La lettre juridique n°943 du 20 avril 2023 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] L’exécution forcée d’une promesse unilatérale rétractée par le promettant : quand la Chambre commerciale explicite la rétroactivité de son revirement

Réf. : Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-20.399, FS-B N° Lexbase : A80049HW

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N5092BZM

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par Romain Dumas, Maître de conférences HDR en Droit privé à l’Université de Limoges, Directeur adjoint du CREOP (UR 15561)

le 20 Avril 2023

Mots-clés : promesse unilatérale de vente • rétractation du promettant • exécution forcée • revirement de jurisprudence • motivation enrichie

Le promettant ayant consenti une promesse unilatérale de vente s'oblige définitivement à vendre dès la conclusion de celle-ci. Il ne peut donc pas se rétracter, même avant l'ouverture du délai d’option offert au bénéficiaire, sauf stipulation contraire.
Partant, la cour d'appel ayant rejeté la demande du bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente, conclue avant l’entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, en exécution forcée de la vente après rétractation du promettant, au motif que cette situation excluait toute rencontre des volontés de vendre et d’acquérir, a violé l’article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance précitée.


La réforme du droit des contrats, par le biais de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK, a opéré une sélection parmi les solutions prétoriennes, inaugurées sous l’empire du droit antérieur. D’un côté, elle a puisé dans ce matériau pour en extraire des pierres, destinées à asseoir les fondations d’un droit des contrats en phase avec le siècle [1]. D’un autre côté, elle a méthodiquement déconstruit certains édifices jurisprudentiels, en consacrant la solution diamétralement opposée dans le Code civil. Tel a été le sort réservé à la solution jurisprudentielle ayant, pendant plusieurs décennies, refusé d’accorder au bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente, objet d’une rétractation de la part du promettant avant la levée de l’option, l’exécution forcée de cet engagement. En effet, le nouvel article 1124, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L0826KZM, issu de la réforme du droit des contrats par l’ordonnance de 2016, dispose expressément que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ».

Par un arrêt remarqué du 23 juin 2021 [2], la troisième chambre civile de la Cour de cassation a été la première à abandonner la solution jurisprudentielle, située aux antipodes du nouvel article du Code civil, pour adopter la règle codifiée et l’appliquer immédiatement [3] à une promesse formée sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance de 2016.

L’arrêt sous commentaire témoigne du ralliement de la Chambre commerciale de la Cour de cassation à la position de la troisième chambre civile, en ce qu’il opère également un revirement de jurisprudence au sujet d’une promesse unilatérale pourtant conclue antérieurement à la réforme de 2016. Or, la Chambre commerciale se distingue de sa devancière civiliste en ce que son arrêt, ayant reçu les faveur d’une publication au Bulletin et probablement destiné à devenir un grand arrêt de la saga de la rétractation du promettant, a été rendu sous les heureux auspices d’une motivation enrichie [4]. Au demeurant, celle-ci s’avère particulièrement convaincante et inédite par le rôle prépondérant qu’elle reconnaît à la doctrine dans cette évolution.  

En l’espèce, au premier jour de l’été 2012, deux sociétés, MG et GTD ont formé un protocole d’accord cadre fixant les modalités d’entrée de la société GTD au capital d’une filiale de la société MG, la société C2G et ce, en trois étapes successives. Par la première, la société GTD a acquis 47 % des actions de la société C2G, le solde d’actions restant détenu par la société MG.  Ensuite, en vertu de la seconde étape du protocole, la société MG a consenti une promesse unilatérale de cession de 13 % des actions, qu’elle détenait encore dans la société C2G, à la société GTD. Cette dernière, en tant que bénéficiaire de la promesse, disposait d’un délai de 6 mois pour lever l’option, à compter de l’AG de la société approuvant les comptes clos au 31 décembre 2015. Enfin, la troisième étape du protocole, consistait en la formation, par les sociétés MG et GTD, d’une promesse synallagmatique de cession du solde des actions de C2G, encore détenues par la société MG. La conversion de cette promesse synallagmatique en cession définitive était subordonnée à la réalisation de la condition suspensive suivante : la réalisation effective des deux étapes précédentes du protocole.

