haute juridiction de droit privé dans le cas des assurances vie, sans oublier la nécessité de ne pas fantasmer, comme diraient nos médias préférés, dès que le moindre soupçon fondé ou non est émis par tous ceux -et ils peuvent être nombreux- qui refusent d'admettre une réalité toujours source de souffrances où se mêlent intérêts financiers et effets induits de la souscription d'un contrat qui en dit long sur les sentiments d'une personne.

Véronique Nicolas, Doyen de la faculté de droit de Nantes, Professeur agrégé, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances"

  • Du comportement de l'agent général d'assurance : de la faute grave privatrice d'indemnité à l'acte de concurrence déloyale (Cass. civ. 1, 27 novembre 2013, n° 12-24.651, FS-P+B+I N° Lexbase : A2233KQR)

Le présent arrêt est riche d'enseignements sur l'attitude attendue d'un agent général d'assurance à l'égard de sa compagnie.

Le statut des agents généraux d'assurance est défini par le décret n° 96-902 du 15 octobre 1996 (N° Lexbase : L7848H33), lequel ne vaut toutefois que pour les traités de nomination signés à compter du 1er janvier 1997, ceux conclus antérieurement restant régis par les décrets n° 49-317 du 5 mars 1949 (N° Lexbase : L2894AIZ) et n° 50-1608 du 28 décembre 1950.

En l'espèce, il est question d'un agent général des sociétés A. I. et A. V. dont le traité de nomination date du 1er janvier 1991.

Toute l'affaire est née d'une frustration. L'agent général entendait voir ses fils lui succéder à la tête de ses deux agences. La chose est envisagée par le statut des agents généraux, spécialement aux articles 20 et 21 du décret du 5 mars 1949, qui prévoient :

- la possibilité pour l'agent qui cesse de représenter l'assureur, "pour une cause quelconque et même en cas de révocation", de "présenter à la société un successeur" (art. 20) ;
- la possibilité pour la société d'assurance d'agréer ou de refuser d'agréer le successeur souhaité par l'agent. Dans cette dernière hypothèse, l'agent a droit à une indemnité compensatrice (art. 21). La jurisprudence a qualifié ce refus de droit discrétionnaire. Il n'a donc pas à être motivé (Cass. civ. 1, 3 octobre 1967, n° 65-11.719, Bull. civ. I, n° 271, RGAT, 1968, p. 31).

En l'espèce, la société A. refuse d'agréer les fils pressentis comme successeurs et, par suite, le conflit naît, dans une chronologie qui a son importance :

- pour une raison factuelle que l'arrêt ne détaille pas, l'assureur a, le 1er avril 2009, coupé les connexions informatiques des agences. Ce, avant même d'avoir notifié une quelconque révocation à l'agent général ;
- parallèlement, l'agent a saisi le juge des référés et obtenu, le 17 avril 2009, le rétablissement des connexions informatiques ;
- la compagnie lui a notifié sa révocation avec effet immédiat, le 30 avril 2009, sans indemnité compensatrice.

L'agent a assigné l'assureur en dommages-intérêts pour révocation abusive et paiement des indemnités compensatrices de fin de mandat. En défense, l'assureur oppose la déchéance du droit à l'indemnité compensatrice dans la branche I. et sollicite, à titre reconventionnel, la réparation de faits de concurrence déloyale et de dénigrement.

Un élément important du litige concerne l'attitude de l'agent après sa révocation. Comme l'indique l'arrêt :

"après sa révocation, M. X avait mené, au moyen d'affiches, de lettres circulaires adressées aux assurés et de messages publiés sur un blog, une campagne de dénigrement à l'encontre des sociétés A., qui avait conduit une partie de leur clientèle, inexactement informée, à résilier ses contrats pour en souscrire d'autres auprès d'entreprises d'assurances concurrentes, par l'intermédiaire du cabinet de courtage géré par l'épouse de leur ancien agent général".

Cette attitude de l'agent concerné soulevait plusieurs questions que l'arrêt règle tour à tour très nettement.

Première question : y avait-il faute professionnelle d'une gravité suffisante pour justifier une révocation ?

La réponse, positive, ne soulève guère discussion tant il apparaît que la réaction de l'agent a été violente. La Cour de cassation donne ici une leçon qui vaut bien au-delà du cas de l'agent général d'assurance :

"si l'exercice de la liberté d'expression ne constitue pas une faute professionnelle justifiant la révocation d'un agent général d'assurances, c'est sous réserve que cet exercice n'excède pas les limites du droit de critique admissible en regard du devoir de loyauté découlant du mandat d'intérêt commun qui le lie à l'entreprise d'assurances".

Le propos nous semble valoir pour d'autres contrats qui reposent sur un intérêt commun ou une loyauté intrinsèque, tels le contrat de franchise, le contrat d'agent commercial ou le contrat de travail.

Deuxième question : le fait que ce soit l'assureur qui ait commis, en premier, un manquement (par coupure du système informatique) peut-il être considéré comme une circonstance de nature à atténuer ou à gommer la faute de l'agent ?

Dans une logique de responsabilité civile, la faute du créancier peut toujours être retenue. Le fait originel de l'assureur aurait donc pu être mis au crédit de l'agent. Toutefois, ce dernier a eu une réaction hautement disproportionnée. La Cour de cassation note que l'agent général avait les moyens légaux de faire cesser la faute de l'assureur, par saisine du juge des référés (ce qu'il a d'ailleurs fait). Il n'a pas à aller au-delà. Nul n'a le droit de se faire justice à soi-même, surtout par un comportement excessif consistant à dénigrer son mandant auprès de la clientèle !

Troisième question : la faute grave de l'agent peut-elle emporter déchéance de son droit à l'indemnité compensatrice de fin de mandat au titre de l'activité I., outre une condamnation à des dommages-intérêts pour actes de concurrence déloyale et d'actes de dénigrement ?

La déchéance a déjà été reconnue en jurisprudence pour violation de la clause de non-rétablissement prévue dans le traité de nomination et par l'article 26 du statut de 1949. Dans des circonstances voisines de notre arrêt, il a ainsi été jugé qu'un agent d'assurance qui, sous couvert d'une société de courtage dont il détient une part importante du capital, recherchait effectivement des clients parmi la clientèle et sur le territoire de l'agence dont il avait démissionné, est déchu de l'indemnité compensatrice (cf. Cass. civ. 1, 17 mai 1988, n° 87-11.091 N° Lexbase : A7526CUB, RGAT, 1988, p. 570).

En outre, la déchéance du droit à indemnité peut ne pas suffire à réparer le dommage causé à l'assureur. Celui-ci est fondé à obtenir réparation de son préjudice sur l'article 1382 du Code civil. Un arrêt de la Cour de cassation du 18 février 1997 (Cass. civ. 1, 18 février 1997, n° 95-11.231 N° Lexbase : A2615CWR) est très net à cet égard :

"vu les articles 20 et 26 du statut des agents généraux d'assurance homologué par le décret du 5 mars 1949 modifié et 1382 du Code civil ;
Attendu que si, par application des deux premiers de ces textes, l'agent général ne peut prétendre à l'indemnité compensatrice des droits de créance qu'il abandonne sur les commissions afférentes à son ancien portefeuille lorsque, avant l'expiration d'un délai de trois ans à compter du jour où il a cessé d'exercer ses fonctions, il présente directement ou indirectement au public, dans la circonscription de son ancienne agence générale, des opérations d'assurance appartenant aux mêmes catégories que celles du portefeuille de ladite agence, cette sanction n'exclut pas sa condamnation à des dommages-intérêts sur le fondement du troisième de ces textes au cas où, pendant la même période, il commet des actes de concurrence déloyale au préjudice de son successeur ou de la société d'assurance ;
Attendu que, pour réformer la disposition du jugement qui, ayant par ailleurs décidé la déchéance de M. X de son droit à indemnité compensatrice, avait condamné celui-ci à indemniser la société d'assurance du préjudice résultant d'actes de concurrence déloyale, l'arrêt retient que l'activité illicite de M. X, déjà sanctionnée par la perte de l'indemnité compensatrice, ne peut en même temps être punie par l'octroi de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et qu'un même fait ne peut entraîner deux conséquences juridiques cumulatives ;
Qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Dans notre arrêt du 27 novembre 2013, la Cour de cassation conserve cette même logique, qu'elle applique à une autre faute grave que celle de violation de l'obligation de non-rétablissement. Cette faute consiste ici à avoir violemment dénigré l'assureur auprès de tous, spécialement de la clientèle, et d'avoir détourné cette clientèle au profit d'une société de courtage dirigée par sa femme.

La solution doit être approuvée. Il n'y a pas de raison de limiter les cas d'application de ce raisonnement.

On notera que la Cour de cassation invite à la plus grande fermeté puisque l'assureur, qui ne voulait pas se contenter de n'avoir pas à payer d'indemnité et de se voir allouer 50 000 euros au titre des actes de concurrence déloyale, avait formé incident à l'encontre de l'arrêt d'appel qui avait cru ne pas pouvoir réparer les abus de la liberté d'expression commis par voie de presse. Or, la Cour de cassation rappelle que "la liberté d'expression est un droit dont l'exercice revêt un caractère abusif dans les cas spécialement déterminés par la loi" et que tel est le cas en l'espèce du dénigrement de l'activité des sociétés A. opéré par l'agent d'assurance. Il appartiendra donc à la cour de renvoi de sanctionner ce chef de préjudice spécifique.

L'arrêt sonne donne comme un avertissement très sérieux pour les agents généraux d'assurance, et, au-delà, pour tous ceux qui sont dans une relation où la loyauté est un élément essentiel du contrat. Ceux-là sauront que la colère est mauvaise conseillère et qu'il vaut mieux s'en remettre aux voies de droit qu'aux représailles...

L'arrêt est donc réconfortant pour ceux qui croient aux vertus du droit !

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences des Facultés de Droit - Université de Nantes (IRPR), Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan

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Assurances

[Brèves] Inapplication de la clause qui exclut la garantie de l'assureur en cas de "défaut de réparation ou d'entretien indispensable incombant à l'assuré", cette clause n'étant pas formelle et limitée

Réf. : Cass. civ. 2, 12 décembre 2013, n° 12-29.862, FS-P+B (N° Lexbase : A3655KRS)

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N9937BT9

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Le 20 Décembre 2013

La clause qui exclut la garantie de l'assureur en cas de "défaut de réparation ou d'entretien indispensable incombant à l'assuré", n'est pas formelle et limitée, ainsi que l'exige l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH), et ne peut donc recevoir application. Telle est la solution qui se dégage d'un arrêt rendu le 12 décembre 2013 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 12 décembre 2013, n° 12-29.862, FS-P+B N° Lexbase : A3655KRS). En l'espèce, M. X, décédé en octobre 2000, aux droits duquel se trouvait son ayant droit, était propriétaire d'un château féodal pour lequel il avait souscrit par l'intermédiaire d'un courtier, auprès d'une société d'assurance, une police d'assurance à effet du 11 mars 1977, prévoyant une couverture contre les incendies et les explosions. En 1982, les entreprises d'assurances avaient décidé d'étendre, par voie de pollicitation, la garantie tempête à tous les assurés ayant souscrit une garantie incendie. L'immeuble avait été endommagé, notamment au niveau de la toiture, par les effets d'une tempête survenue le 26 décembre 1999. A la suite du dépôt du rapport du cabinet d'expertise désigné par l'assureur, un différend avait opposé les parties sur le principe d'une limitation de garantie. L'ayant droit de M. X ayant refusé l'indemnisation proposée au vu des dernières constatations d'expertise, avait, en dépit d'un second règlement, assigné l'assureur et le courtier en indemnisation de son entier préjudice. Pour débouter M. X de sa demande de condamnation de l'assureur à lui payer l'indemnité d'assurance, la cour d'appel de Paris avait énoncé que l'intercalaire P 14/83 dont se prévalait l'assureur excluait de la garantie les "dommages résultant d'un défaut de réparations ou d'entretien indispensables incombant à l'assuré et les dommages de mouille et ceux occasionnés par le vent aux bâtiments non entièrement clos et couverts et à leur contenu" ; elle avait retenu que ces exclusions étaient limitées dans leur nombre et leur contenu, qu'elles avaient un libellé clair et précis, qui laissait un objet dans le champ de la garantie et se trouvait conforme aux dispositions de l'article L. 113-1 du Code des assurances (CA Paris, Pôle 2, 5ème ch., 9 octobre 2012, n° 09/17137 N° Lexbase : A0721IUA). La Cour suprême ne l'entend pas ainsi et rappelle que ces dernières dispositions prévoient que "les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police". Elle estime, au contraire, que la clause litigieuse, ne se référant pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées, n'était pas formelle et limitée et ne pouvait ainsi recevoir application en raison de son imprécision.

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Avocats/Champ de compétence

[Le point sur...] L'avocat et l'AMF

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N9881BT7

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par Hubert de Vauplane, Associé et Hugues Bouchetemble, Avocat, Kramer, Levin, Naftalis & Frankel LLP

Le 27 Mars 2014

Longtemps l'avocat est resté éloigné du régulateur financier. Non pas qu'il ait été volontairement mis à l'écart des relations entre les entreprises et l'autorité de tutelle en matière financière (hier le CDGF, le CMF et la COB, aujourd'hui l'AMF), mais simplement car il n'avait pas véritablement sa place dans un rapport qui ne s'était pas encore judiciarisé et restait encore une relation ordinaire entre un professionnel et son organisme de tutelle, ou un émetteur et le régulateur boursier. De fait, c'est le déontologue (aujourd'hui RCSI ou RCCI) pour les entreprises d'investissement ou le responsable juridique pour les sociétés cotées qui était le contact privilégié du régulateur lorsqu'il s'agissait de traiter des affaires internes de l'établissement.
A grands traits, il pourrait même être considéré que le domaine d'intervention de l'avocat n'était circonscrit qu'au livre II du Règlement Général de l'AMF, c'est-à-dire aux opérations de marché (offre au public de titres, OPA, introductions sur le marché). Pour le reste son intervention restait marginale, notamment pour ce qui concerne l'assistance des établissements dans leur organisation interne, qu'il s'agisse des règles de contrôle interne et de la conformité ou des règles de bonne conduite qui constituent ensemble le Livre III du Règlement Général de l'AMF. Le droit financier, comme les autres matières, a depuis redimensionné le rôle de l'avocat, qu'il soit plaidant ou conseiller, sous l'influence de divers facteurs communs à toutes les disciplines juridiques : diversification et complexification des normes de droit, spécialisation de la matière et de ses praticiens, externalisation des tâches. Mais aussi le besoin d'obtenir une protection des avis et conseils par un avocat du fait de la protection de sa correspondance avec ses clients, contrairement à la situation bien connue du juriste d'entreprise. Dès lors que le régulateur boursier s'est fait plus intrusif dans le fonctionnement de l'entreprise, la nécessité de protéger les échanges juridiques s'est faite plus forte. C'est donc, pour beaucoup, par le biais de l'angle procédural que l'avocat s'est invité au sein de l'entreprise dans la relation avec le régulateur boursier.

L'avocat intervient désormais à l'occasion des trois temps qui ponctuent le contentieux boursier : en amont du contrôle ou de l'enquête, pendant la mission des contrôleurs ou enquêteurs et à l'issue de leurs vérifications.

I - Les conditions d'intervention de l'avocat avant le contrôle ou l'enquête

Une mission de contrôle ou d'enquête diligentée par le Secrétaire général de l'AMF est, par nature, inopinée. Ce constat est frappé au coin du bon sens puisque, en ce domaine, l'inattendu est gage d'efficacité du travail des contrôleurs et des enquêteurs. Le Conseil d'Etat, saisi récemment de cette question par un établissement contestant le caractère inopiné du contrôle, ne pouvait que rappeler cette évidence (1).

Toutefois, et les praticiens le savent bien, la mission de l'avocat au cours de la période -plus ou moins longue- qui précède la mission de contrôle ou d'enquête sera de rendre prévisible ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire d'anticiper les constats de l'AMF. Il ne s'agit ni plus, ni moins que de revoir les procédures, modes opératoires et outils dont s'est dotée l'entreprise d'investissement ou la société cotée, tout particulièrement en matière de contrôle interne et de la conformité, afin de s'assurer qu'ils répondent aux exigences de formalisation imposées par le régulateur. Il s'agira également de procéder à une cartographie des risques de l'établissement, en fonction de sa connaissance des points d'attention des contrôleurs et enquêteurs et des exigences de la Commission des sanctions. Ces points seront nombreux et dictés au rythme des décisions rendues par la Commission : conflits d'intérêts (2), moyens humains et techniques (3), valorisation (4), organisation du contrôle interne et de la conformité (5), pour ne retenir que les plus actuels.

Il pourrait sembler que c'est dans cette phase -qui n'est encore pas contentieuse- que l'avocat a le moins sa place. Il en est pourtant autrement, notamment en matière de contrôle disciplinaire, puisqu'un contrôle bien anticipé par l'établissement favorise considérablement l'émission d'une lettre de suite, c'est-à-dire d'un satisfecit du régulateur, qui ne juge pas nécessaire de saisir la Commission des sanctions, sous certaines conditions d'améliorations.

Dans cette phase plus que toute autre, la difficulté repose sur la maîtrise de la temporalité, c'est-à-dire de l'imminence permanente d'une mission de contrôle ou d'enquête. En matière de contrôle, cette maîtrise est plus facile, puisque hormis les grandes maisons de la place contrôlées régulièrement, les entreprises d'investissement qui n'ont pas été contrôlées depuis plus de cinq ans doivent s'y préparer. En matière d'enquête, il en est évidemment autrement, et c'est la préparation d'opérations de marché, soumises aux outils de contrôle du régulateur (SESAM, etc.), qui justifieront l'intervention de l'avocat en amont.

Encore faut-il que le travail de l'avocat avant le contrôle ou l'enquête ne puisse pas se retourner contre son client une fois la mission diligentée par le Secrétaire général.

II - Les conditions d'intervention de l'avocat durant la mission de contrôle ou d'enquête

Les conditions d'intervention de l'avocat ne sont pas les mêmes selon que l'entreprise est soumise à un contrôle ou à une enquête.

Le contrôle offre par nature moins de place à l'avocat. Il s'agit là de l'exercice normal de la tutelle du régulateur sur le régulé pour lequel l'avocat n'intervient généralement pas, ou peu, même si, compte tenu de la procéduralisation de ces contrôles, l'on voit de plus en plus intervenir l'avocat comme conseil dans l'organisation des rapports entre la mission de contrôle et le prestataire de service d'investissement objet du contrôle.

Il n'en est pas de même en matière d'enquête, qui ne vise pas que les établissements régulés (entreprises d'investissement, sociétés de gestion, CIF, etc.), mais plus généralement toute personne physique ou morale, puisque l'enquête porte sur tout fait susceptible de caractériser un abus de marché (opérations d'initiés, manipulations de cours, diffusions de fausses informations) ou, plus généralement, un manquement de nature à porter atteinte à la protection et à l'information des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché. En ce domaine, contrairement au contrôle, l'AMF ne dispose pas de l'autorité naturelle d'un régulateur sur son régulé, ce qui impose que les enquêteurs puissent faire utilisation d'instruments de coercition : saisies, visites domiciliaires, auditions, enregistrements téléphoniques, etc.. Les conditions d'utilisation de ces pouvoirs par l'AMF sont décrites en détail dans la charte de l'enquête du 10 septembre 2012 (6), laquelle, si elle n'a pas de portée normative, dresse toutefois l'inventaire des droits et devoirs des personnes soumises à une enquête. C'est ici que l'avocat a toute sa place, puisqu'il assistera son client lors des diligences accomplies par les enquêteurs.

