Lexbase Fiscal n°521 du 28 mars 2013 : Fiscalité du patrimoine

[Questions à...] ISF : je t'aime, moi non plus - Questions à Arnaud Corbel, Avocat associé du cabinet Chandellier-Corbel

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 28 Mars 2013

En France, un impôt fait particulièrement l'objet de controverses : l'ISF. Cet impôt, qui ne s'applique qu'aux "riches", est destiné à faire participer le patrimoine à l'impôt. Objet de nombreuses critiques, mais jamais véritablement menacé de disparition, l'impôt de solidarité sur la fortune associe "patrimoine" à "richesse". A tort ou à raison ? Souvent qualifié d'impôt à caractère confiscatoire, l'ISF a subi deux grandes réformes récemment : une première par la droite, alors au pouvoir, qui a modifié, notamment, le seuil de déclenchement de l'impôt, élevant le seuil de la "richesse patrimoniale taxable". La seconde réforme vient d'être actée dans l'article 13 de la loi de finances pour 2013, et revient à la situation que l'on connaissait avant la première réforme à compter du 1er janvier 2013. Cet aller-retour, qui est devenu l'un des chevaux de bataille de l'opposition droite/gauche, reflète plus les difficultés du droit fiscal face à la stabilité qu'une réelle recherche de justice fiscale. Afin de mieux comprendre les enjeux fiscaux, politiques et philosophiques de l'"impôt des riches", et à l'heure où ces derniers sont plus attirés par l'étranger que par la France, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Arnaud Corbel, avocat associé du cabinet Chandellier-Corbel.

Lexbase : Pouvez-vous nous raconter l'histoire de l'ISF ?

Arnaud Corbel : L'institution d'un impôt annuel sur le capital est une idée plus ancienne que l'on ne pourrait le croire.

En 1914, un projet de loi en vue de l'institution d'une taxe annuelle sur la fortune était déposé par Joseph Caillaux, auquel on attribue aussi généralement la paternité de l'impôt sur le revenu en France, et dont les prémices sont d'ailleurs instituées la même année.

Il faut attendre ensuite les années 70 pour que de nouveaux projets de taxation annuelle du patrimoine soient envisagés, aussi bien d'ailleurs par les partis de gauche que de droite. Le Gouvernement de Raymond Barre avait ainsi créé en 1979, une commission chargée d'étudier un prélèvement sur les grandes fortunes.

C'est finalement avec l'élection de François Mitterrand qu'est créé l'ancêtre de l'ISF, à savoir l'impôt sur les grandes fortunes ("IGF"), institué par la loi de finances pour 1982.

Il est intéressant de noter que le Gouvernement insistait à l'époque sur le fait que le seuil d'imposition à cet impôt (3 millions de francs) était beaucoup plus élevé que ceux existants dans plusieurs Etats voisins, influencés par le droit germanique : RFA, Autriche, Luxembourg, Pays-Bas et Suisse.

C'était donc déjà par rapport au modèle allemand que nos hommes politiques tentaient notamment de justifier cette réforme fiscale.

L'impôt sur les grandes fortunes comporte les caractéristiques principales de l'ISF sous sa forme actuelle : imposition directe annuelle, progressivité de l'impôt et exonération de certains biens.

Cet impôt sera supprimé lors de la première cohabitation en 1986 avec le Gouvernement de Jacques Chirac, avant de renaître, en 1988, sous l'appellation actuelle avec la réélection de François Mitterrand.

La suppression de l'IGF a été analysée comme une faute politique du candidat-premier ministre Jacques Chirac ayant contribué à sa défaite à l'élection présidentielle. Aucun parti de Gouvernement ne propose désormais sérieusement son abrogation.

Le débat ne se focalise ainsi plus sur l'existence même de l'ISF, mais sur une question plus subtile et technique qui a trait au montant maximum des impôts dont les contribuables pourraient être redevables par rapport à leur revenu.

C'est d'abord sous le Gouvernement de Michel Rocard que l'ISF va être plafonné à 85 % des revenus.

On retient surtout, plus récemment, le mécanisme du "bouclier fiscal", instauré sous le Gouvernement de Dominique de Villepin, et non par Nicolas Sarkozy, comme on le pense parfois, ce dernier en ayant toutefois accentué le mécanisme en passant de 60 % à 50 % la somme des impôts dont un contribuable peut être redevable par rapport à ses revenus.

Il est intéressant de relever que ce texte était alors vu comme une disposition fondamentale, ce qu'exprime sa codification à l'article 1er du CGI (N° Lexbase : L9234HZZ) et sa formulation de principe : "les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus".

Sa codification à l'article 1er n'a cependant pas, comme on le sait, empêché sa suppression par la loi de finances rectificative pour 2011 (loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 N° Lexbase : L0278IRQ).

Comme un symbole de l'instabilité de la fiscalité française, le CGI ne comporte plus aujourd'hui d'article 1er...

Lexbase : Qu'est-ce qui a motivé les deux récentes réformes de cet impôt ?