Or, le 8 mars 2016, la société MG a rétracté sa promesse unilatérale de cession d’actions, notifiant sa décision à la société GTD, bénéficiaire de cet engagement. La société GTD a cependant levé l’option le 28 juin 2016, soit le lendemain de la tenue de l’assemblée générale ayant approuvé les comptes 2015, agissant ainsi dans le délai fixé par le protocole. En outre, mécontente de l’attitude du promettant, elle l’a assigné en exécution forcée de la promesse et en paiement de dommages et intérêts. Or, par arrêt du 6 juillet 2021 [5], la cour d’appel de Rennes, fidèle à la jurisprudence antérieure à la réforme du droit des contrats puisque le protocole comportant la promesse unilatérale datait de 2012, a rejeté la demande d'exécution forcée en nature de la vente. Le bénéficiaire de la promesse unilatérale forme donc logiquement un pourvoi en cassation contre cet arrêt reposant sur une jurisprudence qu’il estime critiquable.

La Chambre commerciale devait ainsi se demander si le bénéficiaire de la promesse de cession d’actions pouvait, en dépit de la rétractation du promettant avant que ne commence à courir le délai de levée d’option, obtenir l’exécution forcée de cet engagement, au sens du nouvel article 1124, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L0826KZM, ou si cette action était vouée à l’échec, la promesse ayant été formée à une date antérieure à la réforme de 2016, époque à laquelle la jurisprudence refusait catégoriquement l’exécution forcée dans ce cas.

La Chambre commerciale opère alors un revirement de jurisprudence, prononçant la cassation de l’arrêt d’appel pour violation de la loi et elle renvoie l’affaire et les parties devant la cour d’appel d’Angers. Par le recours à la motivation enrichie, les juges du Quai de l’horloge estiment ainsi que, compte tenu de l’évolution du droit des obligations sur la question, « il y a lieu d'appliquer à la présente espèce le principe selon lequel la révocation de la promesse avant l'expiration du temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis ».

Par cet arrêt [6], la Chambre commerciale procède donc à un revirement de jurisprudence en s’inscrivant dans les pas de la troisième chambre civile (I).  En outre, elle décide de procéder à une application immédiate dudit revirement (II).

I. Un revirement de jurisprudence de la Chambre commerciale inscrit dans les pas de la troisième chambre civile

Position suiviste de la troisième chambre civile. Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance de 2016, la jurisprudence « consorts Cruz » [7], réitérée à maintes reprises en dépit de vives critiques doctrinales [8], était la suivante : le bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente souhaitant convertir celle-ci en une vente définitive par la levée de l’option, ne pouvait prétendre qu’à des dommages-intérêts en cas de rétractation de la promesse avant la levée de l'option.  En revanche, l’engagement du promettant était insusceptible d’exécution forcée [9].

En apparence, ce raisonnement prétorien semblait logique. En effet, si le bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente souhaite acheter, alors que le promettant ne veut plus vendre, la rencontre des volontés devient impossible. L’exécution forcée de la promesse serait donc inenvisageable. Or, pour la doctrine majoritaire, autant cette approche était admissible au stade de l’offre de contrat, assez peu contraignante pour l’offrant, autant elle apparaissait critiquable au niveau d’une promesse de contrat, fût-elle unilatérale. Cette dernière constitue en effet un véritable engagement contractuel, porteur de la force obligatoire [10]. Le promettant ne peut donc être considéré comme le détenteur d’un pouvoir unilatéral de renonciation à sa promesse.

Finalement inspirée par ces critiques doctrinales, la rédaction de l’article 1124, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L0826KZM, issu de l’ordonnance de 2016 et consacrant l’entrée de la promesse unilatérale dans cet instrument, dispose désormais que : « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ». Conformément à l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016, cette nouvelle disposition n’est applicable qu’aux contrats souscrits postérieurement à son entrée en vigueur, soit le 1er octobre 2016. Partant, pour toute promesse unilatérale de vente formée après l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2016, le bénéficiaire levant l’option peut demander l’exécution forcée de la promesse et donc sa conversion en vente définitive et ce, en dépit de la rétractation de son engagement par le promettant, survenue durant le temps laissé au bénéficiaire pour opter. Or, quid des promesses unilatérales formées antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2016 et pour lesquelles le promettant s’était rétracté avant que le bénéficiaire ne lève l’option ? Sont-elles soumises au droit antérieur à l’ordonnance de 2016 ou peuvent-elles au contraire subir l’influence des règles nouvelles [11] ?