Le débat s'est cristallisé sur trois types de diligences qui nécessitent une attention particulière.

Il s'agit, en premier lieu, des écoutes téléphoniques, pour lesquelles il aura fallu que la Cour de cassation se réunisse en Assemblée plénière pour considérer que les règles du Code de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles et qu'en conséquence, l'enregistrement d'une conversation téléphonique à l'insu de l'auteur des propos est un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve (7). Cette analyse effectuée pour ce qui concerne les agents de l'Autorité de la concurrence est transposable aux enquêteurs de l'AMF.

Il s'agit, ensuite, de l'accès des enquêteurs aux correspondances échangées avec un avocat durant la phase d'enquête. Alors que ces correspondances sont couvertes par le secret professionnel et ne peuvent être communiquées aux enquêteurs (8), sous peine de vider totalement de son sens le travail de préparation effectuée en amont par l'avocat avec son client (9), la Commission des sanctions (10), puis la cour d'appel de Paris (11) n'en avaient pas jugé de même en considérant que la remise "en bloc" d'une messagerie électronique contenant des courriels échangés avec l'avocat "emporte" levée du secret pour les besoins de l'enquête. Cette solution injustifiable et unanimement contestée par la doctrine (12) a pourtant été confirmée par la Cour de cassation (13). Concrètement, dans l'attente d'un revirement -peu probable, compte tenu d'une solution identique apportée par la première chambre civile de la Cour de cassation (14)-, cela impose aux personnes contrôlées de classer avant l'enquête les courriels adressés par leurs conseils dans un fichier spécial, identifié ou, si tel n'est pas le cas, de demander aux enquêteurs de mettre la messagerie sous scellé le temps de faire le tri, sans aucune garantie que les enquêteurs fassent droit à cette demande (15).

Plus généralement, il s'agit aussi de la protection du secret des affaires lors des saisies des boites courriels et du problème de la protection et de la divulgation à des tiers des secrets d'affaires. Lors de la révision de la charte de l'enquête en 2012, l'AMF a précisé que les enquêteurs devaient remettre à leurs propriétaires les boites courriels saisies à l'issue de l'enquête. C'est une maigre consolation. Certes, il reste possible de négocier avec les enquêteurs des recherches par mot-clef et donc de ne leur remettre qu'une partie des mails. Mais cette négociation reste à la discrétion des enquêteurs.

Il s'agit, enfin, des auditions réalisées durant la phase de l'enquête. Ces auditions sont encadrées par les articles L. 621-10 (N° Lexbase : L5205IX3) et L. 621-11 (N° Lexbase : L5204IXZ) du Code monétaire et financier, afin de s'assurer que la personne auditionnée a pleinement conscience de l'enjeu de ses déclarations pour la suite de l'enquête. La personne auditionnée doit ainsi être convoquée par courrier recommandé huit jours avant l'audition, avec mention du droit de se faire assister par son conseil. Ces règles avaient été totalement ignorées par la Commission des sanctions de l'AMF qui avait estimé que des propos recueillis spontanément par un dirigeant valaient audition. La Cour de cassation a rappelé l'évidence, en indiquant que ces déclarations faites hors du cadre formel d'une audition étaient dénuées de force probante, justifiant du reste -ce qui est important- l'annulation de l'ensemble de la procédure (16).

Ces trois points d'attention ne doivent pas occulter un point trop souvent oublié : l'assistance de l'avocat dans la préparation de la réponse au rapport de contrôle ou d'enquête. On ne le répétera jamais assez, le contentieux financier bascule au moment de la réponse à ce rapport et les entreprises, avec l'aide de leurs conseils, doivent y mettre toute leur force. Or, le délai est court, puisqu'un mois seulement est accordé, ce qui reste trop peu, quand bien même l'AMF accorde un délai supplémentaire. Une fois la réponse au rapport soumise au Collège, il est souvent trop tard pour actionner ses moyens de défense. Il suffit de prendre connaissance des décisions rendues -et publiées- par la Commission des sanctions depuis le début de l'année 2013 : à ce jour, pour chacune de ces décisions, au moins l'une des personnes poursuivies a fait l'objet d'une sanction. Ce qui justifie la présence de l'avocat à ce stade est moins le délai bref accordé à la réponse que le risque de voir cette réponse retenue contre la personne objet de l'enquête. Il s'agit ici de la question classique de la "langue du droit" : chaque mot employé dans la réponse au rapport peut se retourner contre son auteur. Seule la présence d'un spécialiste qui maîtrise la "langue du droit" peut minimiser ce risque. L'on voit trop souvent, en pratique, des personnes qui, croyant bien faire en apportant des réponses au rapport, donnent de l'eau au moulin de l'enquêteur.

C'est d'ailleurs compte tenu de cette importance du rapport que la question du respect du principe du contradictoire a longtemps été et demeure encore un cheval de bataille des avocats : il est dorénavant prévu une procédure de pré-notification avant la rédaction finale du rapport d'enquête, afin que la personne objet d'une enquête puisse prendre connaissance des reproches qui pourrait lui être faits. L'AMF doit ainsi adresser à la personne mise en cause une "lettre circonstanciée relatant les éléments de fait et de droit recueillis par les enquêteurs" (RG AMF, art. 144-2-1). Cette lettre permet à toute personne risquant d'être mise en cause d'exercer un droit de réponse dans un délai de un mois avant que le dossier ne soit transmis au Collège. Il s'agit bien sûr d'une avancée en matière de droits de la défense, dans la mesure où les personnes mises en causes ont la possibilité de contester en amont certains griefs. Mais comme indiqué plus haut, le risque consiste en la possibilité donnée aux enquêteurs de renforcer leur accusation en corrigeant d'éventuelles erreurs avant de transmettre leur rapport au Collège. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les avocats ont assez logiquement demandé la transmission de toutes les pièces fondant l'accusation. Sans succès. L'AMF précise dans la charte que seules les pièces "principales" sont communiquées. Il y a là une différence de taille avec la procédure pénale. Certes, la cour d'appel de Paris a jugé que la non-communication d'une pièce de l'enquête vicie la procédure quand elle a trait à "des éléments de nature à influer sur l'appréciation du bien-fondé des griefs retenus" ou quand "elle porte concrètement atteinte aux droits de la défense" (17). Mais l'AMF se refuse toujours de communiquer l'ensemble des pièces à ce stade la procédure. La récente affaire "LVMH" en est une illustration (18).

L'AMF souligne également que la phase contradictoire durant laquelle les droits de la défense s'exercent pleinement débute lors de la notification de griefs qui suit la décision du collège d'engager une procédure sur la base du rapport d'enquête, et non lors de cette phase de pré-rapport. La Commission des sanctions adopte la même lecture (19).

III - Les conditions d'intervention de l'avocat à l'issue de la mission de contrôle ou d'enquête

Si la réponse au rapport de contrôle ou d'enquête n'a pas été suffisante pour convaincre le Collège de la mise hors de cause de la personne poursuivie, la notification des griefs, et la saisie de la Commission des sanctions qui l'accompagne, marquent le début d'une troisième et dernière phase, désormais "judiciaire" (20), dans laquelle l'avocat retrouve traditionnellement la place qui est la sienne. Il s'agit alors, dans le délai de deux mois (prorogeable par le Rapporteur de la Commission des sanctions), de répondre à la notification de griefs, d'accompagner la personne poursuivie aux auditions réalisées sur demande du Rapporteur (ou à l'initiative de la personne poursuivie), de répondre à son rapport et enfin de représenter son client lors de l'audience de la Commission des sanctions. Le caractère public des débats, la présence, de plus en plus souvent, de journalistes, rapproche ces sessions de la commission des sanctions d'une audience d'un tribunal.

Si, dans un domaine aussi technique que l'est le droit financier, la procédure reste largement écrite, l'importance de l'audience -et de ses impressions sur les membres de la Commission des sanctions- ne doit pas être négligée. Loin de là.

Conclusion

Entre l'accroissement des droits de la défense et l'augmentation des pouvoirs d'enquête, ces derniers semblent toujours avoir une longueur d'avance sur les premiers. Ainsi, les pouvoirs de l'AMF ont encore été renforcés par la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires (N° Lexbase : L9336IX3), notamment en permettant aux contrôleurs et enquêteurs de faire usage d'une identité d'emprunt lorsque les services sont fournis sur internet, ou encore en étendant le champ des visites domiciliaires.

Mais l'important dans cette nouvelle loi est ailleurs, et réside dans l'établissement d'un "manquement autonome d'entrave" imputable aux personnes, qui, dans le cadre d'une enquête, refusent de donner accès à un document, quel qu'en soit le support, de communiquer des informations ou de répondre à une convocation, ou de donner accès à des locaux. L'entrave était auparavant incriminée sous la forme d'un délit, ce qui est fondamental puisque cela ôtait toute compétence au régulateur et lui imposait de saisir le Parquet qui, d'usage, ne poursuivait guère ce délit. L'établissement d'un manquement d'entrave, sanctionnable directement par la Commission des sanctions, bouleverse significativement l'équilibre de la procédure de contrôle et d'enquête en réduisant un peu plus encore le droit de la personne poursuivie de se taire, lequel avait, par ailleurs, été amenuisé par le régulateur (21).

Il reste que renforcer les pouvoirs de l'AMF et limiter quasiment toute possibilité à la personne poursuivie de s'opposer à des mesures de contrôle et d'enquête ne fait que renforcer la présence de l'avocat aux côtés de cette dernière.


(1) CE 6° et 1° s-s-r., 15 mai 2013, n° 356054, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3188KDG), note Th. Samin, Bull. Joly Bourse, septembre 2013, p 409 et suiv..
(2) Pour les plus récentes : AMF, 25 juillet 2013, sanction (N° Lexbase : L8978IXS) ; AMF, 30 avril 2013, sanction (N° Lexbase : L2208IX3) ; AMF, 20 mars 2013, sanction (N° Lexbase : L5084IW9) ; AMF, 10 août 2012, sanction (N° Lexbase : L0086IUQ) ; AMF, 20 décembre 2012, sanction (N° Lexbase : L7760IUX).
(3) AMF, 28 décembre 2012, sanction (N° Lexbase : L9062IU8) ; AMF, 7 avril 2011, sanction (N° Lexbase : L6524IYB) ; AMF, 5 août 2013, sanction (N° Lexbase : L8978IXS).
(4) AMF, 25 juillet 2013, sanction (N° Lexbase : L8978IXS) ; AMF, 3 mai 2012, sanction, préc. ; AMF, 7 avril 2011.
(5) AMF, 7 octobre 2011, sanction (N° Lexbase : L2573IRQ) ; AMF, 30 avril 2013, sanction, préc. ; AMF, 21 septembre 2012, sanction (N° Lexbase : L1448IU8).
(6) AMF, Charte de l'enquête du 10 septembre 2012, laquelle n'est pas à jour de la loi 672 de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013, qui a renforcé les pouvoirs de l'AMF. Une charte spécifique au contrôle a également été édictée :  AMF, Charte du contrôle, 11 décembre 2012 avec une réserve identique pour ce qui concerne la loi du 26 juillet 2013.
(7) Cass. ass. plén., 7 janvier 2011, n° 09-14.316 et 09-14.667, P B+R+I (N° Lexbase : A7431GNK), note M. Malaurie-Vignal, JCPéd. G, n° 3, 17 janvier 2011, 43.
(8) C. mon. fin., art. L. 621-9-3 (N° Lexbase : L2532DKY) et loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 66-5 (N° Lexbase : L6343AGZ).
(9) Voir § 1 ci-dessus.
(10) AMF, 16 septembre 2010, sanction (N° Lexbase : L1448INX).
(11) CA Paris, 9 septembre 2010, n° 2010-00128 (N° Lexbase : A1388E9B) ; CA Paris, 29 septembre 2011, n° 2010-24176 (N° Lexbase : A3641HYI).
(12) D. Martin et M. Françon, Correspondances d'avocat : La cour d'appel en état de récidive, D., 19 janvier 2012, n° 3 ; E. Dezeuze et M. Françon, Enquête AMF et secret des correspondances d'avocat : "c'est quand qu'on va où ?", Rev. Sociétés, juin 2013, p 367.
(13) Cass. com., 29 janvier 2013, n° 11-27.333, FS-P+B (N° Lexbase : A6371I4Q) : il était fait reproche à l'enquêteur de l'AMF de ne pas avoir informé le représentant de la société du droit de se faire assister par un conseil et par voie de conséquence de refuser la communication de ces échanges. La Cour de cassation a validé l'analyse de la cour d'appel selon laquelle en l'absence de texte faisant obligation aux enquêteurs de mentionner (aussi bien lors de la signature du procès-verbal de remise des duplicata de ces messageries que lors de toute demande complémentaire ultérieure) le droit de se faire assister par le conseil de son choix, la cour d'appel avait conclu au caractère volontaire de la remise de ces documents par le représentant agissant en connaissance de cause et sans contrainte.
(14) Cass. civ. 1, 8 mars 2012, n° 10-26.288, F-D (N° Lexbase : A3774IEI), Rev. Sociétés, 2012, p. 379, note E. Dezeuze : la Cour a validé une procédure de sanctions AMF au motif que des courriels couverts par le secret professionnel et consignés dans le rapport d'enquête AMF avaient été écartés des débats par la Commission des sanctions elle-même.
(15) E. Dezeuze et M. Françon, précité.
(16) Cass. com, 24 mai 2011, n° 10-18.267, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8717HSN), note Y. Paclot, JCP éd. E, n° 25, 23 juin 2011.
(17) CA Paris, 5 janvier 2010, n° 2009/06017 (N° Lexbase : A9469ESI).
(18) AMF, 25 juin 2013, sanction (N° Lexbase : L3377IXD).
(19) AMF, 25 juin 2013, sanction, préc..
(20) Il n'est pas inutile de rappeler que les droits de la défense garantis par l'article 6 de la CESDH ne s'appliquent qu'à compter de la notification de griefs. Avant cette date, les enquêtes doivent se doivent se dérouler "dans des conditions garantissant qu'il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés", récemment encore CE, 12 juin 2013, n° 359245 et 359477 (N° Lexbase : A5899KGL).
(21) CE 6° et 1° s-s-r., 12 juin 2013, n° 359245 et n° 359477, inédit au recueil Lebon, préc..

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Avocats/Publicité

[Brèves] L'interdiction du démarchage par les avocats contraire à la Directive relative aux services dans le marché intérieur

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 13 décembre 2013, n° 361593, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3722KRB)

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N9879BT3

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Le 19 Décembre 2013

Doivent être abrogés les mots "dès lors qu'elle est exclusive de toute forme de démarchage" figurant au second alinéa de l'article 15 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA) et le troisième alinéa de cet article et, en tant qu'ils s'appliquent aux avocats, les articles 2 et 3 du décret n° 72-785 du 25 août 1972, relatif au démarchage et à la publicité en matière de consultation et de rédaction d'actes juridiques (N° Lexbase : L6642BHH), les chiffres "2, 3" figurant au premier alinéa de l'article 5 de ce même décret et le second alinéa de ce dernier article. Telle est la solution d'un arrêt du Conseil d'Etat, pourtant inédit au recueil Lebon, rendu le 13 décembre 2013 (CE 1° et 6° s-s-r., 13 décembre 2013, n° 361593, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3722KRB ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E6368ETZ). En clair, la prohibition du démarchage publicitaire serait écartée et les avocats pourraient adresser des offres de service personnalisées à des clients potentiels. Et, les pénalités y afférentes seraient ainsi supprimées. En effet, pour le Haut conseil, les dispositions de l'article 66-4 de la loi du 31 décembre 1971, comme celles du second alinéa de l'article 5 du décret du 25 août 1972 et celles des deuxième et troisième alinéas de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 qui en font application, prohibent pour les avocats, toute activité de démarchage ou offre personnalisée de services juridiques. Et, en vertu des dispositions des articles 2, 3 et 5 du décret du 25 août 1972, il est interdit aux avocats de recourir à la publicité dans les médias en vue de donner des consultations, de rédiger des actes ou de proposer leur assistance en matière juridique. Or, de telles dispositions sont incompatibles avec les articles 4 et 24 de la Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4). En revanche, l'article 4 du décret du 25 août 1972, qui se borne à rappeler que la publicité ne doit contenir aucune indication contraire à la loi, et notamment ne pas comporter de mention méconnaissant la discrétion professionnelle ou portant atteinte à la vie privée, et à prohiber la publicité mensongère ou contenant des renseignements inexacts ou fallacieux, n'est pas contraire aux dispositions de la Directive.

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Baux commerciaux

[Brèves] Sur l'absence d'irrégularité in abstracto de la clause d'indexation à indice de base ou de référence fixe

Réf. : Cass. civ. 3, 11 décembre 2013, n° 12-22.616, FS-P+B (N° Lexbase : A3495KRU)

Lecture: 1 min

N9991BT9

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Le 21 Décembre 2013

Dès lors que l'application d'un indice de référence fixe n'a pas conduit lors des indexations successives à une distorsion entre l'intervalle de variation indiciaire et la durée s'écoulant entre deux révisions, la clause contractuelle d'indexation se référant à un indice de base fixe est valable. Tel est l'un des enseignements d'un arrêt de la Cour de cassation du 11 décembre 2013 (Cass. civ. 3, 11 décembre 2013, n° 12-22.616, FS-P+B N° Lexbase : A3495KRU ; sur cet arrêt lire également, Sur la nullité d'une clause résolutoire qui ne stipule pas un délai d'au moins un mois N° Lexbase : N9992BTA). Aux termes de l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5471ICM), "est réputée non écrite toute clause d'un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision". Le locataire soutenait que la clause d'indexation qui prévoit la prise en compte d'un indice de référence ou de base fixe était contraire à ces dispositions car, dès la deuxième indexation, la période de variation de l'indice prise en compte (deux ans) était supérieure à la période de révision (un an). Toutefois, dès lors que c'est au loyer initial que s'applique le taux de variation de l'indice fixe, la stipulation d'un indice fixe n'entraîne pas nécessairement une distorsion prohibée par le Code monétaire et financier (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E7986AEI).

newsid:439991

Contrat de travail

[Brèves] Non transmission d'une QPC portant sur le détachement des fonctionnaires dans une entreprise de droit privé

Réf. : Cass. QPC, 13 décembre 2013, n° 13-18.148, FS-P+B (N° Lexbase : A3591KRG)

Lecture: 2 min

N9958BTY

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Le 20 Décembre 2013

Les dispositions légales relatives au détachement des fonctionnaires dans une entreprise de droit privé sont conformes à la Constitution. Telle est la solution retenue par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 13 décembre 2013 (Cass. QPC, 13 décembre 2013, n° 13-18.148, FS-P+B N° Lexbase : A3591KRG).
A l'occasion d'un pourvoi formé contre une décision de cour d'appel (CA Rennes, 7ème ch., 27 mars 2013, n° 11/07264 N° Lexbase : A0564KBI), une fonctionnaire territoriale ayant fait l'objet d'un arrêté de détachement, qui n'a pas été renouvelé, a formulé une question préjudicielle de constitutionnalité. Selon l'intéressée, les dispositions de l'article 67 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L7448AGX), prévoyant qu'"à l'expiration d'un détachement de longue durée, le fonctionnaire est, sauf intégration dans le cadre d'emplois ou corps de détachement, réintégré dans son corps ou cadre d'emplois et réaffecté à la première vacance ou création d'emploi dans un emploi correspondant à son grade relevant de sa collectivité ou de son établissement d'origine", méconnaîtraient le principe de la liberté contractuelle.
La Cour de cassation refuse de porter cette QPC à la connaissance des Sages, considérant que la question posée ne présente pas un caractère sérieux. Elle relève tout d'abord que le fonctionnaire est, aux termes de l'article 4 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3), "vis à vis de l'administration dans une situation statutaire et réglementaire". De même, si le détachement est prononcé, en application des dispositions de l'article 64 de la loi du 26 janvier 1984 précitée, à la demande du fonctionnaire territorial, il doit être autorisé par la collectivité dont il relève pour la durée fixée par cette dernière. Enfin, si le fonctionnaire est soumis, en vertu de l'article 66 de la même loi, aux règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet de son détachement, à l'exception de celles expressément exclues par cet article, et se trouve ainsi lié, le cas échéant, par un contrat de travail avec l'organisme au sein duquel il est détaché, il n'est pas dans une situation identique à celle des autres salariés employés par cet organisme et ses droits, en l'absence de renouvellement au terme prévu de son détachement de longue durée, sont déterminés par les dispositions de l'article 67 de la loi du 26 janvier 1984 prévoyant de plein droit sa réintégration dans son corps ou cadre d'emplois et son affectation à la première vacance ou création d'emploi dans un emploi correspondant à son grade .

