Lexbase Public n°262 du 11 octobre 2012 : Environnement

[Textes] Bulletin droit de l'environnement du cabinet Savin Martinet Associés : la compensation de la biodiversité

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le 10 Octobre 2012

Face à une chute de la biodiversité de 30 % à l'échelle du globe en moins de quarante ans, il est apparu nécessaire d'adopter une nouvelle approche de production et de consommation permettant d'associer la protection de la biodiversité avec le développement. La Convention de Rio sur la diversité biologique de 1992 a défini le terme "biodiversité" comme la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entres autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie. La Convention de Rio a également fixé comme finalité la promotion de la conservation et l'utilisation durable des espèces et des milieux naturels. Le droit français et le droit européen de l'environnement sont, aujourd'hui, fondés sur le triptyque "éviter, réduire, compenser". Tant le droit français que le droit européen ont intégré très tôt le principe de compensation (I), moyen ultime de réparation des dommages environnementaux, mais il faut penser aujourd'hui aux perspectives d'application de ce principe (II) permettant d'aller vers la réparation du préjudice écologique pur. I - L'intégration de la compensation de la biodiversité dans la règlementation environnementale

Les fondements juridiques de l'obligation de compenser les atteintes à la biodiversité sont multiples (1), tout comme les outils de mise en oeuvre de la compensation écologique (2).

1 - Une multiplicité des fondements juridiques de l'obligation légale de compenser les atteintes à la biodiversité

La biodiversité est un terme qui a été médiatisé lors de la Conférence de Rio en 1992 avec la signature la même année de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). En France, la nouvelle stratégie nationale de développement durable (SNDD) pour la période 2010-2013, adoptée le 27 juillet 2010 par le comité interministériel pour le développement durable, tend à stimuler le passage à une économie à la fois sobre en ressources naturelles et décarbonée. Parmi les neufs défis stratégiques pour la période, on trouve la conservation et la gestion durable de la biodiversité et des ressources naturelles.

La notion de compensation a été introduite par la Directive (CE) 79/409 du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (N° Lexbase : L9378AUU), dite Directive "Oiseaux" puis précisée par la Directive (CE) 92/43 du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (N° Lexbase : L7538AUQ), dite Directive "Habitat". Mais c'est la Directive (CE) 2004/35 pour la prévention et la réparation des dommages environnementaux (N° Lexbase : L2058DYU), qui lui a donné une portée générale et a fait de son application une obligation.

En France, la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976, relative à la protection de la nature (N° Lexbase : L4214HKB), a introduit la notion de compensation en disposant que l'étude d'impact doit comprendre "les mesures envisagées pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables pour l'environnement". Le principe de compensation a été réaffirmé en droit français par la loi sur la responsabilité environnementale n° 2008-757 du 1er août 2008 (N° Lexbase : L7342IA8), la loi "Grenelle I" (loi n° 2009-967 du 3 août 2009, de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement N° Lexbase : L6063IEB) (compensation des atteintes aux continuités écologiques) puis la loi "Grenelle II" (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement N° Lexbase : L7066IMN) dans le cadre de la réforme de l'étude d'impact. Les modalités de la réalisation de l'étude d'impact et les contours de l'obligation de compensation ont été précisées par le décret n° 2011-2019 du 29 décembre 2011, portant réforme des études d'impact des projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements (N° Lexbase : L5124IR9).

La compensation intervient lorsque certains dommages qui n'ont pu être évités ont toujours un impact résiduel en dépit des mesures prises pour réduire les conséquences de ceux-ci. Elle vise à éviter les pertes nettes de biodiversité en priorité, mais peut aussi aller jusqu'à un gain de biodiversité. Toute perte de diversité biologique doit être compensée au moins de manière équivalente, voire avec une amélioration nette de la valeur écologique du site.

La compensation est l'une des facettes du principe "pollueur-payeur" et vise la réparation des dommages subis par la collectivité du fait d'une atteinte à la biodiversité, soit le préjudice écologique pur. Il y a donc bien un enjeu primordial dans la compensation : la réparation du préjudice écologique pur.

