La lettre juridique n°943 du 20 avril 2023 : Procédure pénale

[Focus] Précisions sur la déclaration d’appel en matière de détention provisoire

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par Trystan Lauraire, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux - ISCJ, Avocat au barreau de Marseille – Cabinet GILETTA

le 20 Avril 2023

Mots-clés : procédure pénale • détention provisoire • appel • déclaration d’appel • formalisme • article 502 du Code de procédure pénale • article 503 du Code de procédure pénale

Par plusieurs arrêts, la Chambre criminelle a apporté des précisions importantes sur les dispositions encadrant la déclaration d’appel d’une ordonnance de placement ou de prolongation de détention provisoire. Globalement exigeantes et peu favorables au mis en examen, les solutions retenues semblent davantage dictées par des impératifs de bonne administration de la justice que par l’effectivité du droit à un recours judiciaire effectif.


 

Le contentieux de la détention pré-sentencielle demeure un pan important de l’activité quotidienne des cabinets pénalistes. La durée moyenne des informations judiciaires, l’importance de comparaître libre devant la juridiction de jugement ayant à connaître du dossier et, naturellement, l’attrait pour la liberté font de l’appel d’une ordonnance de placement ou de prolongation de détention provisoire un passage obligé dans nombre de procédures. Reste, néanmoins, que la possibilité de présenter sa cause devant la chambre de l’instruction suppose de respecter certaines exigences formelles sur lesquelles la Cour de cassation a récemment eu à se pencher.

Aux termes des dispositions de l’article 502 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7522LPB, la déclaration d’appel doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée et être signée par ce dernier ainsi, sauf impossibilité, que par l’appelant ou par son conseil. Comme le rappelle régulièrement la Chambre criminelle, ces prescriptions sont d’ordre public de sorte que leur inobservation, sanctionnée par la nullité de la déclaration d’appel, peut être soulevée à tous les stades de la procédure et cela, même, d’office [1].

Afin, toutefois, de faciliter les démarches pour les détenus et ainsi garantir leur droit à un recours effectif, l’article 503 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3897AZD permet à l’appelant détenu de former un appel au moyen d’une déclaration auprès du chef d’établissement pénitentiaire, ladite déclaration devant être constatée, datée et signée par celui-ci ainsi que par l’appelant sauf impossibilité, puis être adressée, sans délai, au greffe de la juridiction ayant rendu la décision attaquée. Là encore, ces formalités substantielles [2] jouissent d’une grande reconnaissance normative puisqu’elles sont d’ordre public.

L’impériosité des règles encadrant la déclaration d’appel conduit, irrémédiablement, à s’interroger sur l’interprétation donnée, par la Chambre criminelle, aux dispositions précitées (I.). Ce questionnement apparait d’autant plus légitime à l’aune des exigences du droit au procès équitable et de la nature même de la détention provisoire qui, si elle n’entre pas directement en contradiction avec le principe de présomption d’innocence, en raison des objectifs visés par l’article 144 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L9485IEZ, demeure cependant une mesure particulièrement attentatoire à la liberté individuelle ce qui suppose de porter un regard attentif à tout renforcement du formalisme (II.).

I. Une appréhension à géométrie variable des règles relatives à la déclaration d’appel en matière de détention provisoire

À l’image du législateur qui distingue l’appelant libre et l’appelant détenu, la Chambre criminelle semble porter un regard différent sur les dispositions régissant la déclaration d’appel. Si l’interprétation parait favorable au mis en examen lorsque ce dernier réalise sa déclaration selon la voie prescrite par l’article 502 du Code de procédure pénale (A.), il en va autrement pour le régime applicable à l’appelant détenu (B.).

A. Une lecture souple des dispositions applicables à l’appelant libre

Par un arrêt récent publié au bulletin [3], la Chambre criminelle est venue rappeler une précision importante, qu’elle avait déjà retenue dans une précédente décision en date du 26 octobre 2022 [4]  quant aux possibilités offertes par les dispositions de l’article 502 du Code de procédure pénale.