newsid:439958

Discrimination et harcèlement

[Brèves] Avantages conventionnels accordés uniquement aux salariés contractant un contrat de mariage : existence d'une discrimination fondée sur les orientations sexuelles

Réf. : CJUE, 12 décembre 2013, aff. C-267/12 (N° Lexbase : A2597KRM)

Lecture: 2 min

N9872BTS

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Le 19 Décembre 2013

Institue une discrimination fondée sur les orientations sexuelles, l'accord collectif prévoyant un avantage pour les couples mariés et excluant de cet avantage les partenaires pacsés de même sexe. Telle est la solution retenue par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt du 12 décembre 2013 (CJUE, 12 décembre 2013, aff. C-267/12 N° Lexbase : A2597KRM).
Dans cette affaire, à l'occasion de son pacs avec un partenaire de même sexe, un employé de banque a sollicité les avantages prévus par la convention collective applicable octroyant aux salariés s'unissant dans le cadre d'un contrat de mariage des jours de congés spéciaux et une prime de salaire. Son employeur s'étant opposé à cette demande, estimant que, conformément aux dispositions conventionnelles, ces avantages n'étaient accordés qu'en cas de mariage, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, laquelle a rejeté cette requête au motif que la prime ainsi accordée était liée non pas à l'emploi mais à l'état civil et que le Code civil différenciait le mariage du Pacs. Le jugement du CPH ayant été confirmé par la cour d'appel, le salarié a formé un pourvoi en cassation soutenant que, conformément à l'article 144 du Code civil (N° Lexbase : L8003IWC) (étant précisé qu'à l'époque des faits, le mariage était réservé uniquement aux personnes de sexe opposé), seules les personnes de sexe différent pouvaient se marier, alors que celles de même sexe pouvaient seulement se pacser, conformément à l'article 515-1 du Code civil (N° Lexbase : L8514HWA). En conséquence, il résultait de ces dispositions légales lues conjointement avec les dispositions conventionnelles une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Saisie du pourvoi, la Cour de cassation a sursis à statuer, renvoyant à la CJUE la question préjudicielle suivante : "le choix du législateur national de réserver la conclusion d'un mariage aux personnes de sexe différent peut-il constituer un objectif légitime, approprié et nécessaire justifiant la discrimination indirecte résultant du fait qu'une convention collective, en réservant un avantage en matière de rémunération et de conditions de travail aux salariés contractant un mariage, exclut nécessairement du bénéfice de cet avantage les partenaires de même sexe ayant conclu un pacs ?
La CJUE considère que la différence de traitement prévue par la convention collective applicable constitue une discrimination indirecte. En effet, une différence de traitement fondée sur l'état de mariage des travailleurs et non expressément sur leur orientation sexuelle reste une discrimination indirecte, dès lors que, le mariage étant réservé aux personnes de sexe différent, les travailleurs homosexuels sont dans l'impossibilité de remplir la condition nécessaire pour obtenir l'avantage revendiqué (sur la prohibition des discriminations pour d'autres hypothèses, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E5347EXC).

newsid:439872

Discrimination et harcèlement

[Jurisprudence] L'employeur et les différences catégorielles découlant du statut collectif

Réf. : Cass. soc., 4 décembre 2013, n° 12-19.667, FS-P+B (N° Lexbase : A5541KQB)

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N9890BTH

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 19 Décembre 2013

Même si l'afflux des décisions mettant en cause le principe d'égalité de traitement semble s'être apaisé depuis quelques mois, la Cour de cassation demeure vigilante et censure toujours aussi fermement les cours d'appel qui n'appliquent la méthode imposée depuis le Quai de l'Horloge. Dans une nouvelle décision, rendue le 4 décembre 2013, mettant en cause les différences catégorielles au sein de la Convention collective nationale de travail du 8 février 1957 du personnel des organismes de Sécurité sociale, la Haute juridiction s'inscrit dans la lignée des décisions rendues depuis juin 2011 (I) tout en précisant, de manière utile, les rôles respectifs des parties et du juge dans la recherche des justifications (II).
Résumé

L'employeur ne peut justifier une différence de traitement par le seul fait que les salariés ne se trouvent pas dans une situation identique dès lors qu'ils relèvent de conventions collectives distinctes.

I - La grille d'analyse imposée en matière de justification des différences catégorielles

Le contexte. La Chambre sociale de la Cour de cassation a précisé, dans une série d'arrêts rendus le 8 juin 2011, la méthode que doivent respecter les juges du fond lorsqu'ils sont saisis de demandes de salariés qui réclament le bénéfice d'avantages conventionnels dont ils sont exclus en raison de leur appartenance à une catégorie professionnelle : "si la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement, résultant d'un accord collectif, entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence, repose sur une raison objective et pertinente la stipulation d'un accord collectif qui fonde une différence de traitement sur une différence de catégorie professionnelle, dès lors que cette différence de traitement a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d'une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d'exercice des fonctions, à l'évolution de carrière ou aux modalités de rémunération" (1).

Par la suite, et exception faite des arrêts rendus le 13 mars 2013 qui ont exclu l'application du principe en matière de protection sociale complémentaire, entre régimes de cadres et de non cadres, la Cour de cassation s'est contentée, pour l'essentiel (2), d'un contrôle méthodologique pour imposer aux juridictions du fond le respect de la grille d'analyse définie depuis 2011 soit pour dénier toute valeur aux différences catégorielles (3), soit au contraire pour les entériner (4).

Explicables, dans un premier temps, par la rétroactivité de la décision de 2011 et l'impossibilité pour les juges du fonds d'anticiper sur les exigences méthodologiques de la Cour de cassation, ces cassations sont devenues problématiques depuis quelques mois dans la mesure où les arrêts censurés avaient été rendus après cette date, montrant la difficulté pour les cours d'appel concernées de rentrer dans le moule défini Quai de l'Horloge (5).

C'est cette fois-ci un arrêt rendu postérieurement à 2011 qui se trouve confirmé ici, même si le fondement de la décision est certainement plus à rechercher dans les règles de preuve applicables à la matière, qu'aux critères mobilisés pour justifier, ou non, les différences.

Les faits. Un salarié de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris était en litige avec son employeur sur plusieurs points, notamment sur le bénéfice d'indemnités forfaitaires de repas dont il ne bénéficiait pas, selon les critères prévus par la Convention collective nationale de travail du 8 février 1957 du personnel des organismes de Sécurité sociale, mais dont il réclamait l'attribution au nom du principe d'égalité de traitement.

La cour d'appel de Paris, dans un arrêt rendu le 20 mars 2012, lui avait donné raison sur ce point, après avoir relevé que l'employeur se contentait de faire valoir que "les deux catégories de personnel relèvent de conventions collectives et d'accords collectifs différents" (6).

Pour justifier le fait que seules certaines catégories de salariés bénéficiaient des avantages litigieux, l'employeur faisait valoir que la situation dont se plaignait le salarié résultait du pluralisme des accords applicables dans l'entreprise, ce qui suffisait à justifier la différence de traitement en résultant. Il reprochait également à la cour d'appel d'avoir dit que la différence n'avait pas a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d'une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d'exercice des fonctions, à l'évolution de carrière ou aux modalités de rémunération, alors, selon lui, qu'il lui appartenait de le faire pour justifier la neutralisation d'un champ d'application considéré comme inégalitaire.

Le rejet du moyen. Ces arguments n'ont pas convaincu la Cour de cassation qui rejette le moyen. Après avoir repris la méthode exigée depuis 2011, la Haute juridiction observe, à la suite de la cour d'appel, que "l'employeur se bornait à soutenir que les agents de direction, agents comptables, ingénieurs conseils et médecins salariés des organismes de sécurité sociale d'une part, et les cadres et agents d'exécution de ces mêmes organismes, d'autre part, ne se trouvaient pas dans une situation identique puisqu'ils relevaient de conventions collectives distinctes", ce qui n'établissait pas l'existence d'une "raison objective et pertinente pouvant légitimer la disparité constatée dans le montant des indemnités de repas décidé que l'employeur ne justifiait ainsi d'aucune".

Le sens du rejet. L'arrêt est intéressant car il permet de bien clarifier ce qui relève du rôle des parties et de l'office du juge, dans les contentieux des différences de traitements (7).

Lorsque le salarié établit l'existence de faits qui laissent supposer l'existence d'une différence de traitement, alors l'employeur, dès lors qu'il n'est pas parvenu à convaincre le juge de la non-pertinence des éléments produits par le salarié, est tenu d'une obligation de justification.

Il supporte alors la charge de cette justification, et très logiquement le risque qui s'y trouve normalement associé. Si l'employeur ne parvient pas à convaincre le juge et qu'un doute subsiste, la différence de traitement dénoncée par le salarié sera alors considérée comme illicite et la condition d'attribution de l'avantage neutralisée.

Ce que précise la Cour de cassation dans cette décision est important : dès lors que l'employeur ne fournit pas de justification suffisante, au regard des critères dégagés en 2011, le juge fait droit aux demandes du salarié, sans avoir à justifier dans sa décision en quoi l'avantage ne remplirait pas les critères de licéité définis.

Cette solution est parfaitement logique dans la mesure où l'illicéité se déduit ici de la pertinence des éléments de fait avancés par le salarié et de la faiblesse des justifications avancées par l'employeur (le pluralisme des sources), le juge n'ayant pas à substituer ses arguments à ceux débattus par les parties.

Ce n'est donc pas au juge qu'il appartient de démontrer l'absence de justification des différences de traitement introduites par l'accord entre les différentes catégories de salariés.

L'objet du différend. L'affaire examinée présente un autre intérêt car elle montre le très large champ d'application du principe d'égalité de traitement, tant au regard des catégories professionnelles que des avantages concernés.

On s'est en effet focalisé, depuis le premier arrêt "Pain" rendu en 2009 (8), sur la principale des distinctions catégorielles, celle des cadres et des non cadres. Mais les catégories professionnelles montrent d'autres distinctions, qui peuvent d'ailleurs en partie recouvrir la précédente, ou non. C'est ainsi qu'a été jugée injustifiée la différence de traitement entre salariés selon qu'ils occupaient, ou non, un "emploi à caractère administratif" pour l'attribution d'une prime de fin d'année (9), ainsi que celle réalisée avec les "personnels sédentaires et [les] agents d'ambiance de la société" concernant le bénéfice de tickets restaurant (10).

Dans cette nouvelle affaire, la différence concernait d'ailleurs d'une part, les agents de direction, les agents comptables, ingénieurs-conseils et médecins salariés des organismes de Sécurité sociale et de leurs établissements et, d'autre part, les cadres et agents d'exécution des organismes de Sécurité sociale et de leurs établissements.

Par ailleurs, et c'est d'ailleurs tout l'intérêt de la consécration d'un principe général de traitement, les avantages concernés sont également les plus divers : indemnités conventionnelles de licenciement, ou de préavis (11), tickets-restaurant (12), prime d'ancienneté (13), de fin d'année (14), ou, comme c'était le cas dans cette nouvelle affaire, indemnités de repas (15).

II - Un employeur dans un entre-deux problématique

Une jurisprudence paradoxale. La situation à laquelle conduit l'application du principe d'égalité de traitement est aujourd'hui des plus contrastées, et nous ne sommes pas totalement persuadés de la cohérence globale de l'édifice tant deux tendances contradictoires semblent se dessiner.

La première, parfaitement illustrée par cet arrêt et qui constitue ce qu'il nous semble être la ligne directrice de la Cour de cassation depuis 2005, consiste à rejeter les justifications formelles, purement juridiques, au profit d'une démarche plus concrète, presque empirique ; voilà pourquoi la Cour de cassation affirme, s'agissant des différences de traitement entre cadres et non cadres, que "la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement, résultant d'un accord collectif, entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage" et qu'elle exige que "cette différence [repose] sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence", telles les "spécificités de la situation des salariés relevant d'une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d'exercice des fonctions, à l'évolution de carrière ou aux modalités de rémunération" (16).

Dans ces conditions, l'appartenance statutaire, la date d'embauche ou la détention d'un diplôme ne signifient rien en eux-mêmes sans une analyse de la nature de l'avantage en cause et de la situation réelle des salariés.

La seconde tendance, apparue sans doute en réaction à la première, tend à recentrer l'analyse sur les différences de traitement imputables à l'employeur, c'est-à-dire qui ne résultent pas de contraintes juridiques auxquelles il n'est pas en mesure de se soustraire ; on songera ici aux solutions dégagées en matière de protection sociale complémentaire (17) ou de primes statutaires qui n'exposent pas l'employeur à une action en rétablissement de l'égalité dès lors que ces dernières doivent être obligatoirement versées (18).

La confrontation de ces deux courants est des plus problématiques car, si on comprend parfaitement que le principe d'égalité de traitement impose à l'employeur de traiter pareillement les salariés lorsqu'ils sont placés dans la même situation, au regard d'un même avantage, lorsqu'il met en oeuvre son pouvoir à l'échelon de l'entreprise (ce qui englobe le pouvoir de conclure des accords collectifs, des contrats de travail, ou d'arrêter des règlements intérieurs et des plans de sauvegarde de l'emploi), il semble plus délicat de lui faire grief de dispositions conventionnelles, surtout lorsque celles-ci ont été étendues et que l'employeur en question n'adhère pas à une organisation patronale signataire.

Un principe à tempérer en matière conventionnelle. On comprend alors que le noeud des difficultés concerne l'application du principe d'égalité de traitement en matière conventionnelle, que l'inégalité dénoncée résulte d'un seul et même accord ou du pluralisme des accords applicables dans l'entreprise, compte tenu du caractère catégoriel des dispositions contestées. Dans ces conditions, l'employeur est tenu d'appliquer les accords dont l'entreprise relève, et en même temps rendu responsable des inégalités qui pourraient découler de leur application, ce qui équivaut à faire peser sur ses épaules une obligation de fait de rétablir l'égalité en alignant les avantages par le haut, à tout le moins à l'égard des salariés qui en font la demande, puisque telle est la sanction de la violation du principe (19).

Compte tenu de ce qui nous semble constituer une contradiction dans l'orientation générale de la jurisprudence, il nous semble qu'une clarification s'impose et que la Cour de cassation devrait réserver un sort particulier aux différences de traitement qui résulte de l'application d'un accord collectif, en réservant les condamnations aux seules hypothèses d'atteintes manifestes au principe d'égalité, ce qui préserverait la marge d'appréciation nécessaire des partenaires sociaux sur ces questions délicates.


(1) Cass. soc., 8 juin 2011, deux arrêts, n° 10-14.725, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3807HT8) et, jonction, n° 10-11.933 à n° 10-13.663, P+B+R+I (N° Lexbase : A3806HT7) et nos obs., La Cour de cassation et les avantages catégoriels : la montagne accouche d'une souris, Lexbase Hebdo n° 444 du 16 juin 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N4332BSA) ; JSL, 2011, n° 303-2, obs. Lhernould ; SSL, 2001, n° 1497, p. 9, obs. A. Lyon-Caen ; JCP éd. G, 2011, p. 934, note D. Corrignan-Carsin ; Gaz. Pal., 2011, n° 168-169, p. 12, note B. Boubli ; D., act., 29 juin 2011, obs. L. Perrin.
(2) Pour une cassation pour violation de la loi, s'agissant d'une mauvaise interprétation de l'accord collectif applicable : Cass. soc., 10 octobre 2013, n° 11-15.608, F-D (N° Lexbase : A6899KMH).
(3) Cass. soc., 7 décembre 2011, n° 10-19.102, F-D (N° Lexbase : A1906H4D) ; Cass. soc., 11 janvier 2012, jonction, n° 10-14.614, n°10-14.615, FS-P+B (N° Lexbase : A5263IA8) et n° 10-15.806, FS-P+B (N° Lexbase : A5265IAA), v. nos obs., Inégalités de traitement dans l'entreprise : l'employeur n'est pas responsable des choix opérés par les pouvoirs publics, Lexbase Hebdo n° 470 du 26 janvier 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N9810BS7) (régimes de retraite) ; Cass. soc., 7 mars 2012, n° 10-19.103, F-D (N° Lexbase : A3862IER) et Cass. soc., 8 mars 2012, n° 10-17.900, F-D (N° Lexbase : A3691IEG) ; Cass. soc., 28 mars 2012, n° 10-28.670, FS-D (N° Lexbase : A0001IHI) ; Cass. soc., 28 mars 2012, n° 11-12.043, FS-P+B (N° Lexbase : A9922IGL) et Cass. soc., 28 mars 2012, n° 11-30.034, FS-P+B (N° Lexbase : A9998IGE), et nos obs., La Cour de cassation et les différences catégorielles : le retour en grâce des cadres, Lexbase Hebdo n° 481 du 12 avril 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N1372BTY) ; Cass. soc., 27 mars 2013, n° 11-28.069, F-D (N° Lexbase : A2761KBU) ; Cass. soc., 18 septembre 2013, n° 12-20.014, F-D (N° Lexbase : A4909KLE).
(4) Cass. soc., 12 octobre 2011, n° 10-15.101, F-D (N° Lexbase : A7648HYW), v. nos obs., L'égalité de traitement, les cadres et le préavis de licenciement, Lexbase Hebdo n° 459 du 27 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8355BSA) ; Cass. soc., 3 novembre 2011, n° 10-19.685, F-D (N° Lexbase : A5303HZG) ; Cass. soc., 28 mars 2012, n° 11-11.307, FS-D (N° Lexbase : A9939IG9) ; Cass. soc., 30 mai 2012, n° 11-11.092, F-D (N° Lexbase : A5281IMK) ; Cass. soc., 23 mars 2013, n° 11-20.490, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5092I9H) ; Cass. soc., 10 octobre 2013, n° 11-15.608, F-D (N° Lexbase : A6899KMH) ; Cass. soc., 20 novembre 2013, n° 12-21.100, F-D (N° Lexbase : A0355KQ9) ; Cass. soc., 27 novembre 2013, n° 12-20.246, F-D (N° Lexbase : A4752KQ3).
(5) Cass. soc., 27 mars 2013, préc. ; Cass. soc., 27 novembre 2013, préc..
(6) CA Paris, Pôle 6, 3ème ch., 20 mars 2012, n° S 09/02119 (N° Lexbase : A1751IGX).
(7) Même si le régime applicable aux discriminations doit être distingué de celui applicable au principe "à travail égal, salaire égal" et de celui applicable au principe général d'égalité de traitement, on sait que les règles de preuves ont été unifiées par analogie avec celles dégagées en matière de discriminations. En ce sens notre ouvrage Discriminations et inégalités de traitement dans l'entreprise, éditions Liaisons, coll. Droit vivant, p. 232, 2011, sp. n° 173 s. (discriminations) et 304 s. (à travail égal, salaire égal).
(8) Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-42.675, FS P+B (N° Lexbase : A5734EI9), voir nos obs., Le cadre, les congés payés et le principe d'égalité de traitement, Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0001BLM) ; JCP éd. S, 2009, p. 1451, note E. Jeansen ; Dr. soc., 2009, p. 1169, chron. P.-A. Antonmattéi ; SSL, 28 septembre 2009, p. 16, chron. J. Barthélémy, p. 13, interview P. Bailly.
(9) Cass. soc., 21 novembre 2012, préc..
(10) Cass. soc., 5 avril 2012, préc..
(11) Dernièrement Cass. soc., 28 mars 2012, n° 11-30.034, préc. ; Cass. soc., 30 mai 2012, préc. ; Cass. soc., 19 juin 2013, préc. ; Cass. soc., 18 septembre 2013, préc. ; Cass. soc., 20 novembre 2013, préc..
(12) Cass. soc., 20 février 2008, n° 05-45.601, FP-P+B sur le sixième moyen (N° Lexbase : A0480D7W) et nos obs., Chaud et froid sur la protection du principe à travail égal, salaire égal, Lexbase Hebdo n° 295 du 7 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3474BEE).
(13) Cass. soc., 27 novembre 2013, préc..
(14) Cass. soc., 21 novembre 2012, préc..
(15) Cass. soc., 10 mars 2013, n° 11-15.608 (N° Lexbase : A6899KMH).
(16) Préc..
(17) Cass. soc., 11 janvier 2012, jonction, n° 10-14.614, n° 10-14.615, n° 10-14.616, n° 10-14.617, n° 10-14.620, n° 10-14.621, n° 10-14.622, n° 10-14.623, FS-P+B (N° Lexbase : A5263IA8) et n° 10-15.806, FS-P+B (N° Lexbase : A5265IAA) : "la cour d'appel a retenu à bon droit que la différence de traitement dont se plaignait M. X ne résultait pas d'un manquement de l'employeur ou de la CIPS au principe de l'égalité de traitement mais trouvait sa cause dans la diversité et l'autonomie des régimes de retraite complémentaire relevant d'organismes distincts et l'évolution de la norme juridique applicable".
(18) Cass. soc., 12 juin 2013, n° 12-17.273, FS-P+B (N° Lexbase : A5832KG4) : "au regard du principe d'égalité de traitement, la seule différence de statut juridique ne permet pas de fonder une différence de rémunération entre des salariés qui effectuent un même travail ou un travail de valeur égale, sauf s'il est démontré, par des justifications dont le juge contrôle la réalité et la pertinence, que la différence de rémunération résulte de l'application de règles de droit public".
(19) Il s'agit ici de la sanction imposée à la condition illicite, considérée par le juge comme étant non écrite, ce qui a pour effet de généraliser l'application de l'avantage désormais débarrassé de sa condition d'attribution. L'employeur a donc le droit d'harmoniser par le haut, mais pas véritablement l'obligation : Cass. soc., 24 avril 2013, jonction, n° 12-10.219 et n° 12-10.196, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5202KCN) et nos obs., Du rétablissement de l'égalité de traitement, Lexbase Hebdo n° 527 du 16 mai 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7016BTZ).