2 - La diversité des outils de mise en oeuvre des mesures de la compensation

La pérennisation des mesures compensatoires est l'un des grands enjeux de la compensation écologique. Plusieurs outils existent. Certains visent à obtenir la maîtrise foncière des terrains dédiés aux mesures compensatoires, tandis que d'autres permettent d'en avoir la maîtrise d'usage. La maîtrise foncière des terrains dédiés aux mesures compensatoires permet de garantir la gestion et le suivi des mesures. Les mesures de compensation peuvent, en effet, prévoir une gestion et un suivi sur des périodes de temps importantes. Il existe un autre outil qui consiste en la maîtrise des terrains par l'acquisition. Il s'agit d'une solution fréquemment utilisée, puisqu'elle permet d'assurer la pérennité des mesures de compensation sur un temps long.

La maîtrise foncière peut, également, être assurée via la conclusion de baux emphytéotiques prévus par les articles L. 451-1 (N° Lexbase : L4141AE4) et suivants du Code rural et de la pêche maritime, qui accordent un droit réel sur le bien durant une longue durée (de 18 à 99 ans). D'autres baux spécifiques sont prévus par le Code rural mais n'accordent pas un droit réel sur le bien : bail rural à long terme (C. rur., art. L. 416-1 N° Lexbase : L0874HP3 et suivants) et bail environnemental (C. rur., art. L. 411-27 N° Lexbase : L8709IMI). Enfin, il est possible d'assurer la maîtrise des terrains par convention. Une convention de gestion peut permettre de mettre en oeuvre des mesures compensatoires, sans pour autant avoir la maîtrise foncière du terrain.

Aux méthodes classiques de mise en oeuvre de la compensation s'ajoutent des perspectives nouvelles.

II - Les perspectives de la compensation de la biodiversité

Les perspectives de la compensation de la biodiversité permettent la mise en oeuvre de nouvelles techniques (1), mais soulèvent également des enjeux quant à son effectivité (2).

1 - La mise en oeuvre progressive des "marchés de la biodiversité"

La nécessité d'associer les préoccupations environnementales aux préoccupations économiques a conduit à appliquer les mécanismes de compensation au travers des marchés de la biodiversité. Ce mécanisme s'inspire directement des banques de compensations développées dans les années 1990, en particulier aux Etats-Unis et en Australie. Ce système est basé sur l'échange de crédits de compensation. L'opérateur débiteur de l'obligation de compensation acquiert un crédit de compensation à une tierce partie (la banque de compensation) qui se charge de la mise en oeuvre des mesures compensatoires.

En France, la filiale de la Caisse des dépôts et consignation, la CDC Biodiversité, a lancé une opération de compensation sur le site de la Cossure, en France. Seul 10 % du site constitue une réserve naturelle et c'est ici qu'en 2008, la CDC a choisi d'acheter un verger de 360 hectares et d'y lancer des opérations de revégétalisation. En pratique, la CDC, considérant que cet espace est un actif naturel, vend des unités de biodiversité à des entreprises qui pourront exploiter le site, tout en assurant son bon état écologique pendant la durée du "bail". Il s'agit, alors, d'encourager un développement industriel dans le respect de la nature, les dégâts occasionnés ayant l'obligation d'être compensés.

A l'origine de cette initiative, on trouve les paiements pour services environnementaux (PSE). Ces derniers ont pour but de veiller au maintien ou à la restauration des écosystèmes naturels à travers des mécanismes de marché et donc en utilisant la compensation. Les PSE sont mis en place entre les utilisateurs de ressources et les collectivités qui sont en mesure de fournir des services environnementaux dans les domaines de l'eau, de la séquestration du carbone et de la conservation de la biodiversité. Il s'agit alors d'une négociation entre les agents économiques qui acceptent de payer pour réduire un problème environnemental et ceux qui acceptent une compensation pour réduire l'activité à l'origine du problème.