Dans cette situation, « si au nom du principe de non-rétroactivité, le législateur ne peut réécrire le passé, le juge peut le relire à la lumière du présent » [12]. Partant, le juge, saisi d’une demande en exécution forcée d’une promesse unilatérale de vente objet d’une rétractation du promettant avant que le bénéficiaire ne lève l’option, formulée après l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2016, mais pour un engagement consenti avant cette date, pouvait y répondre favorablement et ce, à la lumière du nouvel article 1124, alinéa 2, du Code civil.  

Telle a été la solution adoptée par la troisième chambre civile, par un revirement de jurisprudence en date du 23 juin 2021 [13], confirmé par un second arrêt du 20 octobre 2021 [14]. Les deux arrêts avaient retenu que dans une promesse unilatérale de vente, même formée sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance de 2016, le promettant « s'oblige définitivement à vendre dès la conclusion de l'avant-contrat, sans possibilité de rétractation, sauf stipulation contraire » [15]. Dans l’arrêt commenté, la Chambre commerciale leur emboîte le pas, énonçant à son tour que « le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s'oblige définitivement à vendre dès cette promesse et ne peut pas se rétracter, même avant l'ouverture du délai d'option offert au bénéficiaire, sauf stipulation contraire » [16].

Revirement plus explicite par le biais de la motivation enrichie. Si la troisième chambre civile, par deux arrêts, et la Chambre commerciale au moyen de l’arrêt commenté, ont adopté une position identique dans des circonstances similaires, l’effort de justification du revirement déployé par la Chambre commerciale, au moyen d’une motivation enrichie, doit être salué. En effet, elle se montre bien plus explicite et pédagogue que sa consœur civiliste.

En effet, la justification de l’exécution forcée de la promesse unilatérale, dans l’arrêt de revirement de la troisième chambre civile du 23 juin 2021, n’emporte pas totalement la conviction. Celle-ci repose en effet sur l’ancien article 1142 du Code civil, relatif à la sanction de l’inexécution d’une obligation de faire ou de ne pas faire par des dommages et intérêts. Or, les Hauts magistrats déduisent de ce texte la possible exécution forcée de la promesse. Cependant, le promettant ne s’oblige pas à proprement parler à faire quelque-chose, si ce n’est consentir à la vente, l’exécution du contrat définitif restant totalement tributaire de la levée de l’option par le bénéficiaire de la promesse. Ensuite, par son arrêt du 20 octobre 2021, la troisième chambre civile confirme son revirement, tout en délaissant la référence à l’ancien article 1142 du Code civil N° Lexbase : L1242ABM, pour ne statuer qu’au seul visa de l’ancien article 1134 du Code civil N° Lexbase : L1234ABC, relatif à la force obligatoire du contrat, règle excluant selon elle tout pouvoir de renonciation unilatérale du promettant à son engagement. Si la solution apparaît juridiquement plus convaincante, elle n’en demeure pas moins très laconique.

Or, dans l’arrêt commenté, la Chambre commerciale se montre au contraire peu avare d’arguments. Deux d’entre eux méritent quelques observations. En premier lieu, l’arrêt est rendu au seul visa de l’ancien article 1134 du Code civil. Il évite donc l’écueil d’un détour contestable par l’article 1142 du Code civil, pour ne justifier l’exécution forcée qu’en vertu de la force obligatoire du contrat.