En l’espèce, un mis en examen avait, lors de son placement en détention provisoire, apposé la mention manuscrite « je fais appel », à côté de sa signature, dans la rubrique dédiée à la notification de l’ordonnance. L’appel de ladite ordonnance était déclaré irrégulier aux motifs que l’ordonnance sur laquelle a été portée la mention précitée n’avait pas été signée par le greffier puisque la signature de ce dernier n’y figurait qu’au titre de l’accomplissement de la formalité de notification à l’avocat. Les juges en déduisirent que le greffier n’avait pas eu connaissance de la déclaration d’appel dans des conditions conformes à l’article 502 du Code de procédure pénale.

L’argumentation développée par la chambre de l’instruction n’emporta, toutefois, pas l’adhésion des magistrats du quai de l’horloge. Après avoir rappelé qu’il résultait de l’article 502 du Code de procédure pénale que « la déclaration d’appel est faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée », la Chambre criminelle considéra que l’appel était recevable et, partant, cassa la décision sans renvoi en plaçant le mis en examen sous contrôle judiciaire. La Cour procéda à un raisonnement en trois temps puisqu’elle releva que le débat contradictoire de placement en détention s’est tenu en présence du juge saisi, du greffier et du mis en examen (1) ; que ce dernier a apposé sa signature au pied de la copie de l’ordonnance de placement, en présence du greffier qui a lui aussi apposé sa signature (2) et, enfin, que le mis en examen a manifesté, sans équivoque, sa volonté de faire appel, devant le greffier, en ajoutant à côté de sa signature la mention précitée (3).

Si des réserves, relatives notamment à la chronologie entre l’apposition de la mention « je fais appel » accompagnée de la signature du mis en examen et celle du greffier, mention dont on pouvait légitimement supposer que le greffier n’avait pas eu connaissance et, dès lors, qu’il ignorait la volonté de l’appelant de former un recours contre l’ordonnance de placement en détention provisoire, ont pu être formulées [5], il reste, néanmoins, que la position consacrée est conforme à la lettre de l’article 502 du Code de procédure pénale. On ne peut, en effet, que constater que les exigences tenant tant à la détermination du greffier territorialement compétent qu’à la double signature de l’acte, sont remplies. De même, le contenu de la mention manuscrite, associé à sa localisation – à savoir la copie de l’ordonnance de placement – et à sa temporalité – à savoir lors de la signature de ladite ordonnance devant le greffier, et cela, à l’issue du débat contradictoire – démontrent à la fois le caractère non équivoque de la volonté de l’appelant et la connaissance de cette volonté par le greffier. En ce sens, il faut préciser que dans les motifs de l’arrêt du 26 octobre 2022, la Chambre criminelle a retenu qu’en signant l’ordonnance de placement en détention provisoire, le greffier avait « nécessairement pris connaissance » de la mention opposée et, partant, de la volonté déclarée du mis en examen de faire appel [6]. À charge, donc, pour cet auxiliaire de justice, de vérifier les actes qu’il transmet, pour signature, au mis en examen afin de s’assurer de la volonté de ce dernier.

Outre qu’elle aurait abouti à une lecture constructive mal venue de l’article 502 du Code de procédure pénale en imposant un formaliste excessif, voire, surabondant au regard de la disposition, une position inverse, telle que celle retenue par la chambre de l’instruction, aurait conduit à privilégier la sanction de l’appelant à celle du greffier dans l’exercice des diligences qui incombent à sa mission. De même, il eut été inopportun, à l’heure de la rationalisation tous azimuts de la procédure, d’imposer au mis en examen et, par extension, au service de la maison d’arrêt, des diligences complémentaires là où trois mots au pied d’une ordonnance permettent de satisfaire aux impératifs du Code de procédure pénale. En ce sens, la Cour de cassation a pu préciser qu’en présence d’une telle mention sur l’ordonnance de placement en détention provisoire, le refus ultérieur de formaliser sa déclaration d’appel auprès du chef de l’établissement pénitentiaire ne pouvait être reproché à l’appelant [7]. La Cour de cassation fait ainsi montre d’une opportune bienveillance à l’endroit de l’appelant libre qui tranche, toutefois, avec le regard porté sur les dispositions applicables à l’appelant détenu.