Décision

Cass. soc., 4 décembre 2013, n° 12-19.667, FS-P+B (N° Lexbase : A5541KQB).

Cassation partielle, CA Paris, Pôle 6, 3ème ch., 20 mars 2012, n° S 09/02119 (N° Lexbase : A1751IGX).

Textes visés : principe d'égalité de traitement

Mots clef ; égalité de traitement ; différences catégorielles

Liens base : (N° Lexbase : E2578ETN)

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Entreprises en difficulté

[Point de vue...] Les conséquences d'erreurs dans les répartitions : pour une évolution des solutions

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N9869BTP

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

Le 10 Octobre 2023

L'Institut Français des Praticiens des Procédures collectives (IFPPC) nous a demandé d'exprimer notre avis sur la problématique de la répétition de l'indu en cas d'erreurs dans les répartitions par un mandataire liquidateur, dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire.
Commençons par exposer l'état du droit positif (I), avant d'en proposer une critique (II).

I - Le droit positif

La difficulté qui se présente est de savoir si les créanciers qui perçoivent une somme qui leur est due, mais à laquelle ils n'ont pas droit, compte tenu de leur rang, sont tenus à la restituer aux créanciers de rang préférable qui en font la demande. La jurisprudence a introduit une distinction, selon la qualité de celui qui reçoit le paiement.

La jurisprudence a d'abord varié sur la question du créancier chirographaire.

Dans une première phase, la Cour de cassation a considéré qu'il n'y avait pas indu (1), puisque la somme encaissée par le créancier lui était effectivement due, en application de son admission au passif, véritable décision de justice fixant les droits du créancier.

Puis la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence. Si le créancier accipiens est chirographaire, il est contraint de restituer la somme perçue. A défaut, il y aurait en effet violation de la règle de l'égalité des créanciers (2).

Si le créancier accipiens est un créancier privilégié, la Cour de cassation a, en revanche, estimé que la règle de l'égalité des créanciers ne lui est pas applicable. Il en résulte qu'en ayant reçu ce à quoi il n'avait pas droit compte tenu de son rang, il n'a pas pour autant perçu l'indu. Il n'a donc pas à restituer au créancier de rang préférable ou au liquidateur qui en ferait la demande, ce qu'il n'aurait pas dû toucher (3). L'arrêt de principe sur la question (4) mérite d'être reproduit en son attendu principal : "Vu les articles 1376 (N° Lexbase : L1482ABI) et 1377 (N° Lexbase : L1483ABK) du Code civil ; [...] Attendu que, pour condamner le receveur à restituer au liquidateur la somme de 81 293 francs, l'arrêt, après avoir relevé que le paiement effectué par le mandataire correspondait à une créance admise, retient que ce paiement était indu au regard des règles de la procédure collective puisque le privilège du receveur venait en rang postérieur à celui du Crédit immobilier de l'Eure' ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le paiement était intervenu sans atteinte au principe de l'égalité de créanciers inapplicable aux créanciers privilégiés, et que ce paiement, fait par une erreur sur l'ordre des privilèges, n'ouvrait pas droit à répétition dès lors que l'accipiens n'avait reçu que ce que lui devait son débiteur, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Ainsi, de la manière la plus nette, la Cour de cassation, en visant les articles 1376 et 1377 du Code civil, juge qu'il n'y a pas place à répétition de l'indu, lorsqu'un créancier privilégié reçoit un paiement qui aurait dû échoir à un créancier de rang préférable. Rappelons le libellé de l'article 1376 du Code civil : "celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu". Pour sa part, l'article 1377 du Code civil dispose que "lorsqu'une personne qui, par erreur, se croyait débitrice, a acquitté une dette, elle a le droit de répétition contre le créancier".

Quelques bémols peuvent être apportés, de bien faible portée, il faut le concéder.

Le premier tient au fait que si le créancier admis au passif à titre privilégié omet de renouveler son inscription avant de percevoir son paiement, il devient chirographaire. Il doit alors restituer ce qu'il a perçu à tort (5).

Observons ensuite que, si les paiements sont effectués à titre provisionnel, la responsabilité du mandataire ne peut être engagée, puisque le paiement effectué au profit du créancier privilégié n'est pas définitif.

Précisons, enfin, que l'obligation de dresser un état de collocation pour la distribution du prix de vente d'un immeuble, en présence d'au moins un créancier inscrit sur l'immeuble, ouvre aux créanciers inscrits la possibilité de contester cet état, ce qui doit, ensuite, les priver de la possibilité d'engager la responsabilité du liquidateur pour erreur dans les répartitions (6).

Sous ces réserves, la seule ressource d'un créancier privilégié indûment privé des répartitions par le fait du liquidateur sera d'engager la responsabilité de celui-ci. Le liquidateur engage en effet sa responsabilité à effectuer des répartitions juridiquement incorrectes, par rapport à l'ordre des créanciers. La solution avait été posée sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (N° Lexbase : L7803GT8) (7). Elle a été reconduite sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L4126BMR) (8). Elle reste d'actualité.

Une fois le droit positif exposé, il convient d'apporter un avis sur la solution jurisprudentielle et surtout sur son impact pratique.

II - Appréciation critique du droit positif

Il faut commencer par observer que la lettre des articles 1376 et 1377 du Code civil ne peut véritablement venir au secours d'un liquidateur qui, par erreur, paie un créancier véritable à la place d'un autre. Le créancier payé, celui par erreur à la place d'un autre, ne peut stricto sensu être considéré comme ayant reçu ce qui ne lui est pas dû. Si sa créance a été admise au passif, c'est précisément affirmer, par le biais d'une décision de justice, que la somme en question est bien due par le débiteur au créancier. L'article 1376 du Code civil ne peut donc être, pris à la lettre, appliqué. L'article 1377 du Code civil est encore moins d'un quelconque secours pour le liquidateur solvens. En effet, le liquidateur ne peut être considéré comme une personne qui, par erreur, se croyait débitrice, et a acquitté une dette.

La Cour de cassation, en admettant la possibilité de demander la restitution à un créancier chirographaire, a donc déjà procédé à une certaine extension de la lettre de l'article 1376 du Code civil. Elle l'a fait au visa du principe de l'égalité des créanciers.

La règle de l'égalité des créanciers, qui est le fondement de la solution retenue par la Cour de cassation, interdit de traiter différemment des créanciers placés dans une situation identique. Dès lors que ces créanciers ne sont pas dans une situation identique, la règle de l'égalité des créanciers ne peut plus trouver application. Il en est ainsi de créanciers chirographaires par rapport à des créanciers privilégiés. Il en est de même de créanciers privilégiés, qui ne viennent pas au même rang.

Ainsi, dès lors que l'on admet que l'action en répétition de l'indu ne peut prospérer que pour autant qu'il y a une atteinte a principe de l'égalité des créanciers, la solution posée par la Cour de cassation ne peut, sur un terrain strictement juridique, être contestée.

Il reste à apprécier l'opportunité de cette solution, qui consiste à autoriser un créancier privilégié à conserver ce qu'il a reçu au préjudice d'un autre créancier privilégié.

Il n'est pas sans intérêt d'indiquer que le Professeur Pérochon, se faisant l'écho de la doctrine, écrit que cette solution est "justement et vivement critiquée" (9).

Commençons par préciser que les erreurs dans les répartitions, en pratique, ne doivent pas être rares pour une raison bien simple : la complexité extrême de l'ordre des privilèges en droit français. Chacun s'accorde à considérer qu'il est pratiquement impossible, aujourd'hui, en France, de faire une répartition correcte, dès lors que se présentent, à une procédure collective, au moins dix créanciers privilégiés. S'il y en a plus, la remarque est évidemment d'autant plus fondée.

Le droit français des sûretés se caractérise par un véritable mille-feuilles législatif, jamais un privilège n'ayant été supprimé, alors que des dizaines de privilèges -pour ne pas dire des centaines- ont été créés au fil du temps. L'abolition des privilèges, idée révolutionnaire française, n'a jamais existé en droit des sûretés, ce dont il faudra bien un jour se préoccuper ! Les privilèges ont été empilés anarchiquement les uns sur les autres, placés les uns à côté des autres, sans véritable classement légal, qui supposerait que chaque privilège créé soit comparé par rapport à tous les autres, ce qui n'a jamais été fait. On voit donc la justesse des propos d'un auteur qui, parlant des répartitions liquidatives, considérait que c'était pour un liquidateur, une "mission impossible".

Chacun doit savoir que les mandataires de justice sont extrêmement angoissés à l'idée de commettre des erreurs, qui seraient source d'engagement de leur responsabilité.

A minima, cela a un effet extrêmement négatif, de ralentissement des répartitions, et partant, de réintroduction de l'argent des liquidations judiciaires dans le circuit économique. La liquidation judiciaire, dont on rappellera qu'il s'agit d'une procédure dont l'objectif est de transformer en argent liquide les actifs du débiteur, manque son but si l'argent liquide qu'elle produit par les réalisations d'actifs n'est pas redistribué dans des délais raisonnables.

Cela a un autre effet déplorable : celui de ralentir considérablement les clôtures de procédures collectives. Il faut pourtant se souvenir, qu'hier, l'un des objectifs de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT) avait été d'accélérer les clôtures de liquidation judiciaire, ce qui avait justifié deux mesures remarquables : l'obligation de prévoir, lors du jugement de liquidation judiciaire, une date à laquelle l'affaire serait rappelée pour envisager la clôture et la création de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée, dont l'objet était de permettre la clôture des liquidations judiciaires dans l'année de leur ouverture ou de leur prononcé.

L'objectif de clôture rapide des procédures est d'ailleurs un impératif absolu, si l'on veut se souvenir que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme sur le fondement de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7556AIR) imposant un délai raisonnable pour le déroulement des procédures (10). Il faut bien comprendre que la longueur des procédures collectives de liquidation judiciaire est très attentatoire aux droits des débiteurs, qui pendant toute la durée de la liquidation sont dessaisis de l'administration de leurs droits patrimoniaux, rapprochant la situation de ces débiteurs de celle d'incapables, plongeant ainsi, en quelque sorte, ces chefs d'entreprises dans une infâme minorité, ce qui est évidemment insupportable dans un pays civilisé, se présentant comme celui des droits de l'Homme.

Les argument sont donc multiples, pour que tous les moyens soient mis en oeuvre afin que les procédures collectives soient plus rapides, que le temps de la réduction des pouvoirs du débiteur personne physique soit le plus court possible, alors surtout que depuis 2005, on interdit à ce débiteur personne physique d'entreprendre une nouvelle activité économique indépendante, contrevenant ainsi au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, principe à valeur constitutionnel, est-il bon de le rappeler.

On peut aussi évoquer le fichage Banque de France des dirigeants sociaux de personnes morales ayant été placées en liquidation judiciaire. Il est également très pénalisant et constitue, en pratique, un obstacle au rebond de ces personnes dirigeants de sociétés placées en liquidation judiciaire, alors qu'elles n'ont pas nécessairement démérité. Or, la durée du fichage est aussi fonction de la date de la clôture de la procédure de liquidation judiciaire.

La stérilisation au préjudice de tous du produit des réalisations d'actifs, dans l'attente des répartitions, doit également être déplorée.

Parmi ces moyens d'accélérer la clôture des procédures, figure celui de l'accélération des distributions des actifs réalisés au cours de la liquidation judiciaire, car, évidemment, tant que le prix des actifs réalisés ne sera pas distribué entre les créanciers, la clôture ne pourra intervenir. Or, comme cela a été expliqué, l'un des éléments sclérosant du système tient à la peur panique des liquidateurs d'engager leur responsabilité dans le cadre des distributions, s'ils venaient à commettre des erreurs au préjudice de créanciers privilégiés.

Nous avions d'ailleurs déjà suggéré de modifier la solution posée par la Cour de cassation, en écrivant que "cette solution consistant à permettre au créancier privilégié de conserver ce que son rang ne lui permettait pas de percevoir est choquante, même si elle est respectueuse des règles civilistes. De lege ferenda, il serait utile de poser une règle aux termes de laquelle le paiement effectué est fait sous réserve d'erreurs dans les répartitions, ce qui, d'une part, ouvrirait au créancier injustement privé de son dû un recours contre le créancier injustement payé, et, d'autre part, éviterait des actions en responsabilité contre les mandataires, au seul prétexte qu'un créancier n'aurait pas dû être payé, ce qui a privé de son dû un autre créancier" (11).

On peut aujourd'hui affiner la proposition.

Il convient, pour supprimer le risque d'engagement de la responsabilité civile professionnelle du liquidateur qui, en pratique, paralyse tout le système, de poser une règle aux termes de laquelle "le paiement effectué au profit d'un créancier, au préjudice d'un autre de rang préférable, ouvre au second une action en répétition de la somme versée au mépris de l'ordre des répartitions".

Le liquidateur doit évidemment intervenir à cette instance, pour qu'il puisse exprimer le point de vue de la collectivité des créanciers qu'il représente, sur la question de l'éventuelle erreur qu'il aurait commise dans les répartitions. Il convient donc de prévoir que, à cette action, le liquidateur sera impérativement attrait ou interviendra volontairement. Le texte pourrait prévoir que : "cette action est faite, le liquidateur présent ou dûment appelé". Ce texte pourrait constituer un alinéa 4 de l'article L. 643-2 du code de commerce (N° Lexbase : L3367ICP).

Mais cela n'est pas suffisant pour désamorcer l'éventualité d'un contentieux en responsabilité civile professionnelle sur une erreur commise dans l'ordre des répartitions. Il faut encore prévoir une possibilité de réouverture de la procédure de liquidation judiciaire, aux fins de redistribution du produit d'un actif mal réparti. Le créancier, victime de l'erreur commise par le liquidateur, sollicitera la réouverture de la liquidation judiciaire, en avançant, comme cela est le cas pour les autres hypothèses de réouverture de la procédure, les frais de l'instance. Les dispositions posées par l'alinéa 2 de l'article L. 643-13 (N° Lexbase : L3945HBQ) seraient applicables, même si la logique conduit à penser que cette action sera, en pratique, entreprise uniquement par le créancier intéressé. Une fois la réouverture de la procédure autorisée, le liquidateur sera à nouveau en fonction, comme cela est le cas pour les réouvertures de procédure, depuis la loi de sauvegarde des entreprises. Le créancier qui a reçu à tort le paiement, compte tenu de son rang, sera alors assigné par le liquidateur. Une fois en possession des fonds restitués par ce créancier, le liquidateur procédera à une nouvelle distribution en respectant cette fois l'ordre des répartitions.

Pour parvenir à ce résultat, il convient de modifier l'article L. 643-13 du Code de commerce. Pour l'heure, cette disposition indique que "si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d'actif et qu'il apparaît que des actifs n'ont pas été réalisés ou que des actions dans l'intérêt des créanciers n'ont pas été engagées pendant le cours de la procédure, celle-ci peut être reprise". Ainsi, il existe, en l'état du droit positif, deux cas de reprise de la liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif : des actifs n'ont pas été réalisés ou des actions dans l'intérêt des créanciers n'ont pas été engagées. Il faut ajouter au texte un troisième cas : celui de l'erreur commise dans les répartitions.

Le texte de l'article L. 641-13, alinéa 1er, du Code de commerce pourrait être ainsi rédigé : "si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d'actif et qu'il apparaît que des actifs n'ont pas été réalisés, qu'une ou plusieurs erreurs ont été commises dans les répartitions ou que des actions dans l'intérêt des créanciers n'ont pas été engagées pendant le cours de la procédure, celle-ci peut être reprise".

Grâce à ces droits reconnus, soit pendant la procédure collective, soit dans le cadre de la reprise de la procédure, au créancier privé à tort des répartitions au profit d'un autre créancier, il n'y aurait plus place à une action en responsabilité contre le liquidateur effectuant une répartition au mépris de l'ordre entre les créanciers.

La disparition de cette menace pesant sur le liquidateur conduirait, par le fait même, à permettre des distributions beaucoup plus rapides, au plus grand profit des créanciers. Cela aurait pour effet d'accélérer considérablement les clôtures de procédures collectives, au profit des débiteurs et dirigeant sociaux.

La règle serait ainsi profitable à tous et mériterait d'ailleurs d'être appliquée aux procédures en cours au jour de son entrée en vigueur. Une disposition de droit transitoire devrait, en ce sens, être intégrée au texte de la réforme à venir.

  • Proposition de textes :

- C. com., art. L. 643-2, al. 4 nouveau : "Le paiement effectué au profit d'un créancier, au préjudice d'un autre de rang préférable, ouvre au second une action en répétition de la somme versée au mépris de l'ordre des répartitions. Cette action est faite, le liquidateur présent ou dûment".