Arnaud Corbel : En fin de mandat, le Président Nicolas Sarkozy a décidé de supprimer le bouclier fiscal.

Si l'idée d'un plafonnement, en dernier lieu à 50 % des revenus, pouvait apparaître comme un mécanisme acceptable pour la majorité de la population et donc moins susceptible d'avoir une influence négative sur l'électorat, l'affaire a été pour le moins mal gérée.

En effet, il faut rappeler que le paiement de l'ISF intervient en même temps que la déclaration.

Or, initialement, il n'était pas prévu une imputation directe du bouclier sur l'ISF, si bien que les redevables devaient régler intégralement cet impôt avant de recevoir, quelques mois plus tard, un remboursement.

Bien évidemment, ces reversements pouvaient être d'un montant important et, ce qui ne pouvait pas manquer d'arriver, les sommes à 6 chiffres remboursées aux "grandes fortunes" ont fait les gros titres de la presse.

Si, a priori, la plupart des citoyens semblait accepter que la somme des impôts soit limitée à 50 % des revenus, les mêmes ont pu être choqués par le montant des reversements d'impôts qui ne faisait que mettre en pratique ce principe.

On peut dire que le gain de trésorerie réalisé par l'Etat du fait du décalage entre le paiement de l'ISF et le remboursement de l'impôt aux contribuables a mis en péril cette réforme.

De plus, les grands quotidiens nationaux ont pu établir que ce mécanisme bénéficiait principalement aux plus grandes fortunes en terme de patrimoine et de revenus et non pas "au petit propriétaire d'une maison sur l'Ile de Ré".

L'abrogation de l'article 1er du CGI apparaissait ainsi inéluctable dans une perspective électorale.

La suppression du bouclier fiscal a entraîné une profonde modification de l'ISF.

La loi de finances rectificative pour 2011 a modifié le seuil d'imposition en le fixant à 1,3 millions d'euros, diminué la progressivité de l'impôt (deux taux d'imposition : 0,25 % pour les titulaires d'un patrimoine inférieur à 3 000 000 d'euros et 0,5 % pour les titulaires d'un patrimoine ayant franchi 3 000 000 d'euros) et supprimé le plafonnement à 85 % des revenus.

Les plus petits patrimoines se trouvaient ainsi préservés de cet impôt et les plus importants bénéficiaient d'une très sensible réduction de l'impôt pouvant aller à plus de la moitié par rapport à l'ancien barème.

Avec l'élection de François Hollande, on entame la seconde grande réforme de l'ISF sans revenir exactement à un ISF "ancienne formule".

La loi de finances pour 2013 (loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7971IUR) conserve le seuil d'imposition à 1,3 million d'euros.

Le barème progressif est restauré avec une tranche marginale à 1,5 % au-delà de 10 millions d'euros. Le Gouvernement actuel reprochait le caractère très favorable de l'ancien barème pour les hauts patrimoines, tout en insistant sur l'effort supplémentaire demandé aux plus grandes fortunes dans le contexte de redressement des comptes publics.

Cependant, ce qui est, à notre avis, très important (et ne va peut-être pas durer), le plafonnement de l'ISF est rétabli avec un taux de 75 % mais sans le mécanisme de déplafonnement partiel (dit "plafonnement du plafonnement"), qui conduisait à ce que la diminution de l'ISF ne pouvait pas excéder la moitié du montant de l'ISF dû avant plafonnement. En pratique, les contribuables ayant de faibles revenus avaient toujours au moins la moitié de l'ISF à régler.

Le Gouvernement avait pensé que la disparition du déplafonnement serait compensée par l'intégration, pour le calcul du plafonnement, d'un certain nombre de sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année (à savoir les revenus capitalisés, notamment la variation nette des contrats d'assurance-vie, les plus-values en sursis ou en report d'imposition ainsi que le bénéfice distribuable des sociétés patrimoniales assujetties à l'impôt sur les sociétés).

Il s'agissait d'éviter que les contribuables ne réduisent leurs revenus en les mettant à l'abri dans des structures de capitalisation, à seule fin de réduire les revenus pris en compte pour déterminer si les impôts sur le revenu et l'ISF à acquitter dépassent 75 % du revenu imposable.

Cette disposition a cependant été censurée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2012-662 DC, du 29 décembre 2012 N° Lexbase : A6288IZW), au motif que ces règles méconnaissaient l'exigence de prise en compte des facultés contributives du redevable.

Il y a donc fort à parier, comme on avait déjà pu l'observer avec le mécanisme du bouclier fiscal, que les contribuables ayant la maîtrise de leur revenu et de l'organisation de leur patrimoine diminuent sensiblement leur revenu imposable entrant dans le calcul du plafonnement.

A cet égard, une limitation de la rémunération du dirigeant et l'interposition d'une holding recevant les dividendes des filiales d'exploitation, ainsi que des placements dans des produits de capitalisation, devraient permettre à certains contribuables d'optimiser ce dispositif.

On peut cependant s'attendre à ce qu'un mécanisme de déplafonnement soit à nouveau institué.

