Lexbase Contentieux et Recouvrement n°1 du 30 mars 2023 : MARD

[Questions à...] Amiable, exécution forcée et commissaires de justice : un dîner avec Soraya Amrani-Mekki, Professeure agrégée à l’école de droit de Sciences Po-Paris

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[Questions à...] Amiable, exécution forcée et commissaires de justice : un dîner avec Soraya Amrani-Mekki, Professeure agrégée à l’école de droit de Sciences Po-Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/94464307-questions-a-amiable-execution-forcee-et-commissaires-de-justice-un-diner-avec-soraya-amranimekki-pro
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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice, Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement, Expert près l’UIHJ, Intervenant ENM/EFB

le 04 Avril 2023

Dans son discours de présentation à la presse du plan d’action issu des États généraux de la Justice en date du 5 janvier 2023, le garde des Sceaux a annoncé une « véritable politique de l’amiable » pour aider la justice civile, ce qui passera par « la recodification des modes alternatifs de règlement des différends dans le code de procédure civile ».

Lors de la présentation détaillée de ce plan le 13 janvier dernier, Madame Soraya Amrani-Mekki était la modératrice de la première table ronde et commençait son discours ainsi « Pourquoi 2023 serait-elle l’année de l’amiable ? ».

L’exécution étant l’issue du procès civil, il m’apparaissait important d’échanger avec elle sur la place de l’amiable dans l’exécution des décisions de justice. L’occasion pour moi de l’inviter à dîner.

Un dîner avec Soraya Amrani-Mekki commence avec quinze minutes de retard, causé par un bus qui s’arrête près de la place de l’Opéra pour ne pas en repartir, obligeant le professeur Amrani-Mekki à finir à pied et m’envoyer un texto pour m’informer qu’elle aura un petit retard.

Tant mieux. Car, il est difficile de faire court pour la présenter, tant il y à dire !

Pour cerner ce professeur de droit peu commun, aussi accessible que brillante, il faut rappeler quelques lignes de sa biographie disponible sur le site internet de Sciences Po, où elle enseigne. Ainsi y apprend-on que Soraya AMRANI-MEKKI a été membre du Conseil supérieur de la magistrature, vice-présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, membre du comité déontologie et indépendance de la Haute autorité de santé et de l’observatoire national de la laïcité, membre du conseil scientifique du GIP Justice et directrice du pôle Justice civile de Trans Europe Expert. Elle est régulièrement consultée sur des projets de textes concernant la justice (Réforme de procédure civile, action de groupe, modes amiables, inspections des services de la justice…) ou les droits de l’homme (accès aux droits et non recours ; approche par les droits, mariage pour tous, réforme de la procédure pénale, radicalisation...). Elle a été experte à la commission texte du Conseil national des barreaux (2017-2020) et l’est désormais à la commission Amiable (2021-2024). Elle est également en charge des ateliers des voies d’exécution, dont la dernière édition a eu lieu à la Chambre nationale des commissaires de justice à l’automne 2022.

Ce n’est donc pas n’importe quel professeur de droit avec qui j’ai le plaisir de dîner autour du thème de l’amiable dans le contentieux de l’exécution au lendemain de la présentation de la réforme du procès civil. Et c’est avec bien moins de retard qu’annoncé que Soraya Amrani-Mekki arrive au restaurant d’un pas décidé.

Médiateur judiciaire et commissaire de justice, je m’attable avec des questions ciblées auxquelles le professeur Amrani-Mekki répond avec une incroyable facilité, au point de me faire oublier à quel point le plat que j’ai commandé est épicé.

La première question qui me vient à l’esprit était la suivante : existe-t-il une place pour la médiation dans l’exécution forcée ? D’un « oui » franc et massif, le Professeur Amrani-Mekki commence son argumentation, en évoquant notamment la brillante thèse de mon confrère Ludovic Lauvergnat sur l’insaisissabilité. Dans cette thèse, trop peu connue alors qu’elle a été récompensée par le prestigieux prix de la recherche de l’ENM de 2021, Ludovic Lauvergnat introduit l’idée de l’amiable dans l’exécution forcée afin de contourner les insaisissabilités pour arriver à un nouveau concept, la « saisie-échange ». S’il est possible d’aménager des concepts comme l’insaisissabilité, où le saisi pourrait renoncer à cette protection en faveur du créancier, alors l’exécution forcée n’est pas incompatible avec la médiation, bien que celle-ci ne doive pas devenir un dogme.