- C. com., art. L. 643-13, al. 1er : "si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d'actif et qu'il apparaît que des actifs n'ont pas été réalisés, qu'une ou plusieurs erreurs ont été commises dans les répartitions ou que des actions dans l'intérêt des créanciers n'ont pas été engagées pendant le cours de la procédure, celle-ci peut être reprise".

Disposition transitoire :

"L'alinéa 4 de l'article L 643-2 et l'alinéa 1 de l'article L 643-13 sont applicables aux procédures en cours".


(1) Cass. com., 26 novembre 1985, n° 84-16.893, publié (N° Lexbase : A7268AAG), Bull. civ. IV, n° 281, D., 1986, IR 240, obs. A. Honorat, RTDCiv., 1986. 749, n° 8, obs. J. Mestre ; Cass. com., 7 novembre 1989, n° 87-19.234, publié (N° Lexbase : A5253CGN), Bull. civ. IV, n° 283, D., 1990, somm. 62, obs. A. Honorat ; RTDCiv., 1990, 281, n° 2, obs. J. Mestre.
(2) Cass. com., 17 novembre 1992, n° 90-19.013, publié (N° Lexbase : A4737AB3), Bull. civ. IV, n° 361, Rev. proc. coll., 1994, 124, n° 34, obs. B. Soinne, D., 1993, somm. 191, obs. A. Honorat, D., 1993, jur. 341, obs. J.-P. Sortais, JCP éd. 1993, II, 22140, obs. Dagorne ; Cass. com., 11 février 2004, n° 02-17.520, FS-P (N° Lexbase : A2754DBM) Bull. civ. IV, n° 27, D., 2004, AJ 701, Act. proc. coll., 2004/6, n° 72, note C. Régnaut-Moutier, JCP éd. E, 2004, jur. 879, p. 963, note Millet, JCP éd. E, 2004, chron. 1292, p. 1391, n° 19, obs. M. Cabrillac, RTDCiv., 2004, 732, n° 8, obs. J. Mestre et B. Fages, RTDCom., 2005. 165, n° 1, obs. A. Martin-Serf. Sur le caractère ambigu de cette règle, M. Cabrillac, Les ambiguïtés de l'égalité entre le créanciers", in Mél. A. Breton et Derrida, Dalloz, 1991, p. 31 ; F. Pollaud-Dullian, Le principe d'égalité dans les procédures collectives, JCP éd. G, 1998, I, 138.
(3) Cass. com., 30 octobre 2000, n° 98-10.688, publié (N° Lexbase : A7706AHU), Bull. civ. IV, n° 169, D., 2000, AJ 430, obs. P. Pisoni, D., 2001, jur. 1527, note S. Pierre, D., 2001 somm. 620, obs. crit. A. Honorat, D., 2001, somm. 1612, obs. G. Brémond, Act. proc. coll., 2000/19, n° 242, note J. Vallansan ; CA Versailles, 13ème ch., 17 février 2011, n° 09/02959 (N° Lexbase : A3684GXQ), Act. proc. coll., 2011/6, n° 104.
(4) Cass. com., 30 octobre 2000, préc..
(5) Cass. com., 12 mai 2009, n° 08-11.421, F-P+B (N° Lexbase : A9740EGT), Bull. civ. IV, n° 68, D., 2009, AJ 1414, note A. Lienhard, Gaz. proc. coll., 2009/3, p. 30, n° 4, note Ph. Roussel Galle, Act. proc. coll., 2009/11, n° 180, note C. Régnaut-Moutier, JCP éd. E, 2009, chron. 1814, n° 8, note M. Cabrillac, Gaz. Pal., 2009, jurispr. p. 3098, note G. Huchet, JCP éd. E, 2010, chron. 1036, n° 16, obs. Ph. Delebecque, LPA, 17 juin 2010, n° 120, p. 20, note M. Despaquis.
(6) S. Pierre, Le paiement fait par erreur sur l'ordre des sûretés est-il indu ?, D., 2001, 1527 ; J.-L. Vallens, Lamy Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), éd. Lamy, 2013, n° 4427.
(7) Cass. com., 19 février 1985, JCP éd. G, 1985, IV, 162.
(8) Cass. com., 6 juillet 1999, n° 97-12.613, publié (N° Lexbase : A4521A49), Bull. civ. IV, n° 150, JCP éd. E, 1999, pan. 156.
(9) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 9ème éd., LGDJ, 2012, n° 1227.
(10) CEDH, 17 janvier 2002, n° 41476/98 (N° Lexbase : A9037AXY), D., 2002, AJ 807.
(11) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 7ème éd., 2013/2014, n° 591.51.

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Fiscal général

[Point de vue...] Manifeste des avocats fiscalistes contre la méfiance dont les pouvoirs publics font preuve à leur égard

Lecture: 25 min

N9886BTC

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 20 Décembre 2013

Dans la famille des avocats, je demande... Les fiscalistes.
Les avocats fiscalistes sont indispensables à toute société démocratique et à tout Etat de droit. Toutefois, ils font souvent figure de "mis à l'écart" parmi les acteurs du droit. Nourrissant les fantasmes presque au même titre que les traders peuplant Wall Street, les avocats fiscalistes sont aujourd'hui la proie d'accusations infondées, voire diffamatoires. Particularité actuelle : les responsables de ces accusations sont l'Etat dans son ensemble, en premier chef le Gouvernement et l'administration fiscale, qui alimentent une méfiance à l'égard de ces professionnels du droit. Or, pourquoi la profession de fiscaliste est-elle née ? En premier lieu, pour accompagner les contribuables dans le respect de leurs obligations fiscales, de plus en plus sophistiquées, et de plus en plus sibyllines. Nul n'est censé ignorer la loi, mais encore faudrait-il la comprendre. La pratique du droit fiscal est donc d'abord un travail de compréhension des textes, de leurs enjeux pratiques, puis l'assimilation et la compréhension des problématiques rencontrées par le contribuable, enfin une vulgarisation du droit de l'impôt pour expliquer au client ce qu'il doit faire, comment se protéger en cas de contrôle fiscal, et comment payer l'impôt. L'avocat fiscaliste a deux clients : l'un, un contribuable, qui le rémunère et lui pose une obligation de moyens ; l'autre, le droit fiscal, qui ne lui verse rien (au contraire, l'avocat est un contribuable comme les autres), et lui impose une obligation de résultat concernant le respect de sa lettre (et de son esprit).

Un principe guide l'interprétation du droit fiscal, depuis toujours : le contribuable a le choix de la voie la moins imposée. Quel qu'il soit, celui qui doit payer un impôt peut, tant qu'il respecte le droit, opter pour la solution qui lui permettra de minimiser le montant de son impôt. Ce principe est logique, il est l'expression d'une société dans laquelle l'être humain est pris en compte pour ce qu'il est, un individu, doté de raison et de passions, et qui est capable d'exercer sa liberté, tant qu'il ne nuit pas à autrui. La limite à cette liberté, limite dont l'utilité n'est d'ailleurs absolument pas remise en cause par les fiscalistes, c'est l'abus de droit. Ce concept est la barrière à la liberté, car l'abus de droit nuit à autrui, en la personne de l'Etat. Il consiste en ceci : le contribuable peut, tant qu'il respecte le droit à la lettre, choisir la voie la moins imposée, mais il ne doit pas entraver l'esprit du droit. Pour cela, il ne doit pas avoir organisé son patrimoine ou sa société dans le seul but de choisir la voie la moins imposée. Sinon, il se rend coupable d'abus de droit, voire de fraude fiscale. Ah, la fraude fiscale ! Cette expression s'est usée à force d'être employée, et les fraudeurs se voient montrés du doigt comme de vulgaires assassins. Les avocats fiscalistes ont peu à peu été englobés dans le camp des fraudeurs, comme ayant le rôle de facilitateurs de fraude, si ce n'est d'initiateurs. Quelle belle vision de ce métier ! Les débats autour du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière (loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 N° Lexbase : L6136IYW) ont démontré la méfiance du législateur, représentant du peuple français, vis-à-vis de ces professionnels. Les projets de loi de finances pour 2014 et de loi de finances rectificative pour 2013 continuent dans cette voie. Comment en est-on arrivé là ?

L'administration fiscale est boulimique d'informations : elle veut tout savoir, tout connaître. Or, les avocats fiscalistes, tout comme les prêtres et les médecins, sont astreints au "secret professionnel". Ce dernier constitue un devoir pour le professionnel, celui de ne pas révéler les confidences transmises par son client ou futur client. Ni à l'administration, ni au juge, ni à son conjoint, ni à ses enfants, ni à sa concierge. L'Etat aimerait pourtant bien savoir ce qui passe par la tête des contribuables excédés par la charge fiscale qu'ils supportent. Il s'attaque donc aux avocats, premiers réceptacles des désirs et envies de leurs clients.

L'Etat commet pourtant une grosse erreur. Le prêtre qui recueille une confession se rend-il coupable des péchés avoués ? Le médecin qui ausculte un patient est-il contaminé par sa maladie ? Non. L'avocat fiscaliste non plus, n'est pas complice de son client.

L'administration montre une certaine réticence à traiter avec des avocats fiscalistes. Cette institution aux pouvoirs étendus et grandissants a durci sa pratique, et ne voit pas en ces professionnels un partenaire, mais un ennemi. L'avocat fiscaliste est-il, corrélativement, l'ami de son client ? Non. Il peut arriver que l'avocat soit ami avec son client, avant ou après qu'il ait fait appel à son expertise, mais ce n'est pas le but de sa profession. En outre, la déontologie de l'avocat lui interdit les conflits d'intérêts. Enfin, si l'avocat fiscaliste est l'ami de son client, il ne lui conseillera jamais de frauder l'impôt, connaissant bien les terribles sanctions fiscales et pénales qui en sont les conséquences.

La confiance des pouvoirs publics dans le travail des professionnels du droit est fondamentale. Car, si l'Etat a confiance dans l'expertise et le respect de la loi par les avocats fiscalistes, les clients auront la même confiance, feront donc appel à ses professionnels, et le monde du droit s'en trouvera renforcé, tant au niveau "moral" qu'au niveau "financier".

L'idée de ce manifeste est venue des sentiments ressentis au contact de cette profession. Entre crainte et incompréhension, la colère semble poindre, comme chez toute victime. Pour que les avocats fiscalistes ne soient pas victimes d'un système qui ne les comprend plus, Lexbase Hebdo - édition fiscale a décidé de réunir leurs opinions dans un texte, sorte de cri d'alarme de professionnels qui ont épousé un métier par amour et non par intérêt, et dont l'idylle se trouve aujourd'hui salie, sans raison.

Les avocats fiscalistes sont unis par un métier mais aussi par un sentiment : l'incompréhension face à leur statut de cible de la croisade de l'Etat contre la fraude fiscale. Se joignant dans ce manifeste, ils expriment leurs inquiétudes et leur colère. La parole est à eux !

Le point de vue de la Commission Fiscal et douanier du barreau de Paris...

Alain Theimer, Avocat au barreau de Paris, Co-Président de la Commission Fiscal et douanier du barreau de Paris

Avertissement au lecteur :

Ce manifeste est purement fictif. Toute ressemblance avec des lois existantes, rapports parlementaires ou projets de lois ne saurait être que fortuite.

  • Un contribuable qui veut procéder volontairement à sa propre évasion fiscale doit être très compétent ou recourir à des monteurs. Les banques ne sont qu'un petit élément d'un réseau de complicités plus vaste dans lequel on trouve des bureaux d'avocats, des cabinets comptables, des conseillers financiers. Tous concourent à faire en sorte qu'une véritable industrie de l'évasion fiscale existe au service à la fois des entreprises et des personnalités physiques. Personne, à part ceux qui connaissent très bien le système bancaire ou des avocats fiscalistes, ne pourrait faire de montages aussi sophistiqués. Les paradis fiscaux n'existeraient pas sans eux. L'argent est envoyé loin, et les structures se sophistiquent. Des avocats fiscalistes parisiens et londoniens ont détourné les trusts de ses motifs louables et licites. Les honoraires corrélés au gain fiscal de tel ou tel montage ont des effets pervers et sont incitatifs. Le faible nombre de déclarations effectuées par les avocats à TRACFIN signifient-il que ceux-ci ne savent pas lorsqu'une opération correspond à une fraude fiscale, ou plutôt qu'ils ne veulent pas le savoir ? La profession d'avocat mérite une analyse approfondie puisque, sous couvert du secret professionnel, les avocats peuvent exercer une activité de conseil, notamment sur les moyens de se livrer à l'évasion fiscale. Ces avocats s'apparentent à de plus ordinaires professionnels. Ils ne diffèrent guère des notaires ou des banquiers qui, de leur côté, n'arguent pas de considérations de principe pour faire obstacle à une règle nécessaire au combat contre une atteinte injustifiable à l'ordre public. La réticence des avocats doit donc être surmontée.

L'obligation de déclaration préalable des schémas fiscaux présente une originalité par rapport à la majorité des dispositifs expérimentés jusqu'à maintenant : elle pèse avant tout sur les intermédiaires -cabinets d'avocats ou de conseil, experts comptables, institutions financières ou encore gestionnaires de patrimoine-. Afin de la rendre effective, des pénalités dissuasives doivent être prévues.

  • La différence de moyens est vertigineuse entre les administrations et les armées de fiscalistes, avocats, experts-comptables et autres banquiers qui défendent sans états d'âme les intérêts des fraudeurs.
  • Ces avocats méritent des sanctions.

Levons leur secret professionnel, perquisitionnons leurs cabinets, obtenons communication de leurs archives, condamnons-les pour blanchiment de fraude fiscale et solidarisons-les au paiement des redressements avec leurs clients.

Il n'y aura alors plus de crise économique, les contribuables accepterons de payer des impôts confiscatoires, se réjouiront de l'instabilité de la norme et de la défiance face à la réussite et à l'argent.

Louis-M. Bourgeois, Avocat au barreau de Paris, Co-Président de la Commission Fiscal et douanier du barreau de Paris

La méfiance et la peur, deux maux très français

Les lois de finances votées en 2012 ont marqué ce qui semble se confirmer en 2013 comme un tournant dans les relations entre les pouvoirs publics, d'une part, et les avocats et les magistrats, d'autre part.

Certaines de leurs mesures paraissent, en effet, poursuivre la recherche d'un contrôle véritablement mathématique de certaines opérations. Deux exemples parmi de nombreuses mesures sont suffisamment emblématiques pour suffire à illustrer cette triste tendance que l'on rencontre encore dans les textes débattus en cette fin d'année 2013, en particulier avec le projet d'obligation de déclaration des montages fiscaux (projet de loi de finances pour 2014, art. 60 quinquies).

En matière de report déficitaire, l'article 15 de la deuxième loi de finances rectificative (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L9357ITQ) a ainsi voulu combler un vide qui n'existait pas en matière de définition du changement d'activité : à la sagesse des magistrats, la loi préfère désormais des seuils, taux, chiffres, totaux et durées (CGI, art. 221 N° Lexbase : L9906IWS).

S'agissant des opérations d'apport-cession, le travail de fond accompli par le Conseil d'Etat depuis 2010 pour définir de plus en plus précisément les contours de l'abus de droit s'est trouvé balayé par l'article 18 de la troisième loi de finances rectificative (loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L7970IUQ), qui a jugé plus rassurant de fixer désormais un délai de deux ans et un seuil de 50 % : qui réinvestit 49,9 % est un voyou, qui réinvestit 50,1 % est un formidable et dynamique entrepreneur.

Ces parlementaires et ces dirigeants qui critiquent l'inflation législative et réglementaire ne font que l'alimenter. Leur attitude est révélatrice de deux idées regrettables.
En premier lieu, elle révèle la méfiance que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ont manifestement envers les magistrats, dont ils n'ont ouvertement de cesse que de chercher à réduire le champ d'intervention. S'il est certain que les pouvoirs publics font en la matière une application stricte de la séparation des pouvoirs, ils négligent gravement que cette séparation implique néanmoins le respect.
En second lieu, l'inflation législative et réglementaire révèle la grande peur que les pouvoirs publics ont manifestement des avocats et de leur inventivité juridique pour apporter à leurs clients des conseils toujours plus innovants et plus proches de leurs besoins. En matière juridique comme dans de nombreux secteurs de l'économie, la loi bloque donc délibérément l'innovation plutôt que de s'en enrichir. Elle propose aujourd'hui d'anéantir le secret professionnel de l'avocat.

Ce climat de suspicion constitue un frein supplémentaire à l'attractivité de la France dans une compétition mondiale où l'environnement juridique fait, bien évidemment, partie des critères de choix d'une implantation.

Le point de vue des cabinets à taille humaine...

Léa Faulcon, Associée, Blackbird Baschet

La chasse aux "conseils ingénieux" est ouverte...

La loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 N° Lexbase : L6136IYW) marque un tournant dans l'attitude répressive adoptée par le Gouvernement contre les fraudeurs et leurs conseils.

Si les avocats ont levé leurs boucliers à la lecture des articles du projet de loi, afin d'éviter d'être qualifié de complices d'infractions fiscales et financières et d'être sanctionnés en tant que tels, les autres conseils visées par le texte (banquiers et expert comptables) n'ont pas réagi avec autant de véhémence.

Il règne aujourd'hui un sentiment de culpabilité généralisé au nom de la lutte contre la fraude fiscale... nous sommes tous suspects !

Dans le même sens, la nouvelle définition de l'abus de droit (voir le projet de loi de finances pour 2014, art. 60 nonies) va également vers un durcissement général et sonne le glas à toute ingénierie fiscale permettant pourtant à nos clients de rester compétitifs en toute légalité...

Les pouvoirs publics sont manifestement méfiants à l'égard des avocats et de leur inventivité.... Combien de temps encore le secret professionnel pourra nous protéger ?

Cyril Maucour, Associé, Ravet & associés

Les projets en cours relèvent du tout répressif, favorisant un chevauchement sans logique de dispositifs.

Sur la base de ce qui est prévu, les conseils fiscaux deviennent de potentiels "organisateurs d'une fraude fiscale en bande organisée" ou "commercialisateurs" de schémas fiscaux, avec à la clé des obligations de déclarations qui restent vagues. L'intérêt du Trésor légitime-t-il que de telles entorses à la confidentialité et aux droits de la défense soient envisagées ?

Le "ras-le-bol fiscal" risque de tourner à l'exaspération la plus totale lorsque cet arsenal répressif incohérent sera mis en oeuvre. L'administration fiscale est souvent dans l'impossibilité de répondre aux demandes de rescrit qui lui sont faites ou émet un nombre très important de réserves privant celui-ci d'un réel effet.

Que fera-t-elle lorsque des schémas nécessairement complexes lui seront soumis pour mobiliser les compétences nécessaires à leur analyse (fiscalité internationale, prix de transfert, etc.) ?

Plutôt que d'alourdir encore un travail de contrôle assumé par un nombre de plus en plus faible de fonctionnaires, ne serait-il pas temps de s'attacher à améliorer la relation entre le contribuable et l'administration ? Ceci passe par l'établissement d'une confiance mutuelle entre le conseil et les autorités, et non par la création d'une suspicion entre le conseil et son client. Le conseil ne doit pas devenir le bras avancé de l'administration. Les projets actuels vont encore alimenter un exode des compétences et un renforcement de nos concurrents internationaux, qui ne seront pas astreints à ces obligations.

Christian Louit, Associé, cabinet Louit et associés

Dans le contexte économique actuel, l'administration fiscale subit la pression du Gouvernement, et reporte celle-ci sur le contribuable.

Cela rend, dans l'hypothèse d'un litige, les débats non contentieux beaucoup moins ouverts.