Selon une étude de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature, il existe trois principaux systèmes de compensation dans le monde : la compensation unique, envisagée au cas par cas par l'initiateur d'un projet pouvant avoir un impact sur l'environnement, les banques de compensation fondée sur l'échange de crédit de compensation et les fonds de compensation qui visent à financer des programmes de restauration ou de conservation. Bien que la méthode soit différente, l'objectif de chacun de ces systèmes reste le même et vise à compenser, souvent a priori, l'impact d'une activité sur l'environnement et les dégâts inévitables qu'elle risque d'engendrer.

2 - Les enjeux quant à l'effectivité de l'obligation de compensation

Si l'obligation de compenser les atteintes à la biodiversité possède en droit français et en droit communautaire de nombreux fondements, l'existence d'une définition légale fait défaut. En outre, une clarification des statuts juridiques de la compensation s'impose. Un problème inhérent à la nature même du dommage environnemental est celui de son évaluation chiffrée. Les opérations de compensation permettent de quantifier les dommages par des unités de mesure qui représentent des indices de chaque fonction écologique à conserver sur différents écosystèmes. La vente de crédit de compensation se fonde sur des données écologiques que l'on sait évaluer, mais les pertes risquent d'être sous-évaluées dès lors que certaines données n'ont pas été identifiées. En outre, on constate un manque de clarté sur la façon dont sont mesurées les atteintes à la biodiversité et les gains nets de biodiversité obtenus après réparation.

Il est donc nécessaire d'adopter une méthode standardisée permettant de quantifier "objectivement" les atteintes à la biodiversité et aidant à mieux apprécier l'équivalence écologique. La compensation ne saurait être efficace à l'avenir sans le développement d'outils juridiques permettant de mettre en place des mesures compensatoires pérennes. Le concept de servitude écologique selon lequel un propriétaire foncier transfère des droits particuliers via un acte juridique durablement contraignant pourrait permettre de mettre en oeuvre efficacement le principe de compensation de la biodiversité. Bien sûr, cette démarche de protection de la biodiversité nécessite l'intégration de la biodiversité dans la stratégie des entreprises et plus généralement, de tout type d'organisation (administrations, collectivités, associations, etc.), par la mise en place d'outils interdisciplinaires tels le "bilan biodiversité" proposé par l'association Orée et la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, pour la prise en compte des enjeux socio-écologiques.

Notons, également, qu'afin de faciliter l'évaluation du dommage environnemental et l'opportunité des différentes mesures de réparation, le Commissariat général du développement durable a publié en juillet 2012 un guide méthodologique portant sur la loi n° 2008-757 du 1er août 2008, relative à la responsabilité environnementale (N° Lexbase : L7342IA8) et ses méthodes d'équivalence. Ce guide détaille les méthodes d'évaluation des dommages environnementaux préconisées par la loi et par le groupe de travail REMEDE de la Commission européenne, ainsi que le processus à suivre pour déterminer les mesures de réparation qui doivent être mises en oeuvre.

La biodiversité a été l'un des thèmes majeurs de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012. Le bilan de celle-ci est encourageant puisqu'a été décidée la création de l'Agence nationale pour la biodiversité dès 2013, ainsi que le vote d'une loi-cadre intégrant un volet sur les paysages. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a également annoncé l'installation prochaine du Conseil national de la mer et du littoral, la création du parc marin de Picardie-Côte d'Opale et le classement du Marais poitevin en parc naturel.  La publication des textes relatifs aux trames vertes et bleues, visant à enrayer le déclin de la biodiversité au travers de la préservation et de la restauration des continuités écologiques a été annoncée pour début 2013. Enfin, le Gouvernement a pris des engagements quant à l'arrêt au niveau national de l'artificialisation nette des espaces agricoles et naturels, dont le calendrier sera précisé dans le cadre de la future loi sur le logement, l'urbanisme et la ville.

La stratégie nationale de la biodiversité lancée en juillet 2011 par le ministère de l'Ecologie et du Développement durable semble donc en bonne voie.

Savin Martinet Associés - www.smaparis.com - Cabinet d'avocats-conseils

Contacts :

Patricia Savin (savin@smaparis.com)
Yvon Martinet (martinet@smaparis.com)

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