Lexbase : Comment l'ISF est-il perçu par ses redevables ? Et par les professionnels ?

Arnaud Corbel : On entend souvent les mêmes reproches que pour les droits de successions, à savoir que l'Etat taxe un patrimoine qui a déjà supporté l'impôt sur le revenu.

L'ISF est ainsi vu comme une double imposition.

Il faut aussi noter que l'ISF oblige les contribuables à révéler l'ensemble de leur patrimoine privé et professionnel à l'administration, avec un niveau de détail très important.

Le caractère déclaratif de l'impôt a pour conséquence la possibilité pour l'administration fiscale d'interroger les contribuables et de procéder à des investigations qui peuvent quelquefois être ressenties comme une véritable immixtion dans la vie privée.

Au-delà du rendement souvent critiqué de cet impôt, il ne faut donc pas oublier que l'ISF est la source d'une information importante pour l'administration fiscale et donc pour l'Etat français sur les "grandes fortunes".

L'information étant source de pouvoir, nous n'imaginons pas que l'ISF puisse être un jour supprimé.

Pour les professionnels, avocats, conseils en patrimoine... le caractère très détaillé de la déclaration ISF permet d'avoir rapidement une bonne connaissance du patrimoine des clients.

Il peut ainsi y avoir indirectement un effet favorable de l'ISF, en ce qu'il permet de suggérer des rééquilibrages et des arbitrages sur les investissements passés et à venir, questions que des contribuables ne se seraient peut-être pas posées en l'absence de cet impôt.

En tant qu'impôt, l'ISF est un élément qu'il convient de prendre en compte, y compris lorsque nous intervenons pour des entreprises.

En effet, il faut toujours garder à l'esprit que l'exonération de l'outil professionnel n'est acquise qu'à certaines conditions.

A cet égard, nous avons pu observer un renforcement des contrôles de la qualification de biens professionnels et de la remise en cause de cette exonération.

Il faut donc être vigilant sur cette question lorsque nous intervenons dans le cadre d'une réorganisation d'entreprise.

Enfin, les exils fiscaux d'orageux et célèbres artistes français ont manifestement eu un écho à l'étranger et nous sommes désormais systématiquement interrogés sur les conséquences de l'achat d'une résidence secondaire en France, sachant qu'en effet les modalités d'acquisition via des SCI qui pouvaient être très avantageuses pour les non-résidents ont été largement supprimées par les dernières lois de finances.

Lexbase : Pensez-vous que l'ISF soit un impôt "juste" ? Est-ce un impôt "nécessaire" ?

Arnaud Corbel : Comme l'expriment, à leur façon, les artistes qui se sont emparés vigoureusement de ce débat, il s'agit d'une question éminemment subjective, et ce d'autant plus dans un contexte de grave crise économique.

De manière plus juridique, on parle de prélèvements confiscatoires ou excessifs.

On considère que l'exigence d'égale répartition de la contribution commune entre les citoyens en raison de leurs facultés, formulée par l'article 13 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1360A9A), n'est pas respectée si l'impôt revêt un caractère confiscatoire ou fait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.

Selon le Conseil constitutionnel, la faculté contributive n'implique pas que seuls les biens productifs de revenus entrent dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune, ni que cet impôt ne doive être acquitté qu'au moyen des revenus des biens imposables.

En d'autres termes, c'est la "capacité contributive" que confère la détention d'un ensemble de biens et de droits qui est prise en compte, et pas seulement les revenus effectivement tirés du patrimoine.

En ce sens, on peut trouver intéressant l'effet incitatif de cet impôt en ce qu'il oblige les contribuables à tirer des revenus de leur patrimoine.

Je pense en particulier aux biens immobiliers dont la mise sur le marché, locatif ou de vente, apparaît nécessaire au regard du nombre important de logements vides, notamment en Ile-de-France.

Il se pose alors la question du taux de l'ISF et du taux de rendement qui peut être tiré du patrimoine.

Le Conseil constitutionnel a été saisi sur la loi de finances pour 2013 quant au caractère confiscatoire et excessif de l'ISF, au regard du relèvement de l'imposition des revenus du capital et de la faible rentabilité des revenus du patrimoine.

Dans sa décision du 29 décembre 2012, le Conseil a consacré cette interdépendance entre les prélèvements sur les revenus du capital et le taux maximal de l'ISF. En l'état actuel, il semble que la tranche marginale de l'ISF à 1,5 % soit un maximum.

Cela étant, le taux reste, à notre avis, trop élevé au regard du rendement possible du patrimoine.

Une réforme souhaitable serait peut-être de réduire très largement les taux actuels et d'élargir l'assiette de l'ISF, en supprimant certaines exonérations.

Nous aurions alors un impôt avec une assiette large et un taux faible.

Pour conclure sur une idée originale qui a été peu discutée, on pourrait envisager de considérer les paiements annuels d'ISF comme des acomptes sur les droits de succession.

L'ISF serait alors en quelque sorte une "carte de fidélité" pour les grandes fortunes avec, pourrait-on même espérer, un effet incitatif et paradoxal à rester en France.

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