B. Une lecture rigoureuse des dispositions applicables à l’appelant détenu

La Cour de cassation a eu, moins d’un mois après la décision du 15 novembre 2022, à se prononcer sur une situation particulièrement proche… à tout le moins en apparence. Ici, un mis en examen, placé en détention provisoire, fait une demande de mise en liberté rejetée par ordonnance en date du 18 juillet 2022. Le jour même, le greffier du juge saisi transmet au greffe de l’établissement pénitentiaire, pour notification de cette décision et remise d’une copie au détenu, un récépissé que le mis en examen a, le lendemain, renseigné en y apposant, de sa main, la date, sa signature ainsi que la mention « je veux faire appel du rejet ». Le 5 septembre 2022, le conseil du mis en examen saisit le juge d’instruction d’une demande de mise en liberté en arguant que son client était détenu sans titre faute pour la chambre de l’instruction d’avoir statué dans le délai légal sur l’appel de l’ordonnance de rejet de la demande de mise en liberté. Saisie, la chambre de l’instruction écarta cette demande en constatant qu’il n’avait été relevé aucun appel de l’ordonnance ayant rejeté la demande de mise en liberté. Aussi, la Chambre criminelle valida l’analyse des juges du fond en considérant, premièrement, que la mention précitée n’avait été apposée, ni au pied de l’ordonnance contestée, ni en présence du greffier du juge saisi, mais seulement, sur un imprimé dédié à la notification, et deuxièmement, que cet imprimé était destiné, non au greffe de l’établissement pénitentiaire, mais à celui du juge d’instruction, de sorte qu’il ne valait pas lettre d’intention [8].

Antagonistes quant à leurs effets, identiques quant aux mentions apposées par le mis en examen, les arrêts du 15 novembre et du 13 décembre ne sont pas, pour autant, en contradiction, puisque les régimes applicables sont différents. La première décision est, en effet, rendue sur le fondement de l’article 502 du Code de procédure pénale – correspondant donc à la situation de l’appelant libre – là où la seconde est basée sur l’article 503 du même code applicable à l’appelant détenu. Il faisait donc, dans cette seconde espèce, obligation au mis en examen de manifester son intention de faire appel au greffe de l’établissement pénitentiaire afin que sa volonté d’user de cette voie de droit soit établie. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la Cour de cassation se montre rigoureuse dans l’appréhension de la volonté de l’appelant, dès lors que, selon une jurisprudence constante, le juge est tenu d’examiner la seule manifestation non équivoque de la volonté de faire appel [9]. Aussi, la Cour fait une application particulièrement stricte de ce principe puisqu’elle considère qu’un courrier, adressé au greffe pénitentiaire, comportant plusieurs demandes, ne manifeste pas clairement l’intention du mis en examen de faire appel [10].