En second lieu, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, l’arrêt recontextualise la situation dans laquelle la Chambre commerciale a opéré son revirement de jurisprudence [17]. Ainsi, justifie-t-il cette action par la nécessité d’adapter sa jurisprudence à l’évolution du droit des obligations. En effet, quant à la question litigieuse, le Code civil a consacré la solution inverse (exécution forcée de la promesse en dépit de la rétractation avant la levée de l’option) à celle longtemps fermement défendue par la Cour régulatrice (impossibilité d’exécution forcée). Grâce à la motivation enrichie, la Chambre commerciale indique donc de manière explicite qu’il était temps pour elle, au regard de la solution consacrée en droit positif, de se rallier à celle-ci. En définitive, la mécanique de ralliement à une nouvelle règle écrite, laquelle n’apparaissait auparavant qu’en creux dans la rédaction antérieure des arrêts de revirement, est ici parfaitement mise en exergue et assumée.

II. Un caractère immédiat conféré au revirement de jurisprudence

L’arrêt indique expressément qu’« il y a lieu d'appliquer à la présente espèce le principe selon lequel la révocation de la promesse avant l'expiration du temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis » [18]. Autrement dit, la Cour régulatrice opère un virage à 180 degrés afin d’appliquer à une promesse unilatérale de cession, figurant dans un protocole conclu en 2012, la règle contenue à l’article 1124 alinéa 2 du Code civil, issu de la réforme de 2016 et en vigueur depuis octobre 2016 [19]. Pour trancher en ce sens, la Chambre commerciale ne retient aucun des griefs invoqués par le promettant. Or, plutôt que d’écarter ceux-ci au moyen d’un attendu lapidaire, elle s’évertue, une fois de plus grâce aux vertus de la motivation enrichie, à expliciter son raisonnement.

Atteinte légitime et proportionnée aux droits et intérêts du promettant. Ce dernier mettait en avant l’atteinte à la sécurité juridique que causerait selon lui sa condamnation à l’exécution forcée de la promesse. Il est communément admis que la sécurité juridique [20] se déploie autour du triptyque suivant : accessibilité, prévisibilité et stabilité des règles de droit, écrites comme jurisprudentielles. Si la Chambre commerciale n’étudie pas le caractère accessible de sa solution, elle s’attarde sur la question de savoir si son revirement s’avèrerait susceptible de porter une atteinte démesurée à la stabilité et à la prévisibilité des règles de droit.

Pour contrer l’argument de l’atteinte à la stabilité de la règle de droit causée par son revirement, la Chambre commerciale, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (§ 10), indique au contraire que la stabilité d’une règle ne saurait être synonyme de son invariabilité. En effet, ni la sécurité juridique ni la protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent un droit acquis à une jurisprudence constante [21]. Des évolutions jurisprudentielles s’avèrent donc nécessaires, le statu quo risquant au contraire de freiner toute amélioration au détriment des justiciables [22]. Ainsi, l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, fondé sur la jurisprudence classique rejetant l’exécution forcée de la promesse unilatérale consécutive à la rétractation du promettant, était susceptible de pourvoi. Or, rien ne garantissait au promettant que la Chambre commerciale confirmerait cette approche.

Concernant le caractère prévisible de son revirement, la Chambre commerciale oppose au promettant deux indices de prévisibilité en ce sens, l’un classique, l’autre bien plus original. En premier lieu, elle souligne qu’un tel revirement pouvait être anticipé, la troisième chambre civile ayant opéré un virage similaire le 23 juin 2021, soit une quinzaine de jours avant que la cour d’appel ne se prononce dans la présente affaire. Partant, lors de l’introduction du pourvoi par le bénéficiaire de la promesse, le défendeur et ses conseils avaient la possibilité matérielle d’être informés du revirement opéré par la troisième chambre civile sur ce point. Autrement dit, « le nouvel état du droit, issu du revirement de la troisième chambre civile, n'était pas imprévisible au jour où la société GTM a formé son pourvoi » [23]. En guise de second indice de prévisibilité de son revirement, la Chambre commerciale souligne qu’« une très grande majorité de la doctrine l'appelait de ses vœux bien avant la conclusion du protocole du 21 juin 2012 et la réforme du droit des contrats du 10 février 2016 » [24]. D’une part, il est assez rare que la Cour de cassation s’appuie sur les critiques doctrinales dont elle a pu être l’objet par le passé pour justifier d’un revirement de jurisprudence [25]. Elle consacre ainsi la légitimité de la doctrine à être érigée au rang de source du droit [26]. D’autre part, les critiques doctrinales, quant au refus de la jurisprudence de consacrer l’exécution forcée de la promesse unilatérale au profit de son bénéficiaire, ne datant pas d’hier, étaient donc largement accessibles [27].

