Jurisprudence : CEDH, 16-12-1992, Req. 87/1991/339/412, de Geouffre de la Pradelle c. France

CEDH, 16-12-1992, Req. 87/1991/339/412, de Geouffre de la Pradelle c. France

A6547AWE

Référence

CEDH, 16-12-1992, Req. 87/1991/339/412, de Geouffre de la Pradelle c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1029594-cedh-16121992-req-871991339412-de-geouffre-de-la-pradelle-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

16 décembre 1992

Requête n°87/1991/339/412

de Geouffre de la Pradelle c. France



En l'affaire de Geouffre de la Pradelle c. France*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")** et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
Thór Vilhjálmsson,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh,
S.K. Martens,
I. Foighel,
A.N. Loizou,
F. Bigi,
Sir John Freeland,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 août et 24 novembre 1992,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:



Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 87/1991/339/412. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Tel que l'a modifié l'article 11 du Protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.


PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 13 décembre 1991, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 12964/87) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Raymond de Geouffre de la Pradelle, avait saisi la Commission le 2 février 1987 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 6 et 13 (art. 6, art. 13).

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 24 janvier 1992, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. Thór Vilhjálmsson, M. B. Walsh, M. S.K. Martens, M. I. Foighel, M. A.N. Loizou, M. F. Bigi et Sir John Freeland, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et l'avocat du requérant au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 21 mai 1992 et celui du requérant le 22. Le 8 juillet 1992, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait en plaidoirie.

5. Sur la demande du Gouvernement, le greffier avait invité la Commission à produire les pièces de la procédure suivie devant elle; elle les lui a fournies le 2 avril 1992. Le 9 juin, le requérant a déposé ses prétentions au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention.

6. Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 27 août 1992, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. B. Gain, sous-directeur des droits de l'homme à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,
agent, Mme E. Florent, conseillère de tribunal administratif, détachée à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, M. J. Quinette, ministère de l'Equipement, du Logement et des Transports, direction de l'architecture et de l'urbanisme,
conseils;

- pour la Commission

M. J.-C. Soyer,
délégué;

- pour le requérant

Me D. Foussard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
conseil.

La Cour a entendu les déclarations de M. Gain pour le Gouvernement, M. Soyer pour la Commission et Me Foussard pour le requérant ainsi que des réponses à ses questions.


EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

7. Ressortissant français, Me Raymond de Geouffre de la Pradelle exerce la profession d'avocat. Il habite à Paris où il a son cabinet.

Il est propriétaire, dans le département de la Corrèze, d'un domaine d'environ 250 hectares traversé en partie par la rivière la Montane et situé sur le territoire des communes de Saint-Priest-de-Gimel et de Gimel. Afin d'alimenter en électricité le château de Saint-Priest, situé sur ses terres, il envisagea de transformer en micro-centrale autonome un barrage hydro-électrique désaffecté de longue date. Le 9 janvier 1976, Electricité de France émit un avis favorable. Le 21 janvier 1977, puis le 10 avril 1979, le Conseil général de la Corrèze donna son accord de principe.

8. Le 3 avril 1980, le ministre de l'Environnement et du Cadre de vie décida d'ouvrir une procédure afin de classer les terrains de la vallée de la Montane comme site pittoresque d'intérêt général; l'opération couvrait une superficie de 80 hectares appartenant pour l'essentiel au requérant.

Le préfet de la Corrèze informa l'intéressé de cette décision par une lettre du 12 mai 1980; en application de l'article 9 de la loi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites (paragraphe 18 ci-dessous), qui interdit pendant douze mois toute modification de l'état des lieux d'un site en instance de classement, il rejeta aussi la demande d'autorisation d'aménagement hydro-électrique.

9. Invité, avec les sept autres propriétaires concernés, à présenter des observations éventuelles sur le projet de classement (article 5-1 de la loi du 2 mai 1930, paragraphe 18 ci-dessous), le requérant exprima son opposition par une lettre du 22 mai 1980 au préfet de la Corrèze.