La multiplication des dispositifs antifraudes a également pour conséquence de créer un climat de suspicion, et les décisions récentes du Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2013-679 DC, du 4 décembre 2013 N° Lexbase : A5483KQ7), renforcent le sentiment que le législateur va parfois trop loin dans son zèle fiscal.

La lutte contre la fraude fiscale est clairement un objectif constitutionnel.

Néanmoins, nos sociétés sont fondées sur les libertés individuelles. Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre ce fondement et les divers dispositifs antifraudes.

Cet objectif ne nous paraît pas actuellement atteint, parfois du fait de la défaillance d'un juge en principe protecteur des libertés individuelles.

Pour autant, l'avocat fiscaliste, qui appliquera toujours ses règles déontologiques, ne me paraît pas directement menacé dans son métier, à la double condition d'être ou d'essayer d'être irréprochable, et intransigeant dans la défense de ses clients.

Arnaud Viard, Associé, Godet Gaillard Solle Maraux & Associés (GGSM)

Avocat fiscaliste, ou l'indépendance et le secret professionnel attachés à la profession progressivement remis en cause par l'administration fiscale et le législateur

Dans un contexte général de durcissement des contrôles fiscaux, l'expertise de l'avocat fiscaliste est de plus en plus souvent jugée partisane par les autorités administratives. Si le rôle de l'avocat est, certes, de défendre les intérêts de ses clients, il n'a en revanche pas pour mission de travestir la réalité économique ou fiscale des opérations controversées. Cette défiance accrue des brigades de vérification vis-à-vis de l'avocat prive immanquablement le débat contradictoire d'une partie de sa substance. C'est d'autant plus dommageable que les autorités fiscales ne sont pas détentrices de la vérité absolue.

L'indépendance de l'avocat aujourd'hui sérieusement ternie, le législateur entend désormais s'attaquer au secret professionnel, en sanctionnant l'absence de délation des "schémas", par l'application de lourdes pénalités financières à la charge de l'avocat fiscaliste. Les pouvoirs publics semblent confondre l'optimisation fiscale et l'évasion fiscale, le droit et la fraude. On comprend mal ce climat de suspicion généralisée à l'égard de la profession. Il serait au contraire urgent de rendre ses lettres de noblesse à la valeur ajoutée produite par les professionnels du droit !

Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Avocat à la Cour

L'évolution de l'attitude des pouvoirs publics à l'égard des avocats fiscalistes n'est pas une véritable surprise. Depuis de nombreuses années, le politique leur reproche régulièrement d'optimiser fiscalement la situation des plus "riches" : mais par construction, il serait bien difficile de faire autrement à moins de feindre avoir oublié qu'en matière d'impôt sur le revenu, seule une infime minorité de contribuables supporte la quasi-totalité du poids de cet impôt. Cette critique de la profession d'avocat est parfaitement audible pour le grand public mais le vrai courage politique, à défaut de réduire substantiellement les dépenses publiques, serait d'assumer ces dispositions légales dérogatoires que le Parlement a votées ou alors de les supprimer, s'il est toutefois en mesure d'affronter les groupes de pression. L'équation semblant être impossible à résoudre, la Représentation nationale a adopté une loi "relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière" affichant un niveau de répression jamais atteint et une utilisation, éminemment contestable pour un Etat de droit, de données obtenues de façon illicite heureusement censurée par le Conseil constitutionnel. Quelle que soit l'évolution des textes ou l'attitude de l'administration fiscale, j'assumerai pleinement mon rôle de conseil et de défense des contribuables face aux pouvoirs publics.

Marc Amblard, Avocat (cabinet Amblard à Paris et Chamalières) et Maître de conférences à l'Université de Provence (Aix-en-Provence) - www.lesavocatsfiscalistes.fr

Expliquer, en 15 lignes, quel est votre sentiment face à votre métier, et pourquoi la méfiance de l'administration et des pouvoirs publics vous semblent (in)fondés.

Pour répondre à cette question, mon sentiment est très partagé.

Les français ne se sont jamais autant penchés sur la question fiscale ; si les causes d'un tel phénomène sont fâcheuses, ses effets sont néanmoins bénéfiques : notre profession suscite un intérêt plus vif et les contribuables, notamment, dirigeants, admettent plus qu'avant sa valeur ajoutée. Recourir à un avocat fiscaliste apparaît de plus en plus comme un investissement dont le retour ne fait plus de doute pour un plus grand nombre de décideurs. En tant que professionnels, on ne peut que s'en féliciter.

En revanche, nous ressentons un malaise avec l'administration et plus encore avec les pouvoirs publics, qui sans l'avouer ouvertement nous tiennent pour responsable, en partie, des errances fiscales. Ceci est d'autant plus déplaisant que les excès qui ont jeté indirectement l'opprobre sur notre métier ont été relevés au sein même de la majorité gouvernementale.

Cela se traduit par un ensemble de décisions attentatoires à l'Etat de droit. La plus regrettable est sans doute la modification très récente du premier alinéa de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU). Pour rappel, les mots : "n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui" sont remplacés par les mots : "ont pour motif principal" (voir le projet de loi de finances pour 2014, art. 60 nonies).

Pour anodin que celui puisse sembler au profane, ce type de changement est de nature à plonger le contribuable dans une situation d'incertitude encore plus profonde qu'elle ne l'était jusqu'à présent. En donnant un tel pouvoir d'appréciation à l'administration, le législateur promeut une situation arbitraire contraire aux principes élémentaires de démocratie tout autant qu'il décourage les chefs d'entreprise.

Notre système fiscal avait-il besoin d'une telle régression ?

Le point de vue des grands cabinets...

Arnaud Chastel, Avocat, Landwell & Associés

S'adapter et anticiper.

Les entreprises françaises évoluant dans un environnement international sont soumises à une double obligation : elles doivent, en effet, être en conformité avec leurs obligations fiscales en France, mais aussi dans chacun de leur pays d'implantation.

Ce rappel peut paraître évident aux non-initiés, mais peut relever d'un vrai défi dans certains cas, en raison d'une fiscalité très complexe ou de changements majeurs internes au groupe (réorganisations, restructurations,...) ou externes (nouvelles législations,...).

Le fiscaliste doit ainsi s'adapter en permanence à ces changements pour s'assurer que l'entreprise dont il a la responsabilité est effectivement conforme à ses obligations. Son conseil doit l'accompagner dans la conduite et l'anticipation de ces changements et de ces transformations.

Les évolutions françaises récentes découlant, notamment, des travaux de l'OCDE et de la volonté légitime de lutte contre l'évasion fiscale (nouvelles obligations en matière de prix de transfert, mesures anti-hybrides, définition élargie de l'abus de droit,...), constituent à cet égard une nouvelle modification de l'environnement fiscal national des entreprises françaises, qui va nécessiter à nouveau une revue de la stratégie et des risques encourus par les groupes, et éventuellement une adaptation.

La question est de savoir si cette adaptation est suffisante.

Le plan d'action de l'OCDE endossé par le G20 va créer un nouvel ordre fiscal international et nécessitera la définition de nouvelles règles fiscales internationales et la conclusion de nouveaux traités bilatéraux, et donc du temps.

Une période d'incertitude, voire d'insécurité, s'ouvre donc pour les entreprises françaises, mais cela ne doit pas les décourager d'affronter leur environnement international, même si les contraintes qu'elles supportent sont, dans certains cas, plus lourdes pour elles.

L'avocat est justement là pour l'aider, en toute indépendance, à anticiper les changements majeurs qui s'annoncent et l'assister dans cette exigence de conformité en apportant sa vision, sa compétence et son expérience sur l'appréciation des risques fiscaux et leur évolution, au regard de la réputation et l'image de l'entreprise.

En réalité, eu égard aux nécessaires adaptations que les entreprises devront mettre en oeuvre en terme de politique fiscale, d'organisation de la fonction et de mise en oeuvre, un principe majeur émergera de plus en plus : le partage de l'imposition des entreprises devra se faire, plus que jamais, selon le critère de la création de valeur.

Plus l'entreprise créera de valeur dans un Etat, plus sa base imposable locale par rapport à sa base globale sera importante.

Le rôle du conseil sera alors de l'assister dans l'identification de cette valeur et dans son allocation. L'alignement de la fiscalité sur son activité économique devrait donc s'imposer. La question sera alors de savoir si cette approche plus économique, plus anglo-saxonne sera compatible avec l'approche civiliste et conceptuelle française.

Laurence Clot, Associée, Bird & Bird

L'avocat fiscaliste aujourd'hui est confronté à une double difficulté, celle de conseiller ses clients, afin que ceux-ci puissent réduire au mieux les frottements fiscaux de leurs opérations sans être suspecté de les inciter à faire "un montage fiscal", terme qui aujourd'hui est assimilé à une fraude. On a l'impression que l'avocat fiscaliste est assimilé à un stratège fiscal dont l'objectif ne serait que de délocaliser les activités de ses clients à l'étranger et le plus loin possible ou de réduire, par des schémas artificiels, le montant des impôts et des taxes qui auraient normalement dû être payés en France.

Or, notre objectif est de conserver nos clients en France, de les voir grandir et s'épanouir et de les accompagner dans cette démarche. Un client parti est un client perdu et qui, on le sait, ne reviendra pas.

L'autre inquiétude est de constater que les réformes fiscales ne visent aucunement à rendre la fiscalité plus simple et compréhensive de tous, mais au contraire de plus en plus complexe, ce qui crée une insécurité fiscale qui fait fuir les investisseurs étrangers et, malheureusement, aussi beaucoup d'entrepreneurs français. Il est temps de revenir à une fiscalité stable et sécurisée, afin de redonner confiance à ceux et celles qui souhaitent entreprendre et dynamiser l'activité en France.

Franck Llinas, Associé, Arsene Taxand

En ces temps de disette budgétaire, il est assez naturel de s'en prendre, aujourd'hui encore plus qu'hier, aux fraudeurs. Comme le rappelle le Ministère de l'Economie et des Finances "un euro récupéré sur la fraude est un euro d'impôt en moins". Jusqu'à là, on ne peut que souscrire à cette volonté d'égalité des contribuables devant l'impôt et de juste répartition en fonction des facultés contributives de chacun. On conçoit également assez facilement que des nouveaux moyens (enquête, échange de renseignements entre administrations, perquisition, saisie, sanctions) soient mis à la disposition des gendarmes de nos finances publiques, afin d'agir avec plus d'efficacité.

Pour autant, cette quête, aussi légitime soit elle, ne doit pas se tromper de cible et ne peut justifier en aucune façon de confondre la fraude et l'optimisation fiscale. Comme le rappelle fréquemment la jurisprudence du Conseil d'Etat, le fait d'opter pour une voie fiscalement moins imposée qu'une autre relève de la bonne gestion fiscale et non pas de la fraude. Or, même notre ministre du Budget semble confondre fraude et optimisation fiscale "l'optimisation et la fraude sont des pratiques qui ne nous semblent pas acceptables" (extrait des débats parlementaires portant sur le projet de loi de finances pour 2014, séance du 15 novembre 2013). Sans parler de la chasse aux sorcières que semble appeler de ses voeux Madame la député Karine Berger devant la représentation nationale : "Il y a peut-être encore pire que de ne pas vouloir payer son impôt, que l'on soit un particulier ou une entreprise : c'est le fait de conseiller l'un ou l'autre pour qu'il ne paie pas l'impôt. C'est exactement ce contre quoi cet amendement lutte [il s'agit de l'amendement qui vise à obliger la déclaration préalable des schémas d'optimisation fiscale, en discussion lors de la séance du 15 novembre 2013 ; projet de loi de finances pour 2014, art. 60 quinquies]. Il vise en effet à supprimer toute possibilité dans notre pays d'être rémunéré pour conseiller sur les moyens d'échapper à l'impôt, de ne pas se soumettre à l'impôt quand on est un grand groupe ou quand on est un particulier riche".

Je rappellerai simplement que les avocats ne font qu'appliquer la loi, ils sont des auxiliaires de justice qui participent notamment à la régulation de la vie des affaires en disant et en interprétant le droit. Certes, si une loi est sujette à interprétation, ils n'auront pas forcément l'interprétation la plus défavorable pour les contribuables. S'il y a un vide juridique, ils pourront bien sûr l'utiliser. Mais est-ce aux avocats d'exercer la défense des recettes budgétaires ? Certainement pas. C'est au législateur d'édicter des règles claires, à large assiette et compréhensibles de tous !

Vincent Grandil, Associé, WTS

Les contribuables français sont à la peine. Malgré plus de 20 milliards de hausses d'impôt, le déficit budgétaire devrait dépasser 76 milliards, autant que ce que rapporte l'impôt sur le revenu, ou 1,5 fois ce que rapporte l'impôt sur les sociétés. Les dépenses publiques auront encore augmenté de 2,6 milliards !

KO debout, les particuliers et les entreprises réalisent que, pour supprimer ce déficit abyssal, il faudrait multiplier par deux l'impôt sur le revenu, ou porter le taux de l'impôt sur les sociétés à 100 %. Inatteignable, irréaliste, impossible ! Enfermé dans un dogmatisme économique que rien ne semble pouvoir ébranler, le Gouvernement se raccroche pathétiquement à un maintien artificiel de la croissance par la dette : il est hors de question de faire des économies. L'impôt, c'est sain, c'est juste, c'est sacré. Il devient un but en soi.

Si, malgré un tour de vis sans précédent, les recettes fiscales chutent de 11 milliards, ce n'est pas la faute à une politique économique d'un autre âge, c'est la faute aux fraudeurs et à ceux qui les conseillent. De grands délinquants, contre lesquels il faut lutter sans état d'âme ! Nos apprentis fiscalistes multiplient les textes approximatifs, ouverts à toutes les interprétations et de plus en plus attentatoires aux libertés : présomption de fraude, renversement de la charge de la preuve, amendes écrasantes pour de simples vices de forme, sanctions pénales aggravées, garde à vue digne du crime organisé, moyens policiers et judiciaires d'exception.

Ah vous n'êtes pas d'accord, vous voulez quitter la France, allez-y ! Mais il va falloir payer cher, très cher. Encore décidé à partir ? Non ! Efficace, notre rideau de fer fiscal ! Vous voulez vous faire conseiller ? Nous allons mettre ces avocats au pas ! Des délinquants encore plus dangereux que les chefs d'entreprise qu'ils sont d'ailleurs aussi. D'ailleurs, ne devraient-ils pas être obligés de dénoncer leurs clients ? A la moindre velléité de conseil, ne faudrait-il pas les inculper pour complicité de fraude fiscale en bande organisée ? Surtout s'ils sont fiscalistes, et ont fait un passage dans l'administration fiscale. J'exagère ? C'est ce que j'espère. Mais à un moment où le pouvoir semble pris d'un vertige autoritaire pour ne pas avoir à reconnaître qu'il se trompe de politique, les premiers qui doivent se lever sont les avocats, les défenseurs de l'équité et des libertés, le rempart des démocraties contre tous les excès.

Je suis fier de faire partie de cette profession à une époque comme celle-ci.

Le point de vue des associations et organes représentatifs de la profession...

Frédéric Filippi, Président de l'Association des avocats fiscalistes (AAF)

L'environnement fiscal français est une source d'inquiétudes pour l'ensemble des contribuables, entreprises, particuliers, français ou étrangers : complexité et instabilité de la norme fiscale, moyens d'investigations exorbitants donnés à l'administration, positions administratives contestables soutenues jusque devant les juridictions administratives et judiciaires...

Dès lors, les contribuables sont en situation de faiblesse et cèdent trop souvent, et peut-être de plus en plus souvent, face aux décisions de l'administration, sans objecter le début d'un argumentaire.

Face à ce constat, l'avocat spécialisé en droit fiscal, fidèle à son serment, se doit d'assumer son rôle de "défenseur", et le faire connaître, sans crainte, ni honte. Il constitue sans nul doute le dernier rempart contre l'arbitraire. Cela étant, l'avocat spécialisé en droit fiscal est certainement aussi ce "tiers de confiance" en mesure d'établir ou de rétablir le lien entre l'administration et ses "usagers".

William Feugère, Président national des Avocats conseils d'entreprise (ACE)

Depuis quelques mois, l'administration fiscale semble bénéficier d'une influence sans précédent. Tous les textes qu'elle avait suggérés, et dont l'adoption avait été rejetée, sont désormais repris par le Gouvernement et le législateur, comme autant de "progrès" vers une transparence portée au pinacle des valeurs républicaines.

La nouvelle loi sur la fraude fiscale (loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 N° Lexbase : L6136IYW) transforme, avec les "lanceurs d'alerte", chaque salarié ou stagiaire en délateur. Elle aggrave également les cas de fraude, en introduisant en premier lieu une fraude "complexe", par exemple commise par le biais de comptes détenus à l'étranger, qu'ils aient été déclarés ou non à l'administration. Mais des milliers de Français détiennent de tels comptes, parce qu'ils ont étudié ou travaillé hors de nos frontières. Vont-ils encourir sept ans de détention et deux millions d'euros d'amende parce qu'ils ont bénéficié de la libre circulation des personnes et des capitaux, un principe fondamental de l'Europe ? La fraude fiscale est également aggravée, avec les mêmes peines, lorsqu'elle est commise en bande organisée. Cette bande existe dès lors qu'au moins deux personnes ont participé à l'infraction. Le dirigeant d'une société et son DAF, ou son conseil externe, son avocat, son expert-comptable, son banquier : tous risqueront d'être placés en garde à vue, objets d'écoutes téléphoniques, de perquisitions de jour comme de nuit,...
Cette loi a été conçue contre les grands fraudeurs, mais s'applique à chaque contribuable. Elle est effrayante.
S'ajoute une confusion croissante entre fraude et optimisation fiscale : choisir entre deux solutions légales celle qui sera la plus économique, permettant de payer le moins d'impôts possible, c'est désormais être un mauvais citoyen, manquer d'éthique, et presque frauder.
Un amendement au projet de loi de finances prévoit que tous les schémas d'optimisation fiscale devront être déclarés ab initio, avant toute "commercialisation" ou mise en oeuvre, sous peine d'amendes (projet de loi de finances pour 2014, art. 60 quinquies). Il ne s'agit pas d'un rescrit, destiné à obtenir l'aval de l'administration, mais d'une information imposée, sans retour. L'administration fiscale veut en fait tout savoir sur ce qu'un contribuable envisage, avec qui, où, comment,...

Le monde décrit par George Orwell n'est plus si loin.

Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université, Président de l'Institut international des sciences fiscales (2ISF)

Il me semble important de prendre la mesure de la situation économique et budgétaire dans laquelle nous évoluons. Nous avons des déficits publics abyssaux et un chômage qui, petit à petit, gangrène la société.

C'est dans ce contexte très dégradé qu'il faut apprécier les dispositifs fiscaux qui ont été proposés puis, devant la mobilisation des lobbies et de certaines catégories professionnelles, ont été retirés. Nous avons eu l'épisode de la censure par le Conseil constitutionnel de la contribution exceptionnelle de solidarité, plus connue sous le nom d'imposition à 75 %. Puis il y a eu, après la mobilisation des "pigeons", le retrait de la taxation des plus-values de cessions d'entreprises. A suivi l'abandon de la taxation sur l'excédent brut d'exploitation. La réduction d'impôt sur le revenu en faveur des foyers fiscaux qui ont un enfant scolarisé a été remisée. Il a en été de même du projet de taxation de certains produits d'épargne courants et d'assurance vie. La majoration de taxe sur le foncier non bâti a été repoussée, ainsi que la taxation sur les locaux vacants.