Rejet des griefs tirés d’une violation de droits primordiaux. La Chambre commerciale rejette ensuite les griefs tirés d’une violation des articles 6 de la CESDH N° Lexbase : L7558AIR et 1 de son premier protocole additionnel N° Lexbase : L1625AZ9, relatifs respectivement aux droits à un procès équitable et au respect des biens. À cette fin, elle s’est livrée à un contrôle de conventionnalité in concreto [28]. Concernant le droit à un procès équitable, la Chambre commerciale ne relève aucune privation de cette prérogative au détriment de la société promettante et ce, en raison des « doutes préexistants quant au bien-fondé, et donc au maintien, de la jurisprudence antérieure » [29]. Quant à l’atteinte au droit au respect des biens, la Cour européenne des droits de l’Homme estime qu’une créance fondée sur une décision judiciaire, ici l’absence de condamnation à l’exécution forcée d’une promesse, sera considérée comme un bien relevant de la protection de l’article 1 protocole 1, si elle apparaît suffisamment établie pour être exigible [30]. En revanche, si cette créance repose sur une décision judiciaire non définitive, telle que l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes en l’espèce, non irrévocable car pouvant faire l’objet d’un pourvoi, susceptible de faire évoluer la situation du promettant, elle ne sera alors pas suffisamment établie pour être exigible. Elle ne saurait dès lors être constitutive d’un bien, au sens européen du terme, protégé par la disposition conventionnelle. En outre, l’atteinte alléguée à l’article 1 protocole 1 à la CESDH ne saurait davantage être assimilée à une « espérance légitime » du promettant à ne pas être condamné à l’exécution forcée de la promesse unilatérale consentie. En effet, tant les critiques doctrinales de la jurisprudence antérieure que la réforme du droit des contrats à ce sujet, faisaient naître de sérieux doutes quant au maintien des solutions antérieures à la réforme. L’analyse de la jurisprudence européenne par la Chambre commerciale au moyen de sa motivation enrichie, démontre de manière éclatante que la fondamentalisation du droit privé [31], du droit des contrats et du droit des affaires [32], est désormais une réalité bien ancrée.

Enfin, et au-delà de la riche motivation de la Chambre commerciale, une décision de la troisième chambre, rendue quelques années avant l’arrêt commenté, pouvait également laisser augurer que l’atteinte au droit au respect des biens, donc au droit de propriété, liée à l’exécution forcée de la promesse unilatérale de vente ne pouvait pas prospérer [33]. En effet, elle avait refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au juge de la rue de Montpensier, concernant le caractère inconstitutionnel du deuxième alinéa de l’article 1124 du Code civil. En l’espèce, un promettant, ayant révoqué sa promesse unilatérale de vente avant la levée de l’option par le bénéficiaire, estimait ainsi que l’article précité, qui lui était applicable et l’obligeait à former la vente malgré tout, portait atteinte à sa liberté contractuelle et à son droit de propriété, tels que garantis par la Constitution. Or, la troisième chambre civile a considéré cette QPC comme dénuée de caractère sérieux. Ainsi, il s’inférait de cet arrêt que l’exécution forcée d’une promesse unilatérale, en dépit de sa rétractation par le promettant, ne saurait constituer une atteinte à son droit de propriété.

Conséquences équilibrées de la solution pour les parties à la promesse. Pour la société auteure de la promesse, s’il apparaît que, sous l’empire de l’ancien droit, elle aurait pu échapper à l’exécution forcée de cet engagement, elle aurait tout de même été contrainte d’indemniser son bénéficiaire en raison du préjudice subi du fait de la rétractation fautive [34]. Le revirement opéré ajoute donc, à une sanction préexistante, la possibilité de poursuivre l’exécution forcée de la promesse. Ainsi, il n’inflige nullement une « double peine », tenant au versement de dommages et intérêts et à l’exécution forcée, à un promettant qui aurait échappé à toute sanction sous l’empire du droit antérieur. Ici, la Cour régulatrice se cantonne à ajouter au versement de dommages et intérêts, sanction déjà consacrée par la jurisprudence antérieure à l’ordonnance de 2016, l’exécution forcée de la promesse en cas de rétractation illicite de celle-ci. La seconde et nouvelle sanction n’apparaît donc pas disproportionnée mais révélatrice de la volonté de la Cour de cassation de faire désormais supporter au promettant toutes les conséquences de sa rétractation illicite [35].  