Naturellement, cette réponse appelle une autre interrogation de ma part : comment préserver le créancier de la mauvaise foi du débiteur, qui détournerait une médiation pour organiser son insolvabilité ? Après avoir reconnu l’opportunité de la question, Madame le Professeur Amrani-Mekki rappelle qu’en effet, le règlement amiable d’un litige doit être effectué de bonne foi par les parties. Afin de protéger et inciter le créancier à échanger avec le débiteur en vue d’un règlement amiable, elle indique que le créancier peut, même engagé dans un processus amiable, diligenter des mesures conservatoires (saisies ou sûretés).

« Quid des intérêts au cours de cette médiation alors ? » dis-je à haute voix, provoquant le regard étonné de la table voisine. En effet, si le cours des intérêts est suspendu, alors le créancier « paie » le coût de la médiation, comme le débiteur si les intérêts continuent de courir. Le professeur Amrani-Mekki écarte cependant mon observation d’un revers de main entre deux coups de fourchette : que les parties en conviennent entre elles ! À défaut donc, et conformément aux règles légales, les intérêts continueront de courir.

N’ayant pas fini nos assiettes, nous avons donc le temps pour une nouvelle interrogation. Et si la médiation avait une place dans le contentieux de l’exécution ? D’un sourire, Soraya Amrani-Mekki m’indique qu’il existe déjà des médiations devant le juge de l’exécution, notamment à Paris, principalement dans le contentieux de la liquidation de l’astreinte. L’efficacité est réelle puisqu’il arrive même que les parties, après l’ordonnance faisant injonction de rencontrer un médiateur, se concilient et ne prennent même pas attache avec le médiateur !

Est-il envisageable alors de subordonner la saisine du juge de l’exécution à une tentative de règlement amiable, notamment en matière mobilière où le juge est bien souvent saisi en vue de l’octroi de délais d’exécution ? Sur ce point, mon interlocutrice répond négativement, insistant sur le fait que la médiation ne doit pas être obligatoire, mais que c’est la rencontre d’un médiateur qui doit l’être.

Dès lors, vient le moment de commander le dessert, et de poser la dernière question. Pourquoi les professionnels du droit, dont les commissaires de justice, ressentent quelques réticences à la médiation ? Sur ce point, le professeur Amrani-Mekki ne manque pas de lucidité et répond franchement que cette méfiance peut d’abord s’expliquer, en partie, par la peur de perdre une partie de son activité professionnelle, notamment car le commissaire de justice médiateur ne peut intervenir dans une affaire où il a déjà instrumenté (constat, exécution…) pour le compte d’une partie. Afin d’apaiser cette crainte légitime, elle m’expose le projet OMAR (Observatoire des Modes Amiables de Règlement des différends) qu’elle va bientôt initier à Sciences Po. L’idée est la suivante : de nombreux professionnels du droit pratiquent la médiation (avocat, notaire, commissaires de justice) et sont donc soumis à une interdiction d’instrumenter s’ils ont déjà eu à connaître de l’affaire. Alors, le projet OMAR permettrait, en créant un réseau interprofessionnel du droit fondé sur le critère de la pratique de la médiation, de pouvoir confier à un autre professionnel du droit une médiation. Ce système permettrait de favoriser la médiation puisque le notaire médiateur, commissaire médiateur ou avocat médiateur, serait rassuré sur le risque de « perdre » le client puisqu’il n’irait pas chez un de ses confrères concurrents. OMAR permettrait donc de sécuriser dans leurs affaires les professionnels du droit médiateurs, tout en créant un nouveau réseau.

Ensuite, le professeur Amrani-Mekki m’explique que l’incompréhension de la médiation par le commissaire de justice peut également naître du fait que l’exécution d’une décision de justice ne vide pas nécessairement le litige au fond. En témoigne le contentieux de l’astreinte, où le demandeur réclame en justice l’exécution d’une obligation de faire, et non le versement d’une somme d’argent qui ne sanctionne que l’inexécution ou le retard ! Ainsi, le commissaire de justice médiateur doit comprendre que la médiation dans l’exécution peut avoir un résultat différent de l’exécution du titre exécutoire, la décision de justice n’étant pas un dogme.

Hélas, l’heure passant, il faut chacun chez soi rentrer, la discussion ne pouvant s’éterniser… Même si je n’ai pas pu finir ma tarte aux pommes, je reste sur ma faim après ce dîner car je pressens que 2023 réserve bien des surprises pour les commissaires de justice médiateurs !

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