Il n’y a, du reste, qu’un pas entre l’attention portée à la qualité de la résolution du mis en examen et la rigueur formaliste dont fait montre la Cour de cassation. Comment considérer que la multiplicité des demandes fait échec à l'extériorisation de l’intention de faire appel lorsque l’individu l’exprime ainsi « Par ailleurs, je souhaite aussi faire appel du rejet de ma demande de mise en liberté » ? [11] Cependant, c’est oublier que la confusion des demandes rend leur orientation délicate de sorte que l’impériosité formaliste, indispensable à la bonne administration de la justice, semble davantage dicter la solution de la Cour que la difficulté d’appréhender la réelle volonté du mis en examen. On peut, en ce sens, relever que dans un arrêt du 8 septembre 2022, la Chambre criminelle, en prenant comme précédent la décision du 25 mai, a sanctionné une chambre de l’instruction qui avait considéré qu’un courrier, formulant plusieurs demandes dont l’une était énoncée ainsi « je souhaite faire appel de mon refus de mise en liberté », produisait le même effet qu’une déclaration d’appel auprès du chef d’établissement, de sorte que l’appel était recevable. Plus que dans son dispositif, l’intérêt de cette décision se trouve dans ses motifs puisque nulle référence à l’intention n’est faite ici ; la Cour relevant seulement que le courrier adressé, dans le délai légal d’appel par la personne détenue au greffe pénitentiaire et qui n’y a pas été conduite en temps utile pour lui permettre de former la déclaration, ne produit les mêmes effets que celle-ci que s’il a pour unique objet d’exercer cette voie de recours [12]. Certes, le caractère non équivoque de la manifestation de volonté est, selon la Cour de cassation, inextricablement lié au formalisme dès lors que l’unicité de la demande constitue une formalité essentielle annonçant clairement son objet destinée à permettre au greffier d’enregistrer la demande sans avoir à l’interpréter [13]. Pour autant, la formule employée par le mis en examen – « je souhaite faire appel de mon refus de mise en liberté » –  dissipait, à elle seule et comme le soulignait la chambre de l’instruction, toute équivoque quant aux intentions de ce dernier de sorte que, comme le révèle d’ailleurs la motivation de la Cour, le formalisme prescrit ne s’impose pas, réellement, en tant que concrétisation de l’impératif de connaître les intentions de l’appelant mais bien comme une obligation autonome légitimée par la sanction du défaut de réponse dans les délais légaux. Reste, néanmoins, qu’une telle sévérité interroge.

II. Une appréhension discutable au regard des enjeux de l’appel en matière de détention provisoire

Les effets attachés à la déclaration d’appel d’une ordonnance de placement ou de prolongation de détention provisoire rendent délicate la détermination d’un formaliste juste et proportionné. Si les conséquences attachées au non-respect des délais légaux imposent un formalisme particulièrement rigoureux (A.), la concrétisation du droit à recours judiciaire effectif appelle à un regard plus mesuré (B.).

A. Un formalisme légitimé par les conséquences du non-respect des délais légaux

Le formalisme attaché à la déclaration d’appel relative au placement ou à la prolongation de détention provisoire répond, en grande partie, aux effets du non-respect des délais légaux. Il en est ainsi pour l’appelant dès lors que le non-respect du délai d’appel sera sanctionné par l’irrecevabilité de la demande. La nécessité de respecter, strictement, les règles édictées facilite ainsi l’appréciation de la recevabilité de la demande. Aussi, la Cour a récemment rappelé le lien entre le formalisme de l’appel et sa recevabilité. En l’espèce, un mis en examen, placé en détention provisoire le 20 mai 2022, avait rempli un imprimé, en le datant du 30 mai, dans lequel il indiquait sa volonté de relever appel de son placement en détention. Ce courrier fut enregistré seulement le 1er juin, de sorte que son appel fut jugé irrecevable. La Cour de cassation valida la position de la chambre de l’instruction en considérant que seul l’enregistrement conférait une date certaine à la requête de sorte que faute d’être intervenue dans le délai légal, cette dernière ne peut avoir les mêmes effets qu’une déclaration d’appel [14]. Le formalisme, à savoir l’enregistrement, atteste ainsi de la véracité des informations contenues dans la requête, au premier rang desquelles la date de la déclaration d’appel. On peut d’ailleurs souligner combien, dans la seconde espèce du 15 novembre 2022 [15], la Cour de cassation insista sur la présence de l’auxiliaire de justice lors de l’opposition de la mention, « je fais appel » dans la rubrique dédiée à la notification de l’ordonnance [16]. Aussi, la date de la déclaration d’appel ne faisait, dans cette seconde espèce, aucun doute.