Quant à la société bénéficiaire de la promesse, elle a non seulement droit à des dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi du fait de la rétractation illicite du promettant, mais aussi à l’exécution forcée de l’engagement. Il ne s’agit ici ni plus ni moins que de la reconnaissance de la force obligatoire du contrat, sur le fondement de l’ancien article 1134 du Code civil. Tel était le sens du moyen, annexé au pourvoi par les conseils de la société bénéficiaire de la promesse, demanderesse au pourvoi.

À l’avenir, si cette situation se présentait de nouveau, les avocats aux conseils représentant un bénéficiaire devant la Cour de cassation, réclamant l’exécution forcée d’une promesse, rétractée par le promettant avant la levée de l’option, auront la possibilité, afin de parachever leur argumentation, de s’inspirer de la solution édictée par un arrêt de la première chambre civile. En effet, celle-ci a estimé que « l’avocat […] se doit de faire valoir une évolution jurisprudentielle acquise dont la transposition ou l'extension à la cause dont il a la charge a des chances sérieuses de la faire prospérer » [36]. En effet, l’évolution jurisprudentielle résultant des arrêts de la troisième chambre civile et de la Chambre commerciale, consacrant l’exécution forcée de la promesse unilatérale conclue antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2016, pourra être mise en avant afin d’en réclamer la transposition.

Enfin, l’arrêt commenté constitue une source d’équilibre pour les deux parties car, dans la lignée de la troisième chambre civile, la Chambre commerciale offre aux parties à une promesse unilatérale la possibilité d’éviter la solution issue du revirement. À cette fin, il suffit d’insérer, dans la promesse, une clause offrant au promettant la faculté de se rétracter avant la levée de l’option du bénéficiaire [37]. Par conséquent, le bénéficiaire sera informé que le promettant peut se rétracter et ce dernier pourra user de cette faculté en toute tranquillité. Cette place laissée à la rétractation, émanation de la liberté contractuelle des parties à la promesse, vient donc tempérer les critiques adressées à la règle nouvelle codifiée [38] et reconnue d’application immédiate par la jurisprudence.

 

[1] Tel a été le cas de la codification, à l’article 1123 du Code civil N° Lexbase : L2338K7Q, des solutions prétoriennes encadrant le pacte de préférence, antérieurement à l’ordonnance de 2016.

[2] Cass. civ. 3, 23 juin 2021, n° 20-17.554, FS-B N° Lexbase : A95684WB, Lexbase Droit privé, n° 873, 15 juillet 2021, comm. D. Houtcieff N° Lexbase : N8331BY9 ; D. 2021, p. 1574, n. L. Molina, et p. 2251, chron. B. Djikpa ; RTD civ. 2021 p. 630, obs. H. Barbier et p. 934, obs. P. Théry ; CCC 2021, comm. 147, n. L. Leveneur ; D. 2022, p. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; AJDI 2022, p. 226, obs. F. Cohet ; Rev. sociétés 2022, 141, étude G. Pillet. Ce revirement a ensuite été confirmé par un autre arrêt : Cass. civ. 3, 20 octobre 2021, n° 20-18.514, FS-B N° Lexbase : A524949B, Lexbase Droit privé, n° 885, 25 novembre 2021, comm. A. Valmary N° Lexbase : N9512BYX ; D. actu, 17 novembre 2022, obs. G. Tamwa Talla ; D. 2022, p. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RTD civ. 2022, p. 112, obs. H. Barbier.

