Réf. : CEDH, 19 octobre 2021, Req. 69997/17, Lavanchy c. Suisse (N° Lexbase : A466349L)
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par Aude Lelouvier
le 03 Novembre 2021
► Ne saurait constituer une violation du droit au respect de la vie privée et familiale le refus par une juridiction nationale d’appliquer une exception au délai de prescription relatif à une action en constatation de filiation en l’absence de juste motif.
Dans cet arrêt, la requérante, ressortissante suisse, avait saisi la Cour européenne des droits de l'Homme invoquant une violation du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR). Les tribunaux suisses avaient refusé d’appliquer l’exception au délai de prescription prévu par le droit interne pour intenter une action en constatation de paternité considérant que la requérante ne justifiait pas d’un motif légitime.
Dans les faits, le prétendu père de la requérante versait depuis sa petite enfance une pension alimentaire, et à ses 25 ans, la requérante retrouvait son prétendu père, lequel lui confirmait qu’il était son père. Elle entretenait alors des liens avec celui-ci durant plusieurs années jusqu’à son décès. Ce n’est qu’à la suite de son décès en 2014, qu’elle intenta une action en constatation de filiation pour que celui-ci soit reconnu comme étant son père à l’état civil, alors qu’elle était âgée de 31 ans.
La Cour européenne a constaté que les juridictions nationales ont pris le soin de relever que la requérante, compte tenu des informations qu’elle détenait sur son prétendu père depuis sa naissance et des liens entretenus avec celui-ci, aurait pu solliciter les informations sur sa filiation inscrite dans les registres de l’état civil et se renseigner sur les démarches nécessaires. Or, cette dernière est restée inactive durant 31 ans.
Ainsi, la Cour européenne n’a pu que retenir, comme l’ont d’ailleurs relevé les tribunaux suisses, que le retard avec lequel la requérante a introduit son action en constatation de paternité ne saurait être qualifié de justifiable au sens de la jurisprudence de la Cour, et par conséquent a conclu à une absence de motif légitime. La Cour européenne a donc estimé que les juridictions suisses ont veillé au juste équilibre entre les intérêts en jeu et qu’il n’y a pas violation de l’article 8 de la CESDH.
Cet arrêt de la CEDH permet d'opérer un bref rappel sur la jurisprudence récemment retenue par la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 9 novembre 2016, n° 15-25.068, FS-P+B+I N° Lexbase : A0609SGN ; Cass. civ. 1, 7 novembre 2018, n° 17-25.938, FS-P+B+I N° Lexbase : A1751YK3).
S’il est acquis que n’est pas contraire à l’article 8 de la CESDH une législation qui prévoit qu’une contestation de paternité doit être exercée dans un certain délai, et non de façon illimitée, en considération de l’intérêt de l’enfant (CEDH, 8 janvier 2007, Req. 39277/06, K. c/ Rép. Tchèque), la Cour de cassation a retenu selon les arrêts précités que cependant, il appartient au juge d’apprécier si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, la mise en œuvre de ces délais légaux de prescription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’intéressé, au regard du but légitime poursuivi et, en particulier, si un juste équilibre est ménagé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu.
D’ailleurs, dans les faits, la requérante avait eu la possibilité d’agir après avoir appris la vérité sur sa filiation biologique. Par conséquent, les juges du fond avaient pu en déduire que le délai de prescription qui lui était opposé respectait un juste équilibre et qu’il ne portait pas, au regard du but légitime poursuivi, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée.
Pour aller plus loin : cf. ETUDE : L'établissement de la filiation, spéc. Règles procédurales encadrant les actions aux fins d'établissement de la filiation, in La filiation (dir. A. Gouttenoire) (N° Lexbase : E4359EY4). |
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