Interrogée sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 503 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation a souligné les liens entre formalisme et délais. Les promoteurs de la question prioritaire de constitutionnalité arguaient que ces dispositions, interprétées par la Cour de cassation comme interdisant à la personne détenue d’interjeter appel d’une ordonnance en apposant directement sur celle-ci, devant le greffier pénitentiaire procédant à sa notification, une mention claire et univoque de sa volonté d’interjeter appel, méconnaissaient le droit à un recours effectif et la liberté individuelle. Non-renvoyée par la Haute juridiction judiciaire car jugée dénuée de caractère sérieux, la question permit à cette dernière d’affirmer que « l’exigence, prévue à peine d’irrecevabilité, d’une déclaration d’appel constatée, datée et signée par le chef d’établissement pénitentiaire poursuit, en prévoyant une procédure particulière dans une matière encadrée par des délais impératifs, l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice » [17]. On ne peut, en effet, occulter le fait que le défaut de réponse dans les délais légaux conduit, mécaniquement, à la mise en liberté de l’appelant de sorte que la date de la déclaration d’appel, et à travers elle, le formalisme attestant de cette information, justifie la rigidité de la Cour. Ainsi, l’aléa résultant d’une mauvaise orientation d’un courrier composé de plusieurs demandes ou le doute intrinsèque à une datation à la véracité indémontrable sont incompatibles avec les effets attachés à la déclaration d’appel. Il n’en demeure pas moins que cette rigueur se fait au détriment du mis en examen, ce qui rend légitime de s’interroger sur la pertinence des solutions dégagées par la Chambre criminelle.

B. Un formalisme excessif au regard de l’effectivité du droit à un recours judiciaire effectif

Compréhensible à l’aune de l’objectif poursuivi, la rigueur affichée n’en demeure pas moins discutable lorsque ledit objectif est mis en balance avec l’atteinte portée au droit du mis en examen à un recours judiciaire effectif. La Chambre criminelle ne demeure d’ailleurs pas hermétique à la protection de ce droit subjectif. Ainsi considère-t-elle que le formalisme imposé par l’article 503 du Code de procédure pénale ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle et au droit à un recours effectif dès lors que l’interprétation constante donnée des dispositions visées reconnait « l’effet d’une déclaration d’appel recevable à l’écrit, reçu dans les délais légaux par l’administration pénitentiaire, manifestant une volonté sans équivoque d’interjeter appel de la personne détenue n’ayant pas été mise en mesure d’exercer son recours dans les formes prévues par la loi » [18]. Une lecture a contrario de ce motif illustre, premièrement, le rejet de principe de l’exercice de l’appel par une forme non prévue par la loi. La jurisprudence illustre, d’ailleurs, parfaitement cette position dès lors que ni l’envoi d’une lettre, simple [19] ou recommandée [20], ni une déclaration verbale [21] ou encore un courrier adressé au procureur de la République [22] ne permettent de suppléer la forme prescrite par le texte. Pour autant, la Cour ouvre une brèche sous réserve de circonstances exceptionnelles [23]. Ainsi, cette dernière considère que « si le courrier réceptionné au greffe de l'établissement pénitentiaire […], par lequel le demandeur a manifesté son intention d'interjeter appel, ne pouvait, à lui seul, constituer la déclaration prévue par l'article 503 du Code de procédure pénale, l'appelant détenu n'ayant pas été conduit à ce greffe dans un délai lui permettant d'exercer utilement la voie de recours, s'est trouvé dans l'impossibilité de s'y conformer de sorte que compte tenu de ces circonstances, la lettre d'intention d'appel reçue au greffe de l'établissement pénitentiaire a produit les mêmes effets qu'une déclaration d'appel » [24]. De même, il a été jugé que « le courrier adressé dans le délai légal d'appel par la personne détenue au greffe pénitentiaire et qui n'y a pas été conduit en temps utile pour lui permettre de former la déclaration d'appel ne produit les mêmes effets que celle-ci que s'il a pour unique objet d'exercer cette voie de recours » [25]. On comprend ainsi que selon la Cour de cassation, la disproportion ne se trouve, aucunement, dans la rigueur formaliste prévue par la loi mais dans l’impossibilité d’user d’une autre voie lorsqu’il serait fait obstacle à l’emprunt de celle prescrite.