[3] Dans un rapport déposé en juillet 2021, la commission de réflexion sur la « Cour de cassation 2030 » énonce que le principe d'application immédiate des revirements de jurisprudence s'appuie sur de fortes raisons théoriques et pratiques. V. J.-L. Gillet, Le prévisionnel raisonnable et le normatif nécessaire. Le rapport de la commission « cour de cassation 2030 », Cah. Justice 2022, p. 563. Au regard des critiques doctrinales adressées au refus jurisprudentiel d’exécution forcée de la promesse unilatérale rétractée, lesquelles ont été suivies par l’ordonnance de 2016 afin de remédier au sort peu enviable du bénéficiaire de la promesse, des raisons théoriques et pratiques ont donc bien présidé à cette application immédiate de la nouvelle solution. 

[4] V. C. cass., Note relative à la structure des arrêts et avis et à leur motivation en forme développée, décembre 2018, p. 23, n° 99.

[5] CA Rennes, 6 juillet 2021, n° 18/03276 N° Lexbase : A37284YQ.

[6] V. C. Berlaud, Conséquence de la rétractation d’une promesse de vente par le promettant, GPL 28 mars 2023, n° GPL447q0 ; D. actu, 21 mars 2023, n. C. Hélaine ; DAE, 31 mars 2023, n. M. Hervieu.

[7] Cass. civ. 3, 15 décembre 1993, n° 91-10.199 N° Lexbase : A4251AGK ; D. 1994, p. 230 obs. O. Tournafond et 1995, p. 87, obs. L. Aynès ; RTD civ. 1994, p.584, obs. J. Mestre ; JCP G, 1995, II, 22366, n. D. Mazeaud.

[8] Cette jurisprudence était critiquée par une grande majorité de la doctrine, laquelle déniait au promettant le pouvoir de renoncer unilatéralement à sa promesse unilatérale, si ce n’est à porter une atteinte injustifiée à la force obligatoire du contrat. V. not. D. Mazeaud, n. sous Cass. civ. 3, 15 décembre 1993, préc..

[9] Solution réaffirmée à de multiples reprises. V. not. Cass. civ. 3, 15 décembre 2009, n° 08-22.008, F-D N° Lexbase : A7166EP4 ; Cass. civ. 3, 11 mai 2011, n° 10-12.875, FS-P+B N° Lexbase : A1164HRK, D. 2011, p. 1457, n. D. Mazeaud ; Cass. com., 13 septembre 2011, n° 10-19.526, F-D N° Lexbase : A7535HXD, CCC 2011, comm. 253, obs. L. Leveneur et Cass. com., 14 janvier 2014, n° 12-29.071, F-D N° Lexbase : A7988KTZ. V. cependant contra, Cass. civ. 3, 6 septembre 2011, n° 10.20.362, F-D N° Lexbase : A5353HXK, RLDC, 2012, n° 4538, obs. G. Pillet. Cet arrêt, demeuré minoritaire, a estimé que la dénonciation par le promettant de son engagement n’empêchait pas à la levée de l’option de produire son plein effet.

[10] Ce que rappelle le § 7 de l’arrêt commenté.

[11] V. déjà, quant au mandat formé entre le propriétaire d’un immeuble et un agent immobilier chargé d’assurer la vente ou la gestion locative de ce bien, l’arrêt de la Chambre mixte en date du 24 février 2017 (Cass. mixte, 24 février 2017, n° 15-20.411 N° Lexbase : A8476TNA ; D. 2017, p. 793, note B. Fauvarque-Cosson, et p. 1149, obs. N. Damas ; D. 2018, p. 371, obs. M. Mekki ; AJDI 2017, p. 612, obs. M. Thioye ; AJ contrat 2017, p. 175, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2017. 377, obs. H. Barbier). S’appuyant sur l’évolution du droit des contrats par l’ordonnance de 2016, la Chambre mixte a considéré en l’espèce que l’absence d’écrit, dans la relation entre le mandant et son mandataire agent immobilier, jusqu’ici source de nullité absolue, serait désormais sanctionnée par la nullité relative.

[12] V. R. Boffa et M. Mekki, D. 2022, p. 310, op. cit..

[13] Cass. civ. 3,, 23 juin 2021, n° 20-17.554, préc..

[14] Cass. civ. 3, 20 octobre 2021, n° 20-18.514, op. cit..