Sur le plan du contrôle fiscal, on assiste à un développement des techniques de contrôle, sans que les garanties du contribuable soient renforcées, qui s'inscrit d'ailleurs dans les perspectives et projets de l'OCDE et de l'Union européenne. La responsabilité de l'avocat, notamment l'avocat fiscaliste, peut se voir assimilée à celle de son client, ce qui est une évolution pour le moins inquiétante...

De reculades en abandons on a l'impression que les projets proposés ne sont ni techniquement achevés, ni politiquement assumés et défendus. Les contribuables, leurs conseils et l'opinion publique ne restent pas indifférents quand le ministre de l'Economie et des Finances se dit lui même, après l'été, très sensible au "ras-le-bol fiscal" des contribuables.

C'est la légitimé de l'impôt qui est remise en cause dans ses fondements. Ce serait une erreur d'oublier que le consentement à l'impôt contribue au lien social. Lors de la remise à plat du système fiscal, il conviendrait de s'en souvenir.

Et, pour finir, le point de vue du candidat...

Matthieu Sabonnadière, élève avocat, EFB

Quel futur pour notre avenir ?

Ces cinq dernières années, l'ire populaire s'est déchaînée sur le banquier, parangon d'un capitalisme responsable de la crise. L'avocat fiscaliste est-il le prochain ?

Nous nous sommes tous inquiétés de la nouvelle infraction de complicité de fraude fiscale, nous nous sommes tous interrogés sur le caractère arbitraire de la nouvelle définition de l'abus de droit. Nous avons tous constaté qu'un climat de méfiance pèse sur notre métier.

Dans un monde fiscalement idéal, fraude, optimisation et évasion ne seraient plus confondues et on reconnaîtrait que, si l'avocat-fiscaliste érode l'assiette fiscale, il facilite par ses conseils l'investissement des sociétés. Dans une économie morose, il est un vecteur de croissance.

Embrassant la profession l'année prochaine, j'espère qu'elle n'est pas condamnée à glisser du conseil à du contrôle de conformité, moins risqué.

newsid:439886

Fiscalité financière

[Brèves] Publication d'une nouvelle circulaire durcissant les sanctions en cas de régularisation des avoirs non déclarés à l'étranger

Réf. : Circulaire du 12 décembre 2013, NOR: BUD201387424C (N° Lexbase : L6523IYA)

Lecture: 1 min

N9894BTM

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Le 19 Décembre 2013

Le 12 décembre 2013, Bernard Cazeneuve, ministre délégué au Budget a publié une nouvelle circulaire concernant les régularisations d'avoirs à l'étranger non déclarés (circulaire du 12 décembre 2013, NOR: BUD201387424C N° Lexbase : L6523IYA). En effet, depuis une circulaire du 21 juin 2013 (N° Lexbase : L6522IY9 ; lire N° Lexbase : N7718BTZ), les contribuables français détenant des comptes non déclarés à l'étranger sont appelés à régulariser leur situation. Seule la pénalité pour manquement délibéré fait l'objet d'une atténuation dans ce contexte, puisqu'elle s'élève à 30 % pour les fraudeurs dits "actifs", et à 15 % pour les fraudeurs dits "passifs" (ceux qui ont hérité d'avoirs non déclarés à l'étranger ou qui n'étaient pas imposables en France lorsqu'ils ont constitué les avoirs en cause). De plus, l'amende annuelle proportionnelle pour défaut de déclaration des avoirs à l'étranger est plafonnée, respectivement, à 3 % et 1,5 % du montant de ceux-ci. Par un nouveau texte, le Gouvernement entend prendre acte de l'entrée en vigueur de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière (loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 N° Lexbase : L6136IYW), le 1er janvier 2014, et prévoit que les contribuables qui deviennent imposables à l'ISF à la suite de la révélation d'avoirs à l'étranger devront payer une majoration d'impôt égale à celle instituée par la première circulaire. Concernant les trusts, qui servent parfois d'intermédiaires à la détention d'avoirs, l'amende s'élève à 12,5 % des sommes dissimulées, avec un plancher qui passe de 10 000 à 20 000 euros (CGI, art. 1736, IV bis N° Lexbase : L0106IWT). En outre, lorsque cette amende s'applique, l'amende annuelle pour défaut de déclaration est portée à 3,75 % pour les fraudeurs "passifs" et à 7,5 % pour les fraudeurs "actifs".

newsid:439894

Marchés publics

[Brèves] Publication du Règlement procédant à la modification officielle des seuils européens de passation des marchés publics

Réf. : Règlement (UE) n° 1336/2013 du 13 décembre 2008 (N° Lexbase : L6579IYC)

Lecture: 1 min

N9926BTS

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Le 20 Décembre 2013

Le Règlement (UE) n° 1336/2013 du 13 décembre 2008, modifiant les Directives 2004/17/CE, 2004/18/CE et 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les seuils d'application pour les procédures de passation des marchés (N° Lexbase : L6579IYC), a été publié au Journal officiel de l'Union européenne du 14 décembre 2013. Il relève les seuils de la procédure formalisée à 5 186 000 euros HT pour les marchés de travaux, 134 000 euros HT pour les marchés de fournitures et de services de l'Etat, 207 000 euros HT pour les marchés de fournitures et de services des collectivités territoriales et 414 000 euros HT pour les marchés de fournitures et de services des entités adjudicatrices et pour les marchés de fournitures et de services passés dans le domaine de la défense ou de la sécurité. Le Règlement est directement applicable dans tout Etat membre à compter du 1er janvier 2014.

newsid:439926

Pénal

[Brèves] Abus de confiance et droit à réparation

Réf. : Cass. crim., 11 décembre 2013, n° 12-86.624, F-P+B+I (N° Lexbase : A1621KRH)

Lecture: 1 min

N9864BTI

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Le 19 Décembre 2013

L'abus de confiance peut préjudicier et ouvrir droit à réparation, non seulement aux propriétaires, mais encore aux détenteurs et possesseurs des biens détournés. Telle est la substance d'un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 11 décembre 2013 (Cass. crim., 11 décembre 2013, n° 12-86.624, F-P+B+I N° Lexbase : A1621KRH ; cf. l’Ouvrage "Droit pénal spécial" N° Lexbase : E2001EYR). En l'espèce, après avoir déclaré M. X coupable d'abus de confiance pour avoir détourné les fonds remis par plusieurs clients de la société A., la cour d'appel, pour débouter cette dernière, partie civile, de ses demandes en remboursement des sommes correspondant aux montants détournés par le prévenu, a retenu que ce titre de créance constitue un préjudice indirect par rapport à l'infraction. Se pourvoyant en cassation, la société A. a soutenu qu'elle administrait la preuve de sa qualité de victime directe de l'abus de confiance en tant que détentrice des placements précités pour le compte de souscripteurs qu'elle a dû rembourser et qu'elle avait, dès lors, droit à une indemnisation. La Cour de cassation lui donne raison et casse l'arrêt ainsi rendu en relevant que les juges d'appel ont méconnu le principe de l'article 314-1 du Code pénal (N° Lexbase : L7136ALU).

newsid:439864

Procédure administrative

[Chronique] Chronique de contentieux administratif - Décembre 2013

Lecture: 16 min

N9866BTL

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine

Le 19 Décembre 2013

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de contentieux administratif de Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, un arrêt du Conseil d'Etat du 23 octobre 2013 qui précise les conditions dans lesquelles le juge administratif peut ordonner une expertise. Il ne lui revient, en l'occurrence, d'ordonner une expertise que s'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile (CE 1° et 6° s-s-r., 23 octobre 2013, n° 360961, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le deuxième arrêt sélectionné, en date du 29 octobre 2013, évoque les devoirs du juge de renvoi. Il en ressort que le juge du fond, lorsqu'il statue sur une affaire renvoyée par la haute assemblée, n'est tenu ni de viser ni d'analyser des mémoires produits devant le Conseil d'Etat et comportant des moyens d'appel dans l'hypothèse d'un règlement de l'affaire au fond (CE 2° et 7° s-s-r., 29 octobre 2013, n° 348682, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, la dernière affaire retenue par l'auteur concerne le contentieux classique de la validité des mémoires produits après la clôture de l'instruction. Il ressort de l'arrêt du Conseil d'Etat en date du 6 novembre 2013 qu'il n'y a pas méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure dès lors que les juges du fond ne se sont pas fondés, dans leurs motifs, sur les éléments de droit et de fait de la production d'un mémoire non communiqué (CE 4° et 5° s-s-r., 6 novembre 2013, n° 351194, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Le juge administratif n'a pas l'obligation d'ordonner une expertise s'il est en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments recueillis et si l'expertise présente ainsi un caractère inutile (CE 1° et 6° s-s-r., 23 octobre 2013, n° 360961, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4486KNH)

L'un des principaux moyens d'investigation dont dispose le juge administratif est l'expertise (1). C'est la mesure d'instruction la plus fréquemment utilisée car c'est le seul moyen qui soit donné au juge d'éclairer une question de fait controversée ou obscure, notamment lorsque cet éclaircissement appelle des connaissances techniques que le juge ne possède normalement pas. Ne pouvant tout connaître, le juge doit se faire éclairer de l'avis de spécialistes dans les matières dont la technicité le dépasse, ou bien pour des investigations dont l'ampleur excède ses possibilités matérielles. Le recours à l'expertise est relativement fréquent en première instance, plus rare en appel, où il n'y a en général lieu à expertise que lorsque la juridiction d'appel inverse la solution de rejet des premiers juges (2). Les matières dans lesquelles le juge administratif ordonne l'expertise sont variées mais concernent principalement le plein contentieux (3), celui où le juge administratif dispose des pouvoirs les plus larges, notamment du pouvoir de condamnation pécuniaire.

Selon l'article R. 621-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5937IGY) applicable aussi bien devant les tribunaux, les cours que devant le Conseil d'Etat, "la juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant-dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties". De ce texte, il résulte, d'une part, que le recours à l'expertise n'est pas subordonné à une demande d'une partie ; d'autre part, que, même en présence d'une telle demande, la juridiction n'est pas tenue de recourir à l'expertise (4). Le recours est libre pour le juge mis à part la subsistance d'hypothèses particulières dans lesquelles le juge est tenu d'ordonner une expertise (5).

Le juge administratif est libre d'ordonner ou non une expertise, soit de sa propre initiative, soit sur demande, sous réserve que le refus d'ordonner une telle expertise ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable. Le juge n'est pas lié par la demande des parties : il n'est jamais obligé de recourir à l'expertise quand celle-ci est demandée par une partie, s'il estime les éléments du dossier suffisants pour se forger une conviction. A l'inverse, il peut ordonner une telle expertise même si aucune demande en ce sens n'est exprimée par une des parties. En toute hypothèse, qu'elle soit demandée par les parties dans le cadre d'un litige, ou séparément, ou qu'elle soit ordonnée d'office par le juge, une telle mesure doit toujours être utile (CJA, art. R. 532-1 N° Lexbase : L3075ALH), en ce sens que la juridiction doit avoir besoin du résultat de l'expertise pour mettre fin au litige.

Cela implique que, avant d'ordonner une expertise, la juridiction se prononce, au besoin d'office, sur tous les autres moyens qui permettraient de l'éviter. Ainsi ne doit-on pas ordonner d'expertise si la requête est irrecevable (6), ou encore si l'administration avait compétence liée pour prendre la décision attaquée, lorsque cette circonstance rend inopérants les moyens dont l'expertise a pour objet de vérifier le bien-fondé (7). Dans ces hypothèses, l'expertise est qualifiée de frustratoire et le jugement est irrégulier.

Dans son arrêt en date du 23 octobre 2013, le Conseil d'Etat rappelle cet état du droit dans l'office du juge. Il appartient ainsi au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge l'existence d'une faute et la réalité du préjudice subi. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation.

Il ressort des faits de l'espèce qu'un prisonnier demandait à être dédommagé des préjudices subis du fait des conditions de sa détention. Pour se prononcer sur la responsabilité de l'Etat, le juge du fond disposait de la description de la cellule fournie par le plaignant (incarcération dans une cellule de 25 m², où se trouvaient six personnes, état dégradé de celle-ci) et d'un article de presse décrivant les conditions de détention de certains détenus à la maison d'arrêt de Cherbourg. De son côté, l'administration détaillait notamment, dans ses écritures, la surface des cellules occupées successivement par le requérant, leur équipement mobilier, la date de leur rénovation, leur taux d'occupation, et fournissait des éléments tels que les fiches de renseignement et rapports d'enquête, relatifs à la situation de l'intéressé lors de ses incarcérations successives, lesquels faisaient, notamment, ressortir que celui-ci s'était livré à des dégradations dans les locaux où il était détenu.

Le tribunal administratif disposait ainsi d'éléments suffisants pour statuer sur l'action indemnitaire engagée devant lui. Par suite, en estimant qu'une expertise était utile à la solution du litige, le tribunal administratif avait dénaturé les pièces du dossier. Le Garde des Sceaux est, dès lors, fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation du jugement attaqué. L'expertise est inutile si le juge dispose dans le dossier de tous les éléments qui lui sont nécessaires pour statuer sur l'action en responsabilité. Le Conseil d'Etat insiste bien sur l'office du juge en la matière : il statue au vu des pièces du dossier et sur les éléments complémentaires produits à sa demande par les parties. L'expertise n'est alors utile que si ces pièces et ces éléments ne sont pas suffisants pour que le juge exerce son pouvoir d'appréciation.

Il y a application d'une jurisprudence constante sur la question de l'appréciation par le juge de l'utilité d'une expertise. L'utilité d'une mesure d'expertise se mesure à l'aune de l'office du juge et des éléments susceptibles de l'éclairer dans son action et non compte tenu du seul intérêt qu'elle peut présenter pour une partie qui la demande (8). Par exemple, si une expertise médicale figure déjà dans le dossier, il est inutile d'en ordonner une nouvelle (9). Également frustratoire est l'expertise inutile compte tenu du dossier clair quant aux faits, le demandeur se bornant à de "simples allégations" (10) ou l'expertise portant sur des faits sans intérêt pour le jugement de l'affaire (11). Serait également inutile l'expertise ayant pour objet de recenser les associations subventionnées par une commune, ce résultat pouvant être atteint par une voie non contentieuse (12).

En revanche, dans une affaire ayant un objet similaire au cas d'espèce, le Conseil d'Etat avait, en sens contraire, accepté le principe de l'expertise, dans la mesure où le dossier ne contenait aucune constatation portant sur l'état des locaux en cause, ou des locaux similaires, durant la période d'incarcération du requérant (13).

Au final, l'arrêt rappelle que le procès devant les juridictions administratives n'est pas la "chose" des parties. Celles-ci apportent leur litige devant le juge administratif et dès lors le procès devient la "chose" du juge qui maîtrise complètement et dirige l'instruction de l'affaire. Cette conception de la justice trouve son prolongement dans la conduite des expertises.

  • La juridiction de renvoi n'est tenu ni de viser, ni d'analyser des mémoires produits devant le Conseil d'Etat et comportant des moyens d'appel dans l'hypothèse d'un règlement de l'affaire au fond (CE 2° et 7° s-s-r., 29 octobre 2013, n° 348682, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8184KNG)

Assurément, toute partie à un procès souhaite légitimement que l'instance engagée, par ou contre elle, arrive rapidement à son terme. Ainsi, le droit au délai raisonnable de jugement, c'est-à-dire de la saisine du juge à la notification du jugement définitif, est un élément primordial de la bonne administration de la justice, notamment en matière administrative. Ainsi, l'évolution des missions du juge administratif est surtout mise en perspective dans un contexte plus global, qui est celui de la croissance du contentieux et de la nécessité d'un traitement raisonnablement rapide des requêtes. Mais il peut encore se présenter des cas, en contentieux administratif, où le juge du second degré peut voir, par deux fois dans la même affaire, sa décision soumise au Conseil d'Etat, la complexité de la procédure nous éloignant forcément assez nettement de ce qui est "raisonnable" dans les délais de jugement. C'est le cas de la décision d'espèce où le "délai raisonnable" pourrait ainsi avoir une contrepartie que l'on pourrait traduire par l'expression d'"obstination déraisonnable". Pour autant, la deuxième décision de la Haute juridiction apporte des précisions utiles sur le statut, devant le juge de renvoi, des moyens développés dans les mémoires présentés au Conseil d'Etat.

Il ressort des faits de l'espèce que le requérant avait initialement demandé au maire d'une commune d'engager une procédure de révision de son plan d'occupation des sols aux fins de modifier le classement de certaines de ses parcelles. Le maire lui a opposé une décision implicite de refus que l'intéressé a souhaité annuler devant le tribunal administratif de Nice. Ce dernier ne lui a pas donné gain de cause, tout comme la cour administrative d'appel de Marseille. Cependant, le Conseil d'Etat a annulé son arrêt et a renvoyé l'affaire devant la même cour qui a, à nouveau, rejeté sa requête. La juridiction de renvoi a décidé de maintenir sa position en contredisant l'arrêt du juge de cassation. La loi prévoit, qu'en ce cas, un second pourvoi en cassation est possible donnant le dernier mot au Conseil d'État qui prend un arrêt définitif. C'est le cas en l'espèce.

C'est l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ) qui permet au Conseil de régler l'affaire au fond "si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie". Il ne lui impose de le faire que si l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation (14). La pratique du Conseil d'Etat a connu une évolution sensible qui l'a conduit à admettre largement que la bonne administration de la justice implique un règlement au fond. En somme, les questions de droit doivent être tranchées par le Conseil d'Etat sans qu'il soit possible de passer outre. C'est précisément cette violation des choses qui a conduit à développer la cassation sans renvoi. On fait ainsi l'économie d'une étape, à condition qu'elle soit inutile.

Le requérant voulant à nouveau obtenir l'annulation de l'arrêt devant le Conseil d'Etat a fait valoir que la cour administrative d'appel n'aurait pas pris en compte les mémoires produits devant le juge de cassation comportant des moyens d'appel dans le cas d'un règlement de l'affaire au fond. L'argument ainsi soulevé par le requérant amène à développer la discussion. La règle est que la juridiction de renvoi est saisie de plein droit. Quant à l'instance de cassation, elle s'insère dans la procédure dont elle ne peut être considérée comme un élément extérieur, puisque la juridiction de renvoi est tenue de se conformer à la solution de droit donnée par le Conseil d'Etat. Lorsque le juge de cassation décide que l'affaire doit être jugée par une juridiction de renvoi, celle-ci n'est pas entièrement libre.

Statuant sur renvoi, les juges du fond retrouvent une entière liberté, certes, pour ce qui concerne les faits. La juridiction de renvoi dispose, en effet, d'une plénitude de juridiction. Elle doit procéder à une nouvelle instruction. Les parties peuvent présenter des moyens nouveaux, mais elles ne peuvent étendre leurs conclusions, pas plus que la juridiction de renvoi ne peut statuer au-delà des conclusions dont étaient saisis les premiers juges (15). Elle peut modifier les constatations et appréciations de fait portées par les premiers juges (16), retenir un motif écarté par une première décision, procéder à des substitutions de motifs ou encore aggraver une sanction (17). Elle peut aussi, après avoir procédé à un supplément d'instruction, se fonder sur une pièce nouvelle pour porter son appréciation, sans méconnaître pour autant l'autorité de chose jugée par le Conseil d'Etat (18). Concrètement, la juridiction de renvoi peut avoir à tenir compte du dossier de cassation qui lui est normalement transmis afin de déterminer la portée exacte de la solution à laquelle elle doit se conformer.

En revanche, la juridiction de renvoi doit, au contraire, s'incliner devant la solution de droit déterminée par le juge de cassation (19). Ainsi, la jurisprudence administrative compte des décisions de renvoi qui s'inclinent devant l'autorité de la chose jugée par le Conseil d'Etat, juge de cassation. C'est là une jurisprudence constante. La procédure judiciaire est beaucoup plus complexe, au contraire, elle permet à la juridiction statuant sur renvoi de statuer dans le même sens que la décision annulée par le juge de cassation (20).