Le raisonnement est surprenant en ce qu’il aboutit, finalement, à répondre à une question qui n’était pas réellement posée. La Cour fait, en effet, l’amalgame entre l’absence d’atteinte à la substance du droit et la proportionnalité entre la restriction à ce dernier - en l’espèce les formes prévues par l’article 503 du Code de procédure pénale - et la légitimité du but poursuivi [26]. Si aucune possibilité n’était offerte à un mis en examen, de surcroit détenu, de faire appel en dehors de la voie légale alors qu’il était placé dans l’impossibilité matérielle d’exercer, ainsi, ce droit, l’interprétation de la Cour de cassation consacrerait, inévitablement, une atteinte à la substance du droit d’appel. Pour autant, l’absence d’atteinte à la substance ne signifie pas que la restriction au droit est proportionnée. Sans confusion entre conventionalité et constitutionnalité, la Cour européenne des droits de l’homme a déjà jugé que « l’extrême complexité du droit positif » [27] ou l’interprétation d’une disposition par les juridictions internes aboutissant à un formalisme excessif portait atteinte au droit d’accéder à une juridiction [28].

Tout est donc question de mesure et il n’est pas certain que la Haute juridiction répressive excelle en ce domaine. Outre qu’en l’espèce, elle préfère botter en touche, la jurisprudence en matière d’appel d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel emportant correctionnalisation des faits objets de l’instruction illustre combien la rigueur de la Cour peut, parfois, confiner à l’absurde [29]. Certes, la situation de l’espèce est bien différente en ce qu’ici, la Cour n’exige pas une condition non prévue par les dispositions légales [30]. Il n’en reste pas moins que l’objectif invoqué, à savoir la bonne administration de la justice, peine à justifier les solutions adoptées. Il en va particulièrement ainsi quant au courrier formulant plusieurs demandes. En présence, en effet, d’une formulation claire de la part du mis en examen révélant, de manière non équivoque, son intention de relever appel, l’exigence tenant à l’unicité de la demande ne parait aucunement proportionnée puisque si le traitement tardif d’un courrier valant déclaration d’appel est sanctionné par la mise en liberté automatique, l’irrégularité pour non-respect des exigences formelles aboutit au non-examen du recours et, donc, de facto, au maintien de privation de liberté. Or, dans un État de droit où la liberté doit demeurer le principe, il n’est pas certain que la Cour de cassation ait, comme trop souvent malheureusement, choisi les maux les plus indolores…

À retenir :

  • La mention « je fais appel » apposée, à l’issue des débats, en présence du juge saisi et de son greffier, au pied de l’ordonnance sur laquelle le greffier a lui-même apposé sa signature, manifeste la volonté du mis en examen de faire appel et satisfait aux exigences de l’article 502 du Code de procédure pénale ;
  • La mention « je veux faire appel du rejet », apposée en bas du récépissé de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, en l’absence du greffier saisi, ne satisfait pas aux exigences de l’article 503 du Code de procédure pénale et, partant, ne vaut pas appel de l’ordonnance rendue ;
  • Aux termes de l’article 503 du Code de procédure pénale, le courrier adressé dans le délai légal d’appel par la personne détenue au greffe et qui n’y a pas été conduite en temps utile pour lui permettre de former la déclaration d’appel ne produit les mêmes effets que celle-ci que s’il a pour unique objet d’exercer cette voie de recours.
 

[1] Cass. crim., 16 mars 1964, n° 64-90.031 N° Lexbase : A6768CH7.

[2] Cass. crim., 25 novembre 1970, n° 70-90.569 N° Lexbase : A0012CKN.

