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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 11 Juillet 2013
Par ailleurs, le manifeste pour la MLC définit la monnaie locale complémentaire par ses aspects de complémentarité -une MLC coexiste avec l'euro, c'est un outil parmi d'autres pour expérimenter et construire d'autres modes de vie, d'échange et de solidarité- ; de parité -l'euro est convertible en MLC, 1 euro = 1 unité de MLC- ; et de subsidiarité -à son échelle, celle de son bassin de vie, une MLC donne la possibilité à chaque personne de reprendre la maîtrise de son argent pour redevenir acteur de ses choix de vie et de consommation-. Et, d'aucuns, comme Fabrizio Delage-Paganini, du Fonds d'investissement Blue Orange chez Suez Environnement, de préciser que "ces monnaies locales complémentaires ont pour but de redonner un sens à la monnaie comme outil d'échange de biens et de services. Elles ont pour objectif de sensibiliser l'opinion publique aux dérives de notre système monétaire. Spéculation et écart de richesse accrue entre classes sociales sont les maux de ce système, entré en récession depuis quelques années".
Concrètement, plusieurs régions ont mis en place un tel système parallèle et complémentaire de paiement ou sont en passe de le développer. Les régions PACA, Rhône-Alpes, Aquitaine et Languedoc-Roussillon en sont déjà fortement pourvues. Il en va de même de la Bretagne où plusieurs expériences ont été tentées. Les balbutiements sont naissants en Alsace-Lorraine et plusieurs projets sont à l'étude en Haute Normandie et en région parisienne. L'offre alternative de moyens ou modalités de paiement est donc chose concrète dans certaines régions. Mais quid de l'honoraire de l'avocat ? L'avocat peut-il se faire rémunérer par l'intermédiaire d'une MLC ?
La réponse à cette question n'est évidemment pas des plus simples. D'abord, parce que l'article 11.6 du règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8) précise que "les honoraires sont payés dans les conditions prévues par la loi et les règlements, notamment en espèces, par chèque, par virement, par billet à ordre et par carte bancaire. L'avocat peut recevoir un paiement par lettre de change dès lors que celle -ci est acceptée par le tiré, client de l'avocat [...]". Evidemment, l'adverbe "notamment" permet d'élargir le champ des modalités de paiement, bien que la disposition précitée ne fasse référence qu'à des moyens de paiement : les exemples cités au RIN supposent, en effet, un paiement en monnaie légale, nationale. Mais, la même disposition comprend, en fait, toute modalité de paiement "dans les conditions prévues par la loi et les règlements".
Alors, c'est bien entendu le Code monétaire et financier qui nous éclaire sur la légalité des MLC. L'article L. 521-3 du code précité (N° Lexbase : L1181IWN) dispose, en effet, que, "par exception à l'interdiction de l'article L. 521-2 (N° Lexbase : L4851IEE), une entreprise peut fournir des services de paiement fondés sur des moyens de paiement qui ne sont acceptés, pour l'acquisition de biens ou de services, que dans les locaux de cette entreprise ou, dans le cadre d'un accord commercial avec elle, dans un réseau limité de personnes acceptant ces moyens de paiement ou pour un éventail limité de biens ou de services". Et, l'article L. 314-1 du code (N° Lexbase : L4861IER) de préciser que "n'est pas considérée comme un service de paiement :
1° La réalisation d'opérations fondées sur l'un des documents suivants, tiré sur le prestataire de services de paiement en vue de mettre des fonds à la disposition du bénéficiaire :
a) Un titre de service sur support papier ;
b) Un chèque de voyage sur support papier ;
c) Un mandat postal sur support papier tel que défini par l'Union postale universelle ;
[...]".
Aussi, la MLC est légale car elle n'officie qu'entre les membres adhérents du réseau concerné et qu'elle ne constitue pas un service de paiement ; en effet, le coupon d'échange utilisé couramment par les MLC peut être considéré comme un titre de service. Et, selon les sites spécialisés, les autorités locales de la Banque de France confirmeraient "la légalité de cette pratique dans le respect des articles ci-dessus" ; position ayant été confirmé par l'Autorité de contrôle prudentiel de La Banque de France.
Pour autant, est-il possible de payer un avocat en radis, bretzels, fruits et légumes du potager contre ses conseils ou sa mission de représentation ?
La doctrine ne semble pas favorable au paiement de l'honoraire par la remise d'objets mobiliers ou de marchandises, sauf à titre de don spontané du client (cf. H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d'avocat, Dalloz Action, 2011-2012, § 46.54). Toutefois, la Cour de cassation admet, elle, cette modalité particulière de règlement des honoraires de l'avocat.
Dans un arrêt ayant connu une certaine publicité (Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 07-13.268, FS-P+B N° Lexbase : A7403ENI), la Haute juridiction censure la convention ayant prévu la remise d'oeuvres d'art à titre d'honoraire complémentaire, non sur le principe même d'une telle remise, mais en l'absence d'une évaluation préalable portée à la connaissance préalable du Bâtonnier : "l'attribution en nature implique que la valeur des objets attribués ait été fixée préalablement à la demande formée devant le Bâtonnier" ; cette évaluation permet ainsi une traçabilité totale de la remise, pour calcul de la TVA et l'imposition des revenus afférents, notamment. Et, en l'espèce, la Cour de cassation, estimant cette valorisation très supérieure à celle des services rendus par l'avocat, a simplement réformé cette attribution, usant de sa faculté, désormais bien connue, de réduire le montant des honoraires au regard des services accomplis par l'auxiliaire de justice. Mais, le principe d'attribution en nature n'est donc pas, en soi, critiquable.
Un arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le 11 juin 2013, abonde dans le même sens, mais relève un autre écueil : la charge de la preuve (CA Aix-en-Provence, 11 juin 2013, n° 12/09032 N° Lexbase : A4165KGD). En l'espèce, dans le cadre d'un litige relatif à la taxation des honoraires, un client, carreleur de son état professionnel, affirmait que l'avocat avait voulu se faire payer en travaux de carrelage. La cour d'appel ne semble pas discuter de ce fait, et implicitement admet qu'une prestation de services, cette fois (et non simplement la remise d'un bien mobilier) puisse servir de modalité de paiement des honoraires de l'avocat, encore qu'il appartienne au client en cause d'apporter la preuve qu'il a bien honoré, lui, sa prestation, ici de carrelage.
En conséquence, les MLC étant considérées comme des modalités de paiements légales, et la jurisprudence n'interdisant pas l'attribution de biens mobiliers ou de marchandises, ni même la réalisation de prestations de services, à titre de paiement des honoraires de l'avocat, rien ne semble interdire que l'avocat se fasse rémunérer par une monnaie locale complémentaire.
"La monnaie n'est qu'un parasite dans le fonctionnement de l'économie de marché. Un parasite dangereux, à domestiquer, parce qu'on ne peut pas l'éliminer", écrit Jacques Attali, dans Les Trois Mondes.
CQFD
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