10. Un arrêté préfectoral du 7 octobre 1980, communiqué personnellement aux intéressés (article 4 du décret n° 69-607 du 13 juin 1969, paragraphe 19 ci-dessous), ouvrit une enquête publique. Dans ce cadre, M. de Geouffre de la Pradelle transmit au préfet un "mémoire d'opposition" par lequel il contestait l'utilité même du classement et suggérait l'organisation d'une "visite contradictoire du site".

11. Le 4 juillet 1983, après un avis favorable de la commission supérieure des sites, le Premier ministre prononça le classement de la vallée de la Montane par décret en Conseil d'Etat (article 6 de la loi du 2 mai 1930 - paragraphe 18 ci- dessous). Le 12 juillet, le Journal officiel en publia l'extrait que voici:

"Par décret en date du 4 juillet 1983, est classé parmi les sites pittoresques du département de la Corrèze l'ensemble formé par le site de la vallée de la Montane sur le territoire des communes de Gimel et de Saint- Priest-de-Gimel(1).

(1) Le plan et le texte intégral de ce décret pourront être consultés à la préfecture de la Corrèze."

Le présent décret sera notifié au préfet, commissaire de la République du département de la Corrèze, et aux maires des communes concernées.

12. Le 13 septembre 1983, le préfet de la Corrèze signifia au domicile parisien du requérant l'intégralité du texte du décret ainsi qu'une lettre ainsi libellée:

"(...)

J'ai l'honneur de vous notifier par la présente lettre le décret en date du 4 juillet 1983 classant parmi les sites l'ensemble formé par la vallée de la Montane à Gimel et St Priest-de-Gimel, situé en partie sur votre propriété.

Je crois devoir vous rappeler que dans la zone protégée, vous devez vous conformer aux obligations prévues par la loi modifiée du 2 mai 1930 relative à la protection des sites, notamment en ses articles 11, 12, 13 qui traitent de l'aliénation, de la modification et de l'établissement d'une servitude par convention qui viendraient à intéresser un site classé.

(...)"

13. Le 27 octobre 1983, le requérant, par l'intermédiaire de son avocat, saisit le Conseil d'Etat d'un recours en annulation du décret du 4 juillet 1983.

14. En ordre principal, le ministre de l'Urbanisme, du Logement et des Transports releva que le recours était "apparemment formé hors délai"; le décret de classement ne s'accompagnant pas "de prescriptions spéciales", le délai à observer "courait à compter de sa publication au Journal officiel".

15. Dans sa réplique, l'intéressé commençait par contester l'interprétation donnée par l'administration aux articles 6 et 7 du décret du 13 juin 1969 (paragraphe 19 ci-dessous), selon laquelle, en l'absence de prescriptions particulières, le délai de recours se calculait à compter du jour de la publication de la décision de classement au Journal officiel. Il voyait dans "la solution invoquée par l'Administration (...) un facteur de troubles pour les administrés". "Peut-on raisonnablement exiger d'un citoyen", continuait-il, "qu'il puisse imaginer que des exceptions soient posées" à la solution normale, à savoir que le délai de recours a comme point de départ la publication dans le cas des décisions réglementaires et la notification dans celui des décisions individuelles ? "S'agissant des recours et de leurs modalités d'exercice, il convient que les choses soient simples. Et si, comme en l'espèce, aucune raison sérieuse ne milite en faveur d'une solution dérogatoire, le maintien d'une solution conforme au droit commun s'impose."

M. de Geouffre de la Pradelle ajoutait qu'en toute hypothèse, si ladite interprétation devait prévaloir, il faudrait considérer comme illégaux les articles 6 et 7 parce que contraires au principe d'égalité: le propriétaire de biens faisant l'objet de pareille décision serait moins bien traité que les autres citoyens visés par des mesures individuelles.