[3] Cass. crim., 15 novembre 2022, n° 22-85.097, F-B N° Lexbase : A28668TC : A. Maron et M. Haas, obs., DP, 2023, comm. 10.

[4] Cass. crim., 26 octobre 2022, n° 22-84.914, F-B N° Lexbase : A28668TC.

[5] A. Maron, M. Haas, Formalisme mou, DP 2023, comm. 10.

[6] Cass. crim., 26 octobre 2022, préc.

[7] Idem.

[8] Cass. crim., 13 décembre 2022, n° 22-85.602, F-B N° Lexbase : A67928ZL : A. Maron et M. Haas, obs., DP, 2023, comm. 30.

[9] Cass. crim., 8 octobre 2003, n° 02-81.471 N° Lexbase : A8173C9L.

[10] Cass. crim., 25 mai 2022, n° 22-81.572, F-P+B N° Lexbase : A41177Y7 : A. Maron e M. Haas, obs., DP 2022, comm. 156 ; A.-S. Chavent-Leclère, obs., Procédures, 2022, comm. 209.

[11] A.-S. Chavent-Leclère, préc.

[12] Cass. crim., 6 septembre 2022, n° 22-84.048, F-B N° Lexbase : A18818H7 : A. Maron et M. Haas, obs., DP, 2022, comm. 188.

[13] En ce sens, v. : Cass. crim., 23 janvier 2013, n° 12-86.986, FS-P+B N° Lexbase : A8877I38.

[14] Cass. crim., 15 novembre 2022, n° 22-85.114, F-B N° Lexbase : A21578UG.

[15] Cass. crim., 15 novembre 2022, n° 22-85.097, F-B N° Lexbase : A28668TC.

[16] J. Frinchaboy, Le caractère non équivoque de la déclaration d’appel et l’indispensable réception par le greffier, AJ pénal, 2023, p. 32.

[17] Cass. crim., 22 novembre 2022, n° 22-85.257, F-D N° Lexbase : A96228UW.

[18] Cass. crim., 22 novembre 2022, préc.

[19] Cass. crim., 3 septembre 2003, n° 03-81.518.

[20] Cass. crim., 29 novembre 1983, n° 82-90.287 N° Lexbase : A5069CKX.

[21] Cass. crim., 25 novembre 1970, n° 70-90.569 N° Lexbase : A0012CKN.

[22] Cass. crim., 12 juillet 1962, n° 62-91.009.

[23] Cass. crim., 28 janvier 2020, n° 19-86.863, F-D N° Lexbase : A90093CN.

[24] Cass. crim., 8 avril 2021, n° 21-80.843, F-D N° Lexbase : A12354PG.

[25] Cass. crim., 6 septembre 2022, préc.

[26] CEDH, 28 mai 1985, Req. 8225/78, Ashingdane c/ Royaume-Uni, § 57, Série A n° 93 N° Lexbase : A2007AWA.

[27] CEDH, 16 décembre 1992, Req. 12964/72, Geouffre de la Pradelle c/ France, §§ 33 à 35, Série A n° 253-B N° Lexbase : A6547AWE.

[28] CEDH, 15 décembre 2011, Req. 29938/07, Poirot c/ France, §§ 39 à 46, spéc. 46 N° Lexbase : A7462RXN : Y. Mayaud, obs., RSC, 2012, p. 142.

[29] Sur ce point, v. not. : E. Gallardo, Appel d’une ordonnance de correctionnalisation : pas d’excès de formalisme, JCP, 2014, 789.

[30] Cass. crim., 15 mars 2006, n° 05-87.299, F-D P+F+I N° Lexbase : A1243DPQ ; Cass. crim., 22 août 2007, n° 07-84.087 : A. Maron, obs., DP, 2007, comm. 146. Revirement : Cass. crim., 10 décembre 2008, n° 08-86.812, F-P+F N° Lexbase : A1647ECY.

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