Toujours concernant l'argument développé par le requérant, il y a un autre élément de discussion qui tient à ce que l'idée d'une séparation importante entre la phase de la cassation et la phase d'appel sur renvoi après cassation peut porter à critique. Le fait de ne pas tenir compte, pour le jugement final de son affaire, au sein de ce qui apparaît, pour le justiciable, une même procédure de ce qui a été pertinemment écrit par son avocat au Conseil, est difficilement compréhensible. Pour le justiciable, il paraît assez naturel que ce qui a été dit par son avocat au Conseil garde sa valeur. Enfin, il faut avoir à l'esprit que le moment de la procédure dont il est question est une phase ultime de l'administration de la justice : le renvoi à un juge d'appel après la cassation d'un premier arrêt d'appel. Si le juge de renvoi est regardé comme pouvant légitimement ignorer un moyen fondé invoqué par une partie devant le Conseil d'Etat, c'est là quand même une chose qui est difficilement admissible à ce stade de la procédure contentieuse.

Le Conseil d'Etat n'a pas admis l'ensemble de ses arguments en l'espèce, il précise qu'après une cassation, "il appartient à la juridiction de renvoi de mettre les parties à même de produire de nouveaux mémoires pour adapter leurs prétentions et argumentations en fonction des motifs et du dispositif de la décision du Conseil d'Etat, puis de viser et d'analyser dans sa nouvelle décision l'ensemble des productions éventuellement présentées devant elle". En revanche, estime-t-il, "ni les dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 741-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L4866IRN), qui dispose que la décision juridictionnelle contient notamment l'analyse des conclusions et mémoire', ni aucune règle générale de procédure n'imposent au juge de renvoi de répondre aux moyens d'appel présentés en cassation dans l'hypothèse où le Conseil d'Etat déciderait de faire usage de la faculté de régler l'affaire au fond prévue par l'article L. 821-2 du Code de justice administrative, ni de viser et d'analyser les mémoires produits devant le Conseil d'Etat dans lesquels ces moyens sont soulevés".

Le Conseil d'Etat a déjà pu juger, dans le même sens, à travers une décision où il a affirmé que lorsque, saisi d'un pourvoi en cassation, la Haute Assemblée casse un arrêt de cour administrative d'appel sans avoir besoin de statuer sur un moyen fondé, mais surabondant, qui a été soulevé pour la première fois devant lui, la cour de renvoi n'est pas automatiquement saisie de ce moyen. S'il n'est pas d'ordre public, la cour de renvoi n'a pas y répondre (21). Au final, on peut dire que la solution de l'arrêt d'espèce a sans doute été adoptée pour des raisons de commodité, eu égard à la charge de travail considérable des cours administratives d'appel, mais la base théorique de la décision, comme on a pu le démontrer (22), n'est pas évidente : la césure ainsi placée, dans la procédure contentieuse, peut paraître assez artificielle et difficilement compréhensible par le justiciable, d'où la méconnaissance possible de ce qui doit normalement relever d'une bonne administration de la justice.

  • Absence de méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure dès lors que les juges du fond ne se sont pas fondés sur les éléments de droit et de fait de la production d'un mémoire non communiqué (CE 4° et 5° s-s-r., 6 novembre 2013, n° 351194, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0927KPZ)

Longtemps, le juge administratif n'a eu que peu de prise sur l'impact temporel de ses décisions. L'illégalité de la décision administrative emporte sa disparition rétroactive de l'ordre juridique. Il en va de même de la norme prétorienne issue de l'évolution jurisprudentielle applicable aux faits de l'espèce survenus antérieurement à son édiction. Ce temps est désormais révolu. Conscient des conséquences potentiellement déstabilisantes de ses décisions, le juge administratif aménage, par vagues successives, des périodes transitoires en repoussant les effets de ses décisions dans le temps. Le juge administratif se libère progressivement de l'emprise du temps, perçu et vécu comme une contrainte. En reportant les effets de ses décisions, le juge administratif joue avec le temps et définit librement la période transitoire qui ne connaît pas leur application. L'exemple typique de la mise en place de cette nouvelle liberté est la nouvelle jurisprudence concernant les mémoires communiqués après la clôture de l'instruction.

S'agissant des effets attachés à la clôture de l'instruction, l'article R. 613-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5878IGS) l'énonce, de façon très stricte, que "les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction". Le Conseil d'État a, néanmoins et dans une très large mesure, neutralisé cette disposition. Dans ses décisions "Leniau" (23) et "Préfet des Pyrénées-Orientales" (24), il a en effet facilité une meilleure prise en compte des productions intervenant après le terme officiel de l'instruction. Au fond, ces deux arrêts de principe mettent en place un régime très proche, fondé sur le pouvoir inquisitorial du juge et justifié par la nécessité pour le juge de remplir son office de "bien juger". Sont concernés, non seulement les mémoires, mais également l'ensemble des pièces produites tardivement par les parties. Il y a alors trois obligations qui pèsent sur le juge. Ce dernier a l'obligation d'examiner la pièce. Il doit également la mentionner dans les visas mais sans l'analyser. Enfin, si le juge souhaite "prendre en compte" la pièce, il devra nécessairement rouvrir l'instruction afin qu'un débat contradictoire puisse avoir lieu.

En l'espèce, la pièce a été mentionnée dans les visas sans avoir été analysée et le requérant reproche aux juges du fond la non-communication du mémoire et la non-possibilité de le discuter et donc que la procédure aurait été conduite en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure. Pour le Conseil d'Etat, à partir du moment où la cour administrative d'appel ne s'est pas fondée, dans les motifs de son arrêt, qui reprennent le raisonnement des premiers juges, sur des éléments de faits ou de droits contenus dans le mémoire produit après la clôture de l'instruction, il n'y a pas méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure.

En agissant de la sorte, le juge administratif confirme une jurisprudence constante rendue en la matière. La production d'un mémoire en réplique du défendeur quelques jours avant la clôture n'oblige pas le juge à prolonger l'instruction, dès lors que ce mémoire ne contient pas d'éléments nouveaux sur lesquels la décision s'est fondée (25). De même, la production d'un mémoire après clôture n'oblige pas le juge à rouvrir l'instruction dès lors qu'il ne contient pas de pièces nouvelles dont les requérants n'auraient pas été en mesure de faire état avant cette clôture et n'expose aucune circonstance de droit nouvelle ou que le juge aurait dû relever d'office (26). Si le juge doit toujours prendre connaissance des mémoires produits, même après la clôture de l'instruction, il ne doit tenir compte des éléments que ceux-ci mettent en avant, que lorsqu'ils correspondent, soit à une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit à une circonstance de droit nouvelle, soit à une circonstance que le juge devrait relever d'office, les deux premières hypothèses nécessitant une relance du contradictoire.

Mais si l'arrêt d'espèce confirme une jurisprudence constante, il va aussi à l'encontre de la tendance à l'extension du principe du contradictoire. On peut ainsi citer l'arrêt "Chambre de commerce et d'industrie d'Angoulême" (27), où le principe du contradictoire est pour le moins largement entendu. Dans cet arrêt, le juge, qui fait application de règles issues d'une jurisprudence nouvelle postérieure à la clôture de l'instruction mais qui n'invite pas les parties à présenter leurs observations, méconnaît le caractère contradictoire de la procédure. Le juge administratif, lorsqu'il est amené à régler un litige sur un autre terrain juridique que celui débattu par les parties en raison d'une décision du Conseil d'Etat intervenue postérieurement à la clôture de l'instruction, doit inviter les parties à présenter leurs observations. Cette décision place sous la coupe du contradictoire l'application de règles issues d'une jurisprudence nouvelle intervenue après la clôture de l'instruction et qui conduit le juge administratif à "régler l'affaire sur un terrain dont les parties n'avaient pas débattu". Par terrain, il faut entendre le fondement juridique. Il ne s'agit pas, précise le Conseil d'Etat, de communiquer un moyen d'ordre public. Le juge se borne, en effet, à se placer sur le "terrain juridiquement approprié" sans soulever d'office un moyen à soumettre à la contradiction. L'obligation d'en informer préalablement les parties ne relève donc pas de la procédure particulière prévue pour les moyens d'ordre public. Elle se rattache simplement aux exigences du contradictoire (28). Le caractère du contradictoire fonde la solution de la décision ainsi dévoilée mais Il ne s'agit certainement pas pour autant d'en déduire un droit pour les parties de répondre au juge ou de s'engager dans un débat contradictoire avec lui. Si ces exigences sont en ligne de mire ici, c'est, bien plutôt, qu'une procédure contentieuse n'a de sens qu'à condition pour les parties d'avoir débattu entre elles de chacun des éléments mis en balance par le juge pour se forger, éclairé par ce dialogue qui se déroule devant lui, une conviction sur le litige. En cela, elles interdisent à ce même juge de regarder se dérouler sans rien faire une discussion dont il sait, parce que l'essentiel est ailleurs, qu'il n'en pourra rien tirer.

La décision d'espèce rentre dans ces considérations. Outre son rôle de sécurisation de l'activité administrative, la procédure sert aussi à réguler le procès administratif, à imposer des règles qui doivent permettre au juge de remplir son office de manière sereine. Ouvrir le prétoire de façon inconditionnelle déboucherait sur un désordre perturbant, tant pour le juge, que pour le justiciable. Des bornes doivent être instituées et cette fonction de régulation est naturelle et légitime.


(1) Les dispositions relatives à l'expertise sont codifiées par le décret n° 2000-389 du 4 mai 2000, relatif à la partie réglementaire du Code de justice administrative (N° Lexbase : L0210IQT), aux articles R. 621-1 (N° Lexbase : L5937IGY) à R. 621-14 du Code de justice administrative.
(2) Il est exceptionnel devant le juge de cassation : celui-ci juge du droit et non des faits, ne peut ordonner l'expertise que s'il décide, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de régler l'affaire au fond après cassation, ce qui lui permet alors de trancher lui-même les faits.
(3) Il lui est possible notamment de l'ordonner même dans les matières d'excès de pouvoir dans lesquelles il n'exerce qu'un contrôle restreint (CE 2° et 6° s-s-r., 2 mars 1979, n° 93708, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2541AKC, Rec. CE, p. 90).
(4) Depuis un décret n° 59-515 du 10 avril 1959, modifiant la procédure à suivre devant les tribunaux administratifs, il a été mis fin au régime, hérité des conseils de préfecture, dans lequel le tribunal administratif était, en matière de travaux publics, tenu d'ordonner l'expertise lorsqu'elle lui était demandée.
(5) Le juge administratif est tenu d'ordonner une expertise dans trois cas :
- en premier lieu, le tribunal administratif doit désigner un expert -à la demande de l'administration- en vue de dresser un procès-verbal devant fournir les éléments nécessaires à l'évaluation des dommages causés par l'exécution de travaux publics en application de l'article 7 de la loi du 29 décembre 1892, relative aux dommages causés à la propriété privée par l'exécution des travaux publics ;
- en second lieu, l'expertise est obligatoire dans le cadre de la procédure de péril imminent, afin d'examiner les bâtiments en cause, dresser le constat de leur état et proposer des mesures de nature à mettre fin à l'imminence du péril, si celle-ci est constatée (CCH, art. L. 511-3 N° Lexbase : L8187HEX et CJA, art. R. 556-1 N° Lexbase : L7126HZX) ;
- en troisième lieu, la juridiction administrative ordonne automatiquement une expertise lorsque le maire la saisit en cas d'urgence ou de menace grave et imminente concernant les immeubles collectifs à usage principal d'habitation afin d'examiner l'état des équipements communs dudit immeuble (CCH, art. L. 129-3 N° Lexbase : L7011IGR).
(6) CE, S., 30 janvier 1970, n° 73006, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0579B9C), Rec. CE, p. 73.
(7) CE 3° et 6° s-s-r., 7 mai 1969, n° 73879, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5014B7T), Rec. CE, p. 244.
(8) CE 5° et 7° s-s-r., 14 mai 2003, n° 250585, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0437B7C).
(9) CE 9° et 10° s-s-r., 7 octobre 2010, n° 323882, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3517GBU), Rec. CE, Tables, p. 896.
(10) CE 2° et 6° s-s-r., 30 janvier 1980, n° 00617, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0611B9I), Rec. CE, p. 56.
(11) CE 2° et 6° s-s-r., 29 janvier 1975, n° 96278, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9633B8B), Rec. CE, p. 61.
(12) CE 3° et 5° s-s-r., 13 décembre 1995, n° 171914, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9816B7P).
(13) CE 1° et 6° s-s-r., 28 septembre 2011, n° 345309, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1545HYU), Rec. CE, Tables, p. 1110.
(14) CE 4° et 1° s-s-r., 27 octobre 1997, n° 164187, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4656ASA), Rec. CE, p. 374.
(15) CE, 15 juillet 1957, Reteuna et autres, Rec. CE, Tables, p. 1005.
(16) CE, S., 9 octobre 1964, Pioton, Rec. CE, p. 458.
(17) CE, S., 20 juin 1958, Louis, Rec. CE, p. 368.
(18) CE 8° et 9° s-s-r., 5 juin 1996, n° 142870, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9615ANG).
(19) CE, 8 juillet 1904, n° 11574, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5684B7N), Rec. CE, p. 557, concl. Romieu, DP. 1906, 3, p. 33, S. 1905, 3, p. 1, note M. Hauriou.
(20) Cass. civ. 2, 16 avril 1964, Bull. civ. II, n° 292 ; Cass. soc., 4 février 1982, Bull. civ. V, n° 65.
(21) CE 9° et 10° s-s-r., 10 octobre 2001, n° 199333, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1916AXA), Droit fiscal, 2002, n° 10, 6 Mars 2002, comm. 208.
(22) Voir, pour l'ensemble des remarques, les conclusions du commissaire du Gouvernement Martial sous CE 9° et 10° s-s-r., 10 octobre 2001, n° 199333, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc..
(23) CE 3° et 8° s-s-r., 12 mai 2003, n° 231955, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0369B7S), Rec. CE, Tables p. 309, RFDA, 2003, p. 307, concl. D. Piveteau.
(24) CE, S., 27 février 2004, n° 252988, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0369B7S), Rec. CE, p. 94.
(25) CE 3° et 8° s-s-r., 23 mai 2003, n° 231720, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9440C7R), Dr. fisc. 2003, n° 37, comm. 636, concl. P. Collin.
(26) CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 258164, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1312DKS), Rec. CE, Tables, p. 1051, Dr. fisc., 2006, n° 26, comm. 476, concl. L. Olléon.
(27) CE, S., 19 avril 2013, n° 340093, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4174KCL).
(28) La jurisprudence en cause était celle issue de la décision "Commune de Béziers" (CE, S., 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0493EQC, Rec. CE, p. 509), qui fait prévaloir l'exigence de loyauté des relations contractuelles sur l'annulation du contrat quand l'irrégularité commise, en l'occurrence les conditions dans lesquelles les parties avaient donné leur consentement, n'est pas d'une gravité insurmontable. Il s'agissait ici de l'incompétence du signataire du contrat. Mais le vice n'était pas suffisamment grave pour écarter la convention, car l'autorité compétente avait approuvé l'opération. Appliquant la nouvelle jurisprudence, le juge d'appel avait réglé le litige sur le terrain contractuel, alors que les parties, inspirées par les anciennes règles et qui admettaient l'irrégularité, avaient débattu sur le terrain quasi-contractuel et quasi-délictuel.

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Procédure administrative

[Brèves] Délai d'exercice du second recours contre une décision notifiée sans mention des voies et délais de recours

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 11 décembre 2013, n° 365361, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3728KRI)

Lecture: 1 min

N9878BTZ

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Le 19 Décembre 2013

Le Conseil d'Etat précise le délai d'exercice du second recours contre une décision notifiée sans mention des voies et délais de recours, dans un arrêt rendu le 11 décembre 2013 (CE 2° et 7° s-s-r., 11 décembre 2013, n° 365361, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3728KRI). Aux termes de l'article R. 421-5 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3025ALM) : "les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision". L'auteur d'un recours juridictionnel tendant à l'annulation d'une décision administrative doit être réputé avoir eu connaissance de la décision qu'il attaque au plus tard à la date à laquelle il a formé son recours. Si un premier recours contre une décision notifiée sans mention des voies et délais de recours a été rejeté, son auteur ne peut introduire un second recours contre la même décision que dans un délai de deux mois à compter de la date d'enregistrement du premier au greffe de la juridiction saisie. Par suite, l'ordonnance attaquée, qui est suffisamment motivée, a pu, sans erreur de droit, juger que le délai de recours de deux mois devait être décompté à partir du 10 septembre 2012, date d'enregistrement de la première demande de Mme X, qu'il était expiré le 14 novembre 2012, date de sa nouvelle demande devant le tribunal administratif de Paris, et que celle-ci était donc tardive (cf. l’Ouvrage "Procédure administrative" N° Lexbase : E4968EXB et lire N° Lexbase : N9902BTW).

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Propriété intellectuelle

[Brèves] Condition de recevabilité de l'action en contrefaçon engagée par l'auteur de l'oeuvre première dirigée exclusivement à l'encontre de l'exploitant d'une oeuvre de collaboration

Réf. : Cass. civ. 1, 11 décembre 2013, n° 12-25.974, FS-P+B (N° Lexbase : A3457KRH)

Lecture: 1 min

N9913BTC

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Le 03 Janvier 2014

Il résulte de l'article L. 113-3 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3339ADZ) que la recevabilité de l'action engagée par l'auteur de l'oeuvre première et dirigée exclusivement à l'encontre de l'exploitant d'une oeuvre de collaboration arguée de contrefaçon n'est pas subordonnée à la mise en cause de l'ensemble des coauteurs de celle-ci. Tel est le principe énoncé par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 11 décembre 2013 (Cass. civ. 1, 11 décembre 2013, n° 12-25.974, FS-P+B N° Lexbase : A3457KRH). En l'espèce, un producteur de disques a, en vertu d'un contrat d'enregistrement exclusif conclu avec un compositeur et artiste-interprète, produit deux phonogrammes du commerce contenant quatre oeuvres dérivées ainsi qu'un DVD reproduisant des extraits de deux oeuvres. L'auteur des paroles des oeuvres reprochant au producteur d'avoir ainsi porté atteinte à ses droits patrimoniaux et à son droit moral d'auteur a engagé une action en contrefaçon à son encontre. Le producteur a été condamné pour atteinte au droit moral de l'auteur pour avoir exploité les enregistrements de plusieurs oeuvres sans l'autorisation du titulaire de droits mais ce dernier a été déclaré irrecevable en ses demandes fondées sur l'atteinte à ses droits patrimoniaux et en sa demande subséquente d'interdiction. Il a donc formé un pourvoi en cassation. En effet, après avoir relevé que, dans la mesure où elle serait reconnue bien fondée au fond, l'action en contrefaçon ne manquerait pas d'affecter, compte tenu des mesures réparatrices sollicitées, les conditions de l'exploitation future des enregistrements des oeuvres musicales litigieuses et, partant, les droits de leurs coauteurs, la cour d'appel retient qu'il appartenait, dès lors, à l'auteur des paroles de mettre en cause l'ensemble de ceux-ci. Enonçant le principe précité, la Cour de cassation casse sur ce point précis l'arrêt d'appel : en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, l'action en contrefaçon était exclusivement dirigée contre une société, en sa qualité de producteur des oeuvres musicales incriminées, la cour d'appel a violé l'article L. 113-3 du Code de la propriété intellectuelle.

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