A titre subsidiaire, il dénonçait le caractère incomplet et irrégulier de la publication du 12 juillet 1983 (paragraphe 11 ci-dessus), qui ne permettait pas aux personnes concernées de connaître "l'étendue exacte de la mesure de classement". D'après lui, le délai de recours n'avait commencé à courir qu'une fois le texte complet du décret mis à la disposition des administrés à la préfecture de la Corrèze; or l'administration ne démontrait pas que la requête, enregistrée le 27 octobre 1983, l'eût été plus de deux mois après cette mise à disposition. M. de Geouffre de la Pradelle alléguait enfin que la mesure litigieuse constituait un véritable détournement de pouvoir, destiné à faire échec à son projet de modernisation (paragraphe 7 ci-dessus) et à l'exercice des droits d'eau liés à sa qualité d'ancien producteur d'électricité.

16. Le 7 novembre 1986, le Conseil d'Etat, sur les conclusions du commissaire du gouvernement, déclara la requête irrecevable par les motifs suivants:

"(...)

Considérant qu'aux termes de l'article 49 de l'ordonnance du 31 juillet 1945, 'sauf dispositions législatives contraires le recours ou la requête au Conseil d'Etat contre la décision d'une autorité ou d'une juridiction qui y ressortit, n'est recevable que dans un délai de deux mois; ce délai court de la date de publication de la décision attaquée à moins qu'elle ne doive être notifiée ou signifiée, auquel cas le délai court de la date de notification ou de signification';

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 6 du décret du 13 juin 1969, les décisions portant classement d'un monument naturel ou d'un site sont publiées au Journal officiel; que si, d'après l'article 7 du même décret, ces décisions sont notifiées aux propriétaires intéressés lorsqu'elles comportent des prescriptions particulières tendant à modifier l'état ou l'utilisation des lieux et si, dans ce cas, le délai de recours contentieux ne court que de la notification du décret ou de l'arrêté de classement, cette dernière disposition n'est applicable que s'il y a lieu de mettre le propriétaire en demeure de modifier l'état ou l'utilisation des lieux; qu'en revanche, dans les autres cas le délai de recours contentieux court de la publication de la décision de classement au Journal officiel même si, postérieurement à cette publication, la décision a été notifiée au propriétaire;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que le décret attaqué portant classement du site constitué par la vallée de la Montane, dans le département de la Corrèze, ne comportait aucune mise en demeure aux propriétaires de modifier l'état ou l'utilisation des lieux; qu'il suit de là que, conformément aux dispositions réglementaires susrappelées, le délai de recours contentieux contre ledit décret a couru à compter de sa publication au Journal officiel;

Considérant qu'un extrait dudit décret a été publié au Journal officiel le 12 juillet 1983 avec l'indication que le texte complet pourrait être consulté à la préfecture de la Corrèze; que, dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que ladite publication serait incomplète ou irrégulière et, par suite, insusceptible de faire courir le délai du recours contentieux; que la requête contre le décret attaqué n'a été enregistrée que le 27 octobre 1983, c'est-à-dire après l'expiration du délai de recours résultant de l'application des dispositions susanalysées du décret du 13 juin 1969;

Considérant, il est vrai, que, pour faire échec à la tardiveté de sa requête, M. de Geouffre de la Pradelle soutient que ces dispositions réglementaires seraient illégales au motif qu'elles créeraient une discrimination au détriment des propriétaires de sites classés dès lors que ces propriétaires ne disposeraient pas des mêmes délais de recours contre les décisions de classement que ceux dont peuvent bénéficier les autres destinataires de décisions individuelles;

Mais considérant qu'une décision de classement d'un site pittoresque ne présente pas le caractère d'une décision individuelle; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le décret attaqué violerait les règles relatives à la notification des actes et décisions individuelles est inopérant;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête susanalysée est tardive et, dès lors, irrecevable;

(...)"

17. En novembre et décembre 1986, M. de Geouffre de la Pradelle s'adressa au service départemental de l'architecture de la Corrèze; il en demandait le concours pour la remise en état du site ravagé par la grande tempête de novembre 1982. Sa démarche demeura sans succès.

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