[15] § 11 de l’arrêt Cass. civ. 3, 23 juin 2021, préc. et § 13 de l’arrêt Cass. civ. 3, 20 octobre 2021, op. cit..

[16] § 8 de l’arrêt commenté.

[17] Ibidem, § 8.

[18] § 14 de l’arrêt commenté. C’est nous qui surlignons.

[19] Si l’arrêt commenté n’aborde pas cette question, l’Assemblée plénière subordonnait traditionnellement l'application immédiate d’une règle juridique, fusse-t-elle l’œuvre d’une réforme législative ou d’un revirement de jurisprudence, à d’« impérieux motif d’intérêt général ». V. Ass. plén., 23 janvier 2004, n° 03-13.617 N° Lexbase : A8595DAL ; D. 2004, JP p. 1108, n. P.-Y. Gautier.

[20] V. Th. Piazzon, La sécurité juridique, préf. L. Leveneur, Defrénois, coll. Doctorat et Notariat, t. 35, 2009.

[21] Trois arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, dans lesquels la France était l’État défendeur et rappelés dans la motivation de la Chambre commerciale, l’illustrent bien. CEDH, 18 décembre 2008, Req. 20153/04, Unédic c/ France,  N° Lexbase : A8770E9P, § 74 ; CEDH, 26 mai 2011, Req. 23228/08, Legrand c/ France N° Lexbase : A4634HSG, § 36 ; et CEDH, 12 juillet 2018, Req. 22008/12, Allègre c/ France, § 52 N° Lexbase : A7977XXQ.

[22] V. CEDH, 26 mai 2011, Legrand c/ France, op. cit., § 37.

[23] § 11 de l’arrêt commenté.

[24] Ibidem.

[25] Dans le même sens, v. C. Hélaine et M. Hervieu, n. ss l’arrêt commenté, préc.

[26] La mention, par la Cour de cassation, de l’influence doctrinale en vue de motiver l’un de ses revirements de jurisprudence, illustre avec force le constat selon lequel la doctrine « influe en profondeur sur la structuration du système juridique français et mérite au plus haut point le nom de source du droit ». Ph. Jestaz, Les sources du Droit, Dalloz, connaissance du Droit, 3ème éd. 2022, p. 187.

[27] V. les critiques formulées par le Professeur Mazeaud (préc.) envers la jurisprudence « Consorts Cruz », presque trentenaires au moment de l’arrêt commenté !

[28] Selon la Cour de cassation, ce contrôle « consiste à examiner si l’application d’une norme de droit interne ne porte pas atteinte, de manière disproportionnée, par ses effets, à un droit ou à un principe conventionnel et à écarter cette norme si tel est effectivement le cas », v. « La propriété », rapp. 2019 Cour de cassation, p. 106.

[29] § 11 de l’arrêt commenté.

[30] V. not., CEDH, 9 décembre 1994, Req. 22/1993/417/496, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c/ Grèce N° Lexbase : A6629AWG, série A n° 301-B, § 58 à 62.

[31] La fondamentalisation du droit privé, dossier RDA, n° 11, octobre 2015, p. 33.

[32] V. R. Dumas, Essai sur la fondamentalisation du droit des affaires, préf. E. Garaud, L’Harmattan, 2008.

[33] Cass. civ. 3, 17 octobre 2019, n° 19-40.028 N° Lexbase : A9477ZRG ; JCP N 2019, act. 888, obs. M. Mekki.

[34] Cf. la jurisprudence antérieure aux arrêts de 2021 de la troisième chambre civile en la matière.

[35] § 13 de l’arrêt commenté.

[36] Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-15.899, FS-P+B N° Lexbase : A9822EGU ; JCP G 2009, 94, n. H. Slim ; RTD Civ. 2009, p. 493 obs. P. Deumier.

[37] Le § 8 de l’arrêt indique ainsi que « le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s'oblige définitivement à vendre dès cette promesse et ne peut pas se rétracter […], sauf stipulation contraire ». C’est nous qui surlignons.

[38] V. contra, M. Fabre-Magnan, De l’inconstitutionnalité de l'exécution forcée des promesses unilatérales de vente. Dernière plaidoirie avant adoption du projet de réforme du droit des contrats, D. 2015, p. 826.

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